Un Huston à oublier

L’Honneur des Prizzi

Titre original : Prizzi’s Honor
Année : 1985
Réalisation : John Huston
Avec : Jack Nicholson, Kathleen Turner
Tragédie cornélienne : le devoir contre la passion, le dilemme impossible… Malheureusement, le récit emprunte un peu aussi à la forme toute particulière de la tragédie cornélienne, sans doute sans s’en rendre compte… et ce n’est pas une réussite parce qu’on reste en permanence dans un entre-deux, celui qu’on ressent quand certains choix n’ont pas été faits.
Unité d’action, de temps, de lieu, de ton… Il y a une tradition depuis Shakespeare de multiplier les petites intrigues autour d’une intrigue principale. Cela a pour but de la renforcer en lui donnant du relief, et ça donne la possibilité de multiplier les tons, les genres, les types de situations. Les possibilités sont plus nombreuses que dans un récit qui est en quête de l’épure, de la simplicité, de l’unicité… comme dans la tragédie classique. L’intrigue classique a son charme et son rayon d’action. Et ce type de récit, prenant comme environnement les mafiosos, n’en fait pas partie. D’autant plus que si ça y ressemble, ça n’a pas la rigueur d’une tragédie classique. Ce n’était pas la volonté des auteurs, c’est évident. Juste une direction prise comme ça, par hasard. Peut-être en y allant à fond, cela aurait pu faire son effet. Mais là, on a en mémoire des films comme Le Parrain ou Scarface. Et celui-ci, à côté, paraît vraiment démodé. Il semble chercher un ton, une identité, qu’il ne trouvera jamais.
Unité d’action, pourquoi pas, même si, à mon sens, ça met un peu trop longtemps à se mettre en place. On ne perçoit pas assez la menace que représente le personnage de Turner pour flairer le danger et donc comprendre dans quelle voie le film nous embarque. On ne comprend qu’une fois que le secret de son identité est révélé. Et il arrive bien trop tard. Car au fond, ce n’est pas ça le sujet du film… Et quand on a un récit concis, basé sur l’unicité, ça ne passe pas, on ne voit que ça.

L’Honneur des Prizzi, John Huston 1985 | ABC Motion Pictures
Unité de temps… Les tragédies classiques se déroulent le plus souvent dans un temps fictif de quelques heures. Tout se concentre dans une même temporalité pour ne pas perdre l’intensité des scènes, utile pour former une sorte de crescendo jusqu’au dénouement qui doit être l’apothéose du récit. Là, l’histoire s’étale sur quelques semaines, le temps d’un récit d’une comédie, d’un film réaliste. C’est donc une période de temps, soit trop large soit trop courte. Pour gagner en intensité, il aurait fallu regrouper les événements sur moins d’une semaine, pour créer un effet de précipitation, de perpétuel danger. Ou il aurait fallu, au contraire, densifier tout ça, comme on le fait plus traditionnellement pour gagner en épaisseur, pour en faire un récit épique dans lequel les péripéties peuvent se multiplier, s’accumuler, pour que les effets, du temps puissent faire leur œuvre.
Unité de lieu… Huston cherche sans cesse à nous expliquer où les personnages se trouvent. On n’en est pas à l’image du plan d’ensemble de la maison du ranch des Ewing dans Dallas, mais le récit basculant souvent de NY à LA, il se sent obligé de nous le dire, alors que ce n’est pas essentiel au récit, en utilisant un procédé qu’on utilise plus depuis les années cinquante : l’insert d’un avion allant vers la gauche pour suggérer le départ vers la côte ouest, et le contraire… Un effet, utilisé le plus dans des comédies ou des films légers… Ça donne vraiment un côté totalement désuet à la mise en scène. Et encore une fois, soit il y a trop de lieux, soit il n’y en a pas assez. Il n’y a pas de demi-mesure en dramaturgie : il faut faire les choses à fond, il faut être extrémiste. Sinon, ça ressemble à rien, sinon à la vie, et le cinéma, ce n’est pas la vie.
Mise en scène bâclée qui ne se soucie guère des anachronismes. Ça prend l’aspect d’un film fauché qui ne peut même pas proposer une bande-son originale. Huston rend mal ce qu’une telle famille pourrait représenter. On reste accroché aux personnages principaux sans avoir aucune vision du contexte, de l’environnement. On a l’impression que les mafieux trafiquent dans leur coin ; on ne voit pas assez les marques de leur influence (elle est suggérée mais jamais montrée et c’est le genre de chose qu’il faut prouver par l’image ; c’est un peu comme dire tel ou tel personnage est intelligent ; ça ne sert à rien de le dire, il faut le prouver). Trop peu de personnages ; pas assez de densité ; le film file trop vite. C’est un aller sans détour quand un grand film, lui, proposera à chaque scène un moment d’anthologie, comme un omnibus qui jusqu’à la fin, à chaque station embarquera des nouveaux bagages alourdissant toujours un peu plus le train. Le risque en est plus grand, mais c’est bien pour ça qu’on regarde. La curiosité de voir s’il va finir par se crasher.
Bref, pas très inspiré tout ça. Soit parce que la production n’avait pas les moyens de se lancer dans un tel projet, soit parce que ce n’est pas le genre de films qui correspond à Huston. Ce n’est certainement pas un metteur en scène d’ambiance, capable de tirer au mieux un scénario vers le haut si celui-ci montre quelques lacunes. Ça pouvait marcher trente ans plus tôt, avec une mise en scène plus serrée, moins lumineuse, en adoptant les usages esthétiques du film noir. Pourquoi pas… Mais là, le film semble avoir cinquante ans de plus que Le Parrain, tourné plus de dix ans plus tôt ! Sinon, c’est tout bonnement cette histoire qui par son côté hybride était inadaptable…
Reste les acteurs. Mention spéciale à Kathleen Turner et à son charme magnétique. Nicholson est un peu en dessous, pas très crédible en sicilien, des tics de vieil acteur fatigué plein les sourcils (déjà), donnant toujours l’impression de rechercher ses clés dans les poches de son pantalon ou de prendre l’air agacé comme si tous ses partenaires sortaient des absurdités à chaque phrase… Heureusement que c’est Jack, qu’on l’a aimé dans d’autres personnages et qu’il en reste quelque chose pour nous. Angelica Huston est pas mal, mais plus ou moins ridicule dans une ou deux scènes où elle se trouve « en aparté » (le papa n’ayant sans doute plus la lucidité qu’il avait tout jeune quand il avait dirigé son propre père…).