The Power of Nightmares: The Rise of the Politics of Fear (2004)

Les apprentis sorciers

Note : 4 sur 5.

The Power of Nightmares

Année : 2004

Production : BBC

Une jolie illustration de ce que je développais dans « les totems de l’idéologie ».

Le meilleur moyen de s’attirer le suffrage des « siens », c’est de prétendre combattre un ennemi commun. Quand cet ennemi vient alors à disparaître (URSS), on explique que cette disparition est le fait de nos efforts. Et puis, quand on n’a plus d’ennemi, on s’évertue à en inventer un autre pour se présenter comme le(s) seul(s) capable(s) d’en repousser la menace.

Avant la chute de l’Union soviétique, on avait profité de la fin de la guerre pour le désigner comme ennemi (avant guerre, les USA se moquent pas mal des rouges). Après la victoire contre le nazisme, l’empire naissant américain mena ainsi une chasse aux sorcières désignant les Soviétiques comme les ennemis à la fois de l’extérieur et de l’intérieur, jusqu’à finalement, à force d’y croire, donner réellement corps à cet ennemi fantasmé (les réseaux d’espionnage soviétiques pouvaient certes être très vivaces dans le pays de l’Oncle Sam, comme ailleurs, mais de là à interférer fortement dans la politique domestique ou présenter une menace pour l’Amérique…).

Le documentaire décrit bien le processus de désignation d’un ennemi d’abord mal défini, son instrumentalisation, qui à force d’être identifié, désigné, nommé, finit par réellement prendre corps. Et comme les politiques se servent de ces menaces pour asseoir leur pouvoir et travailler finalement contre l’intérêt de leurs administrés ou l’intérêt commun. L’axe du mal… il commence en bas de chez soi.

Et on repart pour un tour avec la Chine et la Russie que les USA ne cessent de vouloir se représenter sous un angle maléfique. À force de s’inventer des ennemis, ils finissent par devenir bien réels. Ça ne légitime pas leur politique oppressive, voire expansionniste ou impérialiste des nouvelles puissances mentionnées, mais si on avait cherché à les incorporer plus tôt dans le jeu des nations sans avoir à craindre pour son hégémonie, ceux-là auraient peut-être pu se positionner autrement. La coopération appelle la coopération, la violence, appelle la violence ; le libéralisme économique, on n’en approuve pas toutes les règles que quand on en est le principal bénéficiaire ; on essaie de mener une politique étrangère juste et respectant un droit international et un multilatéralisme. Si on préfère les confrontations, attention à ne pas trop jouer avec le feu, parce qu’arrivera un jour où les USA finiront par perdre à ce petit jeu morbide en trouvant plus fort qu’eux.

Évidemment, se créer des ennemis de toutes pièces, ça permet aussi de ne pas lutter contre les menaces réelles qui planent au-dessus de nos têtes (réchauffement climatique, extinction massive des espèces, appauvrissement des populations, pandémies et détériorations de la qualité de vie, etc.).


 

The Power of Nightmares: The Rise of the Politics of Fear (2004) | BBC


Sur La Saveur des goûts amers :

Les totems de l’idéologie

Listes sur IMDb :

MyMovies : A-C+

Liens externes :


L’Intrus, Claire Denis (2004)

Cadavérique

Note : 1 sur 5.

L’Intrus

Année : 2004

Réalisation : Claire Denis

Avec : Michel Subor, Yekaterina Golubeva, Grégoire Colin, Béatrice Dalle, Bambou, Florence Loiret Caille

Le problème chez Claire Denis, c’est que le récit est tellement éclaté qu’on n’y comprend rien. Pire, on cesse très vite de chercher à y comprendre quelque chose. Les personnages auraient un quelconque charme, l’intrigue reposerait sur une introduction forte ayant donné l’élan et la direction du film, les images proposeraient autre chose qu’un grand vide ennuyeux, on le ferait peut-être encore cet effort, au bout d’une heure. Là, non, ça gonfle très vite, c’est sans charme, c’est creux, ça sonne même prétentieux parce que ça se donne des airs de film intimiste avec une distance forcée comme quand on cherche à reproduire les principes bressonniens de la narration. Mais si Bresson rêvait aussi d’une intrigue, dans l’idéal, dans laquelle on ne raconterait rien, il semblerait que Claire Denis ait pris ça au pied de la lettre et ait choisi de passer le pas la menant, et nous avec elle, vers le gouffre cotonneux espéré de Sonson.

Tout cela ressemble en fait fort à un cadavre exquis monté avec des éléments forcément épars d’une histoire dont on voudrait nous faire croire qu’elle repose sur quelque chose de tangible. Et pour nous le prouver, à la toute fin, on nous précise qu’évidemment, cette histoire est adaptée d’un roman qu’il nous restera plus qu’à nous procurer et à lire pour comprendre le fin mot de l’histoire. Certains cinéastes assurent la prévente de leur film, et peut-être même un peu le service après-vente pour en donner toutes les ficelles. Sauf que là, on nous pond carrément le manuel à lire au bout du chemin, du supplice même. Ce n’est pas un film, c’est deux heures de bande-annonce pour un roman dont on se fout pas mal. Depuis quand on paie la publicité ?

Le plus terrible, enfin plutôt le plus désagréable pour un spectateur, c’est bien que s’il ne capte rien d’un film de Kubrick ou de Tarkovski, il peut toujours reporter son attention sur le décor, les jolies images, la musique, les cadrages savants, les mouvements d’appareils, bref, tout ce qui fait le cinéma, en dehors d’une trame dramatique qui est comme le trognon de pomme bouffé au jardin d’Eden et qui n’a pas pris une ride depuis la nuit des temps : éternel. Claire Denis, elle, elle se fout du cinéma, tout au plus s’intéresse-t-elle au montage, puisque son cinéma ce n’est que ça, un montage de séquences filées avec un élastique électro-quantique, mais surtout, le trognon de pomme dramatique, ce qu’on tient en héritage des vieux Cro-Magnon qui savaient se la raconter et qui reste le cœur de tous les récits, ben elle en fait un carpaccio d’une matière indéfinissable et qui coupée ainsi en petites rondelles, bien présentée, laisse penser que ça pourrait être comestible. Aucune chair, le fruit est mort, tout ridé, oxydé, moisi, ne reste que l’indésirable, mais Claire Denis insiste pour nous le monter et nous le faire avaler en prétendant qu’on saurait y comprendre quelque chose.

Faudrait pas nous faire avaler n’importe quoi.

Au fond, le cinéma de Claire Denis se résume très bien par une réplique. Il y en a peu dans son cinéma. C’est un cinéma d’atmosphère poussive, de musique dissonante, et encore et toujours de montage. Et elle a raison sans doute au moins ici de nous priver de ses talents de dialoguiste et de direction d’acteurs, parce que le peu qu’on en voit, ce n’est peut-être pas du niveau du trognon de pomme découpé en carpaccio mais c’en n’est pas loin. Une réplique dit donc à elle seule tout le cinéma de Claire Denis : « Je te fais un verre d’eau. »

« Je te fais un verre d’eau »… Je t’offre un verre d’eau peut-être (avec l’accent alors) ? Non, je te fais un verre d’eau. C’est français, du moins ça y ressemble un peu, la conjugaison est là comme ces films disposent de séquences et de plans montés, mais il y a comme un truc qui cloche. « Je te fais un café » ? Ah oui, là aussi, ça voudrait dire quelque chose. Mais non. « Je te fais un verre d’eau ». L’intrigante révision de la langue et de ses mystères passés à la hacheuse de Claire pour en faire son précieux carpaccio indigeste. C’est bien un cadavre exquis. On mêle des mots pour faire des phrases comme on aligne des plans en s’imaginant que le spectateur se tapera le boulot de digestion, et à la fin, voilà ! Ça ne veut rien dire, c’est indigeste, mais c’est exquis.

On est bonne poire quand même.

(Quoi que. Pour un dimanche soir, grande salle à la Cinémathèque, et ça n’a jamais été aussi désert. La haute gastronomie ne fait pas recette.)


L’Intrus, Claire Denis 2004 | Ognon Pictures, Arte


Liens externes :


Love Batterfield, Pou-Soi Cheang (2004)

Love Batterfield

Ai zuozhanAnnée : 2004

7/10 IMDb

 

Réalisation :

Pou-Soi Cheang

Chef-d’œuvre de mauvais goût, la sobriété d’un Titus Andronicus, et une fin qui remporte la médaille du capillotractage.

On navigue entre nanar et bon polar, comme entre les genres, du petit drame sentimental au premier ou au second degré (les écarts hystériques de la séparation sont bien vus, avec les glissements d’un sujet à un autre, et l’irrémédiable perte de l’autre qui vous crache tout un ressentiment jamais exprimé en une seconde). Le passage vers le polar est assez surprenant et plutôt réussi. La cohabitation entre les genres à ce moment est amusante et rarement vue. Et puis vers la fin ça commence à partir joyeusement en sucette. Le Grand Guignol s’invite à la fête avant que ça finisse sur une séquence qu’il vaudrait mieux prendre au second degré comme certaines scènes du Syndicat du crime. Puis on retourne une dernière fois au drame sentimental et ses invraisemblances rien que pour remplir la section Goofs sur IMDb.

Le scénariste et la script-girl ont dû se séparer au moment du tournage, je ne vois pas d’autres possibilités.


 

Love Batterfield, Pou-Soi Cheang 2004 Ai zuozhan | Beijing Film Studio, Mei Ah Films Production Co. Ltd., Singing Horse Productions, Xi An Mei Ah Culture Communication Limited


Innocence, Lucile Hadzihalilovic (2004)

Pique-nique en uniforme

Note : 2.5 sur 5.

Innocence

Année : 2004

Réalisation : Lucile Hadzihalilovic

Avec : Zoé Auclair, Lea Bridarolli, Bérangère Haubruge, Marion Cotillard

Tellement grossier, jouant sur des clichés, ça a vite fini par me gonfler.

C’est adapté d’une nouvelle du type qui semble avoir été très apprécié des tenants de la psychanalyse, avec son Éveil du printemps. Je n’ai cessé de penser à d’autres films pendant la projection qui justement à travers des thèmes mystico-psychologiques pouvaient rester fascinants pour des spectateurs comme moi : Pique-nique à Hanging Rock (un peu sur le même sujet, la découverte ou la transformation du corps féminin, la perte de l’innocence, etc.) et Le Plongeon. Ce dernier propose, de ce que j’ai compris, parfois des interprétations à la fois mythologiques et psychologiques (voire psychanalytiques), mais on peut tout autant le voir comme un film absurde à la En attendant Godot, autrement dit « pourquoi on attend Godot » (l’interprétation, la finalité, le pourquoi), on s’en tape, ce qui compte, c’est la manière, le chemin, ce qu’il y a entre les lignes (donc dans Le Plongeon, si certains s’évertuent à expliquer la symbolique derrière le fait de rentrer chez soi en utilisant une piscine puis une autre et encore une autre), et donc les différentes rencontres que le personnage fait, la cohérence… psychologique non forcée (permettant de ne pas souligner ce que certains iraient bien vite interpréter, donc en ne faisant que suggérer certains états, en restant dans le flou).

C’est tout ce que la réalisatrice est incapable de faire. Mais moi je m’attache principalement à ça parce que ce que j’ai cru comprendre du “discours” derrière, ça m’a semblé grossier, surligné, rempli de trop d’évidences, dans le seul but d’enfoncer toujours des portes ouvertes. Ça se présente un peu comme un thriller (le côté rigide des maisons de jeunes filles, mais ici avec le côté shyamalanesque du Village perdu dans les bois, isolé de tous) et ça en devient franchement énervant de voir tout le film depuis la première séquence et de ne jamais voir une seule séquence s’écarter du chemin attendu. Il y a certes un petit côté circulaire (prévisible donc) assumé, mais l’évidence de la trajectoire tue un peu le plaisir (alors que dans le Plongeon encore une fois, l’intérêt est sans cesse réanimé par des rencontres).

Pour un film jouant sur le mystère, l’absence presque totale de musique paraît un peu étrange… C’est une sorte de conte (sinon ce ne serait pas aussi grossier), mais traité de manière naturaliste. Pourquoi pas, ce n’est pas d’ailleurs le pire dans le film, mais la maîtrise est tellement hasardeuse et le script tellement vilain que ça lasse, et que tout le crédit qu’on avait envie de lui laisser au début du film, pffit, s’effrite très vite.

Amusant, le film fonctionne un peu de la même manière que Jeunes Filles en uniforme, avec une représentation finale… (Quand on s’ennuie, on n’en est réduit parfois à tracer des raccourcis vers nos vieux sentiers préférés.)


Innocence, Lucile Hadzihalilovic 2004 | Ex Nihilo, Ateliers de Baere, Blue Light


Liens externes :


Locataires, Kim Ki-duk (2004)

… … …

Bin-jip Année : 2004

Réalisation :

Kim Ki-duk

8/10  IMDb

Vu en août 2009

— TOP FILMS —

Top films coréens

Listes sur IMDb :

Limguela top films

MyMovies: A-C+

(Puisque je n’avais plus de mot après la vision de ce film, je partage les commentaires de ma petite sœur Titi. Son enthousiasme est un peu plus communicatif que le mien.)

Oh yoïyoï !…

Alors, si ça c’est pas un film magnifique ! C’est pas du Im Kwon-taek, c’est encore moins bavard…

Ah nan, purée c’est trop bon un truc comme ça, ça donne envie de se taire et de respirer le silence qu’il y a entre les touches de mon clavier.

……

AHHHHHHHHHHHHHH ! J’ai envie de pleurer tellement c’est bô !

Le plus grand film muet de tous les temps !

Ah, la, la… ce réalisateur coréen, il a un jardin japonais dans le cœur…

Pff, alors des films comme ça en France, depuis la fin de Bresson, j’attends toujours… On aime bien blablater parce que, vexés de ne pas avoir inventé le cinéma parlant, il a fallu qu’on invente le cinéma blabla… pfff… Eh ben voilà, le cinéma maintenant, celui des images, des actions, des mythes, ça fait quinze ans qu’il est en Asie.

À partir de maintenant je m’appelle Lim Gwoan-Taek !

(rah, cette chute !… bon d’accord, je n’ai pas de petite sœur Titi, mais parfois, on a envie de serrer les coudes et de trépigner comme un idiot.)


Locataires, Kim Ki-duk 2004 Bin-jip | Kim Ki-Duk Film, Cineclick Asia, Happinet Pictures


La Passion du Christ, Mel Gibson (2004)

Seul au monde

La Passion du Christ

Note : 4 sur 5.

Titre original : The Passion of the Christ

Année : 2004

Réalisation : Mel Gibson

Avec : Jim Caviezel, Monica Bellucci, Maia Morgenstern

— TOP FILMS

Ce qui me plaît dans les films de Mel Gibson, c’est qu’il possède un grand sens des ambiances. C’est un peu le même film que Apocalypto sur ce plan. La dramaturgie est nulle, inexistante, puisqu’il ne s’agit au fond qu’un long plan-séquence purement descriptif (sans problématique), avec des flashbacks de temps à autre. L’épure du récit à son maximum (oui écrire « épure » au milieu de toute cette hémoglobine, ça fait bizarre). L’accent est porté sur la mise en scène, comme une chorégraphie : c’est la Passion du Christ, comme ça pourrait être autre chose… comme… la capture, puis la fuite d’un Inca.

Tout l’intérêt réside donc dans cette mise en forme d’un sujet qui n’est jamais qu’une fuite. Chez Mel Gibson, ça passe par un naturalisme violent, cru et lyrique… Il y a un ton, une couleur Gibson, qui lui est propre (mais qui tâche). Rien que ça, à l’heure où tous les films se ressemblent, c’est quelque chose de précieux.

Une œuvre tellement (et uniquement) formelle que les critiques étaient bien embarrassées. Disserter sur la forme, ce n’est pas leur fort, donc on a vu naître une polémique comme quoi le brave petit Gibson (fils de pasteur d’une mystérieuse secte cryptonienne) était antisémite… Tout ça parce que les Juifs ne sont pas vraiment épargnés dans sa version des derniers jours du Christ… Ben oui, il reprend ce qui est écrit dans la Bible. Ce n’est tout de même pas Gibson qui a inventé le fait que quand Pilate propose au peuple d’épargner Barrabas, le méchant, ou Jésus, le prophète, les Juifs décident de sauver le premier… Dès qu’on montre un Noir ou un Juif (ou j’imagine un nain, un handicapé ou qui sais-je encore), sous son mauvais jour, on se fait immédiatement traiter de gros raciste. Le film est vide de propos, c’est une chorégraphie, un ballet sanglant, une corrida, un bizutage bon enfant…

La Passion du Christ, Mel Gibson (2004) | Icon Productions

Ah, si, il y a bien quelque chose d’un peu douteux… (je me rebiffe attention, Mel) C’est ce personnage tout droit sorti de la Guerre des étoiles, dont on ne saura jamais qui il est… Il a la gueule du méchant dans le Da Vinci Code (d’ailleurs c’est peut-être lui, il doit être immortel). Il rôde… comme la mort ou un petit-gris atomique. Et puis il y a cette fin de la résurrection à mourir de rire. Le Nouveau Testament, c’est un mélange de philo et de SF, mais l’image pompée au Retour du Jedi quand le linceul retombe avec plus rien qu’il y a dedans, non Mel, non… Et puis Jésus à poil qui apparaît tel le terminator avec le gros plan sur le trou dans sa main (j’ai même cru voir un boulon, mais je n’ai pas vu des fils ou des étincelles…), on croirait un vrai cyborg, ce Jésus… Encore heureux qu’il ne nous ait pas fait un coup à la Seigneur des anneaux : Gandalf le gris devenant Gandalf le Blanc à la chevelure décolorée… C’est tout de même assez ridicule comme fin… Si l’idée est de rapprocher cette résurrection de toutes les autres dans les mythes qui suivront, ce n’est pas idiot, seulement un ballet se doit de rester muet et insignifiant jusqu’à la fin. Ça laisse penser qu’il y aura une suite : Jésus Christ : Le Retour de la créature au superpouvoir. Il revient, encore plus gentil qu’avant, venir embrasser tous les Juifs et les Romains sur la joue ! tou doudou toutou… Et le titre qui fait peur : PÂQUES ! Par le réalisateur de la Passion du Christ

Sinon, si, si, j’assume, j’ai beaucoup aimé. Le seul miracle dans cette belle histoire, c’est qu’un personnage de grand-guignol ait pu être le déclencheur d’un tel dévouement religieux. Mel au moins a le mérite de remettre les poings sur les i et les clous sur la croix.



Sur La Saveur des goûts amers :

— TOP FILMS

Listes sur IMDb :

Limguela top films

MyMovies: A-C+

Liens externes :


Collision, Paul Haggis (2004)

Les Dix Engeances

Collision

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Crash

Année : 2004

Réalisation : Paul Haggis

Avec : Don Cheadle, Sandra Bullock, Karina Arroyave, Thandie Newton, Matt Dillon, Michael Peña, Ryan Phillippe

(Crash en anglais… Merci encore aux distributeurs, obligés de traduire un titre déjà existant pour éviter les confusions… Le film de Cronenberg est connu aux USA, l’auteur du film sait ce qu’il fait…).

Un peu déçu. Ça commence très bien. La volonté de proposer un film sur les apparences, ça semble être une intention louable et prometteuse. Sauf que bien vite, les pseudos méchants deviennent des bons gentils… Tout le monde, il est beau tout le monde il est gentil, on ne froisse personne, on donne à ces destins croisés un semblant de point commun, comme s’il y avait un sens caché derrière tout cela, une même morale. C’est surtout d’une grande maladresse, parce que si morale il y a, ce n’est pas celle présentée au début du film, c’est-à-dire « attention aux apparences » ; ce seraient plutôt, « les méchants, ils sont méchants, mais ce n’est pas leurs fautes, et au final, il leur arrive parfois aussi d’être bons ; d’ailleurs aux gentils aussi, ça leur arrive de faire des conneries… » Une morale de pleurnichard, une réserve qui contente tout le monde. En voulant dénoncer les idées reçues, les clichés, le film ne fait que les accentuer et en créer de nouveaux. Vouloir ne froisser personne, tendre la main aux Noirs pour leur dire avec la voix du bon Blanc : « ce n’est pas de votre faute, si vous êtes des criminels, d’ailleurs je sais bien qu’il y a beaucoup de Noirs gentils et des Blancs méchants », c’est au choix hypocrite ou d’une grande maladresse.

L’auteur du film voulait peut-être donner à réfléchir. Pour ça, il a réussi, mais le problème c’est qu’il ne donne pas à réfléchir sur la société, les ségrégations, le comportement de chacun, la discrimination positive… il donne surtout à réfléchir sur les imperfections de son film, et là, ça devient ballot.

Dommage, le début était ambitieux. Les situations étaient intéressantes, les conflits promettaient de belles choses, et finalement tout ça se dégonfle et ça devient creux. Une histoire, elle, doit trouver un dénouement, un climax, à la fin, dans un dernier acte de confrontation ; si tout est dit au bout de vingt minutes, si le reste ne sert plus qu’à faire des images au ralenti avec une musique pompeuse, ça n’a aucun sens.

Collision / Crash, Paul Haggis (2004) | Bob Yari Productions, DEJ Productions, Blackfriars Bridge Films

Reste une belle mise en scène, une galerie d’acteurs en vogue, et des situations qui, prisent séparément, pourraient être, elles, significatives… Par exemple quand une « Asiatique » accourt dans les couloirs d’un hôpital en criant en chinois. Une infirmière vient à elle en lui demandant si elle sait parler autre chose que le chinois, l’autre lui répond : « Mais je ne parle pas chinois ! c’est le nom de mon mari ! » Aïe, aïe, aïe !… Ou dans le même genre quand une autre se fait traiter de Mexicaine et qui rappelle à un Noir que tous les Hispaniques ne sont pas des Mexicains… Ou encore quand le bon Blanc, qui vient toujours à la rescousse de ces pauvres Noirs, ne croit pas un Noir qu’il vient de prendre gracieusement en stop (pour prouver sans doute qu’il n’a pas peur des Noirs) quand celui-ci lui dit aimer la culture des Blancs, et qu’il finit par lui tirer une balle parce qu’il croyait qu’il se foutait de sa gueule… Prises séparément, ces scènes valent le coup. C’est l’ensemble qui forme une sorte de puzzle inachevé, un peu forcé, et plutôt forcé vers le politiquement correct, comme si on était obligé de raboter les pièces pour qu’elles s’emboîtent… Ce qui aurait dû claquer comme une évidence devient finalement suspect. Et c’est là que ça devient embarrassant. Parce que les apparences demeurent.

C’est bien de vouloir faire des films intelligents ; c’est mieux d’en être capable. Certains Ricains (remarquez le « certains » pour éviter le cliché de généralité) ont une fâcheuse tendance à tomber, à se réfugier, à s’engouffrer, dans le pathos à deux balles ou dans les bonnes intentions cramées dès qu’une péripétie malheureuse se produit dans l’histoire… Des Matamore de la manivelle… On ne souligne pas le trait, on le dynamite.



Listes sur IMDb :

MyMovies: A-C+

Liens externes :


Windstruck, Kwak Jae-yong (2004)

Ressassée Girl

Windstruck

Note : 3 sur 5.

Titre original : Nae yeojachingureul sogae habnida

Année : 2004

Réalisation : Kwak Jae-yong

Dans Windstruck, Kwak Jae-young oublie le cœur de ce qui faisait le succès de My Sassy Girl : le mélange de genres. C’est assez casse-gueule, il faut de l’audace, et un vrai savoir-faire dans la mise en proportion de chacun des éléments. Et quand ça marche, ça fait souvent mouche. Quand on essaie, sans maîtrise, ça fait plutôt pschitt.

Or, ici, on n’a rien de plus qu’un film sentimentaliste. Il y a bien sûr des passages comiques, il en faut bien dans ce genre de films, mais c’est loin des scènes déjantées, burlesques de My Sassy Girl. Le petit côté Et si c’était vrai ou Ghost qui pue le gnangnan.

Et puis en voyant cette fin, on se rend compte que dans My Sassy Girl, ce n’était pas seulement la fille qui faisait la réussite du film, mais bien également l’acteur, qui n’a rien (tout comme elle, c’est le moins qu’on puisse dire, pourtant, c’est la même actrice) d’un personnage de mélo. Il avait la tête dans la lune, pas franchement beau, et avait l’air toujours étonné voire stupide. C’est ce qui était rafraîchissant et original dans ce film… Là, on dirait que ça a été passé au broyeur du politiquement correct.

Windstruck, Kwak Jae-yong (2004) | Edko Films, Surprises Ltd., i Film Co. Ltd

Même la fille paraît moins jolie. Quand elle est triste, on se met à remarquer le petit grain de beauté qu’elle a sur le nez et ça la fait loucher ─ et nous aussi (on lorgne son visage tour à tour souriant et timide, faussement méchant et franchement ému mais pas mièvre, de My Sassy Girl). Or, à l’instar d’un film comme Love Exposure, ou d’un manga comme GTO, ce qui plaît, c’est le côté rock’n’roll, potache, voire franchement décérébré, excessif, ou obsessionnel des personnages. Des personnages qui seraient insupportables dans la vraie vie, mais qui parce qu’ils représentent des monstres, des bêtes curieuses au cinéma, sont plaisants à voir évoluer. On ne sait jamais ce qu’ils iront inventer encore de stupide. Le contrepoint parfait à toute la guimauve habituelle d’un mélo.

Le fait d’en faire une policière n’est pas une bonne idée. Un peu ton sur ton. Kwak Jae-young voulait sans doute faire un hommage à son personnage de Sassy Girl en reprenant son côté autoritaire et insolent, mais justement, elle y perd tout son charme. On pouvait y croire parce qu’elle était fragilisée dans My Sassy Girl, au bord de la rupture ; et cette agressivité était compréhensible. Comme un appel à l’aide. Une nouvelle fois, la clé devait être ici dans le mélange des genres. Faire d’un flic un personnage autoritaire, où est l’audace ? Où est le relief ? Il n’a retenu du premier, formidable mélo, que la fille avait une certaine autorité, mais qu’elle était aussi vulgaire.

Kwak Jae-young a trop bien entendu les critiques. Et à mon sens, elles n’étaient pas légitimes. Preuve sans doute que ce premier opus était un de ces films à succès qui doivent tout au hasard. Une alchimie sans contrôle. En entendant les critiques, Kwak Jae-young n’a pas saisi ce qui faisait le charme de son film pour ceux qui n’émettaient aucune critique à son égard. Les excès étaient une force, un exutoire cathartique. Ce qu’on se refuse à faire ou à admirer dans la vraie vie, on se plaisait à le voir. Mieux, quand on commence une relation de la pire des manières, on ne peut tomber plus bas, et le film ne cessait d’élever son niveau, et notre plaisir avec, jusqu’à ce final inattendu. C’est une chose bien connue : les liens ne se resserrent jamais que dans les situations les plus extrêmes. Je ne dis pas que chacun rêve de tomber sur une fille lui ayant vomi dessus et passant les premières heures à meugler, mais au moins au cinéma, si on arrive à ne pas rendre antipathique les personnages, si on arrive à mettre en évidence une faille qui déclenchera notre pitié ou notre sympathie, tout le reste quand il faudra remonter la pente, n’est que du bonheur. Parce qu’on a déjà vu les personnages dans les pires situations possibles, et c’est en général ce qui nous permet de nous attacher à eux. Quand on donne au contraire tous les éléments en main au spectateur dès le début, quand les situations sont presque statiques, que les personnages sont rigides et sans faille, sans défaut, on peine à trouver du plaisir.

Dans Sassy Girl, le rapport ambigu entre les deux personnages (ensemble sans être ensemble) apportait un plus dans le développement du récit. Il y avait comme un suspense, une attente. On cherchait à comprendre ce qui pouvait clocher maintenant qu’ils semblaient sortir de ce début épouvantable. Or dans ce « Wind-suck », au bout d’un quart d’heure, ils sont ensemble… Ça tue toute magie.

Le mélange de genres, je l’ai déjà dit, est assez casse-gueule. Un film burlesque sentimental, ça peut passer, parce que ce n’est que le grossissement de quelque chose qui existe déjà (la comédie sentimentale — dont la screwball était déjà une variante poussée). Mais le polar sentimental ?… Rien que de le dire, ça fait sourire. Le grand écart est trop grand.

Le fait de vouloir faire sans cesse référence à My Sassy Girl, c’est déjà un aveu d’échec. Ça expose à des critiques comme celle-ci. C’est déjà dire qu’il ne fera pas mieux. Un film de fan qui ne parvient pas à s’émanciper de l’influence de son grand frère… De fan oui. Un peu comme l’enfant qui produit malgré lui un lazzi qui fait sourire les adultes, et qui s’amuse, sans pourtant comprendre les raisons de cet amusement, à reproduire ce lazzi à l’infini en espérant contenter les adultes. On a aimé ce que j’ai fait, je n’ai aucune idée de ce que ça peut être, mais puisque ça a plu, je vais le reproduire… Oui allez, au pot Jae-Jae ! (c’est d’ailleurs ce qu’il semble avoir fait avec ses autres films…)



Liens externes :


Hôtel Rwanda, Terry George (2004)

De la nécessité d’étiqueter

Hôtel Rwanda

Note : 3.5 sur 5.

Année : 2004

Réalisation : Terry George

Avec : Don Cheadle, Sophie Okonedo, Joaquin Phoenix

Un peu tire-larmes, mais c’est pour la bonne cause. Pour en savoir un peu plus sur ce qui s’est passé pendant le génocide…

Au début, on est un peu agacé par l’accent de Don Cheadle, et puis finalement, on n’a pas le choix, on s’y fait.

On apprend donc très vite que la rivalité entre Hutu et Tutsi a été créée de toutes pièces par les colons belges qui ont décidé de délimiter les Rwandais en deux camps. Un peu comme ce qui s’est passé avec l’Inde et le Pakistan, sauf que là-bas, on les a différenciés sur des identités religieuses. Au Rwanda, les Belges, les ont différenciés sur des critères physiques : les grands d’un côté et les petits de l’autre, pour former les Hutus puis les Tutsis, ces derniers étant les préférés des colons belges… Et voilà comment du racisme, engendre de l’injustice et à nouveau engendre… du racisme…

En fait, c’est un peu comme si on séparait ceux qui ont les cheveux bouclés et ceux qui les ont lisses… Les enfants n’ayant pas forcément les mêmes critères esthétiques que leurs parents, impossibles de déterminer qui est quoi, vu qu’ils ont la même langue et ont la même culture, bref, c’est à l’origine une ethnie identique…

Voilà pour la première phase absurde. Ensuite, c’est une phase surréaliste, où comme le personnage principal, on voit venir, mais on n’y croit pas. En fait, tout est parti d’un animateur radio qui lançait les ordres à travers son émission, sa voix était comme une sorte de voix tombant du ciel (ou d’outre-tombe) qui animait le désir de revanche des Hutus, attisait la haine, et même donc, donnait les ordres d’exécution, parfois avec une précision diabolique ! La voix du diable… Dans un film, ça aurait été gros, mais non, c’est la vérité…

Hôtel Rwanda, Terry George (2004) | United Artists, Lions Gate Films, Industrial Development Corporation of South Africa

Le film prend le parti de s’attacher au destin de ce « juste » Hutu, directeur d’un hôtel de haut standing, qui est un peu contraint, au moins au début, de réfugier des Tutsis. Lui, tout ce qu’il veut c’est protéger sa femme tutsie, mais elle ne veut pas laisser sa famille…

Le plus ignoble, c’est de voir le désintérêt des pays occidentaux dès que les massacres commencent, puisque très vite, ils décident de partir, ne laissant plus qu’un ou deux casques bleus… — Bien sûr, pas de pétrole au Rwanda, ni même de café, de chocolat, d’or, rien.

Les scènes surréalistes et tire-larmes se succèdent, avec la super musique en toile de fond et un dénouement des plus heureux — pour nos héros (morale bien américaine où dans les films catastrophe le labrador à la fin de nos héros est retrouvé, et où en Afrique, deux ou trois enfants, valent bien un chien… — le plaisir cathartique du spectateur est sauf !).

Bref, tout ça est tout de même bien flippant.

C’est bien gentil de vouloir mettre des étiquettes sur chacun, comme si on était des pots de yaourt. C’est pratique, c’est sécurisant, on a l’impression comme avec un yaourt que puisqu’on sait que c’est un yaourt à la fraise, on aura moins de chance d’avoir de mauvaises surprises que s’il n’était pas étiqueté et qu’on ne savait pas à l’avance sur quoi tomber.

Réclamez à votre grande surface la mise en place de yaourts-surprises : ce qu’on veut c’est manger du yaourt, au fond le parfum on s’en moque… (sauf pour les yaourts goût cerise, ceux-là, on peut les exterminer — faire un génocerise vite et massif).



Liens externes :


Le Marchand de Venise, Michael Radford (2004)

Une histoire de dette qui coûte chair

Le Marchand de Venise

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Merchant of Venice

Année : 2004

Réalisation : Michael Radford

Avec : Al Pacino, Lynn Collins, Jeremy Irons, Joseph Fiennes

Al Pacino en Shylock, ça fait rêver.

Ce n’était pas ma pièce préférée du dramaturge anglais quand j’étais adolescent, mais finalement, quand on y comprend quelque chose, c’est passionnant…

Le problème de la pièce, c’est que ça part dans tous les sens, il n’y a aucune unité d’action. Et en fait, on ne comprend qu’à la fin où veut en venir Shakespeare puisque les deux actions principales s’achèvent, et elles ont une thématique commune. En gros, faire des serments, des promesses, prendre des engagements, ce n’est pas bien… Parce que d’un côté, on a Shylock qui a passé un accord avec Antonio, un accord des plus étranges parce qu’il stipule que si Antonio ne rembourse pas une somme due à telle date, l’usurier juif pourra prendre en compensation une livre de chair ; et de l’autre, Portia qui veut éprouver la loyauté de son mari qui lui a… promis de ne jamais se séparer de son anneau de mariage… (L’île de la tentation avant l’heure — ou la crise de la dette, c’est selon).

D’ailleurs, j’émets une hypothèse : on n’a jamais su si Shakespeare avait réellement écrit ses pièces puisqu’on n’a pas de manuscrit et sa biographie est très incomplète… Et là, en voyant encore une fois une femme (Portia) qui a le beau rôle, qui fait tourner en bourrique son mari, et surtout qui mène tout le procès à elle seule alors qu’elle s’est déguisée en homme, on peut réellement se demander si ces pièces ne sont pas écrites par une femme. Ce serait d’ailleurs ironique de voir une Madame Shakespeare elle-même déguisée en homme à cette époque où, au théâtre, tous les rôles de femmes étaient tenus par des hommes… Portia était donc jouée par un homme qui jouait une femme travestie en homme ; mais si en plus, on imagine que Shakespeare elle-même jouait ce rôle de Portia, alors ça reviendrait à supposer qu’une femme jouait un homme interprétant une femme travestie en homme… D’accord j’arrête.

Que ce soit un travesti ou un hermaphrodite que ça ne m’étonnerait pas non plus… Ce serait son côté « ambisexualité »… Oui, on trouve toujours une chose et son contraire dans ses pièces. Tout est toujours extrême mais un même temps, indéfinissable : il est capable de faire des pièces romantiques comme des pièces effroyablement barbares, les personnages ont toujours une dualité qui les laisse dans le flou (Hamlet joue les fous, mais finalement n’est-il pas réellement dingue ? Y a-t-il de l’antisémitisme dans le Marchand de Venise ? Falstaff, gentil ou méchant ?… Et même… Shakespeare a-t-il écrit toutes ses pièces ? Était-il une femme ou un homme ?). C’est ça le génie…

Sinon, le film ? Il est bien.


Le Marchand de Venise, Michael Radford (2004) Movision, Avenue Pictures, UK Film Council


Liens externes :