L’Aveu, Douglas Sirk (1944)

Un homme confesse

Note : 3 sur 5.

L’Aveu

Titre original : Summer Storm

Année : 1944

Réalisation : Douglas Sirk

Avec : Linda Darnell, George Sanders, Anna Lee, Edward Everett Horton, Laurie Lane, Hugo Haas

Je n’avais jamais entendu parler de cet unique roman de Tchekhov. On frise le mélodrame et touche à tous les genres. Le propre, aussi, du mélodrame… Le sujet pourtant est souvent payant : une femme à la beauté tragique. Linda Darnell pourrait être Ayako Wakao, il y a toujours du potentiel à criminaliser ce que tout le monde convoite… Seulement, le film est d’abord construit comme une romance. Une fois que c’est enfin fini, ça repart… Et le tournant criminel à la fin est de trop, alors qu’il aurait dû être au cœur du récit. Reste après ça, dix minutes pour fermer les portes du flashback, forcer une rencontre avec un personnage qu’on avait totalement perdu de vue (et par conséquent avec qui on n’avait pas pu sympathiser), puis achever le travail sur une scène de culpabilité qu’on pourrait presque penser avoir été écrite pour la propagande soviétique (la bassesse de l’ancien juge tsariste pour tenter une dernière fois d’échapper à « l’aveu »). Astuce aux conséquences involontaires et malheureuses de Sirk, le dramaturge russe étant mort en 1904 et ayant placé son histoire au milieu du XIXᵉ siècle…

Et malgré tous ces défauts, les principaux problèmes sont ailleurs. D’abord, George Sanders est souvent parfait en rôle d’appui aux côtés de grandes stars, mais en tant que premier rôle, on voit vite ses limites. Pas forcément non plus aidé par Sirk, il rate complètement la scène cruciale du film où il est censé tomber amoureux du personnage de Linda Darnell. Elle le laisse de marbre, si bien qu’on peine à comprendre l’intérêt qu’il lui porte par la suite. Ce qui aurait plus tendance à faire de son personnage un goujat, délaissant sa fiancée dès qu’elle a le dos tourné pour fricoter avec la belle va-nu-pieds. On ne peut croire en son comportement, le justifier même, jusqu’à un certain point, que si on le sent pris d’une passion dévorante et incontrôlable pour elle. Or, Sanders, comme à son habitude, est imperturbable. Le flegme ne se marie pas avec tout…

Le reste de la distribution comporte pas mal d’acteurs de comédie, on se demande bien pourquoi. Edward Everett Horton est lui aussi un acteur d’appoint très utile dans les bons films, mais là encore, il tient un rôle trop grand pour lui, et le voir multiplier les expressions et les gestuelles qu’on a pris l’habitude de voir dans de véritables comédies, ça lasse vite.

Dernier point qui me pose problème : la mise en scène de Douglas Sirk. J’ai dû écrire ça une fois, la magie du cinéma, c’est d’abord celle des raccords, et des ellipses qui vont avec, quand les personnages passent d’un lieu à un autre, parfois franchissent une porte, se retirent et dans le plan suivant, en moins de deux, pénètrent dans une pièce d’une ville voisine. La magie du cinéma est faite de téléportations, de transferts et de transparences. Sirk maîtrise évidemment tout ça au niveau des décors et des raccords qu’il faut entre décors ou pièces d’un même espace. Mais il y a une autre magie qui vient très vite se superposer à la première : l’arrière-plan. Savoir jouer des ciseaux pour donner du rythme à son film, savoir placer ses acteurs au milieu d’un décor ou d’autres acteurs, choisir le bon cadre et les mettre en mouvement, jouer des raccords et des échelles de plan, etc., tout ça, c’est formidable. Manque toutefois ce petit plus qui pousse l’illusion un peu plus loin : l’impression de ne pas être au théâtre dans un décor figé et des figurants limités ou dans un studio de cinéma où on aurait reconstitué des bosquets, des jardins ou des coins de rue pour avoir à éviter de faire des plans de coupe en extérieur dans des régions exotiques qu’il faudrait en plus transformer pour les faire apparaître comme au début du siècle… Et tout cela, on n’y échappe pas dans L’Aveu.

C’est d’ailleurs, d’après ce que je me souviens, un défaut récurrent chez Douglas Sirk jusque dans ses chefs-d’œuvre. Quand tout le reste va, et que la production met les moyens, ou que le sujet s’y prête sans doute, ça en devient même une qualité. Le côté sclérosé, renfermé, statique, ne fait que renforcer la tragédie qui se joue dans Le Mirage de la vie par exemple. Mais avec une histoire qui est censée se passer à Kharkiv d’après ce que j’ai compris (on parle de « Kharkov », le nom russe de la ville, et il est question ici de l’Empire russe), puis aux alentours, dans la campagne, il faut faire des efforts de contextualisation.

Sirk propose bien deux ou trois plans de coupe en extérieur, mais le mélange avec les décors de bosquet reproduits en studio, le manque d’inventivité, de moyens, pour reconstituer l’âme d’un territoire, il aurait envisagé de tout tourner en studio peut-être que ç’aurait mieux fait l’affaire. Des figurants, un arrière-plan riche, on peut s’en contenter. Mais des bosquets où pas une brise de vent ne souffle, où le ciel même ne semble pas exister, je veux bien que ce soit un peu l’époque qui veut ça, mais on a connu reconstitution plus enthousiasmante. D’où l’intérêt d’avoir une bonne équipe dédiée à l’art design… Il faut se souvenir de ce que fera Richard Brooks sur Les Frères Karamazov : quelques scènes de William Shatner dans des rues boueuses, de la fausse neige, des moufles, et on s’y croit ! On sait que c’est du carton-pâte, mais on est quelque part, on essaie de situer l’environnement où on se trouve, on sent l’atmosphère, et on tâche de garder une cohérente esthétique. De l’Ukraine sous l’Empire russe de Tchekhov, on y voit quoi ? Rien. Qu’il décrive une histoire se déroulant en Allemagne, aux États-Unis ou en Ukraine, Douglas Sirk filme de la même façon et n’en a qu’après ses acteurs. Alors, quand l’acteur principal du film est mauvais…

On ne peut pas non plus se passer de quelques plans de coupe dans lesquels on voit les personnages aller vers un autre lieu ou y entrer. Parce que ça encore, c’est nécessaire à notre imagination, et à la contextualisation de son histoire. On imagine mieux le hors-champ. Et l’arrière-plan, en particulier avec le jeu des fenêtres ouvrant vers l’extérieur, les transports d’un espace à un autre pour créer cet espace hors-champ, c’est primordial dans le cinéma (j’expliquais ça plus en détail dans mon commentaire sur Adelaide de Vlacil).

Bien sûr, on n’attend pas de Sirk qu’il fasse dans le naturalisme. Mais ici, ce qui pêche surtout, c’est la cohérence et le manque d’inventivité. Parce qu’on a du mal à croire en cette histoire. Quand l’acteur principal m’ennuie, j’ai tendance à porter mon regard sur les décors, l’arrière-plan, est-ce que le cinéaste arrive à insuffler une vie hors-champ ?… Elle est là, aussi, l’illusion du cinéma. Le plaisir qu’on y trouve. Certains trouvent follement amusant de filmer des portes ou des fenêtres parce que ce serait une manière de dire quelque chose d’intelligent. On appelle ça “surcadrage”. Formidable motif de cinéma les portes et les fenêtres !… Non, moi, ce qui me passionne dans les portes et les fenêtres…, c’est qu’elles parlent, contextualisent ! Elles ouvrent sur un autre monde, en ouvrant d’abord celles, de portes, de notre imagination ! Et qu’est-ce qu’on vient faire au cinéma sinon voir des mondes s’ouvrir, s’entrouvrir, devant nos yeux ?…

Alors, à l’image de ce que j’avais ressenti pour La Neuvième Symphonie, mon intérêt ne se… porte ici que sur un détail vestimentaire de l’actrice principale… Il ne reste plus que ça. Une chemise ukrainienne, malheureusement en noir et blanc, portée par Linda Darnell. L’occasion pour moi de sortir de la pièce en proposant un hors-champ de décontextualisation, en évoquant ce magnifique clip de Mirami avec une chanson folklorique adaptée aux goûts du jour à l’occasion de la guerre déclenchée par le nouvel empire russe.


 

L’Aveu, Douglas Sirk 1944 Summer Storm | Angelus Pictures, Nero Films


Liens externes :


Making a Murderer, Moira Demos & Laura Ricciardi 2015-2018

maintien de l’ordre public versus maintien de l’ordre des choses

Note : 4.5 sur 5.

Making a Murderer

Année : 2015-2018

Réalisation : Moira Demos & Laura Ricciardi

Avec : des juges, des policiers et des avocats véreux, des victimes d’un système et une poignée d’avocats gentils

C’est le machin le plus éprouvant et le plus abracadabrantesque que j’ai vu depuis Paradise Lost. Les complots existent, en voilà un beau. La filouterie des notables cherchant à se faire disculper (au moins de leur incompétence) et faire accuser les pauvres est sans limites. Le Dossier Adams nous en avait déjà donné un aperçu il y a bien longtemps… L’Amérique semble toujours aussi fâchée avec son système policier et judiciaire.

Je serais curieux de savoir combien parmi les spectateurs de la première saison ont vu la saison 2. C’est malheureusement des procès au long cours, avec des rebondissements à chaque “épisode” et ce n’est pas fini. L’avantage pour moi sans doute d’être arrivé après tout le monde ; et l’évidence qu’une fois la troisième saison diffusée, je serais alors le dernier à la voir… C’est au moins ce qui distingue la série des deux films Paradise Lost, plus facile à voir (moins longs), car sur bien des points, on remarque d’étonnantes similarités : aveux forcés d’adolescents influençables et en marge, coins perdus des États-Unis avec des communautés où tout le monde se connaît et où la majorité désigne une minorité supposée problématique, les témoins impliqués et volontaires qui se révèlent être les principaux suspects, etc. D’un côté comme de l’autre, les accusés à tort sont pauvres et blancs, je n’ose même pas imaginer le nombre de situations similaires impliquant des communautés blanches pointant du doigt de parfaits accusés noirs… (Dans Un coupable idéal, il était question d’un adolescent noir dans mon souvenir.)

Je n’aime pas trop la personnalité de l’avocate de la seconde saison, trop rentre-dedans, toujours assez prompte à faire des leçons de morale ou de compétences en particulier envers les deux premiers avocats de Steven, mais il faut avouer qu’elle a sorti l’artillerie lourde afin de faire disculper son client : elle fait intervenir des experts auxquels ses confrères n’avaient pas jugé bon de faire appel, sans doute faute de moyens, et est entourée de jeunes associés travaillant pour elle. Si on admet sans peine que les flics et les juges sont particulièrement de mauvaise foi, corrompus voire fautifs (travail bâclé, non-respect du droit des accusés, dissimulation de preuves et de témoins, acharnement, non-respect du principe de conflits d’intérêts auquel ils étaient tenus, etc.), on ne peut pas mettre en cause systématiquement comme elle le fait la compétence des premiers avocats (sauf celui de Brendan qui lui a de toute évidence œuvré pour faire condamner son client…). S’ils ont été dupés ou si les dés étaient pipés d’avance, ils ne pouvaient pas le prévoir.

Un point que je ne comprendrais jamais dans ce type d’affaires, c’est la réaction souvent identique des familles des victimes : souvent elles s’attachent à la culpabilité de l’accusé qui leur est livré par les autorités et laissent rarement place aux doutes lors des procès. Premier suspect, toujours coupable. Probable que comme pour une partie des juges, l’investissement intellectuel et émotionnel nécessaire à une remise en question de ses convictions (qu’il faut pour reconnaître qu’on s’est trompé malgré tous les faisceaux d’indices allant dans ce sens) soit trop lourd à assumer, et est d’autant plus lourd que l’investissement initial pour identifier un coupable est long et laborieux ; surtout quand on est en position de victimes et qu’une administration policière et judiciaire vous désigne un coupable idéal, vous conforte dans votre position de victime en facilitant ainsi votre deuil et atténue vos souffrances. Pas difficile à comprendre qu’on en vienne ainsi si facilement à persister dans une conviction première pour ne pas avoir à perdre la face ou se trouver à nouveau dans l’inconfort de ne pas savoir qui est la cause de ses malheurs… On voit se manifester ce même type de réflexes ou de facilités intellectuelles malheureusement de nos jours avec la pandémie et un personnage comme Raoult qui pensait avoir trouvé un remède à la Covid-19 (une certitude facilitée par toute la mauvaise science qu’on l’avait déjà laissé pratiquer depuis des années sans réelles sanctions) et qui a traîné derrière lui des bandes de fous furieux prêts à croire en toutes ses conneries et bientôt à de toutes nouvelles formes d’informations mettant en cause la probité des institutions scientifiques ou groupes pharmaceutiques… Identifier un mauvais coupable semble être, en certaines situations, préférable à ne pas avoir de coupable du tout.

On peut remarquer en tout cas qu’aucune contre-enquête, contre-expertises ou contradiction n’aurait pu être faite sans la masse de documents, en particulier les interrogatoires vidéos, produite durant l’enquête et les différents procès. Dans une dictature, on ne s’encombrerait sans doute pas autant d’une telle paperasse, et on ne pourrait ainsi jamais proposer un tel spectacle d’une démocratie prise en flagrant délit de déni de ses valeurs. Les pièces à conviction, on peut les manipuler, mais on peut également trouver des traces de ces manipulations. Les outils sont les bons, mais on ne peut juste pas lutter contre des notables mis en cause, de mauvaise foi et prêts à tout pour que les leurs, leur service, leur chef, leur institution, leur « communauté », leur État, ne soient jamais éclaboussés par les agissements de l’un d’entre eux. En voulant en protéger quelques-uns, ils finissent tous par devenir complices. C’est bien pourquoi là-bas comme en France, il est si important que dans le cadre d’une enquête, d’un contrôle de routine, tout soit consigné et que les vidéos soient largement utilisées. On peut difficilement falsifier la nature musclée d’un interrogatoire, les fausses promesses de remises en liberté, les menaces, les intimidations, le harcèlement de questions, etc. Et il est également important que ces pièces deviennent publiques (même si on pourrait aussi interroger la pertinence de rendre public le contenu d’un disque dur s’il contient des vidéos à caractère pornographique « déviant »… — j’ai du mal à comprendre en revanche comment un témoin, s’il est avéré qu’on ait retrouvé des vidéos pédophiles comme ça semble être le cas ici, peut s’en tirer sans être inquiété…).

Je serais curieux de savoir si dans un avenir proche (ou même cela était-il déjà possible), les possibilités de l’OSINT (les recherches en sources ouvertes) ne rendront pas accès à des informations, et donc des indices voire des preuves, qu’on n’imaginait pas il y a encore quelques années. Je pense notamment aux images satellites. Ces images, librement accessibles par tous, pourraient dans un cas similaire et avec un peu de chance donner des informations sur l’emplacement et les créneaux horaires durant laquelle le véhicule de la victime aurait été déplacé. Les images satellites ne sont pas continues, mais d’après ce que j’ai compris on peut disposer au moins d’une image par jour de n’importe quel terrain : si le 4×4 de la victime avait été placé sur un autre terrain adjacent à celui des Avery avant d’y être placé, peut-être que des images satellites pourraient à l’avenir donner ce genre d’informations aux enquêteurs (quels qu’ils soient)…

Dernier point fascinant relevé par le documentaire : le décryptage du comportement psychologique des uns et des autres, qu’ils soient suspects puis accusés, témoins ou policiers. Ces derniers disposeraient d’une sorte de manuel les aidant à interpréter les gestes, l’attitude générale et particulière, les expressions faciales des personnes qu’ils interrogent afin d’identifier ceux qui auraient quelque chose à dissimuler. Manifestement, soit ils prennent mal en compte ce qui est spécifié dans ce manuel (en particulier concernant les mises en garde faites concernant l’interprétation ou les méthodes d’interrogation des mineurs, des personnes isolées ou déficientes mentales), soit le manuel est mal fichu. On le voyait dans une autre série mettant en scène cette fois les débuts des recherches du profilage, Manhunt : il faut du temps pour mettre en œuvre des outils fiables qui puissent être utilisés par les enquêteurs, et si on peut imaginer, une fois que « la science de l’interrogatoire » a fait ses preuves, qu’il y ait des spécialistes (fédéraux sans doute pour ce qui est des États-Unis) capables de former les policiers sur le terrain et d’identifier par conséquent des méthodes d’interrogation indiscutablement problématiques, encore faut-il que ces pratiques soient mises en œuvre par les procureurs une fois que des litiges sur de tels interrogatoires apparaissent. On peut douter que cette expertise quand elle existe soit toujours fiable dans les grandes villes, alors dans les petites n’en parlons pas. La bonne vieille technique du shérif censé protéger « sa communauté » des intrus ou des éléments en marge fera tout autant l’affaire… La « communauté » en question est souvent un cache-nez pour évoquer en réalité soit un boss (période western), soit une institution, soit les notables de la ville ; en tout cas, il est presque toujours question d’une confusion entre « maintien de l’ordre public » et « maintien de l’ordre des choses ».

Pourquoi pas d’ailleurs dans un cadre éducatif se faire aider d’acteurs à qui on demanderait de jouer des situations où ils seraient censés dissimuler des émotions, des informations, une culpabilité factice, etc. Parce que précisément, les techniques de jeu stanislavskiennes, très populaires sur le continent américain, sont censées construire des personnages intérieurement, jouer sur leurs motivations, leurs émotions refoulées, etc. C’est toujours facile de le dire après, mais quand on regarde la série, après-coup peut-être, on peut déceler dans le comportement des uns et des autres des indices pouvant laisser penser qu’ils cachent quelque chose, mentent, ou au contraire se montrent invariablement sincères et au-dessus de tout soupçon. Les menteurs ou les escrocs sont parfois identifiables par leur aplomb, l’assurance avec laquelle ils affirment les choses (l’aphorisme « la présomption d’innocence ne s’applique qu’aux innocents » m’a tué), un recours permanent à l’évocation des victimes pour justifier certains agissements (fausse empathie et appel à l’émotion), un certain excès de confiance, une forme d’arrogance à peine contenue aussi, une foi chevillée au corps, et une volonté généreuse de leur part (sic) de se présenter aux yeux des autres comme un chevalier blanc, un donneur de leçons (pas un redresseur de torts, plutôt dans le genre « pasteur qui enfonce les portes ouvertes et ressert les liens de la communauté »), ou comme un prince magnanime (en tête à tête : recours aux fausses promesses, dévalorisation des personnes isolées et fragiles ; en public : prétention à être celui disposant de la vérité, du savoir, du pouvoir de juger, à être le gardien des institutions et de la vertu ou le devin en capacité d’assurer au public de la suite des événements — allant, forcément, toujours dans son sens).

On trouve un peu de tout ça tout au long de la série. Chez le procureur Kratz, d’ailleurs, comme parfois les personnes en excès de confiance, il se fera prendre une fois qu’il aura un peu trop flirté avec la ligne rouge (chopé pour des sextos). Les policiers sont fourbes et semblent bien profiter de leur statut de représentant de l’ordre (des choses donc). L’avocate star de la seconde saison possède quelques-unes aussi de ces caractéristiques, mais au moins son mobile est évident : bien sûr, elle est prétentieuse, bien sûr, elle semble vouloir participer à la défense de Steven après le visionnage de la saison 1 et semble assez fière de ses réussites passées, en revanche, on peut difficilement remettre en question son acharnement à défendre son client et semble sincère quand elle explique les caractéristiques, là, des personnes accusées à tort, ce qui illustrerait plutôt un réel sens éthique et de l’empathie. La différence de comportement est également palpable entre les deux premiers avocats de Steven (l’un d’eux répète plusieurs fois sa désolation de voir les conséquences humaines voire politiques d’un tel acharnement judiciaire) et celui désigné d’office de Brendan (ses ricanements en disent long sur l’intérêt qu’il porte au sort de son « client »).

Mais à l’image encore des personnages de Paradise Lost qu’on aperçoit d’abord en arrière-plan et qui prennent de plus en plus d’épaisseur à mesure que les regards se tournent vers eux, les comportements de quelques « témoins » interrogent, et à défaut de pouvoir les « confondre » pour en faire des coupables, au moins, leur comportement devrait interroger et donner lieu à des interrogatoires ou des perquisitions (d’autant plus que c’est rappelé, dans les histoires de meurtres, c’est souvent plus des personnes proches qui sont impliquées) : un ancien petit ami qui lance les recherches (là encore, dans Manhunt, il est noté que les meurtriers aiment à s’impliquer dans les recherches… tant qu’ils ne sont pas eux-mêmes suspectés) et qui a accès à la boîte vocale de son ex (?!) ; un neveu qui met en cause le principal accusé qui n’est autre que son oncle (oncle qui s’apprêtait à lancer un procès contre l’État afin de récupérer des compensations financières après ses années passées pour un premier crime dont il a été innocenté — possible jalousie), qui possède des vidéos violentes sur son ordinateur, et que son oncle relève innocemment qu’il l’a vu aussitôt partir après le départ de la victime ; le beau-frère de Steven qui est également utilisé comme témoin par l’accusation contre lui, souvent en retrait quand sa femme ou ses beaux-parents expriment leur rage, leur obstination ou leur incompréhension face aux injustices dont Steven et Brendan sont victimes (il est moins proche des deux, mais cette retenue pourrait au moins interroger — elle cesse d’ailleurs quand Steven fait savoir à sa sœur que son avocate le suspecte, et qu’il lui dit ses quatre vérités dans un échange houleux au téléphone : ce qui n’est pas pour autant une preuve de culpabilité) ; le policier qui semble manifestement avoir servi de fusible en ne relayant pas certaines informations capitales et qui se décompose à la barre quand il est appelé en tant que témoin (attitude plus du type qui sait qu’il a merdé pour protéger les gros poissons ou des amis, plus que du menteur invétéré plein d’assurance, volubile, à la limite de l’arrogance et de l’insolence).

Et à côté de ça, la spontanéité enjouée ou dépassée d’un Steven criant son innocence, et le malaise constant d’un Brendan parlant à ses chaussettes (et non pas spécifique une fois mis en difficulté), qui laissent assez peu de place au doute quant à leur implication dans le meurtre dont ils sont accusés. Rien ne peut l’écarter, mais leur comportement est bien plus celui de victimes harcelées, limitées, démunies et sans défense que de manipulateurs. On remarquera par ailleurs, pour en finir avec des « profils de meurtrier », que Steven et son neveu sont à l’exact opposé des hommes à la masculinité toxique, violents, manipulateurs, pleins d’assurance qui sont habituellement les hommes qui s’en prennent aux femmes… D’aucuns pourraient dire qu’on voit tout une bande de masculinistes s’arranger pour faire condamner des types de profils à l’opposé des leurs : Steven s’en est pris à un animal et avait pleinement reconnu ses torts (jamais à des femmes, mais avoir été si longtemps accusé de viol vous fait passer pour un coupable idéal), Brendan n’a jamais fait de mal à une mouche. On ne peut pas en dire autant de ceux qui les pointent du doigt (s’ils étaient honnêtes les enquêteurs auraient fait des recherches sur le comportement de Bobby avec les femmes après avoir trouvé des vidéos compromettantes chez lui, mais comme ces mêmes enquêteurs sont précisément des hommes toxiques, des dominants, ils recherchent prioritairement des hommes fragiles pour mieux pouvoir faire valoir sur eux leur domination ; certains auront par ailleurs des comportements qui devraient dans un autre cadre alerter sur leur profil : le procureur devra donc faire face à un scandale de sextos — envers des profils de femmes fragiles, ça rappelle quelqu’un —, et d’autres ont fait pression sur la médecin légiste pour qu’elle n’intervienne pas dans l’affaire, lui faisant subir des pressions telles qu’elle dira plus tard se sentir obligée de démissionner).

Une troisième saison nous en dira peut-être plus. Aux dernières nouvelles, l’avocate fait savoir qu’elles disposent de pièces incriminant semble-t-il celui déjà qu’elle pointait du doigt dans la saison 2 : Bobby, le frère de Brendan et neveu de Steven (avec un motif de crime sexuel si je comprends ce qu’elle en dit sur son compte Twitter).

Deux mots tout de même sur la forme de la série. On peut souvent craindre le pire quand il est question de documentaire à la sauce américaine. On n’échappe pas aux effets de mise en scène, certes, mais ils me semblent moins omniprésents que dans d’autres documentaires, et surtout, le sujet est tellement prenant et révoltant qu’on n’y prête plus réellement attention. Il serait d’ailleurs judicieux de comparer la légitimité d’employer de tels procédés quand il est question de mettre en lumière un acharnement judiciaire, des institutions manifestement corrompues ou pour le moins malades ou des victimes innocentes passant la majorité de leur vie en prison, et quand il est question d’enfoncer les portes ouvertes en documentant la vie d’une victime (Dear Zachary).


 

Making a Murderer, Moira Demos & Laura Ricciardi 2015-2018 | Synthesis Films


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Victoria, Justine Triet (2016)

Comédiane romantique

Note : 2.5 sur 5.

Victoria

Année : 2016

Réalisation : Justine Triet

Avec : Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud, Laurent Poitrenaux

Entre comédie et drame, on ne sait trop sur quel pied danser. Alors d’accord, on pourrait penser que la comédie dramatique, c’est une spécificité française ; en réalité, j’ai du mal à comprendre comment on pourrait faire de bons films, non pas en additionnant les qualités des deux genres, un peu comme dans une comédie italienne où ça se traduit assez souvent par des farces satiriques, mais au contraire, en cherchant un juste milieu entre comédie et drame. Ni tout à fait un drame, ni tout à fait une comédie. Au bout du compte, du côté de la comédie dans Victoria, c’est loin d’être gagné, on sourit peut-être deux ou trois fois grâce à la spontanéité des acteurs, jamais de la situation ou des dialogues, alors on essaie de se raccrocher à une histoire banale.

Ce mélange raté des genres, on en trouve un symbole grossier à la fin du film quand Victoria se requinque avec de la cocaïne après avoir ingurgité plusieurs somnifères. Je doute qu’on sorte indemne d’un tel mélange, et je doute encore plus de la pertinence, disons morale, de proposer la cocaïne comme remontant ordinaire n’entraînant aucune complication directe.

Le scénario n’est par ailleurs pas sans avoir quelques jolies idées, mais ça reste dans l’ensemble du domaine de l’anecdotique. Tout aussi anecdotique, ordinaire, que le type d’affaires traitées par l’avocate durant tout le film en toile de fond et que la cinéaste montre pourtant intéressée par les médias. C’est malheureusement à travers ce genre de petits détails qu’on remarque le manque d’à-propos d’un cinéaste. Ironiquement d’ailleurs, le personnage de Vincent Lacoste se plaint que celui de Virginie Efira ne s’intéresse pas à ce qu’il fait en dehors de leur relation, mais la scénariste en fait tout autant. Il n’y en a que pour le personnage de Victoria, et le problème, c’est que Justine Triet voudrait en plus de la comédie dramatique en faire une comédie romantique — le film termine sur cette note. Pourquoi pas, si tout le reste du film, le personnage de Samuel avait plus d’épaisseur et n’était présent que pour mettre en valeur le personnage (unique) principal. Ce qui fait qu’à aucun moment on ne peut croire à leur amour. Problème, si on n’y croit pas une seconde, c’est aussi pour beaucoup d’autres raisons.

J’aime bien Virginie Efira en tant qu’actrice, mais ce n’est pas une séductrice, ni même une romantique. Elle a un côté très masculin, assez plaisant d’ailleurs, mais ce trait de caractère lui interdit à mon sens les emplois de femmes hétérosexuelles ou les séductrices dans les films à visées romantiques. Je n’ai aucune idée si elle a déjà eu des emplois de personnages homosexuels, mais ça correspondrait beaucoup plus à son tempérament. Et à y regarder de plus près, en quoi cela aurait posé problème de faire du personnage de Samuel une femme ? Et une femme qui prendrait aussi un peu plus d’importance dans le récit. S’il fallait en faire une comédie roman-dramatique, il n’aurait pas fallu faire Victoria, mais Victoria et Sam…, et s’il fallait en faire une comédie romantique, il n’aurait pas fallu faire Victoria, mais Victoria et Pénélope.

Le souci, si on fait de Samuel une femme, c’est qu’on se passe du talent de Vincent Lacoste. Or, les acteurs, c’est bien la seule réussite du film. Si on met à part quelques rôles secondaires obligés de s’attacher d’un peu trop près à des dialogues et n’ayant pas la liberté des acteurs principaux, hormis Laura Calamy qui est insupportable en collègue avocate de Victoria, la distribution sauve en réalité pas mal le film : Efira fait manifestement du Efira, c’est-à-dire un jeu basé sur une spontanéité grave et efficace, une ironie retenue et une très bonne écoute ; Vincent Lacoste fait du Vincent Lacoste, le mec blasé et à côté de ses pompes mais peut-être pas tant que ça ; Melvil Poupaud arrive déjà plus à composer un personnage et parfois à être un peu flippant (ce qui n’aide pas pour trouver une tonalité comique au film, mais ce côté hybride mal défini, ça caractérise bien son style de jeu en fait) ; et l’acteur qui joue l’ex-mari, Laurent Poitrenaux, est aussi excellent, avec Vincent Lacoste, peut-être le seul qui arrive à trouver la bonne tonalité humoristique (ce qui change peut-être avec ces deux-là, c’est leur fantaisie, voire leur capacité à faire rire avec leur fragilité supposée).

Un dernier mot sur le montage. Les montages-séquences sont pénibles : quand on reproduit un effet narratif de ce type dans une situation donnée (stéréotypée), si ce n’est pour s’appliquer et apporter quelque chose hyperléché, consistant, inventif, on s’abstient. Mais bon, c’est à l’image du reste du film. Autre procédé mal utilisé voire inutile : les visions de Victoria. C’est audacieux, mais exploité avec autant de désinvolture (je n’ose pas dire amateurisme), à quoi bon.

À quoi bon, c’est en somme ce qu’on se dit une fois le générique de fin posé.


Victoria, Justine Triet 2016 | Ecce Films, France 2 Cinéma, Le Pacte


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Ni juge, ni soumise, Yves Hinant, Jean Libon (2017)

Note : 2 sur 5.

Ni juge, ni soumise

Année : 2017

Réalisation : Yves Hinant, Jean Libon

Méthode de documentaire à la Strip-tease offrant un regard distant, sans commentaire ou parti pris avec son sujet. C’est plutôt louable, mais à la fois aussi la seule qualité du film et celle qu’on pourrait justement attendre d’un juge dans l’exercice de sa fonction. Le problème est bien là. Le personnage dépeint dans le film est insupportable et questionne même la déontologie de sa profession : qu’est-ce qu’un juge ? Est-ce qu’un con, exprimant la grandeur de sa connerie dans le cadre d’une profession où il est amené à exercer de lourdes responsabilités sur le devenir des autres, a-t-il le droit ainsi de manquer de respect à tous, voire à s’émanciper des lois qu’il est censé faire respecter ?

Je ne connais pas les usages judiciaires en Belgique, pas beaucoup plus en France, et ne sais par conséquent pas jusqu’à quel degré de libertés les juges d’instruction peuvent s’autoriser dans leur exercice du pouvoir. En revanche, sur la seule question éthique, pas besoin d’être expert pour comprendre que ces méthodes sont révoltantes. Tout dans ce personnage en fait, il y a le contraire de ce qu’on pourrait être en droit de demander et d’attendre d’un juge : partialité permanente, insolence envers certains prévenus (presque toujours des hommes issus de l’immigration) et empathie envers d’autres (quand ce sont des femmes, même pour une femme s’expliquant sur son infanticide), abus d’autorité (dont elle peut même s’amuser comme quand elle demande, hilare, à un policier de jouer de la sirène pour éviter les bouchons), non-respect de la parole des prévenus (elle leur coupe la parole, les menace, s’autorise des commentaires déplacés, refuse aux avocats de s’exprimer…) et même racisme.

On fait passer ça pour de l’excentricité, ça ne me poserait pas de problème si cette excentricité s’exprimait en respect avec la bonne pratique de son travail. Voilà une belle illustration malheureusement de l’idée qu’une partie des maux de la société est issue du mépris d’une certaine partie de la population pour une autre, toujours prête à lui savonner la planche pour que surtout elle ne dispose pas des mêmes droits qu’elle. Comme l’impression de voir la justice d’un autre siècle avec laquelle le pauvre est par nature coupable de sa misère, non pas seulement des actes qui lui seraient reprochés, mais aussi encore plus de sa condition misérable à laquelle on lui refuserait le droit ou la possibilité de s’extirper. Croit-on qu’un homme, coupable ou innocent, ainsi (pré)jugé pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait, sortira de cette expérience judiciaire en faisant profil bas et en suivant le droit chemin ? Je n’y crois pas une seconde. Un homme à qui on dit qu’il est non seulement coupable de ses actes, mais aussi, par nature, de sa condition, retournera au monde avec une nouvelle obsession, celle de se venger de ceux qui l’ont (sur)jugé. Un type lui jure qu’il ira se battre en Syrie pour avoir été traité, et sans qu’on daigne l’écouter, comme un coupable et non comme un être humain : qu’une telle menace soit ou non suivie d’une quelconque radicalisation, c’est déjà le signe que la justice va de travers et qu’au lieu d’aider les hommes à se grandir, elle ne soit au contraire que l’outil d’une partie de ceux-ci servant à dénigrer et à rabaisser une autre qui est déjà à genoux. Qu’est-ce que Victor Hugo disait déjà, cité dans le film de Ladj Ly, au sujet des bonnes, des mauvaises herbes et des cultivateurs ?…

Ni juge, ni soumise, Yves Hinant, Jean Libon (2017) | Le Bureau, Artémis Productions, France 3 Cinéma



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Ce monde à part, Vincent Sherman (1959)

The Young Philadelphians

Note : 4 sur 5.

Ce monde à part

Titre original : The Young Philadelphians

Année : 1959

Réalisation : Vincent Sherman

Avec : Paul Newman, Barbara Rush, Alexis Smith

Le film prend clairement modèle sur ceux des années 30-40 avec vieillissements assumés sur plusieurs années du personnage principal et un tournage presque exclusivement tourné en studio avec des décors luxueux, de beaux appartements comme il faut, ou des bureaux d’affaires. L’histoire d’ailleurs n’est pas si mal construite que ça, même si ça zigzague un peu inutilement.

Le plus intéressant dans toute cette affaire, et qui est même fascinant, c’est l’alliance, ou la superposition, de deux méthodes de jeu. Les jeunes contre les vieux (et certains jeunes finissent très vite par jouer des vieux ce qui laisse plutôt un mélange composé des plus étranges). La méthode classique contre la method. On sent tout de même Paul Newman et Barbara Rush de plus en plus à l’étroit dans leur personnage vieillissant et enfermés dans de tels décors, obligés d’allonger les dialogues théâtraux, mais leur rencontre, tournée en extérieur à la sortie d’un chantier, vaut à elle seule le détour. Si tout le reste sonne très années 40 (du noir et blanc, à la thématique sur l’ambition et l’honnêteté, jusqu’aux raccords un peu hésitants), on sent une vraie fraîcheur ici, un talent, une spontanéité qui viendra très vite s’imposer à Hollywood pour foutre un grand coup dans la fourmilière.

Certains films ne sont pas faits pour rester dans l’histoire, mais ils témoignent assez bien sans doute d’une époque, ou en tout cas des goûts de l’époque (ou plutôt encore ce qui était alors proposé en masse au public, les blockbusters tombés dans l’oubli, ceux que, de tout temps, les masses se pressent pour aller les voir un ou deux week-ends de suite pour les oublier presque aussitôt).


Ce monde à part, Vincent Sherman 1959 The Young Philadelphians | Warner Bros.


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Dans ses yeux, Juan José Campanella (2009)

Bull’s Eye

Dans ses yeux

El secreto de sus ojos

Note : 4 sur 5.

Titre original : El secreto de sus ojos

Année : 2009

Réalisation : Juan José Campanella

Avec : Ricardo Darín, Soledad Villamil, Pablo Rago

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Voilà un film pas commun. D’abord il est assez rare de voir des films argentins. Mais aussi dans la structure, il y a quelque chose qui fait qu’on met un peu de temps à rentrer dans le rythme, à comprendre le ton, ou plutôt les tons du film. Finalement on s’amuse, on s’émeut, jusqu’à cette fin parfaitement menée.

Cette fin, c’est toute l’idée qu’on peut se faire de la mise en scène (ou du récit filmé). Mettre en scène, c’est faire le choix des bonnes proportions, du bon ton, contrôler ses effets… Elle aurait pu être grotesque, et au contraire, elle est si bien menée qu’elle apparaît comme une évidence. Certains diront bien sûr, et ils n’auront rien compris, que c’est prévisible…

Oui, c’est le but que ce soit prévisible. Le récit aurait pu révéler très tôt ce dénouement dès que Benjamin arrive dans la maison de campagne de Morales. Mais ça aurait été un effet de surprise. Au contraire, le récit étire au maximum. On sait que si on est là, c’est qu’il va se passer quelque chose, et cette chose tarde à venir, on est presque chez Hitchcock… Pas compliqué donc de faire semblant d’avoir tout compris, parce qu’il nous y prépare à cette fin. Tout est bon à être un indice, donc on est à l’affût du moindre détail. Ainsi, quand Benjamin repart avec sa voiture, on a la sensation que ce n’est pas fini. On sent la révélation venir, et pour la plupart des spectateurs, on a déjà compris. Le plaisir n’en est que plus intense (et il ne servira à rien d’ajouter une musique grotesque quand la “révélation” arrivera, car ce ne sera pas une surprise, juste une confirmation).

Benjamin revoit les événements dans sa voiture, repère tout ce qui ne colle pas. C’est un peu comme si le récit montrait ses cartes pour demander au spectateur s’il les connaissait tous. Carte par carte. On a cette fois la certitude de ce dénouement, on finit par tout comprendre en même temps que lui, c’est comme un brouillard qui se dissipe, exactement comme l’effet de révélation d’Usual Suspects quand le policier remarque sur le mur tout ce qui avait éveillé l’imagination du véritable Keyser Sose. On voit avant de voir.

Le cinéma, ce n’est pas seulement des histoires. C’est surtout la manière de les raconter, et il y avait dix mille manières de procéder avec cette fin. C’est amené comme il fallait. Comme une chose qui devient évidente, plutôt qu’une surprise.

En dehors de cette fin remarquable, il faut aussi signaler tout au long du film le plaisir qu’on a à voir les personnages principaux se taquiner. Que ce soit Benjamin et son collègue alcoolique qui forment tous deux un duo comique hilarant et absurde (« Allô ? La banque du sperme, service des prêts, que puis-je faire pour vous ? — Pas moyen d’être tranquille dans cette baraque »… Et on est dans le bureau d’un juge). Ou que ce soit entre Benjamin et sa patronne, juge diplômée à “Harvard”, qui n’arrêtent pas de se dévorer des yeux, de flirter, de se taquiner tout au long du film… sans jamais rien ne s’avouer…

Oscar du meilleur film étranger bien mérité.

Dans ses yeux, Juan José Campanella 2009 El secreto de sus ojos | Tornasol Films, Haddock Films, 100 Bares


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