Aller simple, Retour manqué

Le Retour

Titre original : Vozvrashchenie
Année : 2003
Réalisation : Andrey Zvyagintsev
Film intéressant, bien dirigé, les garçons sont parfaits. Seulement, manque au film un but, des enjeux définis. C’est facile de laisser croire pendant une heure trente à une future résolution, un éclaircissement, et finalement ne pas tenir ses promesses. Ça ressemble presque à un discours d’homme politique. On masque l’absence de fond, l’aveuglement, par les promesses d’un avenir meilleur auxquelles il faudrait croire par une sorte de méthode Coué : « La France est grande, donc elle est grande ; le chemin va être dur, mais ne comptez pas sur moi pour changer quoi que ce soit. » On nage dans le brouillard en nous faisant croire à un objectif, mais on sait que l’objectif n’existe pas et qu’on ne veut pas l’atteindre. On est seulement dans la prétention, le semblant, le mensonge.
Ce type de discours qui existe depuis la gloire des arracheurs de dents et des vendeurs de lotions capillaires est à nouveau à la mode dans la dramaturgie, me semble-t-il depuis Lynch, d’abord avec Twin Peaks, puis dans ses films, et très largement répandu depuis la série Lost dans laquelle chaque saison comptait son lot de promesses d’éclaircissements jamais honorées, et sans cesse masquées par de nouveaux mystères (le directeur dramatique des comptes de campagne de la série avait fini lui-même par être totalement lost par cette profusion de faux-semblants).
La méthode est simple et a été inventée, dit-on, par une Arlésienne dont on a oublié le nom : ouvrez une intrigue dirigée par le seul mystère, là où d’habitude on commence par la fin pour ensuite masquer des éléments pour ensuite révéler au fur et à mesure comme un puzzle qui se recompose ces éléments masqués, ici c’est la trajectoire et l’intention qui compte, peu importe le but ; la règle est immuable et ressemble au pater d’une lady : « never explain, let the audience complain ». (Un credo adopté avec force tranquille, donc, par tous nos politiques nationaux.)
Or, c’est oublier que l’essentiel, ce n’est pas toujours le chemin. Le Retour, il est là, un retour à l’essence même d’une histoire, c’est-à-dire son but. Un magicien peut bien user du mystère pour éveiller l’intérêt : « J’ai quelque chose dans ma poche ; quelque chose d’extraordinaire va en sortir ; devinez donc ! » On cherche, on cherche, et ça continue de causer, et le tour on n’en voit jamais la fin. L’explication donnée ici est : le personnage était ailleurs il y a une douzaine d’années. « Hein ? Quoi ? Et alors ? » Ce à quoi on nous répond : « Trouvez par vous-mêmes. » Non, non, non, ça ne marche pas comme ça. On nous a menés en bateau, un de ces bateaux courts et dodus appelés Petites Flans qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille vide de Saint-Jacques. Eh bien, le Flanby englouti, il ne reste rien. — Pardon, tu disais ? — La résolution de ces questions, ces éclaircissements décisifs ! — Je ne vois pas de quoi tu veux parler. — Nous voilà contraints de nous coucher de bonne heure, des rêves de tilleul plein la tête et des madeleines plein les larmes, avec la certitude molle d’avoir été pris pour des jambons crevés ou des césars pourris.
Alors, on pourra toujours arguer que c’est de l’art… « Qu’importent les flocons, pourvu qu’on ait l’avoine. » « Il n’y a pas d’autre réponse que celle que tu as dans le cœur… » — Allez, blabla…, sésame, ouvre-toi : il n’y a pas de réponse parce que la question n’a pas de sens. C’est beau, parfaitement exécuté, ça en met plein la vue, mais le nuage de mystère qui noie l’inconsistance du récit, toutes ces prétentions creuses, c’est peut-être ce qui pourrait définir le pseudo-intellectualisme.
On pourra aussi me vanter la beauté des questions laissées ouvertes. Je n’ai rien contre ce genre d’intrigues poético-mystiques. On assume le caractère expérimental d’une œuvre, et le spectateur doit s’y laisser plonger. Mais ce n’est pas ce qui nous est vendu ici. Le film prétend que cette réponse existe et qu’elle est en moi. Eh ben, si je l’ai en moi, à quoi bon passer par un intermédiaire qui ne m’apprend rien de plus que ce que je ne sais déjà ? Une histoire nous raconte un point de vue, nous expose des enjeux, même si je ne les comprends pas ou ne partage pas le sens donné à une fable. C’est trop facile de faire des bigoudis avec des histoires sans queue ni tête, et de prétendre que derrière l’ombre et le mystère se cache une vérité dont nous seuls détenons les clés. Imaginons un chanteur refusant de faire son tour de chant : « Écoutez plutôt la voix qui chante dans votre cœur, pas la mienne ! » Hum, non, mon gars, on est ici pour t’écouter, toi, alors, comme on dit aux écoliers des steppes de Sibérie qui ne font pas leurs devoirs : « Au bouleau ! ». Un film, c’est un aller simple pour le rêve, pas un aller-retour à la case départ. « Mais écoutez le silence, il dit tant de choses ! » — Non, non, toi écoute, José van Dam, la poésie, c’est comme le silence de Mozart. Si ce qui précède, c’est du Flanby ou de l’avoine, quand tu te tais, ça reste du Flanby ou de l’avoine. Le silence en lui-même, il est vide. Le mystère aussi.
Ça aurait été tout aussi bien s’ils étaient allés pêcher.

Le Retour, Andreï Zviaguintsev 2003 Vozvrashchenie | Ren Film