Ni juge, ni soumise, Yves Hinant, Jean Libon (2017)

Note : 2 sur 5.

Ni juge, ni soumise

Année : 2017

Réalisation : Yves Hinant, Jean Libon

Méthode de documentaire à la Strip-tease offrant un regard distant, sans commentaire ou parti pris avec son sujet. C’est plutôt louable, mais à la fois aussi la seule qualité du film et celle qu’on pourrait justement attendre d’un juge dans l’exercice de sa fonction. Le problème est bien là. Le personnage dépeint dans le film est insupportable et questionne même la déontologie de sa profession : qu’est-ce qu’un juge ? Est-ce qu’un con, exprimant la grandeur de sa connerie dans le cadre d’une profession où il est amené à exercer de lourdes responsabilités sur le devenir des autres, a-t-il le droit ainsi de manquer de respect à tous, voire à s’émanciper des lois qu’il est censé faire respecter ?

Je ne connais pas les usages judiciaires en Belgique, pas beaucoup plus en France, et ne sais par conséquent pas jusqu’à quel degré de libertés les juges d’instruction peuvent s’autoriser dans leur exercice du pouvoir. En revanche, sur la seule question éthique, pas besoin d’être expert pour comprendre que ces méthodes sont révoltantes. Tout dans ce personnage en fait, il y a le contraire de ce qu’on pourrait être en droit de demander et d’attendre d’un juge : partialité permanente, insolence envers certains prévenus (presque toujours des hommes issus de l’immigration) et empathie envers d’autres (quand ce sont des femmes, même pour une femme s’expliquant sur son infanticide), abus d’autorité (dont elle peut même s’amuser comme quand elle demande, hilare, à un policier de jouer de la sirène pour éviter les bouchons), non-respect de la parole des prévenus (elle leur coupe la parole, les menace, s’autorise des commentaires déplacés, refuse aux avocats de s’exprimer…) et même racisme.

On fait passer ça pour de l’excentricité, ça ne me poserait pas de problème si cette excentricité s’exprimait en respect avec la bonne pratique de son travail. Voilà une belle illustration malheureusement de l’idée qu’une partie des maux de la société est issue du mépris d’une certaine partie de la population pour une autre, toujours prête à lui savonner la planche pour que surtout elle ne dispose pas des mêmes droits qu’elle. Comme l’impression de voir la justice d’un autre siècle avec laquelle le pauvre est par nature coupable de sa misère, non pas seulement des actes qui lui seraient reprochés, mais aussi encore plus de sa condition misérable à laquelle on lui refuserait le droit ou la possibilité de s’extirper. Croit-on qu’un homme, coupable ou innocent, ainsi (pré)jugé pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait, sortira de cette expérience judiciaire en faisant profil bas et en suivant le droit chemin ? Je n’y crois pas une seconde. Un homme à qui on dit qu’il est non seulement coupable de ses actes, mais aussi, par nature, de sa condition, retournera au monde avec une nouvelle obsession, celle de se venger de ceux qui l’ont (sur)jugé. Un type lui jure qu’il ira se battre en Syrie pour avoir été traité, et sans qu’on daigne l’écouter, comme un coupable et non comme un être humain : qu’une telle menace soit ou non suivie d’une quelconque radicalisation, c’est déjà le signe que la justice va de travers et qu’au lieu d’aider les hommes à se grandir, elle ne soit au contraire que l’outil d’une partie de ceux-ci servant à dénigrer et à rabaisser une autre qui est déjà à genoux. Qu’est-ce que Victor Hugo disait déjà, cité dans le film de Ladj Ly, au sujet des bonnes, des mauvaises herbes et des cultivateurs ?…

Ni juge, ni soumise, Yves Hinant, Jean Libon (2017) | Le Bureau, Artémis Productions, France 3 Cinéma



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A Cappella / Han Gong-ju, Su-jin Lee (2013)

Note : 3.5 sur 5.

A Cappella

Titre original : Han Gong-ju 한공주

Année : 2013

Réalisation : Su-jin Lee

Révoltant et… éprouvant. Quelques réserves sur l’utilisation de la musique et des amies en contrepoint du traumatisme initial comme pour donner une note d’espoir alors qu’on commence à en savoir un peu plus sur la tragédie dont a été victime la principale protagoniste. J’aurais souhaité en voir plus sur les manipulations, les corruptions, les intimidations qui ont suivi les faits (traitant des suites de l’affaire, notamment judiciaires), plutôt que de voir un autre choix narratif se faire, moins distant ou documentaire, et plus focalisé sur l’empathie à l’égard de Gong-ju.

Dans ce cas de figure (adaptation d’un fait divers), je serais toujours tenté de privilégier la mise à distance avec le sujet et l’approche quasi-documentaire, voire tenté d’adopter une tout autre manière de présenter les faits en jouant à fond la carte de la stylisation.

Cette mise à distance, le film réussit très bien par ailleurs à la faire de manière générale (au contraire d’un film comme Hope), surtout dans sa première partie. L’approche reste assez subtile : le jeu de va-et-vient entre passé et présent est bien mené, utile pour qu’on puisse prendre connaissance peu à peu des événements (pour un Coréen connaissant déjà les faits, l’approche serait différente, mais dans le bon sens, parce qu’elle doit ainsi sembler plus respectueuse vis-à-vis de la victime).

L’interprétation des acteurs est excellente, tout en retenue la plupart du temps (à l’exception du père). Et la première heure, dans cette première partie où on comprend qu’elle cherche à échapper à un milieu dans lequel elle a été plongée et probablement victime, est excellente, même si encore une fois on peut se demander si cet intérêt, voire ce plaisir, suscité par les effets narratifs ainsi constitués, compte tenu du fait, encore, qu’il s’agit d’un fait divers réel particulièrement sordide, ne nous rend pas spectateurs un peu coupables et complices, ou au moins voyeurs.

Difficile d’aborder un tel sujet quand on le sait lié à des faits réels. Tout comme il est difficile de les recevoir (un défi récurrent pour les auteurs, on l’a vu récemment avec le film d’Ozon sur la pédophilie).


A Cappella, Su-jin Lee 2013 Han Gong-ju 한공주 | Vill Lee Film


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Brubaker, Stuart Rosenberg (1980)

Brubaker

Brubaker Année : 1980

4/10 IMDb

Réalisation :

Stuart Rosenberg

Avec :

Robert Redford, Yaphet Kotto, Morgan Freeman

Tiré, défait, par les cheveux. C’est pas le tout d’avoir une histoire tirée de faits réels, encore faut-il se garder d’en adapter une trop grande part pour « faire cinéma ». Certaines incohérences lourdes heurtent franchement la crédibilité du récit. Que le futur directeur de prison se fasse d’abord passer pour un détenu, passe encore, ça ressemble à du mauvais Samuel Fuller (je fais pas dans le pléonasme, c’est pour dire que c’est vraiment très très mauvais), mais le directeur de prison qui fait chercher des fosses communes sur le terrain de la prison par ses détenus ou qui chasse un “trustee” (sorte de kapo de pénitencier) l’arme à la main avec l’aide d’autres trustees (donc des prévenus) jusque dans la ville voisine, et tout ça sans jamais prévenir ni la police ni l’institution judiciaire, je veux bien qu’on puisse respecter à la lettre les principes de Hitchcock pour plonger le spectateur dans une tension permanente (ne jamais appeler la police), là, les ficelles deviennent si grossières qu’on ne peut faire autre chose que hausser les épaules… ou rire.

(Le spectacle serait plutôt ailleurs : Bruno Nuytten nous expliquant les bisbilles entre Bob Redford et Bob Rafelson quand ce dernier voulait raser la tête du premier. Rafelson sera remplacé. On touche pas à Bob, Bob.)


 

Brubaker, Stuart Rosenberg 1980 | Twentieth Century Fox


Weinstein et compagnie

Les capitales

Violences de la société

C’est sympa de nous rejouer le coup des “scandales” sexuels presque un siècle après qu’on a accusé Roscoe “Fatty” Arbuckle de viol et de meurtre de Virginia Rappe, et presque une demi-douzaine d’années après les accusations de viol de DSK sur Tristane Banon. Manifestement, la presse, la rumeur, les scandales et les lynchages en règle qui suivent avec le même systématisme, les mêmes procédés puants et contre-productifs ne nous apprennent rien. Alors on recommence.

Quand on est victime d’un délit et a fortiori d’un crime, il y a ce qu’on appelle dans les sociétés civilisées, la Justice. Personne ne veut aller en justice, on le comprend, ce n’est pas drôle, mais si on y renonce, et plus on y renonce, moins il sera facile, voire carrément possible, de prouver qu’on a bien été victime.

La question n’est pas de savoir si Fatty Arbuckle était coupable, si DSK l’était ou aujourd’hui Weinstein, car les circonstances sont différentes, et au moins pour le premier, il est assez vraisemblable, un siècle après, de penser qu’il avait été accusé à tort. En revanche, c’est tout l’emballement qui suit, les “scandales” relayés et alimentés par la presse et la rumeur, les lynchages, les attaques de tous côtés (que ce soit à l’égard de l’accusé en question ou des victimes), qui procèdent de la même logique.

Un crime, ça se juge devant de la Justice. Pas au tribunal populaire. Alors les petits collabos de circonstances qui sont toujours du bon côté de la barrière et dans le sens du vent, les opportunistes, tous ceux qui ont peur de ne pas participer au mouvement de foule et de dénigrement (là encore en s’attaquant à la fois à l’accusé populaire ou la victime), tous ceux-là, c’est en fait eux, toujours les mêmes, nous, qu’il faudrait accuser. Parce qu’ils n’apprennent jamais rien et n’ont jamais qu’un seul désir : profiter, non pas du crime, mais du scandale. Il y a des profiteurs de scandale comme il y a des profiteurs de guerre. On juge (et je le fais ici à mon tour, mais je ne juge pas un cas particulier), on se lave pas mal les mains en fait des victimes qu’on prétend défendre, car encore une fois, quelques mois après, on se foutra pas mal de savoir s’il y a ne serait-ce qu’un procès, vu que tout ce qui importe, ce n’est pas de protéger les victimes, mais de participer au scandale, au mouvement, aux accusations ; sinon on comprendrait, à force d’expérience, puisque ces scandales ne font que se répéter avec les mêmes résultats, à savoir que ça se retourne contre les victimes, et que les crimes et délits qui entourent toutes ces pratiques bien réelles, et dont on ne parle pas au quotidien, elles continuent sans que cela change.

Parce que profondément, est-ce que la mise en lumière de tels scandales, de telles accusations, aide-t-elle à changer les comportements ? Non. Que les faits soient réels ou non, pour une affaire médiatisée, il y en a des millions d’autres qui n’attirent l’attention de personne et qui tiennent de la même logique. En l’occurrence, un bon gros et gras prédateur sexuel capable, par le pouvoir qu’il détient sur sa (ou ses) victime potentielle, par la sympathie et la confiance dont il peut jouir, et grâce à leur environnement commun, d’agir sur elles a sa guise et sans risque de poursuites (immédiates, et au prix parfois de chantages, d’ententes forcées, de menaces, etc.). Il y a donc un siècle, éclatait cette affaire du viol et du meurtre de Virginia Rappe. Les pratiques ont-elles alors changé à Hollywood ? On serait tentés de dire : « la preuve que non puisqu’on y est encore un siècle après ». Mais encore une fois les affaires ne sont pas identiques, ce n’est que le traitement qui en est fait. Mais les affaires de mœurs ont-elles disparu à Hollywood, ou ailleurs ? Pense-t-on vraiment aller dans le bon sens en nous acharnant sur des affaires sur lesquelles on ne sait rien au lieu de nous attaquer à ce qui fait système ? L’impunité, l’intérêt que chacun a de se taire, la difficulté à porter plainte, l’impréparation des commissariats à recevoir les victimes, la justice débordée… La question des violences dans un milieu en particulier, par un type d’agresseurs en particulier, ou même dans une société tout entière, c’est un problème qui ne peut se résoudre à la lumière d’un seul fait divers ou de ses petites sœurs balancées sur la place publique. Un peu à la manière de la lutte contre le terrorisme, la passion, le manque de raison, la nécessité de montrer les muscles, ou simplement d’agir, presse certains à prendre des décisions au mieux inutiles, au pire, contre-productives. La famille et les amis croient un ou une proche quand elle se dit victime d’un abus ou d’un crime. Mais ce n’est pas à la société entière de la croire. Pour ça, il y a la suspension de jugement. Ce n’est pas parce que 99 % des plaintes seraient issues de victimes réelles qu’il faudrait accepter de systématiser un verdict, justement pour les 1 % qu’il reste. La justice ne peut pas créer de nouvelle victime. C’est pour ça que c’est difficile, et c’est pour ça qu’il faut donner les moyens à la justice de travailler.

Il y a un siècle, le scandale de Fatty a bien ruiné sa carrière, au point qu’aujourd’hui rares sont ceux qui pourraient citer son nom ou un de ses films (ou oublie les scandales et les personnes qui y sont mêlées comme des furoncles passent et repassent sur notre peau : ça jaillit, c’est vilain, on tente à peu près tout pour colmater, on empire la chose, on se salit soi-même les doigts, et puis un an après c’est tout oublié), et au final, sur quoi a débouché l’affaire ? Arbuckle sera acquitté et cette affaire sera le point de départ d’une prise de conscience des faiseurs d’Hollywood (leur bonne conscience, leur agence de presse) et on aboutira quelques années après à la mise en place d’un code de conduite, le code Hays (le but n’étant alors pas de préserver les bonnes mœurs américaines mais bien d’éviter de nouveaux scandales). De rien, on en a conclue qu’il fallait non plus se taire, mais ne plus montrer en laissant penser aux milieux conservateurs que ce que l’on ne voit pas n’existe pas.

De la même manière que dans l’élucidation d’un crime on en vient à se demander à qui profite le crime, en la matière de scandale, il serait bon de se demander à qui il profite. Certainement pas aux victimes. Qui le sont bien souvent deux fois.

J’insiste donc. Aucune justice légitime ne peut passer par la presse. L’emballement ne ferait qu’y rappeler ce qu’on y voit parfaitement décrit dans des films comme Fury, La Rumeur ou L’Étrange Incident. Le citoyen ne sort jamais grandi d’accusation sans preuve, et la victime n’aura jamais gain de cause en accusant publiquement (par voie de presse, quand un système se dessine autour d’un même prédateur, oui). Sans preuves suffisantes, elles laissent la possibilité à leur(s) agresseur(s) une nouvelle fois de les attaquer. D’où l’intérêt pour les victimes de pouvoir se manifester à la justice pour qu’elle puisse lancer, elle, des procédures quand des victimes n’ayant parfois aucun rapport entre elles ne pourraient rien faire seules. Faire appel à l’opinion publique, c’est à la fois se trahir soi-même, se fourvoyer sur l’issue d’un jugement qu’on a jusque-là renoncé à porter devant les tribunaux, c’est espérer une compassion, certes légitime, mais qui se révélera vite éphémère et réellement destructrice pour soi quand on verra que ce n’est pas suffisant. Si les victimes ne s’en rendent pas compte au moment de porter, souvent trop tardivement, leurs accusations, c’est encore ce vacarme étourdissant comme un poulet sans tête qui viendra cruellement leur rappeler.

Un crime, ça se dénonce le plus rapidement possible, à la police, et ça se juge devant un tribunal. C’est cet accès qui doit être renforcé. Il faudrait par exemple pouvoir créer une plateforme de signalement et de plainte. Si les scandales ne font intervenir qu’une poignée de protagonistes, il salit surtout ceux qui s’avilissent à juger une affaire dont ils ne savent rien sur la place publique. Donc tout le monde, la société dans son ensemble. Le scandale Weinstein, comme autrefois celui d’Arbuckle ou de DSK en disent moins sur les petites personnes concernées que sur une société capable de s’agiter sur de tels faits divers. Hier, le code Hays avait servi aux réels agresseurs de se cacher derrière la nouvelle image que cherchait à se donner le milieu ; aujourd’hui, nul doute que de mêmes hypocrites se lient aux mouvements « on te croit » pour mieux cacher leurs crimes. Les belles intentions ne font que préserver les agresseurs. Il n’y a pas à « croire », il y a à donner aux victimes et à la justice les moyens, concrètement, à poursuivre les criminels.

(Et pour ceux encore qui prétendaient ne pas savoir et qui dégueulent sur « ceux qui savaient », rappelons que Peter Biskind parlait déjà du comportement suspect du bonhomme dans Sexe, mensonges et Hollywood.)


À lire : le commentaire écrit plus bas en commentaire d’article concernant la rétrospective Polanski à la cinémathèque française.

(Mieux de le mettre ici… :)

(On recommence quelques jours après. Même improductivité, autres méthodes — la manifestation — cette fois concernant la polémique de la rétrospective Polanski à la Cinémathèque. Ayant posté une réponse à la demande de manifestation par je ne sais quelle activiste mal inspirée, je la poste également ici pour mémoire.)

Sinon vous venez et vous vous intéressez à ce que la Cinémathèque programme par ailleurs, ou vous venez juste cracher votre venin stérile et racoleur dans un seul but promotionnel ?

Les intégristes pseudo-féministes étaient déjà venues chialer l’année dernière lors de l’inauguration de la rétrospective Dorothy Arzner pour réclamer la mise en avant de plus de femmes cinéastes avant de ne plus voir personne lors des projections régulières (preuve si c’était encore nécessaire que seule la publicité est recherchée lors de telles manifestations pseudo-féministes). Et là encore, quand Claire Denis a été mise à l’honneur par la même Cinémathèque, en cette saison, personne dans les salles.

Certaines chialeuses sont très fortes pour dire aux autres ce qu’il faudrait faire, beaucoup moins quand il est question de manifester leur soutien à des prétendues victimes (du sexisme, du patriarcat) par la plus simple et la plus démocratique des méthodes : bouger ses fesses et aller les poser dans une salle. Si la Cinémathèque avait certes pu faire une rétrospective en se gardant bien d’inviter le personnage, d’autres seraient également bien avisés de cesser de parler de la culture que d’autres devraient presque s’infliger à leur place. Ces agitateurs sont aussi féministes que les sociaux-démocrates sont de gauche. Ils servent leurs propres intérêts, nourrissent une haine systématique des hommes et se rangent du même côté de l’extrême droite en piétinant les principes du droit au lieu de chercher à le renforcer. Il faut défendre radicalement le droit. S’agiter et jouer les juges à la place des juges, ce n’est pas être radical, c’est être intégriste.

Il est tout joli le royaume de l’indignation dans lequel vous semblez vivre. Cessez de vous indigner ; cessez d’interroger la programmation d’une institution culturelle quand vous avez manifestement aucun intérêt pour elle, et faites avancer le droit des femmes là où elles en ont.

Soyez par ailleurs certaine(s) d’une chose : que si on peut comprendre que toute cette publicité vous soit profitable (vous existez autrement qu’à travers les polémiques ?), elle sert également, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la personne que vous attaquez. La légende d’Hollywood s’est créée dans les années 10 à partir de scandales qui alimentaient la publicité. De ces scandales ne restera pratiquement rien. Un Fatty Arbuckle, par exemple, sera blanchi dans son affaire ; et même si, contrairement à d’autres qui lui ont succédé, il n’a plus recouvré le succès, restent un siècle après, ses films, rien que ses films. Innocemment ou non, vous participez ainsi un peu plus à la légende d’un cinéaste qui n’aurait probablement pas eu toute son attention qu’à travers son supposé génie. Et cela, en entretenant votre publicité en même temps que la sienne.

Vous prétendez défendre les victimes ? Foutaise. Au lieu de soigner la publicité, cessez de vous attaquer vainement à des symboles et à des crimes vieux d’un demi-siècle, à de simples faits divers qui loin de contribuer pour la cause des femmes et des victimes peineraient même à faire croire que les agitations coutumières dont elles sont à l’origine servent les quelques victimes concernées.

Manifestez son indignation, est-ce protéger les victimes ou les futures victimes ? Certainement pas. C’est au contraire maintenir l’idée répandue que les agressions ne proviennent toujours que de criminels parfaitement identifiables laissés en liberté par on ne sait quelle main invisible ; c’est identifier des « loups » ou des « ogres » qui justement parce qu’ils ont la gueule de l’emploi ne doivent jamais cesser d’être craints ; c’est alimenter une peur ne servant jamais la cause des victimes mais au contraire l’intérêt de ceux ou celles qui prétendent toujours les défendre.

Le même biais, totalement inopérant et contre-productif mais donnant la bonne conscience aux agitateurs qui ne recherchent pas autre chose, ce matin, aux nouvelles : les accusations de viol par un migrant. L’exception fait toujours les gros titres, les têtes de gondole, les symboles sont des cibles parfaites pour servir les intérêts de faux défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Et c’est oublier, nier, que l’exception, facile à dénoncer, n’est jamais la règle.

Des centaines, des milliers, de victimes, chaque année, qui celles-là restent dans l’ombre et le silence et qui pourtant sont les plus nombreuses, agressées non par des « mythes », des « loups », des « migrants », des Weinstein ou des Roman Polanski, mais par des proches, des connaissances, des collègues, bref, par tout sauf des criminels qui n’ont rien de l’apparence évidente, dangereuse, du mythe que vous contribuez à entretenir à travers votre recherche permanente de publicité, eh bien de toutes ces victimes, on n’en saura pas plus, victimes également d’un crime bien trop commun ; et celles-là, suivies bien plus encore qui arriveront après elles, pourront rester dans leur ignorance, leur naïveté, confortées dans leur idée, rassurées qu’elles seront par vos agitations stériles, que les agresseurs dont elles sont potentiellement victimes ressemblent tous à des # porcs.

Lancez en temps venu une autre pétition à l’attention de Jean-Claude Brisseau (sans concertation, c’est à craindre, avec ses victimes) et vous ne servirez pas plus la cause que vous prétendez défendre. Mais la vôtre. Pire encore, vous assurerez un peu plus la publicité et la postérité d’un cinéaste qui ne mérite peut-être pas autant d’attention et d’honneur.


Les capitales

Violences de la société


Autres capitales :


Une jeune fille à la dérive, Kirio Urayama (1963)

Les enfants sauvages

Hikô shôjo

Note : 4.5 sur 5.

Une jeune fille à la dérive

Titre original : Hikô shôjo

Année : 1963

Réalisation : Kirio Urayama

Scénario : Toshirô Ishidô

Avec : Masako Izumi, Mitsuo Hamada

— TOP FILMS

Si Kirio Urayama s’était aidé de Shôhei Imamura pour écrire son premier film (La Ville des coupoles) il s’adjoint ici les services au scénario d’un collaborateur d’Oshima, Toshirô Ishidô, qui travaillera également plus tard aux scénarios des films de Yoshida et qui adaptera pour Imamura dans les années 80, Pluie noire. Politique des « auteurs » oblige, les scénaristes sont rarement mis à l’honneur dans notre vision historique du cinéma ; pourtant on y retrouve très certainement une même pâte réaliste, voire naturaliste, et très sociale dans ces histoires, et une certaine manière aussi, très imamurienne, à proposer des chroniques foisonnantes sur des personnages en marge.

Le premier film réalisé par Urayama se faisait autour d’un personnage féminin d’une quinzaine d’années qui se battait pour sortir de sa condition. On n’en est pas loin ici : même principe, mais on plonge un peu plus dans la misère puisqu’il est question ici de ce qu’on pourrait appeler une sauvageonne. La première scène (le générique) du film donne le ton et on goutte déjà tout excité à la provocation qui sent bon la nouvelle vague nippone : Wakae, quinze ans, au comptoir d’un bar, fume, boit, et peste sur tous les hommes alentour qui voudraient lui mettre la main dessus. La jeune fille aurait pu vite tomber dans la vulgarité et devenir antipathique, mais on y voit surtout grâce au talent de Urayama une adolescente perdue qui noie sa misère et sa solitude dans l’agressivité et la provocation. Quand un homme la touche, c’est volée de gifles, bagarres et injures. Plusieurs fois dans le film revient cette rengaine qui semble avoir été crachée mille fois aux hommes pour les fuir : « Pervers ! ». Les raisons de l’errance mentale de Wakae viendront plus tard : la perte d’une mère, un père alcoolique, et sans attaches une plongée inévitable dans la misère.

Très vite, le titre paraît un peu trompeur car au lieu d’avoir affaire à un récit tournant autour de ce seul personnage féminin, on suivra en fait celui, croisé, de deux adolescents amenés à s’aimer et à lutter ensemble pour survivre. Rien de bien original, c’est Roméo et Juliette transposé dans un Japon misérable ; au moins peut-on suivre le développement de cette histoire d’amour naissante avec des acteurs qui ont l’âge de leur personnage sans qu’on en fasse non plus des imbéciles. L’adolescence (avec ses écueils identitaires, ses tourments) est finalement assez rarement bien rendue. La meilleure approche sans doute est justement de ne pas tomber dans le piège de la complaisance : les adolescents ont les mêmes aspirations que les adultes, la même cruauté sinon plus, la même capacité à se jouer des autres, les mêmes désirs. La grande réussite de l’approche du film, comme souvent chez Oshima ou Imamura quand ils montrent de tels personnages en marge à cette époque, c’est bien de montrer une forme de brutalité de la vie, et de parvenir à montrer des situations et des personnages en lutte sans dénoncer, se moquer, caricaturer ou tomber donc dans l’excès inverse, la complaisance. C’est souvent cru tout simplement.

Wakae rencontre donc Saburo, à la fois plus âgé et de « meilleure famille ». Pour lui sa place est ailleurs qu’auprès des siens, il se sent asphyxié par l’ambition de son frère aîné et les attentes que place en lui toute la famille. Saburo ne fait rien, ne s’intéresse à rien, ne vaut rien, et c’est donc tout naturellement qu’il s’éprend de Wakae la sauvageonne. Mais leur passion est aussi destructrice que bienvenue comme si la place que prenait l’autre pour le soutenir devait finir fatalement par le pousser dans le précipice. « Non, Orphée, ne te retourne pas ! » Conscient que leur amour ne fait que les détruire, Saburo trouve à s’émanciper du poids de sa famille (et de l’amour destructeur de Wakae) en s’entichant d’une autre fille, modeste mais sérieuse ; mais Wakae, en lui courant après, met le feu accidentellement au poulailler de cette famille où Saburo avait trouvé refuge. Les voilà séparés pour de bon. C’est le début du placement de Wakae en maison de redressement (Nippon mécanique).

Rapports extérieur/intérieur, des vitres, de la neige, et de la musique lyrique… un côté Docteur Jivago pour nos adolescents cabossés | Nikkatsu

Le film aurait pu tourner au misérabilisme. L’une des nombreuses réussites du film, c’est de ne pas dénoncer bêtement et systématiquement toutes les figures de l’autorité en prenant chaque fois fait et cause pour ses personnages adolescents. (La compassion est bonne pour ceux qui veulent jeter une petite larme et repartir avec leur conscience assagie.) La vie y est rude dans cet établissement, les adolescentes ne se font pas de cadeaux, mais tous y sont mieux qu’à l’extérieur, et l’ensemble du personnel a un véritable désir de montrer la voie à ces sauvageonnes pour leur permettre de rebondir. Pas de complaisance, mais une infinie bienveillance pour des êtres chahutés par la vie. Le constat sonne juste, car s’il y a de l’espoir dans cette maison où se « redresser », on n’y nourrit aucune illusion. La vie est cruelle, en dehors comme à l’intérieur du refuge, car le monde est identique, et les règles rigoureusement les mêmes. L’une des phrases-clés du film est ainsi prononcée par une des locataires que Wakae surprend en train de fumer dans sa chambre quand toutes les autres regardent un film : « Mais nous ne serons toujours que des parias ». Au Japon, peut-être plus qu’ailleurs, la condition, le statut, est déterminée par la naissance, et aussi, comme elle le dit, par le « passé ». Son passé à elle lui collera toujours à la peau. La même fille avait crié, plus tôt, alors qu’elles participaient à une course et se faisaient chahuter par des villageois : « Nous sommes des êtres humains ! ». Wakae, pour échapper à cette logique, ou à cette fatalité, trouve avec l’aide des éducateurs une place de couturière dans une autre ville. C’est là que la tragédie prend corps. La fuite est depuis cinq mille ans un excellent moteur dramatique. Comprenant, comme Saburo avant elle, qu’ils devaient d’abord arriver à se construire individuellement plutôt que de satisfaire à la possibilité à court terme de se reposer sur l’autre, sachant que dans leur situation, agissant comme une drogue, ils se consumeraient mutuellement, elle décide, et parce qu’elle aime Saburo, de quitter la ville sans le prévenir. Prévenu à temps, Saburo la rattrape sur le quai, et le film prend alors une autre dimension.

Ce qui aurait pu se jouer en trente secondes sur le quai, Urayama et Ishidô en font un dénouement qui s’étire en longueur et sur différentes séquences d’anthologie. La facilité aurait été d’opposer le désir de l’un et la conviction de l’autre et de finir sur quelques lignes de dialogues. Seulement ces deux être-là s’aiment et ils savent que même s’ils doivent prendre des chemins différents quitte à se retrouver plus tard, c’est un choix qu’ils vont devoir prendre ensemble. La force du film social presque : le conflit ne se fait pas entre les personnages ; l’opposant, il n’est pas caractérisé à travers les traits d’un persécuteur, c’est au contraire un contexte qui pèse sur le destin des personnages.

Voilà donc nos deux jeunes amoureux autour d’une table de restaurant au milieu d’autres voyageurs attendant le départ de leur train. Un classique, et pourtant.

Ce dernier quart d’heure est d’une grâce rare. L’histoire, le sujet, les situations ne comptent plus, il n’y a plus que la mise en scène de deux êtres face à leur choix. On oublie qu’il s’agit d’adolescents. Le temps n’est plus rien, le premier et le second plan se mêlent. Tout se brouille et tout se concentre autour de ce choix qui devra décider du destin de deux êtres qui s’adorent : Wakae doit-elle ou non partir et s’éloigner de Saburo. La situation pourrait être commune (bien que, le fait de décider « ensemble », ou plutôt « en accord » — Wakae attendant que Saburo accepte de la laisser partir mais lui laisse le choix —, n’a rien de commun), sa mise en forme tient du génie. Ralentissement de la situation pour en augmenter la tension (quitte à reproduire les mêmes plans) ; accélération et transformation du rythme une fois la décision prise (mouvement lent, mouvement rapide) ; et comme dans ces chefs-d’œuvre où les fins sont interminables, touchées, oui, par la grâce, les dénouements ne cessent de faire des petits — quand il n’y en a plus, il y en a encore. Comme quand, à la fin du spectacle, les lumières s’éteignent, et qu’il ne veut plus nous quitter. Il faut imaginer la fin du Lauréat dilatée sur une quinzaine de minutes. Du coup d’éclat au coup de… grâce. Il y a des films qui s’élancent pour ne jamais retomber. Ainsi Saburo et Wakae se retrouvent dans le même train, et c’est Saburo qui expliquera à sa belle la marche à suivre : leurs chemins se séparent, mais s’ils s’aiment encore, ils pourront se retrouver, changer, sans que la présence de l’autre ne les intoxique. Deux êtres qui s’aiment, laissés à la dérive d’un bout à l’autre de l’océan.

La scène du restaurant, c’est donc là que tout commence, une des meilleures scènes du genre avec le traitement le plus hallucinant de l’arrière-plan jamais vu. Ce qu’on verrait dans n’importe quel film banal ce sont des figurants ; là on y voit des acteurs réagir, agir même, face à la “scène” qui se joue tout près d’eux ; jusqu’à offrir en toute fin un contrepoint idéal… et presque satirique : la futilité d’un spectacle télévisé qui aguiche comme des mouches nos clients dans cette salle de restaurant animée, face à ce choix qui tarde à se faire entre deux adolescents. Quand l’arrière-plan vient rehausser le premier, lui donner le relief presque du réel ou l’harmonie tragique d’un jeu de destins où chacun jouerait sa propre partition tout en composant un ensemble cohérent et indivisible. Point, contrepoint. On dit qu’un bon acteur c’est un acteur qui sait écouter, alors que dire des figurants qui écoutent ?… et qui finissent par s’animer au milieu d’un décor qui ne se contente le plus souvent que de ne proposer un tableau immobile de figures sans histoires. Sidérant de justesse pour la scène la plus cruciale du film. (Avant ça le réal avait déjà montré dans quelques séquences son intérêt assez singulier pour l’arrière-plan, à la Orson Welles presque. À un moment, je pense même avoir vu la caméra perdre le point pour le retrouver aussitôt ; ça ne pourrait être qu’un accident mais cela illustrait pourtant parfaitement la sensation du spectateur à laisser son attention vagabonder en arrière-plan ou simplement avoir l’œil qui se trouble pour réfléchir ou se distraire…)

C’est beau le talent quand même, parce qu’il vous cloue le bec et vous fait mijoter encore longtemps en pensées la force de leurs évidences…

Une jeune fille à la dérive, Kirio Urayama 1963 Hikô shôjo | Nikkatsu


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Gone Baby Gone, Ben Affleck (2007)

Prétoire sur trottoir

Note : 4 sur 5.

Gone Baby Gone

Année : 2007

Réalisation : Ben Affleck

Avec : Casey Affleck, Michelle Monaghan, Ed Harris, Morgan Freeman

Polar inspiré. On y retrouve certains éléments de Mystic River (adaptés tous deux de Dennis Lehane). Pas friand du tout des multiples rebondissements finaux ni de certains partis pris (il aurait été plus avisé, pour éviter le ton sur ton, ou le stéréotype, que du duo de détectives, ce soit Kenzie qui préfère ne pas remuer le passé, laisser les choses en l’état et que la voix de la raison vienne comme d’habitude de sa copine, sinon Gennaro semble trop jouer les utilités ou les faire-valoir).

En revanche, l’exécution est particulièrement brillante. Et le thème de la justice, comme toujours quand il est bien traité, propose des questions qui dépassent le cadre du cinéma.

La mise en scène de Ben Affleck montre déjà qu’il a tout compris, adoptant des techniques efficaces sans être tape-à-l’œil ou racoleuses. En dehors des plans d’introduction et de conclusion du film faisant documentaire et de quelques montages-séquences* de transition trop conventionnels, la maîtrise est impressionnante. Le ton et le rythme sont toujours parfaits. Et si c’était encore à prouver, en dirigeant ici son frère Casey, Ben Affleck démontre une nouvelle fois qu’il n’y a pas mieux qu’un excellent acteur pour en diriger d’autres. Il aurait été particulièrement difficile de représenter des camés, des brutes, des pervers, en en faisant trop, pourtant ses acteurs sont toujours dans le ton, justes. Les mauvais acteurs (et les mauvais spectateurs qui pensent qu’un bon acteur c’est celui qui fait une « performance ») préfèrent l’esbroufe, donc le grotesque, l’ostentatoire, à l’authenticité ou la simplicité. Un bon directeur d’acteurs sait canaliser ça et leur demander d’en faire toujours moins. Des stars (Morgan Freeman et Ed Harris) aux rôles secondaires (en particulier le dénommé Slaine jouant ici l’indic et l’ami), tout le monde joue la même partition.

Au niveau de la thématique. Le jeu des apparences est fascinant et a le mérite de poser un certain nombre de questions récurrentes en ce début de XXIᵉ siècle. A-t-on le droit de transgresser volontairement les lois pour rendre une justice qu’on estime déficiente et pas assez protectrice ? A-t-on le droit alors de proposer une forme de justice alternative non légitime et personnelle ? Autrement dit, peut-on tromper la justice pour protéger les plus faibles (en l’occurrence ici une enfant) ?

Ces interrogations se posent au moins trois fois dans le film. Chaque fois (avant la décision finale), les personnages prennent le parti du plus faible pensant « détordre » ce qui a été à l’origine « tordu » par les manquements de la justice. Et chaque fois, cela semble au contraire entraîner une chaîne d’événements tragiques et de nouveaux mensonges sans fin. Dès qu’il est question de protéger l’intégrité des enfants, il semblerait que l’on soit plus prompt à tomber dans la justification d’idées extrémistes, dans les certitudes rassurantes et bien-pensantes (du moins, on voudrait le croire, qu’y a-t-il de plus noble que de défendre les plus faibles ?). Et c’est compréhensible. Mais compréhensible ne veut pas dire acceptable. Ou juste.

Note spoiler et pour mémoire : le premier tournant, c’est quand les personnages décident de se servir du magot retrouvé comme monnaie d’échange avec la petite, ce qui précipitera sa « perte » ; le deuxième, quand Kenzie exécute le « monstre tueur d’enfants », ce qui lui vaudra la pleine reconnaissance de la police et le maquillage des pièces à conviction afin de faire passer ça pour de la légitime défense ; et enfin quand Kenzie comprend que tout est une vaste manipulation dans le but de tirer la fillette des mains de sa mère indigne, ce qui peut paraître au début être une action plutôt noble, mais une magouille qui fera beaucoup de morts, y compris ceux en partie qui en avaient eu l’idée…, et qui fera éclater notre couple de joyeux détectives. Toute action, a fortiori illégale, et même quand elle vise à réparer une injustice, produit une chaîne d’événements incontrôlables. CQFD. Brillant.


Gone Baby Gone, Ben Affleck 2007 | Miramax, The Ladd Company, LivePlanet


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De l’amour du prochain au mépris de l’autre

Les capitales

Violences de la société

Une société qui ne cesse de prôner, et d’afficher comme principe, le respect du prochain, mais qui en fait méprise l’autre (l’étranger) est vouée à la disparition.

La distinction parfois entre le « prochain » et « l’autre » se limite à peu de choses. C’est en fait toute la subtilité, et le vice, contenu dans ce qu’on dit, et ce qu’on fait. Ce qu’on voudrait, dans l’absolu, que « les autres » appliquent (potentiellement pour nous ou « nos prochains »), mais qu’on n’hésiterait pas à ne pas appliquer pour soi-même si on était sûrs de s’en tirer sans dommage.

C’est bien pourquoi, en plus des règles, des lois, des principes, des belles paroles creuses, les sociétés ont toujours mis en place des systèmes pour les faire appliquer. Contrôler, réguler, apaiser, alerter. Si ces systèmes défaillent ou n’ont pas les moyens d’exercer leur contrôle, les lois ne sont que du vent.

Plusieurs facteurs peuvent gripper la machine. La crise, susceptible de moduler les rapports de force alors tenus en équilibre (et toutes les sociétés sont organisées selon des modèles indépendants, des boules de neige non assujetties aux influences extérieures) ; la compétition, qu’on accepte toujours avec facilité et dont on admet aisément les principes “vertueux” quand on en est les principaux bénéficiaires ; et la corruption (j’entends par là toutes les formes de corruption, autrement dit toutes les activités ou comportements susceptibles de profiter à des individus dans une situation où il n’aurait rien gagné en agissant selon la “règle”, que l’on parle de loi ou de simple morale).

Notre société souffre. Et c’est bien parce que tous les facteurs sont réunis pour qu’il n’en soit pas autrement. La compétition accentue la crise, augmente la nécessité d’avoir recours à la corruption ; la compétition profite aux petits corrupteurs et se nourrit de la crise, etc.

Ça, c’est le constat. Parfaitement personnel, mais qui aurait légitimité de présenter autre chose qu’un constat personnel ? Si l’histoire n’est pas affaire de politique, le constat, le regard sur le monde donc, ne l’est pas non plus. Au mieux, la politique se satisfera d’un consensus, mais même quand « un constat consensuel » lui est proposé (à dame politique), elle peut fermer les yeux et ne pas en tenir compte. Il y a ceux qui constatent, et ceux qui jouent avec le feu. (On le voit notamment avec le « réchauffement climatique ».)

Maintenant un exemple, plus ou moins fictif, pour voir comment le petit effet pervers décrit en titre (différence subtile entre le respect que l’on porte au prochain et le mépris de « l’autre ») peut s’appliquer à l’échelle de l’individu. À l’échelle de « l’autre ».

Imaginons un homme vivant seul, sans travail, sans amis s’installant discrètement dans une plus ou moins grande ville. Cela pourrait être un migrant (moi, que je déménage, je migre), un célibataire, un individu louche ayant choisi de changer d’identité et de vie (oui, ça existe), ou le retour attendu de David Bowie sur Terre.

Imaginons encore que cet homme, pour des raisons inconnues ou qui lui sont propres, interagisse peu avec ses voisins, ni avec personne d’autre, étant donné que cet homme-ci n’est entouré d’aucun “proche” ou “semblable” (il n’y a qu’un David Bowie, des migrants seuls, ça existe aussi, quant aux célibataires et aux hommes ayant changé de vie, de fait, ils n’ont pas de proches).

Quel serait les réactions des habitants, des autorités, à l’égard de cet homme plutôt louche ? Est-il à l’écart de la société ? Au-dessous ou au-dessus des lois ? Passons les détails qui auraient pu pousser cet individu à être effectivement un « hors-la-loi » (ah, pour migrer, vu que les demandes d’asile ne sont pas respectées, ça devient un délit fort condamnable ; et pour changer d’identité, il faut bien trafiquer quelque part…), et concentrons-nous sur les réactions « des autres ».

Dans les années 70, on a expérimenté la capacité des individus à se comporter comme des tortionnaires en milieu carcéral et cette joyeuseté est depuis connue sous le terme « d’expérience de Stanford ». Eh bien dans notre société, il y a de ça, et notre David Bowie réincarné en ferait l’expérience. Si dans une société encore prospère (une telle société a-t-elle jamais existé ?), on pourrait penser que cet “autre” puisse encore faire valoir ses droits, au respect de son intégrité, de son intimité, de son droit à l’indifférence, de l’équité, et être ainsi considéré, comme « les autres », comme un “prochain”, et non un “étranger” ; dans une société soumise aux cahots des forces contraires, à la crise, au doute, à la peur, à la suspicion…, cet homme servirait alors de fusible, de réceptacle aux frustrations de ses contemporains, de mouton noir, et serait responsable de tous les maux, réels, supposés ou fantasmés, craints par ses mêmes contemporains.

En détail, lentement, insidieusement, ce qui était alors louche deviendra alors que trop suspect, et cette suspicion sera alors confirmée, puis légitimée par l’échange de doutes des uns et des autres. On oublie rarement dans cette situation que les monstres n’existent pas, ou que quand ils existent, ce ne sont jamais que des monstres à cinq (ou plus) têtes. Les monstres sont des créations de la société, non des individus. On voit des monstres quand on veut en voir. On les crée, quand on veut les voir prendre forme. Mais ce faisant, on oublie là encore, qu’on participe soi-même à fabriquer et à être ce monstre, et que ce monstre, ce n’est pas celui qu’on désigne, mais l’espèce de masse informe et dégoûtante qui se cache derrière une somme d’individualités molles. Et on retrouve ici, la crise, la compétition et la corruption.

Notre David Bowie kurde national devrait alors supporter les premières insultes, incivilités ou agressions de ces “prochains”, mais le plus dur resterait à venir. Car notre homme, ainsi harcelé, pourrait être en droit de faire appel à l’autorité de la ville, de la police, à Bruce Willis…, rien n’y ferait. Parce que quel intérêt aurait une quelconque autorité à faire respecter le droit pour un individu seul contre plusieurs autres ? On s’accommode très bien des règles d’exception, et cela, sans avoir à en faire la propagande, au contraire. Car chacun des représentants de ces “autorités” s’appliquerait personnellement à ne prendre aucune initiative pouvant nuire à sa propre tranquillité (et à ceux de ses “proches”). Ne pas intervenir face à un individu commun, c’est prendre le risque que cet individu fasse jouer ses relations, sa propre autorité auprès d’autres services “compétents” ; mais un homme n’ayant aucune accroche, aucun recours, une bête, et qui plus est, une bête traquée par les citoyens de la ville, un nuisible… pourquoi prendre ce risque quand il n’y en a aucun à ne rien faire ? La corruption (passive) est là. À la question de principe bien connue « qu’est-ce que tu aurais fait pendant la guerre ? » on oublie de préciser qu’il ne sert à rien de répondre, car la proposition de principe, « dans l’absolu », s’opposera toujours dans les faits à une situation, un contexte personnel, dont les implications seront toujours jugées plus essentielles par rapport à ces implications de principes. L’amour du prochain vaut bien un peu de mépris pour l’autre. « Ma fille vaudra toujours plus que ce dangereux criminel ». Pourtant, on prétendra toujours le contraire. Prétendre et faire. C’est ce que l’expérience de Stanford avait plus ou moins illustré : notre capacité à nous cacher derrière des principes, qui, en dehors de toute régulation ou contrôle, volent en éclats. Mieux, pour abattre « la bête », le monstre supposé, on se portera toujours candidat, comme une preuve de notre appartenance au groupe des “prochains” contre l’autre, l’étranger, l’intrus.

D’où l’importance, non pas de décider de règles, mais d’être en capacité de les faire appliquer. Or, à des situations de crises, on voit bien que le législateur aura toujours tendance à ajouter ou à adapter des règles communes. Le problème ne vient pas des règles, mais bien à ce qu’elles ne sont pas appliquées sans moyens de contrôle.

Imaginons encore où tout ça pourrait nous mener. Notre homme est donc harcelé, agressé et aucune autorité légitime ne prête attention à lui. Démarches, lettres, appels à l’aide, appels téléphoniques…, tout cela lui serait automatiquement refusé. La machine n’est plus grippée, c’est déjà un monstre. Un monstre nourrissant un autre monstre et n’attendant plus qu’elle s’éveille pour la frapper, lui couper la tête et la présenter fièrement à la foule déchaînée…

« J’ai vaincu le monstre qui était source de tous nos problèmes ! Accueillez-moi en héros ! »

Et cela se passe toujours ainsi. Pour qu’il y ait des héros, il faut qu’il y ait des monstres. Puisque les monstres ne naissent pas spontanément, on les crée, on les nourrit, et on les abat.

Les héros sont tous des imposteurs.

Quelles alternatives pour notre David Bowie national ? La fuite, l’autodestruction et la rébellion. Le plus souvent, notre homme choisira la solution la plus commode : la fuite. Mais parfois, les circonstances font que notre homme est en incapacité à fuir (on remarquera d’ailleurs que souvent les sociétés dans lesquelles ils ne sont pas les bienvenus préfèrent les bannir, et si autrefois le bannissement était une sanction commune, on parle aujourd’hui plutôt d’expulsion, et quand il n’est pas question de “migrants” on parlera alors plus de harcèlement, ce qui est toujours plus pratique parce qu’on n’a pas à se salir les mains et on a jamais à répondre de son mépris pour l’autre — on peut toujours faire entrer le harcèlement dans le Code civil, il sera plus question de harcèlement au travail, non de celui dans une société et en particulier quand ceux qui s’en rendent coupables sont précisément ceux chargés de la constater — corruption, toujours).

L’autodestruction, plus communément appelée “suicide”, est probablement moins fréquente que les fuites, les exils, mais la société aura toujours une réponse toute prête à ces petits drames personnels : la victime était inadaptée. Ou « pas heureuse », ou « mal dans sa peau ». On peut, c’est certain, être malheureux de voir que ses “prochains” se complaisent dans des agressions permanentes à son encontre et cela en toute impunité ; et plus que mal dans sa peau, il est à parier que ces victimes soient plus incommodées par la “peau” des autres… Il y a une vidéo sur Youtube d’un film pas très drôle mais qui illustre très bien cette situation : un diable s’amuse à taper une victime avec une petite cuiller, partout, tout le temps, et ça n’en finit pas…

C’est aussi le principe du supplice de la goutte d’eau ou de la lapidation. On peut faire face à une goutte, même à cent, mais à la millième on est déjà noyé. « Vous allez me faire croire que vous êtes harcelé par les bonnes gens du village… qui vous crachent à la figure ? » (Et une goutte de plus, une.)

Je vais bien me garder de faire de la statistique, mais à vue de nez, on retrouve donc en troisième position, après la fuite et l’autodestruction : la rébellion. Il est probable même que dans nos sociétés actuelles, cette troisième possibilité l’emporte sur la seconde. On pourrait se dire, que se rebeller contre des institutions, c’est formidable, surtout dans le pays de la révolution… Sauf que je place dans cette rébellion, toutes les formes de rébellions, pas forcément les plus populaires, et donc plus précisément ici celle décrite par la situation de notre homme, exilé dans son propre pays, David Bowie perdu sur terre… Et là, ça fait mal, parce que cette rébellion-là, on ne l’accepte pas : une rébellion de masse d’individus se révoltant contre une autorité, quand elle finit par tourner l’histoire à son profit, c’est toujours raconté avec des trémolos dans la voix par les héros de ces guerres qui y ont survécu. Un rebelle solitaire ne tourne jamais l’histoire à son avantage. Il n’est le héros de personne. Il sera toujours le monstre. L’autre. Celui qu’on a nourri pour se faire peur ou pour satisfaire son propre petit confort. Avant l’explosion, qu’on sait venir, mais qu’on espère toujours plus tardive, toujours plus loin de « nos proches ». Rien n’explose innocemment. La logique des kamikazes ou des terroristes par exemple, ou des assassins de masse comme on en rencontre parfois aux États-Unis, échappe à la logique des sociétés qui se disent en être victime. Pourtant, la logique est là. Du basculement coupable entre le principe de respect du prochain vers le mépris de l’autre. Les monstres, s’ils existent, ne se font pas tout seuls. La société aura toujours le beau rôle à se présenter comme la victime de tels monstres. Mais ce faisant, elle ne fera toujours plus que pointer du doigt le fruit, le résultat, le monstre, de sa propre cruauté. Des individus seuls ne peuvent détruire une société. C’est la société elle-même qui se détruit, seule, par déni de la réalité, déni de la responsabilité, déni de justice, déni de ce sur quoi elle se base. Une telle société sera toujours le mirage de ce qu’elle prétend être. Derrière le paravent, se cache le monstre. Le seul.

Restons à l’abri. Ou disparaissons.

Le Grand Inquisiteur, Michael Reeves (1968)

C’était mieux avant…

Witchfinder General

Note : 3.5 sur 5.

Le Grand Inquisiteur

Titre original : Witchfinder General

Année : 1968

Réalisation : Michael Reeves

Avec : Vincent Price, Ian Ogilvy, Rupert Davies, Hilary Heath

Un Diers Irae tourné par la Hammer ou presque (ce n’en est pas un). Parfaitement divertissant (la touche de sadisme idéale : celle qu’on peut regarder avec plaisir avec l’excuse qu’il est pratiqué par des personnages ouvertement antipathiques), et illustratif (pour ne pas dire instructif).

Les croyances, religieuses en particulier, ont toujours été des pièges à con et le jouet préféré des escrocs. Ici, même si ce n’est que suggéré, les supposées sorcières sont toutes balancées au fouet ou au feu pour être un peu trop jolies (ou trop jeunes, ou trop prudes). Il y a une espèce chez qui, pour survivre, il vaut mieux se fondre dans la masse et dénoncer au plus vite tout ce qui dépasse pour détourner les yeux de ceux qui pourraient nous voir. Cette espèce, c’est la nôtre. On parle d’hommes, mais on pourrait tout aussi bien parler de « monstres ». Ceux qui monstrent échappent aux accusations, et les monstrés doivent être brûlés.

Pour en être arrivés là, il faut que nous (nos aïeux) ayons tous été des corbeaux. Seuls les fils de pute parvenant à se faire passer pour autre chose que ce qu’ils sont ont pu survivre. Merci à eux. On parle encore de civilisation ou de société. La belle blague.

L’inquisition est partout, c’est elle qui fait tourner le monde. Un miracle toutefois que la civilisation occidentale ait pu allumer ses Lumières et que celles-ci aient pu amorcer ainsi un semblant de progrès dans ce monde d’apparences et de petits profits. Il est tellement facile de duper comme on le voit ici et profiter d’une situation d’autorité, qu’on peut se demander comment une telle chose a été possible. Le film pourrait dire en quelque sorte : « Regardez où nous en étions. Il s’en faudrait de peu pour que nous y retournions, car nous n’avons pas beaucoup évolué depuis. L’ignorance guette. »

Il y a par ailleurs quelque chose d’étonnant dans certains films d’époque, en particulier du Moyen Âge et de la Renaissance, c’est qu’ils passent rarement la barrière du temps. On le voit également dans le traitement des mythes américains où on ne gardera du western le plus souvent que les histoires de la seconde moitié du XIXᵉ siècle. Ça doit être une histoire de collants. Une histoire sordide qu’on renonce à raconter encore à nos enfants. L’objet est déjà paresseusement discriminé quand on parle de celui de nos dames, mais alors les collants pour homme, n’en parlons même pas, c’est le tabou suprême. Qu’on se le dise, l’histoire se porte sans-culotte, ou ne se porte pas, et le collant, c’est le diable.


Le Grand Inquisiteur, Michael Reeves 1968 Witchfinder General | Tigon British Film Productions, American International Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1968

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Les Sauvage c’est les autres

Les capitales

Violences de la société

Accorder la grâce, c’est accepter les règles d’exception. Pour un de sauvé, on en ignore mille autres.

Et le sauve-t-on vraiment ? Sommes-nous sûrs de rendre la justice, ou en tout cas, la détordre ? J’en doute. On répond aux échos assourdissant de la rumeur, et pour qu’elle cède, on se mêle à son tumulte. C’est la négation de la rationalité et de la justice. Le règne de la facilité et de la bêtise.

Que deviennent les mille autres qui pourraient, peut-être légitimement aussi, faire valoir leur droit à la grâce pour avoir été mal jugés, mal compris, stigmatisés comme coupables alors qu’ils n’étaient avant tout que victimes ; et qui eux ne servaient pas opportunément de porte-étendard à une cause discriminatoire (oui). En ces temps où on chasse tant les discriminations, leurs injustices, leurs exceptions, où chacun peut se plaindre des petites intrigues pour arriver à des desseins particuliers, contre l’intérêt général, c’est non seulement idiot, mais c’est aussi un symbole de la médiocrité et de l’opportunisme de notre temps et de ceux qui y prennent part.

Pour un de sauvé, combien de couteaux remués dans la plaie à ceux qui, comme “elle”, s’estiment mal jugés ? J’insiste. Chacun ses échos. En sauver un, c’est non seulement se laver les mains du sort de tous les autres, mais c’est augmenter encore les injustices, donc la défiance et le manque de confiance à l’égard des institutions de son pays. En sauver un, c’est condamner tous les autres. En sauver un, opportunément, c’est se donner le visage du sauveur, du réconciliateur, du juste, quand on ne fait que tout le contraire. Si la grâce est ostensible et semble d’une formidable magnanimité, on ne fait que favoriser, dans l’ombre, les disgrâces à venir.

Que Pilate reçoive ses lauriers et s’en lave les mains donc. Des “autres”. De ceux qui n’existent pas à travers la rumeur, que les opportunistes dédaignent parce qu’ils sont les tristes silhouettes de la normalité. Les oubliés, les disgraciés, les ombres qui sont la masse et qui ont le tort de ne pas présenter le visage d’une exception possible… Une cause… juste (sic).

Qu’on s’en lave les mains donc. Salomon a tranché. La rumeur a eu raison de la justice. La sagesse, ce sera pour une autre fois. Continuons à multiplier les exceptions, à réparer une injustice prétendue par d’autres injustices. L’époque, c’est vrai, ne fait jamais autre chose. Cassez un vase, tentez d’en recoller les morceaux, et s’il vous manque quelques pièces, cassez-en un autre pour espérer lui faire reprendre son apparence d’autrefois. Ou… Pour garder le cap au nord, alors qu’on fait route à l’ouest, on décide tout à coup de basculer vers l’est en espérant y retrouver le nord. Au foot, on dit bien qu’on ne compense pas une injustice par une autre injustice. Tout cela est logique. Mais la rumeur a ses raisons que la logique ignore.

Alors, que faire ?

On regarde. On écoute. Et s’il y a dans les lois certains détails qui restent à mieux définir, on décide de légiférer. Mais il serait alors raisonnable de ne jamais répondre à chaque fait divers par des “mesures”, par des “réponses” gesticulatoires qui ne servent que celui qui les donne, jamais l’intérêt général. On légifère, pour les autres, pour tous. On appelle ça l’égalité, et c’est une cause aujourd’hui sans étendard. Le fait divers, c’est l’exception. La grâce, c’est l’exception. Dans un système qui s’enorgueillit d’être et de prolonger un “état d’urgence” — qui ne peut être que le contraire de l’État de droit, parce qu’aucune justice ne se rend dans la précipitation — dans l’exception d’une grâce possible, il ne fallait pas en attendre davantage de celui qui la donne pour combler de bonheur, et d’illusions, ceux qui la réclament.

Peut-être que chacun espérera alors qu’il aura lui aussi droit à un petit coup de pouce, exceptionnel, pour le tirer d’embarrassantes décisions en sa défaveur. Rien de plus normal là encore dans un monde où tout est fait pour que chacun puisse espérer son petit quart d’heure de célébrité. On se nourrit de mirages et d’espoirs. Et l’exception, elle, se nourrit des mille et une petites injustices plongées dans l’ombre pour qu’une parvienne à la lumière…

J’attends le prochain fait divers sordide impliquant des tueurs d’enfant et on pourra alors songer à réhabiliter la peine de mort.

Magnifique pays. Un pays d’exception. Où il est bon de se prononcer pour des causes justes (sic), parce qu’elles sont censées rendre justice aux petites gens. De la poudre aux yeux. De l’hypocrisie. Celui qui prononcera tout haut une parole discordante passera, lui, pour un ignoble bonhomme, sans cœur et à l’idéologie douteuse (l’apparence est la force des princes). Non, je ne suis pas “féministe”, on ne défend pas “les femmes” face à “des hommes”, parce qu’on ne retrouve pas le nord en basculant à l’est quand on allait à l’ouest, parce qu’on ne répare pas un déséquilibre en poussant la barre à l’opposé, parce qu’on ne répare pas une injustice par une autre injustice… L’équilibre, on le trouve en définissant ce qui est juste et droit. Une injustice ne se répare pas. Et tout ce qu’on fait, on le fait, en tant que législateur, pour les suivants, pour les ombres, les autres, que nous sommes tous.

Un roi et sa cour. Le peuple est content, on a montré le visage du petit dernier et la foule applaudit.

La facilité, toujours. Et j’en reviens à cette citation de Sade :

Celui qui veut remonter un fleuve parcourra-t-il dans un même jour autant de chemin que celui qui le descend ?

Le règne de la bêtise

Les capitales

Politique(s) & médias

On est tous des Sauvage.

Le XXIᵉ siècle où l’âge de la communication. Le règne de la bêtise, la prime à la médiocrité. La démocratie en somme. Ou plutôt, la vague lueur mortifère de la démocratie participative. Tout se communique, et cette facilité rend possible cette belle idée du pouvoir détenu par tous. Un leurre en fait, une arnaque. Car au lieu de renforcer l’État de droit, le sens commun, la diplomatie, l’excellence, le partage (le vrai, celui qui transmet du sens plutôt que des sensations), ces facilités favorisent la démagogie, et avec elle, l’incohérence, le non-respect des règles communes ou la bêtise, la peur, la haine de l’autre…

Deux exemples.

Notre Président méritant, non content d’être remonté dans les sondages lui permettant de bien se positionner au premier tour des présidentielles (et avant ça, imposer sa candidature de fait, sans passer par des primaires — la légitimité de l’à-propos) grâce à des faits divers sordides (oui les actes de terrorisme restent des faits divers, mais il est vrai que quelques victimes tragiques alors qu’on ne s’y attend pas, c’est pire que quelques milliers de victimes sur la route, elles tout à fait régulières donc pas du tout exceptionnelles et sujettes à faire peur, oh !! la terreur !!! « il faut avoir peur ! »), voudrait donc désormais profiter d’un autre… fait divers (à travers son épilogue : une décision de justice). C’est que les féministes viennent de s’offusquer qu’une femme soit déclarée coupable du meurtre de son mari, alors que ma petite dame, c’est qu’elle était battue, elle avait donc bien le droit… Je ne suis ni féministe ni misogyne, en revanche, c’est amusant, quand il y a d’autres, probables, ou plus évidentes injustices, celles-là, on les entend pas : les injustices, ça concerne que les femmes, et il suffit donc d’être une femme pour être blanche “comme” neige… Qui oserait en effet affirmer que la cause du féminisme n’est pas légitime ? Hum… mais est-ce bien du féminisme ? Ne serait-ce pas plutôt de la bêtise et de l’opportunisme ?… Bref, j’en reviens à notre Président méritant, qui flaire là le bon coup de communication. Lui, qui ayant dit que « moi Président » il ne se servira jamais de la grâce pour une question de principe, v’là que tout à coup, les principes s’évanouissent face à la nécessité, ou l’opportunité de gagner des petits points dans les sondages. Comment ? Je lance un épouvantail parce que j’ai toujours l’esprit mal tourné : on apprend qu’après avoir reçu les filles et l’avocat(e) de cette accusée (ou victime, on sait plus trop, ou peut-être les deux mais la confusion des genres, c’est jamais très bon pour faire de bonnes histoires), monsieur Notre Président méritant va réfléchir à ce qui pourrait bien faire, hum, hum hum… Rude décision, c’était pas qu’il avait dit… quoi déjà ? Peu importe. Le règne de la communication n’a pas de mémoire, toutes les RAM sont allouées à la mémoire vive, celle de l’instant. Faut remplir le fil d’actualité, faut que ça buzz !!! Même quand on a rien à dire ou à faire… Pourquoi ne répond-on pas directement, donc ? Pourquoi même recevoir ces dames, n’y a-t-il pas d’autres accusés qui légitiment ou pas aimeraient bien eux aussi être reçu ô… à l’Élysée ? La France… la FRANCE, qui tourne à l’aube des faits divers… On a ni pétrole ni idée, mais on a des faits divers !… Pourquoi donc que ces millions de chômistes ne se retroussent-ils pas les manches pour produire… des faits divers ! Mince, c’est simple… Bref, bref, j’en reviens, toujours à notre Président méritant (j’essaie de m’en écarter mais va falloir que j’en finisse). À quoi va donc servir cette hum… réflexion ?… À faire un sondage, pardi ! Un sondage, ce n’est rien de plus que la démocratie qui s’exprime… c’est ça la démocratie participative. Un institut de sondage t’appelle à 19h, tu réponds à deux ou trois questions pour voir si ça colle, ta seule compétence c’est d’entrée dans la case prévue, celle de « l’échelon représentatif » (hé, c’est la démocratie représentative 2.0 ! pourquoi passer par l’Assemblée, y a la chambre haute définition, le Net, et la chambre basse, le téléphone !). Et alors voilà, le sondé, il a comme caractéristique d’être particulièrement fragile face aux escroqueries, aux apparences, aux idées toutes faites… normal, on lui demande de répondre à des questions dont il se fout pas mal et dont il connaît le plus souvent pas grand-chose (moi-même, je pourrais être sondé par exemple). Le résultat ? Une catastrophe. On voudrait pas refaire un Grenelle sur la peine de mort qu’on voit si y aurait pas du nouveau sur le sujet ? Ce serait marrant de relancer des exécutions et d’aller dans le même temps faire la leçon à tous ces pays sont forcément des barbares parce qu’ils ne mangent pas de fromages comme les nôtres et parce qu’ils causent pas français… Hé, on est le pays des droits de l’homme (lequel, on sait pas, encore un mystère, une légende urbaine née sur un vieux tweet de Victor Hugo). À parier donc (mais je suis pas voyant, je garde espoir, mon côté crédule de sondé potentiel) que la grâce, on va y avoir droit. Parce qu’elle le vaut bien.

Deuxième exemple (et sonde dans le derche). Le sort réservé aux réfugiés. Un réfugié, quand il est chrétien (ce qui pourtant est aussi un malheur en soit, perso je fais pas de discrimination entre les zozos), il est le bienvenu (probablement parce que tous les pédophiles dans la religion chrétienne se concentre chez les curés, alors que chez les méchants musulmans, c’est bien connu, l’absence de clergé trouble la fête et on préfère alors y voir des égorgeurs d’enfants, un peu partout, sans discrimination, tous pareils) ; alors que le réfugié que lui il est pas chrétien bah ça va donc de soit parce qu’on tient à ce que nos enfants se fassent pas zigouiller, il peut rentrer chez lui. Où ? Chez lui. Bah il en a pas, il est réfugié. Ah… Mais moi je réponds au téléphone à 19 h, je peux pas tout savoir… Je cherche donc la cohérence dans tout ça, et le respect des droits internationaux. Les règles contraignantes, c’est toujours pour les autres ; les profitables, c’est toujours pour nous. Nous = celui en position de force. Un chef de guerre américain a dit une fois qu’il n’y avait jamais qu’une seule histoire (une seule règle ou loi on pourrait ajouter), celle du gagnant. Donc du plus fort. Il serait donc logique que face à des réfugiés, on respecte le droit, eh ben même pas, parce que personne ne nous dira qu’on fait mal, c’est nous qu’on est le plus fort… Seulement la bêtise ne s’arrête pas là. On en vient même à vouloir confisquer les biens des réfugiés pour les « dissuader de venir ». Il aurait plu le lendemain de l’accident d’Hiroshima sur la France qu’on aurait dit que le nuage avait interdiction d’éternuer et que sinon on allait prendre des restrictions contre l’Union soviétique !… na ! Je résume, ou je caricature, pour que cela soit plus évident pour ma fragile intelligence : à cause qu’on s’est fait ruiner par l’amant de notre femme qui se trouvait être un banquier véreux, on s’est retrouvé à vendre des allumettes au fils de notre voisin en lui disant « vas-y, c’est marrant, je suis sûr que ça impressionnera ton papa » ; le gamin joue au pyromane et met le feu à la maison, c’est la guerre avec le père parce que c’était toujours le cas (mais on n’a pas toujours des allumettes sous la main) ; et puis le baluchon à la main et sans culotte, le gamin se dit désormais être un réfugié et nous demande à ce qu’on l’accueille vu que nos relations semblaient bien aller, du bon voisinage quoi… c’est la règle, on s’entraide ; et là, patatras, on aide ni les jeunes, ni les étrangers, ni les vagabonds d’ailleurs (« fais voir tes papiers ! » « voilà » « fais voir tes papiers ! » « bah je viens de vous les donner » « t’es pas en règle, dehors ! »), alors retourne chez toi ! Voilà où on est en. Alors je vais pas dire que c’est la faute de l’amant de notre femme, parce que notre femme, en bonne féministe, elle est émancipée, elle fait ce qu’elle veut, seulement nous, on était pas obligé de laisser le banquier faire sa loi. Parce qu’au bout du compte la seule loi qui prévaut, c’est la nôtre, celle du peuple (et ici on pourrait même dire, les peuples — bon voisinage, toussa). Et l’économie est au service du peuple, pas le contraire. Une femme infidèle, c’est correct, l’adultère, sans être forcément bien vu, n’est pas un délit ; en revanche, prostituer son seul capital véritable (son peuple, la nation, etc.) aux quelques salopes qui sont censés faire tourner le monde, voilà qui est la source de beaucoup d’ennuis et de vices inacceptables. On est comme le camé qui pour se payer sa dose, deale à son tour, ou pire… Oui, on est tous des Sauvage : quand on se rend coupable d’un crime, c’est toujours en réponse à d’autres blessures, d’autres crimes, auxquels on a jamais pu faire face. Au lieu d’y faire face à nouveau en regardant le problème (ici celui des migrants mais ça pourrait en être bien d’autres) à sa source, on préfère agir sur les effets immédiats. Celui qui veut remonter un fleuve, parcourt-il, dans un même jour, autant de chemin que celui qui le descend ? (Sade). La facilité, l’immédiateté, « argent facile ! »… La communication, le débit, ne sert à présent que le petit profit. On vend des allumettes, ne cherchons pas plus loin pourquoi on en soufre.