Manuel de féminicorrect par Libé

Les capitales

Orthographe

J’espère qu’après avoir vu un imbécile dans Libé partir en croisade contre le terme « féminazie », d’autres partiront de la même façon contre ces expressions intolérables que sont grammar nazi ou ayatollah de l’orthographe. Texte magnifique, je crois que j’ai même dû pleurer à l’évocation du terme « psychanalyse ». La grande pensée française en action, celle qui va toujours dans le sens du vent.

Le politiquement correct avec ce genre d’individus « qui a la carte » atteint un niveau avec ce texte… Curieusement, autour de moi, je vois très rarement utilisé un terme comme féminazie, en revanche, ça empeste partout du politiquement correct. Alors, expérience personnelle, j’ai peut-être de mauvaises fréquentations. Mais non, ce n’est pas ça, c’est juste que bien plus que le « patriarcat » (j’attends toujours qu’on me le montre), le politiquement correct est partout. En particulier dans ce genre de discours, surtout très utiles pour son auteur à rappeler que lui aussi il en est un, un collaborateur des grandes opprimées de notre époque : les féministes. Quel courage. Que fait-il, lui, le nanti, pour la cause des femmes, il ouvre sa jolie gueule pour vilipender les affreux jojos qui usent du terme « féminazie », parce qu’attention, ceux-là, ce sont forcément les mêmes qui sont aux manettes de l’affreux « patriarcat » (vous savez le machin totalitaire qui fomente depuis toujours pour que ne soient laissées aux femmes que les miettes).

Désolé de le dire aux féministes, ou à ceux qui font juste semblant, le politiquement correct ne fera pas avancer la cause des femmes. Ça donne bonne conscience à une armée d’hypocrites qui en réalité sont en plein dans ce qu’ils dénoncent. Derrière les beaux discours et les pouces tendus vers le ciel, faudrait voir les actes, la pratique. Si tant de monde semble aller dans le même sens, alors très bien, on se revoit dans dix ans, quand « féminazie » sera une insulte passible de trois ans de prison par exemple (puisqu’à le lire, il semblerait que le discours antiféministe — assez peu répandu dans la parole publique — semble être plus grave que les discriminations dont souffrent les femmes), et on regarde alors s’il y a moins de disparités entre les hommes et les femmes.

Mais… si les deux principaux vecteurs populaires pour changer « les mentalités » sont le politiquement correct et le féminisme extrémiste, ce que j’en dis, c’est que ce sont des jolies postures qui arrangent tout le monde sur le moment (surtout ceux qui profitent de leur situation d’homme, et ce n’est pas forcément les mêmes qui usent de termes comme « féminazie »), et quand il faudra passer aux actes, étrangement, j’ai comme l’impression qu’il y aura toujours un grand écart dans ces dix, quinze ou vingt ans. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Renforcer le politiquement correct, ce n’est que renforcer l’hypocrisie de ceux qui disent être d’accord tout en participant activement dans leur vie professionnelle ou personnelle à surtout rien changer, sinon à grandir encore et toujours la différence entre les paroles et les actes, et cela qu’ils soient hommes ou femmes, parce que là-dessus, il n’y a pas de discrimination : hommes et femmes sont, tout autant l’un que l’autre, victimes des biais amenant à adopter des comportements sexistes (ah, mince, ce n’est pas la faute du patriarcat alors ?). Et pour lutter contre des biais, des stéréotypes, des mauvaises pratiques, faudrait faire quoi par exemple, au lieu de balancer des bonnes intentions ou de crier au loup linguistique ? Eh bien, on éduque, et que ça ne suffit pas, on est proactif et on contrebalance certains écarts par exemple par l’instauration de politiques de discrimination positive. C’est curieux, dès qu’on parle de mesures concrètes, il n’y a plus personne pour gueuler. Si des inégalités persistent, ça profite à qui ? Certainement pas à moi.

Crier la main sur le cœur que c’est la faute du patriarcat s’il y a des inégalités quand on est soi-même un privilégié, faut oser. Mais faut avouer que c’est surtout bien pratique. Identifier un grand méchant inatteignable, factice, dirigé par personne et qu’on peut trouver nulle part, le mal absolu quoi, ça permet surtout de se préserver, soi, des bonnes pratiques. Toute la différence entre le discours et les actes. Parce que parler de « féminazie », c’est du discours, et ç’a très peu d’impact en fait sur les comportements. Moi je milite pour plus d’actes, et quand je lis des conneries de ce genre dans Libé, j’ai comme l’impression qu’on ne va pas dans le bon sens, et surtout qu’on fait semblant d’y aller. Un peu comme une troupe de nageurs courageux qui se retrouvent devant la mer en hiver, parmi lesquels on entendrait des « on y va ! » histoire d’entraîner les autres quand on fait mine d’y aller. Dans dix ans, on verra si après ces beaux discours que tout le monde applaudit pour se réchauffer, la troupe s’est mise à l’eau ou si elle continue de parler littérature.