Goodbye Paradise, Carl Schultz (1982)

Goodbye Paradise

Note : 3.5 sur 5.

Goodbye Paradise

Année : 1982

Réalisation : Carl Schultz

Avec : Ray Barrett, Robyn Nevin, Guy Doleman

Neo-noir australien plutôt baroque mais plaisant. Le mélange des genres est souvent casse-gueule, ici, il tire un peu la corde de la cohérence sur la fin où en moins de dix minutes le Philip Marlowe de service gagne et perd l’amour de sa vie dans un attentat, est kidnappé par des putschistes et secouru par des agents doubles qui ont tout l’air de barbouzes avec effet boule à neige garanti.

Au-delà de ces écarts troublants (et rarement atteints dans les films noirs : l’humour, oui, mais il est très différent ici, et pour le côté complotiste, je ne vois guère que En quatrième vitesse, mais je ne me rappelle plus jusqu’où le film pouvait aller dans ce registrecertainement pas un film de guerre réalisée dans un bois avec trois francs six sous), ça fait un joli hommage aux recettes rarement suivies depuis les années cinquante du film noir.

Presque tout y est : la voix off du personnage principal, son alcoolisme et sa vie personnelle enfouie six pieds sous terre, l’humour pince-sans-rire, la recherche façon « Prisonnière du désert » de la fille d’un politique échappée dans un milieu louche (schéma de western mais pas mal repris dans les neo-noirs, notamment par Paul Schrader), la femme fatale (version positive et héritage des personnages féminins louches de L’Odyssée), une bonne brochette de seconds rôles et hommes de main avec qui le personnage principal croise la route à diverses reprises histoire de lui faire comprendre qu’il se mêle un peu trop de ce qui ne lui regarde pas, le sac de nœuds incompréhensible de la trame dramatique mais encore crédible quand il se limite à des complots mafieux de politiques sans arrière-pensées encore putschistes, la fausse piste un peu grossière, l’aidant un peu trop aidant sur qui le personnage principal (et les autres) passe son temps à s’essuyer les pieds en dépit du bon sens, etc.

Bref, tout à fait charmant. Et dépaysant. (La gamine est d’une beauté à tomber par terre… comme le dit si bien la « femme fatale » quand notre Marlowe lui dit qu’il recherche une fille de dix-huit ans, elle répond : « Comme tout le monde »… Ça devient presque alors une version de La Panthère rose. Un joyau, ces gamines. Bon, pour le talent de la gamine en question, ce n’est pas tout à fait ça, mais ça fait son petit effet sur les pervers de mon triste genre.)

Carl Schultz réalisera l’année suivante l’excellent Careful, He Might Hear You.


 
Goodbye Paradise, Carl Schultz 1982 | Petersham Pictures, New South Wales Film Corporation

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À bout portant / The Killers, Don Siegel (1964)

À bout portant

The Killers Année : 1964

6/10 IMDb

Réalisation :

Don Siegel

Avec :

Lee Marvin, Angie Dickinson, John Cassavetes

Sac de flashbacks colorés au goût acidulé fêtant joyeusement la mort de chacun des personnages. Seuls les seconds couteaux ont la vie sauve.

L’allure des killers et leur attitude pourraient faire penser à Tarantino, mais on est clairement encore dans le film noir, avec la couleur pour lui refaire un semblant de beauté. On ne dirait pas qu’on est en 1964.

Aucune psychologie, de la musique pour la remplacer, des post-synchronisations, des transparences ridicules en voiture, et en prime Ronald Reagan, piètre acteur ayant étrangement plus la carrure d’un homme politique qu’un escroc (on change un escroc pour un autre, le tout est de trouver sa vocation), et qu’on retrouve ici brièvement travesti en policier de la circulation.

Avec des flashbacks aussi longs, aucune chance de s’identifier comme il faut aux deux personnages de tueurs principaux. Si bien que quand l’un des deux meurt, on ne s’y attarde pas et on s’en moque. Pas bon signe. Mais on amorce aussi par là la fin des impératifs moraux du code et sur lesquels Siegel ne cessera par la suite d’appuyer jusqu’à Dirty Harry (à la même époque et avec le même principe — mise en scène de personnages qu’on ne cherche pas à rendre moralement “bons” —, c’est le western spaghetti qui redonnera un peu de souffle à un autre genre sur le déclin).

On retrouvera le même duo (Lee Marvin et Angie Dickinson) quelques années plus tard dans Le Point de non-retour de John Boorman.


 


Meurtres dans la 110e rue, Barry Shear (1972)

Meurtres dans la 110ᵉ rue

Across 110th Street
Année : 1972

Réalisation :

Barry Shear

Avec :

Anthony Quinn
Yaphet Kotto
Anthony Franciosa

8/10 IMDb

Listes sur IMDb :

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Polar sale et méchant avec un parti pris très en faveur des Noirs against ze rest of ze world. Qu’ils soient flics ou criminels, les Noirs sont toujours ou presque présentés de manière positive. Ce n’est pas que c’est particulièrement bien finaud (peut-être même un peu opportuniste quelques mois après les révoltes raciales dont il est question dans le film), mais le pari, il faut le reconnaître est très bien tenu, parce que les séquences entre les criminels ayant pour but de les rendre plus humains (c’est la faute de la misère, de la société, etc., loin des monstres sans relief de nombreux films) sont de loin les meilleures séquences du film.

Direction d’acteurs et interprètes impeccables, un peu comme si une même classe d’acteurs de Cassavetes s’immisçait dans un même polar. Difficile sans doute aujourd’hui de s’en satisfaire, mais ça devait être à l’époque un petit exploit (puisque ces acteurs sont noirs, je le rappelle) et on n’est pas encore (ou pas tout à fait) dans la blaxploitation. De leur côté, Yaphet Kotto et Anthony Quinn sont parfaits dans leur rôle respectif mais leurs chamailleries sont trop répétitives. L’intérêt, paradoxalement est ailleurs.


Meurtres dans la 110e rue, Barry Shear 1972 Across 110th Street Film | Guarantors


Rapport confidentiel, Milton Katselas (1975)

Rapport confidentiel

Report to the Commissioner Année : 1975

Réalisation :

Milton Katselas

7/10 IMDb

Avec :

Michael Moriarty, Yaphet Kotto, Susan Blakely

On sent le film adapté d’un roman à succès où chacun fait parfaitement son job dans une production de grand studio, mais dans laquelle il manque l’essentiel : un chef d’orchestre capable de relever les petites failles et cohérences du scénario (adaptation plus précisément). C’est parfois pénalisant et on lève le sourcil, mais en dehors de ça le film est très réussi.

Direction d’acteurs parfaite, une intrigue fouillée, parfois confuse et donc incohérente dans certaines situations, et un spectacle plaisant.

Il faut voir une course-poursuite formidable entre un cul-de-jatte et un taxi, ou celle d’un mac en slip sur les toits de la ville. Yaphet Kotto est, comme à son habitude, excellent, tout comme Susan Blakely.

Ça sent bon la crasse et l’humidité des années 70.


Rapport confidentiel, Milton Katselas 1975 Report to the Commissioner | Frankovich Productions


Police sur la ville, Don Siegel (1968)

Police sur la ville

Madigan

Année : 1968

Réalisation :

Don Siegel

8/10 IMDb

Policier plutôt hybride entre deux époques, donc aux accents un peu vieillots, mais la thématique de l’honnêteté est au cœur du film et parfaitement gérée. Le vieux commissaire droit et inflexible, sans enfant (la famille corrompt, parce qu’on le devient toujours quand on protège quelqu’un, c’est bien vu), devant gérer les déboires de son seul pote ; et en face de lui le flic roublard mais pas trop (tout le film consiste à rattraper une de ses bourdes) devant gérer une vie de couple presque de jeune marié en cherchant à rester honnête et fidèle à sa femme.

Rien n’est simple, et plus que l’intrigue, ce sont ces interrogations sur la probité qui passionnent. Faut voir la bagnole du Richard Widmark aller tout droit et ignorer une intersection « one way » après que Henry Fonda, interrogé sur la marche à suivre, dit : « There’s only one way… ». La rencontre fortuite entre les deux hommes est magnifique : Widmark, tout impressionné, comme un petit enfant face à la stature de l’homme honnête incarné par Fonda…

(Le design est moche : sous les projos, la mort des chapeaux au cinéma, des intérieurs comme des extérieurs tous aussi laids les uns que les autres, et des personnages féminins comme dans les westerns qui font tapisserie.)


Police sur la ville, Don Siegel 1968 Madigan | Universal Pictures


Les flics ne dorment pas la nuit, Richard Fleischer (1972)

Les flics ne dorment pas la nuit

The New Centurions
Année : 1972

Réalisation :

Richard Fleischer

Avec :

George C. Scott
Stacy Keach
Jane Alexander

9/10 IMDb

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L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Carnet sociologique d’une justesse de ton remarquable. Film qui devrait figurer dans le catalogue du National Film Registry : culturellement, historiquement et esthétiquement significatif d’une époque et d’un certain milieu…

Sympa de débuter la rétrospective bad cop, good cop à la Cinémathèque avec un film aussi remarquable…

On se croirait presque parfois dans du Wiseman, avec la bonne distance et en permanence ce refus des clichés, la bienveillance à l’égard des petites gens, voire des connards.

Du neo-noir très très sombre.

Les seules réserves que je ferais concerneraient la musique de Quincy Jones. Même si ça permet finalement aussi d’apporter un contraste dans des séquences purement d’action ou… domestiques. (« Hum, la bonne soussoupe pour son chéri ! »)


Les flics ne dorment pas la nuit, Richard Fleischer 1972 The New Centurions | Columbia Pictures, Chartoff-Winkler Productions,


Le Point de non-retour, John Boorman (1967)

Redoublement post-bac

Note : 5 sur 5.

Le Point de non-retour

Titre original : Point Blank

Année : 1967

Réalisation : John Boorman

Avec : Lee Marvin, Angie Dickinson, Keenan Wynn, Carroll O’Connor, Lloyd Bochner, John Vernon

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Mystère, je double la note. Peut-être que l’amorce lancée par John Boorman avant le film pour l’ouverture de sa rétrospective a fait tilt, un peu comme une introduction loupée et nécessaire qui m’aurait manqué au premier visionnage : « Lee Marvin a été traumatisé par son expérience de la guerre dans le Pacifique, ce film, c’est une allégorie de ce qu’il y a vécu. » Il y a tout un côté “métaphysique”, cynique, désabusé et absurde, voire parfois franchement hilare tellement le type qu’interprète Lee Marvin est buté au point de ne plus voir sa vie qu’à travers les 93 000 dollars après lesquels il court.

La construction en puzzle est adroite. Possible qu’en amoureux du classicisme de La Forêt d’émeraude, j’avais trouvé Le Point de non-retour trop « nouvelle vague » (ce ne serait pas loin d’initier plutôt le nouvel Hollywood : on retrouve de tels procédés dans Conversation secrète).

Vu une première fois en 2005. J’en avais tellement un mauvais souvenir que je n’avais pas prévu de retourner le voir. De mémoire je voyais ça comme un polar qui décollait jamais, avec un rythme lent et bizarre ; je pense aussi que je ne comprenais pas les motivations du personnage et que son comportement était trop incohérent (pour le coup, fort possible que le côté « le type revient de la guerre » ait fait tilt pour lancer l’ambiance, mais ça, c’est peut-être aussi parce que le début du film est trop confus ; on comprend mal la situation de départ avec ses va-et-vient charcutant le récit introductif entre passé et présent. Il y a un côté Comte de Monte-Cristo, avec l’île, la trahison, la vengeance, qui ne marche pas).

John Vernon est un des meilleurs acteurs quand il est question de se faufiler dans la peau d’un méchant… jusqu’à ce que Boorman lui enlève son slip. Ça doit être l’effet Troisième Homme : les films noirs revus par l’humour imperceptible et subtil des Britanniques.

Et Angie Dickinson est parfaite. Sa première scène est compliquée, et elle aurait pu se rétamer en beauté ; elle joue à la perfection la fille qu’on oblige à se réveiller et encore sous l’emprise des somnifères… Son personnage sert de contrepoint au mutisme et à l’obsession folle de Lee Marvin, qui, lui, tel le héros classique et frigide du western, ne jettera jamais un regard sur une des plus belles femmes du monde. Il faut des aidants dans toutes les histoires (sauf peut-être dans Le Samouraï ; et encore, il doit y en avoir, j’ai en tête que certaines scènes fameuses). Si on y croit, c’est qu’elle aussi a été chahutée par la vie : elle suit Marvin ni par intérêt ni par amour absurde ; elle se rattache à quelque chose de son passé qui lui semble rassurant et familier. Rencontre de deux solitaires que tout oppose.


Le Point de non-retour, John Boorman 1967 Point Blank | Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), Winkler Films

 


 


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To Live and Die in L.A., William Friedkin (1985)

Calipolarnie

To Live and Die in L.A. (Police fédérale, Los Angeles)Année : 1985

Réalisation :

William Friedkin

8/10  IMDb

Eh bien voilà dans quoi je l’aime le vieux Willy, dans les polars balourds et renégats. C’est sale, ça pue le fric, la drogue et le vice, mais c’est ça — aussi — la Californie. Un petit polar sans prétention ça ne se refuse pas. Et Willy ne cherche rien à faire d’autre que de suivre la longue tradition des crime films à l’américaine. Il s’efface derrière son sujet, il met très bien en images et en rythme les quelques séquences d’action, que demander de plus ? On n’a jamais demandé à Willy d’être un génie, juste de faire le job. Et il le fait justement quand il ne se prend par pour autre chose.

To Live and Die in L.A., William Friedkin 1985 | SLM Production Group, New Century Productions, United Artists


Charley Varrick, Don Siegel (1973)

La Proie, l’Appât et les Truands

Note : 4.5 sur 5.

Tuez Charley Varrick !

Titre original : Charley Varrick

Année : 1973

Réalisation : Don Siegel

Avec : Walter Matthau, Joe Don Baker, Felicia Farr, John Vernon, Sheree North, Norman Fell

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Don Siegel avait tout de même l’art dans les années 70 de proposer des films, et un ton surtout, comme on n’en aura jamais vu par ailleurs ni avant ni après. À part Dirty Harry qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, je suis un inconditionnel des Proies et de Sierra Torride. Et si on parle d’auteur, il y a là bien une marque siegelienne à laquelle cet opus peut se rattacher, faite d’humour, de nonchalance, de nihilisme, de faux masochisme, et synonyme aussi de grand spectacle avec mouvements de fuite, musique tout aussi nonchalante (signée du génial Lalo Schifrin) et images flamboyantes.

Le début du film, le casse d’une banque de l’Amérique d’en bas, est un modèle de thriller et de suspense, mais aussi de montage alterné. Belle gageure, la séquence étant un véritable archétype du genre… Possible par exemple que, si le film est un hommage à La Mort aux trousses surtout sur la fin, que cette séquence soit, elle, un hommage détourné à Gun Crazy où on retrouve la même configuration qu’ici : un même coin paumé, une femme au volant (cette fois, c’est elle qui est déguisée, ou qui porte son habit de scène, comme plus tard Varrick portera le sien), qui attend son homme (ici Walter Matthau et deux autres acolytes). Différence notable, c’est que ce film de Joseph H. Lewis sorti en 1950 est surtout connu pour cette scène tournée… en plan-séquence (on trouve la scène sur Youtube) et qu’ici Don Siegel opte pour un choix totalement opposé en multipliant les sujets, les points de vue, pour former une géniale séquence en montage alterné.

L’histoire est tirée d’un roman écrit par un inconnu (et dont le titre original me semblait bien meilleur que Charley Varrrick : The Looters, Les Pilleurs), mais ce n’en est pas moins un modèle. Le film noir est mort, le polar siegelien débarque. La brutalité n’est plus celle des méchants de l’ombre, mais bien celle du héros principal. De vrais mauvais garçons, et pire que tout, des malfrats sympathiques. Après quelques décennies de code Hays, il faut réinventer le genre qui s’était à peine dessiné en « crime films » au début des années 30. Fini les grandes villes, bonjour l’Amérique profonde, voire parfois la banlieue de Los Angeles, autrefois trop claire pour servir le film noir (c’est une généralité, voire un archétype imaginé a posteriori sur une poignée de films, Fallen Angel de Otto Preminger est un exemple de film noir tourné en Californie). Adieu les femmes fatales, bonjour les femmes-objets dans une société où c’est l’objet qui nous domine (sorte de mix étrange entre pseudo-féminisme et critique du matérialisme de la société de consommation).

Charley Varrick, c’est l’alliance improbable du western qui se meurt dans son crépuscule et le film noir qui s’est déjà mouru dans l’ombre plus d’une décennie plus tôt. Le polar à la sauce 70 vient trotter sur les pas de Hud (Martin Ritt, 1963) ou de Seuls sont les indomptés (David Miller, 1962) : la mort du western où les grands espaces ne sont plus que des terrains vagues ; chapeaux et santiags sont là pour faire jolis, les chevaux ronflent maintenant sous les capots d’étranges chars métalliques, et la place des duels du village est remplacée par une piste d’atterrissage improvisée au milieu des épaves automobiles… Les ombres du film noir ont disparu, la tonalité est la même ; l’ombre au tableau, identique, on l’éclaire désormais d’une lumière criarde et de paillettes. Le folklore pour mieux cacher les désillusions d’un monde à l’agonie ; l’humour et le cynisme comme seuls moyens de subsistance ; le nouvel Hollywood, qui recueille les lumières expirantes des phares inaccessibles des boulevards aux étoiles entre deux sorties d’autoroute, entre deux mégapoles, à la frontière du désert qui maintenant n’est plus rien sinon un dépotoir et une zone morte depuis que le Pacifique n’est plus un rêve, un but, mais un mirage ne reflétant plus que les lumières fardées et autocentrées de l’usine rêve : Hollywood.

Charley Varrick dévalise une banque, cela pourrait tout aussi bien être un hangar, un studio de cinéma. Il y aurait trouvé le même argent sali par l’orgueil, les fausses illusions, les mêmes connivences troubles, les mêmes mensonges. Varrick y perd sa femme, c’est un homme maintenant libéré de toute contrainte qui va pouvoir savamment, patiemment, froidement, tout faire valser. Dirty Varrick. Seul contre tous, d’abord contre son embarrassant complice, puis la police, et enfin la mafia. Les armes du cygne ? Un peu de dynamite pour tout faire exploser et de jugeote pour s’extirper d’un piège dans lequel il est tombé, s’en extirper comme on prépare le grand casse du siècle. Un magicien de la piste notre Varrick : il cite Hitchcock, mais c’est bien avec surprise qu’il nous appâte aussi et finit par nous tromper. Un tour est un tour, quoi qu’en dise Alfred : on devrait s’attendre à être trompés, mais le stratagème est trop bien ficelé pour ne pas nous éblouir quand il nous pète à la figure.

Pour garder une longueur d’avance (Varrick l’avait déjà en comprenant qu’il était tombé dans un piège qui n’était pas tendu pour lui, ni pour personne), ce franc-tireur, solitaire intégriste, impose le terrain à son adversaire, impose ses propres apparences et son expertise (le choix de l’arme). Les gros poissons se laissent toujours tenter par les plus gros appâts, même si ça les fait sortir une seconde de leur élément. Et l’ancien Hollywood, avec ses complices de la société de surconsommation, ces mafieux qui ont troqué depuis longtemps les flingues pour les sourires hypocrites, tout ça peut alors se faire voir dans un dernier bûcher. Varrick y cédera la part misérable qu’on lui prêtait pour le casse, et se joue ainsi des apparences d’un monde qui l’avait dépossédé de tout.

Voler les escrocs par l’escroquerie.

La misère matérialiste, quand elle sait travailler avec sa tête, peut se révolter et tout faire péter dans ce monde d’escrocs. Avec la seule idéologie qui vaille alors : le nihilisme. Un coup de pied dans la fourmilière et au revoir. Aucun message, aucune morale. No future. Quand ça vient d’un flic, c’est réactionnaire ; quand c’est un ange vengeur, tout lui est permis. Choisis ton côté de la barrière.


À croiser avec Le Point de non-retour.


Charley Varrick, Don Siegel (1973) | Universal


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Gone Baby Gone, Ben Affleck (2007)

Prétoire sur trottoir

Note : 4 sur 5.

Gone Baby Gone

Année : 2007

Réalisation : Ben Affleck

Avec : Casey Affleck, Michelle Monaghan, Ed Harris, Morgan Freeman

Polar inspiré. On y retrouve certains éléments de Mystic River (adaptés tous deux de Dennis Lehane). Pas friand du tout des multiples rebondissements finaux, ni de certains partis pris (il aurait été plus avisé, pour éviter le ton sur ton, ou le stéréotype, que du duo de détectives, ce soit Kenzie qui préfère ne pas remuer le passé, laisser les choses en l’état et que la voix de la raison vienne comme d’habitude de sa copine, sinon Gennaro semble trop jouer les utilités ou les faire-valoir).

En revanche l’exécution est particulièrement brillante. Et le thème de la justice, comme toujours quand il est bien traité, propose des questions qui dépassent le cadre du cinéma.

La mise en scène de Ben Affleck montre déjà qu’il a tout compris, adoptant des techniques efficaces sans être tape-à-l’œil ou racoleuses. En dehors des plans d’introduction et de conclusion du film faisant documentaires et de quelques montages-séquences* de transition trop conventionnels, la maîtrise est impressionnante. Le ton et le rythme sont toujours parfaits. Et si c’était encore à prouver, en dirigeant ici son frère Casey, Ben Affleck démontre une nouvelle fois qu’il n’y a pas mieux qu’un excellent acteur pour en diriger d’autres. Il aurait été particulièrement difficile de représenter des camés, des brutes, des pervers, en en faisant trop, pourtant ses acteurs sont toujours dans le ton, justes. Les mauvais acteurs (et les mauvais spectateurs qui pensent qu’un bon acteur c’est celui qui fait une “performance”) préfèrent l’esbroufe, donc le grotesque, l’ostentatoire, à l’authenticité ou la simplicité. Un bon directeur d’acteurs sait canaliser ça et leur demander d’en faire toujours moins. Des stars (Morgan Freeman et Ed Harris) aux rôles secondaires (en particulier le dénommé Slaine jouant ici l’indic et l’ami) tout le monde joue la même partition.

Au niveau de la thématique. Le jeu des apparences est fascinant et a le mérite de poser un certain nombre de questions récurrentes en ce début de XXIᵉ siècle. A-t-on le droit de transgresser volontairement les lois pour rendre une justice qu’on estime déficiente et pas assez protectrice ? A-t-on le droit alors de proposer une forme de justice alternative non légitime et personnelle ? Autrement dit, peut-on tromper la justice pour protéger les plus faibles, en l’occurrence ici une enfant ?

Ces interrogations se posent au moins trois fois dans le film. À chaque fois (avant la décision finale), les personnages prennent le parti du plus faible pensant “détordre” ce qui a été à l’origine “tordu” par les manquements de la justice. Et à chaque fois, cela semble au contraire entraîner une chaîne d’événements tragiques et de nouveaux mensonges sans fin. Dès qu’il est question de protéger l’intégrité des enfants, il semblerait qu’on soit plus prompt à tomber dans la justification d’idées extrémistes, dans les certitudes rassurantes et bien-pensantes (du moins, on voudrait le croire, qu’y a-t-il de plus noble que de défendre les plus faibles ?), et c’est compréhensible. Mais compréhensible ne veut pas dire acceptable. Ou juste.

Note spoiler et pour mémoire : le premier tournant, c’est quand les personnages décident de se servir du magot retrouvé comme monnaie d’échange avec la petite, ce qui précipitera sa “perte” ; le deuxième, quand Kenzie exécute le « monstre tueur d’enfants », ce qui lui vaudra la pleine reconnaissance de la police et le maquillage des pièces à conviction afin de faire passer ça pour de la légitime défense ; et enfin quand Kenzie comprend que tout est une vaste manipulation dans le but de tirer la fillette des mains de sa mère indigne, ce qui peut paraître au début être une action plutôt noble mais une magouille qui fera beaucoup de morts, y compris ceux en partie qui en avaient eu l’idée…, et qui fera éclater notre couple de joyeux détectives. Toute action, a fortiori illégale, et même quand elle vise à réparer une injustice, produit une chaîne d’événements incontrôlables. CQFD. Brillant.


 

Gone Baby Gone, Ben Affleck 2007 | Miramax, The Ladd Company, LivePlanet


Sur La Saveur des goûts amers :

Article connexe : l’art du montage-séquence

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