La Danseuse des Folies Ziegfeld, Robert Z. Leonard (1941)

Trois femmes

Note : 4 sur 5.

La Danseuse des Folies Ziegfeld

Titre original : Ziegfeld Girl

Année : 1941

Réalisation : Robert Z. Leonard

Avec : Hedy Lamarr, Judy Garland, Lana Turner, James Stewart

Énième variation sur les déboires des artistes du music-hall estampillés Ziegfeld. La trame est toujours identique : on réunit une poignée de stars autour de personnages cherchant la gloire, on les met en conflit avec leur entourage, certains échouent, d’autres réussissent, etc. L’intérêt est souvent ailleurs : l’exécution et la qualité des numéros, le plaisir de suivre un rehearsal qui joue les montagnes russes et la diversité, une bonne musique, et surtout des dialogues qui font mouche. On y retrouve également quelques stars de la MGM : Judy Garland, Hedy Lamarr et Lana Turner, auxquelles vient s’ajouter James Stewart (qui n’est pas un produit du cru, mais qui sort d’Indiscrétions, comédie tout aussi typique de l’esthétique de la firme au lion).

À la manière de Stage Door, le film comporte certains accents finaux dramatiques grâce aux écarts du personnage de Lana Turner pour qui cela semble être le premier grand rôle (des écarts qui annoncent un peu ceux — toujours plus fantaisistes — des années 60). Cette noirceur attachée à son personnage, surtout, c’est un peu la saveur noire de femme fatale qu’on lui connaîtra par la suite. Mais au lieu d’être par la suite fatale aux hommes qui tombent sous son charme, c’est d’abord pour elle qu’elle sera fatale. Tout est déjà là chez la future actrice du Mirage de la vie : Lana Turner commence le film en ingénue, tout à fait délicieuse, puis, comme c’est un peu la règle à l’âge du code Hays, l’alcool sert de catalyseur pour pervertir un peu plus les filles de mauvaise vie, et c’est là qu’on aperçoit les prémices des personnages de femmes froides et inaccessibles qu’elle interprétera par la suite (dès Johnny, roi des gangsters, sorti quelques mois plus tard).

Des trois actrices principales, c’est sans doute celle qui tire peut-être le plus la couverture à elle : Judy Garland est désormais une jeune adulte, le talent inouï de la star au chant fait plaisir à voir, mais son personnage reste comme toujours assez lisse. Quant à Hedy Lamarr, il suffit qu’elle parle avec les yeux, et son numéro n’a pas besoin de s’agrémenter d’autre chose, mais son personnage n’est pas aussi bien exploité que celui de Lana Turner.


La Danseuse des Folies Ziegfeld, Robert Z. Leonard 1941 Ziegfeld Girl | MGM


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Cynthia, Robert Z. Leonard (1947)

Le grand remplacement

Note : 2.5 sur 5.

Cynthia

Année : 1947

Réalisation : Robert Z. Leonard

Avec : Elizabeth Taylor, George Murphy, Mary Alstor, S.Z. Sakall, Anna Q. Nilsson

Amusant de voir, à une époque où certains en France parlent de déclin, à quel point tout ce qui participe au mythe de l’American Way of Life, de l’American Dream, sonne ici factice à plein nez. On y parle de la sacro-sainte soirée du bal de fin d’année du lycée, chère aux adolescents américains et revisitée maintes fois par des films au cours du XXᵉ siècle, au point d’en faire même un repère culturel pour des spectateurs étrangers ignorant tout de cette « tradition ». Je n’ai aucune idée si ce mythe a des bases réelles et si elle est partagée par tous dans ce pays, en tout cas dans le film tout sonne faux. On est censés être dans un coin paumé de l’Illinois, or, en dehors de quelques régionaux de l’étape dont le réalisateur et Mary Astor, la distribution est à l’image de ce qu’était encore à cette époque Hollywood : la Babel du XXᵉ siècle. Certains réactionnaires de droite en France pourront toujours nous faire croire que la grandeur d’un peuple se fait, ou se reconnaît, à la pureté de son sang (on en est là, parce que je paraphrase, mais c’est bien ce qu’ils disent) ; en réalité, dans l’histoire, c’est probablement toujours le contraire. Les grandes civilisations ont toujours été d’immenses congrégations et carrefours de peuples. Et c’est facilement compréhensible : toutes les personnalités cherchant à réussir, à se faire un nom, à sortir de leur condition, à élargir leur horizon, viennent pour cela dans les centres urbains où c’est le plus possible. Au tournant du XIXᵉ et du XXᵉ siècle, les États-Unis sont bien devenus (et l’étaient déjà sans doute avant aussi) une puissance basant son développement sur l’immigration. Et Hollywood, dès le milieu des années 10, est devenu le symbole de ce rêve et de cette réussite.

Qu’y avait-il à ces premières heures de Hollywood ? Des Britanniques, des Canadiens, des Américains de la côte est, certes, mais aussi beaucoup d’Européens non anglophones : des Austro-Hongrois, des Allemands, des Scandinaves, des Russes, des Français essentiellement. Et tout ce petit monde s’est réuni pour fabriquer des mythes, ou un mythe, celui d’un rêve auquel ils prenaient part, souvent dans l’ombre, parce que si les personnages sont certes dévolus le plus souvent à des Blancs américains, surtout dans un tel film censé se situer dans un petit coin d’Illinois, si on y prête un peu attention, les immigrés n’y sont pas absents, et ils n’y occupent pas forcément non plus les places les plus basses de la société (ici le professeur de musique, et son acteur, originaire d’Europe centrale par exemple).

Ça, c’est la face visible de Hollywood. Derrière, une bonne partie de la distribution et des techniciens (alors même qu’il n’y a sans doute pas plus “américain” comme film), sont des immigrés européens. D’ailleurs, encore à cette époque-ci, je dirais, au doigt mouillé, qu’au moins neuf personnes sur dix travaillant dans cette industrie ne sont pas originaires de Californie.

Et au milieu de ces acteurs étrangers, ce qui est là encore assez symptomatique, c’est la présence de deux actrices au parcours parfois similaire à quarante ans de décalage. Il n’y a pas de « grand remplacement », mais des « grands rushs », en revanche, parfois, l’histoire semble se répéter. Elizabeth Taylor est Britannique par sa naissance et Américaine par ses parents (son père est originaire d’Illinois, ce qui l’aura aidé sans doute pour l’accent), qu’elle suit aux États-Unis pendant la guerre où, on le sait, elle deviendra rapidement une enfant star en jouant dans la série des Lassie. Pendant sa carrière, elle passera aisément d’un continent à l’autre et sera considérée comme une des plus belles femmes du monde… Un peu comme Anna Q. Nilsson.

À l’époque où le film est tourné, il est fort à parier qu’une bonne partie des spectateurs avaient déjà (et au contraire cette fois de Taylor qui restera une star pendant plusieurs décennies) oublié cette ancienne star du muet. Je traçais son parcours dans mon article sur le Hollywood Rush. Pour résumer, elle quitte sa Suède natale à peu près à l’âge qu’a Elizabeth Taylor dans le film, pour rejoindre l’Amérique, et devient modèle au début du siècle. On dit alors à cette époque qu’elle serait la plus belle femme du monde (on ne sait pas en revanche si elle avait les yeux violets). Le cinéma se fait alors à cette époque sur la côte est, elle devient une star, multiplie les premiers rôles dans des films largement aujourd’hui oubliés ou perdus, et elle connaîtra par conséquent ce glissement rapide de l’industrie américaine du cinéma vers la Californie. On est à l’époque extrêmement mobile, peut-être même ironiquement, beaucoup plus qu’aujourd’hui (c’est assez étonnant d’ailleurs de voir à quel point les facilités de transport ne facilitent pas le nomadisme, à moins que ce soit une forme de conservatisme généralisée à mille lieues des idées reçues selon lesquelles le monde serait rempli d’immigrés…), la star ne déroge pas à cette habitude, et elle n’hésite pas à retourner en Europe pour tourner. On est autour des années 15-25, et ceci explique sans doute que son nom soit relativement éclipsé aujourd’hui, car ce qu’on retient en général du cinéma muet, c’est beaucoup plus volontiers la fin des années 20, en tout cas pour ce qui est des films à Hollywood (le parlant viendra porter un coup fatal aux productions européennes, et leur concurrent américain ne cessera de s’imposer jusqu’aux années 60). Bref, les deux actrices, qui se croisent ici à peine (Anna Q. Nilsson a un rôle anecdotique, et ne l’ayant vue que dans le Regeneration de Walsh — sans doute aperçue aussi dans Le Garçon aux cheveux verts où elle croisera un autre enfant star, Dean Stockwell, qui vient de nous quitter —, je guettais son apparition). Autre similitude, les deux actrices auront toutes deux des accidents de cheval et en garderont des séquelles assez lourdes…

Elizabeth Taylor / Anna Q. Nilsson

Alors voilà, oui, l’essence même du rêve américain, c’est qu’il repose sur une illusion. L’illusion d’une tradition inamovible et d’une culture unique. Une illusion si bien ancrée chez certains (étrangers obsédés par l’idée de déclin) qu’ils oublient ou ignorent que ces mythes identitaires sont des arnaques, des constructions culturelles, auxquelles finalement, il n’y a sans doute que les « perdants » pour chercher à les imiter et courir après. Les peuples ne se suicident jamais aussi bien (référence à un certain “suicide” censé être la conséquence d’un « grand remplacement ») que quand ils s’imaginent dépositaires d’une histoire ou d’une tradition unique, que quand ils courent derrière des mirages. Tous les peuples, toutes les grandes civilisations, toutes les cultures solidement affirmées et qui rayonnent au-delà de leurs frontières, sont issus d’un « grand remplacement », d’un gigantesque cirque culturel et ethnique où se retrouvent tous les gens qui ont faim. Faim de reconnaissance, de savoir, de richesse. Des milliers (sans doute pas assez) de migrants passent par la France pour rejoindre la Grande-Bretagne chaque année ? Mais le scandale, ce n’est pas que ces personnes nous “envahissent”, mais au contraire qu’ils voient en la Grande-Bretagne leur eldorado ! S’il y a un déclin de la France, il est là. Comment se fait-il que des étrangers, qui ont faim de liberté et de travail, soient prêts à mourir en traversant la Manche plutôt que de chercher à faire leur vie chez nous ? Cynthia illustre et met en scène ce mythe étrange et lointain que pourtant toutes les sociétés de consommation du XXᵉ siècle ont tenté de reproduire au point d’arriver à nous faire croire que ce modèle pouvait être aussi le nôtre, que faisons-nous du rêve français ? du savoir-vivre à la française ? Est-ce que ce rêve, à construire en regardant vers demain, c’est le rêve d’une France fantasmée d’hier entre celle de De Gaulle et celle de Pompidou ? ou est-ce que c’est le rêve d’une France altruiste, qui se définit parfois encore (et sans fondement historique) « pays des droits de l’homme », le rêve d’une France consciente qu’un étranger qui apprend sa langue, cherche à en adopter les mythes, mêmes (et presque toujours) faux, qui s’installe chez elle non pour la détruire mais pour la faire grandir, c’est, et ça devrait encore être, une chance ?

Le film, sinon ?… Eh bien, comment croire en un film dans lequel une fille de quinze ans possède un portrait de son père dans sa chambre ?… dans lequel ce père interdit à sa fille de prendre des cours de chant parce qu’il craint pour sa santé fragile en rajoutant un peu de tabac dans sa pipe ?… Il y a des mirages plus crédibles ou plus enviables que d’autres.

Autrement, il faut l’avouer, il n’y en a que pour Elizabeth Taylor. Elle se démarque encore assez mal dans les séquences bavardes, elle minaude affreusement et récite comme toutes les petites stars de son âge. Mais dans les séquences où elle peut prendre son temps, quand on entend les violons (polonais) derrière ses yeux brillants (le public la connaît déjà bien en couleurs grâce à ses apparitions dans de précédents films pour la MGM, mais le film ici est en noir et blanc), le talent est évident. On sent aussi poindre par instants cette horrible voix d’oie qu’elle adoptera par la suite dans ses éclats plaintifs. Des cheveux noirs venant déjà contraster parfaitement avec sa peau blanche, un corps qui fait déjà tourner les têtes des hommes (quand son petit ami la voit descendre les escaliers, pour le coup, on n’a pas besoin de beaucoup d’efforts d’imagination pour croire à la situation). Et surtout, une interprétation remarquable dans un exercice pas évident : celui du chant. Aucune idée s’il s’agit de sa voix, mais la qualité de son interprétation à ce moment ne fait aucun doute sur ses capacités réelles. Autorité, maîtrise, variations, justesse, quel talent !… C’est peut-être un détail, mais un détail qui explique (a posteriori) beaucoup du talent qu’on lui connaîtra par la suite.


 

Cynthia, Robert Z. Leonard 1947 | MGM


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Peg o’ My Heart, Robert Z. Leonard (1933)

Show Marion

Peg o’ My Heart

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1933

Réalisation : Robert Z. Leonard

Avec : Marion Davies

À l’aise dans les scènes romantiques, les foules et les parties chantées, Robert Z. Leonard se révèle au contraire piètre directeur d’acteurs dans les scènes de pure comédie. Autrement dit, quand il est question de faire évoluer ensemble trois ou quatre personnages dans un décor de vingt mètres carrés rappelant la scène d’un théâtre. Vidor l’avait précédé en dirigeant Laurette Taylor dans la version muette de 1922. On aurait pu penser que Vidor ferait le remake pour la MGM en dirigeant son actrice de Show People, mais il faut croire que les tentatives de Vidor (avec Marion Davies toujours, dès 1930 avec Dulcy) n’ont pas été convaincantes parce qu’il délaissera totalement le genre de la comédie par la suite.

C’est qu’il y a un savoir-faire comique, un rythme, un ton, qui n’est pas évident pour tout le monde. Leonard et Davies ont fait leurs armes ensemble pour le passage au parlant, en 1930, avec deux versions de Marianne — l’une muette, l’autre parlante. Référencé sur IMDb comme étant un drame, ça m’a plutôt l’air d’être une comédie, reste à voir si le film souffre des mêmes défauts¹. Le talent comique de Marion Davies n’est, quoi qu’il en soit, pas à remettre en cause ici : elle est parfaite. Je vais y revenir.

¹ C’est bien une comédie, typique de Broadway, et Leonard s’y montre tout aussi incapable de maîtriser le rythme à l’intérieur de ses scènes (certaines séquences s’étalent sur plus de dix minutes).

À la MGM, à cette époque, on assiste aux prémices de la screwball : Clark Gable et Jean Harlow se donnent la réplique dans deux comédies à l’humour vache, La Belle de Saigon et La Malle de Singapour. Ce sera ce même Gable qui tournera la première screwball l’année suivante avec Capra et Claudette Colbert. New York Miami sort pile l’année de la mise en place du code Hays en 1934, et est donc le premier rejeton d’une série de comédies de couple bien comme il faut. La Malle de Singapour sort après, mais semble-t-il, la Harlow peinera alors à trouver des rôles à sa convenance. Le screwball doit dominer à présent et les garces comme Jean Harlow sont mises au placard. Le parlant leur avait permis d’ouvrir grand la bouche, on les imaginait le faire tout aussi facilement avec les jambes, et voilà qu’on leur demande tout d’un coup de tout fermer. À choisir, tiens, on préférera surpayer Katharine Hepburn afin de la voir enfiler des pantalons.

Marion Davies, bien sûr, n’aura pas ce problème en jouant les ingénues. Mais il serait intéressant de comprendre pourquoi l’histoire retient principalement les screwballs, ou les films de Capra et de Lubitsch de cet âge d’or de la comédie américaine. Si on reconnaît Jean Harlow en l’associant aux films du pré-code, Marion Davies, encore et encore, n’est connue que pour avoir été le Rosebud de William Randolph Hearst. Citizen Kane, « plus grand film de l’histoire du cinéma » est encore fatal aujourd’hui à sa réputation. Je sais que je l’ai déjà écrit plusieurs fois, mais je l’écris à nouveau : Marion Davies est un trésor de la comédie américaine. Elle ne rit pas seulement quand on lui chatouille le bouton de rose, elle chante et elle danse aussi. Et la voir en garçonne, danser et chanter sur les tables, ça a tout de même cent fois plus de classe que Marlene Dietrich dans L’Ange bleu. Ce n’est pas donné à tout le monde d’arriver à jouer à la fois sur la carte sensible, musicale et même burlesque (avec ses charmantes mimiques à la Stan Laurel). Judy Garland peut bien lui dire merci.

Peg o' My Heart, Robert Z. Leonard 1933 Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) (2)

Peg o’ My Heart, Robert Z. Leonard 1933 | Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)

Sans elle, tout s’écroule, c’est l’atout majeur du film. On est en plein dans les méthodes du star-système initié à Hollywood par les studios. À la même époque la MGM, grâce à son génial Irving Thalberg, commence à combiner des stars pour un même film — ce qui fera de la marque au lion (la seule, l’unique) le leader incontesté des studios de l’âge d’or. Pourtant ici, tout le film est dédié à son unique star, Marion Davies. La coproduction avec la Cosmopolitan n’y est sans doute pas pour rien. On sent donc encore toute l’influence du muet où certains grands films commerciaux reposaient sur une grande star, avec ces gros plans façon carte postale ou Studio Harcourt, et qui donnent un effet étrange aujourd’hui : l’impression que le monde s’arrête autour, que tout s’harmonise soudain et que chaque élément du décor entre parfaitement à une place déterminée par les lois du cadrage.

Bref, Leonard, lui, n’est pas un metteur en scène de comédie. Ces quelques scènes, très théâtrales, censées se jouer à mille à l’heure dès que Peg rencontre la famille Chichester, ont suffi à me faire sortir du film. Le rythme retombe tout d’un coup, aucun membre de la famille Chichester ne parvient à nous amuser, et heureusement que la comédie sentimentale se met très vite en place et que Marion Davies sauve l’affaire pour remédier à cette affreuse rencontre avec les Chichester… Leonard ne sait pas alterner les rythmes pour la comédie (comme dans Marianne). Il joue très bien sa partition en accélérant comme il faut dans les scènes sentimentales, puis ralentir tout à coup le rythme pour accentuer la tension, mais dans les scènes de mise en place, presque inspirée du vaudeville (ou comme un Capra, façon Vous ne l’emporterez pas avec vous), ça s’éternise comme dans un mauvais soap.

Son découpage technique en revanche est parfait (ça ne trompe pas sur sa capacité à diriger des films comme il le prouvera par la suite).

Les valeurs du film sont charmantes (on comprend qu’elles aient pu séduire Vidor pour la première adaptation) : le mépris de la quête de l’argent et de l’individualisme, l’amour du prochain… Autant de bons sentiments qui feraient probablement vomir Ayn Rand. Ça commence par tout un village irlandais commémorant en chanson le départ de Peg ; et ça se termine de la même façon avant que le beau de Peg sorte à son tour les violons pour lui révéler que c’est elle qu’il aime… Le lyrisme triomphant fêtant les valeurs optimistes du partage familiale et communautaire qui, de Capra à Lucas, marque si bien l’esprit américain. Gary Cooper peut réciter les mots de Ayn, et Capra peut tout autant inspirer le même élan individualiste dans d’autres films (que La vie est belle), mais un peu de miel qui dégouline, c’est toujours aussi bon quand ça coule sur des plaies issues du rejet de l’autre. Peg avait bien mérité un peu de réconfort après avoir affronté sans jamais s’effondrer au regard et aux mœurs compliqués des gens de la haute. Le miel vient toujours en récompense, non pour graisser les rouages d’une histoire.

À noter l’excellent travail d’« art direction » de Cedric Gibbons, l’un des créateurs de la qualité visuelle de la MGM. Il avait déjà papier glacé Marion Davis dans Quality Street et dans Une gamine charmante, et sera ensuite de toutes les grandes productions de la MGM des années Thalberg aux grandes heures du Technicolor. Je veux en tout cas le même service en argent, les mêmes rosiers, la même terrasse (qu’on retrouve dans Indiscrétions, toujours dirigé par Gibbons) et la même photographie capable de reproduire le même flou vitreux qui s’étale sur les bords de l’image lors des plans d’ensemble. C’est que j’aurais bien besoin de tout ça pour mon mariage avec Marion Davies. Mariage que j’annoncerai une fois retrouvé mon petit Rosebud atomique. Et si ce n’est assez pour convaincre des talents de décorateur du bonhomme, imaginons seulement, qu’en plus d’être également le papa de Oscar (la statuette), il a été marié, non pas à Marion — il la laisse à mes rêves de grandeurs — mais à Hazel Brooks (la bombe de Sang et Or) et à Dolores del Rio. (O’ My heart !…)

Peg o' My Heart, Robert Z. Leonard 1933 Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) (1)


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