Les Mendiants de la vie, William A. Wellman (1928)

Note : 4 sur 5.

Les Mendiants de la vie

Titre original : Beggars of Life

Année : 1928

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Wallace Beery, Richard Arlen, Louise Brooks

Le « calcul » aux échecs consiste ni plus ni moins à envisager et à simuler diverses suites de coups afin de voir laquelle finit gagnante au bout d’échanges, de prises, des parades et d’attaques successives. Quelque chose me dit, pour un réalisateur, qu’imaginer une scène de film (dans le cinéma muet, de surcroît) procède de la même logique de « calcul ».

Un bon réalisateur n’improvisera pas au moment du tournage : il devra prévoir au moment de l’écriture diverses manières de placer ses acteurs ou sa caméra ; imaginer des échanges de regards ; faire intervenir de nouveaux éléments dans le champ ; jouer sur la profondeur ; opter pour un angle lui offrant la meilleure stratégie possible ; forcer un « tempo » ou prendre de l’avance sur un plan, en gagnant du terrain et en se rapprochant des personnages ou en prévoyant un emplacement avant de commencer un champ-contrechamp ; définir à l’avance la grosseur des plans adéquats ; placer ses personnages dans des situations illustrant au mieux les menaces et les conflits auxquels les personnages sont confrontés (user d’un même plan large ou d’un champ-contrechamp) ; imaginer les expressions et les gestes des acteurs ; calculer la longueur des plans et des séquences ; etc.

Le cinéma parlant, le cinéma muet possédait ce petit quelque chose de millimétré comme un roman-photo ou une bande dessinée en mouvement. Certains s’aident d’ailleurs d’un storyboard pour mieux calculer leur(s) coup(s). Si Wellman s’est révélé si efficace dans les deux périodes du cinéma (parlant et muet), c’est peut-être qu’il avait (comme les quelques dizaines de génies qui ont passé la barrière du son) cette capacité de « calcul ». Avant de parler, les plus judicieux tournent leur langue sept fois dans leur bouche, les grands réalisateurs tournent sept fois le film à faire dans leur tête. Ils pensent le film en imaginant la stratégie gagnante qui illustrera de la meilleure des manières le sujet ; ils confrontent différentes approches afin d’en faire ressortir celle qui remportera le plus aisément possible l’adhésion du public ; grâce à leurs simulations imaginatives et à leurs « calculs », ils auront identifié les principaux écueils de l’histoire et de sa réalisation.

Si l’histoire des Mendiants de la vie n’a rien de follement imaginatif ou de passionnant, rien dans sa construction, son découpage, ses placements et ses déplacements d’acteurs, ses expressions ne dépasse. Aucun temps mort, aucune situation développée à la hâte ou mal agencée ; les regards comme il faut qui sont comme des attaques à la découverte (« Je te regarde, je te menace. Comment vas-tu parer ça parce que tu sais que tu es à ma merci si tu bouges le petit doigt ? »), histoire de préparer le plan suivant et de maintenir une menace constante ; des gestes francs et précis qui illustrent en une seconde une prise de décision, une pensée, une réaction, une attention vis-à-vis d’une menace, etc.

Il est vrai, en revanche, que si le sujet ne brille pas pour son originalité, les rapports de force qui s’y trament se prêtent à une telle logique de la confrontation et de la menace rappelant les échecs : Wallace Beery se retrouvera d’ailleurs impliqué dans une adaptation célèbre reprenant ce jeu de menaces et d’alliances à plusieurs coups, L’Île au trésor. « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier des deux joueurs qui fera un faux pas aura une tapette. »

« N’importe quel pion avancé doit monter à la promotion. Et pour ce faire, être protégé. Si ce n’est par une tour, ce sera par un cavalier. Au bout du chemin, le pion deviendra dame. »

Le cinéma muet arrive tout juste à la perfection avec ses codes, quelques audaces formelles sont encore permises si elles servent le récit (ici, Wellman s’autorise un passage en surimpression pour décrire le récit du meurtre qui sert d’hamartia, de faute initiale, obligeant les personnages à la fuite), mais les meilleurs réalisateurs ont de manière générale compris les « trucs qui marchent » : des montages alternés constants entre les divers groupes d’une histoire (les gentils, les méchants, les alliés – même si tous ces archétypes sont ici inversés) ; un rapport continu entre extérieurs et intérieurs (le théâtre, en cinq mille ans d’existence, n’en a jamais été capable, donc on se régale de cette nouvelle opportunité qui donne l’impression de voir des romans mis en images en privilégiant les sujets offrant des décors variés) ; et enfin, une densité dans le découpage technique pour illustrer des histoires rarement plus longues que deux ou trois jours (si l’on marie densité et temps diégétique long, il faudra que le film soit allongé en conséquence, autrement, ça passera pour une facilité, une facilité que l’on commence déjà beaucoup à rapprocher du mélodrame).

Le cinéma parlant s’imposera bientôt, et tout sera à refaire. Ou presque. Car si vous changez quelques règles aux échecs (comme le meilleur d’entre eux s’est amusé récemment à le faire en reprenant une vieille idée de Bobby Fischer), les capacités de « calculs » des réalisateurs qui s’étaient déjà montrés plus habiles que d’autres à se représenter des films avant de les réaliser demeurent. Après, je veux bien croire que certains filmaient sous tous les angles et laissaient ensuite le monteur « calculer » à leur place. Mais ce n’est clairement pas le cas ici. Tout est trop bien découpé, les gestes et les regards participent si bien au montage que ça ne peut être fait après coup.

La seule paresse ou négligence que je peux reprocher à Wellman, c’est le manque de réalisme dans certains espaces intérieurs. De mémoire, dans ses films parlants, il n’aura aucun problème à tourner des séquences censées prendre place en extérieur… en studio. Pour les plans de nuits, les plans rapprochés, ça peut parfois se révéler inévitable, mais Wellman, pour diverses raisons, n’a jamais trop pris au sérieux la parfaite reproduction ou logique dans la représentation de certains espaces qu’ils soient extérieurs ou intérieurs (sans doute justement parce qu’il était issu du muet où les exigences n’étaient pas au même niveau). Ses extérieurs sont ici parfaits, spectaculaires (trains en mouvement, ravins), mais certains intérieurs laissent trop apparaître qu’il s’agit d’un plateau dans un studio avec le recul nécessaire et suffisant pour y placer une caméra. C’est un peu, aux échecs, comme disposer d’un fou attaqué et hésiter à le déplacer de quelques cases ou l’envoyer le plus loin possible… Les calculs sont pas bons, William.

Je te pardonne. Ça se laisse mater sans difficulté.

William composerait une symphonie (un film) avec trois bouts de ficelles (un sujet sans grand intérêt), mais aucun réalisateur ne pourrait jouer à la place de ses acteurs. Louise Brooks rayonne comme il faut en garçonne en fuite ; Richard Arlen convainc sans mal dans un rôle parfaitement crédible (non) de bon samaritain sans le sou ; mais quand Wallace Beery passe quelque part, toute l’assistance se tait et regarde… L’acteur se montre tout aussi précis dans son « découpage » que le réalisateur, et propose en permanence un geste ou une expression qui vous laisse béat d’admiration. S’il y a une forme d’intelligence à tramer à l’avance tout un film dans son découpage et dans les mouvements, les gestes, les expressions des acteurs… que dire des acteurs qui, quel que soit le type de personnage joué, lui offriront toujours cette impression frappante de facilité, de charisme, d’autorité… L’intelligence de l’apparence. L’œil alerte, les mains qui dirigent ou commentent l’action et les autres personnages, l’imagination active qui s’exprime en un instant avant de rebondir pour donner à voir quelque chose de différent… Et cela, sans surcharger les cases de son échiquier : chez Feydeau, il faut laisser le spectateur « recevoir » les répliques afin qu’il ait le temps de rire ; avec les acteurs qui jouent la menace, la logique est la même : « Je joue un coup, à ton tour. Sauras-tu parer cette menace ? (Petit temps.) Pas grave. J’ajoute un attaquant. »

À regarder Beery, il est plus facile de comprendre comment certaines crapules arrivent à tirer à eux des alliés et des victimes. Roublards, voleurs, magouilleurs…, il rend tous ses personnages à la fois… calculateurs et tout à fait inoffensifs. Pire, le sachant même du côté des fripouilles et des escrocs, à cause de son bagout, de son charme, de ce je-ne-sais-quoi, il compte parmi les hommes que l’on pourrait suivre les yeux fermés. Et à la fin, ceux qui en ont été victimes trouveront toujours un moyen pour dire : « Il n’était pas si méchant dans le fond. » Edward G. Robinson ou James Cagney avaient cette même faculté à attirer le regard, à rendre sympathiques des crapules (Harrison Ford avait aussi ce talent, mais il a vite cherché à profiter de son statut de star pour ne plus interpréter que les bons samaritains, sans comprendre justement que quand les mecs roublards et charismatiques apparaissaient à l’écran, les spectateurs ne voyaient plus qu’eux, jusqu’à éclipser le gentil de l’histoire… « La Rebellion s’est ruinée par ce Han Solo, mais au fond, c’est un chic type. »).

Les deux pièces principales du plateau quittent l’écran sans que l’on se préoccupe beaucoup de leur sort ; le roi adverse meurt au dernier plan et recueille tous les suffrages du public en imaginant plusieurs décennies à l’avance le coup de Mais où est passée la septième compagnie : « J’ai glissé, chef ! ». Littéralement, la meilleure chute possible. Roque and roll.

Beau travail, William & Wallace. Back to back W.


Les Mendiants de la vie, William A. Wellman (1928) Beggars of Life | Paramount Pictures


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Un homme presque parfait, Robert Benton (1994)


Caresser le chien

Note : 3.5 sur 5.

Un homme presque parfait

Titre original : Nobody’s Fool

Année : 1994

Réalisation : Robert Benton

Avec : Paul Newman, Jessica Tandy, Bruce Willis, Melanie Griffith, Dylan Walsh, Philip Seymour Hoffman, Josef Sommer, Gene Saks

Coïncidence heureuse (ou forcée), je suis en plein dans la lecture de Faire un film, de Sidney Lumet, dans lequel le réalisateur explique que selon son scénariste deux types de scènes prédominent : celles où on caresse le chien et celles où on lui botte le cul. Or, selon Lumet, les studios cherchent toujours à imposer une seule vision : celle où on caresse le chien. Les stars ne font d’ailleurs pas autre chose pour préserver leur capital sympathie auprès du public. Elles peuvent ainsi faire retoucher des scénarios pour que leur personnage paraisse plus humain, positif, question « d’identification » (c’est en fait un principe hérité du théâtre qui est légèrement dévoyé à mon avis : je renvoie à mes cours dans lesquels mon prof insistait sur le fait d’« éclairer » les personnages antipathiques ; c’est loin de chercher à en gommer tous les aspects négatifs).

C’est ce qui a failli se passer avec son film, Le Verdict. Une star dont il ne révèle pas l’identité (IMDb évoque Robert Redford) a fait faire de multiples versions pour adoucir le personnage. David Mamet qui avait écrit la première version avait refusé de participer à ces réécritures qui coûtèrent un pognon de dingue. Finalement, le film s’est fait avec la condition que soit adaptée la première mouture et… avec Paul Newman qui n’avait pas fait autant de difficultés.

Avec Faye Dunaway, c’est le contraire qui s’est passé. Lumet raconte qu’elle avait la réputation d’être difficile, mais quand pour Network, il lui a demandé de ne pas insister pour rendre sympathique son personnage, tomber dans le sentimentalisme, expliquer les raisons de son comportement, elle a accepté sans difficulté et a eu le rôle.

Toute cette introduction pour en arriver à l’hypothèse que Paul Newman fait partie de ces acteurs qui n’imposent pas des changements drastiques dans un scénario pour les présenter sous leur meilleur jour. Il a en effet tourné Le Verdict. Seulement, si je peux me permettre, Sidney, Paul Newman n’a pas eu besoin de changer une ligne de dialogue parce qu’il appartient à cette autre trempe d’acteurs qui, contrairement à ce que l’on raconte au sujet de l’Actors Studio, compose peu ses rôles et offre toujours à ses personnages la même mine sympathique et… éclairée. Quoi qu’ils jouent, leur personnalité et le souvenir qu’ont les spectateurs des films précédents altèrent toujours la réalité du personnage et ses actions.

Comme point de comparaison, prenons par exemple Mikey and Nicky que je viens de voir. Peter Falk et John Cassavetes interprètent deux connards insupportables. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’y mettent pas beaucoup du leur pour « éclairer » leurs personnages. Ce sont des acteurs qui composent et n’hésitent pas à aller du côté obscur de la force. À leurs risques et périls. On sait que le personnage de Falk est une crapule, et ce n’est pas l’image qu’il nous reste de lui dans Columbo (au contraire, lui, toujours lumineux) qui influencera en bien notre perception du personnage qu’il interprète dans ce film.

Dans Le Verdict, vous ne verrez pas Paul Newman prendre ce genre de risques. Comme bien des stars avant lui, il ne compose pas : il se contente donc de réciter son texte avec talent en prenant soin de garder son air de bon gars à l’écran. Et ça marche. Dans Le Verdict comme ici dans Un homme presque parfait. Son personnage est un raté, il n’y a guère que sa logeuse qui « parie encore sur ce maudit cheval », mais au fond, ce que n’arrêtent pas de nous dire entre les lignes Robert Benton et Paul Newman, c’est : « ça reste un bon gars ; malgré son mauvais caractère, malgré son individualisme, ce raté est un bon gars ». Et il n’y a que de bons gars dans le film. Sérieusement, deux crétins n’arrêtent pas de se voler une déneigeuse, et ils continuent de jouer au poker ensemble comme si de rien n’était ? Ne nous y trompons pas : si rien ne porte à conséquence, c’est que le film est une comédie déguisée. Ce genre de situation ne peut pas exister dans la réalité. Derrière les allures un peu crasseuses du film, ses personnages ordinaires, c’est bien du pur Hollywood que l’on voit. Hollywood a parfaitement ingurgité les nouvelles avancées techniques et esthétiques de la nouvelle génération de cinéastes pour qu’à la fois les critiques du cinéma valident l’aspect pseudo-social du film et qu’en y insufflant un souffle positif, les spectateurs y adhèrent complètement. Résultat ? On caresse beaucoup, beaucoup le chien (on le bourre même de somnifères pour que l’on ait pas à lui botter les fesses).

Autre conséquence : le film devient un parfait véhicule pour la route aux Oscars. Sans la musique et sans certaines redondances dans les dénouements pour conclure des arcs narratifs gros comme des bâtisses en ruine, le film ne concourrait pas pour les Oscars, mais pour Sundance.

Dernier élément évoqué par Lumet que je me suis amusé à détecter pour voir s’il avait un fond de vrai pendant le film : le cinéaste parle à un moment de « canard en plastique ». Pour lui et son scénariste, il s’agissait d’un détail dans un scénario arrivant souvent aux deux tiers qui servait à expliquer les raisons du comportement (dégueulasse, presque toujours ; les bons gars n’ont pas besoin de se justifier dans les standards hollywoodiens). L’idée était à nouveau d’échapper au misérabilisme et aux personnages antipathiques en inventant une excuse psychologique en carton (ou en plastique) à ses erreurs et méfaits. Mais Lumet prétexte au contraire qu’un personnage ne doit pas justifier son comportement autrement qu’à travers ses actions. « Un jour, quelqu’un lui a volé un canard en plastique et c’est ce qui a fait de lui un tueur. »

Et vous savez quoi ? C’est exactement ce que l’on trouve ici. Enfin, pas tout à fait, puisque ce n’est pas aux deux tiers que l’explication traumatisante une fois révélée justifie le comportement du personnage principal, mais un peu avant la moitié du film. Le canard en plastique est ici la vieille maison où le personnage principal a vécu : son père alcoolique battait sa mère, et bien sûr, un jour, lui, le bon gars en devenir traumatisé, s’est interposé… Touchant n’est-ce pas ?

Certaines coïncidences peuvent être délicieuses. Mais les leçons de Sidney Lumet ont beau être parfaites, elles ne peuvent pas pour autant tout expliquer d’un film, qu’il soit réussi ou non.

Parce que malgré tous ces artifices, ces justifications pour forcer la sympathie, pour éclairer et « positiver », je dois être un bon spectateur (sans doute parce que je suis un « bon gars »). Non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette.

Justifier psychologiquement les comportements négatifs ou jouer les bons gars quand vous avez manifestement raté la vie des autres en plus de la vôtre ; ajouter une grosse musique de mélo ; insister sur tous les effets en prenant bien son temps entre quatre yeux pour bien se faire comprendre qu’entre nous, en champ-contrechamp, on se comprend ; puis fermer, une à une, toutes les portes ouvertes par le récit après avoir bien pris soin d’en faire « une scène à faire »… ; non, ça ne me fait pas peur. Je ne boude pas mon plaisir. Bonne pomme, je ne saute pas pour autant au plafond. Moi aussi, je suis un romantique. Je garde un côté innocent et je crois toujours qu’à la fin les bons gars arriveront à prouver leur valeur.

Mon côté Jessica Tandy.

C’est un des plus grands mensonges du cinéma. Parfois, on a juste besoin d’y croire. C’est mal, ça nous abrutit. Et peut-être que c’est ça la foi au fond. La foi, non pas en une force surnaturelle, mais à la logique des hommes et de la civilisation qu’ils ont contribué à bâtir. Comment le monde pourrait-il être tel qu’il est (encore debout et pour combien de temps), si les hommes étaient foncièrement mauvais, intéressés et névrosés ? Tous, un peu comme dans Mikey and Nicky ?

Si vous n’y croyez, mettez peut-être la musique d’Howard Shore un peu plus fort. Et alors peut-être, tous les dobermans vous sembleront gris.

En attendant, je finis Faire un film, de Sidney Lumet. Il doit bien avoir quelque chose à dire sur la musique caressante et les dénouements multiples en forme de révélation altruiste sur la nature des hommes… La culture typique du happy end : ne retrouverait-on pas ça depuis A Christmas Carol ? Trouve-t-on de la même manière ce goût du dénouement en forme de rédemption (toute chrétienne) dans la culture narrative française ? C’est une autre histoire…

(Chapeau à la directrice de casting qui a su réunir toute une panoplie de seconds rôles au sommet de leur art : Bruce Willis, Melanie Griffith, Jessica Tandy, Philip Seymour Hoffman.)


Un homme presque parfait, Robert Benton (1994) Nobody’s Fool | Capella International, Cinehaus, Paramount Pictures


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Parade d’amour, Ernst Lubitsch (1929)

Note : 3.5 sur 5.

Parade d’amour

Titre original : Love Parade

Année : 1929

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Maurice Chevalier, Jeanette MacDonald, Lupino Lane, Lillian Roth

Peut-être le premier film entièrement parlant parfaitement abouti. Une qualité suffisante pour donner le ton à dix ans de comédies musicales et de screwball comedies (en particulier la comédie de remariage).

La même année, Hallelujah de King Vidor peut encore intégrer des aspects de « feu » le cinéma muet. Ainsi, l’un donne le ton pour la suite ; l’autre est une singularité « champêtre » et populaire au milieu de productions en studio, dédiées au public blanc. Le reste des productions est encore massivement muet : L’Isolé et La Femme au corbeau, de Frank Borzage, Queen Kelly, d’Erich von Stroheim. Et la Paramount compte sur le parlant et la scène de Broadway pour faire face à la crise : les Marx Brothers apparaissent pour la première fois dans le « all talking-singing musical comedy hit » Noix de coco. Et le premier Broadway Melody de la franchise est un désastre pour la MGM parce que si un « talking movie » se doit d’être musical, Harry Beaumont n’a aucune idée de comment réaliser un film sonore. Ce qui paraît aujourd’hui évident ne l’était pas. Sauf peut-être quand on regardait l’efficacité déjà bien aboutie et la transparence des réalisations des films burlesques (c’est d’ailleurs un peu eux, déjà, avec Chaplin, qui avaient dicté les codes). On peut retrouver certains de mes commentaires concernant ce passage délicat du cinéma muet au cinéma parlant à travers cette étiquette.

La technique au point, c’est une chose de faire appel au music-hall, comptant un certain nombre de codes en commun avec le cinéma burlesque (si Groucho Marx peut se permettre les regards caméra — l’équivalent d’un aparté sur la scène —, c’est que le burlesque l’autorisait, comme chez Laurel et Hardy), c’en est une autre d’oser adapter à l’écran le style de l’opérette. Si les séquences dialoguées à l’écran offre une expérience nouvelle aux spectateurs et réclament un coup à prendre pour les metteurs en scène (surtout au niveau du rythme ; le cinéma muet mêlait déjà des champs-contrechamps tout en ayant recours aux répliques sur « carton »), rien ne dit que la spécificité de l’opérette qui est de passer tout à coup au chant soit adaptée à ce nouveau cinéma sonore.

Après tout, le cinéma n’avait eu de cesse depuis vingt ans de prendre ses distances avec tout ce qui ressemblait de près ou de loin au théâtre.

Ce sont de nouveaux codes qui doivent émerger. L’opérette se rapproche effectivement du théâtre, voire de l’opéra, s’impose alors une évidence : alors qu’une partie de l’efficacité du cinéma reposait depuis quinze ans sur le montage, sur le montage alterné plus spécifiquement, avec une opérette, on en revient à des séquences inspirées de la scène avec ses entrées et ses sorties. Quel retour en arrière ! (Même si tout l’art consistera aussi à intégrer des éléments de montage alterné pour casser le ronron de l’espace-temps hérité du théâtre.)

Le cinéma muet était en 1929 à l’apogée de son art avec cette capacité à structurer le temps et l’espace à la manière presque désormais de la littérature. Certains pouvaient même rêver de voir ce langage imposer une forme de communication universelle ! Un petit homme avec une moustache rectangulaire allait-il réunir la planète après la boucherie de la Grande Guerre ?… Non. Chaplin s’accrochera encore un certain temps au muet (même si ses films n’ont en réalité jamais été spécifiquement « muet ») et un autre petit homme avec une moustache ridicule rêvera de répondre à sa manière à la Première Guerre mondiale… (En en faisant une seconde.)

Seul le cinéma burlesque obéissait donc encore à ces principes d’un langage théâtral. Et c’est peut-être parce que Lubitsch vient de cette culture qu’il a compris le potentiel d’un retour à un cinéma moins basé sur le montage, plus parlant, plus chanté, dans lequel le quatrième mur pouvait être allègrement traversé (ironiquement, on en reviendrait même au temps des Grecs quand un chœur ou un coryphée pouvaient ponctuer « l’action »). L’opérette sera crédible avec ses passages incessants entre parlant et chant parce qu’elle l’a toujours été sur scène.

Les bons mots, les froufrous et les moulures au plafond vont remplacer les décors pompiers, les surimpressions et les mouvements sophistiqués de caméra. L’âge d’or du cinéma classique à Hollywood est lancé. Et paradoxalement, Broadway lui servira de source principale.

La réalisation de Lubitsch passe par une grande simplicité. Comme certains acteurs du muet ont très vite montré leurs limites à l’arrivée du son, j’ai déjà évoqué ici certaines difficultés de certains réalisateurs à trouver le bon angle et la bonne distance avec les nouveaux usages, plus simples, plus directs, du cinéma sonore (je renvoie une nouvelle fois à cette étiquette).

Lubitsch a compris tout de suite de quoi « il en retournait ». Mais se contenter de quelques champs-contrechamps ou de panoramiques d’accompagnement en plans rapprochés ne vous aidera pas pour autant à réaliser un bon film : hé oui, désormais, ces satanés acteurs, il va falloir les diriger !

Fini la pantomime ! fini les répétitions ou les temps morts qu’on arrive à récupérer au montage ou en foutant un carton ! Les acteurs doivent non seulement trouver le ton juste, comprendre la situation, adopter les mimiques adéquates, être à l’écoute de leur partenaire, trouver un volume sonore adapté au cinéma. Tout cela ne s’improvise pas. Tricher avec des astuces du cinéma muet ? N’y passez pas, la voix trahira les mauvais acteurs, quoi que vous puissiez inventer pour les diriger ou tromper le public.

Pour une opérette comme celle-ci, c’est des semaines de répétitions. Cinéma ou pas, on ne peut pas se reposer sur la possibilité du montage pour diriger en direct un acteur, couper, et refaire. Champs-contrechamps ou pas, il faut respecter un certain rythme, une continuité temporelle et de ton. Plus difficile encore, il faut inventer tout un travail visuel de sous-texte que seuls les acteurs de théâtre (ou de music-hall) sont capables d’offrir (tout en l’adaptant à la distance de la caméra). On chante, on parle, mais plus étonnant déjà : on murmure, on parle naturellement. La révolution n’est pas « parlante », elle est « murmurante » !

Imaginez l’effet sur le public d’un Français qui lui murmure aux oreilles ! » Oh, Maurice ! Oui, Maurice ! Susurre-moi encore ces mots doux, ces mots de tous les jours et ça m’fait quelque chose… » (Wrong track.)

L’année suivante, la MGM assurera la publicité du premier film parlant avec Greta Garbo avec le slogan « Garbo talks ». La Paramount aurait tout aussi bien pu lancer l’ère des comédies musicales avec le slogan « His name is Maurice. He sings, he oui-spurs! ». Des murmures qui sont autant d’éperons dans le cœur de ces dames… « Touché! »

« Oui-oui. »

Plus que jamais, celui qui dirige cela doit connaître le travail avec les acteurs… de théâtre. Et un peu comme chez Shakespeare, la trame romanesque principale se trouve rehaussée et mise en relief par une seconde : celle des domestiques. Si le jeu entre Maurice Chevalier et Jeanette MacDonald se révèle typique de l’opérette, avec une pointe de théâtre de boulevard, le jeu des deux domestiques, en revanche, relève bien plus du music-hall dans un mélange typique, cette fois, du Broadway des revues de Ziegfeld, supervisées et théorisées par Ned Waybur.

La spécificité de ce duo de domestiques (rappelant le couple Béatrice/Bénédict de Beaucoup de bruit pour rien dans sa manière d’imiter le couple principal de la pièce), c’est qu’il allie techniques de danse, humour et acrobatie. Le couple présente une différence de taille, en faveur de la domestique, et cela ajoute au ridicule de leurs silhouettes quand elles s’animent. Maintenant que Hollywood se tourne vers le sonore, c’est tout naturellement qu’il pillera les usages de la scène de Broadway. Dans beaucoup de comédies musicales à venir, on retrouvera ce principe, l’alliance de l’humour et du glamour. La comédie musicale intégrera soit des éléments burlesques (et acrobatiques), soit des éléments de danse de salon (soit les deux). Les deux personnages principaux, de leur côté, ne dansent pas comme plus tard Astaire et Rogers pour la RKO, mais ils auraient pu. Eux restent dans le registre de l’opérette.

Pour ce qui est du fond de l’affaire (l’histoire), la première séquence est un bijou ; les premiers échanges entre les deux futurs époux royaux prolongent un peu le plaisir ; la suite s’essouffle vite, et la fin est consternante. En épousant la reine, le futur prince consort accepte de se mettre à ses ordres. Plutôt progressiste, pourrait-on penser. Mais le prince s’ennuie et veut bientôt reprendre les « reines » du couple. Et la reine cède. C’est maintenant lui qui commandera.


Parade d’amour, Ernst Lubitsch 1929 The Love Parade | Paramount


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Ange, Ernst Lubitsch (1937)

Note : 4.5 sur 5.

Ange

Titre original : Angel

Année : 1937

Réalisation : Ernst Lubitsch

Avec : Marlene Dietrich, Herbert Marshall, Melvyn Douglas

— TOP FILMS

L’avantage d’être né il y a bientôt un demi-siècle, c’est que quand on voit un chef-d’œuvre que l’on a mis si longtemps à voir, c’est un peu alors comme retrouver ce plaisir du temps des grandes insouciances et que l’on enfilait les grands films toutes les semaines… Le désavantage, c’est que beaucoup parfois semblent bien plus blasés que vous et pourraient tout aussi bien vous dire : « Gnagnagna, ce n’est pas tant que ça un chef-d’œuvre ».

Et pourtant, je retrouve beaucoup des éléments qui me plaisent dans un film, surtout dans un film de l’âge d’or d’Hollywood. Pour faire simple : c’est du théâtre. On vante souvent la Lubitsch touch, en réalité, il y aurait fort à parier que cet humour subtil, différent de sa petite sœur à la mode versant sur la screwball, soit en fait emprunté au dramaturge hongrois qu’il a adapté plusieurs fois à l’écran : Melchior Lengyel. Lubitsch adaptera un autre Hongrois avec The Shop Around the Corner et avait commencé sa carrière dans le cinéma parlant en réalisant des adaptations d’un autre Hongrois, Ernest Vajda, auteur non exclusif notamment de ses succès avec Maurice Chevalier. C’est dire si l’Allemand se retrouvait dans cette touche d’humour manifestement hongrois.

L’humour traverse le film subtilement donc. Pas de farce comme au temps d’Ossi Oswalda. Mais des situations inattendues, un triangle amoureux des plus classiques et des dialogues délicieux pleins d’esprit. Point question ici de vaudeville (qui inspirera surtout la screwball), et le film tire même sur le drame (pas comme au temps de Pola Negri).

Tout cela est surtout l’occasion pour Lubitsch d’organiser une mise en scène d’une simplicité stupéfiante. Des plans rapprochés, des champs-contrechamps, pour se concentrer sur l’essentiel : la situation, les acteurs et… les décors.

C’est bien du théâtre.

Et puisque Lubitsch met ses acteurs au-dessus du reste, parlons-en. Deux ans avant Ninotchka, Melvyn Douglas, avec sa distinction toute britannique, est parfait en gentleman rapidement éconduit par cet « ange » qui passe et disparaît. Les deux Berlinois que sont Marlene Dietrich et Ernst Lubitsch ne collaboreront que sur ce film, chose bien malheureuse. Je ne suis pas le plus grand fan de l’actrice, mais Lubitsch l’utilise ici parfaitement à son avantage : distance adéquate, pas de chichis superflus, et des robes qui scintillent sous les projecteurs. Pile-poil ce qu’il faut de glamour.


Ange, Ernst Lubitsch, 1937, Angel | Paramount Pictures


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The Royal Family of Broadway (1930) & Girls About Town (1931)

Il faut qu’une porte reste ouverte ou fermée

Note : 2 sur 5.

The Royal Family of Broadway

Année : 1930

Note : 3 sur 5.

Girls About Town

Année : 1931

Réalisation : George Cukor

Avec : Ina Claire, Fredric March, Mary Brian, Henrietta Crosman

Avec : Kay Francis, Joel McCrea, Lilyan Tashman

C’est fou les progrès que l’on peut produire en l’espace de quelques semaines. Le cinéma parlant se distingue singulièrement du muet, tout était à réinventer, et rares sont les réalisateurs ou les studios qui ont compris instantanément les pièges de ce nouveau théâtre filmé.

En quelques mois, on produit des films à la va-vite à partir de pièces de Broadway, et le tour de force du système hollywoodien a consisté alors à trouver les failles dans ces ratés et à y proposer des solutions avant la concurrence. Si, à l’âge du muet, les recherches formelles et les superproductions avaient fini par prendre le contrôle du paysage cinématographique (en dehors de quelques acteurs comiques auquel le public s’était attaché), avant cela, c’était bien le burlesque (ou slapstick) qui avait inventé les codes de la réalisation (on a trop donné à mon sens d’importance à Griffith ou aux drames/thrillers en général, mais c’est une constance, on ne prend pas au sérieux… les rigolos). C’était, en gros, ma thèse dans mon article « Charlot grammairien ».

Pour faire simple, réaliser une séquence burlesque dépendait autant de l’exécution de l’acteur que du montage. Au théâtre, l’acteur est maître du rythme. Or, sans rythme, pas de comédie. La comédie, c’est la rupture, la surprise, la mise en opposition. Quand vous regardez une scène de commedia dell’arte ou un numéro burlesque, tout est déjà question de montage et de rythme. C’est donc naturellement que les premiers réalisateurs de slapstick (surtout le Chaplin de la première heure, d’après ce que j’ai pu en voir) se sont servis du montage pour cadrer leurs effets. Cadrer, dans tous les sens du terme.

Le poids du slapstick déclinant à la fin du muet, on peut comprendre la panique à l’arrivée du cinéma parlant. Au public étaient proposés des comédies ou des succès de Broadway parfois bien éloignés du burlesque (mais pas toujours : le cinéma parlant a permis aux Marx Brothers de s’imposer très vite dans ce support naissant qu’était le cinéma parlant). Qui détenait les codes de ces nouvelles comédies portées à l’écran ? Bien sûr, la règle des 180 degrés, celle des échelles de valeurs de plan ou la problématique des raccords, tout cela était déjà parfaitement connu. Mais comment réaliser une comédie désormais majoritairement propulsée par des répliques ? Le rythme, c’est une chose, mais la comédie tolère moins que le drame certaines libertés ou l’absence même de codes (on appellera ça, éventuellement, du « naturalisme », si ce n’est, plus généralement, de l’incompétence). La comédie ne se résume pas à un genre, c’est un langage : tu maîtrises certains principes et c’est drôle, tu ne les méprises pas, et ta comédie tombe à plat.

Les ratés, lors de ces premiers essais et premiers mois du cinéma parlant, proliféraient à l’affiche. Il suffirait presque d’éplucher la filmo des réalisateurs plus ou moins connus ou appelés à le devenir durant ces deux premières années (1930, 1931), et assurément, quelques rares chefs-d’œuvre émergeraient d’une forêt de films inaboutis. On a souvent pointé du doigt (et moqué) les acteurs du muet, incapables de faire face à une tout autre manière de jouer. Mais ils étaient les plus exposés et le cinéma a même entretenu cette légende qu’ils étaient les seuls à devoir s’adapter (Chantons sous la pluie, par exemple). Derrière eux, tout le système de production a en réalité dû réapprendre à réaliser des films. À faire des comédies. Si la facilité et la concurrence ont poussé les studios à adapter des succès de la scène new-yorkaise ou européenne, ils ont vite dû se rendre à l’évidence. Filmer une comédie, fût-elle un succès, ce n’est pas illustrer un texte avec des images et quelques stars.

En deux films de George Cukor réalisés plus ou moins coup sur coup, c’est ainsi cette évolution rapide qui se trouve remarquablement mise en lumière. Le premier (The Royal Family of Broadway) se vautre… royalement ; le second, sans être un chef-d’œuvre, présente beaucoup des codes des comédies réussies de cette époque pré-Code, dont une partie sera réemployée dans ce genre plus spécifique, déjà plus cinématographique, qu’est la screwball.

Espace scénique unique = théâtre / transparence = cinéma

Je dispose de mes propres codes, et souvent, pour illustrer un propos qui tourne en boucle d’une critique à l’autre, j’en reviens souvent à cette question simple : qu’est-ce que le cinéma ? La même réponse réapparaît alors toujours : le montage. Si je développe encore : qu’est-ce que le montage ? Je réponds : le rythme, la rupture, le montage alterné, la suspension, la grosseur de plan. Voilà quelques-uns des éléments essentiels constitutifs de la spécificité du cinéma, mais on pourrait en ajouter d’autres : la contextualisation et… les portes.

Qu’est-ce que le théâtre ? Un espace ouvert (la scène) où les portes claquent soit en coulisses, soit en ouvrant vers les coulisses. Dans un décor de théâtre, à moins de disposer de mécanismes sophistiqués (à la manière des productions totales et grandioses de Max Reinhardt à Berlin ou de Florenz Ziegfeld à Broadway), au mieux, on change d’espace une fois par acte. Le reste du temps, tout se passe donc au même endroit. Dans le théâtre de boulevard (encore aujourd’hui), on représente ainsi sur scène un grand espace ouvert vers le public, lui-même souvent compartimenté en aires de jeu plus petites. Cependant, tous ces espaces sont interconnectés : pas de cloisons, pas de portes. Rien de réaliste là-dedans, c’est une convention. Les acteurs se transportent d’une pièce à une autre sans rencontrer la moindre porte. Quand porte, il y a, elle ouvre sur les coulisses dont l’espace reste, par définition, invisible du public.

Quand les studios s’agitent donc tout d’un coup pour acheter les droits des spectacles de Broadway, qu’est-ce qu’est devenu le cinéma ?… Réponse : un espace ouvert où les portes claquent en coulisses.

Où sont les portes ?

Avec leurs gestes pleins de formes…

Dites-moi où sont les portes.

Portes, portes, portes, portes.

Où sont les portes ?

À la fois si belles et si plates.

Aux gonds qui traînent et qui planent.

Où sont les portes ?

Portes, portes, portes, portes.

Où sont les portes ?

C’est vrai ça, Patrick : où sont donc passées les portes dans The Royal Family of Broadway (1930) ? Eh bien, je crois n’en avoir compté qu’une. Et encore, elle se refermait sur un hors-champ invisible. Comme au théâtre. Évidemment : si je réclame des portes, c’est qu’elles vont vite devenir indissociables du cinéma (j’en avais parlé pour le film Attends-moi). N’imaginez pas un quelconque fétichisme. Je ne vais pas répéter ce que j’ai dit ailleurs : à moins de pouvoir réaliser un film dans de grands espaces, le cinéma (donc le montage) ne connaît pas d’outils plus essentiels qu’une porte. Vous l’ouvrez, et c’est automatiquement un espace nouveau qui s’offre au regard du spectateur. Vous avez le choix de rester sur le pas de la porte et de jouer ainsi de champs-contrechamps articulés autour de ce protagoniste de l’ombre, ce monolithe de l’espace, ou de montrer, au contraire, un personnage en train de faire son apparition. Dans ce dernier cas, le mouvement aura comme avantage de forcer un cut (entrée imprévue ou retour vers un personnage qu’on avait laissé entre-temps pour nous intéresser à d’autres : principe du montage alterné, mais appliqué à la mise en scène de salon) ou un raccord dans le mouvement (continuité du déplacement d’un personnage depuis une autre pièce et avec le plan précédent).

1931, l’Odyssée de l’espace

Essayez à la maison ! Le cinéma muet avait mis en évidence notre fascination pour une simple variation de champs-contrechamps (les chase films par exemple) : vous pouvez reproduire la même action en montage alterné, fait de va-et-vient, et notre attention restera hypnotisée devant une action en boucle sans rien proposer de nouveau (littéralement, pendant des heures, on peut suivre une étape du Tour de France sur ce seul principe). Ajoutez-y une porte, et c’est du cinéma.

Le problème dans The Royal Family of Broadway, c’est donc sa trop grande application à reproduire des codes spécifiques au théâtre. La majeure partie du film est tournée autour d’un même espace : une salle de séjour, un grand escalier, un canapé, quelques chaises, et dans les coins, des zones plus intimes (salon plus intime avec une cheminée, haut de l’escalier) auxquelles on peut accéder librement depuis la salle de séjour. On y remarque la même impression que face à une scène de théâtre à ne jamais pouvoir saisir du regard les plafonds, les limites exactes d’une pièce ou les perspectives. Un espace « vide », ample, aux proportions irréalistes, entre l’espace scénique et la caméra (une caractéristique du théâtre qui au cinéma n’est pas justifiée) donne clairement à imaginer une caméra tranquillement posée dans un studio sans souci de recul (j’avais noté cette particularité dans un film de Raoul Walsh tourné en 1931, Hors du gouffre).

Quelques séquences ouvrent vers des pièces nouvelles de la maison, mais l’intérêt du cinéma (ce dont le théâtre est incapable), c’est de passer d’un espace à l’autre en une fraction de seconde, de revenir par un simple cut aux personnages restés dans la pièce précédente et ainsi d’entamer un montage alterné… Par souci de contextualisation (qui deviendra de plus en plus une norme intangible), très vite, le cinéma apprendra à situer le décor principal au milieu d’un espace réel et public, puis à intégrer à l’intérieur de plans intérieurs des ouvertures factices ou réelles vers l’extérieur. Le cinéma muet utilisait déjà sporadiquement cette méthode (je l’évoquais pour Le Journal d’une femme perdue), mais cela deviendra surtout une constante dans les films parlants. Avant que l’on comprenne l’indispensable nécessité de contextualiser un espace en faisant l’union des espaces intérieurs et extérieurs, de nombreux films tournés en studio s’enferment dans l’idée qu’on peut ne jamais montrer quoi que ce soit de l’extérieur : j’avais noté cette particularité pour L’Ange blanc, de William A. Wellman (1931).

À cette incapacité à changer de place dans un même lieu pour en exposer librement tous les recoins (travail de contextualisation et de représentation d’un espace complexe et crédible au fil du temps) s’ajoute un autre problème. Puisque tout paraît un peu trop hiératique et théâtral, les acteurs et leur directeur trouveront difficilement leur rythme. Or, une comédie sans rythme, ça fait flop.

 

Grand espace vide au premier plan, distortion des perspectives et porte qui reste muette = théâtre

Espace en arrière-plan suggérant la réalité d’un extérieur = cinéma

Ni l’écriture ni l’adaptation ne sont en cause. Rien n’empêchait Cukor ou la production d’imposer un espace avec des portes, de scinder quelques échanges pour forcer un mouvement et séparer les personnages une fois ou deux pour créer des montages alternés (de salon). Rien, sauf l’habitude. On avait donc exploré cette manière de faire dans le cinéma muet, mais c’était loin d’être une règle parce que le muet obéissait à des logiques bien différentes. Avec le cinéma parlant, on peut certes multiplier les espaces, mais si l’on veut créer une situation, il faut bien un moment se poser. Au muet, on cherchait presque parfois à limiter ces confrontations parce que cela signifiait des cartons à ne plus en finir. On peut bien sûr profiter de l’expérience du muet pour varier la mise en place, mais on le comprendra très vite (ce sera une marque des screwball comedies) : dans la comédie, même si c’est les dialogues qui sont moteurs d’une situation, cela doit bouger et alterner entre mouvement et moment plus statique. C’est ça le rythme : à ne pas confondre avec la vitesse. On bouge, on avance, on se pose, puis on repart. Le tout, en discutant. Le tout, bien souvent, coordonné autour d’un sentiment d’urgence (c’est ce qu’on comprendra avec la screwball). Et l’art de la comédie américaine, il est d’arriver à circuler constamment dans un espace censé être unique et à trouver un prétexte à se mouvoir en changeant de pièce. Cette manie qu’ont les Américains à vous proposer un tour du propriétaire vient sans doute de là…

Pour résumer et pour le dire plus simplement : dans une mise en place comique, si vous restez statiques trop longtemps, vous vous installez et le public s’ennuie. Au théâtre, un canapé a beau trôner en plein milieu de l’espace, il ne fait jamais que de la figuration. De la même manière qu’on pourrait dire qu’une porte au cinéma a pour fonction d’être alternativement ouverte et fermée, au théâtre, le canapé n’a qu’une seule utilité : faire rebondir les personnages. Aussitôt assis, aussitôt debout ! Si vous posez un canapé dans un coin et que vous n’y faites asseoir vos personnages qu’une ou deux secondes, passe encore. Mais si vous le posez en plein centre de votre dispositif sur un plateau de tournage comme dans une comédie de boulevard, vous vous laisseriez à la facilité de vous y endormir. N’oublions pas qu’une comédie de salon (on n’appelle pas ça comme ça, c’est une manière de présenter les choses) est inféodée à son salon parce que c’est… du théâtre. Rien n’oblige un studio à adapter une pièce (de salon) dans un salon. Le cinéma n’est pas tributaire d’un décor unique. Et c’est là que Cukor s’est laissé prendre au piège : si le cinéma exige la mise en œuvre de nouveaux codes, se poser trop longtemps sur un canapé pour papoter n’en fera pas partie. Je choisis le canapé comme exemple le plus significatif, mais même quand il explore les autres espaces de son plateau, on ne sent pas l’énergie et le besoin de bouger.

Très vite, on comprendra donc l’impérative nécessité de s’activer, même dans des adaptations de pièces de Broadway (ou anglaise, ou hongroise, ou allemande, ou française).

La suite l’a d’ailleurs démontré : quels sont les auteurs de la pièce adaptée ici ? Edna Ferber et George S. Kaufman. Ne reconnaît-on pas dans cette maison d’hurluberlus un certain humour, un certain type de situation ou de lieu ? Réunis ou séparés, les deux dramaturges connaîtront quelques succès une fois adaptés à Hollywood. Leur ton est facilement identifiable : on n’est pas tout à fait encore dans ce qui deviendra la screwball (avec sa variante, la comédie de remariage) et le style se rapproche du burlesque situationnel des Marx Brothers : ici, on serait plutôt dans « la maison de fous » et l’humour loufoque. Les deux coécriront par exemple Pension d’artistes avec Morrie Ryskind, et Kaufman écrira Vous ne l’emporterez pas avec vous. Comparer les deux films permettrait de comprendre à quel point George Cukor s’est planté ou a galéré à transmettre à ses interprètes la tonalité loufoque du film. (En 1930, encore une fois, rien de plus normal.) Seul Fredric March semble avoir appréhendé l’excentricité de la pièce dont il semble avoir été le premier interprète à Broadway trois ans plus tôt. Il y est un formidable matamore, parodie assumée de John Barrymore. Aucun de ses partenaires ne passe la rampe : pas assez d’audace, de fantaisie, de justesse. Là, oui, on peut dire que l’arrivée du cinéma parlant a correspondu avec le déclin de certains acteurs. (Cukor n’est pas pour autant exempt de tout reproche : voyant que ça patinait, il aurait pu demander à ses acteurs d’accélérer le rythme. March y parvenait très bien.)

Au théâtre, aucun concurrent ne viendra vous faire voyager d’un espace à un autre : tout le monde est assujetti au « ici et maintenant ». Au cinéma, si. Si, au mieux, l’on renouvelle le décor une fois par acte au théâtre, au cinéma, un cut vous transporte aussi bien dans la pièce voisine qu’à l’autre bout du monde. Et c’est probablement la concurrence qui a forcé la mise en place rapide de codes entre la production de The Royal Family of Broadway et celle de Girls About Town.

Entre les deux films, on change ainsi du tout au tout : jeu sur la relation entre l’intérieur et l’extérieur (silhouette de « la mère » à la fenêtre interdisant le galant à venir s’incruster chez sa belle) ; variation des espaces à la fois dans les intérieurs (les portes claquent, et l’on écoute même aux portes) et dans les extérieurs (on choisit opportunément une histoire dont une bonne partie prend place sur un bateau) ; interdiction de s’appesantir (tout est mouvements, rencontres, passage d’un lieu à un autre, actions, oppositions, rebonds) ; et enfin, redistribution des rôles (beaucoup des acteurs du film resteront populaires dans la décennie : Kay Francis, Joel McCrea, Eugene Pallette).

Volontaires ou non, ces changements illustrent au moins une évolution globale et la prise de conscience rapide, dans l’industrie cinématographique, que le cinéma parlant ne fonctionnera ni avec les codes du muet ni avec ceux du théâtre filmé. Conscientisés ou non, ces changements vers des codes communs qui s’opèrent en à peine quelques mois concernent sans doute en priorité les films qui feront date ; en 1932, il n’est par conséquent pas dit que le gros de la production obéissait à ces règles. Et quoi que l’on puisse en dire, au moins, l’évolution semblait inéluctable, une évolution parfaitement illustrée dans ces deux films réalisés à quelques mois d’intervalle.

Énormément de films étaient produits à l’époque avec l’idée qu’en adaptant un succès de Broadway ou une comédie de la scène européenne, les studios se faciliteraient la tâche. La concurrence a joué son rôle, et c’est à cette période que des carrières parfois longues de plusieurs décennies se sont lancées. « Spectateurs, songez que du haut de ces premiers succès, quarante décennies vous contemplent. » Une réalité valable autant pour les nouvelles vedettes que pour les réalisateurs : certaines pointures du muet retrouveront peu ou prou leur rythme de croisière, d’autres ne trouveront jamais la porte du salut incrustée dans le mur qui fonçait droit sur eux, et d’autres encore comme Cukor ont émergé grâce à leur capacité à comprendre et à appliquer les codes naissants. Venu de Broadway, Cukor était disposé plus que d’autres à participer à cette révolution. Et dès 1933, il rejoindra la MGM pour adapter à l’écran à nouveau une pièce… d’Edna Ferber et de George S. Kaufman ! Les Invités de huit heures. Et cette fois, avec succès. Ironiquement, le metteur en scène y retrouvera deux membres de la « Royauté Barrymore » (Lionel et John), gentiment parodiée, précisément, dans The Royal Family of Broadway.


The Royal Family of Broadway (1930) & Girls About Town (1931) — George Cukor | Paramount

Les Chagrins de Satan, D.W. Griffith (1926)

Note : 2.5 sur 5.

Les Chagrins de Satan

Titre original : The Sorrows of Satan

Année : 1926

Réalisation : D.W. Griffith

Avec : Adolphe Menjou, Ricardo Cortez, Carol Dempster

Une confirmation : il y a les pionniers qui, un jour, ont la bonne idée et font décoller une pratique nouvelle, mais une fois que cette pratique commence à mettre en œuvre ses propres codes, c’est souvent une nouvelle vague de pionniers, moins techniciens, plus artisans ou artistes, qui prennent le relais. Griffith est à l’origine de la popularisation de l’idée qui résume peut-être à elle seule la révolution du récit cinématographique : le montage alterné. Il n’est pas le premier à l’avoir pratiqué, mais il a été le premier à en avoir compris l’efficacité sur le public et à faire reposer ses films principalement sur lui. Depuis plus d’un siècle, il est rare de voir un film se passer de ce procédé si représentatif de sa pratique (on trouve peu d’exemples d’un tel procédé en littérature par exemple, et au théâtre, Shakespeare y avait souvent recours, notamment dans Richard III ou dans Le Marchand de Venise, mais on ne peut pas dire qu’on associe le dramaturge au procédé). Dans les années 10, Griffith a longtemps été à la pointe. Le fait qu’il ait une longueur d’avance sur tous les autres lui a permis de capitaliser sur cette avance et proposer au public au milieu de la décennie des grosses productions qui assureront son succès. Puis, après-guerre, les pionniers ont laissé place aux génies. Moins d’innovations ; plus de compétence en mise en scène et en récit. Seul Chaplin avait été à la fois pionnier (aussi dans le montage) et génie artistique. Une fois que les concurrents de Griffith ont adopté le montage alterné, sans en abuser comme dans certains films faciles à faire (comme les westerns), ils ont pu proposer autre chose. Surtout, les failles et les limites créatives de Griffith, tant dans le récit qu’à la mise en scène, se sont faites de plus en plus évidentes.

C’est ce qu’on voit ici. Le sujet est une resucée du mythe de Faust comme il en existe des centaines à la même époque (l’année du Faust de Murnau). Alors que le montage alterné s’était surtout révélé pertinent dans les thrillers ou les films d’action, Griffith l’utilise ici pour un genre qui vit ses dernières heures avant l’arrivée du cinéma parlant qui goûtera peu ses outrances et son manque de vraisemblance : le mélodrame (il sera remplacé par les drames romantiques souvent historiques — le mélodrame étant presque toujours contemporain incorporant, comme ici, une dimension plus universelle, grossière et biblique). Le montage alterné pourrait s’appliquer à tout, on pourrait dire, sauf que si c’est en effet assez souvent exact, il n’en reste pas moins que le procédé ne pourra jamais dynamiser artificiellement une histoire sans relief qui ne décolle jamais. On comprend la logique de départ de Griffith : opposer deux personnages (deux écrivains sans le sou amoureux l’un de l’autre) enfermés chacun dans leur chambre avec l’idée insoutenable (non) qu’ils puissent être réunis. Ce qui marche pour un thriller de dix minutes ne peut pas marcher dans un premier acte. C’est bien trop tôt. Une présentation doit servir à poser les bases d’un récit, pas à créer une tension entre deux personnages pour lesquels on ne s’identifiera par conséquent jamais. Griffith ne sait pas raconter une histoire comme d’autres à la même époque (même pour des mélos) et le montage alterné ne peut plus tout résoudre ou contenter le public habitué à en voir. Si son prologue biblique est visuellement réussi, dès qu’on retombe sur terre avec les deux personnages principaux, Griffith rate complètement leur introduction et Griffith s’enlise en ne parvenant pas à sortir de la logique statique mise en place. Habituellement, dans une présentation de personnage, et cela dans tous les genres narratifs, l’action qu’on choisit de raconter définit au mieux les personnages, leurs désirs, leur parcours. Si l’idée de montrer les deux à leur table de travail peut faire sens, les cantonner pendant toute une longue première partie résumant une seule et même journée enfermés dans les mêmes lieux n’aide ni à donner un élan au film, ni à définir les personnages principaux (on se définit par nos actions, voire par nos intentions, et dans ce cas, le récit évolue à travers les conflits, les oppositions, les révélations successives comme dans n’importe quel huis clos). Adolphe Menjou, censé proposer le pacte avec l’écrivain sans succès et lancer véritable l’intrigue, arrive trop tard alors qu’on s’est déjà endormis. La suite est tout aussi laborieuse. Il ne se passe pas grand-chose ; Griffith donne l’impression de meubler dans un récit qui fait du sur-place ; et en dehors du génie d’Adolphe Menjou, capable d’exprimer avec la plus grande simplicité n’importe quelle note (souvent ironique, toujours classe), tout le reste est terne et sans intérêt.

La fin intègre maladroitement quelques nuances visuelles inspirées de l’expressionnisme, et je crois ne pas avoir aperçu une seule fois un coin de ciel en une heure et demie de film (ou de réalité ; je crois même avoir reconnu le décor d’une rue du Lys brisé) ; signe qu’en dehors des problèmes de récit, en ce qui concerne la contextualisation, Griffith ne répond plus aux standards attendus de l’époque (ailleurs, à Hollywood, on tourne largement en studio et « in location », histoire de donner du souffle au récit et… d’alterner pour reproduire l’illusion d’une réalité — intérieur/extérieur). On se demande bien qui a eu l’idée saugrenue d’aller en Californie pour profiter de la lumière, vraiment, je ne vois pas…

1926, on réalise des chefs-d’œuvre toujours plus convaincants partout dans le monde avant que le son rebatte complètement les cartes, mais Griffith n’est déjà plus à la page depuis une demi-douzaine d’années. Il continuera pourtant à proposer quelques films au public, aujourd’hui oubliés.


Les Chagrins de Satan, D.W. Griffith (1926) The Sorrows of Satan | Paramount (copie impénétrable)


Liens externes :


Empreintes digitales, Raoul Walsh (1936)

La Dame du jeudi

Note : 3.5 sur 5.

Empreintes digitales

Titre original : Big Brown Eyes

Année : 1936

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Cary Grant, Joan Bennett, Walter Pidgeon

Une screwball comedy criminelle assez inattendue dans la filmographie de Walsh. Le mélange de comédie et de crime rappelle par certains côtés The Thin Man tourné deux ans plus tôt, mais l’humour très british laisse place ici à un type d’humour typique de la screwball, voire de la comédie du remariage où deux acteurs de sexe opposé font semblant de se chamailler et où la repartie appartient plutôt au registre de la séduction. En ce sens, le film préfigure aussi d’une certaine manière La Dame du vendredi, tourné, lui, trois ans plus tard. Cary Grant s’entraîne presque déjà pour son duo mémorable avec Rosalind Russell. Au contraire du duo génial de The Thin Man, en plus d’évoquer plus certainement une parade nuptiale entre deux amants se jaugeant l’un et l’autre à coup de répliques bien senties qu’un mariage où la résolution d’affaires criminelles sert d’agrément ou de hobby, comme celui de La Dame du vendredi, dans ce duo-ci, c’est aussi la femme qui tire plus volontiers les ficelles dans le couple. Grant n’a jamais été aussi bon que quand il est dépassé par les événements ou doublé par des femmes plus futées ou plus alertes que lui. Encore pendant vingt ans au moins jusqu’à La Mort aux trousses, ce sera son génial credo. Et pour l’assister, pardon, pour le mener par le bout du nez, une surprenante (et encore blonde) Joan Bennett.

Les échanges de répliques qui fusent à La Dame du vendredi ne sont peut-être pas toujours du meilleur goût, la repartie des uns et des autres n’arrive jamais à la cheville de certains chefs-d’œuvre de la même époque, mais le ton est là. Il règne un certain goût d’inachevé durant tout le film, c’est vrai. La faute à Walsh dont la comédie n’est pas la spécialité, à un mélange de comédie et de crime n’ayant jamais réellement produit de très grands films, peut-être aussi. Mais ce n’est pas aussi mauvais que la relative mauvaise réputation du film (voire, pas de réputation tout court) pourrait le laisser entendre. On peut surtout apprécier les astuces et filouteries du personnage de Joan Bennett pour confondre un assassin et le faire coffrer au profit de son homme (what else). Là encore, la parenté avec La Dame du vendredi est saisissante. Et à n’en pas douter, ces quelques films de l’âge d’or d’Hollywood où les femmes mènent une carrière professionnelle qu’occupent habituellement des hommes sans que cela éveille la moindre surprise ou défiance chez les personnages masculins ont aidé certaines femmes à se lancer dans certaines professions (comme souvent au cinéma de cette époque, le journalisme), à avoir confiance en elles et à pousser les hommes à leur faire confiance et à les traiter pour ce qu’elles doivent être : leurs égales. La modernité du film est en cela au moins plutôt remarquable. D’un côté, on commence avec les manucures toutes dévouées aux soins de ces messieurs, puis par son intelligence et son audace, le personnage de Joan Bennett se voit proposer un travail dans un journal où on lui proposera vite une augmentation de salaire pour son talent. Partout en Amérique, on sent encore les effets de la crise, et Hollywood s’échine à vouloir pousser les femmes à piquer le travail des hommes (sic). C’est dans la difficulté qu’on reconnaît les sociétés qui œuvrent pour le progrès (au contraire de quelques autres, sur le déclin, qui préféreront en de mêmes situations le repli sur soi et les valeurs traditionnelles…).

Le film fera un four, apparemment, mais son producteur Walter Wanger n’en tiendra pas trop rigueur à son actrice principale parce qu’il l’épousera quelques années après. L’autre Walter de la production, Pidgeon, est également tout à fait remarquable, mais lui était déjà marié.


Empreintes digitales, Raoul Walsh 1936 Big Brown Eyes | Walter Wanger Productions, Paramount Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

99 screwball comedies (par Byrge & Miller & Sikov) (non inclus, au contraire de Wedding Present, tourné la même année avec les deux mêmes acteurs en vedette)

Liens externes :


Targets, Peter Bogdanovich (1968)

Carton plein

Note : 4 sur 5.

La Cible

Titre original : Targets

Année : 1968

Réalisation : Peter Bogdanovich

Avec : Tim O’Kelly, Boris Karloff, Arthur Peterson, Nancy Hsueh, Peter Bogdanovich

Premier « carton »

Bonnie and Clyde vient de sortir, les studios sont moins regardants sur la violence exposée à l’écran, toutefois, on peut lire que pour faire passer plus facilement la pilule, la Paramount aurait tout de même imposé un carton liminaire condamnant les tueries de masse et appelant à une meilleure législation sur les armes. Peter Bogdanovich n’aurait pas voulu de cette introduction (elle fait peut-être un peu rire jaune aujourd’hui en voyant que la situation n’a guère évolué depuis), pourtant, pour moi, elle est essentielle à ce que le film ne pâtisse pas d’une brutalité confiée ainsi sans filtres au regard du spectateur, regard peut-être encore mal aguerri en 1968 à des approches manquant à ce point de mise à distance (mais même pour un spectateur actuel, il ne me paraît pas judicieux de faire l’économie d’une telle introduction).

Je suis loin d’être fan en général de ces annonces, mais le film est tellement froid et violent qu’un tel carton d’explication donne le ton pour la suite, annonce la couleur de la violence, et surtout, la condamne sans laisser de place au doute. Parfois, l’absence de doute, l’absence de mise à distance avec un sujet problématique, ça tue un film. Tout le contraire ici où l’évidence ne fait que le renforcer : sans le piratage du “message” initial par un autre imposé par le distributeur, sans le travestissement de l’orientation du film que ses auteurs auraient sans doute encore voulu plus violent (comme un gros pavé lancé dans la vitrine bien tranquille de ce grand magasin à jouet qu’est Hollywood), je ne suis pas sûr que cette approche sans fards à la violence n’aurait pas fini alors par provoquer un malaise suffisant à détourner définitivement le spectateur du film. Il y avait un risque sans cela à tomber dans les excès d’un Tueurs nés (tourné des décennies après, on y retrouve le même rapport à la violence) ou… dans ceux d’un Samuel Fuller (qui a d’ailleurs participé au scénario : pas fou le Sam, il file à un novice un film qu’il n’aurait même pas osé faire, histoire de le voir s’y casser les dents à sa place).

Manque de bol, Sam, Bogdanovich a eu la chance des débutants avec lui. Probable que sa femme, Polly Platt, ne soit pas étrangère non plus à la réussite du film (créditée pour diverses choses au générique, mais de mémoire, dans Le Nouvel Hollywood — où par ailleurs Bogdanovich y est présenté comme en enfoiré, surtout avec elle —, Peter Biskind y révélait qu’elle était largement responsable du succès du petit Peter sur ses premiers films). On peut imaginer aussi que l’écriture en séquences parallèles durant tout le film aurait pu permettre, même sans ce carton explicatif, une bonne mise à distance avec les séquences suivant l’évolution du tueur. Mais n’ayant pas pu expérimenter le film sans ce carton introductif, je ne pourrais pas en être certain… Ce serait intéressant d’ailleurs que des primospectateurs voient le film tel que Bogdanovich l’avait conçu.

Bref, l’histoire de ce carton illustre une nouvelle fois et à lui seul, toute la question parfois insoluble du traitement de la violence au cinéma. Et ce n’est pas rien d’être parvenu (peut-être malgré la volonté de Bogdanovich) à s’extirper sans dommage de ce piège.

Deuxième « carton »

Une fois la question de la distance avec la violence réglée, l’aspect le plus réussi selon moi du film, reste ces séquences de violence froide et de pure mise en scène dans lesquelles la caméra suit l’assassin. J’avais cru comprendre que La Bonne Année avait marqué un tournant avec une manière de coller un personnage avec une caméra mobile qui inspirera Stanley Kubrick (et plus tard Gus van Sant), mais apparemment, l’opérateur du film arrive à un même résultat cinq ans avant le film de Claude Lelouch (László Kovács est aux manettes, et l’année suivante, il signera l’image d’un film qui se place pas mal en termes de mobilité : Easy Rider).

Coller ainsi aussi près du tueur permet de créer une tonalité singulière, très réaliste, qui ne fait que renforcer la tension : dans la gestion du temps et le jaillissement soudain de la violence, puis très vite la peur du prochain moment où elle apparaîtra au milieu d’une normalité terrifiante, on y retrouve quelque chose à la fois d’Hitchcock et d’Haneke.

Et, paradoxalement, cette réussite n’aurait pas été possible sans un acteur jouant l’indifférence, la normalité. Le film est clairement un hommage au cinéma de papa (à la fin, notamment, c’est l’acteur du vieux monde interprété par Boris Karloff qui met un terme au chaos initié par cette jeunesse sans repères représentée par le tueur), et je suis persuadé qu’un Fuller, que le William Wyler de la Maison des otages, le Kazan des Visiteurs (tourné quatre ans après), ou tout autre aîné de Bogdanovich n’aurait pas manqué de demander à l’acteur qui interprète le tueur de jouer le personnage perturbé, névrosé, rongé par la culpabilité (comme c’est souvent le cas à l’époque des belles heures de l’application du code Hays). On le sait aujourd’hui, les tireurs de masse montrent souvent un détachement, une sérénité et une absence totale d’émotions durant leur tuerie. Et cela ne fait que renforcer le réalisme du film. Samuel Fuller ou Oliver Stone seraient éventuellement tombés dans un autre piège : ne pas en faire cette fois des névrosés, mais des fous s’amusant de leur toute-puissance criminelle.

On diffère ainsi dans Targets de l’approche réactionnaire de la violence au cinéma qui, comme cherchait à la représenter le code Hays, est toujours le fait de dégénérés. Même si on sent Bogdanovich soucieux d’honorer le cinéma de papa à travers sa vedette vieillissante, ce qui ressort du film, c’est surtout une critique féroce de la société américaine. Le jeune tueur n’est pas un détraqué sorti de l’ombre, au contraire : c’est précisément cette normalité de la vie en banlieue vantée par les promesses du rêve américain qui a rendu possible l’éclosion de la violence. Les promesses des pionniers d’un monde meilleur n’ont finalement pas été tenues : ce monde préfabriqué est en réalité une prison où confort et conformité vont de pair. Avachi douillettement dans son canapé pour suivre le programme du soir à la télévision, le futur tueur cherche encore une issue à sa violence encore contenue. Mais personne ne l’écoute. Ce monde standardisé dans lequel il erre sans but lui semble être fait pour un autre, et à force de déshumanisation, de désenchantement, il n’aura d’autre choix que de devenir un monstre pour détruire cette maison de poupées où rien ne semble lui être réel. Quand plus rien ne semble réel, même la mort n’a plus aucun rapport avec la réalité, et elle devient la seule limite que l’on s’autorise afin de sortir de sa prison. Le constat est assez clair : les monstres ne naissent plus dans les ruelles sombres des quartiers moites et pauvres des grandes capitales, mais des fausses promesses sur lesquelles l’Amérique s’est construite. Le rêve américain, quand on l’éprouve, n’est qu’un cauchemar de déshumanisation. Le bonheur ne peut être standardisé. Et les monstres ne sont pas ceux que l’on croit.

Roger Corman est à la production, en 1962, il réalisait son chef-d’œuvre, The Intruder, où on y voyait de la même manière un prédicateur raciste offrir une jolie image du mal : le diable s’habille en Prada comme dit l’autre, et peut-être que Corman aurait soufflé cette idée à Bogdanovich. « Who nose », comme dirait Peter “Droopy” Bogdanovich en bon français.


Targets, Peter Bogdanovich 1968 La Cible | Saticoy Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1968

Structures narratives, sens des proportions et mise en scène : « Message invisible » dans Family Life et « message visible » dans Tueurs nés et dans In a Heartbeat

J’aime pas Samuel Fuller

Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain

Vers le Nouvel Hollywood

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Casier judiciaire, Fritz Lang (1938)

La boss des maths

Note : 4 sur 5.

Casier judiciaire

Titre original : You and Me

Année : 1938

Réalisation : Fritz Lang

Avec : Sylvia Sidney, George Raft, Barton MacLane, George E. Stone, Harry Carey

Film étrange et assez composite. Ça commence comme un film romantique, puis quelques notes de film criminel se font jour (on n’est pas encore dans le film noir, même si on est à la toute fin de la période pré-noir). Le mélange des deux n’est pas inhabituel, mais le second l’emporte presque toujours sur la première impression romantique : ici, c’est ce premier aspect qui l’emporte puisque les protagonistes travaillent dans un magasin et vivent une idylle. Et comme le film n’est pas sans humour ou même sans étranges notes parfois de musical, on pourrait alors presque croire à une comédie romantique américaine. La présence de George Raft et surtout de Sylvia Sidney qui vient de tourner dans les deux précédents films de Fritz Lang que l’on pourrait autant qualifier d’humanistes que de pré-noirs (Fury et J’ai le droit de vivre) devait mettre la puce à l’oreille. Quelques détails de l’histoire préparent le terrain avant la révélation de la fin du premier acte qui lancera toute la problématique du film : on apprend que le patron du magasin où travaille tout ce petit monde tient à relancer d’anciens détenus en période de probation dans son entreprise ; à côté de ça, le personnage de George Raft, que l’on sait très vite être un de ces anciens malfrats en réinsertion, doit subir de multiples tentatives d’approches de la part de son ancien milieu.

Le film prend donc son envol quand on apprend que le personnage même de Sylvia Sidney est une ancienne détenue, ce qu’elle cache à son amoureux et bientôt mari. À partir de là, les problèmes ne font que s’accumuler jusqu’à divers points de catastrophe prévisibles. L’originalité du film, c’est ce qu’on retrouvait déjà dans les films précédents de Fritz Lang avec Sylvia Sidney : une certaine veine humaniste. Il est question ici de la réinsertion d’ex-détenus dans la société, mais le film va même plus loin en adoptant de manière surprenante une approche didactique pour ne pas dire propagandiste ou paternaliste. Avec le message simple et clair autour de la maxime : « le crime ne paie pas ». La manœuvre pourrait être naïve et grossière, mais on l’accepte grâce à une astuce inattendue qui fait tout le sel du dénouement du film (un contrepoint, voire un contre-emploi qui vaut le détour). Une fois la grande scène des révélations et des dénouements faite, le film peut alors retomber sur ses pattes et reprendre une tournure romantique, voire comique. Une bonne manière d’achever les années 30 pleines d’espérance et d’humanisme à l’écran en pleine Grande Dépression et avant les années sombres de la guerre. Il n’est plus question alors de voir de tels objets hybrides ou humanistes : les fantaisies comiques, romantiques ou dansantes, d’un côté, de l’autre, les films noirs, de guerre ou d’espionnage… Sylvia Sidney et George Raft étaient d’ailleurs deux de ces visages reconnaissables de cette période pré-noir. À l’heure des films noirs, pendant la guerre, Sylvia Sidney cessera de tourner (peut-être pour élever son enfant), pour ne revenir qu’avec Du sang dans le soleil, tandis que Raft manquera l’occasion de devenir l’icône du film noir naissant en refusant Le Faucon maltais.


Casier judiciaire, Fritz Lang 1938 | Paramount Pictures


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Jack Reacher & Mission Impossible : Rogue Nation, Christopher McQuarrie (2012-15)

Jack Reacher & Mission Impossible : Rogue Nation

Note : 3.5 sur 5.

Note : 3 sur 5.

Jack Reacher / Mission Impossible : Rogue Nation

Année : 2012 /2015

Réalisation : Christopher McQuarrie

Avec : Tom Cruise, Rosamund Pike, Richard Jenkins / Tom Cruise, Rebecca Ferguson, Jeremy Renner

C’est sympathique de m’avoir prévenu que le scénariste de Usual Suspects faisait des films. J’avais vu Way of the Gun, il y a bien longtemps (pas bien brillant, alors que je me souviens de mon enthousiasme d’alors en allant voir le film), et laissant de côté le cinéma contemporain après ça, j’avais totalement perdu de vue le bonhomme. Je prends donc le train en marche, un peu d’indulgence.

Sa réalisation, à ce bon vieux Christopher (prénom damné à la réalisation), n’est en fait pas si différente de celle de Bryan Singer, même si l’on peut déplorer que pour les deux garçons ces formes de mise en scène très découpées aient souvent été mises au profit de franchises (les deux y sont manifestement abonnés, leur premier film laissait pourtant augurer le meilleur). Est-ce que ce rythme forcé aux effets continus, ce n’est pas mieux que la « ligne claire » encore hitchcockienne des polars des années 80-90 ?…

Bref, la franchise Mission Impossible n’a plus rien à envier à celle de James Bond. Les deux flirtent maintenant systématiquement avec le ressort narratif complotiste. À l’image de l’évolution des rapports de force géopolitique depuis la chute du bloc de l’Est. Faute de mieux ? Je n’en suis pas sûr. L’ennemi tout-puissant n’est désormais ni soviétique ni savant fou, mais des organisations de l’ombre qui tirent les ficelles et corrompent toutes les machines démocratiques du monde. Je ne suis pas sûr que ça illustre si bien la nature des conflits actuels. Et cette mise en scène de complots constants et insaisissables (ça date déjà, on en voit les prémices à la télévision avec X-files ou Lost), j’aurais même presque peur que ça ne fasse qu’alimenter un peu plus la défiance du public pour ses gouvernants. En lieu et place des grands complots mondiaux, il y a surtout des pratiques illicites de la part d’individus issus des principales richesses du monde qui visent à préserver et enrichir un peu plus leur patrimoine parfois avec la complicité passive des États (et donc des scénaristes de Hollywood). Ils font ça individuellement, à moins de considérer que les paradis fiscaux représentent une forme d’organisation mondialisée, avec le seul but de s’enrichir sur le dos de la société. Aucun réel complot, comme on peut le voir dans ces films pour lesquels l’image du méchant doit toujours prendre un visage unique et pour lesquels la structure de ces « énergies de l’ombre » est calquée sur la mafia plus que sur les lacunes des États. Et ça, c’est bien un problème de ne pas l’évoquer dans des films actuels. Non seulement on passe à côté des grandes manœuvres quasi mafieuses (le « quasi » a son importance) de notre époque, mais on nourrit et instrumentalise des imaginaires incohérents qui, in fine, profitent toujours à ces mêmes acteurs « de l’ombre », les grandes richesses, qui ne sont jamais montrées du doigt, et aux extrémismes.

Jack Reacher, Christopher McQuarrie 2012 | Paramount Pictures, Skydance MediaH2L

La défiance du peuple vis-à-vis de ses dirigeants n’a jamais été aussi grande, on élit des imbéciles d’extrême droite, et les univers mentaux illustrés dans ces films y sont sans doute en partie responsables. C’est d’autant plus ennuyeux quand un des promoteurs de ces imaginaires « alternatifs » est un acteur-producteur promoteur également de la plus grande secte du monde. Les sectes ne mettent pas en évidence l’existence de complots de l’ombre ; elles sont le symptôme des problèmes sociétaux bien réels qui pourrissent la vie de milliers de personnes, s’enrichissent sur leur dos et promeuvent elles aussi des idéologies dangereuses pour les individus et la société.

Cela étant dit, paradoxalement ou non, j’aime bien ce que fait Tom Cruise… Faut être un peu schizophrène. La plupart du temps, depuis maintenant plus de dix ans, il s’appuie sur Christopher McQuarrie. OK, Keyser Cruise… On est rarement dans le chef-d’œuvre, mais ce qu’ils proposent n’est pas mal du tout (si l’on met de côté les critiques exposées dans les deux précédents paragraphes). Oui, même dans ce domaine, il convient de séparer l’homme de l’artiste, et cela, même quand des films font, à mon avis, plus la promotion des faux complots au détriment des vrais ou des quasis (influence des ultra-riches sur les politiques du monde, expansion des extrêmes et des sectes). Mais je ne fais que prendre le train en marche, les films d’action n’ont vraisemblablement pas vocation à décrire le monde qui les entoure tel qu’il est, ni à dénoncer ses travers.

« Monsieur, votre billet n’est pas en règle. Veuillez descendre au prochain arrêt. »


 
Mission: Impossible – Rogue Nation, Christopher McQuarrie 2015 | Paramount Pictures, Skydance Media, Bad Robot

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