The Pornographers, Shohei Imamura (1966)

Les Bêtes

The Pornographers

Note : 5 sur 5.

Titre original : Erogotoshi-tachi yori: Jinruigaku nyûmon

Année : 1966

Réalisation : Shôhei Imamura

Avec : Shôichi Ozawa, Sumiko Sakamoto, Ganjirô Nakamura, Chôchô Miyako, Haruo Tanaka, Masaomi Kondô, Kô Nishimura

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Il y a quelque chose de singulier de voir ce titre dans un film de 1966. Tout le monde n’est pas historien de la pornographie. On se demande ce qu’on peut bien trouver dans un tel film… En fait, ce n’est pas tant la pornographie qui y est au centre de tout, c’est juste une activité. L’activité de personnages timbrés. On est bien chez Imamura.

Il faut voir l’espèce de boule de nœuds que forme cette famille recomposée avec les névroses de chacun, leurs désirs, leurs mensonges…

Le pornographe vit chez une veuve. Celle-ci garde précieusement une carpe qui, selon elle, est la réincarnation de son mari. (Voilà qui pourrait laisser penser que c’est légèrement tordu, mais la carpe, elle ne s’en sépare jamais, elle est même dans la chambre à coucher, et chaque geste d’elle est un signe que lui envoie son premier mari…) Elle tient un salon de coiffure pitoyable. Jamais un client, et pour cause, personne ne travaille dans cette baraque. On reste au pieu toute la journée…

Deux enfants. Un garçon qui devrait être à l’université mais qui ne vit que pour lui-même, et qui, déjà, entretient une relation gentiment incestueuse avec sa mère. Ce sont des bêtes, on se renifle, on répond à ses instincts primaires, à ses désirs immédiats… — Une fille. 15 ans. Ne va jamais à l’école et ne pense qu’à une chose : se faire culbuter par son beau-père… Alors, quand il ne veut pas (alors qu’il veut, puis non…), elle se donne à n’importe qui, traîne, s’enivre…

Le père, le pornographe du titre du film, fait donc des films de cul (on ne voit rien) et est aidé par un gars qui explique ne pas aimer les femmes, leur corps. C’est mieux de se tripoter devant des films. Vers la fin, il dit avoir enfin changé : il se serait assagi. Désormais, il est avec… sa sœur, qui est comme une mère pour lui. Attention, il ne se passe rien, là-dessus, il n’a pas changé…

Le pornographe, on y arrive le père : son activité lui permet de gagner un peu d’argent. Un peu. Activité interdite. Il passe quelque temps en prison et intéresse la mafia locale (on peut dire qu’il ne lui arrive rien de bon — certains ont le don de s’attirer des ennuis). Par des brefs flashbacks, on apprend qu’il a été lui-même victime d’inceste… et qu’il est responsable d’un accident de la fille de la coiffeuse qui en garde une imposante cicatrice à la jambe. Reste-t-il avec elle par culpabilité ? Mystère. Ce qui est sûr, c’est qu’il l’aime sa coiffeuse. Mais il est aussi attiré par sa fille… Il arrive à réprouver ses pulsions, mais ça se complique quand on n’est pas le seul à avoir un grain.

Tout ça va se finir dans le surréalisme le plus étrange. On pense à Fellini et à son automate dans Casanova. Puisque les hommes ont des pulsions qu’ils ne contrôlent pas, puisque les films sont interdits, puisque même les orgies ne le satisfont plus (il faut dire qu’il y trouve sa fille…), il va construire une poupée grandeur nature… Il finit fou, croyant donner vie à sa poupée — ce qui était déjà arrivé à sa femme dans une scène assez mémorable. La scène finale, c’est en somme ce qui leur arrive depuis longtemps : des péniches qui ont perdu les amarres et qui dérivent sans s’en rendre compte. C’est exactement ça, pendant tout le film, ils sont conscients de rien. Ils ne sont pas dénoués de culpabilité mais la réflexion va rarement bien loin. Le but, c’est quand même de satisfaire à ses besoins premiers.

L’une des scènes les plus hilarantes à ce propos, c’est une scène où les pornographes filment une séquence entre un vieil homme, qui va jouer au docteur, et une jeune fille, qui va jouer une écolière (déjà le fantasme de l’écolière au Japon…). (Au passage, il semblerait que la pédophilie n’ait jamais été une question embarrassante au Japon ; la pornographie infantile n’y est toujours pas punie et la prostitution infantile y a toujours été très présente). Les deux metteurs en scène se rendent compte que la fille est une débile mentale. Passé l’étonnement et une petite réflexion pour la forme, ça ne les dérange pas plus que ça. Sauf qu’essayer de mettre en scène une débile mentale, ce n’est pas de tout repos. Et là, la débile s’effondre en larmes, et le vieux vient la réconforter en lui disant que « son papa est là »… Il faut les voir les deux les traiter de détraqués ! L’hôpital qui se fout de la charité…

La scène se poursuit avec les deux zouaves, dans un bain public. La caméra prend ses distances comme toujours, l’air de dire « je ne cautionne pas ces bêtes-là » (un plan-séquence de loin, brute, rien à dire, pas expliqué, pas commenté). Ils s’interrogent sur la moralité d’entretenir des rapports sexuels avec une fille handicapée mentale. Ils restent à côté de la plaque : « Qui a dit que c’était interdit », etc. On rit jaune mais voir de tels zigotos, c’est assez fascinant.

Le film est au début un peu compliqué à suivre. Il faut s’y retrouver avec les flashbacks (tout le film en est un lui-même, comme une mise en abîme, un clin d’œil). Mais quand tout prend forme petit à petit, parce que c’est un vrai puzzle, ça devient génial. Il y a d’abord sans doute un roman (de celui qui écrira plus tard le Tombeau des lucioles — si, si, rien à voir pourtant). On est dans les années 60, un tel sujet, avec de tels personnages, il faut oser. Il faut ensuite le génie de mise en scène d’Imamura (deux palmes d’or, il faut le rappeler). Il a une manière d’arriver à rentrer rapidement dans une scène qui est remarquable. Tout est fluide, les acteurs sont naturels. Une des marques de ses mises en scène futures : une certaine forme de naturalisme, de crudité. Le travail sur le son par exemple est un vrai modèle. Son avec léger écho en plaçant la caméra derrière l’aquarium pour donner une atmosphère étrange ; sons répétitifs comme une musique… Impressionnant. La séquence de délire avec une musique rock m’a fait penser à du Tarantino. Voire une scène à la Paul Thomas Anderson avec caméra à l’épaule pour suivre son personnage dans un bar… C’est que le film a bien quelque chose à voir avec Boogie Night. La même distance vis-à-vis des personnages. La même fascination pour des personnages barrés. Une manière décomplexée d’aborder la sexualité. Des personnages naïfs, à la limite de la bêtise, mais toujours montrés avec bienveillance. Il y a cette même volonté de rentrer d’un coup dans un milieu (ici surtout une famille) et de rentrer dans la chambre à coucher, sans forcément montrer ce qu’il s’y passe. On parle de cul, mais on ne voit rien et ce n’est pas vulgaire. Ça aurait été le piège. Le sujet, ce n’est pas la sensualité, le voyeurisme, le sensationnalisme, ce sont les personnages sur une autre planète. Ces bêtes, sans aucune décence, sans aucun sens moral, avec pour seules limites celles imposées par leur imagination.

Bref, une histoire de cul parfaitement recommandable. Un nœud tendu de bout en bout — et qui finit par craquer de la seule manière possible, en s’éteignant dans le gouffre de la folie.

Jubilatoire.


The Pornographers, Shohei Imamura 1966 Erogotoshi-tachi yori Jinruigaku nyûmon | Imamura Productions, Nikkatsu


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Hardcore, Paul Schrader (1979)

Pussy Driver

Hardcore

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Hardcore

Année : 1979

Réalisation : Paul Schrader

Avec : George C. Scott, Peter Boyle

Qualité Schrader. C’est-à-dire scénario qui tient la route avant tout. Le début est une leçon d’écriture pour exposer des personnages et des situations. On apprend les noms des personnages en situation, à connaître les caractéristiques des personnages… en situation (par exemple, Vandorn, on montre son exigence, son obstination, dans une scène au boulot où il n’est pas satisfait d’une affiche). Le rythme des scènes se succède à une vitesse folle. Le but toujours étant de délivrer une information, même si bien sûr, on ne sait pas encore où on nous embarque. Une fois que tout est mis en place, le récit peut enfin déraper avec la disparition de la fille de Vandorn. Ensuite, c’est plus classique, plus linéaire, mais pas moins difficile à écrire sans doute.

On pense inévitablement au Taxi Driver que Schrader avec écrit deux ou trois ans plus tôt. Les deux films étant eux-mêmes inspirés de La Prisonnière du désert. Ici, c’est plus évident que dans Taxi Driver puisque le sujet, c’est un père qui part à la recherche de sa fille, enlevée (ou pas) alors qu’elle entrait à peine dans le milieu du porno (version hard, genre snuff movie). Le personnage est toutefois moins intéressant que celui de Taxi Driver (ses relations avec la prostituée qui l’aide sont à peine esquissées, et sans doute à juste titre ; il est moins fou, moins ambigu). On retrouve l’attrait de Schrader pour les mondes opaques, dangereux dans lesquels le héros doit s’infiltrer. Toujours avec ces mêmes travellings latéraux filmés depuis la voiture sur des trottoirs fréquentés par des rabatteurs, des prostituées et autres personnages louches. Et que ce soit à LA, San Francisco ou San Diego, tout fait penser aux rues de NY : grosses enseignes lumineuses, des entrées avec des escaliers qui remontent vers un peep-show (pas loin du bar d’Hideko dans Quand une femme monte l’escalier). L’univers, l’époque, ça fait aussi penser un peu à Boogie Night, le côté fun en moins (le porno glauque, insouciant, des 70’s).

Il y a des images assez cocasses dans le film, comme quand George C. Scott (le Patton de Coppola, et avant ça le général maboul chez Kubrick) jouant ici un père veuf (ou presque) issu de la classe moyenne du trou du cul des États-Unis, très religieux, enfile fausse moustache, perruque, chaîne en or et jean à la mode pour se faire passer pour un producteur de films pornographiques. On y croit moyen, le personnage aussi, donc ça marche.

À noter aussi le personnage assez peu convaincant de la pute au grand cœur, qui s’enfuit avec le père quand il lui demande de l’aider à retrouver sa fille moyennant une semaine de salaire. Schrader ne s’attarde pas sur la relation, c’est à la fois la qualité et le défaut du film. Un personnage quand il vise un objectif (sa fille ici) doit trouver autre chose en chemin (la tradition du truc initiatique, etc.), donc là ça tombe sur elle, sauf qu’un tel personnage est à la fois fascinant au premier coup d’œil (pour un spectateur mâle, je suppose), mais on s’égare très vite dans les clichés. Un peu à l’image des lunettes fumées qu’elle porte sans cesse qui nous laisse seulement entrevoir son regard… En gros, on veut la voir, on nous la montre à poil au début (les seins les plus laids de toute l’histoire du cinéma) et hop, elle se rhabille ; on ne verra même pas ce qui pourrait la rendre plus intéressante, les yeux, son regard, son histoire… Comme si Schrader ne voulait pas tomber dans le piège du héros qui tombe amoureux de la prostituée. Trop grossier, trop cliché. Trop tard, Paul… Vandorn lui-même lui dit clairement que son histoire ne l’intéresse pas avant de changer brièvement d’avis, mais ce sera trop tard, elle filera… Pourtant, c’est bien lui (Schrader) qui a voulu aller dans cette direction… S’il ne voulait pas jouer avec les stéréotypes, il ne fallait pas décrire ce milieu. Peut-être également n’était-il pas satisfait de l’actrice (qui fut madame Kurt Russell pour la petite histoire) : si elle s’en tire pas mal sur le côté physique du personnage (les moues insolentes, la démarche de traviole), il n’y a aucun charme quand elle parle, c’est presque récité… Pas facile de trouver une bonne actrice pour jouer un tel personnage (topless), encore à la fin des 70’s. Surtout si le scénario ne l’a pas développée comme il l’aurait dû. On ne peut cesser de penser qu’il y aurait eu une relation intéressante entre les deux personnages, un jeu de substitution père-fille. Peut-être trop évident pour Schrader, trop éloigné du thème principal (en bon amateur de la ligne stricte à la Bresson).

Pas un grand film donc, mais à découvrir parce qu’il est l’œuvre d’un des meilleurs raconteurs d’histoire de cette fin du XXᵉ (The Yakuza, Taxi Driver, Raging Bull, À tombeau ouvert, La Dernière Tentation du christ, Mosquito Coast, City Hall, Obsession, Affliction, American Gigolo).

Ça m’étonnerait que le film ait rencontré un franc succès. Pas de star, un film assez sombre, pas d’action… L’année d’après, il continuera les adaptations déguisées. Fini la Prisonnière du désert, place à l’esprit de Bresson. Et un Richard Gere pour rendre tout ça un peu plus sexy. Désormais, les balades en voiture ne se font plus en première à mater les néons des peep-shows la nuit, mais en accompagnant une décapotable filant à toute allure sur une route ensoleillée avec une musique pétaradante. On change légèrement d’angle, mais au fond ça reste un peu la même chose et en prime le film a du succès… Au lieu de voir un personnage qui cherche, on a plutôt affaire à un personnage traqué, qui est victime d’un coup monté. On sort de la bagnole et on regarde autour de soi pour se demander qui va nous foncer dessus… Le monde, qu’on le regarde depuis sa voiture ou en piéton traqué, il est le même. Dangereux. Et il tend pas mal à se propager comme une tache d’encre sur un buvard, prêt à imprégner la vie fragile de nos « héros ». La fille de Vandorn, même perdue au fin fond du Michigan, ne pouvait pas échapper au monde cruel et pervers de la société : les Indiens sont partout.

D’ailleurs, il est intéressant de remarquer dans la bio de Schrader que Grand Rapids, la ville du Michigan où se déroule le début du film (où on y décrit les pratiques religieuses strictes) et d’où partent les élèves dont la fille de Vandorn pour la Californie pour un voyage scolaire, eh bien, c’est sa ville natale. Lui-même a reçu une éducation calviniste stricte… Quand on regarde les personnalités issues de cette ville (sur Wiki), en dehors de Schrader on peut y trouver Chris Kaman et Gillian Anderson, ça fait rêver.

En bonus : Vandorn décide donc de se faire passer pour un producteur de films de cul pour retrouver l’acteur qui a joué avec sa fille. Il tombe sur un Noir qui n’est évidemment pas le « type recherché », alors le mec s’énerve : « C’est parce que je suis noir que tu ne veux pas de moi ? Mec ! Tu ne sais pas qui je suis ? Je suis Big Dick Blaque. J’ai fait plus de films porno que tu n’en verras jamais ! » Et en face, c’est Patton déguisé comme Burt Reynolds dans Boogie Nights.


Hardcore, Paul Schrader 1979 | A-Team, Columbia Pictures


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