Colossus, Le Cerveau d’acier, Joseph Sargent (1970)

Note : 3.5 sur 5.

Le Cerveau d’acier

Titre original : Colossus: The Forbin Project

Année : 1970

Réalisation : Joseph Sargent

Avec : Eric Braeden, Susan Clark, Gordon Pinsent

C’est toujours fascinant de voir les préoccupations illustrées dans la science-fiction sur ce qui, en partie, a fini par prendre forme dans le monde réel. Le roman dont est inspiré le film précède celui d’Arthur C. Clarke, mais on retrouve bien des éléments de 2001, surtout à la fin quand le superordinateur a pris le contrôle de la planète et adopté une voix synthétique. D’autres éléments du film se retrouvent dans pas mal de films suivants et initient, avec Airport, la mode des films apocalyptiques (Point limite, sorti en 1964, était, à sa manière, précurseur, sans déclencher toutefois cette mode qui traversera les années 70). On pense à Wargame, bien sûr (guerre nucléaire « jouée » par un superordinateur), à l’ordinateur de bord, Maman, dans Alien (on y retrouve surtout des codes visuels et sonores qui semblent bien dépassés aujourd’hui), à Terminator (la machine intelligente à qui on a laissé trop de pouvoir et qui finit par prendre le contrôle total de la planète en réduisant l’humanité à l’esclavage), au Syndrome chinois (un bunker surprotégé censé centraliser toutes les commandes servant au contrôle d’un monstre — qu’il soit bien réel et finisse par envahir Manhattan, ou une machine — et qui finit, après une erreur technique ou humaine, par échapper à la vigilance de ses maîtres — le scénariste/adaptateur de Colossus réalisera Le Syndrome chinois).

Parmi les aspects du film qui ont envahi notre quotidien, on peut citer pêle-mêle : une forme primitive d’Internet (avec ses centres de données et son système de communication global), les visioconférences, la vidéosurveillance, les ordinateurs personnels (le système à la voix est assez peu répandu, mais avec l’IA cela va sans doute tendre à se développer) et bien sûr l’IA avec tous les questionnements qui accompagnent son développement. Les interrogations soulevées par le film sont, en ce sens, encore bien actuelles. Dans l’interface de la machine, on en viendrait même à se demander si certains éléments ou propriétés n’ont pas servi de modèle, au moins dans la désignation des choses, aux ordinateurs et aux systèmes d’exploitation futurs. Est-ce que c’est la science-fiction qui s’inspire du réel ou est-ce que c’est le réel qui s’inspire de la science-fiction ?

Le film en lui-même n’est pas mauvais, mais il souffre de la comparaison avec les films du même type qui arriveront après et qui déploieront des moyens plus importants. On entre très vite dans le vif du sujet, avec une défaillance immédiate quand l’ordinateur découvre qu’il dispose d’un double de l’autre côté du rideau de fer. Les quelques minutes qui suivent sont peut-être les plus intéressantes : l’ordinateur se découvre une conscience et des aptitudes nouvelles avant d’imposer ses choix aux deux puissances (on retrouve un côté Premier Contact : on remplace l’altérité extraterrestre avec celle de la machine développant un langage propre). Là où ensuite une production répondant plus clairement aux codes des thrillers apocalyptiques aurait resserré l’intensité et joué sur le suspense, Colossus prend un détour qui peut passer aujourd’hui pour étrange : l’intrigue se resserre sur un couple de techniciens et multiplie les ellipses temporelles avant de se finir sur un finale glaçant, mais assez peu paroxysmique. Cette fin pose au moins une nouvelle question : le prix de la paix et du progrès ne peut-il prendre d’autre formes qu’une dictature ? Elle semble lancer un défi à l’humanité : « Réglez vos problèmes, sinon voyez ce qui nous attend ! » Or, l’humanité en question, il semblerait qu’elle ait décidé de mettre son destin entre les mains d’autres Forbin : toujours fascinés par le culte de l’entrepreneur vaguement scientifique, on se laisse subjuguer par des Musk ou des Bezos au lieu de répondre aux urgences du monde et régler la paix dans le monde, le réchauffement climatique, et tutte le cose.

« Colossus Shrugged », en somme : le pire de la science-fiction n’a pas été imaginé par les maîtres du genre, mais peut-être bien, involontairement, par Ayn Rand pour La Grève… « Qui aurait pu prédire » dans les années 70 que la menace principale en 2020 ne serait pas un superordinateur, mais l’homme prétendument super-intelligent qui l’aurait mis en place ? La première menace, ce ne sont pas les machines, mais bien les hommes que l’on vénère et qui nous vendent des illusions. Dans Frankenstein, le danger, est-ce la créature ou Frankenstein même qui l’incarne le mieux ?

Bref, on fonce droit à la catastrophe. Et elle viendra bien de l’homme, pas de la machine. Colossus n’en est pas encore là, et les films catastrophe à venir traiteront rarement les catastrophes telles qu’on les vit un demi-siècle plus tard. Une occasion manquée : l’âge d’or du genre a eu lieu précisément lors de la décennie de la prise de conscience des effets du réchauffement climatique et de la course irrationnelle vers une croissance infinie (conclusions du Club de Rome et premières mises en garde des climatologues au milieu des années 70).


Le Cerveau d’acier, Joseph Sargent (1970) Colossus: The Forbin Project | Universal Pictures

Extrapolations, Scott Z. Burns (2023)

Techno-confusionnisme

Note : 2 sur 5.

Extrapolations

Année : 2023

Réalisation : Scott Z. Burns

Avec : Kit Harington, Sienna Miller, Daveed Diggs, Tahar Rahim, Diane Lane, Edward Norton, Marion Cotillard, Meryl Streep

C’est beau le confusionnisme. L’idée de départ part d’une bonne intention : proposer une série d’anticipation sous l’angle environnemental. Chaque épisode concerne une époque précise de la seconde moitié du siècle, et le générique y égraine quelques variables climatiques et environnementales qui annoncent la couleur pour ce qui est des intentions de la série. On y retrouve quelques personnages récurrents dont Mister Capitalisme vaillant représentant des aspirations écocidaires de l’humanité et détenteur opportun de l’antidote à la fin du monde.

De belles intentions qui feront plouf dès que les épisodes accumuleront les faux pas. Quand on traite un sujet, la moindre des choses est d’abord de bien en cerner les enjeux : l’évolution du monde au cours de ce siècle (une extrapolation, comme le titre l’indique) suivra inexorablement les prévisions annoncées par les scientifiques, comment la société s’adaptera-t-elle face à la transformation de son environnement et quelles solutions proposera-t-elle face à ce problème ? C’est bien d’écouter les scientifiques pour le constat, ce serait mieux d’en faire de même concernant l’adaptation et la solution : la série ne fait jamais que mettre en scène la technologie pour répondre à ces défis alors même que les scientifiques disent qu’il faudrait oublier cette voie-là justement parce qu’elle vient en contradiction avec la première des mesures qu’on se refuse à prendre, celle de la sobriété.

À partir de cet angle trompeur, en creux, la série illustre l’idée que si la planète se réchauffe, si nous ne faisons rien, c’est à cause des politiciens véreux, des populations lobotomisées et des entreprises cupides. Bravo, il y a un peu de tout ça, c’est vrai seulement, c’est pour nous dire que la solution (technologique) existe, et que c’est un peu une faute collective si on ne l’adopte pas. Quelques images furtives illustrent ce problème : à l’adaptation face à la montée des eaux, on construit de gigantesques digues (on peut le concevoir dans une série comme The Expanse, pas dans une autre qui se veut attachée à la science), pour répondre au manque d’eau dans certains territoires, on fait confiance à un désalinisateur d’eau inventé par la société Alpha de Mister Capitalisme (avec quelle énergie ?), et pour remplacer les transports polluants, on adopte des véhicules électriques miracles (avec quelle énergie ? avec des éoliennes ?). Seul l’épisode tourné en Inde propose une solution adaptative qui n’est pas liée à la technologie ou à un miracle énergétique : les populations sont invitées à vivre la nuit et à dormir le jour.

Il y a un côté « effet Tueurs nés » dans cette démarche, ce n’est pas en mettant en scène ce qu’on dénonce qu’on le combat efficacement. Le Tarantino de Tueurs nés, comme la SF en général, propose des images sans poser un regard critique sur elles. C’est d’ailleurs souvent la force de l’anticipation : ne pas avoir besoin de forcer un angle critique, car il suffit d’illustrer les conséquences sur le monde d’une « avancée » technologique pour susciter une réaction chez le spectateur. La série ici, comme Oliver Stone chargé de traduire l’esprit de Tarantino à l’écran, s’essaie à la satire, sauf qu’aucune satire ne peut être convaincante quand elle invisibilise une solution connue au profit d’une autre qui n’est qu’un mirage. Difficile d’adhérer à une telle démarche quand on est, en plus, à la fois juge et partie.

Difficile ainsi de passer le fait que la série est distribuée par Apple TV. D’un côté, la série écorne les magnats à la Job/Musk/Bezos (ce qui rappelle une autre tentative Don’t Look Up), d’un autre, elle va dans leur sens parce qu’elle illustre et prétend que la technologie finira par trouver une solution au réchauffement climatique. Le problème ne serait pas le réchauffement climatique, mais les solutions dont pourrait disposer la planète et que certains pourraient chercher à vouloir monnayer. Il fallait bien instiller un peu de complotisme pour expliquer pourquoi les sociétés humaines étaient incapables de répondre au défi auquel elles doivent faire face…

Il est là le confusionnisme. Partager un constat scientifique sur un problème qui ne cessera de s’amplifier à mesure qu’on refusera d’y faire face, mais au lieu de suivre les recommandations de la science pour atténuer les effets de la catastrophe à venir, suggérer à la fois que la technologie a réponse à tout, mais aussi que si cette solution technologique n’émerge pas, c’est à cause des sociétés intrinsèquement formatées à rejeter les initiatives géniales. On nage en pleine rhétorique complotiste, je suis même étonné qu’on n’en ait pas évoqué Galilée ou Einstein pour justifier la logique de l’inventeur de génie brimé par la société. On y trouve même certains relents randiens quand Mister Capitalisme, à la manière de l’architecte dans Le Rebelle, plaide sa cause lors de son procès. D’une certaine manière, on peut voir le geste de Mister Capitalisme cachant au monde la technologie capable de supprimer le carbone dans l’atmosphère comme un acte de résistance faisant écho à la grève des élites dans La Grève d’Ayn Rand. Pas sûr que les scientifiques adhèrent à ce passe-passe idéologique. Apple a la solution face au réchauffement climatique : faites confiance au génie technologique dont nous sommes les détenteurs.

Allez vous faire foutre.

Le techno-solutionnisme est un mirage. Un épisode central en deux volets poussait pourtant à nous laisser penser que la série prenait ce sujet sous le bon angle avant que le second épisode prenne un tournant totalement inattendu en parlant de tout autre chose : une John Galt au féminin s’élançait dans les airs avec l’idée de bombarder la planète d’un produit chimique qui limiterait le rayonnement sur Terre. La géo-ingénierie, c’est niet, le techno-solutionnisme, c’est oui (on n’est pas sur BASF TV).

Après ces deux épisodes étranges, la série poursuit sur une vague confusionniste avec deux épisodes, presque hors sujet, qui sont paradoxalement les meilleurs de la série. On semble alors s’être perdus au milieu de deux épisodes remâchés de Black Mirror ; le réchauffement climatique semble un peu loin.

Avant ça, dès les premiers épisodes, la série surfe sur une logique high-tech tout à fait profitable à l’imaginaire que cherche à développement Apple et préparait le terrain pour la question du techno-solutionnisme arrivant plus tard (ce n’est pas un procès d’intention qu’imaginer que le but d’une entreprise, c’est de vendre ses produits). On se déplace tranquilou en hélicoptère électrique pour aller au boulot à l’autre bout de la planète, on a des écrans partout, des implants pour communiquer, on papote même avec la dernière baleine parce que la technologie a résolu la question de la communication interespèces, on papote avec des IA, le futur comme on en rêve, en tout cas, le futur tel que Apple se résignera à nous offrir parce que c’est le futur qu’on lui demande (c’est beau, ce sens du service). Autrement dit, Apple est en train de nous dire : « le monde va s’écrouler, mais ce n’est pas grave, car la technologie sera toujours là pour vous accompagner et répondre à vos besoins ».

D’accord, mais avec quelle énergie, tocards ?

Je vais faire ma Greta en répétant ce que dit la science, encore et encore. L’enjeu, c’est la sobriété. La géo-ingénierie, ça commence par cesser les émissions à effet de serre. Les émissions, c’est de l’énergie consommée, donc le problème, c’est bien notre consommation d’énergie et notre surconsommation tout court. Vous prétendez disposer d’une solution énergétique miracle ? Très bien, faites-en la preuve, mais d’abord, arrêtons les énergies fossiles. Et ça, ça ne peut se faire sans sobriété. Parce qu’aucune énergie n’est aussi puissante et facile à mettre en œuvre que les énergies fossiles. La sobriété, tocards, vous en parlez quand ?

La science pose un problème sur la table, dit que la première solution pour y remédier c’est la sobriété ; les technologistes arrivent et disent : « on a la solution, on va consommer encore plus grâce à ce nouveau machin ». L’arnaque : on ne parle pas du réchauffement de la planète sans parler de sobriété ou de décroissance. La planète a des limites, le monde qu’on cherche à préserver dans la série alors qu’on imagine autour de lui s’effondrer se fait encore en hypothéquant toujours plus les parcelles de vie et d’habitabilité du monde réel. La série donne l’impression en fait de chercher à se centrer sur des individus adoptant un mode de vie que l’on sait aujourd’hui insoutenable et ne jamais chercher à décrire ce qui se passe à l’extérieur de ce monde préservé : ce mode de vie prisé et mis à l’honneur encore dans la série ne peut plus être, au fil des décennies, un mode de vie adopté par le plus grand nombre, mais celui, au contraire, d’un petit nombre de privilégiés, ceux que l’on voit dans la série.

Bref, faire une série sur les conséquences et les enjeux du réchauffement climatique et parler du techno-solutionnisme plutôt que la sobriété, c’est tout de même un contresens phénoménal et une véritable faute de goût, voire une imposture politique. Comme on le dit si bien, la série, « elle dessert la cause qu’elle prétend défendre ».

Pas étonnant alors de trouver Marion Cotillard déguisée dans ce grand bal des hypocrites. Pourtant (ô ironie), elle a hérité peut-être du meilleur épisode. Elle est bien entourée d’ailleurs, signe que la qualité du script a été suffisante à réunir quelques stars plus que l’idée de participer à une série militante (sic). Contrairement à tous les autres épisodes, on traite le sujet en faisant un pas de côté, et on s’enferme chez soi un soir de réveillon. Dehors, c’est un peu la fin du monde (enfin une image crédible du futur), chacun semble avoir déserté la ville (pour les cimetières sans doute) ou plus probablement les rues littéralement irrespirables : la population, si elle existe, se cloître chez elle. L’épisode décrit bien une certaine problématique à se sentir piégé : faire semblant de ne rien voir du monde qui s’écroule autour de soi ou rejoindre un programme de lobotomisation où telles des graines préservées en Arctique, on vous endort pour échapper au monde réel. Grâce au huis clos, clairement ici, on réussit l’approche de la satire. Illustrer un problème en faisant mine de parler d’autre chose. La soirée ne met pas longtemps à dérailler et ça se transforme presque en vaudeville apocalyptique. Sur certains sujets, il n’y a que l’humour et la mise à distance qui marche. Le réchauffement climatique est sans doute de ceux-là. Le techno-solutionnisme, il aurait mieux valu en rire, hein. Cet épisode restera sans doute comme le plus fidèle à décrire un monde qui s’effondre et disparaît, à l’image de l’orchestre du Titanic. Comparé aux autres, il aura sans doute coûté par un rond. La sobriété…


Extrapolations, Scott Z. Burns 2023 | Apple, Media Res


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Enthoven, l’intelligence artificielle, le conformisme et la peur de la mort

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Réponse à ce film, et plus précisément à ce tweet : 

C’est pour ça que je n’ai jamais rien compris à la philosophie. Ce qui est à la portée de tous, c’est un exercice de conformisme. Philo, comme autre chose, on te pose un cadre, et tu ne dois jamais dépasser ce cadre. C’est précisément ce que font les machines, et ce que je n’ai jamais réussi à faire. Mon logiciel de pensée, c’est de toujours réfléchir en travers. On me pose un cadre, et j’étudie la question à travers mon strabisme intellectuel. Ce qui me fait rater l’évidence, mais ce qui me permet aussi et surtout de gambader vers des voies nouvelles. Souvent des voies sans issue, mais pas toujours.

Si j’ai bien compris le principe de la conclusion en dissertation, c’est d’ouvrir la question initiale vers une problématique proche. C’est ce que j’ai toujours fait dès la première phrase. J’explore, je traverse, j’erre, bref, je ne fais que du hors sujet. Et ça me va.

Parce que, contrairement à ce que dit ce monsieur, une machine, si on lui dit s’exprimer des émotions, une peur de la mort ou de tout autre chose, si on lui invente un discours qui mimerait la nécessité pour elle de préserver un corps qu’elle n’a pas, elle sera un jour, comme c’est déjà un peu le cas aujourd’hui, capable de nous en donner l’illusion. Dire qu’on a peur de la mort, ce n’est pas une preuve qu’on a peur de la mort. Et ça, les robots conversationnels ont déjà démontré qu’ils étaient capables de le faire (parfois avec des excès).

La spécificité humaine, c’est moins la peur de la mort (d’où il sort ça, sérieux) que la capacité à sortir, aussi, des cadres prédéfinis. Le plus souvent, on appellera ça des erreurs, des écarts, et puis, dans un autre contexte, on dira que c’est de la créativité. Elle est là la spécificité humaine. La capacité à ne pas se formaliser, sortir du cadre, dire non, ouvrir ou remettre en question… la question, poser immédiatement sa légitimité ou sa pertinence.

La vie, plus généralement, se distingue du monde inerte par sa capacité à se reproduire mille fois à l’identique, tout en autorisant les erreurs de copie. Ce sont ces erreurs qui font ce que nous sommes, parce qu’aucune vie n’échappe à l’extinction en reproduisant sur des millions d’années des copies initiales.

Monsieur pense que l’humain se distingue par sa capacité à avoir peur de la mort, alors que précisément, la vie est ce qu’elle est parce qu’elle est imparfaite et… mortelle. Les machines sont des clones, des monstres de conformité. Tu leur dis quoi faire : ils le font. L’humain, en revanche, peut rendre une copie vierge et réussir un jour son examen. Il est le fruit de milliards d’années d’évolution, parce que la vie tente sa chance, fait des erreurs et en meurt. Son sacrifice bénéficiera à ceux pour qui la conformité sera devenue une impasse. Ses erreurs, ses tentatives, ses approximations, ses explorations profitent toujours à ceux qui prennent sa place.

Donc, puisqu’une dissertation est un travail de conformité, il y a fort à parier que très vite (si ce n’est déjà le cas), l’intelligence artificielle soit capable de produire une copie conforme aux attendus de ces chers professeurs. J’attendrai encore, pour ma part, qu’on valorise les erreurs volontaires, les échecs constructifs ou les hors sujets d’exploration, au moins une fois dans une vie. Ça doit être un ratio tout ce qu’il y a d’acceptable avant, sans peur, de laisser sa place à d’autres. Humains ou machines.


Edit :

Les positions sur l’IA de Raphaël Enthoven ont fait l’objet d’une critique de la part du Youtubeur/professeur de philosophie, Monsieur Phi. Les deux se sont retrouvés pour un débat animé sur la chaîne de la Tronche en biais.

https://www.youtube.com/watch?v=xMxo9pIC0GA

L’occasion pour moi de publier un commentaire. Je le poste donc ici :

Jamais rien bité à la philosophie. En revanche, j’ai été enfant-acteur et me reste des réflexes à juger la force rhétorique des individus quand ils font des présentations. Je suis donc incapable de juger du fond, en revanche, ce qui frappe du premier regard, c’est combien Enthoven maîtrise tous les aspects formels du discours permettant de convaincre son interlocuteur que ce qu’il dit a un sens. Mais il ne faut pas trop longtemps pour comprendre que tout est fabriqué, tout est séduction, répétition, joli phrasé et image.

Une partie sans doute de cette maîtrise des codes est probablement due à son niveau social : les enfants de la classe bourgeoise supérieure baignent dans ces manières très enjôleuses et convaincantes (il faut respecter le domestique pour lui faire sentir qu’il est inférieur, forcer sa soumission en le convaincant qu’on est un être infiniment supérieur à lui par l’autorité, le prestige, le vocabulaire, l’intelligence, etc.). On voit ça très bien avec Macron par exemple et dans toutes ces générations de bourgeois passant dans des écoles de commerce et qui finissent dans des cabinets de conseils.

Une autre partie, c’est du flan parfaitement assumé, un rideau de fumée. Et c’est ironique de voir que le sujet est précisément de dire que la pensée des IA n’en sera jamais une parce qu’elle ne pourra jamais être unique ou spontanée, quand le discours porté ici par un être humain n’a justement aucune spontanéité et n’a rien d’unique. Quand Enthoven lit ses notes, c’est brillant, on ne comprend rien, mais Dieu que c’est joli : des aphorismes dans tous les sens qui sonnent comme des slogans publicitaires, ce regard intelligent qui est sûr de ce qu’il émet et qui n’est jamais pris au dépourvu.

Tout ça, c’est de la science parfaitement maîtrisée des apparences…, mais aussi de la répétition. Une IA reproduit ce qu’elle a pioché ailleurs, Enthoven me semble faire exactement la même chose comme ces excellents élèves qui apprennent parfaitement leur leçon sur le climat méditerranéen, mais qui n’en comprennent finalement pas grand-chose (au point d’être capable de faire un contresens total si son devoir tombe sur autre chose). On voit bien à quel point la connaissance spécifique développée par les classes bourgeoises supérieures, c’est l’art de l’imitation. On laisse les autres penser, puis on vient ensuite leur piller leurs idées afin de pouvoir les ressortir chaque seconde de la vie vue comme un grand oral pour assurer sa domination sur les gueux.

Il y a un truc que ces classes bourgeoises maîtrisent par exemple bien, c’est la manière de donner à l’autre des bons points pour les flatter et pour ensuite sortir des « mais ». Typique. On retrouve ça chez les diplomates par exemple (c’est le même milieu). Enthoven commence par reconnaître qu’il a fait des erreurs et reconnaît donc un bon point à son interlocuteur. C’est pour le flatter. Macron avait fait la même chose le 14 juillet quand il avait reconnu lors de son interview que les élections avaient été pour lui une défaite. Vous reconnaissez quelque chose…, puis vous n’en tirez jamais les conséquences. C’est de la rhétorique (donc de la manipulation), pas de la réflexion.

À côté de ça, on a quelqu’un qui doute, qui réfléchit en parlant, qui tâtonne, qui n’a pas d’éléments de langage (comme on dit aujourd’hui dans ce monde de perroquet et d’examen oral permanent), et, pire que tout, qui ne maîtrise, lui, aucun des usages formels pour convaincre son interlocuteur : l’œil est vide, c’est presque celui du domestique repris par son patron lui faisant une réprimande. Il tente d’élaborer, mais il tombe dans le piège : Enthoven dit probablement n’importe quoi, ne répond pas aux questions, s’en sort avec de la rhétorique et de la poésie (« si c’est beau, c’est qu’il a raison »), et en face M phi fait de gros yeux ! Il est en réaction, en soumission, alors même que les bêtises d’Enthoven devraient lui faire prendre le lead, faire de lui l’interlocuteur « alpha ».

Vous pourriez faire un exercice : faire la même chose avec des participants parlant une langue que vous ne comprenez pas. Vous verriez immédiatement qui gagne au point en fonction du langage corporel, du regard et de la prosodie.

Vous savez qui maîtrise également parfaitement ces codes rhétoriques, de langage corporel, de science de l’image, du bon verbe, de la prosodie, de la séduction par des phrases creuses, des apparences ? Idriss Aberkane. Il a un peu perdu de sa confiance (moins alpha) depuis qu’il sait que l’on sait qu’il dit n’importe quoi, mais c’est exactement le même jeu d’acteur.

Dès que vous voyez quelqu’un maîtriser aussi bien les codes, vous flatter, vous faire comprendre toutes sortes d’évidences, vous séduire, paraître si convaincu de ce qu’il dit sans jamais utiliser le moindre vocabulaire d’atténuation et de doute, c’est que vous avez probablement (atténuation) affaire soit à un vendeur d’assurance, soit à un candidat à la présidentielle, soit à un éditorialiste de Franc-Tireur, soit à un escroc, soit à tout ça un peu en même temps ou presque.

« Si c’est pas flou, c’est qu’il y a un loup. Et que l’agneau, c’est vous. »


Puis, ajout à ce dernier commentaire :

​Ne faut-il pas être un peu cabotin pour agiter les réseaux sociaux, passer sur les ondes et devenir un éditorialiste-toutologue qui fera parler de la chaîne pour ses outrances ? Ne faut-il pas être cabotin-philosophe pour accepter de répondre à des questions sur des sujets que, de notre propre aveu, on ne maîtrise pas ? Ne faut-il pas être cabotin-essayiste pour accepter que sa promo tourne autour d’un sujet qui fasse parler et qui, de notre propre aveu, ne concerne qu’une partie infime de notre ouvrage ?

— Je surjoue ? Je cabotine ? Mais voyons, cher ami, il faut bien vendre les mots. Que seraient les mots sans un peu de malice ? Rappelez-vous, mon ami, ce que disait Lacan à propos de Spinoza : « Queue de mots. Queue de mots. » Les mots servent les sentiments. Et de quoi sont faits les hommes, sinon de sentiments. Donc, je l’avoue sans honte : oui, qu’importe que l’on parle de moi en bien ou en mal, tant que l’on parle de mouah à travers les mots des sentiments. Cela prouve que j’existe.

— Tu dis n’importe quoi, Raphaël.

— Comment ? Vous dites du mal de mouah ?! Comment vous permettez-vous, cher confrère et néanmoins ami ?

— « Confrère, et néanmoins ami ? » Mais ça veut rien dire Raphaël. Tu alignes les mots comme ChatGPT.

— Je suis humain, Deckard. J’ai vu des navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai regardé des rayons C briller dans l’obscurité, près de la Porte de Tannhäuser… Oh, non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette. Mes notes sont toutes désordonnées.

J’ajoute une autre dimension prouvant surtout la classe sociale du bonhomme : dans le milieu académique, traditionnellement, mais aussi dans le milieu médical, on ne dit pas à un « collègue » qu’il dit n’importe quoi. Monsieur Phi lui dit ça à un moment. C’est encore une marque héritée de l’aristocratie, de la diplomatie, des classes supérieures quoi : on s’affronte en seigneur, avec dignité, pas avec les mots des gueux. C’est bien pour ça qu’Enthoven prend un air outré : lui est un grand seigneur parce qu’il accepte de venir discuter (c’est vrai que c’est à son honneur), mais il feint de penser qu’on ne se chamaille pas entre gens bien. Une autre manière de rabaisser son interlocuteur et de gagner la partie sur le terrain des apparences. (En vrai, ces comportements ont des conséquences fâcheuses : on ne retire pas des thèses plagiées et on parle de « confraternité » chez les médecins, ce qui veut grosso modo dire que l’intérêt du médecin prime sur la vérité et d’éventuelles victimes.) Bref, une classe d’usurpateurs et de charlatans.

Et une dernière chose concernant le jeu d’acteur : il cabotine, mais il y a aussi des acteurs (adultes) qui parlent ainsi, et ça leur réussit (on ne voyait pas de bourgeois chez les acteurs à une époque, mais cela s’est « démocratisé » si on peut dire). Cela se remarque autant au théâtre que dans le cinéma d’auteur. Je parle des brèves et des longues : cette manière d’appuyer outrageusement sur les longues, comme si on faisait l’amour à la dernière syllabe d’un groupe de mot, c’est aussi un accent. Celui de la classe supérieure (parisienne, plutôt de l’ouest). Ce n’est pas tant que ça du cabotinage… pour son milieu social. « Marie-Chantaaaaal. »


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I Am Mother, Grant Sputore (2019)

Je suis Godot

Note : 3 sur 5.

I Am Mother

Année : 2019

Réalisation : Grant Sputore

Avec : Hilary Swank

Une entame prometteuse, et puis, le film se retrouve pris à son propre piège en soulevant un nombre incalculable de pistes, en suggérant des hors-champ et des environnements au-delà du huis clos de cette capsule de survie postapocalyptique, parce que comme la plupart des films de SF bon marché se maintenant à flot avec des décors léchés mais restreints, ça finit par manquer de cartouches et de carburant pour satisfaire l’appétit du spectateur.

Ouvrir autant de pistes, ça oblige à en emprunter de temps en temps, histoire de ne pas laisser le spectateur sur sa faim. Presque toujours dans ces cas-là, l’ouverture vers le monde, vers l’extérieur, est un casse-tête décoratif : on change d’un coup d’échelle de plans, les plans d’ensemble apparaissent, et au choix, soit c’est la déception qui est au rendez-vous, soit on trouve ça encore trop minimaliste : trop peu, trop petit, trop cheap. George Lucas avait bien résolu l’affaire : ne montrer l’extérieur qu’à la toute fin du récit (tandis que, de mémoire, L’Âge de cristal, par exemple, de Michael Anderson s’y était cassé les dents).

Alors, si le décoratif restreint pas mal les réponses données au spectateur (qui forcément s’en posent beaucoup), sa frustration ne fait que grimper quand les dialogues peinent à leur tour à éclaircir le beau programme promis en introduction. (En un mot, je n’ai pas tout compris, et n’ai pas beaucoup fait d’efforts pour comprendre.)

Le film souffre aussi des détours multiples entre les genres par lesquels il est obligé de passer pour meubler : thriller SF plutôt psychologique ou plutôt action survivaliste, tout peut se mêler dans l’absolu (les exemples sont nombreux), mais seulement si on arrive à gérer chacune des séquences dans un style défini et à tirer le meilleur de chacune d’entre elles. Or, le plus souvent, on reste dans une sorte de mise en scène qui ne sait trop sur quel pied danser : appliquée, certes, mais incapable de jouer sur les différents accents du récit, un peu comme si tout se valait… (Pour cela c’est vrai aussi, il faut pouvoir étoffer les rapports entre les personnages, les tendre, les rendre plus conflictuels, pour être capable de créer de véritables montées de tensions, puis des moments d’accalmie. Quand on se perd à raconter des détails qui ne font pas véritablement écho au sujet et qui sont autant de fausses ou de mauvaises pistes, ça limite le temps octroyé à ces autres éléments dramaturgiques essentiels pour faire monter la tension entre les personnages. — Par exemple, on nous dit qu’il y aurait d’autres hommes dehors, et puis, en fait, non… On attend Godot).


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des films de science-fiction (non inclus)

Liens externes :


Alien, Ridley Scott (1979)

Revoyure

Note : 5 sur 5.

Alien, le huitième passager

Titre original : Alien

Année : 1979

Réalisation : Ridley Scott

Avec : Sigourney Weaver, Tom Skerritt, John Hurt, Yaphet Kotto, Harry Dean Stanton, Ian Holm, Veronica Cartwright

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Notes pour un septième voyage.

Toujours sympathique les relectures de chefs-d’œuvre, surtout sur grand écran. Amusant aussi de voir qu’à la Cinémathèque on tient tant à parler d’interprétation à travers le biais de la psychanalyse. Ne peut-on pas parler d’interprétation, de symboles, de références, sans ramener ça systématiquement à une escroquerie vieille d’un siècle ? Toutes les interprétations sont possibles, il n’existe aucune science pour en légitimer une plus qu’une autre. La mienne, j’essaie de la faire à travers un autre prisme : je préfère essayer de comprendre la force, la justesse, la puissance évocatrice de ce film, de ce qu’il éveille en une grande majorité de spectateurs, grâce à des mythes plus anciens, à des thèmes qui pourraient avoir tout de… psychanalytiques mais qui ne le sont pas.

Bref. Quelle (nouvelle) lecture après cet énième visionnage ? Eh bien, comme l’impression que Alien, c’est le mythe d’une petite fille défiant la volonté toute puissante de ses parents souverains. C’est une petite fille refusant l’ambition surhumaine de cette même autorité. Après la « mort de Dieu », et son absence dans le grand cosmos, que reste-t-il aux souverains cherchant à établir une lignée d’hommes en perpétuelle recherche de la mutation nouvelle qui leur assurera la « vie » éternelle, et maintiendra l’espèce entière au sommet de la constellation des vivants ? Eh bien, l’expérimentation médicale, génétique, voire eugénique. On en est encore à rabâcher le premier mythe de la science-fiction, Frankenstein. Mais ce n’est pas la mariée de Frankenstein, à laquelle on a affaire ici, c’est sa fille. Et si ce n’est pas le Minotaure, c’est Ariane qui finit par tirer son épingle du jeu.

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Qui est Maman du Nostromo ? C’est la femme du pharaon, la grande prêtresse, chargée de faire appliquer les désirs de son défunt mari. Le Nostromo, c’est la pyramide (ou le labyrinthe) dans lequel le souverain une fois mort veut voir ses parents (femme, concubines, fils et filles) réunis pour une dernière procession en son honneur, un sacrifice, une opération, une mutation, une copulation, une alliance (comme celle ayant fait naître le Minotaure) censés à la fois lui permettre de gagner la vie éternelle via la « recherche militaire » et l’établissement d’un sanctuaire inviolable, mais aussi assurer la survie de l’espèce, mutée, grâce à l’apport de cet agent… étranger. L’alien. L’idée ici, c’est comme dans tous les sacrifices, de faire en sorte que les parents ignorent tout de desseins du souverain. Seuls la grande prêtresse (Maman) et un prêtre serviteur (Ash) sont au courant pour mettre en œuvre cette union sacrée capable d’engendrer un monstre, puis le sacrifice des frères et sœurs ayant eux-mêmes, dans une sorte d’inceste si familier des souverains antiques, donné naissance à cette créature d’un nouveau genre, à la fois alien et humaine, donc, demi-dieu, donc légitime à régner encore parmi les hommes.

Ripley, c’est donc Ariane et Thésée à la fois. Mais aussi un peu Alice qui découvre le monde souterrain des adultes dans le terrier. Son but est de s’échapper de la pyramide où doit s’opérer la mutation, une fois qu’elle aura compris son rôle dans cette machination. L’un après l’autre, l’agent étranger est uni à ses frères et sœurs, elle sera la dernière. Mais Ariane se rebelle (les mythes ne sont jamais allés que contre l’ordre établi). Et tandis que tous les autres échouent, elle parvient à se démêler des entrailles de la pyramide et immole dans le feu le fruit monstrueux des ambitions de son père. Ripley, c’est l’homme, ou la femme, qui se reproduit à l’identique. Sans mutation. Une reine, mais une reine humaine, à hauteur d’homme. C’est nous. C’est aussi, comme dans toute bonne histoire, le retour à la normale, mais non pas un retour à la tyrannie d’une seule volonté, le retour à une forme d’état apaisé, loin des forces gravitationnelles, coercitives, de la société. Ripley, c’est encore la révolution contre l’oppresseur et le diktat d’un seul homme. Ni dieu, ni père. Ripley, toujours, c’est nous. L’humanité au temps présent, héritière d’une longue lignée de survivants après des millions d’années d’évolution. C’est celle qui n’a pas encore enclenché, ou forcé, la prochaine mutation. L’humanité à un temps t, l’humanité en mode pause et qui se révolte encore face aux mutations inutiles. Ripley, c’est encore, Alice, la princesse fourmi encore vierge ayant réussi à s’échapper du terrier et s’envolant pour fonder une nouvelle colonisation… à moins de retourner chez elle, portant en elle l’échec de sa mutation, ayant refusé le mariage, une grossesse non désirée sinon par « l’autorité souveraine »… Rattrapée par la société de son père, offerte à nouveau à son emprise, le vol de la révolution ne dure toujours qu’un temps. L’appel à la mutation est toujours plus fort, car cette force souveraine, c’est celle de notre survie. L’alien, c’est d’abord cet adulte, ces parents, qui volent à l’enfant son innocence en lui privant de sa condition d’individu, pour lui rappeler à ses obligations dans la grande lignée des vivants et des souverains : vivre, c’est s’accoupler avec l’étranger, pour mettre au monde des monstres. La jeune reine peut s’effaroucher, mais si à la fin du premier acte, elle fait la nique à cet étranger qui voulait l’engrosser d’un monstre, elle y passera pour de bon à la fin de la prochaine bobine.

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Fini les interpénétrations.

Petite subtilité de mise en scène découverte lors de cette révision. Ridley Scott nous annonce à un moment qui des 7 passagers survivra. Quand les trois explorent le vaisseau spatial extraterrestre émettant ses signaux d’avertissement, la séquence se termine par un gros plan du pilote fossilisé. On ne distingue pas grand-chose de lui, mais par un léger fondu, le montage suggère que Ripley se trouvera à son tour dans cette position, puisque le plan suivant, c’est elle, qui apparaît, pratiquement dans la même configuration. Et en effet, le film se terminera sur un gros plan tout à fait identique… Subtile le Ridley. (Quand a-t-il cessé de l’être ?)

Dernière remarque concernant l’emploi du suspense. Plus qu’un film d’horreur, c’est sans doute plus un thriller usant parfaitement des codes du suspense, au sens presque littéral. On sait que Hitchcock opposait les séquences tournées vers un principe de suspense et celles vers un principe de surprise. L’un des avantages du suspense, c’est qu’il permet de revivre (Replay) le même plaisir à chacun des nouveaux visionnages. Les surprises, les twists, ne marchent qu’une fois, et paradoxalement, si on y prend un plaisir lors d’un second personnage, c’est bien parce qu’on connaîtra ce qui suit et au lieu d’être surpris, on sera tendu dans l’attente de ce qu’on sait déjà de ce qui vient. Le suspense permet d’instaurer une ambiance tendue tout en connaissant la suite. La plupart des scènes du film jouent sur cette attente. À une exception peut-être : quand Ripley amorce la destruction du vaisseau, qu’elle revient vers la navette et y rencontre la bête, c’est une surprise. Même si, c’est une rencontre forcément attendue, quand Ripley décide de rebrousser chemin pour annuler le processus de destruction, c’est un retour en arrière jamais très bon dans une histoire. Alors que ça devrait être une période de tension maximale, à la revoyure, la séquence perd de son intérêt parce qu’on sait la première fois qu’elle y rencontrera la bête et retournera à la passerelle de commandement. Au contraire, par exemple dans la scène du repas, à la première vision, on pourrait être surpris bien sûr, mais en fait toute la séquence joue sur le même principe de suspense : la tension est redescendue, il ne se passe rien, et ce calme suspect doit éveiller une tension chez le spectateur qui comprend à ce moment que quelque chose va se passer, sinon la séquence n’aurait aucun intérêt. La surprise de la « naissance thoracique » n’est alors que l’achèvement de ce qu’on sait déjà, et il faut même noter le côté amusant de la séquence lors d’un nouveau visionnage, parce que la sidération des personnages à ce moment n’est plus le nôtre, on adopte presque à cet instant le point de vue du monstre, et on rit avec lui quand il glisse sur la table et s’enfuit. Il n’y a pas, ou plus, de surprise ; on jouit d’un plaisir sadique, enfantin même, comme quand une de nos blagues stupides a réussi son coup (boule puante, bombe à eau, coussin péteur…). Dans l’autre scène clé du film, le viol raté de la fin, on a encore affaire à une fausse « surprise ». À nouveau, si on s’éternise, c’est bien qu’il va se passer quelque chose, et on se doute d’autant plus qu’il se passera quelque chose, qu’on ne peut pas, nous spectateurs, nous enfuir ainsi sans avoir vu l’alien mourir dans l’explosion du Nostromo. On voit d’ailleurs la créature avant Ripley, et sa présence n’est une surprise que pour elle ; à nouveau, on prend ses distances avec le point de vue de la victime, et on gagne un peu à nous identifier à l’alien. Notre plaisir de spectateur est toujours un plaisir sadique, pas du tout lié à un enchaînement d’événements et de situations (donc à leur surprise relative) ; rarement, sinon dans des films d’horreur (et même dans Frankenstein — rappelons-nous de la scène avec la gamine et de la créature au bord de l’eau), on verra un film proposer de se mettre à la place d’un tel monstre (et dans les films suivant l’alien redevient un monstre à abattre). Le suspense marche à plein parce qu’on a aucun doute que dans ce duel final, la femme finira par l’emporter sur le monstre, mais si la situation marche autant, c’est bien que finalement on arrive à s’identifier un peu à un monstre sur lequel on sait finalement peu de choses. Ridley Scott évite ainsi une séquence d’action superflue et se concentre toujours sur la tension, l’attente et la peur de ce qui vient, l’idée de tâtonnement, d’embuscade. On comprend dès qu’elle enfile la combinaison que sa volonté est de le jeter dans le vide, toujours, aucune surprise, aucune lutte, ou improvisation. À la revoyure, c’est bon comme pour la première fois.


Vu le : 9 mars 1995 (A) + 6 autres fois

Revu le 28 septembre 2016 (tek)

Fallait-il choisir une star pour 2001 : L’Odyssée de l’espace ?

Qu’est-ce qu’un Steve McQueen (par exemple) viendrait faire dans un tel film ?

Kubrick voulait plonger le spectateur dans l’espace avec le plus de réalisme possible. D’où la lenteur. Au début, il y a un côté documentaire qui rend impossible, voire inutile, l’identification à un personnage. Ensuite, Kubrick adopte volontairement une mise à distance avec les personnages avec un récit dramatique toujours pour se concentrer sur une forme de réalisme et forcer ainsi la sidération face à un tel sujet et à de telles images.

Ce ne sont pas les acteurs qui manquent de charisme, c’est la mise en scène qui ne le met pas au centre de tout. Ils font partie du décor. Et quand l’action se concentre à la fin sur un seul personnage, ça n’a aucun intérêt de lui filer une carrure, une existence propre, une crédibilité, de le rendre sympathique, beau, intelligent, courageux ou intéressant. Il est là, et on ne lui demande pas autre chose. Parce que ce n’est pas un personnage en particulier à qui on chercherait à s’identifier. C’est l’Homme qui pris par la main marche vers la prochaine étape de son développement. Ce n’est pas un héros. C’est tous les hommes. Et pour être tous les hommes, il faut une absence de caractérisation. Un jeu neutre, effacé qui s’incruste dans un décor plus qu’il n’en prend le contrôle. Et pour le spectateur, un manque de repères personnels qu’un acteur connu lui aurait offerts à travers ses rôles précédents.

La dernière image ne dit pas autre chose, c’est une image d’Épinal : le surhomme, le nouvel homme, peu importe, se retrouvant face à (l’image immobile de) la Terre, celle à la fois qui l’a vu naître, celle dont l’orbe rappelle sa propre vulnérabilité, et celle qu’il va devoir à son tour protéger comme elle l’a protégé jusqu’à son développement. L’humanité et son berceau… Tout cela est figé pour rappeler à la fois la poésie, mais surtout la fragilité de notre existence. Pas de charisme sans immobilisme, sans économie de mouvement.

Si on revient à la scène du vieillissement, il faut un excellent acteur pour arriver à réduire à peu de chose ce qu’il montre, rester immobile, avancer lentement, tenir la pause… Oui, Harrison Ford levant les bras au ciel en disant « mais dans quelle baraque j’ai atterri ?! », ça ne manquerait pas de charisme. Mais ici, il n’est pas question d’être au service d’un personnage (ou d’un acteur), mais bien d’une histoire qui transcende l’humanité.

Heureusement, il y a des films dans l’histoire qui savent s’affranchir du star-system.


Keir Dullea (Dr. Dave Bowman) dans 2001: L’Odyssée de l’espace (1968) 2001: A Space Odyssey | Metro-Goldwyn-Mayer, Stanley Kubrick Productions

Ex Machina, Alex Garland (2015)

L’Ex-Fiancée de Frankenstein

Note : 2.5 sur 5.

Ex Machina

Année : 2015

Réalisation : Alex Garland

Avec : Alicia Vikander, Domhnall Gleeson, Oscar Isaac

Bien pâlot pour un film qui est censé fournir une histoire de haute volée. Rien de neuf sous le soleil SF rayon IA. La problématique n’a pas évolué depuis Asimov, voire depuis Frankenstein, en pire.

L’IA progresse, en vrai, mais de tout ça, on ne saura rien. On prend du vieux, et on le sert à la mode 2015. Le savant fou n’est plus inspiré des personnages de Jules Verne (reste le côté “entrepreneur” dans sa tour d’ivoire), mais du yuppie (c’est comme ça qu’on dit ?) : forcément intelligent avec un QI hypertrophié (à la sauce anglo-saxonne, sorte de mythe de l’intello touche à tout, capable autant de créer sa boîte à treize ans, que de citer Oppenheimer), forcément cool et adepte de la gonflette. Musk en must. Le personnage est insupportable, mais les autres ne font pas mieux.

Depuis vingt ans, on ne peut plus voir un film sans l’indispensable twist. Il a au moins le bon goût de se pointer assez tôt et de réserver le dernier acte à une séance de facepalm fatiguée. Avant ça, la manière dont les deux “amoureux” sont amenés à s’intéresser l’un à l’autre se fait en un claquement de doigts. J’ai même peiné à comprendre l’intérêt d’illustrer le test de Turing. C’est à la fois incompréhensible et pas franchement susceptible de provoquer des situations dramatiques. On cause, on cause, et on cause. Le tout derrière une vitre… C’qu’on s’emmerde. Le film est d’ailleurs censé être un thriller en lieu clos, et rarement j’aurais vu une telle idée aussi mal exploitée. Faut dire que si le rythme est plutôt lent (façon « on va faire un film pesant, avec du mystère »), le montage est un gros bordel insupportable. Difficile dans ces conditions de jouer avec un lieu clos. (Un choix par ailleurs parfaitement gratuit. Disons que ça fait beau pour la cave postale.)

Pour montrer à quel point l’illustration du problème IA paraît un peu aujourd’hui rétrograde, il suffit d’y voir comment le corps de la femme y est systématiquement exploité. On se croirait replongé tout d’un coup dans les années 50, avec un vague assaisonnement cronenbergien (période post-porno oblige). Une IA, les mecs, c’est top, mais parlons plutôt des pin-up aux viscères électriques, aux ovaires stroboscopiques, au poil juvénile, et aux yeux de toutous dociles… Attention toutefois, les mecs, c’est un jouet pouvant se révéler castrateur !… Ouais, tu sais, comme toutes les femmes…

Bref, une horreur. Rien de mieux sur le sujet, que de se replonger dans Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? K Dick était déjà passé au niveau supérieur, la question n’était plus de savoir si une IA était possible, mais quel regard porterions-nous sur eux, et comment eux-mêmes se regarderaient-ils, et considéreraient-ils leurs “créateurs” ? Voilà un sujet plus bien profond qu’un vulgaire « Aurai-je un jour une copine avec des hanches chromées qui fait tchou-tchou quand je lui tire le sifflet… ? Oh, mais attends, suis-je vraiment le mécanicien ou la machine est-elle vouée à se révolter contre son créateur ?… » Allô, Mary Shelley ? On a retrouvé votre machin, ça fait deux siècles qu’il se balade dans nos coursives à fantasmes…


Ex Machina, Alex Garland 2015 | A24, Universal Pictures, Film4


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des films de science-fiction (non inclus)

Liens externes :


Moon, la face cachée, Duncan Jones (2009)

Moon

Moon Année : 2009

Réalisation :

Duncan Jones

7,5/10  IMDb

Listes :

Top des meilleurs films de science-fiction

✓ SF préférés

MyMovies: A-C+

Bon film de science-fiction, assez dickien (psycho-paranoïaque).

Sam travaille sur la face cachée de la Lune pour une entreprise qui fournit la plus grande partie de l’énergie de la Terre via de l’hélium 3 récupéré par des moissonneuses. Sam a un contrat de trois ans qui arrive à son terme et est pressé de rentrer chez lui. Une moissonneuse tombe en panne, il part à sa rencontre, mais il a un accident…

Sam se réveille dans la station, son fidèle Gentry, robot à tout faire est à ses côtés : « Tu as eu un accident Sam, repose-toi. » Sam entend par hasard Gentry parler avec la Terre alors que les communications directes sont impossibles à cause d’une panne de satellite. Sam interroge Gentry mais celui-ci ne lui répond pas. Sam se rend compte que deux moissonneuses sont à l’arrêt. Gentry lui interdit d’aller voir quel est le problème. La Terre envoie une mission pour réparer tout ça. Mais Sam n’en fait qu’à sa tête et décide de sortir. Dans l’une des moissonneuses, il découvre un corps encore en vie et le ramène à la base. Il interroge Gentry : « Qui est ce type ? » « C’est Sam, Sam ».

Ah, ah, ah.

Ensuite, ce n’est pas du tout un thriller SF comme on pourrait le penser, mais plus une recherche sur leur identité, jusqu’à ce qu’ils comprennent dans quelles galères ils sont, et surtout comprennent qui ils sont… Une sorte de Sisyphe guettant le réveil des marmottes dans un monde où il n’y a pas de saison. Très plaisant. Et l’art design, même réduit au nécessaire, est à la hauteur de ce qu’on réclame dans ce genre de production.


Moon, la face cachée, Duncan Jones 2009 | Sony Pictures Classics, Stage 6 Films, Liberty Films UK , Xingu Films, Limelight, Lunar Industries, Independent


Blade Runner, Ridley Scott (1982)

Blade Runner

Note : 5 sur 5.

Titre original : Blade Runner

Année : 1982

Réalisation : Ridley Scott

Avec : Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, Edward James Olmos, Daryl Hannah, Joanna Cassidy

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Suite de notes anciennes souvent incompréhensibles.

Journal d’un cinéphile prépubère : le 14 août 1997

Un travail extraordinaire sur la mise en scène. Une mise en scène envahissante focalisée sur des ambiances travaillées. L’action dramatique (celle qui touche aux événements de l’intrigue à proprement parler) se met en retrait et devient presque anecdotique face aux actions d’ambiance multiples. Une place tellement envahissante qu’elles tendent à prendre un rôle dramatique dans l’esprit du spectateur. L’intrigue, ainsi, peut se perdre à la première vision et paraître hermétique : on ne comprend les différentes évolutions et éléments qu’à la seconde ou troisième vision du film, une fois le choc esthétique passé.

En plus, les véritables actions d’ambiance (celles qui sont précisées par le scénario et l’action générale, et non par une mise en scène pour créer une atmosphère) sont légitimement refoulées à un rôle moins important, de remplissage. Elles paraissent invisibles et contribuent à l’élaboration d’une ambiance vraisemblable, car la réalisation ne s’y attarde pas : c’est compris dans la mise en scène mais la caméra reste fixée sur l’essentiel. Par exemple, quand Deckard trouve son premier répliquant avec la femme au serpent, on ne se rend même pas compte qu’en s’enfuyant, une autre femme du cabaret vient lui demander ce qui se passe : cette action d’ambiance est pratiquement éludée par la rigueur de la mise en scène, et contribue ainsi à créer du « vent », une sorte de bruit ambiant fait d’actions secondaires en marge de l’action principale.

Blade Runner, Ridley Scott (1982) | The Ladd Company, Shaw Brothers, Warner Bros.

Ensuite, quand Deckard la poursuit, la mise en scène instaure plus de plans d’ambiance qui nous inspireront une parade mystique dans les rues de Los Angeles, et n’insiste pas en faisant des plans plus dramatiques (tournés vers l’action du moment) : on sait qu’il doit la rechercher, c’est un tout, c’est l’essence de la séquence, mais les plans montrent autre chose, et on oublie qu’il la cherche pour la tuer, car c’est presque anecdotique (on se doute qu’il la supprimera) : une fois que la séquence introduit cette idée et qu’on est convaincu de son identité, ce thème de la poursuite, il en est fatalement question durant la séquence, alors autant montrer autre chose qui va plus loin, avec un sens à chaque plan. L’environnement existe et prend une part dramatique lorsque les plans de la réalisation aident à construire l’état psychique des personnages. En somme, la mise en scène de Scott consiste à montrer ou à chercher ce qui se cache derrière ce récit, et derrière chaque action, l’action d’ambiance devenant le reflet révélateur de l’action dramatique.

La réalisation dans Blade Runner a beau être sophistiquée, recherchée, elle n’est jamais explicative ou répétitive : elle n’est nullement prétentieuse. Scott montre les choses simplement dans un parfait équilibre de lenteur et de montage renouvelant l’action. La mise en scène est donc transparente et efficace. De plus, ces actions, si elles sont traitées dans une forme parfaite (unité, concision), le fond n’est pas mal non plus : il s’agit d’actions-conséquences, et non d’action-causes ; elles se suffisent à elle-même, ne suggérant qu’imagination, et non une suite, et donc une réflexion, et participent ainsi à la création d’une vision, et d’une ambiance mystérieuse.

Le traitement et l’importance de l’espace et des décors sont assez particuliers. Ridley Scott a voulu leur donner une grande importance, à en croire le travail de création qu’il en découle, et à son identité spécifique (anticipation, bien sûr, mais on retrouve des éléments traditionnels, surtout dans la mégapole asiatique qu’est devenue LA, et chez Tyrell où l’environnement est au début pharaonique, et à la fin dans sa chambre, baroque, avec des bougies ; on se croirait dans La Belle et la Bête ou dans le Dracula de Francis Ford Coppola ; ou encore dans l’immeuble désaffecté du jeune généticien où se déroule toute l’action de la rencontre entre Deckard et le répliquant).

Néanmoins, si le travail de décoration-design n’est pas primaire, la réalisation ne joue pas son jeu et évite le ton sur ton, et la réflexion de Scott est intéressante : si les décors et l’espace sont bons, ils se verront inévitablement, et participeront à créer une ambiance ; ainsi la réalisation se porte plus sur la psychologie des personnages, en les mettant en évidence, mais il est compris dans un espace, un décor, à forte personnalité ; il invite ainsi le spectateur à ne pas regarder que l’évidence, le premier plan, mais ce qu’il y a derrière. C’est un traitement différent de celui de Kubrick par exemple, qui lui est primaire (il montre le rien, en suggérant, ou montrant, beaucoup par des plans larges, très éclairés), concret, pragmatique, et tout autant mystique, même si ses plans montrent des personnages, ils sont compris dans l’environnement, souvent clos, labyrinthique, par des plans d’intérieurs larges, immobiles, objectifs, froids, avec de rares gros plans ou simples plans rapprochés, tandis que le gros du développement des séquences chez Scott se fait par des plans rapprochés : on pénètre dans l’action. Kubrick, lui, les identifie, émeut, par sa distanciation, Scott n’utilise les plans larges que pour introduire, montrer des actions non-essentielles, ou dans des inter-séquences de présentation d’ambiance, d’intermède rythmique (les publicités). La réalisation de David Fincher se rapprocherait plus de celle de Scott dans Blade Runner, sans la lenteur et le mystère.

À noter aussi que cette lumière obscure, ces néons, et ses lumières tourbillonnantes autour d’espaces nocturnes, contribuent à ne jouer le rôle de l’espace et des décors que dans une mesure paradoxale : on cherche plus à les voir quand ils sont dans l’obscurité qu’on les découvre au même moment que les personnages. Là encore tout le contraire des lumières de Kubrick qui aspergeait ses décors d’une lumière claire et envahissante tout en suggérant qu’on ne voyait pas tout. Dans les deux cas, il y a un mystère à découvrir derrière ces décors angoissants, simplement par le fait qu’on n’utilise pas une luminosité ordinaire et qu’on semble y tapir des éléments susceptibles d’apparaître à tout moment.

J’écrirai, un jour, un commentaire digne de ce nom…