La Victoire des ailes (ou Le Triomphe des ailes), Satsuo Yamamoto (1942)

Note : 3 sur 5.

La Victoire des ailes

Titre original : Tsubasa no gaika

Année : 1942

Réalisation : Satsuo Yamamoto

Avec : Ranko Hanai, Jôji Oka, Takako Irie

Une distribution remarquable, un savoir-faire évident, des scènes d’aviation… de haut vol, mais un sujet insipide qui vole, lui, pas bien haut.

Au niveau du casting, c’est vrai que ça fait plaisir de retrouver Takako Irie dans le rôle de la mère fragile, mais étonnamment face au reste de la distribution (essentiellement des enfants au début du film), je la trouve très en dessous dans son phrasé. Le sourire est toujours là, ainsi que le petit air de pas y toucher qui fait sans doute le charme de pas mal de ces actrices japonaises de l’époque. Les autres acteurs sont bien aussi, en particulier les acteurs interprétant les deux frères. Si le phrasé n’est là pas toujours au rendez-vous (tout ce petit monde est surtout impressionnant dans les rares mais formidables séquences de famille, à plaisanter autour d’une table), l’autorité, le charisme, sont impressionnants (faut bien fabriquer des héros en celluloïd pour les futurs champions prêts à jouer les kamikazes pour l’empereur).

Là où le film impressionne encore aujourd’hui, c’est au niveau de la technique. Tant sur le plan de l’ingénierie tous terrains qui leur a permis d’étendre leurs ambitions impérialistes sur le continent dans les années 30 que sur le plan cinématographique, en dehors du retard pris au début de la décennie au niveau du parlant. Certains films de propagande étonnent par leur vivacité, leur maîtrise aussi bien technique que dramaturgique… En moins de dix ans, le cinéma japonais semble avoir gagné ce que d’autres gagnent en un demi-siècle.

Dramaturgiquement parlant donc, on emploie les méthodes hollywoodiennes, dites classiques, pour tendre à fond vers une identification maximum : des scènes courtes, une introduction sur l’enfance des deux frères aviateurs qu’on suivra par la suite, développement de plusieurs personnages d’une même famille (on retrouvera ce principe dans L’Armée), l’ambition de décrire d’abord chronologiquement l’évolution de ces personnages, puis on assiste à un resserrement de l’action autour d’un événement “catastrophique” (c’est comme ça qu’on dit en dramaturgie, jeune homme) sur lequel on pourra broder par la suite des séquences analytiques (comprendre les raisons d’une telle catastrophe) et émotionnelles (le héros impétueux face aux membres de sa famille) ; le dernier acte servant à l’aîné de réhabiliter son cadet en empruntant le même chemin que lui… Ce n’est pas bien original, c’est même foutrement rasoir et lisse (on cherche encore les opposants ou les points de friction qui feraient battre de l’aile toute cette belle perfection), mais c’est bien foutu. Parce que derrière la technique suit.

Le classicisme à la Walsh, Yamamoto il connaît. Ses séquences sont rapides, son montage transparent, et pourtant inventif (avec pas mal de mouvements de caméra d’ajustement à la Ophüls – ceux qu’on ne remarque pas, pas ceux qui ont fait sa réputation). Sa mise en situation est foutrement rapide : on comprend en moins de temps qu’il en faut pour le dire, et il ne s’attarde pas pour développer des considérations accessoires, psychologiques ou contemplatives. Droit au but. Et bien sûr, outre les séquences dialoguées parfaitement menées (souvent en montage alterné pour accentuer la tension, quand ce n’est pas une ou deux fois en montage séquence, surtout au début), restent les séquences de pure action : celles où les pilotes procèdent à des essais en vol sur leurs fameux chasseurs zéro (qui auraient été, encore à l’époque du film, supérieurs aux chasseurs américains) ou de guerre (si on ne voit rien de l’attaque de Pearl Harbor, le film s’achève sur une jolie chasse contre un Boeing quadrimoteur servant de cible aux zéros comme dans un jeu vidéo).

À noter, parce que ça m’a amusé, un mouvement de caméra là encore imperceptible, mais qui ne pouvait pas passer inaperçu pour un amoureux comme moi de Goldorak. Cette série animée était en partie connue pour une séquence dans laquelle le héros passait sans quitter son siège d’un poste de pilotage à un autre selon que son engin passait d’une configuration vol ou robot. On voyait alors le siège de pilotage d’abord suivi en travelling dans la profondeur tournicoter au rythme d’une musique ou d’un bruitage électro rudimentaire. Eh ben, c’est peut-être stupide, mais Yamamoto use d’un tel travelling, très léger (transparence oblige), quand le frère cadet, alors assis sur une chaise roulante, s’avance vers son aîné : le travelling d’accompagnement a cela d’impressionnant qu’il semble lié à la chaise roulante, et l’acteur ne procédant pas tout à fait à un mouvement rectiligne mais plus ou moins courbe, la caméra reste mobile sur lui alors que le décor alentour file en panoramique. Ça ne dure pas plus d’une seconde, mais c’est magique (on se souvient qu’au temps du muet dans les films d’Ito, le chef opérateur fixait la caméra sur sa poitrine à l’aide d’un harnais). Toute l’ingénierie japonaise…


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La Bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie, Kajirô Yamamoto (1942)

La Bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie

5/10 IMDb

Réalisation : Kajirô Yamamoto

aka Hawai · Maree oki kaisen

aka Les Volontaires de la mort

Ça aurait pu s’appeler Le Jour le plus con, le film faisant le récit entre autres de la bataille de Pearl Harbor qui fera entrer les USA dans la guerre et précipitera trois ans après ce film le Japon impérialiste dans la défaite. Qui s’y frotte s’y pique.

Récit froid et souvent impersonnel des préparatifs de guerre faisant légèrement penser à Full Metal Jacket dans son déroulé. Discours militariste navrant (avec, à noter toutefois, une différence avec les mêmes objets de propagande occidentaux : ce discours lourd et imposé s’oriente surtout sur la glorification de l’honneur rendu à la hiérarchie et en particulier à l’empereur, jamais contre l’ennemi qui n’existe pour ainsi dire pas beaucoup, et les seules fois où il est évoqué, c’est avec amusement voire respect). Complaisance totale, aucune part laissée à l’humain, encore moins à la subversion aussi subtile soit-elle. Y préférer pour cela L’Armée de Kinoshita.

(Il ne faut pas le dire trop fort, le film est abondamment référencé et compte parmi des listes de chefs-d’œuvre japonais.)


 


Went the Day Well? Alberto Cavalcanti (1942)

Cavale dans un verre de Chianti

Note : 4 sur 5.

Went the Day Well?

Année : 1942

Réalisation : Alberto Cavalcanti

Avec : Leslie Banks, C.V. France, Valerie Taylor

Ça m’amuse toujours autant de voir parler de modernité au cinéma. Cette modernité serait née quelque chose comme dix ans après ce film, et bien sûr, tout est déjà là (et ailleurs). Et ça ne fait aucun doute, regarder ce Went the Day Well en même temps que ce qui se faisait à la même époque aux États-Unis, et on y verrait d’un côté que classicisme et stylisation, et de l’autre un réalisme brutal qu’on prendrait forcément pour moderne. C’est en fait un biais idiot qui nous laisse croire que l’histoire évolue vers plus de « modernité », de « décadence », de « liberté »… Ce qui est valable pour la violence l’est également pour la sexualité par exemple et on ignore aujourd’hui, souvent parce qu’on ne veut pas s’imaginer que nos arrière-grands-parents étaient bien plus libérés sexuellement qu’on ne l’est aujourd’hui… Il n’y a en fait aucune modernité, il n’y a que des modes de représentation et des choix esthétiques.

Étrange parcours que celui d’Alberto Cavalcanti. Brésilien, il prend part au mouvement d’avant-garde du cinéma français dans les années 20 avec un génial Rien que les heures, puis adapte, à la même époque, Maupassant avec Yvette, continue sur la voie documentaire, se perd dans les versions françaises des studios Paramount de Joinville-le-pont, et… finit par rejoindre l’Angleterre au début de la guerre, où, à en croire Bertrand Tavernier, il aurait à lui tout seul propulsé le cinéma britannique dans la… modernité. Il faut reconnaître que déjà, ce film contient tout ce qui fera la marque du cinéma britannique et cela pendant des années, et qu’on les doit donc peut-être aux caractéristiques et aux goûts de Cavalcanti. Le goût d’abord du réalisme, mais aussi un montage qu’on pourrait définir de classique, du meilleur genre, c’est-à-dire resserré, précis et transparent.

La « modernité » supposée qui choque le regard aujourd’hui, c’est surtout cette manière presque documentaire à représenter la violence. Le plus remarquable, c’est que loin seulement de montrer des scènes plutôt brutales (fusillades, assassinat à la hache, meurtre de sang-froid, sadisme, et le pire de tout sans doute, ce maudit accent allemand), Cavalcanti ne montre jamais aucune réaction à cette violence pour suggérer un commentaire, une moralisation, une réflexion sur ce qui vient de se produire. On a parfois la réaction qui suit l’action, ou l’explication, l’excuse… ici, rien de ça. Bang, bang, bang. Ça avance, ça mitraille, ça martèle et on ne se retourne jamais pour juger de ce qu’on vient de voir. Le spectateur pourrait se choquer (moins aujourd’hui où les spectateurs sont beaucoup plus… modernes) d’une telle violence, mais c’est en fait un principe qu’on reconnaît dans à peu près tout ce qui fait une narration. Commenter, c’est s’arrêter, et c’est bouffer le travail du spectateur (et souvent du lecteur). C’est brut, oui, dans tous les sens du terme. Le regard moralisateur, c’est à celui qui regarde le film de le porter, non à celui qui le montre.

Went the Day Well Alberto Cavalcanti 1942 Ealing Studios (1)Went the Day Well Alberto Cavalcanti 1942 Ealing Studios (2)

Au principe donc lié au montage, et qui procède de la même logique narrative, c’est celui « d’un plan, une idée ». C’est ici le propre du cinéma classique hollywoodien, et le procédé est tellement transparent qu’on en oublie souvent de dire que c’est aussi ça le classicisme. (Alors certes, si on dit que la modernité, c’est de proposer des gros plans audacieux ou des ralentis sur quelqu’un qui canarde la foule, d’accord, ce film n’est pas « moderne », et c’est tant mieux.) Avoir été un cinéaste muet, encore plus probablement d’en avoir été un de l’avant-garde, aide sans doute beaucoup dans cette entreprise moins simple qu’elle n’y paraît d’apporter une idée à chaque plan. On est au cœur d’une conception du cinéma comme langage. Ce n’est plus du théâtre où ce sont les acteurs qui déterminent les actions en fonction de leurs mouvements ou de leurs répliques, mais bien le montage qui dessine les contours d’une logique narrative. Dans cette écriture, les champs contrechamps sont rares (qui n’est rien d’autre que le suivi des répliques des acteurs comme on suit un match de tennis entre deux protagonistes : ping, pong, ping-pong…) et tout pratiquement est ellipse. Au lieu de faire évoluer des acteurs dans un plan et d’attendre que se produise l’instant où ils délivreront l’élément essentiel de la scène, là au contraire, on donne cet élément tout de suite, cut, et on passe à autre chose. C’est un flux ininterrompu, qui donne un rythme à la mise en scène, nous interdit de penser (d’où le classicisme et l’absence de distanciation), parce que même si tous ces éléments ne sont pas essentiels pour la trame générale, ils participent à un ensemble logique, comme l’énumération froide et précise dans une description de roman. À la différence notable que dans un roman, les descriptions n’ont pas le même pouvoir de fascination qu’à l’écran. Au cinéma (et les premiers à l’avoir compris étaient les petits « amateurs » de l’école de Brighton — « modernes » avant tout le monde), le pouvoir de sidération naît beaucoup du mouvement, de l’action. Au théâtre, on déclame, au cinéma, on fait. C’est bien pourquoi ce cinéma possède une langue si proche de la littéraire, parce que la meilleure n’est jamais qu’action : tout dans une phrase est déterminé par son verbe. Le cinéma, même celui d’avant-garde, ne peut évoquer les verbes d’état, le sens figuré, alors il ne montre que de l’action. Pourquoi attendre une plombe que l’action attendue se pointe ? Autant la montrer de suite, et passer à autre chose. La seule question du montage alors est de savoir quelles actions doivent être signifiantes et dignes d’être montrées au regard du spectateur. Ce n’est pas le tout de vouloir donner à voir, encore faut-il que cela procède à une cohérence d’ensemble. Par exemple, au début du film, il ne se passe à proprement dit pas grand-chose : des scènes banales de la vie, des gens qui se rencontrent, tout va bien… et pourtant on regarde. On regarde parce que tous ces éléments de description vont dans le même sens, et on sent que très vite viendra dans cette petite routine un élément perturbateur. Le rythme n’est pas seulement soutenu par le découpage, Alberto Cavalcanti dirige ses acteurs au métronome. La nature des actions a beau être réaliste, la manière de l’exécuter n’a rien de naturel : bang, bang, bang, il faut que ça avance, et comme dans une musique, il laisse respirer le rythme brièvement, nous autorise à battre une paupière après l’autre pour nous laver les yeux… et ça repart. Qu’aurait-on besoin d’inventer une modernité après ça ? C’est déjà parfait ! Qu’on y insère des ralentis, des gros plans, des fondus, des zooms, peu importe, le principe sera toujours le même. C’est une manière de raconter économe : au lieu de tourner de longues scènes sous tous les angles et de laisser le monteur se dépatouiller avec tout ça, mélangeant plans de coupe, plans maître et plans de réactions de la duchesse hautement signifiants, eh ben, on filme ce dont on a besoin. Une, deux, cinq, dix secondes, juste le temps que l’action se fasse, et on passe à une autre. Le plus amusant, c’est que cette manière de raconter permet à Alberto Cavalcanti d’avoir le contrôle total sur son produit (il est sûr d’avoir le final cut parce qu’il ne filme pas autre chose que ce dont il a besoin — même si la notion ne veut rien dire dans le contexte d’alors). Surtout il détermine quand et comment accélérer ou ralentir le rythme. Les acteurs ne viennent que se superposer au tempo établi par le montage. Et par le montage, et la décélération du rythme, il peut augmenter la tension (par l’attente) ou au contraire la frénésie (des tantes). On le voit bien ici avec un début pourtant tranquille un rythme haletant, utile à présenter tous les personnages, et la suite, une fois que les Allemands se dévoilent, qui est plus dans la tension contenue jusqu’à l’explosion finale.

Un mot sur les personnages parce que c’est assez remarquable. Je n’ai pas souvenir en tête d’exemple de beaucoup de films chorals antérieurs (Street Scene), mais c’est amusant de remarquer que le principe a été à la fois utilisé dans les films de guerre et les films catastrophe. Il y a une parenté étonnante entre les deux qui m’avait jusque-là échappé. Reste que ce sera surtout un procédé utilisé dans les années 60, en particulier par Robert Aldrich et John Sturges (je ne parle pas de Règlement de comptes à O.K Choral). En Allemagne, il le sera dans Le Pont (qui joue un peu sur le même principe d’un village, cette fois Allemand, voyant tout à coup débarquer la guerre à ses portes), mais c’est aussi un film de guerre. En France, on aura Sous le ciel de Paris, de Duvivier. Bref, beaucoup de personnages, ça permet aussi de comparer le jeu des évolutions et s’amuser à repérer les intentions des scénaristes. À vue de nez, il semblerait qu’ils aient voulu s’appliquer ici à forcer des trajectoires inattendues et à casser des clichés. Une grande partie des personnages présentés dès le début comme des notables ou des personnages importants, se révèlent être des Allemands (là encore, on l’apprend très tôt pour obéir à un principe hitchcockien de suspense et interdire les vaines tentations de surprises et des révélations foireuses)* ; une de ces notables qui n’avait rien de sympathique au début se révèle peu à peu sous un meilleur jour et mourra en sauvant des gosses (au passage : elle crève, et on n’a aucune réaction des gosses, on passe à autre chose ; c’est brutal mais pas de pathos en commentaires, ou de ré-action) ; et les petites gens, les moins que rien, ce seront eux qui aideront le village à se débarrasser des intrus (magnifique scène de la commère des PTT qui, après avoir cuisiné héroïquement son chaperon, appellera en vain de l’aide au village d’à côté, la commère d’en face tardant à lui répondre…).

*et pas de bol pour les habituels poilus qui grognent dès qu’on leur spoile le film : malgré de telles révélations prématurées, le montage néglige d’utiliser des balises “spoilers”.

Voilà probablement ce qu’on peut faire de mieux comme film de propagande. Le film d’un grand globe-trotter qui aura décidé de s’enfermer sur une île dans la guerre, et traitant de l’invasion ennemie, qui était alors une peur réelle chez tous ses spectateurs.

Un « Aldrich avec un nuage de lait »

(Tavernier, toujours, rapporte que pendant le tournage, toute l’équipe avait vidé en quelques jours les stocks rationnés de whisky du pub de la ville).


Went the Day Well?, Alberto Cavalcanti 1942 | Ealing Studios


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films britanniques

À croiser avec : 

L’aigle s’est envolé, John Sturges (1976)

Listes sur IMDb : 

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

 

Liens externes :


Sabotage à Berlin, Raoul Walsh (1942)

Sabotage à Berlin

Desperate journey Année : 1942

Réalisation :

Raoul Walsh

7/10  IMDb

De l’action et encore de l’action. Ça n’arrête pas.

Un groupe d’aviateurs part d’Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale pour lancer une bombe sur une voie ferrée à l’est de l’Allemagne. Ils se font repérer et leur avion se crashe. S’ensuit alors une longue course-poursuite avec les Allemands. Au fil des aventures, ils perdent leurs amis et rencontre « une bonne allemande ». Seuls arrivent à s’échapper en héros Errol Flynn, Ronald Reagan (excellent acteur franchement, en tout cas, son personnage l’est), et Arthur Kennedy (acteur de western et le reporter bien plus tard dans Lawrence d’Arabie).

Vraiment divertissant.


Sabotage à Berlin, Raoul Walsh 1942 | Warner Bros.


La Clé de verre, Stuart Heisler (1942)

La Clé de verre

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Glass Key

Année : 1942

Réalisation : Stuart Heisler

Avec : Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy

Que du beau monde ! Alan Ladd, Veronica Lake et tous les meilleurs seconds rôles de l’époque. Un pur film noir. Alan Ladd en parfait antihéros, limite masochiste, aimant se faire casser la gueule (on dirait Nicholson dans Chinatown). Une garce, un mafioso romantique, et une histoire incompréhensible. Il n’y a rien à y faire, les Hammett et les Chandler, je n’y comprendrais jamais rien, et c’est tant mieux. Une bonne histoire, c’est une histoire qui fait semblant et qui arrive à nous faire oublier qu’on regarde un film. Et là, une seule règle, la bienséance, pas de celle qui choque, mais de celle qui quand on en manque nous laisse sur le quai.

L’intrigue vaut que dalle, mais il faut faire comme si et se débrouiller pour éviter les incohérences ou les facilités qui peuvent même troubler les spectateurs appliqués à regarder autre chose. Un bon film, c’est comme un bon papier peint : ça doit faire joli, ça doit présenter une unité, créer une ambiance, mais surtout, ça doit s’effacer derrière la pièce pour mettre en valeur l’essentiel : la cohérence d’ensemble. Rien ne doit attirer le regard, ce n’est plus un papier peint, on doit se sentir comme chez soi. Et même la Veronica, elle pourrait passer chez le coiffeur qu’on n’y prêterait plus attention. Si ça colle à l’esprit. C’est tout un art, la transparence. Arriver à pondre des intrigues qui donnent à voir, avec le bon nombre de scènes à faire, avec la bonne partition et le nombre de personnages qui s’affrontent dans une même pièce. Le reste, c’est du polissage. Les intrigues se valent toutes. Ce qui compte, c’est de savoir si les motifs, les couleurs, si tout ça est accordé.

La Clé de verre, The Glass Key, Stuart Heisler 1942 | Paramount Pictures

La mise en scène laisse parfois un peu à désirer, pas forcément à cause du cinéaste (totalement inconnu) mais peut-être aussi parce que c’est l’époque qui veut ça, ou le genre. Et ce n’est pas non plus du Howard Hughes aux commandes. Un bon petit film de série B en somme.

C’est étrange, je n’aimais pas beaucoup Alan Ladd avant ça… Je m’y fais, il a sacrément la classe. Le genre de personnages qui reste quoi qu’il arrive imperméable à ce qui se passe autour de lui, limite insolent dans sa désinvolture et dans ses piques — les beaux types ne sont jamais meilleurs que quand ils ne sourient pas… ils passent pour des bellâtres sinon. (Quoique…, pour moi, pas plus grand que Ladd, acteur beau comme un bœuf, ça n’a jamais rien changé à ma carrière.)


Liens externes :


Ma femme est une sorcière, René Clair (1942)

Ma sorcière s’appelle revient

Ma femme est une sorcière

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : I Married a Witch

Année : 1942

Réalisation : René Clair

Avec : Fredric March, Veronica Lake

TOP FILMS

77 mètres de film, 1cm51 de Lake…

Un bonbon ! Une pure comédie comme en faisaient les studios ricains à cette époque. Que du bonheur… Le film a la « qualité » du code Hays où tout est strictement « épuré », emballé. À se demander comment certaines scènes ont passé la censure. La robe en mousseline de Veronica Lake où on voit poindre ses tétons, l’auréole en prime. Ou ses jambes nues au-dessus des genoux… Arrêtez ! Ce que c’est sexy ! C’est suave, c’est bon…

Bon, bon bon…

Le film a inspiré Ma sorcière bien aimée. Seule différence notable, mais elle a son importance, le couple n’est pas marié, mais c’est papa et sa fifille. C’est tout le moteur de film de Clair. Ensuite… une voiture volante qui s’écrase sur un chêne magique… tiens, tiens, ça rappelle JK Rowling — un hommage sans doute, ou un vieux chocogrenouille collé sous une table.

Veronica Lake jouera plus tard dans l’excellent Dahlia bleu, et enchaînera en quelques mois Le Voyage de Sullivan, Tueurs à gage et la Clé de verre. Trop acide en bouche la Veronica… Dommage qu’on ne l’ait pas vue plus souvent derrière son écran cellophane. Quelle bombe ! 1m51 à sucer ! Quel magnifique bonbon !

À noter aussi l’apparition de Susan Hayward en caramel mou. Une autre bombe acidulée qui sera plus savoureuse en couleur… Parce que la Lake, par sa seule présence (minuscule), elle met de la couleur à la pellicule. Parfaitement éclairée par René Clair, il est vrai.

Vous entendez ce petit crissement derrière l’écran ? J’ai rouvert la boîte. J’en redemande. Veronica Lake fond trop vite en bouche…


I Married a Witch, René Clair (1942) | Rene Clair Productions, Paramount Pictures