
Cyrano de Bergerac

Année : 1990
Réalisation : Jean-Paul Rappeneau
Avec : Gérard Depardieu, Anne Brochet
L’occasion de revoir ce film qui ne m’avait pas convaincu la première fois… Ça reste Cyrano mais tout autant Cyrano que cela puisse être, ça n’en reste pas moins une pièce compliquée à monter, autant au cinéma qu’au théâtre. Pour moi, c’est de la littérature. D’ailleurs Rostand, au début, n’avait pas comme ambition de la faire monter il me semble. C’est une pièce à prétexte. Le canevas est ce qu’il est : grossier ; les personnages sont ce qu’ils sont : Cyrano est une péninsule ; tout le reste n’est que poussière (il est au centre de tout, or ce qui importe dans une histoire, ce sont les rapports entre les personnages ; si on ne peut rien pour Christian, qui est le jeune premier bateau, Roxane, dont il est dit qu’elle est intelligente n’a jamais le temps de le montrer…). Reste une première partie excellente, mémorable, mais là suite, qu’on soit au théâtre, au cinéma ou qu’on la lise, c’est parfaitement ennuyeux. Il faut attendre la fin pour trouver un peu d’humanité dans cette pièce.

Cyrano de Bergerac, Jean-Paul Rappeneau (1990) | Caméra One, Centre National du Cinéma et de l’Image Animée
La mise en scène ici est sans rythme, sans poésie. Raconter une histoire, que ce soit au cinéma ou à l’écrit, c’est souvent une question de proportions : savoir quand accélérer et quand ralentir. Mouvements rapides, mouvements lents. Les longues et les brèves. Rappeneau délaisse tout à son compositeur, or c’est à lui de faire la mise en scène, à accentuer en moment d’émotion, d’action… Il est lui-même comme spectateur de ce qu’il monte, il laisse faire, ne choisit pas, ne met rien en relief. Reste qu’il est difficile de trouver le ton juste dans une pièce qui mélange autant les genres. Le mélange est une tradition anglo-saxonne. Cette pièce est un ovni dans le contexte théâtral de l’époque, comme le Cid l’avait été. Ce sont peut-être des chefs-d’œuvre, mais on n’est paradoxalement pas les mieux armés pour les mettre en scène. L’art français, c’est aussi le menuet et les jardins plan-plans. Vous y foutez une péninsule au milieu de cette figure régulière, et pif-paf, ça sonne creux. Il faudrait voir ça monté par des Britanniques, juste pour voir.
Quitte à faire une adaptation, l’idée de couper voire d’ajouter des vers est une mauvaise idée. Beau sacrilège d’écrire des bribes en prose pour donner plus de vie à certaines scènes. Dans les batailles par exemple, tout le monde a le gosier fermé et on ne peut pas croire à un truc pareil. Dans ce genre de séquences, traditionnellement, les personnages parlent, hurlent, et on est loin des vers. La pièce est tellement baroque, que cela n’aurait pas été un scandale. Ce qui fait la réussite des pièces de Shakespeare au cinéma, c’est que souvent lui-même mélangeait scènes en vers et scènes en prose ; il n’avait pas peur de rajouter des mots pour le vent, pour remplir : Shakespeare, ce n’est pas que de la littérature, des beaux mots, il y a malgré tout un réalisme incroyable justement du fait de cette adaptabilité du langage.
Il y a finalement très peu d’adaptations de pièces convaincantes. Le plus souvent des pièces de Shakespeare, par Zeffirelli, Welles ou Olivier. Shakespeare, c’est déjà du cinéma. Rostand, surtout quand c’est mal joué (et c’est souvent trop dur à jouer) c’est de la littérature ─ au même titre que Feydeau par exemple.
En passant, j’ai des vagues souvenirs de lecture de la Mort d’Agrippine, du vrai Cyrano de Bergerac, ça valait le coup d’œil. Il faudrait que je m’y replonge un jour…
Un mot sur les acteurs. Depardieu est l’acteur qu’il fallait pour cette pièce filmée et injouable ; je me rappelle avoir vu Belmondo au théâtre ; et on ne peut pas trouver mieux que ces deux-là pour ce rôle. Vincent Perez est excellent dans un rôle ingrat, vraiment pas facile à jouer, mais lui c’est encore plus convaincant que Depardieu, parce que c’est à la fois un acteur de théâtre (et un très bon) et de cinéma ; il faut aimer l’acteur, mais c’est une autre histoire… Anne Brochet est belle à tomber, mais se laisse emporter par les tunnels ; vu le talent des actrices (par rapport aux garçons), c’est un peu agaçant de voir le résultat. Weber est nul (son rôle est, certes très compliqué, mais pas seulement).
La difficulté dans toute adaptation est de réussir à s’approprier un texte. L’auteur, le maître d’un film, reste malgré tout le réalisateur, pas celui qui en écrit le scénario. D’où l’extrême difficulté de se lancer dans ce genre d’exercice. Le modèle suprême est là le Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli, disciple de Visconti. Tous deux metteurs en scène à la fois de théâtre, d’opéra et de cinéma. Il n’y a pas de secret, ça ne s’improvise pas.