Portier de nuit, Liliana Cavani (1974)

Note : 3.5 sur 5.

Portier de nuit

Titre original : Il portiere di notte

Année : 1974

Réalisation : Liliana Cavani

Avec : Dirk Bogarde, Charlotte Rampling, Philippe Leroy, Isa Miranda

Bluffé pendant une bonne partie du film. Si le scénario n’est pas sans défauts, la mise en scène est souvent remarquable. On sent malgré tout une grosse (voire trop grosse) influence de Visconti (Mort à Venise notamment, avec des zooms, une caméra mobile sur axe, des séquences qui semblent même chercher à reproduire certaines ambiances), et des détails, des choix, qui séparent les metteurs en scène de talent et les génies.

J’étais tout à fait prêt à me satisfaire de cette proximité assumée, malgré un sujet plutôt glauque, mais bien amené, une sorte de Salo qui ne donne pas envie d’aller vomir ; le film proposait, en tout cas au début, une vraie opposition, fascinante, allant crescendo en comprenant ce qui lie les personnages et ce qu’ils sont prêts à accepter l’un de l’autre ; et puis, la longue séquestration occupant pour ainsi dire tout le troisième acte, trop répétitif, attendu, sans plus aucune révélation qui jusque-là nourrissait notre attention… Tout ça fait que le film s’essouffle jusqu’à s’effondrer dans son finale.

Ce qui reste brillant même dans ces excès, ce sont ces acteurs au-dessus de tout : Dirk Bogarde, comme à son habitude (ce n’est pas un acteur qui vous plonge dans une sympathie folle, il peut parfois proposer des expressions superflues — il commente ce qu’il fait, ce que son personnage est censé penser —, mais il est précis, juste et donne pas mal à voir), et Charlotte Rampling est époustouflante dans un rôle où le moindre excès peut vous décrédibiliser pour longtemps, et qui au contraire, se met à nu et se donne à un niveau auquel peu d’actrices pourraient s’élever (pourtant elle non plus ne m’inspire pas la plus grande des sympathies).

Portier de nuit, Liliana Cavani (1974) | Lotar Film Productions


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Je, tu, il, elle, Chantal Akerman (1974)

Je, Tu, Il, Elle

Je, Tu, Il, Elle Année : 1974

3/10 IMDb

Réalisation :

Chantal Akerman

Avec :

Chantal Akerman, Niels Arestrup, Claire Wauthion

Une histoire du cinéma français

J’en viendrais presque à apprécier plus l’actrice Akerman que la réalisatrice. Une réelle fantaisie dans le regard qui ne se décèle pas toujours dans son cinéma, et le charme fou, l’imprévisibilité des grands timides.

La forme toutefois me laisse complètement froid. La première partie est une expérimentation naïve et maladroite (on pense à Un homme qui dort, sorti la même année). La seconde est toute dédiée au talent de Niels Arestrup, qui se défend pas mal en improvisation, mais Akerman gère mal la chose en demandant à son acteur de faire semblant de conduire un camion par exemple. Quant à la troisième partie, elle est sans intérêt, bêtement provocante et mal interprétée (Akerman d’ailleurs reprend son actrice de L’Enfant aimé, et on sent que tout ça formera la soupe de Jeanne, on l’y voyait déjà préparer pendant une heure un plat de riz à sa fille).


 

Je, tu, il, elle, Chantal Akerman (1974) | Paradise Films


Mes petites amoureuses, Jean Eustache (1974)

Les demoiselles des bois de Narbonne

Note : 4 sur 5.

Mes petites amoureuses

Année : 1974

Réalisation : Jean Eustache

Avec : Ingrid Craven, Maurice Pialat, Des gosses

On peut s’étonner de voir à quel point le film marche autant avec une direction d’acteurs aussi calamiteuse. Il y a des tonalités, ou dans certaines circonstances de jeu, il faut bien le reconnaître, qui dans le faux permettent d’apporter une distance avec les personnages et de ne pas alors être submergé par l’impression fausse, là, de réalité. La réalité est un mirage, une quête sans fin et probablement un peu vaine au cinéma, et c’est vrai qu’on peut tout autant arriver à donner du sens, et même des émotions, en représentant à l’écran des pantins. L’art de la représentation s’est toujours accommodé de masques, des symboles figuratifs, de représentations parfois très codées pour identifier des caractères, des personnages, sans jamais se soucier de reconstituer l’apparence de la réalité. C’est bien le cinéma qui a rendu nécessaire cette quête illusoire du “naturel”.

Or parfois, quand cette quête est laissée de côté, on en vient à se demander si ce qui semble s’imposer à chaque auteur et spectateur d’aujourd’hui est bien nécessaire. Parce que le sens de la fable, lui, passe toujours ; et l’artifice (le faux de l’acteur mal digéré) n’altère en rien la logique du récit.

C’est ce que Bresson avait bien théorisé, et c’est un peu ce que Rohmer faisait malgré lui en faisant appel à des acteurs pas forcément toujours médiocres mais mal dirigés et incapables (qui le serait ?) de prononcer “naturellement” des dialogues loin de l’être.

Pour ne pas avoir revu la Maman et la Putain, et Une sale histoire étant précisément un exercice de style sur la reproduction du faux calqué sur le vrai et donc la performance d’un acteur (et de son modèle), je pourrais difficilement me faire une idée précise de la “méthode” de direction qu’aurait pu utiliser Eustache dans ses (rares) films narratifs. J’ai toutefois comme l’idée que son attention était ailleurs. L’interprétation, le rendu ou la performance des acteurs, il ne s’en préoccupait pas et laissait un peu à la Rohmer les interprètes réciter des répliques dépouillées d’indications de contextualisation et de toute psychologie. D’où l’étrange impression parfois qu’en jouant mal ces acteurs deviennent des pantins. Alors, c’est sans doute moins systématique (car moins théorique) que chez Bresson (Ingrid Craven et Maurice Pialat tentent, assez bien, d’injecter du “naturel” dans leur jeu), mais on y retrouve sans doute malgré lui l’effet d’un Rohmer réussi. Et la clé ici, chez Rohmer comme chez Eustache, c’est l’ironie. Rohmer est chiant quand il se prend au sérieux, Eustache, c’est la même chose. On est bien sûr loin du Grand Blond avec une chaussure noire. L’astuce dans l’affaire, c’est d’avoir des répliques drôles (ou des situations, mais c’est plus rare) exprimées par des acteurs sans la moindre expression ou avec au contraire des expressions tellement fausses qu’on ne peut y croire. Et aussi étrange que cela puisse paraître, utiliser des pantins, jouer sur l’artifice, permet de se concentrer sur le sens. Aucune psychologie, ou sommaire, tout passe par les mots.

Mes petites amoureuses, Jean Eustache (1974) | Elite Films, Gala

Autre raison pour laquelle le style Eustache fait mouche, c’est son incroyable concision et son sens de l’ellipse. Avec de mauvais acteurs, des enfants a fortiori, les longs passages dialogués passent mal. Ça tombe bien, Eustache n’en utilise pratiquement pas (le garçon doit avoir une tirade que le cinéaste lui fait lire sur un panneau…). Eustache semble donner des indications scéniques, déterminer les places, les mouvements, et tout se fait dans une mécanique assez peu naturelle. Mais tout s’enchaîne parfaitement, non pas naturellement, mais logiquement, comme une structure, un événement qui se compose minutieusement. Ça pourrait paraître scolaire, sauf que ça fait mouche, parce que les répliques visent juste (tout en étant exprimées de manière fausse), elles sont drôles. Et Eustache n’en rajoute pas : il coupe après deux ou trois répliques, rarement plus. Il se fout ainsi de la continuité temporelle des séquences, et l’ellipse colle le tout assez bien, toujours pour aller droit à l’essentiel. C’est bien cette capacité de tailler dans le vif et de se débarrasser du “naturel”, qui fait toute la saveur, presque la fascination et la charme, de ce film. Ce sont comme des natures mortes qui s’affrontent, ou se séduisent plus précisément, dans le film.

Pour le reste, il s’agit sans doute de souvenirs personnels d’Eustache. Une telle audace aurait peut-être été impossible sans cela. Non pas qu’il aille trop loin dans ses séquences (le sujet traite de l’éveil sexuel d’un jeune adolescent) mais il arrive justement à suggérer beaucoup sans avoir à trop en dire ou montrer. Et c’est souvent cru ou naïf (ce qu’ajoute d’ailleurs le fait d’utiliser une narration en off du jeune garçon).

La tonalité aussi, en dehors de l’humour pince-sans-rire, fascine plutôt, parce qu’on y retrouve une forme d’insolence sourde, souterraine, qui jaillit parfois quand on ne l’attend pas. On sentirait presque poindre une envie de révolte à la Antoine Doinel ou la bêtise de Lacombe Lucien, mais tout reste le plus souvent retenu. Un peu parce que le jeu est très mécanique, mais aussi parce qu’Eustache laisse rarement l’intensité monter (vu qu’il coupe rapidement et use d’ellipses). Au lieu de voir ainsi une intensité monter dans un même mouvement, Eustache procède par flashs, photogramme par photogramme presque. C’est encore le meilleur moyen d’être concis et de faire confiance à l’imagination et la compréhension du spectateur, mais il s’interdit aussi l’expression de cette insolence qu’on ne fait qu’entrapercevoir. En suggérant ainsi l’insolence contenue, en ne la laissant jamais prendre son élan et s’exprimer pleinement, c’est comme si Eustache nous invitait à réagir à la place des personnages. Procédé éprouvé qui peut sembler paradoxal : pour gagner en identification (aux personnages, à la situation, au sujet), on use de distanciation. La mécanique d’Eustache (dans son jeu et son montage) permet mine de rien à ce qu’on nous intéresse à ses personnages. Certaines femmes qui veulent séduire ne procèdent pas autrement qui pour attirer les hommes se montrent distantes… Ce n’est pas l’histoire qui vient vers le spectateur, c’est lui qui vient à elle. Tout un équilibre à trouver : être trop envahissant, c’est donner au spectateur l’impression qu’on l’agresse et lui force la main (et on le perd) ; être trop distant, sans avoir par ailleurs de quoi animer son intérêt, c’est presque le risque de le perdre pour de bon… L’art, c’est aussi (et surtout) séduire. Et Eustache, peut-être malgré lui, avait cela en lui. Il y a certains mystères, certaines alchimies qui échappent parfois aux auteurs qui les composent. C’est le cas de ces petites amoureuses.



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Et pourtant, je crois… Elem Klimov, Marlen Khoutsiev et Mikhail Romm (1974)

Premier maître

Note : 3 sur 5.

Et pourtant, je crois…

Titre original : I vsyo-taki ya veryu…

Année : 1974

Réalisation : Elem Klimov, Marlen Khoutsiev, Mikhail Romm

Le documentaire est réussi tant qu’il évoque l’absurdité des deux premières guerres mondiales, montrant par exemple très bien qu’à chaque fois elles sont menées et accueillies dans le plus grand enthousiasme. On ne comprend en effet pas l’histoire, si on présente les anciens opposants comme des monstres. Rappeler par exemple le danger du fascisme, aujourd’hui, en rappelant l’horreur du nazisme, laisserait un peu trop penser que les populations se sont laissées envoûter par de méchants gourous, et ce serait s’y exposer encore. La leçon des maîtres de l’histoire serait alors : zéro. C’est là les dangers de la bonne conscience du vainqueur (ou la satisfaction) amené à écrire l’histoire toujours à son avantage (en 1918, à Versailles, c’était forcément la faute de l’Allemagne, donc elle devait payer).

Non, les guerres (celles-là en tout cas) sont entendues et attendues dans l’enthousiasme général. On voit ça dans le sport aujourd’hui par exemple : se lancer dans une grande guerre contre un adversaire qu’on abhorre, c’est un peu comme l’esprit de la victoire de la coupe du monde 1998, avant la victoire. On ne se lance jamais dans une guerre qu’avec la certitude qu’on peut la gagner, c’est bien pourquoi en est si réticents à s’y lancer en dernier, parfois pour ramener la paix. On voit la haine de l’autre trop facilement comme un sentiment négatif, et c’est pour ça qu’on ne peut le comprendre. Or on voit bien décrit ici que la haine du voisin se fait dans la joie, l’enthousiasme, parce que l’idée est moins d’écraser l’autre que d’étendre son propre pouvoir. Et ça, tous les peuples en rêve, même si on n’ose plus le faire aujourd’hui qu’à travers le sport, l’économie ou la culture. Si on se sent puissant, pourquoi limiter l’enthousiasme qui nous conduit à l’être toujours plus ?

Il est là le dilemme. Certainement pas dans la volonté rassurante de faire barrage aux méchants fascistes. Le fascisme, c’est en nous qu’il faut le combattre, et son premier allié, c’est donc bien l’enthousiasme, celui qui conduit les foules vers ce qu’elles voudraient voir un destin commun.

Le film se perd ensuite quand Romm passe la main pour la seconde partie du documentaire (il laisse le film inachevé et Klimov et Khoutsiev se chargent de l’achever en tâchant ostensiblement de suivre la volonté de Romm). La critique de la jeunesse sans idéaux des années 60-70 paraît un peu grossière aujourd’hui (Peace and love, ce n’est pas un idéal ?), et ressemble plutôt à la réponse réactionnaire de deux vieux et demi-incapables de comprendre une révolution culturelle dont ils ne sont pas. Ensuite la critique de la société de consommation paraît un peu facile, surtout dans la manière un peu outrancière de la mettre en image (des kilomètres de publicités du monde entier condensées en quelques minutes dans un vacarme volontairement insupportable). L’écologie est peut-être un peu mieux traitée, surtout à une époque où, on pourrait le penser, le sujet n’était pas encore mis sur la table (les thèmes sont pourtant exactement les mêmes). On peut voir aussi une longue critique du maoïsme avec une anthologie des pires aphorismes du Grand Timonier (dont certaines sont peut-être transformées pour être particulièrement crétines). Mais la palme revient à la conclusion : Klimov et Khoutsiev redonnent la parole à leur aîné disparu (Romm), et on retrouve là l’origine du titre du film, et on se demande pourquoi avoir retracé toute l’histoire du XXᵉ siècle pour en arriver à une conclusion aussi naïve : « Les enfants sont gentils, ils ne font pas la guerre, c’est parce que nous ne gardons pas notre âme d’enfant que le monde ne tourne pas rond ». Les enfants sont gentils ?… Si ça, ce n’est pas une vieille idée reçue de vieux cons prêts à casser sa pipe…

On remarque l’exploit aussi d’arriver à parler de tout ce qui cloche dans le monde sans évoquer une seule fois la situation en Union soviétique. Rien que pour ça, chapeau.

Bref, je tirerai moi-même le meilleur de ce documentaire à cinq mains : Puissions-nous rester encore cent ans d’invétérés rabat-joie, la Première et la Seconde Guerre mondiale ayant été accueillies toujours avec le plus grand enthousiasme. C’est bien notre enthousiasme de petit garçon qui nous a toujours fait si mal. Enthousiasme, petit garçon…, vieux cons !


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La Gueule ouverte, Maurice Pialat (1974)

Entre tétons au vent et minous à l’air, l’entrebayement de Nathalie

Note : 3 sur 5.

La Gueule ouverte

Année : 1974

Réalisation : Maurice Pialat

Avec : Nathalie Baye, Hubert Deschamps, Philippe Léotard

Le problème avec le naturalisme, c’est que ça sonne cruellement faux et qu’on ne voit plus que des acteurs s’empêtrer dans leur semi-impro. On finit par ne plus rien avoir à faire de l’histoire, qui de toute façon n’a pas grand intérêt. 1 h 30 de casting. Alors, qui est bon et qui l’est moins ?… Je prends Nathalie Baye et Hubert Deschamps (voire la patronne de bar, dans le genre actrice amateur, elle se débrouille très bien). Celle qui crève est nulle (on ne joue pas la mort, surtout pas dans un film naturaliste, jamais, parce qu’on ne simule pas les spasmes, l’agonie ou les délires). Léotard est transparent, et c’est encore la meilleure prestation qu’il puisse offrir face à deux acteurs qui eux tiennent la route.

En revanche, à force de montrer des nibards et des minous, ça devient un peu trop évident que Pialat, pour « être vrai », montre des nibards. Un acteur à poil, c’est tout sauf la vérité : c’est un acteur à poil. Rien à foutre des nibards, surtout quand par hasard, même dans des scènes où c’est totalement inutile ou improbable, on se retrouve avec un bout de téton. Pourquoi est-ce qu’on ne montrerait pas pour changer des trous de balle ou des scrotums mouillés ? Non. Et puis la vérité ne se lève pas du lit tout arrangé. Y aurait-il des vérités bonnes à montrer et d’autres non ?

Je préfère entendre la douce voix de Nathalie, son phrasé, ses intonations bourgeoises et justes, qui fusent, même avec les phrases imposées, sa timidité rieuse, son sourire et sa bienveillance qui fait comme si on n’était pas là parce qu’en plus de savoir parler (autrement dit « penser » pour un acteur), elle sait regarder. Et on regarde ceux qui regardent, et ceux qui regardent, ce sont ceux qui ont la politesse de s’oublier. Un paradoxe pour le comédien, mais une nécessité, et une rareté. Léotard, lui, se cherche, il n’existe pas, il vaut à peine mieux qu’une des deux infirmières de la première scène qui à l’œil perdu et qui sait qu’on la filme. Baye Baye toujours, une technique parfaite, et quarante ans de sex-appeal, tout de même. Parce que son charme ne se tient ni dans ses nibards ni dans ses guibolles. Le naturel, Nathalie, elle l’envoie à la mort.

Comme avec son titre, Pialat veut trop en faire en montrant quand il n’y a rien à voir. Il lui faut soit un volubile comme Depardieu, qui a la gueule ouverte et le volume à fond, soit un taiseux comme Jacques Dutronc.

La Gueule ouverte, Maurice Pialat 1974 Lido Films, Les Films de la Boétie 2La Gueule ouverte, Maurice Pialat 1974 Lido Films, Les Films de la Boétie

La Gueule ouverte, Maurice Pialat 1974 | Lido Films, Les Films de la Boétie


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Un homme qui dort, Bernard Queysanne (1974)

Tu sais que tu ronfles la nuit ?

Un homme qui dort

Note : 4.5 sur 5.

Année : 1974

Réalisation : Bernard Queysanne & Georges Perec

Avec : Jacques Spiesser, Ludmila Mikaël

— TOP FILMS

L’expérience n’est pas sans rappeler celle du Horla de Jean-Daniel Pollet, avec Laurent Terzieff, tourné huit ans plus tôt. En général, un film se raconte à la troisième personne du pluriel ; on peut imaginer que parfois cela se transforme en un « vous » qui s’adresse au public. Ces deux films au contraire sont tournés vers la singularité, puisque le Pollet est à la première personne (la voix de Terzieff dit « je » et colle au récit de Maupassant), et ici, le film est à la seconde personne du singulier. C’est déjà une belle gageure en littérature ; dans un film, c’est encore plus surprenant. Et ça marche parfaitement. L’apport du film, c’est qu’on peut s’amuser de voir un film tunisien tutoyer les sommets… On y tunisie aussi quand le pays s’affiche sur les murs de « l’homme ».

Pendant toute la durée du récit donc, Ludmila Mickael (quel dommage de ne jamais voir son joli minois…) décrit les sentiments du personnage dont il est question dans le titre. On ne l’entend jamais. La voix off décrit, suggère, prédit ce qu’il fera, ressentira, etc. Le résultat est formidable. Ça aurait pu être une tentative expérimentale vaine, incompréhensible — l’effet est parfois bizarre, il faut le reconnaître —, mais la crédibilité de la fable n’est jamais prise à défaut par ce parti pris singulier (et le roman de Perec est écrit sur le même mode apparemment).

L’histoire, ou la non-histoire, est une plongée dans le nihilisme. La nécessité de devenir soudainement transparent, d’éviter toute emprise sur les choses ou sur sa propre existence, de renoncer au désir, de s’affranchir de la moindre pensée ou sentiment, rejoint d’une certaine manière les philosophies orientales, mais à la fin (désolé pour le spoilnik, il va falloir détourner les yeux si vous êtes engrossés par l’affreux démon de la curiosité), tout est grave et sans espoir (je n’ai rien défloré en même temps).

Un homme qui dort, Bernard Queysanne 1974 | Dovidis, Satpec

Zoubi, Zoulba, je détourne les yeux et le spoilnik s’en va…

L’œuvre de Queneau est sans doute à lire. Ça vaudra sans doute mieux le coup que Zazie. Parce que le procédé permet bien sûr, comme dans Le Horla, de mettre en scène une prose magnifique. C’est dense et efficace. « Le maître anonyme du monde »… C’est vrai aussi que Ludmila Mickael pourrait réciter le bottin qu’on l’écouterait religieusement…

C’est le genre de film qui doit se faire sur la table de montage. Habituellement les scènes sont composées autour de répliques et d’une continuité temporelle rigide qu’on arrive à peine à déstructurer grâce à une musique, le son se superpose aux images ; ici au contraire, tout passe par une voix, qui est le véritable moteur du film, le seul « plan-maître » ; les images ne servent qu’à illustrer et accompagner les paroles. Le procédé est souvent employé dans les courts-métrages (il suffit de penser à la Jetée), et la difficulté était sans doute sur la longueur d’arriver à rester un procédé suffisamment transparent pour se mettre au service de l’histoire. C’est plutôt réussi, et l’atmosphère qui en découle est tout à fait unique. Singulier.



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Dark Star, John Carpenter (1974)

Dark Stardark-star-john-carpenter-1974 Année : 1974

Réalisation :

John Carpenter

5/10  IMDb

Quelle belle daube !

Comme quoi, quand on a la possibilité de faire plusieurs films, on peut s’améliorer. Carpenter, c’était pour moi tout de même le réalisateur de l’académisme avec Cinémascope immuable, petite musique d’ambiance angoissante… On comprend que c’est ce qu’il a voulu faire en voyant ce premier film achevé.

La scène avec l’extraterrestre vient vraiment d’une autre planète… à prendre au second degré. L’ironie, c’est qu’elle pourrait avoir influencé la scène dans Alien quand Harry Dean Stanton pourchasse son chat dans la moiteur des couloirs de son vaisseau spatial (Dan O’Bannon a d’ailleurs écrit les deux scénarios)… Même Lucas a piqué un ou deux trucs pour son Star Wars.


Sugarland Express, Steven Spielberg (1974)

Pare-chocs pétrolier

Sugarland Express

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1974

Réalisation : Steven Spielberg

Avec : Goldie Hawn, Ben Johnson, Michael Sacks

Juste après Duel, Spielberg continue sur la voie publique. Cette fois, ce n’est plus un thriller, mais la cavale d’une femme et de son mari qu’elle est venue choper dans un pénitencier de quartier, tous deux légèrement benêts comme on n’en rencontre que dans l’Amérique profonde.

La mère s’est mise dans l’idée de récupérer son gamin qui lui a été enlevé par l’assistance publique. Mais elle et son jules pensent se faciliter la tâche en se faisant accompagner par un jeune flic qu’ils prennent en otage.

Et rendez-vous à Sugerland… Tout un programme. Une sorte de terre promise qui n’existe pas. La quête de l’impossible…

Tout le Texas se prend de passion pour cette femme qui veut récupérer son gamin à l’autre bout de l’État. Des centaines de voitures de flics les suivent à travers la campagne sans pouvoir rien faire parce que le chef de la police refuse qu’on tente quoi que ce soit contre ces “mômes”…

Image surréaliste quand les fugitifs (toujours suivis de trois cents bagnoles) traversent une petite ville sur le chemin de leur paradis. Accueillis en héros, ils reçoivent des cadeaux, et c’est une véritable kermesse qui se met en place pour les soutenir dans leur étrange périple.

Sugarland Express, Steven Spielberg (1974) | Universal Pictures, ZanuckBrown Productions

Quand ils arrivent à Sugarland, ils n’y trouvent pas leur gamin, mais la tragédie — une tragédie attendue, écrite à l’avance…

Spielberg avait déjà le ton et l’humour juste, celui des grands, comme cette scène dans laquelle les tireurs d’élite arrivent chez la famille d’accueil du môme, et la femme voyant tout leur arsenal, dans son vestibule, après un petit temps de réflexion et de légère panique, décide de prendre un grand vase qui traînait là sur une table de l’entrée et de le mettre en sécurité. Ça ne dure qu’une seconde, à la fin de la scène, c’est un détail dans le plan, la caméra ne filme pas la scène en gros plan, mais c’est tellement drôle — le souci du détail cocasse, subtil…

Tellement surréaliste que c’est une histoire vraie. Forcément. Sinon personne n’y aurait cru…

Goldie Hawn joue un personnage que reprendra vingt ans plus tard sa fille dans Almost Famous : déjantée, fofolle et capable de tout.

Et déjà avec la musique de… John Williams.



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MyMovies: A-C+

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