Le Rayon vert, Eric Rohmer (1986)

L’occasion manquée

Note : 4 sur 5.

Le Rayon vert

Année : 1986

Réalisation : Eric Rohmer

Avec : Marie Rivière

Le meilleur film d’Eric Rohmer est un film de Marie Rivière. Rien d’étonnant, on me dira, vu le peu d’enthousiasme que Rohmer a généralement su éveiller en moi à l’exception de deux ou trois films dont un déjà avec Marie Rivière.

Il faut savourer et garder le meilleur pour la fin, prendre son temps pour achever une filmographie volumennuyneuse comme celle de Rohmer. Et Le Rayon vert était donc le dernier film de Rohmer qu’il me restait à voir. J’en connaissais déjà l’histoire pour l’avoir vu adapté au théâtre et me doutais que tout le film ne valait le détour que pour la présence (l’interprétation au-dessus du lot parmi les acteurs de Rohmer et la personnalité fantasque et timide) de Marie Rivière à l’écran. Je ne me suis pas trompé. Parfois, on guette une lueur d’espoir au dernier coup d’œil, et on est déçu ; eh bien, pour moi, ici, Marie Rivière, c’est le rayon vert du cinéma de Rohmer. Le révélateur de quelque chose de son cinéma, le dernier (ou le seul) espoir aussi, la marque inespérée d’un talent auquel, à mon sens, il s’est, tout au long de sa carrière, dérobé (les critiques et les fans ne seront évidemment pas d’accord).

Si Le Rayon vert est sans doute le meilleur film de Rohmer (que je mettrai toutefois au même niveau que La Femme de l’aviateur, avec Marie Rivière donc, mais encore de L’Amour l’après-midi), et qu’il est probablement plus un film de et sur Marie Rivière, c’est aussi l’occasion (manquée) d’un cinéaste qui avait là l’opportunité de prendre un virage radical dans sa méthode de travail et qui n’a pas su saisir cette chance qu’une actrice venait lui offrir sur un plateau. Il est même à craindre que Rohmer se soit en toute conscience interdit de prendre ce virage, se doutant, ou craignant, qu’il perdrait en quelque sorte le contrôle sur tout le processus créatif de ses films à venir.

Difficile à admettre pour un cinéaste, qui avait toujours jusque-là cherché à écrire à la virgule près des textes impossibles à rendre pour des acteurs souvent médiocres et mal dirigés, qu’un de ses films pouvait être plus convaincant en gagnant en simplicité et en se basant sur des situations où les acteurs improviseraient et lui prendraient donc un peu de la part de contrôle qui devait jusque-là le rassurer. Faire confiance à ses collaborateurs, bien les choisir, et les laisser prendre part au processus créatif d’un film en s’exprimant à la mesure de leur talent, c’est aussi ça le génie.

Rohmer n’aurait pourtant rien à redire sur le contenu du film : en dehors de ces textes lourds et trop écrits, tout Rohmer est là. Cette simplicité, cette fraîcheur jamais recouvrée, est pleinement au service de son style et de ses thématiques habituelles. Le Rohmer des vacances, celui de Paris et de ses terrasses de café, celui des flâneries roman-photographiques et des discussions sentimentalo-intellectuelles, celui des hasards et des superstitions dignes des meilleures pages de Marie Claire

Marie Rivière lui offrait la possibilité rêvée de revoir sa copie, seulement il a sans doute fait un peu le difficile, à l’image de Delphine dans le film, et n’a pas su saisir sa chance, peut-être effrayé par ce que cette révolution aurait impliqué pour lui. Cette perte de contrôle, ou la peur de cette perte de contrôle, c’est amusant, là encore, parce que c’est celle encore de Delphine. Étrange paradoxe qui ferait du film le moins rohmérien de sa filmographie celui qui pourrait le mieux le définir ou se rapporter à lui…

Marie Rivière était ainsi son rayon vert, et il ne lui a même pas laissé une chance d’apparaître à l’horizon : Delphine, à la fin, semble comprendre en un éclair que le dernier homme qui se présente à elle pour la draguer pourrait lui convenir et se jette presque littéralement dans ses bras. Elle lui dit d’ailleurs dans la scène suivante : elle ne sait pas pourquoi, contrairement à ses habitudes (où elle se montre toujours agacée et farouche face à l’approche pataude et, selon elle, toujours obséquieuse, des hommes), elle s’est comme imposée à lui, et voudrait tant être confortée dans son intuition (par le rayon vert) que celui-ci n’est pas comme les autres… Pendant tout le film, Delphine se plaint que le sort s’acharne contre elle, et au dernier moment, elle semble s’accrocher à la dernière chance qui pourrait lui sourire. On ne saura jamais si ce dernier bonhomme sera le bon, même si on peut l’espérer pour Delphine, en revanche… on sait que Rohmer ne travaillera plus jamais avec cette même liberté : lui n’aurait jamais continué sa route vers Saint-Jean-de-Luz pour se donner une chance de voir le rayon vert et serait retourné à Paris pour se plaindre que l’amour ne lui laisse aucune chance (ou que le grand public ne s’intéresse pas à ses films, peut-être).

Les critiques et cinéastes de la nouvelle vague louaient le tournant pris par Bergman dans Monika, contraint d’improviser en plein milieu du tournage. Un nouveau Bergman serait né ; une fraîcheur et une spontanéité nouvelles marqueraient selon eux les films futurs du cinéaste, inspiré par cette expérience imprévue. Eh bien, il faut comprendre que même quand ces critiques et cinéastes inventent des fables qui leur conviennent pour les cinéastes qu’ils admirent, ils sont incapables d’en tirer une leçon pour leur propre travail.

La belle ironie que d’avoir toujours été meilleurs à inventer des histoires sur le dos des auteurs fantasmés que pour ses propres films… Peu de savoir-faire, beaucoup de faire savoir : la ritournelle habituelle des cinéastes de la nouvelle vague.

Le Rayon vert, Eric Rohmer 1986 Les Films du Losange


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L’Amour l’après-midi, Éric Rohmer (1972)

Note : 4 sur 5.

L’Amour l’après-midi

Année : 1972

Réalisation : Éric Rohmer

Avec : Bernard Verley, Zouzou, Françoise Verley

Catalogue La Redoute Automne-Hiver 1971. Pages sous-pulls et robes à fleurs.

Rohmer nous dirait presque que chaque homme devrait commencer par balayer devant sa porte, et que toutes les autres (portes), ne sont que des mirages. Voir Rohmer en boute-en-train, s’imaginant sonner à toutes ces portes (et une en partie commune, peut-être pour pallier toutes les autres) avant de s’avancer le balai entre les jambes, c’est amusant. Bref, je ne crois pas avoir jamais vu un Rohmer aussi drôle. On s’amuse avec les secrétaires des écarts supposés, rêvés ou peut-être réels de Frédéric, on se demande comme lui en riant un peu moins si sa femme n’en ferait peut-être pas autant, et si elle ne serait pas passée à l’acte. Dans ce finale pompidolien (antonyme bourgeois du sexy poupoupidooïen), c’est tout la crainte, la jalousie confuse et timide qui s’évapore quand Frédéric, un temps toqué pour une autre, vient taper à sa porte…

Cette collection de sous-pulls, de cols roulés, de chemise à rayures, si ce n’est pas magnifique.

Et puis, drôle, Rohmer, pas seulement. Le garçon arrive avec une subtilité que je ne lui connaissais pas, en suggérant assez fortement un hors-champ, en jouant de ce qu’on sait et de ce qu’on ne sait pas, de ce que les personnages désirent, disent désirer, et pourraient en réalité désirer, ou de ce qu’ils font même (on ne sait rien des journées et des relations de la femme de Frédéric, et quand Chloé quitte Paris, ou rejoint ses amants, on ne sait rien de tout cela, et on pourrait se demander si tout ça est “vrai”).

Le début, tout en montage-séquence* et voix off (globalement toutes les séquences introspectives, narratives et rêveuses de Frédéric) est magnifique.

Amusant encore, au milieu de toutes ces filles magnifiques, je trouve cette Zouzou particulièrement laide et vulgaire. L’alchimie, si improbable avec Frédéric, en est peut-être plus belle et réussie. Une relation pas forcément évidente, dont on ne sait au juste si eux-mêmes pourraient y croire, mais que Rohmer s’acharnerait, là encore avec amusement (ou comme un Dieu masochiste, voire réaliste, parce que c’est si commun), à poursuivre pour voir ce qui en découlerait. Comme deux aimants qu’on s’acharnerait à vouloir rapprocher sur la mauvaise face.

Une des astuces du film, peut-être involontaire du film d’ailleurs, c’est, du moins ce que j’en ai perçu, l’absence chez Rohmer de vouloir nous en imposer une lecture. Un conte moral, je n’en suis pas si sûr… On aurait vite fait d’interpréter toutes ces galipettes d’élans refoulés pour une ode à la bienséance bourgeoise. La fin ne dicte pas tant que ça le film : ce qui la rend inévitable c’est peut-être moins l’intention, ou la philosophie supposée du cinéaste, que le caractère même de Frédéric qui l’impose et la rend crédible. Et même belle : un petit-bourgeois qui redécouvre sa “bourgeoise” et qui rejoue à sa manière une comédie de remariage, c’est beau ; peut-être plus que de voir un petit-bourgeois chercher à être quelqu’un d’autre, à forcer une nature qui ne serait pas la sienne et qui collerait plus à l’humeur du temps, etc. (Ce ne serait pas d’ailleurs une sorte de Nuit chez Maud éparpillé façon puzzle ? Le principe, de mémoire, est un peu le même : un gars tenté par une autre femme, et pis non, le désir se suffisant tellement lui-même, pourquoi tout gâcher en le noyant sous l’éphémère et toujours inassouvi plaisir…)

L’Amour l’après-midi ou l’anti Monika. On dirait Rohmer en train de siffler la fin de la “modernité”, de la nouvelle vague et de la révolution sexuelle. « Bon, les enfants, vous êtes bien gentils, mais moi je vais baiser ma femme. »


*article connexe : l’art du montage-séquence



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Éric Rohmer

Classement : 

8/10

  • La Femme de l’aviateur (1981)
  • L’Amour l’après-midi (1972) 
  • La Boulangère de Monceau (1963)
  • Le Rayon vert (1986)

7/10

  • Conte d’automne (1998)
  • L’Arbre, le Maire et la Médiathèque (1993)
  • 4 Aventures de Reinette et Mirabelle (1987)
  • Le Beau Mariage (1982)
  • La Marquise d’O… (1976)
  • La Collectionneuse (1967)
  • Le Signe du lion (1962)
  • Nadja à Paris (1964)

6/10

  • Conte d’été (1996)
  • Les Rendez-vous de Paris (1995)
  • Les Nuits de la pleine lune (1984)
  • Perceval le Gallois (1978)
  • Ma nuit chez Maud (1969)
  • Louis Lumière (1968 TV Movie)
  • Don Quichotte (1965)

5/10

  • Conte d’hiver (1992)
  • Conte de printemps (1990)
  • Le Genou de Claire (1970)

4/10

  • L’Anglaise et le Duc (2001) 

3/10

  • Les Amours d’Astrée et de Céladon (2007)
  • Pauline à la plage (1983)

2/10

  • L’Ami de mon amie (1987)

1/10

*Films commentés (articles) :

Commentaires simples :

La Femme de l’aviateur (1981)

À se demander si Marie Rivière n’est pas la seule actrice capable de rendre le phrasé de Rohmer. Si tout le monde peut trouver son bonheur chez Rohmer, celui-ci et L’Amour l’après-midi suffisent à mon bonheur. Et y a pas à dire, dans celui-ci, on y trouve une certaine obstination à traîner les séquences en longueur (non, pas comme chez Tati, mais plus comme chez Eustache si je me rappelle bien), parce qu’au fond on ne dépasse pas la vingtaine de séquences. Et cette dernière scène chez Anne dans laquelle elle accueille François en petite culotte et qu’elle passe par tous les états possibles sans se départir de sa douceur, c’est à elle seule un petit chef-d’œuvre. Rohmer étire la séquence, mais Marie Rivière fait le job comme personne. Cette femme-là on a envie de l’aimer. Alors quand on aime quasiment une femme, on ne peut que saluer honorablement, et jalousement, le film qui la met en scène.

Le Beau Mariage (1982)

Est-ce que les personnages de Rohmer ont une intelligence sociale aussi limitée ? Surprenant de voir autant d’acteurs jouer « sans » situation, de les voir toujours aussi gauches, plantés sans vie dans un lieu comme des cerveaux bavards totalement déconnectés de leur environnement. On peut difficilement imaginer direction d’acteurs aussi contraire aux principes de la méthode stanislavskienne (et Actors studio). On se rapproche en revanche, involontairement sans doute, de Bresson. Et c’est là que Dussolier jure un peu : il joue bien, lui, la preuve que cette absence de direction d’acteurs en est bien une. Sa scène finale est remarquable, d’ailleurs, avec un texte très fourni, il arrive à rester juste et simple. Quel talent.

La Collectionneuse (1967)

Intellectualisation de la bêtise à queue. Moi qui croyais naïvement qu’elle collectionnait les bouquins… c’était oublier un peu vite que c’était un film de Rohmer… Il faut avouer que c’est très bien écrit, que le petit jeu de séduction (marivaudesque) a son intérêt, mais j’ai assez peu d’appétence justement pour ce genre de problématiques : qui séduit qui ? comment faire pour la séduire ? est-ce que c’est contraire à ma morale ?, etc. Les retournements finaux souvent radicaux (moraux, donc), ironiques, voire cyniques, façon « conclusion de la fable », sont en revanche toujours amusants.

L’Arbre, le Maire et la Médiathèque (1993)

Je pourrais écouter Luchini des heures… et là, ça y est, Luchini fait du Luchini. Mélange étrange d’improvisation et de texte. Dombasle et Gregory s’en sortent bien mieux qu’à leurs premières heures chez Ro-Ro (avec, on l’imagine, une petite dose d’autodérision lors d’une séquence amusante à la campagne. Et on échappe aux pires marivaudages. Le tout est donc plaisant.(Intrusion dans la salle dix minutes après le début du film et reparti dix minutes avant la fin… de Dieu escorté par deux vigiles… Un vrai moulin.)

4 Aventures de Reinette et Mirabelle (1987)

Le défi le plus facile à gagner de l’histoire : jouer les muettes face à Luchini. Naissance d’un mythe peut-être, avec une Marie Rivière en délicieuse mytho, et un garçon de café… parisien.

Le Signe du lion (1958-62)

Chez Rohmer, quand on se retrouve sans toit à errer dans les rues, on dort tout de même à la terrasse du Café de Flore. Clochard, mais chic.

Premier film de Rohmer où on peut retrouver la saveur parisienne de La Boulangère du Monceau. Faut aimer voir Paris sous toutes ses coutures, la voir avec à chaque séquence la description et la participation d’une nouvelle tête souvent connue (Stéphane Audran, Macha Méril…). Ironiquement, on y trouve bien une demi-heure quasi muette, et c’est tout de même un peu trop. Je ne pensais jamais arriver à un point dans un film de Rohmer où il me faudra attendre avec impatience le retour des dialogues.

La morale est extrêmement cynique mais juste. Le « baron », r-assuré de devenir milliardaire, s’en va sans jeter un œil à son compagnon de galère. On n’est pas encore tout à fait dans le marivaudage (dès qu’on y trouve une femme, forcément déjà, mais on suit surtout notre lion déplumé et fauché comme les blés), plutôt dans la fable grinçante. Plaisant. (L’acteur Godard est toujours aussi amusant.)

Conte d’automne (1998)

Un jour, aux toilettes Kant a pensé : « Au printemps, les enfants bourgeois bourgeonnent » ; et il s’est bien gardé de l’écrire quelque part, lui.

L’actrice qui joue Ève est sans doute le pire monstre d’incompétence vu au cours de mes années non seulement de cinéphile mais d’acteur amateur. Dans le pire cours, avec le plus mauvais prof, et avec les pires élèves possibles, on ne trouvera pas aussi mauvais. Ce Rohmer-ci pourtant n’est pas à classer parmi ses films les plus compliqués à jouer : les situations qu’elle a à jouer sont assez bien définies, elle a la chance contrairement à d’autres de faire quelque chose, et son texte n’a rien de bien compliqué, elle est pourtant incapable de dire correctement la moindre phrase. Et ce n’est pas de sa faute à elle (elle n’a rien fait d’autre la pauvre, et pour cause), mais bien de celui qui l’a choisie. Ah, ça, elle est jolie, faut croire que pour celui qui dirige, il y a à trouver derrière cette beauté une valeur qui nous échappe et qui s’exprime foutrement mieux hors-champ.

Le reste est terrifiant d’insignifiance. Le pire de la caricature rohmerienne. Du bavardage sans fin, du badinage de pète-culs intergénérationnel, du petit jeu d’apparences anodines et sans conséquences, des fantasmes de séduction dignes d’un roman-photo…

L’Anglaise et le Duc (2001)

Perceval + Astrée + Céladon + l’Anglaise + le Duc = la tête à Roro. Arrête les costumes Éric, faut un minimum de savoir-faire en matière de direction d’acteurs. (Et pis, merde, coupez leur la tête à tous ces gilets blancs.)

Les Amours d’Astrée et de Céladon (2007)

Lecture de Alain Libolt entrecoupée de scènes classiques interprétées par la classe théâtre du lycée Corot à Savigny. (Feat. Marie Rivière qui fait le show dans la salle) Direction d’acteurs néant. (Marie ne peut pas tout faire, ou être partout…)

L’Ami de mon ami (1987)

Hélène et les garçons, épisode pilote.

Éric Rohmer