Le Plus Dignement, Akira Kurosawa (1944)

Tout le monde travaille

Note : 3.5 sur 5.

Le Plus Dignement

Titre original : Ichiban utsukushiku / 一番美しく

Titre alternatif : Le Plus Beau

Année : 1944

Réalisation : Akira Kurosawa

Avec : Takashi Shimura, Sôji Kiyokawa, Ichirô Sugai, Yôko Yaguchi, Takako Irie

Il y a film de propagande et il y a film de propagande. C’est assez amusant de voir comment des cinéastes arrivent à détourner certains impératifs des films de commande pour en faire des films à valeur universelle. Inévitablement, certains détours narratifs poussent le bouchon de la dévotion patriotique un peu loin, mais si on arrive à mettre de côté ces aspects du film, on peut prendre plaisir à suivre ces histoires d’ouvrières dévouées. Propagande ou pas, le spectateur appréciera toujours de voir des personnages volontaires cherchant à dépasser leurs limites. C’est peut-être quand certaines de ces limites sont justement dépassées qu’on lève les sourcils, mais Kurosawa semble avoir très bien compris combien ce caractère décidé pouvait être cinématographique. À côté de cela, le discours antiaméricain est quasi absent, pas plus qu’on y trouve de personnages va-t’en guerre ou haineux.

Tout cela ne serait pas possible sans des acteurs remarquables : Kurosawa leur donne l’espace et le temps nécessaire pour exprimer toutes les nuances et les subtilités de leur jeu, et il sait, lui, jouer d’ellipses et de concision pour faire avancer le récit quand il faut. J’aurais toujours du mal à ne pas apprécier un film laissant autant de place à de si remarquables acteurs…


Le Plus Dignement, Akira Kurosawa 1944 Ichiban utsukushiku | Toho


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Rêves, Akira Kurosawa (1990)

Rêves

Yume

Yume

Année : 1990

Réalisation :

Akira Kurosawa

5/10 IMDb

Fin de carrière compliquée pour Kurosawa, j’apprécie peu ses derniers opus.

Rêves est une suite de petits récits, des rêves donc, qui peuvent paraître naïfs au début, mais qui prennent vite une tournure écolo-politique. Kurosawa enfonce les portes ouvertes, fait sa leçon de vieux sage au monde. C’est crétin, c’est lent, c’est moche, c’est absurde et finalement sans grand intérêt. Quelques éclairs avec Martin Scorsese en Van Gogh, acteur de talent tout de même, ou avec Chishû Ryû s’amusant de voir que son ancien amour parti avec un autre venait de rendre l’âme. Tout le reste est digne d’une croûte offerte à maman pour la fête des mères.

On pourrait se demander pourquoi on a si peu intérêt à raconter nos rêves ; c’est peut-être simplement que ce qu’on en dit ne sera jamais à la hauteur de l’expérience vécue. Comme le disait Billy : « La fille rêve d’un garçon, et le spectateur s’endort. »


 

Rêves, Akira Kurosawa 1990 | Akira Kurosawa USA


Le Déserteur de l’aube, Senkichi Taniguchi (1950)

Histoire de chanteuse

Note : 3.5 sur 5.

Le Déserteur de l’aube

Titre original : Akatsuki no dasso

Année : 1950

Réalisation : Senkichi Taniguchi

Avec : Ryô Ikebe, Shirley Yamaguchi, Eitarô Ozawa, Setsuko Wakayama

Le film sent bon la propagande américaine tant certains points de l’histoire semblent légèrement forcés. Malheureusement, c’est un peu au détriment de la cohérence du personnage masculin, Mikami. Une fois capturé par les Chinois, on lui fait bien sentir qu’en tant que soldat japonais, son devoir, son honneur, c’est de se suicider, et que s’il retourne dans ses rangs, il sera jugé en cour martiale. Mikami s’y cogne littéralement la tête, puis décide de se suicider, seul, en oubliant sa belle (le film parvient assez mal d’ailleurs à nous faire croire à un amour réciproque, lui ne faisant jamais que la repousser du début jusqu’à la fin). Manque de bol, son suicide fait long feu, et quand madame lui propose de faire comme si l’ancien soldat Mikami était mort et de recommencer une nouvelle vie avec elle et de fuir, il réfléchit à peine et la suit… C’est vrai, pourquoi pas au fond. La fin romanesque, épique et tragique, sorte de Cœurs brûlés mandchourien et sanglant, paraît là encore un peu forcée, du moins assez mal rendue. Le film d’ailleurs, tout du long, souffre d’un faux rythme étrange propre à certains films américains ou français des années 30.

Kurosawa aurait participé aux premières moutures du scénario avant de se consacrer à son propre travail. On est l’année de La Bête blanche, autre film produit difficilement sous la censure américaine (chargé en tout cas de promouvoir les nouvelles règles du bon savoir vivre de l’occupant). C’est aussi la première adaptation de cette histoire que Suzuki adaptera quinze ans plus tard pour en faire un chef-d’œuvre sous le titre Histoire d’une prostituée (La Barrière de la chair étant une autre adaptation de Suzuki du même romancier). Les prostituées y seront là beaucoup mieux identifiées, alors qu’ici (propagande sans doute), les femmes sont d’abord des chanteuses se refusant dignement aux avances des soldats… Il n’est pas question de se prostituer, mais de divertir ces messieurs, et on n’aborde la question que de manière sarcastique (l’une d’elles lâchant au logeur que son travail de proxénète est décidément un travail éreintant) ; bref, il est important de faire passer le message : la prostitution, c’est indigne (le message est le même dans le film de Naruse).

En dehors donc, de quelques choix cherchant à forcer des points non essentiels (en tout cas qui seront mille fois mieux exploités dans le film de Suzuki), ou un rythme étrange (le flashback donne également une tonalité de film noir), la mise en scène tient plutôt la route. La reconstitution et la photographie un peu moins. Imai à cette époque pouvait proposer, si je ne me trompe pas, quelque chose de plus abouti (dans le mélo sur fond de guerre), et on est bien sûr à mille lieues de La Condition de l’homme que Kobayashi tournera dix ans plus tard. Quant aux interprétations, passée la petite réserve liée à la cohérence du personnage principal (de mémoire, dans le remake, on n’en est pas loin mais le récit me semblait plus ou mieux se fixer sur celui de la femme ; et les titres réciproques des deux films ne semblent pas dire autre chose), elles sont parfaites : Ryô Ikebe (acteur impassible qu’on retrouve dans deux perles, Fleur pâle et Le Pays de la neige) en soldat inflexible et droit, puis Shirley Yamaguchi en « prostituée » sélective.


Le Déserteur de l’aube, Senkichi Taniguchi 1950 Akatsuki no dasso | Shintoho, Toho


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Le jeu d’acteur outrancier dans Rashômon

Les canons du jeu d’acteur et jeu d’acteur supposé outrancier dans Rashômon

Réponse apportée sur le type de jeu au Japon dans les films historiques au milieu des années 50.

Les canons de beautés évoluent selon les époques et les cultures. Mais j’espère que tu ne crois pas que le monde décrit dans le film est celui du Japon des années 50. C’est bien un film d’époque. Les États-Unis a ses westerns, la France ses films de cape et d’épée ou du siècle romantique, il y a le péplum… et d’une manière générale (parce que je ne suis pas spécialiste de l’histoire asiatique), les Chinois et donc là les Japonais, parlent le plus souvent d’époque du Moyen Âge (pour reprendre un cadre historique européen), et ça peut monter jusqu’au XIXᵉ (après pour voir la différence, chaud).

Parfois donc, il faut donc un peu avoir l’esprit ouvert pour reconnaître que des beautés d’autrefois puissent paraître affreuses aujourd’hui. On connaît l’exemple, parce qu’on le voit assez souvent, des femmes enveloppées d’avant le XXᵉ siècle qu’on voit dans toutes les œuvres d’art occidentales. Alors comme on peut comprendre ça, on ne doit pas être surpris quand dans certaines cultures on doit se cisailler les dents, se trouer le nez, voire autre chose, pour correspondre aux canons de beauté… Alors au Japon de l’époque Heian (merci, Google), les femmes bien nées (l’intérêt du film, c’est aussi l’opposition entre le brigand affreux et le couple d’aristos) se rasaient les sourcils, se fardaient la peau en blanc (comme en Europe, c’est le signe qu’on se distingue des paysans qui rôtissent au soleil), et on relève des sourcils factices. J’ai cru comprendre qu’à l’époque on trouvait que la position des sourcils était manifestement trop basse et que c’était une erreur de la nature. Et c’est vrai qu’en y pensant bien si on comprend le visage dans son entier, il serait plus harmonieux de les voir plus haut (il suffit de les voir dans certaines représentations de dessins animés : pour exprimer la douceur et l’harmonie d’un visage, on met bien les sourcils haut). Kurosawa si son récit se déroule à cette période, l’utilise. Mais on peut aussi le remercier, parce qu’un autre signe distinctif de ces femmes, c’était qu’elles se noircissaient les dents ! Je me rappelle avoir vu ça dans certains films, ça fait édenté, et là pour le coup, ça fait peur. Kurosawa ne l’utilise pas parce qu’il représente une idée que son public se fait de cette époque. Ces sourcils haut sont parfaitement connus des Japonais parce qu’ils ont été repris dans la culture du théâtre. Que ce soit dans le kabuki où le visage est effectivement peint en blanc, où souvent des marques sont dessinées pour spécifier un type de personnages traditionnel (à une certaine période comme durant le siècle élisabéthain avec les pièces de Shakespeare, c’était même des hommes qui jouaient les rôles de femme), ou que ce soit dans le nô où on reproduit les mêmes codes de maquillage, mais avec des masques. Tout est codifié au Japon, et on donne même un nom à ce masque inspiré du visage angélique de cette période Heian, masque connu : un masque de visage parfaitement ovale, blanc, aux lèvres rouges, qu’on appelle ko-omote. Le problème, c’est que ces codes de la beauté traditionnelle ont parfois été assimilés dans des œuvres plus contemporaines au genre d’horreur… Or, c’est vraiment une perversion du code, un peu dans notre culture les petits anges blonds du Village des damnés. Les beautés évoluent en partie aussi parce qu’on détourne les canons de beauté. Donc là, on peut ne pas trouver ça très joli, mais on doit s’efforcer de comprendre que c’est bien un code de beauté pour l’époque du film, voire un signe de noblesse.

Pour le jeu des acteurs, pour moi, encore une fois, on peut ne pas aimer, mais ne pas comprendre pourquoi c’est joué ainsi, ça me dépasse. Le jeu comme on le conçoit aujourd’hui doit être une reproduction la plus identique possible de nos comportements réels. Il y a deux raisons majeures à ça : le travail de Stanislavski et l’illusion de réalité qu’apporte intrinsèquement le cinéma. Stanislavski est peut-être le premier metteur en scène, comme on l’entend aujourd’hui : avant lui, il n’y avait que des régisseurs et les acteurs étaient jugés sur des questions parfaitement illusoires aujourd’hui, voire mystérieux (j’ai essayé de retrouver les codes d’autrefois, les techniques, parce que c’est une de mes passions… ça semble être perdu) : le rythme, le timbre, la diction, le phrasé, la posture… L’acteur était presque un chanteur, du moins dans le répertoire « grave », parce que pour ce qui était du répertoire « léger », ce qui commandait la réussite d’un acteur, ça devait être sans doute plus son intelligence à faire passer la situation, à rendre le rythme. Là, Stanislavski arrive donc et il doit mettre en scène les pièces de Tchekhov. Le dramaturge prétendait à l’époque que ses pièces étaient des comédies (dur de le concevoir aujourd’hui, sauf pour ses pièces en un acte), mais surtout elles sont incroyablement réalistes. Je ne suis pas un énorme spécialiste de l’histoire du théâtre, mais c’est une chose qui est venue au fur et à mesure. Le théâtre a très longtemps été un art officiel, régie par l’Église ou par le pouvoir (la plupart du temps, il était interdit d’écrire et de représenter des pièces contemporaines, ça pouvait être compris comme un acte politique, subversif, donc c’était un art très codé, le plus souvent). Mais pour ce qui est de la France en tout cas, on a peu à peu cassé les règles du théâtre classique : Hugo y a fourré son nez en cassant les vers et en ajoutant du réalisme, puis les représentations se sont démocratisées : de nouveaux théâtres s’ouvrant alors, il fallait écrire de nouvelles pièces, et au XIXᵉ siècle, cela a été l’explosion. Les pièces sont devenues de plus en plus réalistes, voire naturalistes, drames et comédies mélangées. Il était inévitable qu’à un moment donné, il y ait un homme chargé de faire le lien entre les acteurs et le dramaturge : les personnages et les situations étant plus complexes, il fallait coordonner tout ça. Il fallait créer de nouveaux codes de jeu, liés sur plus de réalisme, vu que les pièces elles-mêmes étaient réalistes. Autrefois, le théâtre était un art de la suggestion. Sur la scène du Globe durant les pièces de Shakespeare, une simple pancarte sur laquelle était inscrit « un champ de bataille » servait de décor. Aujourd’hui, ça ferait intello de vouloir faire ça.. Le code aujourd’hui, c’est de coller à la réalité. On aurait dit peut-être à l’époque qu’une telle représentation manquait de style, de pudeur, de respect pour l’œuvre…, un peu comme aujourd’hui, certains ne peuvent pas voir un film français parce qu’ils trouvent ça trop cru, parce que ça ne fait pas assez rêver, parce que les images sont moches et parce que les situations décrites sont trop naturalistes, trop « vie quotidienne ». Vient ensuite la révolution du cinéma en même temps que celle initiée par Stanislavski (tout se nourrit de tout…). Pendant la période muette, la technique d’alors obligeait d’utiliser la pantomime pour faire passer des sentiments et des situations au spectateur, sans son. Pendant un certain temps, on reste encore un peu dans l’évocation, plus que dans la reproduction. Puis le cinéma se fait parlant. On est obligé de faire appel aux acteurs de théâtre et aux dramaturges pour monter de nouveaux films. Or, à ce moment-là, justement la révolution (qui s’est donc nourri déjà du cinéma) c’est de jouer plus… naturellement. On cherche non plus à suggérer, à évoquer, on veut créer une illusion : faire croire au spectateur qu’il a réellement face à lui les personnages (alors qu’on est dans l’illusion d’une technique où l’acteur n’est pas présent et où avant comme j’ai dit le spectateur faisait parfaitement la distinction entre l’acteur et le personnage, il y avait une distance nette entre les deux, un peu comme un raconteur d’histoires révélant ce que tel ou tel personnage a dit sans pour autant les imiter, et prenant pour ce faire une voix pour chacun…, le simple pouvoir d’évocation suffit au bonheur du spectateur). En France, le cinéma se nourrit de l’expérience et de l’exigence « naturaliste » du Cartel, et c’est tout naturellement que Jouvet se retrouve au cinéma (on trouve ça affreusement artificiel aujourd’hui, mais après le muet, on peut concevoir que ça doit être une claque de réalisme). Et un peu plus tard, la méthode de jeu de Stanislavski fait son chemin et atterrit à New York où Elia Kazan a créé l’Actors Studio. Depuis ce temps-là, on n’a de cesse de chercher à rendre le cinéma plus « vrai », de coller toujours plus à la réalité.

Alors, regarder un film de 1950 et s’étonner du jeu des acteurs, c’est oublier tout ça…

Dernière chose : Kurosawa a beau être très au fait de la culture occidentale, la révolution du théâtre « naturaliste » est purement occidentale (il faudra attendre Mishima, je crois, pour sortir du nô et du kabuki, même si évidemment il y a le cinéma). Mais c’est aussi une question de style. Si on regarde un film comme La légende du grand judo qui précède Rashômon, le jeu y est assez « réaliste », si on regarde des films Ozu ou des films Naruse, on est tout autant dans la recherche du « vrai » qu’on a à cette époque en occident. Ce qui change, ce n’est rien de moins la nature et le style du film : l’adaptation d’un classique de la littérature (1915) dont l’histoire se déroule au « Moyen Âge ». Il faut imaginer Cyrano de Bergerac joué par Ben Stiller ou Dustin Hoffman dans un style ultra naturaliste et on comprendra le jeu d’acteurs dans Rashômon que certains trouvent outrancier (sans oublier tout mon tunnel pour expliquer que le Japon n’a pas eu le même cheminement et la même perception de l’acteur). Tu ne joues pas petitement, « réalistiquement », des histoires telles que celles-ci qui ont un style déjà « artificiel ». Voir de l’artificialité dans ce jeu d’acteur n’a juste aucun sens, ce serait comme se plaindre que les acteurs dans les films muets soient… muets.

Je conçois tout à fait qu’on puisse ne pas aimer ça parce qu’on n’y est pas préparé, parce qu’on manque de culture, parce que ce n’est pas sa culture, mais qu’on fasse un effort pour comprendre que ce n’est pas un défaut et surtout qu’on essaie de concevoir que ce type de jeu puisse avoir des codes tout comme le jeu d’acteur d’aujourd’hui possède les siens. Et pour être franc, j’ai fait assez le tour de la question pour avoir mouillé dedans pendant dix ans, et j’ai un goût prononcé pour ce genre de jeu, perdu aujourd’hui, qui ne consistait pas comme on voudrait le faire croire à rouler des yeux et à surjouer. Je préfère toujours voir un mauvais acteur qui joue avec ces codes, avec ces styles, qu’un petit con d’acteur qui surjoue le « réalisme » aujourd’hui et qui roule des yeux à sa manière… sans aucun style, les mains dans les poches. Au moins, les défauts des mauvais acteurs d’autrefois étaient masqués par un savoir-faire et des codes visuels, un body language parfaitement codifié qui exprimait malgré tout quelque chose derrière le mauvais acteur, quand un acteur qui reste les mains dans ses poches pour faire « réel », n’exprime que dalle. Certains oublient de plus en plus qu’un film, c’est moins être que raconter une histoire. On reproche suffisamment à certains films d’ailleurs d’être trop proches du réel et de ne pas s’attacher suffisamment à nous raconter une histoire… Pour moi, ça tient du même problème, à une échelle différente. Je suis incapable de juger de la performance ou de la justesse de jeu des acteurs de ce film, tout comme je suis bien incapable de juger du talent d’acteur de Cary Grant par rapport à Gary Cooper… parce que ce n’est pas ma langue maternelle et parce que j’ai appris que dans ces situations nouvelles, pour juger un acteur, il fallait comprendre toutes les subtilités et les nuances de la langue qui ne sont pas seulement faites de mots, mais d’accents, de musiques, de rythme, d’envolées d’intention, d’expressions ou d’intonations typiques ayant leur propre sens, de… codes. Comment juger un acteur étranger qui parle une langue, des codes donc, que je ne comprends pas.

Reste tout ce qui est visuel… Et là, du moins pour ça, pour moi, de ce que je peux en juger dans ce film, les acteurs sont tout bonnement exceptionnels, Mifune en tête : parce que, toujours, les codes d’autrefois, dits « jeu théâtral » aujourd’hui (mais je vous rassure — malheureusement — plus personne ne sait jouer comme ça au théâtre aujourd’hui… le cinéma a tué tout cet art codé et méprisé), expriment cent fois mieux, avec plus de puissance, d’efficacité, qu’un jeu qui parait juste… réel. Question de rythme, d’accent corporel, de poésie, de folie. Bien sûr…, mettre tout ça dans une interprétation ne serait pas crédible, vu qu’on cherche à être naturaliste, donc crédible, donc au fond anecdotique, insipide. J’ai arrêté le jeu d’acteur en partie à cause de la disparition et du mépris que tous avaient pour ces techniques… l’art de la représentation a perdu énormément en ne proposant qu’un seul type de jeu. Pourquoi à une époque le péplum est-il mort ? Justement parce que plus personne n’était capable de jouer avec un maintien suffisant des textes non creux, personne n’avait la carrure, et quand on faisait jouer ça devenait ridicule. Il en est de même avec le film noir : quel acteur aurait suffisamment de retenue, de mystère, de poésie, de maintien pour jouer comme dans les années 40 où le jeu d’acteur de Marlon Brando qui se gratte les fesses n’avait pas encore envahie tous les cours d’acteur. Montez un film comme Le Pacte des loups en France, et tu te retrouves avec l’actrice des Dardenne dans un rôle où il faut savoir porter robe flottante à longue traîne, jupons et paniers et qui te mâche les mots comme une pétasse de fin de XXᵉ. Je ne comprends pas un mot de ce que raconte Mifune dans ce film, mais pour moi, même s’il est mille fois moins « naturel » que la Rosetta, il est mille fois plus « juste ». Je préfère la justesse à la réalité du cinéma. L’un des deux au moins n’est pas une supercherie.

Tout ça sent parler bien sûr du génie par ailleurs du film… C’est un film que je revois régulièrement avec toujours le même plaisir de découvrir de nouvelles choses (c’est étonnant, un film qu’on aime et qu’on revoit cent fois avec un acteur qui se gratte le cul pour faire naturel, on finit par s’en lasser ; un autre qu’on aime avec des acteurs qui utilisent des gestes qui ont un sens et qui nous semblaient peut-être au début surfaits, trop accentués, on ne s’en lasse jamais : c’est comme un dribble improbable qui, au basket, mène un joueur au panier, on trouve ça irréel, et c’est ça qui fait la magie du geste…).

 

Fiche Akira Kurosawa


 

Rashômon, Akira Kurosawa 1950 | Daiei


Rashômon, source d’inspiration pour Usual Suspects ?

La différence entre les deux films, ce n’est pas que l’un serait plus dans « le procès » (aucune référence à Welles) en opposant des versions différentes et contradictoires (donc la notion de mensonge est là dès le départ), alors que l’autre serait dans l’enquête et le faux témoignage, puisque si mes souvenirs sont bons le film ne s’appuie que sur un témoignage dont le but est essentiellement de nous cacher jusqu’au twist final la possibilité du mensonge.

À mon avis, la référence, il faut surtout la voir du côté de Tarantino qui avait donné le ton des années 90 avec Reservoir Dogs et Pulp fiction. On est dans la déconstruction du récit pour mieux arriver à une éjaculation finale. Un bon film alors à l’époque, puisqu’on n’a pas encore les films bourrés d’effets spéciaux, ça se joue sur le twist. Seven jouera peu de temps après sur le même principe avec un coup d’œil à Usual Suspects. Idem pour Memento (avec un point de vue unique, mais là encore déformé), Big Fish, The Fountain, Fight Club, Eternal Sunshine, Babel.

Il faudrait creuser. Les récits jouant sur les différences de points de vue, c’est presque un genre en soi, il doit y en avoir d’autres, mais plus que le Kurosawa, je pense que c’est bien Tarantino qui a ranimé le goût pour les histoires parallèles. On retrouvait ça assez souvent dans les films noirs (Usual suspects peut être considéré comme un nouveau noir d’ailleurs) ou chez Mankiewicz. La comparaison est intéressante, mais je ne pense pas qu’elle soit volontaire. Une mode initiée par Tarantino, oui.

Puisque c’était dans l’air du temps, c’est plus probable que si référence il y a, que ce soit fait en rapport à Tarantino. À l’époque, il y avait également une mode à faire interagir les séries les unes avec les autres. Le scénariste a participé à New York Police Blues qui justement a effectué ce genre de crossover. C’était vraiment très à la mode au cours des années 90 (et ça l’est encore d’ailleurs).

Mais la comparaison avec Rashômon reste intéressante. Tu avoueras toujours plus facilement t’inspirer d’un vieux film (ou deux) plutôt que de suivre la mode lancée par ses contemporains.


Après la pluie, Takashi Koizumi (1999)

Deuxième goutte

Après la pluie

Note : 4 sur 5.

Titre original : Ame agaru

Année : 1999

Réalisation : Takashi Koizumi

Scénario : Akira Kurosawa ; remake de Dojo yaburi (1964) et adapté d’une histoire de Shôfû Muramatsu

Avec : Akira Terao, Yoshiko Miyazaki, Shirô Mifune

C’était mal parti… Une demi-heure de film, et je m’ennuyais sévère. Je pestais contre le découpage technique tout habitué que j’étais aux montages bien léchés des films années des 50-60. J’oubliais que depuis les années 70, et même Kurosawa s’y était mis, on aimait éloigner la caméra, ne pas accentuer l’action par le montage, ozuifier le temps et laisser les acteurs vivre dans le cadre. Cette paresse assumée, j’y suis plus habitué dans des films certes contemporains, certes japonais (avec du même réalisateur le sympa Une lettre de la montagne, par exemple), mais je suis un indécrottable amoureux du classicisme, et pour m’ôter de la tête qu’un jidaigeki doit obéir à certains codes de montage, il faut cogner fort. (Et d’ailleurs, si je n’aime pas certains films « classiques », c’est justement parce qu’ils s’appesantissent. Et ça va de 47 Ronins toutes versions confondues à Tokkan d’Okamoto avec une image et un montage dégueulasses.)

Je sens donc que les 90 minutes vont être dures à passer. Le personnage principal est un saint, ça encore, ça a de quoi bien me rebuter. Je ne suis guère patient, et c’est pourtant, vers quoi le rythme voudrait nous pousser. Je continue de penser que cette longue scène passée avec les villageois est inutilement pesante, mais il faut bien remplir la pellicule… Le samouraï papote avec sa femme, qui, elle, se la pète trop pour daigner partager le repas des petites gens, quand lui ira se la raconter maître zen avec son sabre au milieu des bois… Je sens que je vais lâcher un roupillon si aucune lame ne me vient à l’œil.

Arrive enfin un événement majeur et déclenchant ! Enfin…, je peux au moins comprendre où on me mène. Les contours du personnage principal se révèlent un peu moins lisses. Ce n’est pas encore Baby Cart ou le Loup enragé, mais l’intérêt gagne sa première manche.

Le problème est donc posé : bien que pauvre et sans maître, le ronin maîtrise le sabre comme personne. Sa vertu lui sert enfin à autre chose qu’aider les nécessiteux. Et dans la même scène, l’apparition du seigneur du fief pose enfin les bases, les enjeux, du film à venir (une apparition d’ailleurs peu crédible — ça en devient un compliment – : le réel est sublimé, c’est un conte, plus la vie ennuyeuse d’un samouraï qui attend la fin de l’orage dans une auberge… pour passer un pont !).

À partir de là, le moteur du film repose sur une interrogation : le ronin va-t-il accepter la place de maître d’armes que lui propose le seigneur ? Je ne suis pas difficile, il suffit de me donner un enjeu, et je suis content. L’opposition de ces deux permet de mettre en évidence des contradictions qui donnent de la profondeur à leurs personnages. On en vient à comprendre la faille du samouraï, la cause de ses soucis. Et c’est plutôt une idée séduisante : un personnage avec trop de qualités dans son travail (ça me rappelle le début du film…) ne peut qu’agacer, provoquer de la rancœur, de l’agressivité ou de la jalousie (là, ça rappelle le personnage de Gregory Peck dans La Cible humaine). Le samouraï ne peut alors qu’être en permanence dans une forme de renoncement pour éviter les ennuis. Seulement, son renoncement à lui s’accompagne d’un autre, celui des codes d’honneur qui régissent la vie de ses semblables. On est tout à fait dans une thématique qui me parle. (Pourtant l’idée, à la base, de voir un anti-film de samouraï aurait dû me plaire, mais en général, je reste intransigeant sur l’aspect technique : la technique de distanciation étant pour moi une forme de facilité — même si là encore, c’est un renoncement, celui de marquer les détails, les contours.)

Après la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co (2)_s

Après la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru | 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co.

Après la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co (3)_sAprès la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co (6)_s

Si le personnage principal s’est enrichi d’une manière un peu inattendue, celui du seigneur n’est pas moins inintéressant. Le duo fonctionne grâce au contraste qui les rapproche tout en les distinguant clairement dans leurs aspects les plus caricaturaux. Ils sont différents, mais l’un et l’autre sont irrémédiablement poussés vers la nature de l’autre. La vertu du samouraï constitue un idéal pour le seigneur ; la brutalité du seigneur c’est le côté obscur du samouraï qui voudrait arriver à le contenir parce que c’est la cause de ses échecs et de sa pauvreté. Il aurait été aisé de faire de ce seigneur, une caricature. Or s’il se comporte comme un enfant gâté, il peut surtout être impétueux et versatile, un peu bourru : ce qu’il déteste dans sa condition de chef, il aimerait pouvoir s’en libérer grâce à son « nouvel ami ». Le contraste est bien rendu avec des ministres vieillissants qui ne voient pas d’un bon œil l’arrivée de cet intrus, et ces jeunes pages avec qui il peut plaisanter et qui ont très vite pris en sympathie le ronin. Il a dans son caractère un peu du Barberousse composé par Toshiro Mifune et que Kurosawa ne voulait pas ainsi. Un pied de nez peut-être du maître assurant ici l’adaptation d’un roman déjà fabuleusement reproduit trois décennies plus tôt. Les personnages capricieux, lunatiques ne sont pas inintéressants, mais Kurosawa semble dire à son vieux pote que ça ne marche que pour un seigneur excentrique, pas pour un docteur (et je ne serais pas tout à fait d’accord, mais même les maîtres un jour peuvent baisser la garde).

Le parcours intérieur de la femme du samouraï lui aussi se rabonnit. Au début, régie par la rectitude de son rang, faisant d’elle une femme certes compréhensive, mais résignée à ce que son mari s’humilie dans des pratiques déshonorantes pour un samouraï, et ne trouvant finalement plus aucune place digne de son rang, on la sent peu à peu plus souple et moins résignée (il y a une forme de résignation qui est une soumission à son destin, et être soumis, n’a jamais rendu les personnages sympathiques ; on préfère les voir lutter, malgré tout : « résignée ? est-ce que j’ai l’air résignée ? mais pas du tout ! »), jusqu’à la scène où elle dit comprendre enfin son mari et accepter ses choix ; et jusqu’à la scène un peu larmoyante où la femme la moins appréciée chez les paysans vient lui tendre la main. Les rôles sont inversés, et elle tient là sa récompense pour avoir effectué ce magnifique et courageux twist. Ça valait bien la remise des médailles à la fin de La Guerre des étoiles. C’est le geste qui compte… Et alors, cette résignation devient un choix. Et le couple s’en va, droit, avec une autre forme de rectitude. Un autre honneur. C’est le descendant d’une famille de samouraïs qui le dit.

Le Japon n’a pas fini de détricoter ses mythes. S’il est si bien rentré dans la modernité, c’est justement parce que les Japonais ont un mépris certain pour ce Japon féodal et brutal.

Un revirement, il y en aura un autre à la fin. Le seigneur du fief ne faisant que ça. Mais il sera vain. Quand on décide pour de bon de vivre dans le renoncement, la simplicité, et l’humilité, il n’y a plus rien à dire.

À voir la première adaptation du roman, plus dense, plus léchée dans la réalisation, avec plus de personnages et d’ironie.

Après la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co (4)_sAprès la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co (5)_sAprès la pluie, Takashi Koizumi 1999 Ame agaru 7 Films Cinéma, Asmik Ace Entertainment, Kurosawa Production Co (1)_s


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films japonais

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Avalanche, Mikio Naruse (1937)

Avalanche

Nadare Année : 1937

Réalisation : Mikio Naruse

7/10  
 Avec : Hideo Saeki ⋅ Ranko Edogawa ⋅ Noboru Kiritachi

Que du beau monde à la mise en scène : Mikio Naruse donc, Honda premier assistant, Kurosawa en second (celui-ci louant d’ailleurs ce qu’il avait appris lors de ce tournage).

Histoire très simple, courte. Mais sans grand intérêt. L’introduction pourrait être celle de tous les meilleurs films de Naruse : des personnages pris tout à coup dans une avalanche de sentiments qu’ils ne maîtrisent pas. Le reste est assez inintéressant.

Tout le charme réside dans le montage. Les fondus pour passer d’une séquence à une autre, parfois des fondues « à la vague » (comme on dit « au noir »), et une proposition audacieuse en ces premiers temps du parlant : la possibilité d’entendre les pensées des personnages. Un panneau descend en fondu, et la pensée « défile » en off. Deux ou trois séquences bien montées également en flash-back et surimpression. Pas bien brillant.


Nadare (Avalanche) 1937, Mikio Naruse | P.C.L. Eiga Seisaku-jo


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Le Duel silencieux, Akira Kurosawa (1949)

De la beauté du renoncement

Le Duel silencieux

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Shizukanaru kettô

Année : 1949

Réalisation : Akira Kurosawa

Avec : Toshirô Mifune, Takashi Shimura, Miki Sanjô, Chieko Nakakita

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Simple, court et intense. Peu de personnages, un seul lieu (une clinique, voire le seul bureau du docteur, un ou deux couloirs, l’entrée et c’est tout), un seul drame. On ne peut pas faire plus minimaliste. Le film donnerait presque l’impression d’être éclairé à la lampe torche. Dilemme entre passion et devoir, l’opposition entre le destin (un seul coup du sort, une connerie qui aura un impact sur toute la vie du médecin) et la volonté de voir celle qu’on aime protégée de cette infection qui nous tiraille… La tenir à l’écart. Magnifique.

Mifune lutte plus avec sa dignité qu’avec la maladie. Il ne révèle rien et s’interdit de partir avec sa belle. Un duel silencieux, un sacrifice aussi. Un renoncement. Il la voit souffrir en lui cachant la réalité, mais c’est toujours moins douloureux que de lui mentir ou de lui dire la vérité…

Étonnant de voir Mifune dans un personnage de médecin fragile, introverti, humble. Ce qu’aurait voulu Kurosawa pour Barberousse… Ah, ce que ça peut être con un acteur… Tu n’es pas mal Toshiro aussi comme ça ! En saint !… Toujours plus gratifiant de jouer les salauds ou les personnages pleins de contradictions, hein… Pas besoin de ça ici. La subtilité, elle est dans ce dilemme que doit affronter le médecin. Pas la peine d’en rajouter dans le jeu d’acteur. La complexité du personnage est déjà là. Un silence, une gueule impassible, et on a tout compris.

Il y a Shimura aussi. Jouer les hommes ordinaires, ça ne l’a jamais dérangé, lui. Ni les vieux. 15 ans d’écart seulement entre les deux acteurs. Takashi, tu veux jouer le père de Toshira dans mon prochain film ? — Mais oui vas-y, je prends !


Le Duel silencieux, Akira Kurosawa 1949 Shizukanaru kettô | Daiei Studios, Daiei, Film Art Association

 


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Madadayo, Akira Kurosawa (1993)

Bernard et Minet

Madadayo

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1993

Réalisation : Akira Kurosawa

Avec : Tatsuo Matsumura, Hisashi Igawa, Jôji Tokoro

Je ne vois pas trop où il veut nous mener le bon vieux Kuro avec ce film. Il y a certainement des références à connaître et qui m’échappent, notamment l’évocation de la fin de la vie de ce professeur-écrivain sur lequel l’histoire est basée (un personnage connu au Japon, que personnellement j’ignore). Le film trouve ensuite sans doute un écho dans sa propre vie de vieux professeur proche de la fin ; mais pour moi, spectateur, je ne vois rien qui puisse me toucher.

L’histoire du chat, version nippone du Chacun cherche son chat, est d’un ennui à mourir. On a du mal à trouver un peu de sympathie pour ce vieux bonhomme décrépit, limite gâteux, et qui redevient un bébé à la disparition de son chat… Bah oui, les chats sont des opportunistes. Ils errent de maisons en maisons quand ça leur chante. Ils ont bien sept vies et n’ont aucune loyauté envers ceux qui les nourrissent. Si le vieux sensei voulait un peu de loyauté, il fallait qu’il prenne un clebs. Là encore, il doit y avoir un rapport avec la vie même de l’auteur dont s’inspire la vie du personnage, vu qu’il a écrit sur les chats (Je suis un chat). Mais bon, s’il faut connaître toutes ces références pour comprendre un film, je ne vois pas l’intérêt ; même avec, je ne suis pas persuadé que l’histoire en soit plus émouvante…

Pour émouvoir, il ne faut pas simplement faire dire à travers la dévotion des élèves que le sensei est un homme exceptionnel. Il faut aussi nous le faire sentir par ses actions ou ses paroles. Parce que c’est peut-être une chose entendue pour les Japonais qui connaissent l’écrivain, mais pour ceux qui ne le connaissent pas, c’est une chose à prouver. Et rien dans ce que fait ou dit le personnage, ne peut nous émouvoir ou montrer que c’est un grand sage… Si on repense à Barberousse par exemple, il suffit d’un ou deux dialogues pour être convaincu du talent particulier du personnage, qui est plus qu’un médecin. Là, on voit un vieux bonhomme avec une cour d’élèves qui le vénèrent, mais jamais il ne fait la preuve de ce pour quoi il est vénéré.

Le seul plaisir du film, c’est la présence presque fantomatique, voire potiche, du personnage de la femme de vieux sensei, joué par Kyōko Kagawa, la merveilleuse actrice aperçue chez Naruse, l’actrice des Amants crucifiés, et qui, là, ne sert à rien… Pendant tout le film, je n’ai regardé qu’elle, présente dans pratiquement tous les plans, mais qui ne fait qu’écouter… C’est sûr l’écoute pour un acteur, c’est très dur, donc autant prendre une grande actrice pour ça… C’est comme si Resnais demandait à Catherine Deneuve de faire de la figuration…

Reste la rigueur de la mise en scène du maître, les couleurs, le rythme… Mais ce qui compte, c’est l’histoire et ce qu’on nous raconte. Et là, si l’histoire ne nous raconte rien, j’ai peine à comprendre ce qu’on veut nous dire…


Madadayo, Akira Kurosawa 1993 | DENTSU Music And Entertainment, Daiei, Kurosawa Production Co., Tokuma Shoten


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Les salauds dorment en paix, Akira Kurosawa (1960)

Samouraïs en col blanc

Les salauds dorment en paix

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Warui yatsu hodo yoku nemuru

Année : 1960

Réalisation : Akira Kurosawa

Avec : Toshirô Mifune, Masayuki Mori, Kyôko Kagawa, Takashi Shimura, Kô Nishimura, Kamatari Fujiwara, Chishû Ryû, Ken Mitsuda, Nobuo Nakamura

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Un film atypique qui aurait pu lancer la mode des thrillers d’entreprise. Masumura s’y était essayé deux ou trois fois avec par exemple (et avec le même succès) : La Voiture d’essai noire (Intimidation est pas mal du tout aussi). Alors que les films politiques italiens de la même époque me semblent plus souvent focalisés sur la classe ouvrière, au Japon on préfère les élites dirigeantes. Un chef d’entreprise publique, ç’a finalement la même relation avec ses employés qu’un seigneur féodal avec ses samouraïs ou qu’un chef de clan avec ses yakuzas. Le film n’est pas tendre avec ce monde. Non seulement il est corrompu, mais la fin est sans détour : le système ne peut pas changer et les salauds peuvent toujours dormir en paix. C’est fascinant de voir cette hiérarchie dans l’entreprise japonaise, ce respect infaillible envers ses supérieurs, même quand ils sont corrompus sinon plus, ces notions de respect, de devoir, d’honneur.

On a donc affaire à une histoire de corruption, de marchés truqués, de détournement de fonds. Le train-train ordinaire des escrocs et des criminels en col blanc en somme. Ce n’est pas une mafia, ils ne font pas commerce de produits illicites, ils ne sont pas en lien direct avec le crime, mais ce sont des gros pourris, et toute la question, c’est toujours de savoir à quel point ils sont coupables puisqu’ils ne font toujours que répondre aux ordres qui viennent d’en haut. Ils sont tellement respectueux de l’autorité des supérieurs que quand il y a des fuites et qu’il faut trouver un bouc émissaire, les fonctionnaires, les cadres intermédiaires, acceptent toujours de porter le chapeau, voire de se suicider pour la sauvegarde de l’entreprise. Ça commence par les cadres intermédiaires, les comptables, et puis petit à petit, ça atteint les hauts fonctionnaires. Toujours les mêmes principes : on obéit, l’intérêt de l’entreprise est supérieur à l’intérêt individuel ou à un quelconque intérêt commun obéissant à une morale. Et c’est ainsi que si chacun sert au moment utile de fusible, la pérennité d’un système crapuleux n’est jamais remise en cause.

Les salauds dorment en paix, Akira Kurosawa 1960 | Toho Company, Kurosawa Production Co

Ça, c’est le contexte du film, au milieu de tout ça, il y a une histoire, et c’est là qu’intervient le personnage de Toshiro Mifune. Fils d’un de ces hauts fonctionnaires qui a été poussé au suicide, il rentre dans l’entreprise dans l’idée de se venger. Il parvient au plus près du vice-président en se mariant avec sa fille et va organiser sa vengeance en faisant tomber les têtes une à une. Le système aura raison de lui. Tout est bien qui finit bien… pour les crapules.

Kurosawa s’applique à casser certains codes narratifs. Dans un film de deux heures, on sait reconnaître où on en est. Les films sont parfaitement formatés pour une introduction, un développement, jusqu’au dénouement. On sait quand ça commence et quand ça se termine. Là, on est un peu perdu. Certaines séquences sont très longues. Plus que des scènes, il s’agit de tableau, un peu comme chez Brecht. Elles ont leur propre vie, leur propre objectif et leur propre déroulement. On est habitué au cinéma à ce que tout aille vite, que tout soit précipité, et au final, les thèmes, les conflits, sont survolés, on comprend les grandes lignes, souvent sans aucune nuance. Là, en prenant son temps, Kurosawa nous permet de profiter à plein des situations en s’y attardant. On n’est plus dans un rythme cinématographique, mais souvent réellement théâtral. Ça donne du relief à l’histoire, mais on reste perdu sans l’étroit carcan d’une dramaturgie formatée pour les deux heures.

L’histoire est inspirée d’Hamlet. Le thème de la vengeance, le côté, « il y a quelque chose de pourri dans l’entreprise », la fille qui rappelle Ophélie. Et ça s’arrête là. On pourrait aussi y voir une référence sympathique au théâtre grec, surtout dans la première scène, celle du mariage, qui doit bien durer un quart d’heure et qui est montrée à travers les yeux, les commentaires, des journalistes. Ce n’est rien d’autre que ce que les Grecs faisaient dans leurs tragédies avec le chœur, pour commenter, présenter l’action, et parfois même, interagir avec les personnages de l’histoire. C’est encore plus perceptible quand, à la fin de cette scène, l’un des journalistes dit que ce qu’ils viennent de voir ferait une bonne pièce en un acte et qu’un autre lui répond en plaisantant que ça ne serait qu’un prologue d’une pièce beaucoup plus vaste… On voit tout l’attachement de Kurosawa à la culture européenne. Si on l’aime autant en Occident, c’est peut-être justement parce qu’il fait des films qui nous sont proches, qui sont dans la droite ligne de ce que notre culture a produit de mieux, du théâtre antique, à la tragédie classique en passant par les pièces de Shakespeare. Et parce qu’on y trouve un sens moral qui ne nous est pas étranger (il n’y aurait probablement pas la même critique du bushido dans un cinéma japonais sans influence occidentale).

Kurosawa récupère toutes les stars de la Toho : Toshiro Mifune, bien sûr, Takashi Shimura, le fidèle, et Masayuki Mori, qui jouera la même année un salaud d’un autre genre dans Quand une femme monte l’escalier. On ne les voit jamais tous les trois ensemble, et la distribution manque un peu de personnages féminins, mais quel plaisir de voir tout ce monde réuni.


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