Il y a plusieurs manières de définir un cinéphile, chacun a probablement la sienne, mais il semble que depuis une trentaine d’années ce qui était autrefois la cinéphilie se soit très largement démocratisé. Réservé à une époque à des petits groupes d’amateurs fréquentant les ciné-clubs, la cinémathèque, lisant les mêmes revues, les mêmes critiques, la pratique depuis l’arrivée de la vidéo cassette dans les années 80 s’est parfaitement répandue dans la population. Le cinéma bis, de genre, de nanars, a trouvé un public d’amateurs se définissant eux-mêmes comme cinéphiles, des nouvelles revues ont vu le jour, et l’amateur de cinéma, tous les cinémas, aidé donc par les « exports » s’est intéressé plus seulement aux classiques, mais aux découvertes exotiques en provenance d’Asie, d’Amérique latine, ou même aux films indépendants américains ou directement sortis en vidéo.
Les nouvelles pratiques se sont accompagnées d’un bouleversement majeur lié au support même offert désormais aux cinéphiles qu’était la vidéo : si les salles ne désemplissaient pas pour voir les films du moment, le magnétoscope permettait désormais de vivre sa passion dans son chez-soi, seul, en famille et plus rarement entre amis. Ce qui était autrefois une passion partagée, discutée, par des bandes, n’était plus qu’une passion savourée en solitaire. Le cinéphile s’est donc ainsi senti un peu seul quelques années, et c’est alors qu’une nouvelle révolution est intervenue pour le libérer, en partie, de sa solitude. Internet.
Le mythe du cinéphile dans les années 50 a été très largement composé par des cinéastes, parfois des critiques, apparus dans la décennie suivante. Truffaut, Godard et le reste dans la bande des Cahiers, mais aussi Scorsese et bien d’autres, tous durant leur enfance se sont senti l’âme d’un explorateur entrant en douce dans les salles de cinéma sans payer, volant les affiches… Le cinéphile était déjà pirate. Ceux-là, défendant la politique des auteurs, n’ont rien pu faire face aux machines commerciales préservant les intérêts particuliers des ayants droit. De la politique des auteurs, aux sacro-saints droits d’auteur. Il faudra des années pour que ceux faisant payer un droit d’entrée sur les tombes du grand cimetière d’images comprennent qu’ils avaient, aussi, tout intérêt à mettre en place de nouveaux systèmes pour s’adapter à cette révolution qu’était Internet. Il faut se souvenir que la guerre a commencé avec les industriels du CD, lancée à l’époque contre Napster. Il fallait préserver les rentes de ceux qui n’étaient autrefois que des saltimbanques, et préserver leurs propres intérêts, ceux d’une industrie devenue obsolète. Leur inutilité n’est plus à démontrer et même en s’adaptant à un nouveau monde leur disparition est programmée : les artistes redeviendront des saltimbanques, et une industrie résiduelle continuera peut-être à vendre des produits publicitaires… Le piratage des œuvres audiovisuelles ne tarda pas à emboîter le pas avec l’explosion des débits ; et l’industrie cinématographique, avec parfois l’aide et la complicité des États, fit et continue de faire la guerre à ces immondes passionnés profitant de la moindre combine pour s’introduire dans leurs salles de cinéma virtuelles.
À ceux qui en douteraient encore, aucune passion ne peut et ne doit être esclave de ceux qui mettent à disposition les produits à l’origine de ces passions. Dans un monde qui vante les vertus de la culture, de la diversité, de la liberté et du partage, on peut certes faire commerce de ce que l’on produit, mais le libre accès profite toujours aux auteurs. Les auteurs, pas les commerçants, ceux nous vendant leurs tickets à l’entrée des cimetières. Un saltimbanque, un poète des rues, un chansonnier se fait payer raisonnablement. Le reste est marché, escroquerie, exploitation et interdits. Tout ce qui constitue en fait une force d’inertie contraire aux auteurs, aux œuvres, et à la culture même. Un cinéaste comme Godard prouve qu’on peut faire des films sans les artifices d’une industrie. Si l’industrie devenait du jour au lendemain totalement obsolète, les auteurs seraient toujours là. Poser donc des droits d’auteur sur 90 ans est donc une pratique parfaitement condamnable, contraire à la logique, à la morale et à la préservation d’une mémoire des images. Quand on fait rénover un édifice du patrimoine culturel, que la rénovation soit assurée par des organisations publiques ou privées, on le fait sans arrière-pensées mercantiles. Le patrimoine est par définition propriété de tous.
Bref. Les resquilleurs, on ne peut prétendre le contraire, ont permis à ce que des œuvres rares puissent grâce à Internet être désormais à disposition de millions de cinéphiles à travers le monde. Ces cinéphiles du dimanche, cette génération YouTube, ne mettent pas à mal l’industrie cinématographique et ce sont souvent ceux-là qui, aussi, continuent d’entrer par la grande porte pour profiter d’un film en salle ou des nouveaux produits technologiques mis à sa disposition pour rendre cette fois obsolète la consommation d’œuvres pirates sur le Net. Le cinéphile s’est bien démocratisé. La capacité d’accès à une médiathèque universelle a fait de nous des cinéphiles. Pas l’industrie, mais bien Internet (qui, il faut le rappeler, n’a pas été initié par des industriels). Si on pouvait avoir accès aux spectacles qui se jouaient à la Comédie française au XIXᵉ siècle est-ce que les auteurs, acteurs et promoteurs s’en féliciteraient ou demanderaient-ils à ces étranges hommes du futur de bien vouloir payer leur place ?
Il y a donc autant de pratiques cinéphiliques que de cinéphiles. Seulement, certaines de ces pratiques sur Internet, parfaitement légales, sont à relever pour faciliter l’accès, la connaissance et le partage de ces œuvres. Je ne cite que celles qui me sont chaque jour utiles. Certaines évidences, mais aussi des outils pratiques indispensables pour qui veut découvrir ou trier de nouvelles œuvres.
1/ Noter les films.
Il y a vingt ans quand j’ai commencé à faire le compte des films que je voyais, il ne m’était pas apparu nécessaire d’y accoler une note. Puis j’ai commencé à noter les films avec des lettres et des signes négatifs et positifs pour y voir plus clair et pouvoir trier au mieux plus tard les films que j’appréciais. C’était plutôt vague et ne pensant jamais à avoir à cataloguer autant de films, c’est devenu de plus en plus une nécessité qui s’est toutefois heurtée au passage délicat de mes feuilles d’écolier aux notes sur 10 d’IMDb. Non seulement il fallait convenir d’une équivalence entre par exemple un B+ et un 9 (un 8,5 en fait, le 9 étant plus proche d’un A-…) mais aussi je me retrouvais avec pas mal de notes de films vus dans les années 90 pour lesquelles donc j’étais bien incapable de donner une note. Ne me rappelant même pas souvent des films, je me suis dit « que diable ! » et je me suis prosterné sur mon clavier en multipliant les 6… C’est dire qu’un site disposant d’un outil aussi simple m’aurait bien aidé. Ces sites sont donc indispensables pour tout cinéphile cherchant à tenir le journal de ses visionnages. INDISPENSABLE ! Pour que dans dix ans, plus personne sur Terre n’ait à se dire « tin, mais je l’ai vu ce film… », « j’avais aimé ou pas, hum… » Ça devrait être au programme de l’UNESCO. Et chacun devrait avoir au moins un compte sur un site de notation en ligne comme on a son compte impots.gouv, sa carte vitale ou une entrée personnelle dans les archives de la NSA. INDISPENSABLE ! Et pas d’âge pour commencer. Vous créez des comptes à vos bambins pour leur première bougie ? Eh bien, apprenez-leur à compter à travers les notes : « Tu as aimé Bambi, Jonathan ? Dis à maman combien tu l’aimes… Allez, donne une note à maman. Avec tes doigts, voilà ! Bravo ! ».
Je vais revenir sur IMDb, mais les sites offrant cet outil sont assez nombreux, et si on a du temps il ne me semble pas inutile de faire l’effort de faire ses comptes sur plusieurs plates-formes à la fois. Tous ces sites possédant chacun à l’évidence leurs avantages. Principal problème inhérent à notre fabuleuse époque : si IMDb appartient à une grande firme internationale, la plupart des sites ici sont gérés par des autocrates : plus vous devenez actifs, plus vous êtes susceptibles de vous heurter à leurs décisions (qui vont rarement dans le sens de votre confort ou intérêt).
icheckmovies.com ne permet pas de noter, mais comme son nom l’indique de « checker » les films vus. (Voir développement plus loin.)
criticker.com possède le système idéal à mon sens avec une note sur 100 avec des statistiques avancées précieuses.
SensCritique fait dans l’originalité et propose de noter les films sur 10 et d’y adjoindre un joli petit cœur histoire de gonfler son activité sur le live de ses abonnés. C’est plus un réseau social jouant sur les défauts de l’Internet 2.0 : beaucoup d’engagement, et donc des prises de bec avec des inconnus. Le site étant plus focalisé sur l’aspect social que sur les œuvres et la qualité, ça peut vite devenir pénible pour des cinéphiles. Géré par un autocrate qui s’approprie le contenu partagé par vos soins.
cinelounge.org n’aime pas la demi-mesure et permet ainsi de noter avec des demis (c’est une sorte d’Allociné pour snobs). Le site est géré par un autocrate habitant à Madagascar qui s’affranchit ainsi des règles sur la propriété intellectuelle, notamment.
letterboxd.com ou vodkaster permettent de noter des films et de s’exercer à la micro-critique (le premier est essentiellement animé par une communauté anglophone, le second appartient à Télérama et géré par un autocrate).
2/ IMDb La base.
Une base très largement désertée par les cinéphiles français. La France possède sans aucun doute le plus grand réservoir de cinéphiles au monde. C’est à la fois sa force et sa plus grande faiblesse. En effet, nous sommes suffisamment nombreux pour nous organiser autour de sites francophones. Or IMDb constitue bien une source majeure anglophone du monde entier et cette absence (relative, mais considérable compte tenu de la masse impressionnante d’amoureux du cinéma) ne permet pas d’éclairer différemment la production française depuis l’intérieur. Si pour l’étranger, la France c’est les petites voitures, le pain et la tour Eiffel, au cinéma la nouvelle vague mange à peu près tout le reste, en particulier le cinéma populaire. Il y a même tout un cinéma considéré d’auteur en France qui est totalement ignoré dans le reste du monde (en particulier pour les productions actuelles), et qui, quand il l’est, l’est essentiellement grâce à l’étiquette « Cahiers du cinéma ».
IMDb est également la source la plus sûre et la bdd la plus complète du Net (avec quelques réserves justement pour certaines niches comme le cinéma asiatique — les Asiatiques ayant eux aussi leurs propres communautés et sites). Inutile de savoir parfaitement son anglais. Les critiques et le forum sont dispensables. En revanche, on y trouve, et on peut y partager, un certain nombre de listes. Son mode de recherche (http://www.imdb.com/search/title) est le plus utile du Net, y pouvant inclure nos propres listes, nos films vus, chercher par pays, langues, années, personnalités ou thèmes, etc. Quelques points faibles : les Turcs et les Indiens y sont eux massivement représentés et ont une vilaine tendance à surnoter certaines de leurs productions ; ça se ressent fortement avec la présence dans les classements de films de ces deux pays. Autre problème, les notes de certains films muets ou raretés des années 30 (il suffit qu’un film passe sur TCM par exemple pour que le film soit bombardé de 10).
3/ Modules complémentaires IMDb
IMDb toujours. Certains scripts Greasemonkey sont très utiles pour bénéficier au mieux du site. Greasemonkey est une application (add-on) pour Firefox qui permet de changer le script des certaines pages web. Le script le plus utile est celui qui colore dans une filmographie les films vus. Un autre permet de créer des liens vers d’autres sites et donc de se servir des pages des films comme base de lancement vers tous les autres sites. Quelques noms de scripts donc à ajouter : IMDb My movies enhancer (pour l’installer, lire ceci) ; imdb2leech ; IMDB details page links ; IMDb sort by rating ; IMDb actor Title ratings. (Certains ne sont pas forcément à jour et c’est à chacun de les configurer selon ses envies.)
4/ iCM
icheckmovies.com Le site est indispensable, en complément d’IMDb (on peut y importer toutes ses notes facilement — ce que ne permet pas un site comme SensCritique, totalement à la ramasse quand il est question de gérer une base de données…), pour ses nombreuses listes institutionnelles, de revues, de critiques et d’historiens, d’ouvrages, de classements de sites spécialisés. Le site est très internationalisé, et même si les références y sont surtout anglophones, l’idée est aussi de mettre en avant des listes institutionnelles d’instituts, de prix, de festivals locaux. Au contraire de SC, un grand nombre de listes officielles constitue l’atout majeur du site (certaines de ces listes sont d’abord personnelles, puis l’équipe du site en fait des listes « officielles »). Pour chacune d’entre elles, on dispose les statistiques des films qu’on a vus et qui nous restent à voir ; et on peut suivre son évolution dans le classement de chaque liste si on décide de « travailler » telle ou telle liste. C’est la source idéale pour explorer des genres, des mouvements, des pays ou s’initier aux courts métrages et à l’histoire du cinéma. Les échanges sont rares, mais on peut utiliser les zones de commentaires, et on peut participer aux challenges sur le forum. (Forum qui régulièrement propose à ses membres des sondages dont certains deviennent des listes officielles sur le site — notamment une très bonne liste de films obscurs.) On trouve également dans les commentaires, notamment pour les films muets et les courts, de nombreux liens vers Youtube and co. Il existe également un script pour améliorer le site : icheckmovies enhanced.
5/ Critiker
criticker.com Surtout utile pour les statistiques
Voilà quelques propositions pour rester connecté. À chacun sa cinéphilie, mais à priori, si vous êtes dans les parages, c’est que vous êtes connectés et que certaines de ces propositions pourront être utiles…
L’EXPÉRIENCE CINÉMA :
- La voie du cinéphile connecté
- Les scripts IMDb pour navigateurs
- Le cinéphile regarde-t-il un film seul ou en groupe ?
- De l’intérêt limité des recommandations
- Les ratés de la Cinémathèque française
- Le Relou aux yeux de velours