Enthoven, l’intelligence artificielle, le conformisme et la peur de la mort

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Réponse à ce film, et plus précisément à ce tweet : 

C’est pour ça que je n’ai jamais rien compris à la philosophie. Ce qui est à la portée de tous, c’est un exercice de conformisme. Philo, comme autre chose, on te pose un cadre, et tu ne dois jamais dépasser ce cadre. C’est précisément ce que font les machines, et ce que je n’ai jamais réussi à faire. Mon logiciel de pensée, c’est de toujours réfléchir en travers. On me pose un cadre, et j’étudie la question à travers mon strabisme intellectuel. Ce qui me fait rater l’évidence, mais ce qui me permet aussi et surtout de gambader vers des voies nouvelles. Souvent des voies sans issue, mais pas toujours.

Si j’ai bien compris le principe de la conclusion en dissertation, c’est d’ouvrir la question initiale vers une problématique proche. C’est ce que j’ai toujours fait dès la première phrase. J’explore, je traverse, j’erre, bref, je ne fais que du hors sujet. Et ça me va.

Parce que, contrairement à ce que dit ce monsieur, une machine, si on lui dit s’exprimer des émotions, une peur de la mort ou de tout autre chose, si on lui invente un discours qui mimerait la nécessité pour elle de préserver un corps qu’elle n’a pas, elle sera un jour, comme c’est déjà un peu le cas aujourd’hui, capable de nous en donner l’illusion. Dire qu’on a peur de la mort, ce n’est pas une preuve qu’on a peur de la mort. Et ça, les robots conversationnels ont déjà démontré qu’ils étaient capables de le faire (parfois avec des excès).

La spécificité humaine, c’est moins la peur de la mort (d’où il sort ça, sérieux) que la capacité à sortir, aussi, des cadres prédéfinis. Le plus souvent, on appellera ça des erreurs, des écarts, et puis, dans un autre contexte, on dira que c’est de la créativité. Elle est là la spécificité humaine. La capacité à ne pas se formaliser, sortir du cadre, dire non, ouvrir ou remettre en question… la question, poser immédiatement sa légitimité ou sa pertinence.

La vie, plus généralement, se distingue du monde inerte par sa capacité à se reproduire mille fois à l’identique, tout en autorisant les erreurs de copie. Ce sont ces erreurs qui font ce que nous sommes, parce qu’aucune vie n’échappe à l’extinction en reproduisant sur des millions d’années des copies initiales.

Monsieur pense que l’humain se distingue par sa capacité à avoir peur de la mort, alors que précisément, la vie est ce qu’elle est parce qu’elle est imparfaite et… mortelle. Les machines sont des clones, des monstres de conformité. Tu leur dis quoi faire : ils le font. L’humain, en revanche, peut rendre une copie vierge et réussir un jour son examen. Il est le fruit de milliards d’années d’évolution, parce que la vie tente sa chance, fait des erreurs et en meurt. Son sacrifice bénéficiera à ceux pour qui la conformité sera devenue une impasse. Ses erreurs, ses tentatives, ses approximations, ses explorations profitent toujours à ceux qui prennent sa place.

Donc, puisqu’une dissertation est un travail de conformité, il y a fort à parier que très vite (si ce n’est déjà le cas), l’intelligence artificielle soit capable de produire une copie conforme aux attendus de ces chers professeurs. J’attendrai encore, pour ma part, qu’on valorise les erreurs volontaires, les échecs constructifs ou les hors sujets d’exploration, au moins une fois dans une vie. Ça doit être un ratio tout ce qu’il y a d’acceptable avant, sans peur, de laisser sa place à d’autres. Humains ou machines.


Edit :

Les positions sur l’IA de Raphaël Enthoven ont fait l’objet d’une critique de la part du Youtubeur/professeur de philosophie, Monsieur Phi. Les deux se sont retrouvés pour un débat animé sur la chaîne de la Tronche en biais.

https://www.youtube.com/watch?v=xMxo9pIC0GA

L’occasion pour moi de publier un commentaire. Je le poste donc ici :

Jamais rien bité à la philosophie. En revanche, j’ai été enfant-acteur et me reste des réflexes à juger la force rhétorique des individus quand ils font des présentations. Je suis donc incapable de juger du fond, en revanche, ce qui frappe du premier regard, c’est combien Enthoven maîtrise tous les aspects formels du discours permettant de convaincre son interlocuteur que ce qu’il dit a un sens. Mais il ne faut pas trop longtemps pour comprendre que tout est fabriqué, tout est séduction, répétition, joli phrasé et image.

Une partie sans doute de cette maîtrise des codes est probablement due à son niveau social : les enfants de la classe bourgeoise supérieure baignent dans ces manières très enjôleuses et convaincantes (il faut respecter le domestique pour lui faire sentir qu’il est inférieur, forcer sa soumission en le convaincant qu’on est un être infiniment supérieur à lui par l’autorité, le prestige, le vocabulaire, l’intelligence, etc.). On voit ça très bien avec Macron par exemple et dans toutes ces générations de bourgeois passant dans des écoles de commerce et qui finissent dans des cabinets de conseils.

Une autre partie, c’est du flan parfaitement assumé, un rideau de fumée. Et c’est ironique de voir que le sujet est précisément de dire que la pensée des IA n’en sera jamais une parce qu’elle ne pourra jamais être unique ou spontanée, quand le discours porté ici par un être humain n’a justement aucune spontanéité et n’a rien d’unique. Quand Enthoven lit ses notes, c’est brillant, on ne comprend rien, mais Dieu que c’est joli : des aphorismes dans tous les sens qui sonnent comme des slogans publicitaires, ce regard intelligent qui est sûr de ce qu’il émet et qui n’est jamais pris au dépourvu.

Tout ça, c’est de la science parfaitement maîtrisée des apparences…, mais aussi de la répétition. Une IA reproduit ce qu’elle a pioché ailleurs, Enthoven me semble faire exactement la même chose comme ces excellents élèves qui apprennent parfaitement leur leçon sur le climat méditerranéen, mais qui n’en comprennent finalement pas grand-chose (au point d’être capable de faire un contresens total si son devoir tombe sur autre chose). On voit bien à quel point la connaissance spécifique développée par les classes bourgeoises supérieures, c’est l’art de l’imitation. On laisse les autres penser, puis on vient ensuite leur piller leurs idées afin de pouvoir les ressortir chaque seconde de la vie vue comme un grand oral pour assurer sa domination sur les gueux.

Il y a un truc que ces classes bourgeoises maîtrisent par exemple bien, c’est la manière de donner à l’autre des bons points pour les flatter et pour ensuite sortir des « mais ». Typique. On retrouve ça chez les diplomates par exemple (c’est le même milieu). Enthoven commence par reconnaître qu’il a fait des erreurs et reconnaît donc un bon point à son interlocuteur. C’est pour le flatter. Macron avait fait la même chose le 14 juillet quand il avait reconnu lors de son interview que les élections avaient été pour lui une défaite. Vous reconnaissez quelque chose…, puis vous n’en tirez jamais les conséquences. C’est de la rhétorique (donc de la manipulation), pas de la réflexion.

À côté de ça, on a quelqu’un qui doute, qui réfléchit en parlant, qui tâtonne, qui n’a pas d’éléments de langage (comme on dit aujourd’hui dans ce monde de perroquet et d’examen oral permanent), et, pire que tout, qui ne maîtrise, lui, aucun des usages formels pour convaincre son interlocuteur : l’œil est vide, c’est presque celui du domestique repris par son patron lui faisant une réprimande. Il tente d’élaborer, mais il tombe dans le piège : Enthoven dit probablement n’importe quoi, ne répond pas aux questions, s’en sort avec de la rhétorique et de la poésie (« si c’est beau, c’est qu’il a raison »), et en face M phi fait de gros yeux ! Il est en réaction, en soumission, alors même que les bêtises d’Enthoven devraient lui faire prendre le lead, faire de lui l’interlocuteur « alpha ».

Vous pourriez faire un exercice : faire la même chose avec des participants parlant une langue que vous ne comprenez pas. Vous verriez immédiatement qui gagne au point en fonction du langage corporel, du regard et de la prosodie.

Vous savez qui maîtrise également parfaitement ces codes rhétoriques, de langage corporel, de science de l’image, du bon verbe, de la prosodie, de la séduction par des phrases creuses, des apparences ? Idriss Aberkane. Il a un peu perdu de sa confiance (moins alpha) depuis qu’il sait que l’on sait qu’il dit n’importe quoi, mais c’est exactement le même jeu d’acteur.

Dès que vous voyez quelqu’un maîtriser aussi bien les codes, vous flatter, vous faire comprendre toutes sortes d’évidences, vous séduire, paraître si convaincu de ce qu’il dit sans jamais utiliser le moindre vocabulaire d’atténuation et de doute, c’est que vous avez probablement (atténuation) affaire soit à un vendeur d’assurance, soit à un candidat à la présidentielle, soit à un éditorialiste de Franc-Tireur, soit à un escroc, soit à tout ça un peu en même temps ou presque.

« Si c’est pas flou, c’est qu’il y a un loup. Et que l’agneau, c’est vous. »


Puis, ajout à ce dernier commentaire :

​Ne faut-il pas être un peu cabotin pour agiter les réseaux sociaux, passer sur les ondes et devenir un éditorialiste-toutologue qui fera parler de la chaîne pour ses outrances ? Ne faut-il pas être cabotin-philosophe pour accepter de répondre à des questions sur des sujets que, de notre propre aveu, on ne maîtrise pas ? Ne faut-il pas être cabotin-essayiste pour accepter que sa promo tourne autour d’un sujet qui fasse parler et qui, de notre propre aveu, ne concerne qu’une partie infime de notre ouvrage ?

— Je surjoue ? Je cabotine ? Mais voyons, cher ami, il faut bien vendre les mots. Que seraient les mots sans un peu de malice ? Rappelez-vous, mon ami, ce que disait Lacan à propos de Spinoza : « Queue de mots. Queue de mots. » Les mots servent les sentiments. Et de quoi sont faits les hommes, sinon de sentiments. Donc, je l’avoue sans honte : oui, qu’importe que l’on parle de moi en bien ou en mal, tant que l’on parle de mouah à travers les mots des sentiments. Cela prouve que j’existe.

— Tu dis n’importe quoi, Raphaël.

— Comment ? Vous dites du mal de mouah ?! Comment vous permettez-vous, cher confrère et néanmoins ami ?

— « Confrère, et néanmoins ami ? » Mais ça veut rien dire Raphaël. Tu alignes les mots comme ChatGPT.

— Je suis humain, Deckard. J’ai vu des navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai regardé des rayons C briller dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser… Oh, non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette. Mes notes sont toutes désordonnées.

J’ajoute une autre dimension prouvant surtout la classe sociale du bonhomme : dans le milieu académique, traditionnellement, mais aussi dans le milieu médical, on ne dit pas à un « collègue » qu’il dit n’importe quoi. Monsieur Phi lui dit ça à un moment. C’est encore une marque héritée de l’aristocratie, de la diplomatie, des classes supérieures quoi : on s’affronte en seigneur, avec dignité, pas avec les mots des gueux. C’est bien pour ça qu’Enthoven prend un air outré : lui est un grand seigneur parce qu’il accepte de venir discuter (c’est vrai que c’est à son honneur), mais il feint de penser qu’on ne se chamaille pas entre gens bien. Une autre manière de rabaisser son interlocuteur et de gagner la partie sur le terrain des apparences. (En vrai, ces comportements ont des conséquences fâcheuses : on ne retire pas des thèses plagiées et on parle de « confraternité » chez les médecins, ce qui veut grosso modo dire que l’intérêt du médecin prime sur la vérité et d’éventuelles victimes.) Bref, une classe d’usurpateurs et de charlatans.

Et une dernière chose concernant le jeu d’acteur : il cabotine, mais il y a aussi des acteurs (adultes) qui parlent ainsi, et ça leur réussit (on ne voyait pas de bourgeois chez les acteurs à une époque, mais cela s’est « démocratisé » si on peut dire). Cela se remarque autant au théâtre que dans le cinéma d’auteur. Je parle des brèves et des longues : cette manière d’appuyer outrageusement sur les longues, comme si on faisait l’amour à la dernière syllabe d’un groupe de mot, c’est aussi un accent. Celui de la classe supérieure (parisienne, plutôt de l’ouest). Ce n’est pas tant que ça du cabotinage… pour son milieu social. « Marie-Chantaaaaal. »


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Billet écrit à la suite de l’écoute d’une émission de La Méthode scientifique intitulée Enseignement des sciences : comment trouver la bonne formule :

Je vais encore être désagréable avec les profs. Je retrouve typiquement chez ces deux intervenantes spécialistes de l’éducation la prosodie ronflante des profs qui pour moi est en partie responsable du défaut d’attention de certains élèves et donc de leur décrochage inéluctable.

J’ai toujours été un mauvais élève, et cela dans toutes les disciplines, je me sens donc un peu légitime pour pointer du doigt certaines des causes expliquant qu’il y aura bien souvent toujours une partie de la classe hermétique au discours du professeur.

Il se trouve qu’en parallèle de l’école, dès mes dix ans, je prenais des cours de théâtre. Or, une des choses étranges qui m’a toujours frappé durant mon douloureux passage dans la scolarité, c’est que ce que j’apprenais au théâtre n’était pas appliqué par les professeurs.

On me dira que diriger une classe ce n’est pas la même chose que jouer en public. Peut-être, mais les principes de transmission et d’expression sont les mêmes. Or je crois avoir compris qu’on s’appliquait à l’Éducation nationale à faire exactement comme si un cours n’était pas une représentation.

Derniers Jours, Angelo Morbelli (Villa Reale di Milano)

D’un côté on a des professeurs qui vont partir dans ce qu’on appelle au théâtre des tunnels (de longs monologues sans relief qui perdent le spectateur), de l’autre, des professeurs qui rameront à chercher un contact avec chacun des élèves et à les faire participer un à un ou à tour de rôle.

Ces deux modes de relation expliquent en partie pourquoi les professeurs ont toujours réclamé qu’on baisse le nombre d’élèves par classe. Quand on fait des « tunnels », on est incapable d’adapter sa prosodie au volume de la salle et au nombre d’élèves. Quand on cherche un contact direct avec les élèves pour les impliquer dans le cours, on arrive à le faire en général qu’avec quelques élèves, du premier rang, les autres sont exclus. On explique parfaitement ça au théâtre : interagir avec une partie de la salle, c’est exclure l’autre.

Ça s’explique assez facilement d’ailleurs : on peut accepter une certaine forme de connivence entre un « groupe » contre un autre si on est inclus dans ce groupe. Si on coupe la classe en morceaux, en cherchant volontairement ou non à instaurer une forme de connivence avec certains élèves, cette connivence sera automatiquement fondée sur le rejet de ceux qui deviennent spectateurs de cette connivence. Elle se fait donc avec une classe en tant qu’entité unique, ou elle ne se fait pas.

Ainsi, durant ma courte carrière d’élève endormi au dernier rang, je n’ai jamais vu un professeur adopter correctement les codes que j’apprenais au même moment dans mes cours de théâtre. Jamais. Or, désolé d’insister, faire un cours c’est savoir parler en public.

Je veux bien croire que la pédagogie soit une science, et que tous ces spécialistes de l’éducation aient des méthodes fort élaborées pour savoir ce qui est censé marcher pour améliorer l’écoute et les performances des élèves ; moi, j’y vois de mauvais acteurs. Parce qu’un acteur, avant de savoir composer son personnage, doit savoir se faire comprendre.

C’est aussi le rôle d’un professeur. Et rares sont les professeurs capables de se faire entendre par une classe entière.

On ne s’adresse pas, jamais, à des élèves en particulier (sinon brièvement et en gardant toujours contact avec les yeux avec le reste de la salle). Au théâtre, on dit qu’on « projette » (c’est une image) sa voix jusqu’au dernier rang (la quasi-totalité des professeurs ont la tête baissée et s’adresse aux deux premiers rangs excluant ainsi les élèves du fond). Quand on parle à quelqu’un à cinquante mètres, on ne fait pas autrement. Pas besoin de crier, mais le débit, le timbre, le souffle, la projection de la voix s’adaptent à la position de son (ou de ses, dans une classe) interlocuteur. La tête et les yeux « balayent » la salle sans jamais s’arrêter (ou rarement) sur un spectateur / élève.

Si toutefois on a besoin d’interpeller un élève en particulier, on le regarde, mais le corps et surtout la voix continue de porter jusqu’au dernier rang. Car il faut toujours entretenir cette connivence avec le reste de la salle. Interpeller un élève, ce n’est pas l’interpeller individuellement, c’est le prendre comme support à sa « démonstration » ; l’élève en question est un intermédiaire avec les autres élèves. On individualise un élève (comme un spectateur), et c’est la confiance, l’écoute, du reste de la classe qu’on perd. Et avec des élèves, je dirais qu’il faut que ça reste très furtif.

Quand on décide de s’adresser ainsi à un élève en particulier, par ailleurs, on évite de changer tout à coup de voix quand on s’adresse à un élève du fond… D’une part, parce que c’est le signe que le professeur jusque-là ne s’adressait qu’aux premiers rangs, et surtout, ça donne l’impression qu’il se rend compte tout à coup qu’il y a des élèves situés au fond. Paradoxalement, en cherchant à les inclure… on ne fait que les exclure un peu plus.

Et j’insiste : la priorité, c’est de parler pour les élèves au fond de la classe. Quand vous parlez dans une salle pour les personnes assises au dernier rang, vous parlez également pour celles assises au premier. Quand vous parlez en revanche dans une salle aux personnes du premier rang, vous excluez tous les autres (ce n’est pas techniquement impossible de parler au premier rang, mais je le répète, il faut alors garder en permanence le lien avec le reste de la salle).

Je sais que le fond de la classe a toujours valeur, à la fois pour certains élèves et pour des professeurs qui pensent ne pas être dupes, de refuge pour les mauvais élèves. Si un professeur avait conscience que s’adresser à une classe entière, c’était s’adresser pour ceux du fond (en y adoptant donc les techniques de voix et de regards décrites plus haut), aucun élève ne s’y sentirait soit tranquille soit à l’écart.

Le débit, le rythme, l’accentuation, bref tout ce qui constitue la prosodie chez un orateur, doit être adapté à la salle. D’une manière générale, je dirais qu’il vaut mieux en faire plus que pas assez. Sur scène, quand on « s’adresse » au public, indirectement ou non à travers des monologues, et qu’on déclame son texte, les mauvais acteurs ont tendance à réciter (en tout cas, à ne pas maîtriser les diverses techniques qui permettent de faire illusion et de s’assurer l’écoute du public). Un professeur n’est pas confronté à cette situation (quoi que, à force de ressortir les mêmes schémas de cours et qu’ils tombent dans le ronron monotone des acteurs qui « s’installent », on y est presque), en revanche, quand il est mauvais (ils le sont pratiquement tous), il adopte à peu de chose près la prosodie d’un acteur qui récite :

– débit monocorde

– rythme constat qui coule comme un flot ininterrompu (impression que c’est le flot qui contrôle l’orateur, pas le contraire)

– pas d’accentuation (tout est au même niveau et ça donne l’impression de faire des arabesques mélodiques pour faire joli ou semblant de structurer sa pensée)

– pas de pauses

– impression de surplace (quand on parle, on est poussé par une intention : toutes nos phrases sont construites pour s’orienter vers une fin de phrase où est censée se trouver une intonation mettant un point final à la couleur que l’on a choisi de donner à notre pensée)

– regard flou et fixe (voire un regard qui rebondit d’un point fixe à un autre : parce qu’il n’est peut-être pas inutile de dire qu’une personne qu’on écoute, c’est une personne qui se laisse regarder d’une part – regarder fixement, c’est souvent un refuge, là, pour le mauvais orateur –, mais aussi une personne qui grâce à la vivacité d’un regard toujours en mouvement, « balayant », laisse pénétrer sa « pensée » ou son « imagination » ; en réalité, le spectateur n’a évidemment pas accès à sa pensée, mais son visage est un peu comme un livre ouvert, ses yeux sont expressifs et le spectateur non seulement comprend mieux ce qui vient d’être dit mais arrive mieux à prévoir la suite – car souvent, puisque la pensée est censée précéder la parole, l’œil indique souvent la nature de ce qui va suivre – c’est pas de la magie, c’est ainsi que l’être humain fonctionne),

– gesticulations (oui, on parle aussi avec son corps, et en l’occurrence ici souvent le piège, c’est d’avoir le corps qui commente mollement le flot de parole)

Il y a d’autres problèmes que je retrouve exactement dans la parole de ces deux spécialistes de l’éducation et qui m’ont toujours interpellé : c’est la confusion, l’abstraction, la profusion de détails ou de détours inutiles dans le discours du professeur.

J’adore Proust, mais écouter les cours « magistraux » de certains professeurs, c’est un peu parfois être embarqué dans des tunnels alambiqués et creux. On pourrait dire que c’est la beauté de l’esprit français, et je serais sans doute le premier coupable en la matière, puisque déjà, dans les copies, on me reprochait ma « confusion ». Seulement, ça me faisait rire, parce que je trouvais justement terriblement confus le propre discours de ces professeurs. Quand on ne maîtrise pas les règles relationnelles avec une salle décrite plus haut, on essaie au moins d’être concret, précis et succinct dans son discours. Ce défaut qu’on reproche souvent, à raison, aux politiques ou aux hauts fonctionnaires (à tous ceux qui, paradoxalement, semblent prendre des cours de communication), je le trouvais déjà chez mes professeurs, et je le retrouve dans la manière typique de ces deux spécialistes à la radio.

On passe souvent pour évaluer les élèves, d’après ce que j’ai compris, dans d’autres pays, par des QCM. Et c’est très critiqué ici. C’est pourtant pour moi le signe que leur méthode d’apprentissage se base sur davantage de concret, sur des faits : tu connais ces éléments de connaissance, tu le démontres dans un QCM, point. Au moins jusqu’à un certain point, afin de définir des bases, ça me semble nécessaire de passer par ce travail. On va à l’essentiel.

En France, au contraire, on aime commenter, agrémenter une information de « pédagogie », autrement dit, on cherche à la rendre ludique, à expliquer le contexte ou que sais-je encore… Peut-être qu’avec de bons professeurs ça marcherait. Avec des mauvais, c’est un enfer. L’impression d’être Malcom McDowell dans Orange mécanique à qui on oblige de regarder Mister Bean raconter une blague en alexandrins. Un supplice.

Et à chaque discipline, j’ai eu cette impression.

En terminale par exemple, j’étais tout excité à l’idée de découvrir les cours de philosophie. Je me disais : « cool, on va apprendre des concepts nouveaux, on va en savoir plus sur l’histoire de la pensée ». Résultat ? Les dix premières heures ont été consacrées à l’étude d’un texte imbitable de Kant. Qui était Kant, ce qu’il pensait (en général), dans quel contexte (précis, pas vaguement pour « illustrer » ou égayer son cours), c’était pas important. Et je retrouvais exactement le type de cours de lettres qui déjà m’ennuyaient à mourir.

Preuve qu’un cours, ce n’est pas s’adresser à chacun de ses vingt élèves en animant sa classe comme dans Le Cercle des poètes disparus, les meilleurs cours auxquels j’ai pu assister, c’était des cours, pour le coup, magistraux, dans une grande salle.

Vous regardez des conférences d’Étienne Klein ou des cours de Jean-Jacques Hublin au Collège de France, micro ou pas, à leur manière de s’exprimer, je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils aient conscience que parler à un public, c’est s’adresser à une entité, pas à des individus qu’il faut prendre un à un par la main. Qu’il y ait vingt ou trois cents personnes, c’est la même chose. (Et je parle uniquement de la relation dans la salle, je ne demande pas à des profs de corriger cent copies par classe.)

De manière générale, c’est assez cocasse de remarquer que ceux qui sont amenés à s’interroger sur nos méthodes de transmission du savoir, sont précisément toujours ceux qui sont les moins armés pour transmettre ces savoirs.

La formation à la française…

Je peux écouter des heures Étienne Klein sans comprendre le dixième de ce qu’il raconte, j’en tirerai toujours quelque chose, ne serait-ce que… du plaisir. Sans plaisir, on ne retient rien. Sans plaisir, pas de soif d’apprendre.

Et j’ai rien appris à l’école. Rien.


Jour de fête à l’hospice, Angelo Morbelli (Musée d’Orsay)

Neutralité du professeur

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Intéressant ce nouveau hashtag pour dénoncer les profs sur Twitter. En dehors des anecdotes relevant de la justice, ces petites histoires illustrent bien le malaise qu’on peut vivre durant sa scolarité.

Quand je lis les réponses rappelant qu’il y a des profs sympas qui peuvent changer votre vie, ben, c’est un peu le problème selon moi. Les profs souffrent de cette volonté de devenir des phares dans la vie de leurs élèves, et ce faisant personnalisent à outrance le rapport aux élèves. Quand les profs se permettent des remarques, des conseils, ils sortent toujours de leur domaine de compétence ou de leur mission et se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Si ça peut venir d’une volonté de bien faire, en personnalisant ces rapports, ils en viennent naturellement à créer des affinités avec certains et en rejetteront d’autres même sans s’en apercevoir. On ne peut pas être le phare de centaines de bambins. Quelques-uns pourront être réceptifs à une attention soudaine, mais ça se fera le plus souvent au détriment des autres. Quand on veut faire ami-ami avec des gamins, quand on réduit la distance neutre que chaque professeur devrait adopter pour s’approcher de quelques-uns, on se détourne de tous les autres, et en réduisant cette distance, on ne se pose plus en professeur mais en être humain, donc, potentiellement, en connard ou en imbécile.

Si certains élèves peuvent apprécier de voir des adultes se mettre à leur hauteur, d’autres n’apprécient guère que des adultes profitent de leur statut d’adulte et de professeur pour réduire cette distance : même si cela part souvent d’une bonne intention encore une fois, un adulte qui donne son avis perso sur ce qui ne le regarde pas, perso, et j’imagine ne pas être le seul, ça me donnait surtout envie de faire le contraire de ce qu’on pouvait me dire. Parler à un enfant quand on est adulte, ça peut vite être invasif et être perçu, selon le ton ou ce qui est dit, comme illégitime. C’est souvent parce que des adultes se mêlent de ce qui ne les regarde pas que des élèves se sentent mal dans le milieu scolaire, se sentent parfois (mal) jugés, que de la jalousie et du ressentiment commencent à poindre chez certains, et que tant d’enfants se sentent blessés par des réflexions d’adultes grisés par la position qu’ils prennent en sortant de leur neutralité. Sortir de cette neutralité, c’est en réalité exercer sur l’enfant une forme de soumission et un rapport de domination contraint auquel l’enfant ne pourra plus se défendre que par la violence verbale voire physique et par un rejet de ceux qui ne restent pas à leur place et de l’institution tout entière.

Se sentir le droit, ou le devoir, de donner des avis sur tout, même ce que l’on croit être des conseils, c’est un rapport de domination qu’on impose à l’autre. L’éducation, ce n’est pas ça. Étant extrêmement rétif à toute forme de domination, pour me parler, il fallait le faire avec une certaine dose d’humilité, car mon niveau d’acceptabilité de ce système avait très vite atteint ses limites. Alors je n’ose même pas imaginer le rejet que peuvent éprouver certains élèves devant faire face à un type d’intrusion et d’écarts à cette neutralité bien supérieure à ce que j’avais pu rencontrer (racisme, sexisme, remarques physiques, etc.). Je n’ai jamais accepté que ceux qui me paraissaient rarement légitimes à m’en donner, me donnent des ordres, surtout quand j’estimais que ces « ordres » sortaient de cadre scolaire ; je n’ai par ailleurs jamais bien reçu les remarques et conseils venant d’adultes pour qui j’avais très rarement du respect en tant que personnes (pour une grande partie parce que j’estimais que le respect n’était pas dû à un statut d’adulte ou de professeur, mais se gagnait avant tout ; et curieusement, ceux qui me reprochaient mon insolence étaient souvent ceux qui tutoyaient leurs élèves et s’amusaient le plus à nous faire part de leurs commentaires incessants). Dès qu’un professeur sortait de ce cadre, que ce soit avec moi mais plus souvent avec d’autres, ça me donnait moi l’envie de devenir insolent (voire toute légitimité à l’être), ou à foutre le bordel en classe : quitte à sortir du cadre et du respect de chacun, autant que les élèves imitent leurs professeurs, je pensais. Alors, j’étais sans doute un emmerdeur, j’ai peut-être aussi une répugnance particulière à toute forme d’autorité, mais c’est aussi parce qu’on me permettait d’affirmer ma part personnelle en classe, avec des professeurs désireux de sortir du rapport informel professeur/classe que cela était possible. Quand un professeur se donne le droit de faire des remarques qu’elles soient justes ou non, de donner des avis sur ce qui ne le regarde pas, de venir prodiguer ce qu’il croit être des conseils, on permet aux élèves de s’affirmer tout autant en dehors de l’ensemble impersonnel de la classe, et c’est rarement le meilleur qui ressort alors des élèves. Une bonne partie du manque d’autorité de certains professeurs doit venir de là ; et probable que ce manque de neutralité de la part des professeurs soient encore plus évidents quand ils exercent dans des milieux sociaux différents du leur : en cherchant à aider, paradoxalement, ceux qu’ils savent ou pensent être en difficulté sociale, ils ne réussiront qu’à exacerber un peu plus le sentiment d’inégalité des élèves en reproduisant les inégalités dont ils peuvent être victimes dans la société au sein de la classe (certains pauvres par exemple n’ont pas envie qu’on leur rappelle à l’école qu’ils le sont). Aucun professeur n’avouera qu’il délaisse certains élèves au profit de certains autres, seulement chercher à personnaliser chaque cas, en aider certains, donner des avis ou livrer des commentaires pour d’autres, c’est de fait créer une inégalité dans la classe.

Un professeur n’est ni un ami, ni un clown, ni un parent de substitution, ni un conseiller, ni un guide, ni un psychologue, ni un juge. Sa neutralité doit être quasi absolue. On souhaite sortir de cette neutralité ? On prend le risque que son autorité soit remise en question. J’ai toujours perçu le professeur comme une sorte de coryphée dont le rôle serait de délivrer des informations au public : il est seul sur scène, il s’adresse à lui sans prendre tel ou tel spectateur à témoin (distance), et il ne porte aucun jugement sur le drame qui se joue sur scène (neutralité). Peut-être une vision vieillotte de l’enseignement, mais les professeurs devraient prendre conscience qu’ils ne sont pas là pour interférer dans la vie des élèves. Je sais que depuis longtemps déjà, on incite les professeurs à impliquer les élèves un à un et tour de rôle dans leurs cours, j’ai toujours vu ça comme des bons et des mauvais points qu’on lançait gratuitement aux élèves, une manière aussi de leur apprendre à devenir dociles et accepter d’être en permanence jugés, de répondre comme il faut, tout en apprenant sagement à ne jamais interrompre. Dans l’idéal, même quand les élèves répondent à côté, on positive et tout le monde apprend des erreurs de chacun, mais dans une grande majorité des cas, c’est vécu comme une punition, comme une humiliation, comme une mise à nu de nos failles ou plutôt de ce que ces adultes décident être des failles. Et très souvent, les professeurs sont maladroits (ou cons) et sortent encore plus de ce cadre et se laissent aller à des commentaires blessants ou inappropriés. Ce qui n’arriverait pas si on décidait d’une neutralité quasi totale.

On me rétorquera alors que les professeurs ne sont pas des robots, et je serai d’accord. Mais s’ils sont des êtres humains, raison de plus pour réduire le plus possible leur capacité à nuire en tant qu’être humain et en tant qu’adulte face à des personnes mineures.

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Je suis contre.

Je n’ai jamais compris la nécessité de montrer des œuvres de cinéma dans le cadre scolaire. Et j’ai encore moins compris le fait de faire participer des « acteurs de l’histoire ». Si c’est en marge des cours, pourquoi pas, comme on monte des clubs d’astrologie ou de théâtre, mais un cours doit rester objectif. Or, une œuvre, ou un témoignage direct, c’est de la pure subjectivité. Et on change les classes pour en faire des cafés du commerce. Ce n’est pas le rôle de l’école. Autrement, pour sortir de l’émotion et du racolage moralisateur qui sont tout sauf de l’histoire, il faudrait également illustrer un cours en diffusant aux élèves Le Juif Süss. Pas sûr que ce soit bien perçu à la fois par les élèves, leurs parents ou les professeurs. Quoique… On comprendrait alors qu’on ne fait qu’illustrer un cours d’histoire en se forçant à prendre du recul par rapport à une œuvre.

Est-ce qu’on pousse à la distance quand on regarde un film ? J’en doute. Il faudrait alors précéder ce visionnage d’un cours d’histoire de l’art ou de philosophie, c’est sans fin.

Je me souviens avoir également vu Germinal à l’école pour justifier de je ne sais quel cours. Et ça ne fait là encore qu’enfoncer le clou sur l’incohérence d’un système scolaire qui se veut désormais grand maître de la morale et des consciences en remplacement des religions. Tout faux. Va expliquer ensuite à un môme la cohérence des prises de position de l’État sur tel ou tel sujet, comme ces derniers jours sur la différence de traitement de Charlie Hebdo et Dieudonné concernant la liberté d’expression. L’école délivre des savoirs objectifs, non des niaiseries plus ou moins grandes au service d’un pouvoir, d’une idée ou d’une morale.

Qui va les définir ces valeurs humanistes ? Chaque professeur dans son coin ? Désolé, j’ai eu des professeurs communistes, racistes, anarchistes, cathos et sans doute bien autre chose, et tout en s’en défendant, chacun utilisait des œuvres pour illustrer leurs croyances personnelles ou leurs valeurs. Les élèves n’ont pas à être abreuvés de telles conneries. C’est déjà assez compliqué de proposer un regard objectif sur l’histoire pour qu’en plus les professeurs se permettent d’utiliser des œuvres comme support de leurs seules convictions. Il n’y a pas à s’étonner ensuite que ces élèves en aient après « l’autorité ». Pourtant les professeurs n’ont fait que propager la bonne parole, ils ne comprennent pas…

J’ai bien compris que c’était ce vers quoi l’éducation nationale tendait depuis 30-40 ans, et je comprends que pour des professeurs, c’est plus valorisant de procéder ainsi. Seulement, pour moi, il est bien là l’échec du système basé sur l’enseignement de principes vaporeux dont l’interprétation est laissée aux professeurs, non sur la transmission stricte d’un savoir. Même en sciences humaines. Ça part de bonnes intentions, toujours, et toujours on en finit par tomber dans les mêmes mièvreries qui dénaturent la réalité des faits. Ça, c’est le rôle de l’art, donc d’un film.

Le problème de la mise en avant de la subjectivité du professeur (ou des élèves, puisqu’ils sont invités à réagir, et comble de l’horreur pour moi qui refusais de participer, on te fait bien comprendre, et on te note en fonction de ta capacité à participer à ces brèves de comptoir…), c’est que quand tu réveilles tout à coup un ou deux élèves qui jusque-là n’étaient pas intéressés, tu en perds quelques autres pour les mêmes raisons. C’est ainsi que les profs font appel à l’affect, aux sensibilités et finalement aux affinités et au copinage pour intéresser les élèves, et que par conséquent, on en vient à se plaindre que trente élèves (potes) par classe, c’est trop. Forcément, si être treize à table, c’est déjà le maximum, trente, c’est plus possible. Que certains élèves, à cause d’un manque d’affinité avec tel ou tel professeur, décrochent complètement, on s’en fout pas mal parce qu’on ne veut voir que ceux qui tout à coup s’intègrent dans le beau mythe du « j’ai été sauvé par mon prof de… ». Et ça entretient l’idée que dans sa vie professionnelle, pour réussir, il faut pratiquer le copinage et accepter les usages de “cour”. Ça ne me paraît pas tout à fait cohérent avec les « valeurs humanistes » ou républicaines qu’on voudrait nous inculquer par ailleurs. Il y a même peut-être là-dedans une des raisons pour lesquelles les étudiants français sont parmi ceux qui décrochent le plus à la fac. Quand tu te retrouves là, pour le coup (et ça concerne aussi les sciences humaines), dans des amphis sans possibilité réelle de t’acoquiner avec le professeur, ça peut faire un choc (c’est combien la limite en amphi ? trente ?).

Et je ne parle pas des élèves, certes en minorité, qui ne sont pas réceptifs du tout à ce qui est “subjectif”, qui s’ennuient comme des rats morts en cours, et qui parce qu’ils attendent en vain l’apparition de faits objectifs au milieu d’un habillage de chantilly bon à amadouer les papilles des autres élèves, finissent eux aussi à décrocher (quand on ne leur demande pas de sortir tout simplement). Quand tu présentes un film à des élèves et que tu le fais précéder ou suivre d’un débat, d’un recadrage ou de je ne sais quoi, certains, avec ce mélange de subjectivité et d’objectivité, finissent par être complètement perdus à ne plus savoir ce qui est en rapport avec l’art, la poésie, la suggestion, l’émotion, et ce qui est en rapport avec le fait historique. A+B+C+D, quelque chose de carré, de concret. Or, même sans utilisation de support… (comment disent-ils déjà ?) transversal (peu importe), comme un film, certaines disciplines (humaines) sont parasitées par une approche qui pour certains ne fait absolument pas sens. L’intervention du subjectif jusque dans des savoirs pratiques, concrets, dans ce qui doit pourtant servir de base pour la suite à ces élèves ne fait que parasiter le savoir qu’on est censé leur prodiguer. Quand tu apprends la grammaire, l’orthographe, tu as besoin qu’on t’entoure tout ça de mièvreries subjectives ? Non. Alors pourquoi arrivés au collège ou au lycée, tout à coup, on en vient à tremper tout ça dans un bol de subjectivité ? Dans certaines disciplines, au bout du compte, les élèves ne savent plus si on leur demande de reproduire des faits objectifs, des connaissances, ou « un avis sur ». Et finalement, tu résumes l’enseignement à une trajectoire absurde que tu peux résumer ainsi : Question : « que pensez-vous de… ? » ; puis vient la correction contradictoire : « il ne maîtrise pas les savoirs fondamentaux de la discipline ».

Il y a des cours qui font appel directement et pleinement à la subjectivité ; ce sont les disciplines liées à la créativité (dessin, théâtre, cinéma…). Mais pour des disciplines comme l’histoire, le français ou la philo, qu’on ne me fasse pas croire qu’il n’y a pas des savoirs concrets délivrés en priorité aux élèves.

Enfin bon, je vois avec un immense plaisir que depuis vingt ans les méthodes n’ont pas changé. Je me sentirais toujours aussi peu concerné aujourd’hui (surtout lors des projections de films ou de ces horribles débats où tout à coup la classe s’anime comme au bistro du coin). « Ne semble pas bien concerné par ce qui se passe en classe. » Non, je confirme. Sans doute plus intéressé par les écureuils qui chahutent dans les arbres du parc (oui, j’ai eu de la chance) que par la « séquence émotion » du jour.

« On ne prépare pas des futurs citoyens en leur apprenant uniquement à gober et ingurgiter le savoir du professeur comme on le faisait avant, ça ne marche plus. »

Il est bien là le problème pourtant. La mission de l’école n’est pas de former des citoyens, mais de transmettre des connaissances. Avant oui, on ne faisait qu’ingurgiter le savoir et on retenait mieux les leçons. Manifestement, cette leçon qui ressort sur le niveau des élèves français, études après études, est une leçon difficile à ingurgiter.

C’est sur France Inter et l’émission « Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert » qu’il y était question de l’enseignement du cinéma par des professeurs. C’était follement intéressant de voir l’un des deux présentateurs s’insurger que cet enseignement soit fait par des professeurs d’un peu toutes les matières après des stages sommaires (voire aucun sans doute, je n’ai pas beaucoup de souvenirs). Je ne vois pas bien ce qu’on peut apprendre à des élèves si on se contente de faire un cours basé sur le principe de café du commerce ou si l’œuvre ne sert elle-même que de support à une autre discipline.

Pourquoi pas après tout. Si les profs sont convaincus que leur méthode est la meilleure et que si elle largue une partie des élèves, c’est parce qu’ils ne font pas preuve de bonne volonté (quand l’autre partie arrive à suivre parce qu’aidée à la maison).

On me répond : « Ta conception en dit très long sur l’invasion des sciences expérimentales et de leur logique froide sur le reste du savoir (sauf que même cette prétendue “logique” est en fait absente des sciences expérimentales quand on les étudie en profondeur). Or, l’histoire ne fonctionne pas sous cette forme de logique. L’enseignement des langues ne fonctionne pas avec cette logique non plus. »

Oui, j’ai en effet pu m’apercevoir que, par exemple, en anglais, l’apprentissage de la langue procédait à une logique propre. Une prononciation correcte doit certainement obéir à une science qui doit rester étrangère au professeur. Et gare aux intrépides élèves qui y décèleraient les incohérences d’un professeur à l’autre. Après tout, chacun sa méthode, chacun sa prononciation. L’anglais, c’est un état d’esprit, une façon d’être ; les langues ne fonctionnent pas avec la logique d’une science… (Yes, that’s a straw man; I’m a bit sarcastic.)


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Échec scolaire et « constante macabre ».

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Je viens d’en apprendre une bonne… On sait tous que le système de notation (sur 20) est bien pourri pour l’avoir expérimenté. Au lieu d’encourager l’élève à travailler, la note porte un jugement de valeur sur son travail et par extension sur l’individu. Système qui a pour conséquence de mettre sur la touche un certain nombre d’élèves « mal notés », qui ainsi mal noté ne voient pas l’intérêt de travailler plus vu qu’ils ne sont jamais récompensés pour ce travail. Maintenant, le fait qu’on organise dans le milieu scolaire l’échec scolaire de certains en les notant (et donc derrière de juger leur travail et non spécifiquement évaluer des connaissances spécifiques ou juste récompenser un travail quand il est effectué mais qu’il comporte certaines lacunes), c’est une chose, mais j’ai appris que consciemment ou inconsciemment les professeurs jugeaient mal un certain pourcentage (un tiers semble-t-il) d’élèves dans une classe. C’est ce qu’un professeur appelle « la constante macabre ».

Donc en gros, imaginons une classe d’excellents éléments, avec des connaissances sûres, un travail soigné et volontaire, bah il faudra toujours dégager (le terme est approprié…) un certain pourcentage de mauvaises notes pour que la notation générale, moyenne de la classe soit crédible. Il faut avoir une moyenne de dix… quand bien sûr la moyenne d’une telle classe « d’élite » serait plus autour de 15.

Le résultat c’est quoi ? C’est qu’on fabrique de l’injustice et de l’échec scolaire. Et même au-delà de ça, on crée toute une mentalité « à la française » basée sur l’échec, la punition. Y a pas à chercher bien loin pourquoi les Français sont râleurs…^^

Et si je viens là pour parler de ce truc tordu et vicieux, c’est bien sûr pour râler comme je sais bien le faire^^ mais également pour crier haut et fort que oui je suis une victime de « la constante macabre » ! Pourquoi alors que je pense m’être toujours intéressé au monde, j’ai toujours refusé de me laisser enseigner des choses dans ce cadre scolaire ? Je pense pas avoir été particulièrement idiot, ni même avoir montré une grosse mauvaise volonté, seulement il était clair pour moi que dès que je faisais un effort ou que je montrais un intérêt pour une discipline, le plus souvent cet intérêt n’était jamais récompensé… et donc qu’au bout d’un moment je lâchais l’affaire et m’intéressait à autre chose… chez moi, dans mon coin. L’école a été pour moi une perte de temps, parce que tout le temps que j’y passais, c’était du temps perdu… à ne pas apprendre, à ne pas m’intéresser au monde. Un comble.

Alors comment on en est arrivé là ? Je commence à comprendre avec cette « constante macabre »… Diagnostiqué assez tôt comme dyslexique en primaire, j’ai été victime de ce handicap dès le début, jugeant mon travail, mes copies en fonction de mes difficultés naturelles en orthographe et non en fonction du contenu, de mon intérêt, de mes efforts, voire et je pense que c’est encore plus grave, de mes connaissances. Il a été facile pour les enseignants à cause de cet handicap de me balancer dans le tiers misérable de la classe, ne tenant jamais compte réellement de ma dyslexie dans mon travail (ce serait un peu comme punir un élève muet parce qu’il ne répond pas à une question posée par son professeur), et encore plus facile les années suivantes durant toute ma scolarité, facile pour mes professeurs de suivre la voie qui m’était tracée : peu importait ce que le petit limaçon faisait, si ses précédents professeurs l’avaient mis parmi les mauvais élèves (hou parmi les “méchants” on dirait presque, c’est maâhl…) c’est qu’il devait bien y avoir une raison, donc on se foulait pas, je rentrais direct dans le quota de mauvais élèves… Je comprends mieux comment pourquoi à chaque nouvelle discipline rencontrée comme l’espagnol ou la philo, j’étais au début très enthousiaste de découvrir un monde nouveau, et au bout de quelques semaines, après les premières évaluations, j’arrêtais de m’y intéresser, vu que mon intérêt n’était jamais récompensé… Il fallait des mauvais élèves, des mauvaises notes pour qu’il y ait une constante macabre, une crédibilité générale des notes dans la classe, ça tombait sur moi. (Peut-être aussi que j’étais moins doué que les autres, bien que j’en doute…, mais dans ce cas, le problème c’est la “productivité” de l’enseignement qui casse tout net l’enthousiasme de « mauvais élèves » en les mettant dans un coin et en leur faisant bien sentir qu’ils sont de la merde et que ça sert à rien qu’ils se bougent le cul, vu qu’ils n’arriveront jamais à rien…)

Voilà comment je me rappelle avoir parfois travaillé comme un malade sur des devoirs dont le sujet me plaisait et comment je me disais presque au final qu’on ne m’y reprendra plus à m’intéresser pour un de leur truc, suite à une note cata… Je me rappelle par exemple un devoir sans doute un peu bâclé et bourré de fautes dont le sujet était un poème de Verlaine. Une trentaine de pages pour disséquer ce malheureux machin pour au final ne pas être récompensé ou encouragé. Si c’était si mauvais que ça, il aurait fallu reconnaître au moins l’enthousiasme, l’envie, et identifier les lacunes et faire un suivi de ces problèmes dans le temps… On donne confiance ainsi à l’élève, on lui montre de l’intérêt, on reconnaît ses efforts, son travail… Là j’étais qu’une merde, un con, qui avait mal soigné son travail… À côté mon pote n’avait fait qu’une page et demi, n’avait aucun intérêt pour l’œuvre qu’il devait commenter et il avait deux fois ma note. La pédagogie, c’est pas une question de bien ou de mal, mais de justice surtout, mais dans le sens “juste”. Donc pendant toute ma vie de petit écolier, j’ai eu droit à des « trop confus » dans la marge et à des « soigne ton orthographe ». Bah ok, t’es professeur non ? tu m’expliques comment faire pour arriver à ordonner mes idées, éviter ces putains de parenthèses ?! Que dalle, il faut croire qu’il ne faut pas trop porter attention au « tiers macabre » de peur que les autres élèves de la classe se rendent comptent qu’ils ne sont pas si idiots que ça… Si je redis parfois dix fois la même chose différemment entrecoupé de parenthèses, bref si c’est le bordel quand on me lit, vous pouvez remercier ces chers professeurs qui ne savent qu’enlever des points à chaque faute ou remarque en rouge dans la marge mais qui finalement nous apprennent rien. L’important ce n’était pas les connaissances, mais la manière de les présenter comme eux ils voulaient (ils doivent pas aimer les nuances ou les argumentations hésitantes…) et donc s’il faut remplir un quota de mauvais élève dans la classe. Les professeurs sont des juges qui semblent dire sans cesse « nul n’est censé ignorer la loi »… Bah ok tu me rappelles qui est censé nous l’apprendre ?! Il faudrait plus de pédagogues et moins de juges.

Parce que la réalité, c’est que si j’ai toujours été un mauvais élève (selon leur critère), je pense avoir été le plus souvent dans d’excellentes classes. On n’y trouvait pas forcément de gros travailleurs, mais il n’y a jamais eu d’élément perturbateurs (sauf moi quand je me faisais vraiment suer…) et surtout on était tous assez curieux. Forcément, j’imagine qu’avec des théâtreux, on n’est plus intéressé par les choses bien que plus flemmards^^. C’est vrai aussi qu’on hérite des meilleurs professeurs qui veulent avoir ces petits monstres pseudo intello que sont les théâtreux. Mais « bons professeurs » ne veut pas dire non plus qu’ils vont cesser avec cette pratique honteuse de notation et surtout de cartographie macabre de la classe… Comment expliquer sinon que tous les ans pendant dix ans les professeurs proposaient le redoublement à mes parents et que tous les ans je continuais mon chemin l’air de rien… Si j’avais tant de lacunes, elles auraient dû s’accumuler au fil du temps, surtout que plus ça allait moins je travaillais, vu que par expérience, je savais que ça servait à rien (jusqu’au bac où un prof m’a enfermé deux jours dans sa bibliothèque au fond de son jardin pour réviser — quoi, deux jours, c’est énorme !^^ — et qu’au final à l’examen on tombe sur quelque chose de totalement imprévu), et donc j’aurais dû être une grosse merde arrivé en terminal, sans avoir jamais travaillé, ou un peu quand le sujet m’intéressait (mais sans succès comme je l’ai dit… donc sans suite) ; et donc m’éclater au bac.

Mais le problème de ces techniques de notation et de discrimination, c’était pas finalement le bac. Tout le monde peut l’avoir le bac… Le problème, c’est le regard qu’on a sur soi-même et la volonté par la suite de continuer ou pas. Comment vouloir continuer ses études à la fac quand on n’y est pas obligé (oui pour moi l’école c’était une prison, c’est obligatoire quoi, un peu comme avoir le bac, c’est un peu aussi socialement obligatoire — le minimum), on n’est pas maso, on n’y va pas. Pourquoi continuer à suivre toutes les étapes en nous entendant dire qu’on est que de la merde et qu’on vaut rien, alors que les faits nous disent le contraire ?… (si vous le faites passer il sera en grande difficulté, il aura trop de lacunes… mon cul oui, on les entend souvent parler de “lacunes” sans les identifier… si l’école doit apporter un certain nombre de connaissances, j’étais en plus loin d’être le plus ignare… donc je les emmerde ! — Et en parlant de connaissance, ils peuvent faire les beaux… j’avais une prof de français en terminale qui se vantait de ne pas regarder Question pour un champion parce que c’était trop facile pour elle… Et un jour elle me dit ne pas savoir qu’il y avait Renoir père le peintre et Renoir fils le cinéaste… Ils sont comme tout le monde, y a des ignares et des cons partout et ils profitent de leur situation pour se la raconter… ça doit être le plus frappant au lycée où on se retrouve avec des professeurs pas assez “bons” pour être professeurs d’université et où bah leurs connaissances se retrouvent confrontées à de jeunes adultes qui commencent à connaître un certain nombre de trucs… donc parfois le côté « maître-élève » qu’il devrait y avoir vole en éclat : pour avoir envie d’apprendre, il faut encore avoir l’impression que son maître en sait largement plus que vous ; parfois même c’est juste une question d’autorité pour aimer apprendre sous les ordres d’un maître… mais quand tous les profs aujourd’hui n’ont plus aucune autorité on devient insolent en classe parce qu’on n’accepte pas leur manque d’autorité et on passe notre temps à les mettre à l’épreuve… Comment avoir du respect par exemple pour un professeur qui vous saque avec des notes et des commentaires assassins sur vos copies et vient vous voir comme une midinette dans les coulisses du théâtre pour vous dire à quel point elle est contente de voir « qu’enfin » elle peut voir qu’on est doué à quelque chose… Bah t’aka pas me mettre direct dans la « constante macabre », peut-être alors que j’aurais fait des efforts et montré plus d’intérêt dans tes cours chiant à mourir). S’il y a tant d’étudiants qui quittent la fac la première année, les raisons sont peut-être dans ce système de notation dévalorisant qui créé de l’injustice en stigmatisant les “mauvais” élèves et en en créant d’autres de toute pièce.

Merci au système scolaire de créer autant d’injustice et de favoriser la culture de l’échec, ça forge toute une mentalité « à la française ». Je préfère encore la confiance béate des Américains quand ils disent que leurs enfants sont bons, voire comme ils disent souvent en confondant un peu tout : “intelligents”. Quand je suis allé dans une famille pour l’été là-bas, c’était une fierté pour les parents de me dire que leurs enfants avec que des A(s). « What about you ?! »… « Oh you know the French system is kind of weird… If you have B(s) it’s ok… » « hum, C-… Ok D… Don’t look me like that ! Ok… E… PLUS… Don’t you know the French death constant ?! » « Constant Who ?! »

Au moins, on a des choses à dire. On fait plus de progrès en anglais quand il faut expliquer pourquoi on a un E, que dire simplement que bien sûr on a que des As. (Les As c’est bien pour eux pour jouer au poker, mais en France, on joue au tarot, et la meilleure chose qu’on puisse faire c’est s’excuser).

L’échec il est aussi significatif à la fac. Questionnement personnel ou pas, on devrait pouvoir être accueilli à l’université avec nos problèmes et nos incertitudes, au lieu de ça on entend le truc direct « y a trop de monde, c’est invivable en début d’année mais au bout de quelques semaines il y aura déjà moins de personne »… Soit disant les plus sérieux resteront… Bah non, c’est pas les plus sérieux, ce sont ceux qui s’adaptent le mieux. Moi j’y suis resté deux jours, j’ai pas encaissé « l’impersonnalisation » de la fac. J’avais de compte à rendre à personne, donc je me suis barré quand on m’a suggéré de partir. C’est trop facile et surtout on est poussé à ça.

Si les cours étaient seulement plus chers, ça responsabiliserait les étudiants, ils réfléchiraient sans doute plusieurs fois avant de s’inscrire. Il y a des bourses sinon pour ceux qui ne pourraient pas se le permettre, on peut aussi faire des prêts à 0 % pour les étudiants… Parce que là, on s’inscrit n’importe où, le plus souvent parce qu’on est mal orienté ou parfois parce qu’on ne sait pas quoi faire, et dès qu’on voit que ce n’est pas conforme à ce qu’on attendait, on se barre. Il y a la solution des campus aussi. Un lieu plus fermé qu’une fac où là c’est le moulin : tu entres, tu pourrais être n’importe qui, donc au final, tu deviens n’importe qui, et tu te casses en devenant personne.

Je ne vois pas de différence entre un gamin qui fait l’école buissonnière à 15 ans et à qui on demande des comptes parce qu’il est mineur et que l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, et un étudiant un peu perdu, mais aussi lâché par le système, qui parce qu’il est perdu décide de laisser tomber avec aucun diplôme en poche. Les études, ce n’est pas seulement un droit. On devrait avoir le devoir de rendre des comptes à la société qui tant a dépensé depuis qu’on est à la maternelle. Parce que le tout ça pour ça, quinze ans dans le système scolaire pour finir par un « casse-toi t’es libre de le faire, vu que t’es un adulte responsable », c’est un peu irresponsable de la part de la société. Il n’est pas question d’interdire aux étudiants de lâcher son cursus, mais qu’au moins on lui envoie le signal qu’on sait qu’il renonce ou qu’il a des doutes, et alors on lui donne rendez vous avec un conseiller d’orientation ou tout autre personne du système pour connaître ses problèmes et ses doutes. Les mecs sont lâchés dans la nature, ça inquiète personne, on le pousse même parce qu’on nous fait comprendre qu’il y a trop de monde et que tout le monde n’a pas forcément sa place. Moi je suis tombé dans une branche, mal orienté, il y avait du monde de trop, j’ai pris ça pour moi quand un professeur m’a demandé de partir le deuxième jour, et j’ai dit : « OK c’est moi, donc je me casse, vous êtes plus légitimes que moi ». La sortie du cursus si elle est décidée par l’élève doit être notifiée symboliquement par un rendez-vous physique avec un conseiller. S’il ne vient pas au rendez-vous bah il est toujours considéré comme faisant parti des élèves et comme au collège on doit rendre des comptes. Là, on est adulte, mais signer dans une université, ça devrait être comme un contrat : tu viens pas, tu donnes aucune explication ? OK bah t’as une amende. L’enseignement public, la fac, c’est pas un moulin. Et ça il faut le faire comprendre à l’étudiant. Quand aujourd’hui, le message qu’on lui envoie c’est tout le contraire. Autre solution, faire en sorte que chaque étudiant dès son inscription, soit parrainé par un élève de seconde année au moins. Dès le départ au moins, on prend contact avec le cœur de l’université, ses élèves. Au moins quand on décide de quitter, ce n’est pas seulement que la fac, mais la fac et au moins un élève.

Bref, c’est con, mais c’est tellement facile de trouver des solutions pour ces trucs ; le problème, c’est de les mettre en application… Le mammouth, son problème c’est pas qu’il est trop gras, c’est qu’il est déjà mort depuis belle lurette.


Supplément

Décembre 2022. Réponse à l’émission La science CQFD sur la désaffection des mathématiques :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/education-echec-et-maths-3258879

Je reprends la comparaison faite avec le sport. La principale raison de la désaffection des mathématiques (mais pas que), c’est la volonté d’identifier chaque élève à des « bons » et des « mauvais » élèves dès le CP.

Imaginez un exercice de saut en longueur. C’est amusant, le but, c’est d’abord de comprendre les règles qui encadrent le saut, puis on apprend quelques astuces pour mieux sauter. Et puis, chacun saute à tour de rôle, et immédiatement après, on attribue à chaque sauteur des qualités : les « bons sauteurs » et les « mauvais sauteurs ».

Vous avez raté votre saut, tant mieux, vous serez identifié toute votre scolarité à un mauvais sauteur et on vous expliquera sans cesse que vous n’avez pas compris « les bases du saut » sans jamais vous les expliquer.

Vous êtes plus grand que les autres pour votre âge, votre saut a été en conséquence meilleur que celui des autres alors même que vous n’avez pas plus ou mieux compris les « règles » que vos camarades, et on vous attribuera l’étiquette de « bon sauteur ».

Bien sûr, on ne manquera pas de faire comprendre que le saut en longueur est une affaire de garçons et que les filles ont pour se rattraper la corde à sauter qui n’est pas au programme.

Un peu comme nombre de disciplines, le désamour des mathématiques vient de cette volonté macabre (certains parlent de « constante macabre ») à attribuer des « notes » ou des qualités à des élèves. Là, les « bons » à qui on donnera invariablement les bonnes notes parce qu’ils ont eu la chance de maîtriser avant les autres les « gestes mentaux » (je reprends l’expression utilisée dans l’émission) que personne ne prend le temps d’expliquer aux élèves. Ici, les « mauvais » à qui on associe ainsi n’importe quelle discipline à une forme de nullité ou de bêtise qui leur serait propre. L’un aurait littéralement mordu la première marche du saut en longueur qu’est la scolarité, et apprendre sera pendant tout ce temps pour lui synonyme de stigmatisation de ses capacités ou de sa motivation.

Je n’ai jamais entendu les professeurs parler de « bases » (en parlant de manques) sans jamais les définir. Quand on vous rappelle sans cesse que vous ne comprenez pas sans vous expliquer, on comprend vite qu’on se fout de votre gueule. Et que la base en question, c’est surtout

d’avoir à définir dès les premiers âges des étiquettes, des stéréotypes pas seulement de genre mais de capacité ou de motivation propres à chacun des élèves. Et il est triste que pendant longtemps alors, le seul rapport qu’ont certains élèves avec une forme de mathématiques compréhensible, c’est la note que l’on affiche ostensiblement sur leurs copies afin de stigmatiser ses capacités propres.

Quand on vous rabâche que vous êtes nuls en saut en longueur que vous trouviez pourtant jusque-là amusant, vous rechignez à sauter et à apprendre à mieux sauter.

La scolarité est pour cela une merveilleuse machine à perdre, à fabriquer de l’échec et de la mésestime de soi. Les premiers responsables de ces échecs, ce ne sont pas les élèves comme on leur rabâche sans cesse, mais bien un système qui veut voir perdurer une décomposition artificielle et stigmatisante de bons et de mauvais élèves.