… en particulier dans les animes ou dans les interprétations de… Harrison Ford.
Puisque Twitter est susceptible de nous sucrer notre compte (et donc notre littérature) à tout instant (mes commentaires sont souvent « masqués » d’ailleurs, et je me demande parfois pourquoi je perds mon temps à répondre, sinon pour moi-même — c’est ce que je vais faire ici), je prends donc mes précautions, et je reproduis ici quelques tunnels. Ici sur la notion de genre dans les dessins animés, suivi de la même question dans le cinéma (je réponds à quelqu’un et je réagis à un historien qui parlait de son expérience personnelle pour tirer une généralité — je fais donc la même chose, mais je ne suis pas encore historien) :
Je fais partie de la même génération que la sienne. Je n’ai jamais eu des amis garçons exclusifs, et à l’heure de Récré A2, je fréquentais surtout des filles. Franchement, je n’ai jamais vécu l’enfance comme une période où tout était sexualisé. Quand il dit qu’il avait une sensibilité de fille parce qu’il préférait Candy, il ne fait qu’entretenir des clichés sexistes selon lesquels les filles seraient plus intéressées par ce qui est « sensible ». Son « métamorphose » de Goldorak, on le retrouve exactement dans un autre anime, Gigi, et j’adorais ça.
En fait, à l’époque, ces dessins animés faisaient débat dans la société, pas du tout parce qu’ils étaient suspectés de participer à la construction sexualisée des enfants, mais parce que certains de ces animes étaient en fait destinés à un public adulte (comme Ken le survivant). C’est un peu le même mauvais procès qui est fait au cinéma des années 30, censé montrer une image rétrograde de la femme alors qu’à aucune époque un tel (soft) pouvoir a mis autant en valeur les principes d’indépendance de la femme. Je suis persuadé que ces dessins animés, pratiquement tous japonais, ont participé au contraire à lisser la séparation culturelle sexuée des jeunes Français.
Pratiquement tous les personnages masculins sont efféminés et ça ne choquait personne : l’autre grand anime de l’époque, c’est Albator. Comme représentation virile de l’identité masculine, on repassera. Ça n’a pas empêché des millions de petits Français à s’identifier à son personnage. Donc cette manière de suspecter en permanence des dessins animés d’être des clichés sexualisés est idiote.
Puis je réponds à ça :
« à mon avis, pour vous, “masculin”, c’est baraqué et poilu, du coup Albator pour vous c’est juste un geek en cosplay. »
Non, je parle bien du comportement, d’attitude. Est-ce que Conan le barbare par exemple est viril ? Pas dans mon souvenir, sinon une sorte de vernis qui s’écaille vite. Pour Albator, le souvenir que j’en ai, c’est celui d’un monolithe asexué, un de ce type de héros ne manifestant aucun intérêt sexuel, aucune dimension de séduction. C’est un cadavre sur pattes, un robot, un fantôme, ou un sage, c’est selon. Et paradoxalement, c’est aussi probablement ce désintérêt manifeste pour les filles (et tout le reste), qui le rend si sexy pour des filles. Mais cette attirance naît du mystère qu’il dégage, pas dans un comportement tourné vers les filles. On est loin par exemple d’un autre héros de l’époque : Cobra, qui est lui ouvertement un coureur, un goujat, mais qui dans cette dimension peut être acceptable justement parce qu’il incarne une caricature de l’image du macho. Et décider à partir de quand la caricature finit par aller trop loin et par ne plus être acceptable, ce n’est pas évident.
C’est le même problème qu’on retrouve dans des récits dénonçant la violence en montrant précisément cette violence. En ce sens, un autre personnage, Nicky Larson (tout aussi macho que Cobra), me paraît, là oui, beaucoup plus problématique, mais je ne saurais dire si c’est simplement le personnage qui m’est moins sympathique ou s’il y a réellement un problème de mesure dans la caricature faite du macho au point de ne plus faire de Nicky un simple macho caricaturé, mais un beauf lourd et vulgaire à la virilité toxique. Parce que oui, il y a des virilités non problématiques, et il y en a qui agressent et rabaissent les femmes.
Concernant les personnages de Harrison Ford, il a globalement plus joué et fait tendre ses personnages vers des machos, oui. Disons que ça me semble être à la limite d’une forme de machiste acceptable, étant entendu que le plus souvent, c’est là encore présenté de manière détournée. Quand il joue les machos et qu’on en rit (dans les films de Spielberg ou Lucas), je ne pense pas qu’on ait envie de lui ressembler, au contraire, on le trouve ridicule, et c’est parce qu’il est ridicule qu’il est touchant.
Et c’est un personnage imaginé par Lucas qui n’a fait que reprendre un type de personnages masculins virils moqués par les femmes dans les screwball comedies des années 30. Dans Star Wars, c’est un crétin qui s’humanise justement quand une femme avec du caractère le remet à sa place. C’est alors toujours sa virilité qui parle, certes, un peu comme James Bond, mais ça ne fait pas pour autant de cette virilité quelque chose de toxique, justement parce qu’elle est balancée par un personnage qui la tourne en dérision et sait lui faire face. Un vrai mec à la virilité toxique chercherait en retour, et sans second degré, à remettre à sa place cette princesse qui humilie sa sainte dignité d’homme. Au lieu de ça, il est attiré par elle. C’est typique des années 30 où la femme n’est plus un faire-valoir, un objet, une conquête, une écervelée, mais l’égal de l’homme, et parfois plus.
Dans Blade Runner, c’est peut-être là où effectivement son comportement pourrait le plus se rapprocher d’un mec viril assez peu soucieux des désirs des femmes qu’il voit comme des objets (ce que Rachel est…). Mais ça concerne une scène problématique, et pour l’intensité du film, elle me paraissait tout à fait nécessaire pour diverses raisons : au contraire des autres exemples, le film n’est pas dans la caricature ou le second degré, mais plutôt sur une remise en question de la nature humaine, donc voir un type tout à coup laisser sa part animale parler, ce n’est pas si déplacé.
Les personnages ne doivent pas être des saints, c’est aussi leurs travers, leurs déviances qui doivent nous interroger, étant entendu que Deckard fait partie de ces personnages qui sont loin d’être des héros positifs ou des modèles : les antihéros. Pendant tout le film, on sent sa frustration (sexuelle, en partie), et son désir pour cette femme, monter, et au moment de la voir partir alors qu’il lui faisait des avances, il la retient. Ce n’est pas comme si tout dans son attitude était toxique. Un film, quand il montre ces écarts de comportement, peut le faire justement parce qu’un film ne montre pas comment on devrait se comporter, mais comment, dans certaines situations, avec certains types de personnages, les choses peuvent basculer. On le montre pour le meurtre, pour la violence ordinaire, donc pour un comportement machiste qui dure vingt secondes dans le film, le rendant humain, donc faillible et imparfait, ça ne me paraît pas ni déplacé, ni la preuve que l’acteur est responsable par son interprétation du comportement des personnages qu’il joue…
Là où ça cloche peut-être plus dans le récit, c’est qu’une fois « consommé » la chose, on nous présente ça comme une chose acquise : la femme ne peut que succomber au charme de l’homme. C’est discutable, mais on pourrait arguer que Rachel est un robot mimant des réactions humaines… Bien sûr que le comportement de Deckard à l’égard de Rachel est celle d’un gland, mais c’est un peu le sujet du film. Encore une fois, ce n’est pas un modèle.
Ensuite, qu’il puisse être vu par certains comme un modèle qui nourrira leur propre virilité toxique, c’est évident, mais je doute que ce soit la règle. Quand Oliver Stone tourne Tueurs nés en pensant dénoncer la violence et que toute une génération apprécie le film… pour sa violence, il est un peu responsable du malentendu, mais il n’est pas pour autant responsable des fous prenant modèles sur ses personnages déglingués et qui chercheront à imiter leurs comportements déviants.
L’image des femmes apparue au milieu des années 30 jusqu’au début des années 60 dans le cinéma américain, à cause du code Hays, a joué comme une sorte de contre-réforme réactionnaire à la vague d’émancipation des années 20 et 30. La différence est marquée. La suite est plus connue. Et même dans les dessins animés japonais, je pense, oui, qu’on a encore les traces de cette nouvelle mentalité héritée des années 60. Les personnages ne sont pas forcément moins machistes, mais au moins le rapport aux femmes est souvent mis en question. Chose qu’il n’y avait pas à l’époque de John Wayne où son personnage, en plus de devoir être toujours être un mâle dominant, devait toujours être présenté de manière positive. Rarement d’ironie pour moquer cette virilité de façade. Montrer des héros déviants au moins permet de mettre de la distance et d’interroger certains comportements qui étaient présentés comme la règle au temps de Wayne et du code Hays. Tu ne verras jamais Albator porter une femme sur son épaule, pistolet à la main, la tirant des griffes de méchants extra-terrestres.
Il y a une anecdote connue à propos de John Wayne : il fustigeait le film Le train sifflera trois fois, où Gary Cooper joue un shérif demandant l’aide des habitants de la ville. Lui n’aurait jamais accepté de jouer un tel personnage de mauviette. Eh bien, je crois qu’une bonne part de la culture actuelle, celle initiée par ces dessins animés japonais et par les films de George Lucas, nous dit une chose : que oui, il ne faut pas hésiter à faire appel à des amis si on en a besoin. Ces histoires-là nous apprennent à être des mauviettes selon John Wayne, et il faut en être fiers.