Ici brigade criminelle, Don Siegel (1954)

Note : 3 sur 5.

Ici brigade criminelle

Titre original : Private Hell 36

Année : 1954

Réalisation : Don Siegel

Avec : Ida Lupino, Steve Cochran, Howard Duff, Dean Jagger

Amusant de voir qu’Ida Lupino a participé à l’écriture du scénario, mais que ça n’ait pas pour autant rendu son personnage moins anecdotique dans l’affaire… Histoire de cordonnier. Elle crève d’ailleurs, en tant qu’actrice cela va sans dire, un peu trop l’écran pour n’être qu’une vulgaire chanteuse de bar : dès qu’on ne la voit plus, le film perd de son charme et retombe sur ses pattes criminelles bien ternes.

L’intrigue policière ne vaut pas grand-chose et souffre d’un certain manque d’unité : une première partie où deux détectives s’appliquent à rechercher un voleur de billets de banque (avec l’aide de notre chanteuse de bar coscénariste), et une autre où ils s’opposent, car l’un voudrait garder une petite partie du magot pour eux. Le rythme naturel de l’intrigue policière est plombé par des séquences réalistes mettant nos détectives en scène dans leur vie quotidienne et familiale ; or, l’image d’Épinal est tellement grossière qu’on peine à plaindre un des deux détectives quand il se retrouve placé devant le fait accompli par son partenaire. Partenaire qui, d’ailleurs, passe du mec sympa à une crapule en moins de temps qu’il en faut pour le dire… On rêve de la constance des chanteuses de bar, femmes fatales, toujours, elles, invariablement floues et insaisissables.

Ce côté brouillon et naïf du scénario est sauvé in extremis par une dernière (et seule) astuce qu’on sent un peu venir (ce qui est une qualité) et qui permet à toute cette histoire anodine de prendre fin, comme dans toutes les bonnes histoires, en se conformant, ou retournant, à l’ordre établi (même si en y réfléchissant, le petit tour final manigancé par le chef de la police paraît bien trop risqué — fatale pour un des personnages — pour être crédible).

Bref, un film noir bon et honnête, c’est un film où la femme fatale est au cœur de l’intrigue, pas un simple pion ou un personnage utilitaire posé négligemment près d’un piano. On se contentera donc ici d’une vulgaire série B… ou d’un vulgaire film de flics comme seuls les vrais durs peuvent les apprécier. Un film de Don Siegel en somme. (Ce que je préfère chez lui, c’est bien ses films avec une pointe d’humour ; on sourit ici autant qu’après trois jours de garde à vue).

Curieux, tiens, j’ai des réminiscences de mallette pleine de billets avec Walter Matthau…


 
Ici brigade criminelle, Private Hell 36, Don Siegel 1954 | The Filmakers

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Une femme dangereuse, Raoul Walsh (1940) They Drive by Night

Les Miauleuses

Une femme dangereuse

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : They Drive by Night

Année : 1940

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : George Raft, Ida Lupino, Humphrey Bogart, Ann Sheridan

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Un film plutôt singulier que voilà. Pendant plus d’une heure, on a affaire à une sorte de chronique prolétaire à l’américaine. Deux routiers, deux frères (George Raft et Humphrey Bogart) tentent de se débrouiller dans la jungle capitaliste. L’un est plutôt débrouillard (George Raft), l’autre plutôt paresseux et quelconque (Bogart). Aucune problématique énoncée dans l’introduction, le sujet, c’est juste de les montrer se débrouiller dans la vie, faire face aux problèmes, aux coups durs. Et en Amérique, pour s’en sortir, on se met à son compte… American way of life. La liberté de réussir, la liberté de tout perdre… Mais ce ne sera pas le sujet de notre histoire — en fin de compte.

[À partir d’ici, j’évoque les développements de l’histoire. Principalement.]

Raft tombe amoureux d’une belle rousse, Bogart s’endort en volant, perd un bras et est ainsi à la charge de son frère… Tout ça serait finalement plutôt banal, même si pas loin au fond de ce qui naîtra peu de temps après en Italie avec le néoréalisme (voire toujours dans ce qu’on identifiera un peu plus tard comme un autre film noir et qui fera neuf ans plus tard lui aussi vroom vroom, Les Bas-Fonds de Frisco). Seulement un personnage va faire pencher le récit vers une trame plus traditionnelle, plus dramatique. Un personnage typique de film noir (l’un des premiers ici donc), la femme fatale, la mante religieuse… Qui de mieux pour tenir ce rôle qu’Ida Lupino ? On est loin de son personnage d’aveugle miséricordieuse de La Maison dans l’ombre, elle tient là le type de rôle qu’elle a le plus souvent eu au cours de sa carrière : la vamp odieuse, manipulatrice et finalement fragile, fragile d’aimer à la folie un homme qui se refuse à elle et pour qui elle est capable de tuer… Un personnage en or, une actrice en or… N’importe quelle comédienne aurait rendu ce personnage antipathique. Ida Lupino, elle, arrive à rendre cette garce attrayante, malgré ses actions qui l’a fait bien passer dans l’élite des belles salopes, dans le who’s who des grandes connasses du XXᵉ siècle. Une femme fatale en somme.

La Lupino est donc mariée à un patron camionneur, un nouveau riche, qu’elle méprise parce qu’il n’a pas la classe tranquille du gentleman-prolétaire, George Raft. La beauté de la chose, c’est que tout comme la Lupino, Raft n’a pas le physique parfait. Loin d’être un adonis, toutes les filles semblent pourtant lui tomber dans les bras… On y croit. Parce que ce George Raft, il a l’autorité pour, la présence. Et comme dans Les Anges aux figures salles ou Ces fantastiques années 20, Bogart tient encore là un second rôle, encore un loser qui lui va à merveille. On se laisse déjà convaincre par ce personnage sans charme particulier, mais le type bien par excellence, intelligent, travailleur, honnête et dévoué, et qui séduit malgré lui ici la femme du patron. La Lupino a beau faire des loopings autour de lui comme une mouche autour d’un fromage appétissant, Raft est un gentleman : on ne touche pas à la marchandise de son patron d’ami, on reste indifférent aux belles parades d’amour de la vamp endiablée…

Une femme dangereuse, Raoul Walsh (1940) They Drive by Night | Warner Bros

On commence à sentir le truc… À forcer de tourner autour de Raft, la Lupino va finir pas perdre la tête et va se laisser chahuter par les rapides de la jalousie. Il faut attendre une heure dix de film pour qu’on sorte de la route tranquille de la chronique. La Lupino, en bon personnage de film noir, se met enfin en action et maquille le meurtre de son mari en un suicide typiquement américain : asphyxie du mari ivre mort dans son garage alors que le moteur de l’auto tourne encore… (Si la Lupino avait pu le tuer avec un paquet de Marlboro, nul doute qu’elle ne se serait pas privée)

C’est l’un des avantages de la censure puritaine de l’époque. Puisqu’il n’est plus permis de montrer des crapules en laissant penser qu’on pourrait en prendre parti, eh bien on ne montre plus que les criminels de l’ombre, les escrocs qui ont tout des gens honnêtes, et on suggère que le mal pourrait être tapi partout, surtout là où on ne l’attend pas. L’ombre nauséabonde de la guerre qui rôde tout près, le sexe malfaisant et diabolique de la femme qui s’émancipe… Le climat du monde est pesant, tant sur le plan intérieur où Hollywood voudrait faire oublier ses années folles aux yeux du public de l’Amérique profonde, qu’à l’extérieur où la menace communiste se trouve tout à coup dépassée par une autre plus brutale, plus réelle, et c’est cette atmosphère qui transparaît à l’aube de cette nouvelle décennie pour créer le film noir. L’art ne fait pas de politique, il en est tributaire. Ou plus simplement le témoin.

Affaire classée, donc. Ce n’est pas un film de flic (c’est rarement ce qui intéresse Walsh, lui c’est plutôt les faits, les personnages qui l’intéressent, plus que les mystères, les films à énigme…), mais le récit de la rencontre d’un homme bien avec une femme pas bien… qui n’est pas bien, malade, que le gentil monsieur se refuse à elle… Le scorpion qui tombe amoureux du lapino, la lionne qui s’éprend du saint-bernard… C’est touchant finalement qu’un monstre puisse tomber amoureux d’un ange…

La Lupino offre les clés de l’entreprise à son amoureux, comme une chatte qui vient vous offrir une souris pour vous dire que vous comptez pour elle. Raft sent le coup tordu, il a son kayak qui vrombit sur les rochers, mais c’est une occasion à saisir. Et le voilà donc grand patron. Seulement, il ne faut pas contrarier une vieille chatte jalouse quand elle croit vous faire le plus beau des cadeaux. Et quand Raft présente sa rouquine à la patronne qui se rend compte tout d’un coup qu’elle n’est qu’une sorte de dindon de la farce, elle glousse, s’emporte et révèle alors « tout ce qu’elle a fait pour lui » et lui l’ingrate petite souris qui au lieu de la remercier s’en va au bras d’une rouquine sans le sou… La Lupino est maintenant bien loin du bon fromage d’autrefois, et ça commence sérieusement à sentir le pâté. Raft ne mange pas dans cette gamelle-là et s’en va de la manière la plus blessante qui soit pour une belle cabotine qui vient d’avouer son crime et surtout le mobile de son crime (« mais c’est pour toi que je l’ai fait ! mon amour !… » dit-elle alors toute miaulante) : presque indifférent (les chattes aiment bien se chamailler en guise de préliminaire et refuser le conflit, c’est comme se prendre un râteau en pleine poire, alors l’indifférence, c’est pire que tout !).

On rouvre l’affaire… parce que la vengeance est un plat qui se savoure en miaulant. La Lupino s’en va tout raconter à la police : « J’ai assassiné mon mari ! mais si je l’ai fait c’est parce que mon amant m’y a poussée ! ». (La garce…) Le bol de lait est du côté de la chatte : les apparences ne mentent pas, jamais (sinon, il n’y aurait que des criminels en prison). Mais encore, là, ce n’est pas le sujet : on a échappé au film de flic, on n’aura pas le film de prétoire. Parce qu’on est déjà dans le film noir, et dans un film noir, on est trop désabusé pour croire encore en la justice des hommes… Rien que deux ou trois témoins à la barre (on est en plein dénouement, ça peut être un procédé utile pour refaire un tour rapide du récit), puis arrive la Lupino… complètement lessivée après être passée à la machine de l’amour non partagé, rongée par la culpabilité d’un crime « pour rien », la pauvre est devenue complètement maboule… « Allô, docteur ? » Affaire classée : la veuve était folle…

Et la fin se termine sur un clin d’œil d’une morale plutôt douteuse… Raft, jouant jusqu’au bout son personnage d’homme parfait, décide de se retirer de l’affaire dans laquelle il n’a aucune légitimité. Seulement sa rouquine de femme s’en mêle et demande aux amis-employés de son mari (ou pas tout à fait encore…) de ne pas le laisser partir (c’est qu’un chat roux se salit bien vite avec un mari plein de cambouis). Ils arrivent finalement à le convaincre de rester dans la scène finale, qui se termine donc sur un clin d’œil de la nouvelle chatte à ses souris. Celui qui se fait couillonner encore et encore, c’est le bon, l’homme honnête, on y échappe pas… Et je me permets de citer Thoreau (que j’ai piqué dans Into the Wild) : « Plutôt que l’amour, que l’argent, que la foi, donnez-moi la vérité. » Pas pour cette fois encore, George… On aura beau dire, ça reste les chattes, à la maison comme dans le monde, qui portent la culotte.


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La Maison dans l’ombre, Nicholas Ray (1951)

Lumière sur le noir

La Maison dans l’ombre

Note : 4 sur 5.

Titre original : On Dangerous Ground

Année : 1951

Réalisation : Nicholas Ray

Avec : Ida Lupino, Robert Ryan, Ward Bond

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On retrouve le même attachement à la psychologie que dans les autres films de Ray. La mise en scène aime bien s’attarder pour exprimer autre chose que ce qui est dit par les dialogues. Ray aime prendre son temps, faire des parenthèses à l’intérieur du récit ; il cherche à montrer autre chose. On voit bien qu’avant la trame, ce sont les personnages qui passionnent Ray, leur destin, leur devenir, plus que leurs actions… Comme dans Le Violent, comme dans Les Amants de la nuit, et comme plus tard dans La Fureur de vivre ou Johnny Guitare.

Ça commence comme un film noir, bien noir, en ville, avec un flic qui se bat avec ses états d’âme. Et puis on l’envoie dans le trou du cul enneigé de l’Amérique. Dépaysement total, l’anti-film noir (voir également Nightfall de Tourneur). Le film se ralentit, le nombre de séquences diminue ; elles se rallongent et gagnent en intensité, en réalisme. La trame n’a plus la sophistication et la densité souvent incompréhensible des films noirs, on se rapproche du western country pépère qui reprend les principes d’une unité d’action, de lieu et de temps de la tragédie. Fini les ellipses, les flashbacks, la grande sophistication des films noirs, seul reste, le flic perdu dans ce « calme » blanc. Pas d’enquête : juste une poursuite, qui s’éternise et qui nous amène… dans cette maison dans l’ombre…

La Maison dans l’ombre, Nicholas Ray (1951) | RKO Radio Pictures

Pourquoi dans l’ombre ? Parce qu’Ido Lupino y cache son frère crétin-criminel, et qu’elle est aveugle. Une rencontre presque mythologique pour notre flic accompagné par le père de la victime… On est bien à la campagne, pas de civilisation, pas de loi, pas de sirène… C’est Œdipe se rendant à Thèbes, mais le Sphinx est remplacé par Jocaste, et c’est Jocaste qui est déjà aveugle… De la mythologie passée au mixeur.

Quand on met toute sa mise en scène sur les rapports entre personnages, il faut des acteurs capables d’assurer… Est-ce qu’on peut rêver mieux que Robert Ryan en salaud-tourmenté-gentil et la belle Ida Lupino en hôtesse-tourmentée-aveugle ? Ah… Ida Lupino, la vampe au visage ordinaire dont le nom évoque la fumée de cigarette qui s’élève jusqu’à disparaître… Ou comment une femme à la beauté ordinaire peut vous envoûter par sa seule présence, son intelligence, son humanité…

Peut-être pas un chef-d’œuvre, mais un film singulier. C’est bien le mot, car le récit va toujours plus vers la simplicité, l’unicité…



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Le Grand Couteau, Robert Aldrich (1955)

Le Grand Couteau

The Big Knife
Le grand couteau (1955)Année : 1955

Réalisation :

Robert Aldrich

Avec :

Jack Palance
Ida Lupino
Rod Steiger

9/10 IMDb iCM

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Listes sur IMDb :

Limguela top films

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Huis clos – behind locked doors (or almost)

Noir, noir, noir…

Huis clos (adapté d’une pièce de théâtre) où un acteur en fin de cycle est pris entre sa femme, son agent et les studios… Lui veut arrêter parce qu’il est mal dans sa peau, alcoolique ; les autres veulent le forcer à reprendre du service sans se soucier de sa santé… Avec Jack Palance (Aldrich avait aussi déjà tourné avec lui pour Attaque !). Et ce Palance n’a jamais été aussi bon que quand il jouait des rôles de grands tendres. Un mec de deux mètres, sensible comme un gamin, c’est bô. (Voilà un film qu’il faudrait revoir…)

Le Grand Couteau (The Big Knife) Robert Aldrich 1955 The Associates & Aldrich Company