Histoire de détective, de William Wyler : Film noir, contours du film noir et sillon
Qu’est-ce qu’un film noir ?
Le film noir est un genre qui a été inventé par un critique français a posteriori sur des critiques plus que vague. C’est un peu comme la nouvelle vague, les mouvements de cinéma, c’est une vision qui consiste à prendre une photo d’un moment t et d’une production heu… p, d’un lieu l, etc. Bref, c’est un genre bien particulier. C’est un peu comme le chat quantique : une fois que tu définis le « genre », tu fermes la boîte et tout ce qui vient après pourra difficilement être considéré comme appartenant au genre, car les critères seront figés dans une époque. Après tout, pourquoi pas, le film noir en tant que genre n’était qu’une illusion avant, donc après c’est pareil… Le véritable genre c’est « crime film » ou « polar » ou « film policier ». Film noir, chacun y met sa sauce selon sa propre image, donc préconception, donc préjugé de ce que doit ou devrait être un « film noir ». Quoi qu’il en soit, on trouve assez peu, voire très peu, d’éléments du « film noir » dans Histoire de détective, et on doit être pile à l’époque où le terme est sorti, et qui donc avait été inventé pour des productions antérieures, probablement plus souvent des séries B. Et Wyler ne fait pas des séries B. Après, il y a des variantes. Néo noir, noir noir, western noir, film arabica, noir tassé sans sucre, noir rosé, SF noir… Il y en aurait autant qu’il y a de « crime films ».
À la limite, le procédé théâtral du film, ça me rappellerait plutôt Street Scene. Je pense que Wyler aurait été plus intéressé par cette idée que par l’idée de faire un film noir (dont il n’avait pas du tout la connaissance).
Il y a un aspect intéressant aussi dans l’histoire du cinéma, c’est que même si on essaie de se documenter à fond sur une époque, pour avoir une vision d’ensemble, on oublie que ceux qui sont actifs ne l’ont justement pas cette vision d’ensemble, et que chacun travaille souvent, en dehors du contexte de production, d’une époque et des codes (Hays ou autres), d’intérêts personnels (pour les décideurs, on peut même parler de “goûts”). Il y a des mouvances, mais ils font tous partie d’un tout, s’amarre au premier truc qui leur passe sous le nez et qui leur semble intéressant ou au contraire vont s’attacher à des trucs qui les ont marqués bien avant et dont ils voudraient reproduire les recettes… Mais personne n’agit, ne décide, et ne fait en fonction de cette vision d’ensemble. Personne ne l’a, que ce soit en histoire (ou les implications politiques, voire géopolitiques, sont tellement nombreuses, qu’on peut dire que personne ne contrôle rien, on ne fait que souffler des poussières dans le vent) ou en art. S’il y a eu à un moment un sillon, une mouvance, qu’on a pu appeler film noir, OK, c’était l’époque, c’était très circonscrit à un certain type de productions aux USA, ensuite on sera toujours tenté de voir la tache d’encre déborder sur tout le reste, lui donner une importance qu’elle n’a jamais eue. On retrouve ce principe en histoire avec la prise de la Bastille : un événement anodin le jour et les jours suivants, et qui est devenu un fait majeur, après qui donnait l’impression qu’il éclairait les événements de cette époque sous un angle particulier et juste. Or c’est faux. Ceux qui s’en sont pris à la Bastille ne sont pas forcément ceux qui étaient dans d’autres révoltes, qui ont fait pression, etc. Une table est une table, mais quand passe-t-on de la révolte à la révolution ?
Le film noir, c’est pareil. À partir de quand, avec quels critères, peut-on dire qu’un crime film devient un film noir ? Comme souvent dans l’histoire, on a tendance (je le note dans mon article en parlant d’Antoine et de l’écrivain Coppée dont on peut voir qu’il n’est absolument plus lu) à ne plus voir la lumière (la tache noire ici) qui va éclipser tout le reste. Le succès du film noir, c’est qu’on ne finit par ne voir plus que ça vu que tout peut être « noir ». Le film ressemble plus à un Wyler qu’à un film noir, à mon avis. Ça aurait plus de sens. Tous les films de Wyler sont plus ou moins éclairés de la même façon. Y voit-on ici des effets de clair-obscur par exemple ? Non. Des femmes fatales ? Non. Or le problème, c’est qu’on voudrait voir presque maintenant « des films noirs » et tout ce qui ne semble pas s’y correspondre va finir par disparaître ou par être jugé en fonction de l’idée qu’on se fait du film noir.
Et puisque j’en ressors, on retrouve exactement le même principe avec la rétrospective « Hollywood décadent ». Ce sont des films à gros budget des studios dans les années 60. Des films terriblement boursouflés, fait à l’ancienne mode, et qu’est-ce que le cinéma us dans les années 60 dans nos souvenirs ? Bah, pas grand-chose, pour nous, c’est surtout la nouvelle vague, les films de l’Est, etc. Et il ne reste que quelques gros films ayant aussi souvent ces marques « West Side Story », La Mélodie du bonheur, My Fair Lady, tiens, trois films d’un genre qui va crever dans les vapeurs d’Easy Rider… Il y en a sans doute d’autres, mais ce sont surtout quelques baobabs plantés dans la fange. Tout le reste quand on y regarde paraît bien étrange parce qu’ils sortent clairement du cadre ou de l’image qu’on se fait déjà de l’âge d’or du cinéma hollywoodien qui précède, et du nouvel Hollywood qui suivra… Et ça, c’est sans se rappeler, ou savoir, que le public mangeait ces films. Même en France, la nouvelle vague ne faisait pas tant que ça recette, et le gros des films qui marchait à l’époque est oublié ou voué à l’être au profit de sillons comme… Rohmer (je ne plaisante pas, dans la liste annuelle des films obscurs tout pays et décennies compris, il doit y avoir sur 400 films une dizaine de Rohmer mineurs). Plus on s’écarte, plus on croit trouver un sillon, ou un filon, plus on le suit ou le creuse. Le film noir en était un, et il a de beaux jours devant lui. Il y a des listes élargies sur iCM de 700, 800… films noirs. Dès que tu regardes une vague série B des années 40, tu peux être sûr de le trouver dans la liste. Filon, filon…
Pour le néoréalisme, possible qu’il ait voulu rendre « la réalité » d’un commissariat. Histoire de dire « non moi je fais pas Actors studio, je vais faire du Rossellini »… C’est vrai que pour lui sans doute, c’est très réaliste. Quand tu passes ta vie à faire des films en studio et des grosses productions bien lourdes (c’est le Spielberg de l’époque), et que là tout à coup tu prends un peu l’air, pour nous ce sera jamais assez, forcément, parce que oui justement notre grille de lecture n’est pas la même. Et restera de toute façon toujours cet aspect théâtral propre sans doute (jusque dans les années 60 dans le « décadent ») aux grosses productions, et qui t’avait peut-être déjà rebuté dans le Kazan (alors que paradoxalement c’est bien par lui que tout le système de jeu a changé — et à travers son chef op — français — de Sur les quais — et pour le cas, là, il n’y a pas d’actrice traditionnelle comme Vivian Leigh pour te saper l’impression, c’est que des grands acteurs de la method, ceux qu’on retrouvera partout par la suite…).
Histoire de détective, William Wyler 1951 | Paramount Picture