Comptes-rendus de cours, mémos, quiz, avis divers

Mieux que les séries Netflix, je me régale comme un fou avec les cours de Jean-Jacques Hublin au Collège de France. Cinq ou six saisons d’une dizaine d’heures de cours chacune et autant laissées à des collègues chargés de traiter un point spécifique sur le sujet du jour.
Depuis longtemps, il y a deux sujets qui me fascinent dans l’évolution humaine, tous les deux liés à sa mobilité, c’est la course et le cabotage. Pour le premier, j’ai eu en partie quelques réponses à mes interrogations avec un épisode dédié à l’endurance des hommes.
C’est peut-être intuitif, mais quand on parle de la bipédie chez l’homme, avec cette image d’Épinal de singe se redressant dans la savane au détour d’une promenade digestive, ça m’avait toujours paru amusant, imaginant plutôt ce bonhomme avec un fauve aux fesses, et ainsi obligé de courir pour rejoindre un abri comme un arbre ou… la plage.
Oui, la plage, c’est sans doute un peu tiré par les cheveux. Là encore, c’est intuitif et je suis peut-être fou, mais j’ai quand même l’impression qu’il serait assez logique qu’avant même de parler de domestication du feu (dont on a des traces bien après l’émergence de la bipédie), il faudrait parler de domestication… de l’eau. Nos cousins primates ne sont pas connus pour être de grands amateurs de plongée sous-marine (j’ai le souvenir toutefois qu’un petit groupe de chimpanzés s’en accommodait très bien), mais nombre de prédateurs non plus.
Quand elle est douce, elle est vitale, et si les grands points d’eau douce n’étaient pas forcément un coin sans danger où barboter, j’imagine mal le littoral comme un environnement présentant le même niveau de dangerosité que ce qu’on pouvait trouver dans l’intérieur des terres.
En plus d’offrir à l’occasion un lieu de retraite pour nos amis homos coureurs moins échaudés à l’idée de se tremper que ses prédateurs pas encore concurrents, il est probable que la mer ait pu devenir très tôt un garde-manger de choix. Ce n’est peut-être pas un hasard si plus tard, chez les homo sapiens archaïques, les premiers bijoux seront des coquillages d’ailleurs.
Comme je l’ai souvent entendu lors de ces cours (surtout par les collègues anglo-saxons de Jean-Jacques Hublin), l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. Or, le problème auquel doit faire face tout paléoanthropologue, c’est de ne pouvoir disposer que de preuves matérielles sur lesquelles appuyer ses travaux. Alors, si on ne peut affirmer tout et n’importe quoi sans preuve, il n’est pas interdit de poser les limites de sa science, surtout si cela permet, à l’image de nos ancêtres amenés à repousser sans cesse les limites de leur monde connu, de les repousser en définissant des aires de recherches futures (et je ne doute pas que cela ait déjà fait l’objet de travaux, et j’espère découvrir ça plus tard dans ces cours au Collège de France — je garde espoir).
On sait que les hommes (sapiens, pour ce qui est des parures, mais pourquoi pas déjà erectus pour ce qui est de la nourriture) allaient glaner des fruits de mer : la preuve, ici, existe, c’est les coquillages laissés par les hommes et ramenés parfois loin dans les terres. Ce qui manque alors, c’est comment ils pêchaient : on glane, on glane, et puis nécessité faisant loi, quand il ne suffit plus de se baisser pour « cueillir » des fruits de mer, on commence à se demander quel outil pourrait nous aider à glaner ces mêmes crustacés cachés par quelques centimètres d’eau de mer. Imaginons que les hommes aient inventé des filets, pourquoi pas à base de rameaux ou de palmes, ça ne se conserve pas, et ce n’est pas une preuve que très tôt, homo erectus notamment, n’avait pas mis au point certaines techniques, même rudimentaires, de pêche.
On domestique le feu, il en reste des cendres, du charbon de bois. On domestique l’eau, il en reste que du vent. Pourtant, les coquillages présentent un indice de cette « domestication » des eaux.
Ce qui m’interpelle depuis longtemps, c’est que si erectus (si ce n’est le « premier »), et surtout sapiens, a eu autant d’ingéniosité pour s’imposer comme un prédateur, voire comme une espèce invasive capable de coloniser tous les continents en quelques dizaines de milliers d’années, et cela sur terre, pourquoi n’aurait-il pas pu le faire de la même façon, au moins dans une certaine mesure, sur mer. On parle de cabotage pour bien plus tard (et encore, l’arrivée en Océanie n’a pas pu se faire en simple bipède, faut au moins ajouter la pagaie), mais une utilisation de petites embarcations pour pêcher le long du littoral, ça ne me paraît pas représenter un défi technique plus compliqué que de casser des cailloux en forme de feuille de laurier (ou des bifaces).
Et une fois qu’on arrive sur le littoral, il y a cette particularité (quand on le compare à un environnement continental à se partager dans tous les sens quand on est nomade avec une forte capacité adaptative, et par conséquent en expansion) qu’on ne peut aller que dans deux sens pour s’étendre. Dans un sens ou l’autre du littoral. Donc, en plus de former pour l’homme primitif à la fois un lieu de retraite possible face aux prédateurs terrestres hydrophobes et un garde-manger idéal (capable, en plus, d’offrir à notre cerveau, lui aussi en expansion, un nouveau type de ressources), c’est aussi un type d’environnement susceptible de décupler sa vitesse d’expansion.
Un littoral, à moins qu’il offre des barrières naturelles infranchissables, c’est comme une route tracée entre deux mondes vous projetant loin sur un continent et vous offrant la possibilité assez rapidement (à l’échelle de quelques générations) d’aller à la rencontre de nouvelles frontières (les fleuves, d’ailleurs, offrent la même opportunité, mais en permettant l’expansion à l’intérieur même des terres, d’en exploiter, souvent même en en surexploitant, les ressources).
Qu’homo erectus, le premier hominine sorti d’Afrique pour arriver jusqu’en Asie, ait été incapable d’utiliser les routes offertes par le littoral et que son expansion ait été lente en passant par les terres, je voudrais bien le croire. Mais sapiens, une fois bien implanté en Afrique, profitant du sillon laissé par erectus avant lui, probablement plus apte à profiter des ressources marines du littoral et capable de caboter, j’aurais plutôt tendance à penser qu’il y aurait une logique à le voir étendre son territoire, non pas seulement, ou principalement par voie terrestre, mais par voie maritime (côtière, plus précisément).
Un indice qui irait dans ce sens, et sauf erreur de ma part : homo sapiens arrive en Australie au même moment qu’il s’installe à l’autre bout de la terre en Europe. Je veux bien que sapiens était d’abord un animal fait pour les chaudes latitudes, qu’il aurait pu être ralenti dans son expansion par la présence d’un autre prédateur du genre homo en Europe, Néandertal, mais la distance qui sépare l’Afrique de l’Australie, c’est bien trois fois ce qu’il faut pour atteindre l’Europe, et si les hommes ont dû obligatoirement utiliser un moyen de navigation pour passer du Timor aux premières terres australiennes, il paraît assez peu probable qu’ils s’y soient mis d’un coup au dernier moment, surtout quand on mesure la distance qu’ils avaient alors à traverser : 80 km, c’est déjà plus vraiment du cabotage, presque déjà de la haute mer… Non seulement c’est loin quand on n’a pas encore eu l’idée de foutre ses fesses dans une barque, mais ça l’est encore plus quand on navigue à vue et que rien ne nous pousse à explorer au-delà de notre environnement connu. Si du Timor, on ne voit pas de nouvelles terres à l’horizon, quel sapiens aurait eu l’idée d’y aller avec un moyen de transport auquel il n’aurait de toute façon pas idée ? C’est donc bien que les hommes cabotaient avant leur arrivée au Timor, voire bien avant, et peut-être, pourquoi pas déjà, depuis l’Afrique.
Une embarcation, on l’imagine mal autrement qu’en bois. C’est bien pourquoi une industrie liée à la pêche et à la navigation ne se conserverait pas comme une industrie lithique. Il y a aussi le problème des niveaux marins : au gré des variations climatiques, particulièrement chaotiques pendant ces quelques dizaines de milliers d’années si j’ai tout compris, ce niveau peut avoir pas mal changé et ne plus correspondre à ceux qu’on connaît aujourd’hui. Je crois savoir que l’archéologie marine n’est pas forcément bien vue par le reste des archéologues, pourtant je suis persuadé que leur apport dans la discipline pourrait être immense les années à venir (plus que d’archéologie marine, il serait plus question ici d’archéologie littorale…).
On dépense des milliards pour aller dans l’espace, pourtant, on en connaît si peu sur nos océans, et même sans aller si loin, ne serait-ce que sur les rivages marins autrefois émergés… Ne serait-ce que dresser des cartes précises des littoraux, les explorer, les étudier, et on en tirerait sans doute des données précieuses. On envoie des sondes vers les planètes du système solaire, ce serait peut-être bon d’en faire autant avec des sondes plongeant à quelques dizaines de mètres tout au plus.
Pour en revenir à l’Australie qui faisait l’objet de deux épisodes dans ces cours au Collège de France, à un moment, Jean-Jacques Hublin montre une carte (repris plus en détail ensuite par sa collègue) censée définir les voies possibles de développement à l’intérieur des terres pour en venir à s’établir jusqu’au lac Mungo, soit à l’opposé du territoire où on imagine que les hommes auraient pour la première fois posé les pieds. Je veux bien que les hommes aient principalement besoin de points d’eau pour se mouvoir, mais même si l’Australie est aride, le Nord l’était probablement beaucoup moins, et une arrivée aux latitudes du lac Mungo en passant par le littoral, me paraît moins hasardeux que la voie terrestre. Surtout si les premiers occupants étaient des navigateurs (ou des caboteurs) avertis. Ce qu’ils étaient forcément, en tout cas au début de leur installation, pour être arrivés jusque-là. Et les littoraux au nord-est de l’Australie, ça devait être quelque chose, un trésor : c’est là que se situe la Grande Barrière de Corail.
J’écris sans doute beaucoup de bêtises, mais je me régale d’avance à pouvoir contrarier tout ce que je peux imaginer là.
Édit : je ne dois pas être si fou, ç’a fait l’objet en partie d’un cours par Nicolas Zwyns.
Le compte-rendu des cours sur cette page :
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