Le Coup de l’escalier, Robert Wise (1959)

Le soleil dans le caniveau

Note : 4 sur 5.

Le Coup de l’escalier

Titre original : Odds Against Tomorrow

Année : 1959

Réalisation : Robert Wise

Avec : Harry Belafonte, Robert Ryan, Gloria Grahame, Shelley Winters, Ed Begley

On sent poindre la fin du code Hays et le polar américain commence à avoir des envies d’extérieurs (même s’il y a des précédents, comme toujours : Sur les quais, En quatrième vitesse, c’est bien avant, comme les films de Jules Dassin).

La forme

Les passages entre extérieurs et intérieurs sont relativement bien exécutés : les plans de transition sont bien pensés dans les premières séquences de l’hôtel et les éléments sonores et visuels suggèrent parfaitement l’existence de l’extérieur (plan de l’entrée avec difficulté à fermer la porte, puis son du vent dans l’ascenseur). C’est peut-être moins convaincant sur l’ensemble des séquences prenant place chez la petite amie (regards dans la rue à travers la fenêtre, mais d’autres plans sentent parfois le renfermé, le studio, à cause sans doute d’un éclairage trop direct alors que la scène est censée profiter de la lumière du jour), mais face à des extérieurs si « crus » (impression renforcée par l’usage d’une pellicule spéciale), le film aurait pu souffrir d’un écart stylistique entre les deux zones.

Ce mix étrange et dangereux entre les espaces intérieurs et extérieurs apparaît également dans l’usage périlleux des transparences. Plus le cinéma répond à des exigences de réalisme et sort pour cela dans les rues, plus certains procédés tournés en studio peuvent vite tout gâcher. J’avais cité le film dans mon article sur l’évolution du procédé dans le cinéma hollywoodien :

« Robert Wise adopte ici une approche résolument réaliste (voire naturaliste) en choisissant de filmer une majeure partie de son film en extérieurs comme c’est devenu presque la règle dans les films criminels depuis 1955 avec En quatrième vitesse et Les Inconnus dans la ville. Reste la question de la manière de filmer ces séquences prenant place dans un véhicule. Robert Wise ici alterne le très bon et le moins bon. Débarrassé de dialogue, quand Robert Ryan se retrouve seul au volant, on y voit que du feu. Quand il place sa caméra à l’arrière et filme la route et les deux personnages au premier plan, la séquence semble bien avoir été filmée sur la route. Quand il fait croiser deux personnages, l’un dans une automobile, l’autre dans un bus, il place sa caméra dans le bus, aucune raison ici de passer par une transparence. Mais quand il convient alors de faire interagir deux acteurs, le charme n’opère plus et l’on devine assez facilement que Wise a dû avoir recours à une transparence qui jure forcément avec l’esthétique générale du film. »

(Wise continuera ses expérimentations pour se passer presque définitivement du procédé dans La Maison du diable, comme je le notais dans la page suivante de mon article.)

On peut par ailleurs remarquer un de tous premiers usages du zoom avant sa généralisation dans les années suivantes (surtout dans le cinéma italien). Dans cet article, il est question de zoom dans It, j’avoue ne pas me souvenir ; quoi qu’il en soit, le procédé existait déjà dans le cinéma muet, mais n’était pas employé autrement que pour divers effets vaguement expérimentaux (le procédé interdisant une netteté parfaite). Wise en fait un outil de contemplation, de scrutation en observant de loin en extérieur un personnage, puis en se rapprochant (ou le contraire). Cela deviendra une des marques du cinéma du Nouvel Hollywood (notamment chez Coppola).

Pour ces audaces formelles, Wise a fait appel à un directeur photo franco-américain, Joseph Brun qui avait déjà expérimenté le cinérama (la Cinémathèque avait projeté son film de 1955 : aucun intérêt).

Le fond

Pour le reste, on sent donc un petit parfum de fin de restrictions sous code Hays (en tout cas une volonté de jouer avec). Si les criminels meurent à la fin, et si le scénario ne ment pas sur les raisons qui conduisent ces individus à jouer leur vie (sur un coup de dé) dans un braquage, l’approche des acteurs et de Wise consiste aussi beaucoup à humaniser et à psychologiser, voire à socialiser ces pauvres gusses poussés à bout.

J’y vois d’ailleurs quelques accents identiques à ceux de Traqués dans la ville, vu récemment et réalisé par Pietro Germi en 1951, avec la différence notable que le film italien évoquait les conséquences d’un hold-up, tandis que le film de Wise s’applique au contraire à en étudier les causes.

Le plus torturé en ce sens se trouve être le personnage interprété magistralement par Robert Ryan : des trois acteurs, c’est peut-être celui qui rend son personnage le moins sympathique, mais son esprit semble agité par bien des tourments. Ancien détenu tombé pour meurtre, il reçoit chaque commentaire qui évoque son passé trouble comme une insulte, moins parce que cela ferait ressurgir chez lui un sentiment de culpabilité que parce que, étrangement, tuer lui aurait procuré du plaisir. Il serait seul à l’écran que ces élans psychiatriques répondraient aux attentes de l’air du temps et aux principes du code en ce qui concerne l’image des criminels à offrir au public. L’associer aux deux autres permet de voir ses névroses d’un œil neuf.

Un des trois est musicien noir, divorcé qui croule sous des dettes contractées en jouant aux courses et a maille à partir avec la mafia qui lui en réclame le remboursement. Comme une partie du film ne consiste pas du tout à préparer le casse comme on peut le voir dans les films du genre, mais à montrer le processus psychologique poussant les deux hommes à accepter la proposition d’un troisième, le récit passe de bonnes minutes à nous dévoiler les rapports familiaux qu’entretient le crooner avec sa femme et sa fille. On s’écarte des standards des criminels habituellement mis en scène dans les « crime films » servant la propagande du code. Nul doute que Ingram est un bon gars : chanteur dans un bar le soir, papa modèle profitant de son droit de visite pour passer du temps avec sa fille, s’il n’avait pas cette addiction au jeu, il appartiendrait au même monde petit-bourgeois que sa femme fréquente (même s’il fait mine de l’exécrer).

L’action prend place à New York, en 1959, on peut douter qu’un tel personnage ait pu exister ailleurs que sur la côte est et ouest dans les quartiers les plus progressistes du pays. Ce hiatus sert de moteur à l’intrigue, le personnage qu’interprète Robert Ryan étant originaire de l’Oklahoma et ouvertement raciste. Ce racisme ne propose pas une simple toile de fond au film, c’est un sujet à part entière qui hypothèque l’avenir crapuleux de leur association. (Soixante ans après, à l’heure du retour de Trump et du racisme décomplexé, cette thématique laisse un petit quelque chose d’amer… L’année précédente d’ailleurs, Stanley Kramer avait mis en scène La Chaîne avec Sidney Poitier et Tony Curtis qui possédait les mêmes caractéristiques de tensions et de violences racistes.)

Le troisième et dernier de la bande est peut-être celui dont on en saura le moins. On ne le verra jamais qu’accompagné des deux autres. Ancien flic, loin des stéréotypes de criminels sans passé uniquement mu par la cupidité et le vice, l’homme de loi a mal tourné après avoir été victime du système. Pour sortir de l’impasse et prendre sa revanche sur la vie, il pense avoir mis au point le coup parfait. Comme le titre du film en anglais l’indique, il y a un revers de la médaille au rêve américain : quand tu ne fais pas partie des gagnants, reste le mythe très américain qu’on peut jouer sa vie (et donc son avenir) sur un dernier coup. Le western et le film noir ont ce mythe en commun. Comme tous les mythes, il a une morale : si seul le succès importe, quand on appartient à la classe des perdants, il y a une forme de légitimité à tenter sa chance sur un dernier coup de dé…

Le code Hays à terre : les criminels agissent non parce qu’ils ont le vice qui coule dans leur veine (sinon, une fois qu’ils réussissent un coup, ils ne s’arrêteraient plus, comme Al Capone), mais parce que la misère les assaille, parce que si vous échouez, vous êtes déconsidéré, et parce qu’il est si facile en Amérique de jouer sa vie sur un ultime coup de dé (un indice sur les raisons de cela : les hold-up partagent cette caractéristique avec les tueries de masse). Ainsi, oui, ce chef de bande légèrement en retrait par rapport aux deux autres n’a pas grand-chose d’antipathique. On connaît vaguement son passé, mais Wise et son acteur en font un mec sympa. Un mec normal, normalement charcuté par la vie quand la chance a décidé de lui faire la peau.

Pourquoi tant d’humanité dans un film noir ? Nouvel indice : il a été écrit sous un prête-nom par Abraham Polonsky, le scénariste du chef-d’œuvre de Robert Hossen, Sang et Or, mais surtout blacklisté à Hollywood. Le flic de son histoire avait refusé de collaborer avec des enquêteurs fédéraux, ce que Polonsky avait précisément fait quand il refusa de témoigner à la commission des activités antiaméricaines en 1951.

Le dénouement n’a plus grand-chose à voir avec de l’humanité : la haine que se porte l’un et l’autre des braqueurs mènera littéralement à une explosion qui précipitera leur mort. Classiquement, dans le crime film, le finale se conclue par une course poursuite entre le malfaiteur et l’homme de loi. Ici, la débandade qui suit l’échec du hold-up est prétexte à ce que les deux ennemis règlent leurs comptes dans une scène de poursuite fatale.

(Wise se vante d’avoir fait changer la fin afin qu’elle soit plus noire alors qu’originellement, le Blanc et le Noir devait repartir bons potes. Sauf que je doute qu’une telle fin, à moins que ce soit un dernier geste d’apaisement avant leur mort, ait justement été acceptée sous code Hays. Le film devait déjà bien assez poser problème à la censure.)

À noter un excellent générique en phase avec les créations de Saul Bass (Wise fera appel à lui pour West Side Story), et une jolie introduction : beau ciel se reflétant dans un liquide ondulant et scintillant sous un grand soleil. Tant qu’il y aura des hommes ? Pas du tout. On éclaire la partie latérale de l’écran : il s’agit en fait d’une flaque courant le long d’un trottoir de New York. Après les transparences capricieuses, les apparences…

Le film s’achèvera d’ailleurs sur la même confusion. Après leur crime, tous les malfrats sont frits. Odd à la nuit.


Le Coup de l’escalier, Robert Wise (1959) Odds Against Tomorrow | HarBel Productions

Après la dissolution du 9 juin

Les capitales

Violences de la société

Commentaires en vrac lors de la grande semaine du chaos

21 juin

Longue réponse à un article de France Info répondant à la question : « Législatives 2024 : sur quoi reposent les accusations d’antisémitisme qui visent La France insoumise ? », et qui peut venir en écho à l’article que j’avais écrit sur les totems de l’idéologie.

On remercie France Info de participer au confusionnisme. Quand tu écris un article de 5000 signes pour répondre à la question, c’est que la réponse est non, mais que tu uses de toutes les manières possibles pour laisser penser que oui. « Creusons encore. »

Par ailleurs, je ne suis pas du tout d’accord avec la manière dont les intervenants expliquent l’antisémitisme. Il est traité comme si c’était une idéologie que les gens cherchaient à cacher alors que comme tout racisme et stéréotype, c’est surtout le fruit d’heuristiques dont nous sommes tous victimes. Faire des généralités, des raccourcis, faire de l’essentialisme, c’est la norme dans notre système de pensée. On lutte à chaque instant pour en éviter les pièges.

Quand on mêle ensuite ces difficultés au langage et aux mauvaises interprétations qui le compose, puis des intentions parfois malveillantes de ceux qui s’en serviront pour jouer des épouvantails pour faire dire à des positions certes parfois ambiguës pour ce qu’elles ne sont pas, tout devient potentiellement “antisémite” (ou simplement “raciste”, “haineux”).

Ce dont il est question ici, c’est davantage de suspicions reposant sur une intention ou sur un dérapage sémantique que sur une volonté assumée de mépriser certains groupes définis et en particulier les juifs.

Quand par ailleurs, des propos peuvent réellement être antisémites, racistes, sexistes, etc., ce sont les propos que l’on juge. Réduire la personne qui les prononce à ces seuls propos, même délictuels, revient à créer des blocs qui inévitablement seront amenés à s’opposer.

Si certes, les propos peuvent révéler de la nature et des intentions d’une personne, il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a un gap entre des propos antisémites, racistes, et des actes. On me dira que ce sont forcément les mêmes personnes. Eh bien, pas du tout. Si les propos isolés sont dus à des dérapages, des stéréotypes, à de la bêtise, de la maladresse, sans qu’il y ait par ailleurs de haine caractérisée du groupe visé, ils n’impliquent pas une volonté d’aller plus loin. Certains dérapages à gauche sont problématiques, aucun n’est réellement antisémite parce qu’aucun ne peut faire l’objet de poursuites pouvant aboutir (j’ai moi-même souligné l’invisibilisation de la lutte contre l’antisémitisme dans un meeting de Mélenchon, ce qui est assez malvenu quand on t’accuse précisément d’antisémitisme).

Or, si le danger de l’antisémitisme est bien à l’extrême droite, c’est qu’ils font tout pour le masquer et profiter des accusations de LFI. Si d’un côté, les dérapages sont bien plus importants et relèvent pour le coup sans doute plus d’un antisémitisme systématique et assumé en privé, ils peuvent laisser craindre à un antisémitisme qui ne se réduise pas qu’à des propos seuls, mais à des actes bien plus graves. Ce qu’ils promettent aux immigrés (ce qui devrait en soi représenter un danger bien plus important que des propos haineux), il n’y a aucune raison de penser que les juifs ne finissent pas par en être victimes si par malheur l’extrême droite arrivait au pouvoir. Si l’antisémitisme sert de repoussoir à cause de l’histoire antisémite du pays, le RN a très bien compris que pour servir sa dédiabolisation, il fallait davantage désigner d’abord un autre groupe comme bouc émissaire des maux de la société. Ils ont bien compris que si l’antisémitisme était réservé à leurs rangs et aux intégristes religieux de tous bords, ils avaient tout intérêt à capitaliser sur d’autres haines bien plus décomplexées : racisme, islamophobie, xénophobie, homophobie, transphobie, sexisme (voire « anti-wokisme » qui renoue en quelque sorte avec la haine du bolchévique). Celles-là, on les laisse tranquillement prospérer pendant qu’on se focalise sur l’antisémitisme supposé de LFI.

Le conflit au Moyen-Orient sert alors de catalyseur et l’extrême droite joue hypocritement la carte pro-Israël pour instrumentaliser l’antisémitisme, d’abord, pour développer leur haine des “Arabes” et des musulmans. Vous changez “immigrés” par “juifs” dans leur discours, et vous comprenez la violence et le danger de propos qu’on pourrait difficilement suspecter de n’être que des « paroles en l’air ». Cette xénophobie s’accompagne d’un réel plan qui a tout de celui dont ont été victimes les juifs dans les années 30 en Allemagne.

Pendant qu’on instrumentalise avec complaisance l’antisémitisme supposé de LFI, on détourne les yeux du projet infâme de l’extrême droite. La préférence nationale, c’est le premier pas vers autre chose, et il est question ici d’actes, pas de propos ou de sémantique.

C’est juste fou qu’on se laisse ainsi aveugler par les discours faussement indignés à droite pour accabler la gauche de ce dont elle n’est pas coupable quand la haine est déjà là, qu’on refuse de la voir et qu’on refuse de prendre au sérieux le plan qu’elle annonce…

20 juin

Réaction après la vidéo d’Acrimed :

https://x.com/acrimed_info/status/1803375366859280601

On fait souvent le parallèle avec le Front populaire ou l’ascension d’Hitler, mais cette alliance des bourgeois avec les fascistes illustrée dans ce montage, il faut la mettre en parallèle avec le rôle possible de la « bourgeoisie progressiste », celle qui se qualifie de sociale-démocrate, dans l’élection.

On peut railler le retour de Hollande, de l’alliance avec Glucksmann, du soutien au second tour d’éventuels centristes au Nouveau Front populaire, mais sans eux probablement pas de salut. C’est d’autant plus cruel de compter sur eux que tout commence avec leur ralliement aux intérêts des puissants au détriment des plus faibles et de l’intérêt général.

En voyant ce montage, j’avais surtout en mémoire l’image du paysan portant sur son dos dans l’Ancien Régime, le clergé et la noblesse. La noblesse serait représentée aujourd’hui par les riches propriétaires (on n’ose plus dire “entrepreneurs”, car ils ont depuis longtemps disparu), et le clergé, par les médias (journalistes de cour, éditorialistes, etc.).

Je ne suis pas tout à faire certain de la pertinence de cette comparaison, mais en piochant sur le Net, je suis tombé sur un article d’Elsa Gautier sur socialter traitant de l’alliance de la bourgeoisie et du peuple.

https://t.co/0fcWPegPfD

La première phrase pourrait résumer la situation actuelle : « Depuis 1789, chaque moment d’effervescence politique repose en France la question de l’alliance entre la bourgeoisie progressiste et le peuple. »

L’illustration ne rend pas optimiste : « Lamartine prononce un discours devant les insurgés, ouvriers et bourgeois, à l’Hôtel de ville, le 25 février 1848, lendemain de la proclamation de la Seconde République. Union éphémère : en juin les députés feront tirer sur les ouvriers. »

En gros, ce que ça laisserait présager, c’est que la victoire du Nouveau Front populaire est possible, mais qu’une fois au pouvoir, les sociaux-démocrates continueront à faire ce qu’ils ont toujours fait. Rouler pour les gens de leur classe.

S’il y a victoire, c’est finalement intéressant qu’il y ait Hollande. Ce sera l’occasion de lui demander s’il a fait son aggiornamento. L’Europe, le respect de l’équilibre des comptes publics, tout ça, OK, mais la question, ce sera : êtes-vous d’accord pour taxer les riches afin que le pays recouvre des services publics dignes de ce nom ? S’ils refusent, ce ne sera qu’un sursis, et l’extrême droite aura un boulevard pour les présidentielles.

Dans l’article, il est aussi précisé qu’en 81, la moitié des députés socialistes sont des enseignants. Si les éléphants des partis continuent de vouloir truster les places dans le gouvernement, ça ne sera pas bon signe^^. Voilà pourquoi, qu’on le veuille ou non, l’incarnation (ou les incarnations) devra se faire autour d’une figure de la société civile.

Et le Nouveau Front populaire aurait tout intérêt à se mettre d’accord sur ce principe. Les Français ont probablement peur de se voir gouvernés encore une fois par des “politiques”. Ce serait tout à leur honneur de favoriser la victoire de la gauche avec un tel accord.

On a besoin de récits ? Eh bien, que les dirigeants des partis du Nouveau Front populaire fassent émerger un récit, celui de leur sacrifice face à la menace de l’extrême droite. Succès garanti.

Autrement…


Au moins, on aura appris un truc. En France, l’ère de la post-vérité se vit en accéléré. Deux semaines pour faire campagne, certains ont bien compris qu’il fallait noyer de mensonges les ondes et les antennes car plus personne n’aura le temps de vérifier. Merci Macron.


Réponse au chapeau de l’article publié par CheckNews « Immigrationniste : comment Macron a fait sien un terme venu de l’extrême droite » :

95 % de mots employés par les Français ont été appris à table.


Réponse à Nicolas Goldberg qui disait : « Je suis assez surpris par le florilège de tribunes émanant du monde du business et de l’économie alertant sur les risques que font porter « les extrêmes » sur notre économie. Personne dans tout ce monde pour faire une introspection de ce qui a pu nous mener à cela ? » :

L’intérêt général, ce n’est pas le leur.

19 juin

Titre de Libé : « Macron dénonce un programme du Nouveau Front populaire “totalement immigrationniste” ». Réponse :

Valls est détesté pour ce qu’il est, mais au moins le peuple pourra toujours se dire que ce n’est pas lui qui l’a choisi. Macron est détesté pour ce qu’il est, mais en plus, il rappelle à chaque sortie xénophobe aux électeurs qu’ils ont voté pour lui.
En résumé, le peuple le déteste parce qu’il le pousse à se détester lui-même. Telle la victime trop « sotte » pour s’être fait avoir par un arnaqueur, elle culpabilise. Et chaque fois que son agresseur réapparaît à la fenêtre, elle pleure.

Quel sinistre personnage.

18 juin

Le mot du jour : incarnation.

Incarnation (nom féminin) : 2. Ce qui incarne, représente. ➙ personnification. En part. dans une conception autoritaire du pouvoir : l’exigence dans l’éditocratie de voir un homme providentiel diriger la France ou un mouvement politique (Cf. 1.).

16 juin

Réponse à un tweet de Nils Wilcke : « Il a osé le dire : Il n’y a qu’une seule catégorie de Français assure désormais Bardella” sur France 3 après avoir parlé de “Français d’origine étrangère”. “Je veux rassurer les Français issus de l’immigration après les caricatures faites sur le RN”. Bien sûr… »

— Viens voter, mon petit !

— Dis, Jordan, pourquoi as-tu de si grands yeux ?

— C’est pour mieux te surveiller, petit électeur.

— Dis, Jordan, pourquoi as-tu de si grandes oreilles ?

— C’est pour mieux être à l’écoute de tes besoins, petit électeur.


Réponse à un tweet relevant les mensonges des nouvelles promesses du chef du Gouvernement sortant :

En dix ans, on en est arrivé à point où on se marrait des absurdités du Gorafi caricaturant les politiques à un autre où tout est devenu Gorafi sans l’être. On est entre la post-vérité et Idiocracy. On a face à un gouffre, soit Fascist Idiocracy, soit l’espoir.

Réponse à « Un homme a été mis au parfum de la dissolution, le 9 juin, avant même Gabriel Attal et les présidents des assemblées : Pascal Praud. Comment les médias Bolloré orchestrent l’alliance du RN et de la droite » (lien) :

L’Arcom (bientôt dissoute par le RN) tout comme la commission d’enquête sur l’attribution des canaux tenue trop tardivement et trop molle vont s’en mordre les doigts. Bolloré ne se cache même plus d’être un danger pour la démocratie. Oubliez le pluralisme, place au fascisme.

Suivi par la décision d’Europe 1 de mettre Hanouna à l’antenne pour faire campagne pour l’extrême droite. La droite a laissé les fascistes se rapprocher du pouvoir, désormais que la droite est sous l’eau, les fascistes placent tranquillement leurs billes face au “tapis” de Macron.

Réponse concernant « le mythe trompeur du “gratuit” » contenu dans le programme du Nouveau Front populaire :

À droite, on pense que les électeurs de gauche sont assez stupides pour ne pas comprendre le sens réel de “gratuit”. Mec, tout le monde est capable de comprendre que “gratuit” signifie « pris en charge par la société ». Toute la question est donc la répartition des impôts.


C’est même un mantra habituel à droite ou chez les économistes. Prétendre être rationnel quand il n’y a pas plus irrationnel que la “science” économique.

La question n’est pas de savoir si c’est gratuit, mais si une « gratuité » traduit une mesure juste et équitable. Rendre les serviettes hygiéniques gratuites, c’est le meilleur moyen de lutter contre la forme de taxe déguisée qui est de faire payer un produit d’hygiène indispensable à une seule partie de la population. Ce n’est pas un produit de luxe. Le rendre « gratuit » permet que la société, donc tous, assure le financement d’un produit d’hygiène de base indispensable à la moitié de la population.

Typiquement hier, j’écoute les Informés de l’éco sur France Info. Ils multiplient les mensonges et les épouvantails concernant le programme du Nouveau Front populaire expliquant que ça mènera à la ruine alors que ce sont ces mêmes ayatollahs de l’économie qui sont responsables de la mauvaise tenue des comptes publics depuis plusieurs décennies. Mais surtout, jamais la question des énergies ou des questions climatiques ne sont prises en compte dans leur logiciel calqué sur l’idée peu rationnelle d’un monde vivant en vase clos jamais altéré ni par les chocs géopolitiques ni par les contingences environnementales.

Ce sont des shamans en costumes-cravates. Parce qu’ils sont riches et bien-nés, selon eux, c’est à eux qu’il faut faire confiance pour enrichir le pays ou bien le gérer. Les pauvres le sont parce qu’ils ne sauraient pas capables de gérer leur denier. Pur mensonge.

La qualité première, voire unique, des droitards et des économistes de plateau, c’est de chercher à favoriser l’accaparement des richesses communes par les gens de leur classe. Les vrais économistes, ceux qui publient, le document depuis des années. Ainsi, si les dettes se creusent c’est que les riches prennent aux pauvres pour le donner aux riches. Voir Le Maire critiquer les programmes économiques des “extrêmes” alors qu’il est lui-même étrillé par les sénateurs de son propre camp sur sa gestion problématique, c’est donc assez savoureux mais aussi symptomatique d’une des plus magnifiques usurpations de ce siècle, celle que la cravate vous fasse comme par magie passer pour un homme capable quand vous n’êtes qu’un incompétent et un menteur. On connaissait les économistes habiles à expliquer après une crise économique pourquoi ils n’avaient rien vu venir tout en ayant en fait raison, désormais, on voit des politiques de droite expliquer qu’une dette creusée par des hommes de droite, ce n’est pas la même chose qu’une autre supposément creusée par des hommes qui n’ont pas le pouvoir. L’audace.

15 juin

https://t.co/pmITJNLQFl

Ce qui est formidable avec l’air des TV d’information en continu, pardon, des débats à la con en continu, c’est que le diffuseur s’absout totalement du devoir de vérité en se cachant derrière la neutralité. Ici, des élus de camps forcément opposés se traitent de tous les noms et se promettent des procès en diffamation parce qu’ils savent pertinemment que la vérité est une sorte de poussière qui balaie paresseusement à chaque pas qu’on fait dans une pièce. « Bof, la vérité ».

On peut comprendre qu’il ne puisse pas être possible de tout débunker ou vérifier, mais si autant de mensonges sont sortis, c’est bien que les élus ont parfaitement compris que le réel n’a plus aucun pouvoir et que ce sont au contraire les accusations qui seront perçues comme vraies. Les médias pourraient prendre le temps ensuite de faire ce travail de vérification, mais puisque les autorités s’en balek, le débat politique, après être une facilité, c’est devenu un jeu. C’est marrant des gens qui s’insultent sur un plateau. Et ensuite, on invitera des éditorialistes pour distribuer les bons points.

Cela coûte cher de vérifier ? Eh bien, si les diffuseurs avaient obligation de vérifier toute affirmation contestée en direct ou potentiellement diffamatoire, il faudrait qu’ils soient tenus de le faire pour le lendemain à la même heure. Cela limiterait ces débats “faciles”.

Il n’y a pas à chercher bien loin les raisons de la polarisation des “débats”, l’outrance et de la prime à la post-vérité. C’est ça le libéralisme : aucun contrôle, tout est permis, donc c’est celui qui diffame le mieux qui aura “raison”. Ce n’est pas de l’info, c’est du cirque.

Un cirque pas franchement amusant parce qu’on a tous la gueule de clowns tristes et on finit par crever sur scène, étouffés par les fards et les coussins péteurs.

Le résultat est partout le même, dès qu’on ouvre les vannes sans contrôle, c’est du spectacle. Et le spectacle tue.

Et que les politiques arrêtent de se prêter au jeu. C’est un jeu où les “modérés”, ceux qui refusent d’user de mensonges, d’outrances ou d’attaques d’un autre camp seront toujours cannibalisés dans un débat à trois ou plus. Vous vous pensez toujours suffisamment habile pour sortir vainqueur de ces débats ? C’est que vous êtes stupide. Ces débats profitent toujours aux criminels ! Vous voulez préserver la vérité et pouvoir défendre vos idées, n’allez pas vous faire plumer dans des débats où vos contradicteurs et les “journalistes” complices passeront leur temps à vous accuser de ce que vous n’avez pas fait ou de ce que vous n’êtes pas. « Oh, oh, je passe à la TV, je montre ma poire, on va m’aimer ». C’est vous les dindons de la farce. Il vous faudra combien de temps pour le comprendre ?

L’autre versant de l’interview politique, après le cirque de la mise en arène d’opposants autour d’un même plateau, c’est le tête-à-tête avec une personnalité unique. Quand on est de droite, brosse à reluire, à gauche, interruption à tout bout de champ.

Ici, merveilleux exemple d’interruptions paternalistes d’un type qui ne s’intéresse même pas aux réponses (un truc assez facile à comprendre, mesdames et messieurs les journalistes, l’intention d’une phrase, on la comprend après un point) et explique à l’interviewé qu’il a tort.

On est donc à une époque où les journalistes ne cherchent plus la vérité, mais en plus se permettent de dire qu’un invité à tort en revenant cinquante fois à la charge (ce n’est pas du factuel, surtout en matière d’économie) :

https://t.co/XGRCg7zR69


De plus en plus de responsables politiques du camp présidentiel refusent de faire barrage au RN au second tour. Commentaire :

Quelqu’un pour écrire une uchronie où on décrit ce qu’il se serait passé toutes les fois où par le passé la gauche a appelé à faire barrage contre le fascisme ?

(Bon, en vingt jours, ça risque de pas le faire.)


Après la confirmation dans la presse que Macron a choisi le délai le plus court pour contrarier une éventuelle alliance de la gauche, quelqu’un évoque le supposé « flair politique » du Président. Je réponds précisément sur ce point :

Ce serait peut-être utile d’ailleurs de cesser de parler de “politique” dans ce cas. Le calcul de politique politicienne n’a rien à voir avec la politique qui se met au service d’une vision, d’un projet pour un pays. Il n’y a rien de politique ici. Il joue à Richard III.

Il y a même un certain sadisme à laisser fuiter toutes ces séquences où il convoque la France entière pour assister à l’histoire se faire et où il se pense représenté en souverain alors que ce n’est plus qu’un bouffon, un matamore avec une ceinture d’explosif.


Rachel Khan qui sur Public Sénat dit que « l’extrême gauche est dans un fantasme : Gaza ». Tranquille, l’antisémitisme, c’est pas cool, mais la négation de crimes, voire de génocide, c’est OK.

Quelle putain d’époque s’ouvre où on peut dire strictement n’importe quoi.


Les dissensions à gauche vont jusque dans le nom du mouvement d’union. Rufin a lancé « Front populaire » et il semble y tenir. Mais une fois retourné en Picardie, on a vu apparaître celui du « Nouveau Front populaire », celui qui est sur les visuels. Mais d’autres continuent de dire « Front populaire », peut-être un peu pour faire chier Mélenchon qui l’aurait évidemment choisi pour qu’on évite d’en attribuer la paternité à Rufin… On voit même « Union populaire »^^. Y a un côté NUPESS, NUP, NUPS.

Ça reste cosmétique, mais ça illustre un truc tout de même.


Maintenant qu’on sait grâce aux médias ce que pensent Blum, Thorez, Mélenchon, Hollande, Valls de Nouveau Front populaire, ils ne veulent pas nous distraire un peu plus en nous éclairant sur ce qu’en penseraient Jeanne d’Arc, Napoléon ou Vercingétorix ?

Le programme, purée.


Hollande, aucun mea culpa. L’enfoiré qui a ouvert la porte au diable revient, il voit de la lumière. Mais guignol, c’est la lumière du tunnel de la mort. On veut voir autre chose que ta gueule avant de mourir.

Vous êtes des cons. Qu’on crève et laisse la planète à d’autres.


Jean-François Bayart, sociologue, sur Blast, qui compare la dissolution de Macron à son « qu’ils viennent me chercher » après les révélations de l’affaire Benalla. Ajoutant que ç’a un côté « rendez-vous à la sortie de l’école ».

On ne trouvera pas comparaison plus juste aujourd’hui.


Les Insoumis profitent de la nomination des candidats pour « purger » certains cadres plus en odeur de sainteté. Commentaire :

C’était le jour 1 du Nouveau Front populaire. Il n’y en aura pas 2.

On se retrouve tous à Londres, salut.

14 juin

Face à l’idée d’un barrage contre le RN si ses candidats n’étaient pas au second tour, Macron refuse de répondre. Commentaire :

Le type qui a trahi celui qui lui a mis le pied à l’étriller dans un parti dans lequel il ne partage pas les valeurs (et pour cause, la seule valeur qu’il connaît c’est lui), qui s’est fait élire la main sur le cœur qu’il ferait une politique écologique (ce vote m’oblige) et qui a donc été investi uniquement pour faire barrage aux fascistes (en cachant qu’il en est un lui-même et que sa bascule droitière révèle sa nature) refuse donc de dire s’il rendra l’appareil si c’est cette fois la gauche qui se trouve face aux fascistes.

Chaque jour un peu plus la preuve que ce type est une ordure de pointure internationale, un danger pour la démocratie et un psychopathe machiavélique capable depuis dix ans à toutes les bassesses pour conquérir le pouvoir. Que va-t-il nous inventer de plus…


Le nouveau Front populaire ne règlera pas la question de l’incarnation en nommant une personnalité. Dans le cas où ils ont une majorité et un Premier ministre se posera immanquablement la question du lead et du poids toujours plus envahissant de cette personnalité par rapport aux autres leaders de l’alliance. Si certains veulent en finir avec la cinquième république, c’est justement pour en finir avec cette logique de petit chef qui décide de tout (paradoxalement, c’est une mesure phare du parti où précisément le poids du chef est disproportionné).

La seule alternative à cette dérive autoritaire fatale à une alliance, c’est d’en revenir un peu à la logique du secrétaire « au service de ». Et dans ce cadre, ce n’est pas un chef qu’il faut définir, mais un porte-parole mis en avant pour porter la parole du “bureau” réunissant les chefs de parti chargé de définir un programme consensuel. Ça fait peut-être un peu Politburo, mais c’est probablement un moyen pour que ce soit la “base” de la diversité des partis et le principe d’une décision collective qui prime sur le désir d’une seule tête.

De la même manière, dans le cas d’une victoire, il me semble assez primordial d’exiger que les partis se mettent par la suite très vite d’accord sur les modalités d’évolution et du poids des partis dans les diverses représentations et gouvernances futures du Nouveau Front populaire.

Parce que si c’est pour sauver cette fois la face en évitant les fascistes au pouvoir, ce n’est pas pour qu’une fois au pouvoir, ça se déchire et tire la couverture à soi pour faire cavalier seul à la première occasion. Les trois blocs sont probablement appelés à durer, et la gauche, condamnée à s’entendre et à jouer des consensus permanents pour faire ressortir une majorité assez compliquée à atteindre face au bloc macroniste et fasciste. S’ils mettent ça sous le tapis, ça leur sautera à la figure. Là, ce sont les élections européennes qui ont redessiné le poids des partis. Il faudra donc bien décider comment ils voudront à l’avenir redéfinir ces forces. Les sondages ? Les élections européennes qui serviraient chaque fois à peser les forces, etc.

Bref, déjà, qu’ils ne tombent pas dans le piège du chef. Un secrétaire porte-parole.


Après l’émission La Grande Confrontation sur LCI :

Les gens sont lobotomisés par la TV. Comment vous voulez vous éduquer ou vous informer en regardant des Français moyens papoter pendant des heures ? La complicité des médias bourgeois dans l’abrutissement et la désinformation de la population est flippante.

Si je comprends, les vieux regardent la TV et… ça. Les jeunes s’informent sur Tik-Tok. Et tout ça avec la bienveillance tranquille des élites bourgeoises qui interdisent la TV et les smartphones à leurs gosses, car ils en connaissent les effets. Comme la malbouffe en fait.

On voit bien le petit sourire supérieur de Pujadas animant les “débats” de ces « Français moyens » comme s’il s’agissait d’enfants. Il se fout complètement des conneries qu’ils pourront dire, comme il se fout des mensonges, eux volontaires, des politiques. Si les fascistes arrivent au pouvoir, le Pujadas, il ne sera pas inquiété. Le mec est parfaitement conscient que ces gens sont matrixés, en partie grâce au travail des médias, mais ça l’amuse. La TV est devenue en gigantesque bar-tabac. Et ça amuse les bourgeois… La fabrique tranquille du fascisme.

On touche le fond. Le type du RN qui sort à un des « Français moyens » qu’il accuse d’avoir lu un livre : « Vous n’êtes pas un citoyen, vous êtes extrêmement politisé ».

Un bon citoyen, pour le RN, est un Français lobotomisé.


J’ai eu l’étrange idée de voir à quoi ça ressemblait TPMP ce soir. Sur la chaîne YouTube de l’émission, ils mettent en ligne une séquence hallucinante d’Hanouna s’en prenant à LFI. Y a quelqu’un qui bosse à l’Arcom ou tout est désormais permis ?

Y a tout dans cette séquence. L’hystérisation, la caricature, le fait divers, l’inversion des valeurs (LFI devient antisémite pas le RN), le mensonge, l’appel à la popularité. Si c’est comme ça tous les soirs, normal que le public devienne totalement décérébré. On est chez Trump.

13 juin

Off de l’entourage de Macron : « Le Président non plus ne ressortira pas inchangé de ce moment. Si les Français lui refont confiance, il est certain que sa pratique du pouvoir sera irrémédiablement différente. »

C’est la rhétorique que le mari violent tient à sa femme. « J’ai changé. » Du même acabit que le « ça va bien se passer » de Darmanin.

Personne n’est dupe. Ce sont les belles paroles d’un fascisme de salon.


Voilà, maintenant, tous les crevards à gauche commencent à se positionner pour le poste de Premier ministre. Queue des mecs, forcément.

Donc d’accord, on va jouer à ce petit jeu : pas de LFI, pas de glucksmanniste et pas d’homme. Donc, Delphine Batho.


La photographe du château montre des images « historiques » du moment où Macron annonce la dissolution à ses sbires. Commentaire :

Quel niveau de mise en scène affligeant… Le Président, de dos, face à une horloge, face à ses sbires. Y a un côté Judas contre le reste du monde : « Parmi nous, un doit vous trahir, ce sera moi ». Le côté noir et blanc pour, quoi, faire mai 68 et la chienlit ? Le paternalisme de la seconde face à la Présidente de l’Assemblée, à l’écart, montrant Macron actif et l’autre qu’on devine dépitée. Macron qui revoit sur la troisième son discours comme un acteur de théâtre. Et la dernière, entouré de ses consiglieri qui peaufine son discours devant une photo de lui.

Ce type n’a qu’un seul but : rester dans l’histoire. Il se moque de la politique. Ni droite ni gauche, cela veut dire pas de politique en fait, pas d’idées, pas de programme. Rien que de la communication. Et la dissolution n’est pour lui qu’un nouveau rebondissement susceptible de le faire rentrer dans l’histoire. Ce clown espère être à la fin du troisième acte de sa tragédie en cinq. Que les urnes lui en mettent une belle en lui faisant perdre son pari. Voilà sept ans que ce monstre de la représentation permanente a phagocyté la vie des Français. Rideau.

12 juin

Un peu de complotisme fiction. Éric Ciotti et Marion Maréchal sont des chevaux de Troie envoyés par le RN depuis plusieurs années dans les autres partis de droite pour les pirater et pour les retourner au moment opportun afin de forcer une union des droites centrée sur le RN.

Bon, le coup serait magistral, et pas sûr que cela profite in fine totalement au RN, mais il faut avouer que les dramas de ces deux derniers jours ouvrent pas mal d’hypothèses. (Et je suis pas loin de penser que Macron a fait la même chose en intégrant autrefois la gauche^^.)

Ah, et tout ça serait orchestré par Poutine via des agents infiltrés dont même les premiers de “cordée” de ces groupes fascistes supposément “patriotes” ignoreraient les liens.

Sinon, ils ont la traîtrise dans le sang. Moins drôle et plus probable.

Ils sont tellement obnubilés par l’idée fantasmée du grand remplacement, par les grandes migrations venant se débarrasser d’un groupe prétendument pur et idéal, qu’ils appliqueraient eux-mêmes, dans leurs actions, ce qu’ils pensent voir chez les autres. Migrer, pirater, salir.


Les médias font la promotion d’un site censé aider les électeurs à faire des procurations. Problème, le site a été créé par un macroniste de la première heure et ne garantit pas que la procuration soit respectée. Pire, des comptes institutionnels relaient ce site, et une note de communauté est ajoutée au tweet. Commentaire :

On est dans un pays où des comptes institutionnels propagent des sites douteux sur les élections et se font fact-checker en direct en commentaire par des twittos avec un ratio hallucinant… On est en pleine post-vérité institutionnelle.


Macron est-il un mix entre Trump et Pompidou ? Un disciple de la post-vérité qui « présente bien » ? Un dernier atout qui lui permet de n’être jamais fact-checké par les médias complices ?


De Jaurès à Pétain, de Blum à Vercingétorix, de Napoléon à Bonaparte, Macron s’approprie tout l’héritage de l’histoire de France. Bon ou mauvais, tout l’héritage de cette histoire lui revient. Prototype du mégalomane proto-égocentrique à tendance psychopathique.


À quelqu’un qui demande « Où sont les artistes ? Où sont les sportifs ? Où sont les patrons ? », je réponds :

Un indice : les personnes qui gagnent plus de 2 000 € par mois tout en n’ayant aucun diplôme votent principalement RN.

Les nouveaux riches en quelque sorte. Donc qu’ils continuent à avoir honte de l’ouvrir.


Après la conférence de presse de Macron pour lancer ses législatives :

L’infâme Macron a trois épouvantails désignés contre la gauche, trois mensonges : le leader de la gauche est Mélenchon, elle est antisémite, elle est antinucléaire.

Monsieur veut être clair, soyons-le. Les mensonges, c’est la marque des extrêmes. Son extrémisme.


Manu Macron, la semaine dernière : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de la NUPES ».

Le mec, c’est Nostradamus.


Commentaire sur ce passage de Félicien Faury, sociologue : « Sur la question des salaires, des retraites, il y a un ensemble de malentendus, voire de naïveté chez les électeurs du RN. Démontrer cette tromperie peut donc être efficace. Mais cela ne suffit pas, il faut affronter la question du racisme et de la xénophobie. »

Je ne suis pas du tout persuadé de ça. À l’image de ce qui se passe avec le complotisme, à l’image de ce qu’on a vu au plus fort de la pandémie, démontrer ne sert à rien. Les personnes se convainquent entre eux et se persuadent entre eux, dans leur cercle virtuel, amical ou familial que penser telle ou telle chose est la chose juste à penser, à dire ou à faire. C’est d’ailleurs la même chose pour toutes les opinions politiques. Il y a un côté grégaire, culturel qui se joue bien plus dans le monde réel, l’environnement dans lequel les gens finissent par baigner, qu’un côté rationnel dans l’adhésion à telle ou telle opinion. Et les gens, en plus de ne jamais se laisser convaincre (ça ne marche ni pour le complotisme, ni par la Covid, ni pour les sectes), ne changent pas d’opinions en si peu de temps. C’est un processus long.

Et la vague brune que l’on connaît depuis vingt ans et qui semble inexorable, personne ne pourra prédire en fait quand elle s’arrêtera et comment. Pour l’instant, le seul espoir, c’est la digue du Front populaire. Et c’est plus un élan, un enthousiasme comme 81 qui la dressera.

Que des arguments. Malheureusement, c’est triste à dire, mais en si peu de temps, il n’y aura que la communication qui vaincra l’extrême droite. Aucune fausse note possible : tout ce qui est polarisant à gauche doit être étouffé, sans quoi les bourgeois en face s’en délecteront.


De plus en plus de signes montrent que le « front républicain » refusera de faire barrage contre le RN si c’est la gauche qui se retrouve face à elle dans des seconds tours. Commentaire :

C’est donc encore une fois le bloc bourgeois qui sera responsable de l’accession au pouvoir des fascistes. Parce que les mêmes qui ont profité plusieurs fois du barrage refuseront en masse de se désister en cas de triangulaire et d’appeler à voter Front populaire pour faire barrage.

C’est déjà ce qu’ils sont tous en train d’expliquer et en train de faire depuis des années en diabolisant la gauche et normalisant l’extrême droite. Et une fois qu’ils auront démontré que le barrage, cela ne concerne que les gauchistes à leur attention, ce sera finito pour la démocratie. Soit l’extrême droite ne rendra jamais le pouvoir, soit si elle le rend une première fois, plus jamais aucun barrage ne sera possible et cela profitera à l’extrême droite bientôt réunie avec le bloc bourgeois qui n’a jamais rien eu à craindre d’elle. Lui.

11 juin

Réponse à ce commentaire de Nassira El Moaddem, présentatrice d’Arrêt sur image : « Le Front national ne peut pas être traité comme n’importe quel autre parti. Que les consœurs et confrères journalistes prennent position comme nous sommes quelques-uns à le faire. L’heure est grave. Il n’y a plus de pseudo-neutralité possible. »

Les médias sont logiquement assujettis à l’image. De manière assez inévitable, la politique de normalisation du FN s’est accompagnée d’une erreur de communication de la gauche livrée à ce que ces médias ont alors pu qualifier de happening. La diabolisation a alors changé de camp.

Parce que pour la normalisation de l’extrême droite, elle va de pair avec la normalisation chez les bourgeois, donc dans les médias dominants, avec les mêmes idées irriguant le centre et la droite.

Je ne suis pas sûr que la question soit de rediaboliser un parti plus qu’un autre. Ce n’est pas plus le rôle d’un journaliste de diaboliser un parti plus qu’un autre. Parce que ce n’est pas le rôle d’un journaliste de tomber dans les épithètes. Son rôle, il est en revanche de confronter les partis avec leurs propositions et leur politique, donc avec la réalité. Quand des journalistes définissent LFI comme un parti antisémite à la place du RN, ce n’est pas un problème de qualification, c’est un déni de réalité.


My guess pour la déclaration de Macron demain. Voyant que son coup de jouer rapide dans le but de prendre de court la gauche pour qu’elle ne puisse pas s’allier en une semaine n’a pas réussi, il se rend compte que c’est lui qui manque de temps pour rallier des LR. Du coup : il va décider de rétropédaler et repousser les législatives au mois de septembre sous prétexte d’un éventuel veto du Conseil constitutionnel et de la tenue des Jeux olympiques.


C’est la social-démocratie qui a été le cheval de Troie des inégalités dans le monde.

Si les accords se portent sur les accords, il n’y aura pas d’accord sur le nucléaire, ni sur les fleurs de bac, ni sur l’hydroxychloroquine. Quant aux antisémites, ils sont à droite.

10 juin

Des militants, devant le siège du Parti écologiste, scandent qu’ils veulent un accord. Commentaire :

Je corrige : « On veut un accord sur la base de nos accords. »

Quel intérêt de porter des exigences et des conditions qui interdiront toute alliance ? Un accord sur les accords, ils auront assez de temps pour au moins détricoter les ignominies du macrō-fascisme.


Déjà trois professions de foi. Avec autant de conditions incompatibles avec celles du voisin, ce n’est pas une alliance qu’ils recherchent, mais l’équation de Drake.


Les trois communiqués que j’ai vus jusqu’à présent ne sont tellement pas à la hauteur du défi que c’est à se demander s’ils ne planchent pas tous pour présenter les meilleurs éléments de langage pour expliquer dimanche que c’est la faute de l’autre si aucun accord n’est possible.


Le Pen compte faire des alliances avec les Républicains. Commentaire :

Elle a retenu la leçon de Macron qui avait phagocyté la gauche. Elle pense pouvoir phagocyter la droite maintenant qu’elle s’est alignée sur sa politique xénophobe et pauvrophobe.


Toute la gauche devrait… dissoudre tous les partis pour construire une union de la gauche qui ne braquerait personne : une gauche sans Mélenchon et sans Hollande.

On voit une partie de LFI qui serait prête à l’union mais qui porte le boulet Mélenchon et une partie des sociaux-démocrates qui portent comme un boulet l’héritage de Hollande.

Le mieux que pourraient faire Mélenchon et Glucksmann, c’est de fermer leur gueule et de laisser un Front populaire se faire sans eux. (Peu de chances que ça se fasse.)


À France Info, on a tout à fait compris que placer sur un plateau deux personnes qui s’opposent, c’est super pour le clash. Moins pour la montée de l’extrême droite. Mais la tentation est trop grande.

À 18 h, la radio a donc l’excellente idée de réunir Benoît Hamon et… Jean-Sébastien Ferjou, éditorialiste d’extrême droite. Le premier s’étonne de la virulence des propos du second à son encontre et prétend ne pas le connaître.

Bienvenue dans la fabrique du RN sur le service public, Benoît.


Chapeau d’un tweet de France Inter : « Il y a 27 ans, Jacques Chirac annonçait la de l’Assemblée nationale. Mais contrairement à ce qu’il attendait, c’est l’opposition de gauche qui remporte les élections législatives. » Réponse :

Ce n’est pas « ce qu’il attendait ». Voyant les sondages baisser, il a fait le pari de trouver une majorité juste avant que ça bascule à gauche. Et il a perdu son pari.

On ne gouverne pas avec des paris. Les institutions ne sont pas des joujoux. Encore moins une table de jeu.


Il y a actuellement trois personnalités dans le pays qui font le jeu du RN : Macron, Glucksmann et Mélenchon.

Mélenchon, s’il voulait vraiment la défaite de l’extrême droite dirait « un programme d’union ». Avec sa “rupture” et ses conditions, il est sûr d’en braquer certains.

Pareil pou Glucksmann. Mais la différence ici, c’est qu’a priori, c’est plus Faure qui dicte la conduite du PS, et il a été clair sur une alliance sans condition.


On note que Macron préfère dissoudre l’Assemblée que de démissionner. En gros, il est élu grâce à la gauche en faisant la promesse d’une politique écologiste, il sort le grand discours sur « ce vote m’oblige », il fait une politique d’extrême droite, et quand l’extrême droite fait un raz de marée à une élection grâce à la publicité qu’il lui a faite pendant tout ce temps au lieu de faire la politique écolo promise, il dit que c’est le problème, c’est qu’il ne peut pas gouverner et qu’il faut passer la main… à l’extrême droite.

« Ce vote m’oblige »…

9 juin

La social-démocratie, cheval de Troie du libéralisme écocide et pauvrophobe, désormais cheval de Troie du macrō-fascisme.


On remercie d’avance les médias, en particulier publics, qui vont chouchouter Glucksmann en en faisant une sorte de Petit Prince à la Macron tout en crachant H24 sur la gauche.

La gauche bourgeoise de Mitterrand œuvre depuis quarante ans pour le renouveau fasciste. On y est.


« Stéphane Séjourné annonce que le camp présidentiel ne présentera pas de candidat contre les députés sortants faisant partie « du champ républicain ». » (lien) Commentaire :

On dirait Méphistophélès face à Faust. Et bien sûr, le PS va sauter sur l’occasion. Et le diable sera au pouvoir. Grâce au PS. PS, fossoyeur de la démocratie.


Les comparaisons avec l’accession au pouvoir d’Hitler et le Front populaire se multiplient. Commentaire :

Le point Godwin, c’est devenu un peu comme le Gorafi. On en rigole, jusqu’au jour où on se rend compte qu’on n’est plus très loin de la réalité.


Dilemme typique auquel la gauche n’a jamais réussi à faire face. Comment craindre le réchauffement climatique tout en pouvant continuer à partir en week-end ? Comment craindre le réchauffement fasciste tout en refusant de voter pour celui qui est trop ou pas assez à gauche.


La dissolution, c’est pas un peu comme une auto-motion de censure ?

La gauche s’était rendu compte que Macron était un traître quand il s’est présenté après avoir bouffé chez eux. Maintenant, c’est le parti qu’il a créé qui est en train de découvrir qu’il est d’extrême droite.


Moi je suis complotiste. Sa politique a toujours été d’extrême droite. Par conséquent, sa manœuvre c’était d’infiltrer la gauche, puis de se prétendre ni gauche ni droite, puis de servir de marchepied au RN pour le mener au pouvoir.


La tactique de Macron (réponse du 16 juin avec la même idée) : Une autre hypothèse, c’est que Macron est d’extrême droite depuis le début et a usé de la technique du coucou en infiltrant d’abord la gauche puis en raclant tout sur son retour à son point de départ. La dédiabolisation ultime. Passer par le piratage de tes concurrents.


On pensait que le « ni gauche ni droite » de Macron, c’était un aveu d’être de droite. C’est en fait pire que ça. C’était un masque. Depuis toujours si ce type sert de marchepied à l’extrême droite, c’est qu’il a ambition depuis toujours de le hisser au pouvoir.

À la gauche de savoir pour une fois s’unir malgré les différences politiques majeures pour prendre l’extrême droite à son propre jeu et récupérer le pouvoir. Il sera temps une fois la majorité faite de voter ou non sur telle ou telle politique à suivre…

Quel escroc.


Il aurait fallu refaire la NUPES, qu’ils auraient appelée La Gôche, mais chaque parti étant soucieux de faire campagne seul afin de peser dans les futures alliances et de se chamailler plus tard, ça ne se fait pas.


Les capitales

Violences de la société


Autres capitales :


Mandingo, Richard Fleischer (1975)

Twelve Years a Slave, jamais puceau

Note : 4 sur 5.

Mandingo

Année : 1975

Réalisation : Richard Fleischer

Avec : James Mason, Susan George, Perry King, Richard Ward, Brenda Sykes, Ken Norton, Lillian Hayman

Je me demandais dans mon commentaire dédié à La Fille sur la balançoire s’il y avait des cycles et si, en 1955, le film de Fleischer pouvait en être le début. Eh bien, si cette hypothèse avait besoin d’être confortée, on pourrait affirmer qu’avec Mandingo, on frôle la fin de ce cycle amorcé vingt ans plus tôt : on atteint ici un sommet dans ce qu’il est possible de montrer au cinéma (a contrario, Sweet Movie ou Pink Flamingos sont une illustration de ce qui demeure impossible de montrer au cinéma).

Dans La Fille sur la balançoire, on parle beaucoup, on suggère, on heurte pas mal la bienséance, mais on sauve encore les apparences. Ici, au contraire, on déploie un large éventail d’abominations et toute la créativité des auteurs du film semble avoir été mise à profit pour faire le compte de ces horreurs.

Mandingo n’est pas un film sur l’esclavage, c’est un film sur l’horreur de l’esclavage avec, comme point de focalisation, la violence et l’exploitation sexuelles. Le film ferait presque figure de Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe entre maîtres et esclaves sans oser le demander : il illustre efficacement l’idée qu’en absence de droit, d’État de droit (alors même qu’on est censé être dans un pays des Lumières), les hommes ne se privent pas pour faire jouer de leur impunité et de leur sadisme sur d’autres hommes, en particulier quand ces hommes sont des femmes avec un vagin pour se divertir et un ventre pour engendrer de la marchandise…

Mais l’homme blanc qui déploie ainsi toute sa créativité pour soumettre l’esclave à ses idées les plus folles doit apprendre qu’il y a toujours un prix à payer à ses folies (Réforme, Contre-Réforme, action, réaction, etc.). Si la famille de riches propriétaires terriens touche le fond dans Mandingo, c’est déjà pour montrer les étincelles de rébellion qui jaillissent de ces situations intenables. La violence répondra à la violence. Quand Sade avait écrit Justine, en faisant le compte des horreurs possibles, il ne lui avait jamais laissé la possibilité de se rebeller : il fallait l’enfoncer jusqu’au bout, ne pas lui laisser la moindre chance, pour la réduire à sa condition d’être inférieure, de chose soumise. S’il y a un néo-libéralisme, Sade, c’était le proto-libéralisme : il aurait écrit Mandingo, la fin aurait été toute différente, et il aurait au contraire appuyé encore plus là où ça fait mal. Au moins ici, quelques lueurs d’espoir nous sont permises. Quelque chose bouillonne et on se rebelle face à l’autorité et à l’obscurité.

Ainsi, si tout le monde couche avec tout le monde dans Mandingo, ce n’est pas forcément parce que les Blancs adhèrent à la philosophie de Sade, mais bien parce qu’il y a eu un raté dans l’ordre des choses brutales qu’ils ont mis en place. Avant la catharsis et le rééquilibrage ponctuel des forces de la rébellion finale, l’étincelle jaillira de la femme blanche (elle aussi esclave, mais à un niveau moindre que les Noirs). Elle ne le fait pas par vocation, par goût de l’équité ou de la « réforme », mais d’abord par vengeance, par dépit et par revendication presque à pouvoir jouir des mêmes outrances que les hommes (les révolutions sont rarement mesurées).

Tout le monde couche avec tout le monde, mais ce sont toujours les puissants qui baisent les plus faibles. Les maîtres baisent leurs esclaves, les cousins baisent entre eux le soir de leurs noces avant de ne pas trouver ça assez piquant, et les frères baisent leur sœur (le Blanc viole sa sœur, mais si le frère noir couche avec sa sœur, c’est encore parce qu’on leur cache leur lien de parenté — puisqu’on assemble ainsi les frères et sœurs qui s’ignorent comme on le ferrait avec deux animaux, il n’y aura qu’à tuer le rejeton comme un fruit pourri si c’est monstre). Histoire de domination. Le viol est la norme. Même pour ses victimes pour qui c’est une normalité : avant le souffle de la rébellion, la résignation de l’esclave pour qui sa condition est dans l’ordre des choses ; on programme ainsi les viols ; on se fait jolie pour son agresseur ; et on demande à la victime de surtout ne pas péter pour ne pas indisposer son agresseur.

Sur le tableau des abominations : rejetons, mandingos, métis ou mulâtres, voire épouses, on en fait littéralement commerce. Ce qui n’a pas de valeur, on le garde sagement près de soi. Pour en faire une carpette humaine, par exemple. Les propriétaires blancs, liste des courses en main, font leurs petites emplettes au marché d’esclave du coin ; on tâte la marchandise ; et quand on est vendeur, on tient correctement son livre des comptes. L’esclavagisme est une chose sérieuse. Et on assassine les rejetons quand ils ne sont pas de la bonne couleur ; puis, on tue la mère parce qu’on dispose d’un droit de propriété sur son ventre et son vagin.

Mais là où le film est habile, c’est qu’au milieu de toutes ces outrances, il ne manque pas de jouer de subtilités en faisant mine d’éviter le manichéisme ou les jugements hâtifs. On bat ses esclaves, oh, mais on ne le fait, d’abord, qu’avec une pointe de dégoût, parce qu’on peut être Blanc et fragile. « Moi aussi je peux comprendre mes esclaves. Je suis comme eux : blessé par la vie. Je les aime sincèrement. C’est pourquoi je les bats et les viole avec amour. Je suis un tyran contrarié, esclave de sa condition de privilégié. » Et si on se laisse attendrir, le dénouement ne manque pas de nous ramener à la réalité et à leurs rapports de force.

Épisodiquement, avant l’étincelle cathartique finale, les Noirs se rebiffent. Mais il est peut-être plus intéressant justement de montrer leur docilité, leur complicité même, ou leur naïveté — souvent même leur dignité en réponse à la sauvagerie bouffonne de leurs maîtres. Là où Sade avait peut-être manqué son coup avec Justine, c’est qu’on se révoltait à sa place. La gloire des héros ne fait parfois qu’endormir les consciences. Pas de révolution sans consciences éveillées. Il est facile de montrer des héros, se ranger de leur côté, un peu moins de faire appel à l’esprit de révolte du spectateur en lui montrant des opprimés entrer dans une forme de normalité et de « confort ». Pas de révolution sans intelligence. Pas d’intelligence sans compréhension des conditions qui prévalent avant une saine « réforme ». L’habilité du film, elle est là. Faire le compte des abominations, mais laisser entrevoir des étincelles d’espoir. On connaît l’histoire : Mandingo en est une préface. La gloire aux héros endort et laisse entendre qu’il n’y a plus rien à gagner — ou à préserver. La description brutale des réalités nous tient au contraire éveillés, wokes. Parce qu’il est aussi nécessaire de nous montrer à quoi mène les outrances d’une société sans égalité ou d’une société régie par le droit du plus fort.

L’affiche du film reprend ironiquement la charte graphique et l’esthétique d’Autant en emporte le vent. Avec deux couples mixtes. Ou presque. Puisque s’il y a bien rapports consommés « mixtes », on reste loin de l’image d’Épinal et sentimentales : des deux côtés, on parlerait aujourd’hui de viols. On s’interrogerait sur l’idée de consentement, d’emprise mentale… Et si c’est ironique, c’est que le film prétend (et il le fait assez bien) dézinguer l’imaginaire esthétique et moral véhiculé dans les films sur le Sud. Réforme, Contre-Réforme, action, réaction, gloire aux abominations cachées, révélation des abominations…

Fleischer avait très vite planté le décor : le domaine des propriétaires terriens, bien que parfaitement habité, ressemble déjà à une ruine. Assez des mensonges en se vautrant dans le luxe : les années 70 dévoile tout. Si tout n’était que légèreté et normalité dans ces films sur le Sud, tout ici est montré au contraire dans sa plus brutale vulgarité : dès la première séquence du film, on demande à voir si un des esclaves que l’on veut acheter a des hémorroïdes ; et on en envoie un autre courir chercher un bâton comme on le ferait avec un chien pour juger de son agilité. Taratata ! Tara est en ruine !… Cela ne fait rien : je la rebâtirai !… Mes gens, au travail ! — Oui, ma’m Scarlett. Plus tard, toutes les conversations entre Blancs tournent autour du sexe et de l’exploitation des Noirs, y compris sexuelle. On croirait voir Autant en emporte le vent mis en scène par le Imamura des Pornographes. L’homme sans filtre. Un animal.

L’image de la Southern belle en prend un coup quand le fils boiteux, plus intéressé par ses esclaves comme d’autres le sont par leurs soldats de plomb ou leur train électrique, s’en va rencontrer une lointaine voisine (et cousine) pour la demander en mariage. Belle idée de prendre l’actrice des Chiens de paille pour interpréter ce rôle de cousine à marier, elle aussi passablement en ruine. On garde l’image de son viol sauvage, et on pressent vite que le souvenir du film de Peckinpah saura bénéficier à celui de Fleischer. Autre idée formidable de Fleischer, celle de faire jouer l’actrice comme une participante de télé-réalité, ou pour éviter les anachronismes, comme une collégienne sans éducation. La Southern belle n’est plus la petite fille bien éduquée qu’on nous représente depuis des décennies au cinéma ou ailleurs, mais une fille idiote qui singe grossièrement les attitudes des filles de la haute société. On est plus proche d’une Madame Bovary à deux doigts de sombrer dans le porno que de la Scarlett de David O. Selznick. Susan George, en dehors des scènes où elle doit être ivre, s’en sort d’ailleurs admirablement tout au long du film : arriver à passer de la vulgarité du début à la jalousie outragée, pour finir sur le désœuvrement…, ce n’était pas gagné. Habile encore, car le film ne manque pas avec cette fin de nous rappeler qu’elle aussi (à un niveau moindre que les esclaves pour lesquels elle ne montre paradoxalement, elle, aucune sympathie) est une victime des abominations de son époque.

En 1975, le public était déjà habitué à de nombreuses outrances à l’écran, mais je doute pour autant qu’il ait été bien enthousiaste à l’idée de se voir ainsi rappeler les excès bien réels de l’esclavage (correction : le film boudé par la critique aurait été un succès public). La violence passe encore, la pornographie passe encore, la vulgarité passe encore ; mais on ne touche pas au rêve américain et aux mythes de la nation. L’image du Sud, avec ses grandes richesses distinguées comme on l’imaginerait à la cour de la Reine Victoria à force de les voir reproduites au cinéma, on n’y touche pas. Il est même probable qu’un tel film ne serait plus possible aujourd’hui. Des films sur l’esclavage, on n’en a vu quelques-uns ces dernières années, et presque toujours, ils prennent trop ostensiblement fait et cause pour les victimes. La glorification des héros, toujours. Enfonçage de porte garantie. La peinture lisse et colorée du classicisme. On en prend d’autres et on recommence. Intention louable, mais ce n’est pas du cinéma bien habile. Le classicisme n’a rien de woke, d’éveillé. Au contraire, il a plus tendance à endormir, à se conformer aux usages, même et surtout quand il est question des usages des puissants.

Le film y va sans doute un peu fort (quoique, on peut facilement imaginer le niveau de créativité d’autorités toutes-puissantes en matière de sévices sexuels ou de torture en l’absence de justice — l’imagination des hommes à en persécuter d’autres à l’abri des regards est sans limites), mais si on veut montrer la réalité d’une chose, d’une violence, il faut la montrer telle qu’elle est. Quelques subtilités feront office de fausses pistes ou de dérivatif à la brutalité dépeinte et nous éviteront de tomber dans les excès inverses. Inutile d’embellir les choses, les victimes, pas beaucoup plus : le spectateur est assez grand pour se faire sa morale tout seul. Alors, certes, on frôle le grotesque, l’outrance, mais Fleischer arrive pourtant à insuffler une certaine dignité (chez les esclaves surtout) et de la subtilité (à travers le personnage du fils donc, qui tout en restant un salaud, détonne avec les autres de sa « race ») au film. Les outrances sont là où elles doivent être : dans le comportement ignoble des propriétaires terriens. Et les victimes de ces outrances ne sont pas des héros, mais des victimes ignorant leur condition de victime. Au contraire de leurs « maîtres », elles restent dignes et humaines.

Deux regrets toutefois. L’utilisation de Maurice Jarre à la musique (c’est un choix de Fleischer ou de la production ?…). Assez peu inspiré, le bonhomme. Pas forcément non plus raccord avec « la philosophie » ou l’argument du film. Et il me semble qu’il aurait fallu aller au bout de la logique et suivre la proposition faite dans le script, à savoir faire du fils un être frêle, incertain, une brindille tenant à peine debout, fasciné par ses joujoux humains, avec sa capacité à leur faire n’importe quoi. Pourquoi donc nous mettre un bellâtre aux cuisses de foot américain, cela n’a aucun sens ? Il fallait Dustin Hoffman. Ou Roman Polanski, tiens. Un type viscéralement tordu auquel on pouvait attribuer, comme avec Susan George, une sorte de vice ou de malaise intrinsèque. Et ça n’en aurait que rendu la fin bien plus forte, histoire de rappeler aux spectateurs qui se seraient laissé attendrir par le personnage (pris en pitié, lui, plus que les esclaves peut-être ?) que c’est bien lui l’animal.

La fin du cycle des outrances ? Pit-être… Deux ans après, le public lassé des peintures grotesques et déprimantes faites au cinéma ira voir en masse un blondinet manier le sabre laser, aller sauver sa princesse et se contenter de vulgaires robots achetés au marché d’esclaves… Mon esclave est mort, longue vie au robot.

— Oncle Owen, ce droïde ne fonctionne pas ! Regarde, il perd son suçocompresseur !

— Tu nous revends de la camelote ?

— Itchoua… Nitouba-komba !

— Oncle Owen, et pourquoi pas le bleu, là ?

— C’est le bleu que je veux… Très bien.

— Messire Luke ne sera pas déçu. J’ai servi plusieurs fois avec lui.

— Ah ? Et est-ce qu’il baise aussi ?


Mandingo, Richard Fleischer (1975) | Dino De Laurentiis Company


Sur La Saveur des goûts amers :

Le cinéma doit-il être moral ?

Listes sur IMDb : 

L’obscurité de Lim

MyMovies : A-C+

Liens externes :


Bad Axe, David Siev (2022)

Note : 4 sur 5.

Bad Axe

Année : 2022

Réalisation : David Siev

Poursuite de la rétrospective « American Fringe » à la Cinémathèque. L’occasion de voir souvent des films seuls dans la salle. Ici, on était une trentaine, dont la moitié semblait être des équipes des autres films (la réalisatrice de Black Barbie était présente et papotait sans honte avec sa voisine).

Une petite pépite en tout cas. Les documentaires personnels, il ne faut jamais hésiter à y aller à fond : ils seront toujours le témoignage d’une époque. On est entre Taming the Horse/Comme un cheval fou et Minding the Gap. Un jeune cinéaste new-yorkais « profite » de la pandémie pour retourner auprès de sa famille qui tient un restaurant dans un coin perdu de l’État voisin. C’est sans doute le cas de beaucoup de créateurs de 2020, il se met à filmer ce qu’il voit sans cacher sa présence à ses parents ou à ses sœurs bien démunis face d’abord aux conséquences sur leur activité, puis face au désordre social ayant agité les divers pans de la société américaine.

Toute une première partie évoque donc les difficultés auxquelles doivent faire face les parents restaurateurs du cinéaste en pleines restrictions sanitaires et fermetures de commerces. Et puis, une fois que l’on pense que les affaires vont pouvoir reprendre à l’été de la même année, la famille doit faire face au public pro-Trump récalcitrant à porter un masque et le fait savoir, puis, c’est l’assassinat de George Floyd qui scinde un peu plus la société américaine en deux, en particulier cette petite communauté de la côte est des États-Unis.

La sœur du cinéaste se montre par exemple très engagée, remontée contre les suprémacistes de la région, et cela aura des répercussions sur la sécurité de la famille. Face à la bêtise raciste ordinaire et souvent menaçante, le cinéaste choisit d’y opposer l’histoire de son père échappé du génocide au Cambodge.

Jusque-là, le film était déjà très convaincant, mais le cinéaste aurait alors produit une première monture du film qui aurait fait parler et il n’en aurait pas pour autant cessé de filmer sa famille. C’est désormais les conséquences sur sa famille du film réalisé sur et avec eux qu’il filme puisqu’elles ne sont pas loin d’être dramatiques. Retournement heureux, à l’américaine, on pleure (bien aidé toutefois par une musique un peu trop présente, mais bon, c’est la loi du genre) et on applaudit.

Ma voisine semble avoir apprécié. David Siev a réussi là où elle, réalisatrice de Black Barbie, avait renoncé à se rendre. Une fois qu’on s’embarque dans un film personnel, il ne faut plus s’embarrasser de pudeur ou de fausses excuses (sans compter que le documentaire « sur le vif » est bien plus vivant qu’un documentaire statique basé sur des témoignages et un décor installé).


Bad Axe, David Siev (2022) | The deNovo Initiative

Black Barbie : A Documentary, Lagueria Davis (2023)

Note : 3 sur 5.

Black Barbie : A Documentary

Année : 2023

Réalisation : Lagueria Davis

Le film touche aux limites du documentaire basé presque exclusivement sur des personnalités. Arte fait ça très bien, la télévision en général, mais le cinéma devrait avoir autre chose à proposer que des interviews pépères dans un décor préparé. Quitte à faire dans le personnel, autant y aller de sa petite personne et développer un rapport plus intime entre la réalisatrice avec ce dont elle dit elle-même n’avoir jamais été amatrice : les Barbie. Ses interrogations, sa curiosité pour un phénomène auquel elle a toujours été indifférente, auraient été les nôtres. Cela aurait questionné son propre rapport au corps et aux stéréotypes auxquels sur ce cas précis elle échappait.

Si le peu de références historiques qu’on peut avoir dans le film et si le rapport aux Barbie des fans ou des professionnels peut être intéressant, la critique faite par les intervenants ne s’attarde que sur la question raciale de la poupée. Or, on peut difficilement pointer du doigt un problème de stéréotypes tout en faisant l’impasse sur un autre et la question du sexisme de ces jouets pour enfant. Si, la firme semble avoir fait des efforts pour casser les codes raciaux, on en est encore loin avec les codes sexistes persistants. La réalisatrice aurait peut-être dû s’interroger sur sa propre perception des choses, battre la campagne pour partir en quête de réponses différentes que celles, toutes faites, apportées à travers des bavardages. Pourquoi d’ailleurs n’évoquerait-elle pas par exemple l’absence de Barbie réalisatrice ou de Barbie obèse ?…

Certains moments avec les psychologues ou avec les enfants sont passionnants, mais le dispositif est trop éloigné de ce qu’on attend d’un documentaire de cinéma. À la question posée aux enfants s’il leur paraissait naturel de jouer tout autant avec des Barbie noires ou blanches, tous avaient répondu que c’était une évidence. Quand on leur demande alors s’ils pensaient, puisqu’eux étaient tous Noirs ou Asiatiques, si les Blancs verraient la chose de la même manière, qu’il en serait de même si on demandait à des enfants blancs, ils répondaient avec la même certitude. Il y avait là des enfants garçons ou filles, des Noires et des Asiatiques, mais pas un Blanc. Or, il aurait été intéressant de voir si les enfants blancs (alors que les enfants présents reconnaissaient la prépondérance de la Barbie blanche sur toutes les autres tout en pensant que ça n’affecte pas les stéréotypes de leurs copains blancs) montraient le même attrait pour toutes les formes de représentations (j’en doute, mais le demander à cette nouvelle génération, voilà qui aurait été intéressant, à défaut d’être cinématographique).


Black Barbie : A Documentary, Lagueria Davis (2023) | Just A Rebel


Cannibal Tours, Dennis O’Rourke (1988)

Note : 4 sur 5.

Cannibal Tours

Année : 1988

Réalisation : Dennis O’Rourke

Joyeux malaise et choc des civilisations. La caméra de Dennis O’Rourke prend part à un safari touristique en Afrique équatoriale et se mêle aux touristes allemands, italiens ou américains en quête de folklore tribunal. Sans le moindre commentaire, il oppose ainsi la présence saugrenue de ces Occidentaux dans des villages autochtones tout dédiés au commerce de leur passé et de leur héritage culturel. Le montage alterne interviews des populations locales exprimant leur totale dépendance aux attentes de leurs visiteurs et cirque touristique indécent d’hommes et de femmes cannibalisant du regard les usages, les costumes ou l’artisanat produit à leur attention.

Personne ne se comprend. D’un côté, des locaux agacés de voir que les Occidentaux n’achètent rien ou marchandent leurs produits quand ils savent que, pour eux, quand ils vont en ville, les prix sont fixes et ne se marchandent pas. Des locaux également circonspects sur le fait d’être visités sans pouvoir en retour se rendre dans les pays de leurs visiteurs ; puis, aigris de voir que ces visiteurs, raffolant de babioles qui fera leur petit effet une fois accrochées à un mur, sont les mêmes qui, des décennies avant, leur en interdisaient la représentation et l’usage. Et de l’autre, des touristes qui exploitent sans retenue des populations, victimes contemporaines de cette forme moderne de colonisation qu’est la mondialisation, forcées de s’adapter et de se plier à l’exploitation grotesque de leur « folklore » pour survivre à l’intrusion implacable de ces hordes de touristes. Une forme de commensalisme à l’échelle humaine en somme…

Tout le monde aura sa petite photo, son objet artisanal et de jolis souvenirs folkloriques qui ne manqueront pas d’être partagés à leur retour pour les faire passer pour des explorateurs et des témoins avancés, proto-ethnographes pour certains, d’un monde dont ils ont contribué à la disparition.

On y trouve ici la même autosatisfaction puérile de l’homme industriel et consumériste, témoin des effets dévastateurs sur le climat et l’environnement de son mode de vie autodestructeur, inconscient d’assister à sa propre mort, mais tout heureux d’être aux premières loges pour en faire partager son petit cercle personnel.

« La fin du monde ? Tu es sûr que c’est maintenant ? Chouette ! Je vais faire un selfie et le posterai sur les réseaux sociaux. J’espère avoir le plus de vues possible. »


Cannibal Tours, Dennis O’Rourke (1988) | Institute of Papua New Guinea Studios

La Piste de Santa Fé, Michael Curtiz (1940)

Le fil de l’histoire

Note : 3.5 sur 5.

La Piste de Santa Fé

Titre original : Santa Fe Trail

Année : 1940

Réalisation : Michael Curtiz

Avec : Errol Flynn, Olivia de Havilland, Raymond Massey, Ronald Reagan, Alan Hale, William Lundigan, Van Heflin

Étrange western pseudo-historique. On se laisse prendre par le rythme et par les magnifiques acteurs, mais l’intérêt est peut-être ailleurs… : dans sa capacité à jouer avec les faits historiques et proposer au spectateur une vision pour le moins confuse de l’histoire. Il faut voir la page « erreurs » sur IMDb : si on savait que Shakespeare aimait prendre des libertés avec l’histoire, ici, on pousse le bouchon un peu loin. Tous les personnages ont en somme réellement existé, sont a priori tous des personnages historiques connus du public américain, mais leur coexistence n’est pas avérée, voire inexacte et impossible. Pourtant, là encore, on peut porter son intérêt ailleurs que sur ces extravagances historiques. Car le film met la lumière sur un autre personnage, lui aussi historique : John Brown, un terroriste abolitionniste.

Le film n’est pas tendre avec lui, mais en regardant vite fait son profil Wikipédia, il y aurait un peu de quoi. On traite beaucoup plus souvent au cinéma de l’histoire de la Guerre de Sécession, Nord contre Sud, beaucoup moins souvent des événements qui les précèdent. Avant les belles paroles de Lincoln et la scission du pays ayant mené à la guerre, il y a donc eu des politiciens idéologiquement contre l’esclavage favorables aux actions violentes. Comme il est dit dans le film : sa cause est juste, mais les moyens pour y parvenir ne le sont pas.

Au-delà de la figure clairement présentée comme négative dans le film, on en viendrait presque à trouver ce sujet follement contemporain (et finalement assez récurrent dans l’histoire : de Spartacus aux anarchistes de la Belle Époque, aux terroristes palestiniens, à ceux qui se revendiquent de l’islam, et bientôt sans doute aux défenseurs de la planète). À lecture de tel ou tel raccourci historique, on pourrait suspecter une approche idéologique et partisane, pourtant, cela peut surprendre, mais si d’un côté l’abolitionniste en prend pour son grade, on n’en est pas pour autant devant un film ouvertement proconfédéré puisque les deux rôles principaux, tout en étant originaires du Sud, refusent de se montrer déloyaux envers l’Union et la nation américaine.

C’est même le fil conducteur du film : les élèves se battent et sont punis pour avoir exprimé des idées politiques (ce qui est interdit), le personnage d’Errol Flynn rappelle une fois à Ronald Reagan (non, ce n’est pas un nouvel anachronisme) leur devoir de neutralité et celui de loyauté envers la nation (donc bientôt envers l’Union). Même le personnage interprété par Olivia de Havilland montre une sympathie réelle pour les idées abolitionnistes. Comme aujourd’hui avec les idées sur le climat, la question n’est pas d’être en accord sur des idées, mais de faire en sorte qu’elles soient appliquées, parce que c’est justement cette absence de prise de conscience de l’urgence d’une situation et l’agacement face à ce qu’il faut bien définir comme du conservatisme (ou de l’adhésion molle) qui provoquent les violences des individus qui estiment que la société ne va pas assez vite ou qu’elle est hypocrite en adhérant à des idées sans les convertir concrètement dans la loi ou dans la vie réelle.

Le film donnerait ainsi presque l’impression d’avoir été écrit à quatre mains en essayant de faire interagir le point de vue des deux futurs camps. Pour ne pas froisser les uns les autres, on travestit la réalité historique et on propose un gloubi-boulga d’événements avérés ou non, de personnages ayant réellement existé ou non, et c’est loin d’être inintéressant (encore une fois, les défenseurs de Jeanne d’Arc peuvent être froissés de son traitement chez Shakespeare, aucun récit historique n’a réellement vocation à être parfaitement conforme à la réalité ; libre au spectateur de poser les limites acceptables des transgressions proposées dans « l’histoire » qu’il suit). Ici, le personnage d’Olivia de Havilland sert à illustrer la crainte (ou la prémonition) que les soldats encore unis aux moments des faits dans le but de chasser un terroriste abolitionniste ne le soient bientôt plus. Au-delà des écarts étranges forcés par le scénariste, les producteurs ou le studio derrière le film, force est de constater que le procédé induit certaines questions historiques générales légitimes. J’insiste : ces questions font écho aujourd’hui, à une époque où la société, sur beaucoup de sujets, semble se scinder en deux, où on remet tant en question la légitimité du pouvoir et où l’usage de la violence (public ou citoyenne) est au cœur du débat public.

À souligner l’excellente distribution : au-delà des acteurs cités, on retrouve William Lundigan, Raymond Massey (qui, ironiquement, interprète Abraham Lincoln la même année dans un autre film) et une des premières apparitions de Van Heflin.


La Piste de Santa Fé, Michael Curtiz (1940) Santa Fe Trail | Warner Bros.

La Légion noire, Archie Mayo (1937)

Note : 3.5 sur 5.

La Légion noire

Titre original : Black Legion

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Humphrey Bogart, Ann Sheridan, Dick Foran

Volontaire ou non, cinq ans plus tard, le film Échec à la Gestapo, de Vincent Sherman, avec le même Humphrey Bogart reprendra une scène où l’acteur se retrouve dans une réunion d’un groupe dangereux en sous-sol. La scène est devenue même sans doute une sorte de cliché, peut-être déjà utilisée dans les films de série B de l’époque du muet, vu que ça tient un peu du fantasme et de la peur des groupes secrets. Si ici et dans Échec à la Gestapo, ces groupes ont bien existé, on en reprend presque toujours un poncif principal : les “intrus” (ou comme c’est le cas ici, l’initié) arrivent alors que la séance secrète a déjà démarré. Dans d’autres films plus récents, on joue au contraire sur la peur induite de groupes inexistants comme dans Eyes Wide Shut, je ne sais plus quel Indiana Jones ou dans Un bourgeois tout petit, petit.

Pour le reste, le film fait partie de ces films politiques “humanistes” des années 30 cherchant à mettre en garde contre les mouvements “séparatistes”, on dirait aujourd’hui. Il manque alors peut-être un peu de relief, mais certains films, s’ils ne tombent pas totalement dans les évidences, peuvent se révéler nécessaires à faire, car ils décrivent une situation politique réelle et contiennent ainsi en eux un peu de l’histoire du pays et du contexte où ils ont été produits.

La fin (avec un retournement vite expédié du principal accusé) est trop facile, mais là encore, c’est assez conforme aux films d’époque qui s’encombraient rarement de détours psychologiques ou de mises en suspension du récit pour gagner en relief et en réalisme. De l’action, de l’action, de l’action. Et pas mal aussi de concision. On produit à la chaîne : les sujets politiques et sociétaux ne sont pas interdits, mais on ne s’attarde pas.

À noter que Bogart n’est pas encore une star quand il tourne le film, il vient seulement de s’assurer un rôle de second couteau sur les films de la Warner Bros. grâce à La Forêt pétrifiée du même Archie Mayo et sera ainsi employé par le studio jusqu’au Faucon maltais qui lui assurera une place en tête d’affiche le reste de sa carrière. Ceci explique pourquoi on l’y retrouve ici ce qu’on pourrait identifier comme un contre-emploi (en rapport aux personnages bien installés et mythiques qui feront bientôt de lui une star et l’icône presque à la fois d’une période, voire d’une certaine forme de virilité appréciée ou reconnue des cinéphiles). Bogart n’est pas encore Bogey : on le découvre surtout fragile, revanchard, acculé avant de finir détruit par la culpabilité. On est loin de l’assurance et du charme qu’on lui connaîtra bientôt. Comme quoi, l’attitude, le statut, ça joue beaucoup dans le charisme et l’autorité que l’on croit naturels chez les acteurs ou les individus, dans la vie, capables ou soucieux de se mettre en avant.


La Légion noire, Archie Mayo 1937 Black Legion | Warner Bros.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1937

Liens externes :


Opération Scotland Yard, Basil Dearden (1959)

De l’intérêt des énigmes au cinéma

Note : 3 sur 5.

Opération Scotland Yard

Titre original : Sapphire

Année : 1959

Réalisation : Basil Dearden

Avec : Nigel Patrick, Yvonne Mitchell, Michael Craig

Présenté dans le cadre de la rétrospective british noir de la Cinémathèque, il s’agit plutôt d’un classique whodunit sans caractère avec comme seule particularité, peut-être, celle de traiter le sujet du racisme à la fin des années 50 en Angleterre. On y retrouve d’ailleurs la même astuce à peine crédible que dans Mirage de la vie ou dans La Couleur du mensonge. Bref, l’occasion de dire à quel point j’ai assez peu d’intérêt pour le genre (le whodunit).

Les énigmes, c’est bien gentil, sauf à la fin. Quant au principe de devoir jouer les apprentis devins ou inspecteurs en levant le petit doigt pendant le film afin de désigner le coupable, je trouve ça particulièrement stupide comme petit jeu. Le spectateur est censé suivre le déroulement de l’enquête en même temps que le détective, parfois avec des séquences supplémentaires censées, soit nous mettre sur de fausses listes, soit nous éclairer sur le véritable coupable… Je ne crois pas une seconde qu’on puisse rationnellement deviner la résolution de l’histoire avant le détective et avant la fin : tous ceux qui prétendent le contraire sont des imbéciles faisant confiance à leur instinct ou à leur prétendue déduction quand ils viennent juste de gagner une manche de bonneteau. Cela amuse donc peut-être certains à jouer les détectives pendant un film et à « trouver » le coupable, moi je n’y vois strictement aucun intérêt.

Que ce soit chez Agatha Christie ou chez Conan Doyle, il me semble que l’intérêt est le plus souvent ailleurs. C’est un peu le cas ici, mais pas suffisamment (les répliques liées aux sujets antiracistes du film sont les bienvenues, mais disons que ça ne peut être qu’un angle accessoire rendant un film encore meilleur quand il est déjà bon). Ce qu’avaient les films noirs en plus par rapport à cette veine des récits policiers britanniques, c’est que leurs détectives sont toujours un peu coupables à leur manière. De parfait antihéros.


Opération Scotland Yard, Basil Dearden 1959 Sapphire | Artna Films Ltd.


Liens externes :


Ne pas confondre esclavagisme et racisme. Une méprise qui n’aide pas à la lutte des stigmatisations, ostracismes ou différentes xénophobies.

Les capitales

Violences de la société

Discoursusation résultat de commentaires sur le colonialisme.

 

L’esclavagisme, c’est une idéologie dont la finalité est de tirer profit de la négation de l’autre. Sa barbarie n’en est pas sa finalité, mais le moyen. L’esclavagisme institutionnel a aujourd’hui disparu : ses victimes sont rares et les lois les protègent.

Le racisme en revanche est rarement idéologique. Il existe, c’est vrai chez les suprémacistes blancs, par exemple. Mais le racisme, c’est surtout un biais cognitif auquel nous sommes tous potentiellement… esclaves. Il est partout. Tous, cela signifie, tous, sans distinction de couleur de peau. Le racisme ne fait aucune distinction entre ceux qui s’en rendent, parfois sans le savoir, coupables. On ne peut pas lutter contre le racisme si on ne s’attaque qu’à ses idéologues et à ses expressions les plus extrêmes dans nos sociétés, ou si on le confond avec une barbarie dont plus grand monde n’est victime aujourd’hui (certaines sociétés sont plus permissives que d’autres, et des exemples peuvent ça et là faire l’objet de poursuite, mais l’esclavagisme institutionnel, lui, a disparu).

Le racisme, c’est la peur de l’autre, sa mise à l’écart pour sa différence apparente ou supposée. Et c’est avant tout un réflexe, ou un raccourci, intellectuel qui dans l’histoire humaine (ancienne, hein) a probablement servi à renforcer les liens de son propre groupe. Ce qui, dans l’évolution humaine a plutôt servi l’espèce, est devenu chez l’homme civilisé un lourd fardeau à l’origine non seulement de la mise à l’écart des moutons noirs du groupe, mais aussi des luttes entre clans, puis des guerres (parfois même préventives : la peur de l’agression du voisin justifie l’agression du voisin). La peur de l’autre serait ainsi ce qui nous maintiendrait à la fois en vie et ce qui nous pousserait à nous combattre. Le racisme est présent en chacun de nous, c’est un processus cognitif biaisé contre quoi on apprend plus ou moins à lutter. Mais pour cela, encore faut-il en comprendre l’origine.

Ça touche donc tout le monde, le racisme est partout, il touche tout le monde : le racisme n’est pas… discriminant. Le « racisme de couleur », c’est son exemple le plus évident, mais la stigmatisation peut tout aussi bien toucher les vieux, les pauvres, les femmes, les étrangers, les imbéciles, les homos, les nains, les roux, les juifs, les gros, les malades, les riches, les Noirs, les jaunes, les musulmans et… les Blancs. Même si pas grand monde ira se plaindre que, parfois, les groupes privilégiés soient stigmatisés. Mais je ne parle pas ici de juste de pas juste, mais des origines d’un biais cognitif. C’est exactement le même processus cognitif qui est à l’œuvre qu’il s’attaque à tel ou tel groupe, et c’est ce même processus qui est derrière les idéologies ouvertement racistes, quand celles-ci n’ont pas en plus d’autres buts, mais qui ne viennent jamais que se plaquer sur des biais déjà existants.

Maintenant, dire qu’il y a des victimes de racisme plus importantes que d’autres, bien sûr. Dire que la discrimination des Noirs ou des musulmans en France sont sans commune mesure avec le racisme anti-blanc, c’est autre chose que de dire que le racisme anti-blanc ne peut pas exister… par principe. Parce que ça, c’est nier l’essence du racisme, c’est prétendre que seuls ceux qui en sont majoritairement victimes peuvent en être victimes.