La fascisation correcte

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La fascisation correcte

Juger un homme en fonction de sa nature supposée au lieu de le juger en fonction de ses actes indépendamment les uns des autres, c’est comme juger qu’un Noir ou un Juif sont par nature différents des autres hommes. La pensée binaire fascisante, c’est la même qui a fait des millions de victimes au XXᵉ siècle à travers les dictatures fascistes que celle qui aujourd’hui invente pour un maréchal un droit de mémoire d’exception. Quand le politiquement correct flirte avec la « fascisation correcte ». Pensez binaire, messieurs dames.

Pour une fois que le Président Tréma dit quelque chose de juste et de nuancé, les terroristes de la fascisation correcte lui tombent sur le dos.

Le plus beau sophisme de cette pensée crapuleuse : « La gloire d’un homme ne couvre pas ses crimes. »

C’est de ses crimes dont il est question lors des commémorations de la Grande Guerre ?

Mêmes pitreries nuisibles que ce soit pour Céline ou pour Polanski.

 


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Macron et son seau

Macron : — Il n’est d’idéaux, que s’ils cherchent à changer le réel.
Le réaliste : — Il n’est de pire seau que celui qui refuse à aller au puits quand la maison brûle.


Trône-au-fût ou mangeoire à livres

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Science, technologie, espace, climat

Appel à invention

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

 

Toi, mon tronc, mon arbre, sur lequel je pourrais poser mes fesses et conforter mes yeux. Toi qui m’ignores encore et qui t’étires de tout ton long sur tes racines blondes… Vois-tu mon tronc, je sais que tu m’attends.

Les promeneurs, égarés ou non, depuis l’invention de la bipédie, ont inventé les sentiers, les laies, les chemins, les allées… C’est une grande réussite.

Depuis qu’ils sont descendus de leurs branches, les hommes occupent leurs journées entre deux activités : la marche et la contemplation. Si les marcheurs ont trouvé leurs voies royales, les contemplatifs, pour éviter ronces et fourmis, ont adapté la cage à oiseaux pour bipèdes (appelons cela niches ou logis, pavillons ou termites de copropriété, c’est du pareil au même), et ils s’y sont perdus. Il manque aux contemplatifs une invention capable de les ramener à leur point de départ, dans les forêts…

Pour éviter ronces et fourmis, les contemplatifs ont d’abord eu l’idée de supprimer les arbres, puis avec les arbres, les fourrés. Puis comme c’était un peu triste la vie sans un arbre, ils se sont dit qu’un ou deux arbres, ce n’était pas si mal que ça. Et sans le savoir, ils se mirent à en adopter, et puisque les fourrés avaient disparu de ce qu’on appela alors des jardins ou des parcs, ils inventèrent… la chaise longue.

Ah, qu’il est bon de pouvoir prendre l’air sur une chaise, au soleil, loin de l’agitation des villes !

Eh ben tout cela doit cesser ! L’homme n’est pas un animal rampant qui s’abaisse à contempler les herbes ! Tarzan avait raison, l’avenir de l’homme, c’est la liane ! Quand il ne marche pas, l’homme moderne doit pouvoir contempler le monde depuis une certaine hauteur. Et c’est encore plus vrai pour le contemplateur qui baisse la tête : le lecteur de bonnes aventures.

L’homme qui lit devrait pouvoir le faire, non plus au pied d’un arbre, mais trônant fièrement sur son fût ! L’homme ne lie pas, il trône !

On envoie bien les oiseaux là-haut se fourrer dans des mangeoires, il serait temps que les contemplateurs reprennent les fûts en main, et qu’à défaut de s’accrocher aux branches, que le tronc soit leur foyer.

Il faut bien avoir eu une poutre tout ce temps masquer la forêt pour ne pas avoir encore pensé à cette association :

Nous sommes à la veille d’un saut évolutif de première ampleur, mobilisons toutes les forces créatrices, inventeurs, bricoleurs, ingénieurs, industriels, pour aider l’humanité à recouvrer sa pleine dignité.

Demain, dès l’aube, les contemplatifs relèvent les copies, et au pire dans l’après-midi, nous voulons pouvoir affûter nos livres à l’ombre des sous-bois.

Et quand je partirai, je piétinerai à la ronde
Tous ces bouquets de ronces et ses fourmis en pleurs.

La Gaf du Val de Marne

29 décembre : Pour vous connecter à votre CAF changez de mot de passe.

— De quoi je me mêle…

— C’est pour des raisons de sécurité.

30 décembre : Vous devez saisir votre mot de passe provisoire avant de créer un nouveau mot de passe.

— D’accord, envoie-moi un nouveau mot de passe par mail.

— C’est pas possible.

31 décembre : 4e tentative de connexion. À la cinquième, vous êtes radié, humilié, jeté à la rue… provisoirement.

— Ben, donne-moi ce satané mot de passe ! Le mien était très bien bordel !

1er janvier : Votre nouveau mot de passe vous sera envoyé par courrier à la Saint-glinglin.

— Par courrier ?!! Tin, mais pourquoi tu m’envoies pas ça par mail ?!!!

— C’est pour des raisons de sécurité.

— D’accord, alors les banques, les impôts, les assurances, les avocats, tout ça passe par mail, mais les allocations familiales ça passe encore par les missives postales… Et pourquoi donc changer ce putain de mot de passe ?!!

— C’est pour des raisons de sécurité.

— Je me charge moi-même de ma sécurité, merci. Si tu veux que je change mon mot de passe, tu m’envoies un mail deux mois avant pour que je puisse recevoir ton putain de mot de passe provisoire avant le dernier moment !

2 janvier : Mail des allocations familiales : On attend votre déclaration de revenus.

— Et là tu m’envoies un putain de mail ?!!! Tu peux m’envoyer par mail une demande de déclaration de revenus alors que tu sais très bien que ma situation n’a pas changé, mais t’es incapable d’utiliser ce mail pour m’envoyer un mot de passe provisoire ?!!! Tu te foutrais pas un peu de ma gueule la CAF ?

3 janvier : En raison d’une forte affluence due à un trop grand nombre de demande de changement de mot de passe, nos services sont interrompus.

4 janvier : Les lutins du Père Noël sont réquisitionnés pour inventer et écrire sur des cartes postales quelques centaines de milliers de mots de passe provisoires pour le compte de la CAF.

5 janvier : Ma banque : Vous êtes à découvert.

6 janvier : À la rue.

— C’est pour des raisons de sécurité.

7 janvier : En raison d’une forte affluence de sans-abris jetés dans les rues faute d’avoir pu effectuer une simple déclaration de revenus, la CAF décide d’envoyer rétroactivement des mots de passe provisoire à tout ses allocataires via leur messagerie électronique.

— On est dans la rue ! Comment qu’on y a accès !

— Pour des raisons de sécurité, nos agents ne sont pas autorisés à répondre. Veuillez saisir un mot de passe provisoire.

— J’attends déjà un abris provisoire. Tout est provisoire à ce que je vois.

8 janvier : Le boss de l’informatique de la CAF tente de se connecter à son poste de travail après trois mois d’absence et après avoir reçu le message suivant de la direction : Pour des raisons de sécurité, un mot de passe provisoire vous a été envoyé par courrier à votre domicile. Ce mot de passe, il se l’était lui-même envoyé. Puis la lettre s’étant perdue, et puisqu’il n’était pas au travail, il ne pouvait plus se l’envoyer à lui-même… Le 15 novembre, un boss provisoire de l’informatique à la CAF avait alors été nommé et avait jugé plus prudent de ne rien faire… pour des raisons de sécurité. Finalement, c’est le secrétaire du Père Noël qui avait trouvé un moyen d’envoyer un mot de passe provisoire au boss de l’informatique de la CAF resté chez lui. Le message envoyé comportait le message suivant : Pour des raisons de sécurité, nous avons choisi de vous envoyer un mot de passe provisoire dont vous pourriez vous souvenir même en perdant cette lettre : 123456789.

— Votre mot de passe doit comporter 8 chiffres.


L’art de la chute

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Éducation

pensée à la con #34432

Quand un enfant trébuche, est-ce qu’il pleure parce qu’il a mal ou parce qu’il a honte ? À quel âge a-t-on suffisamment de recul pour comprendre que s’il y a un « mal », c’est celui que l’on place dans le regard de l’autre et que ce regard, c’est à nous de l’apprivoiser ? Celui qui se prend les pieds dans le tapis et ne blesse que son amour-propre doit apprendre à en ressortir grandi et sans honte si toutefois il sait trouver immédiatement en lui le recul nécessaire pour ne pas s’assujettir au regard de l’autre.

Quel peut être ce détachement sinon l’humour ?

L’humour n’est-il pas le signe le plus élémentaire d’intelligence ? On rit de celui qui tombe et qui prend sa mauvaise fortune comme un drame. Mais celui qui se relève aussitôt, arrive à en plaisanter avec le plus parfait détachement, et non pas « à faire comme si de rien était » mais à repartir réellement en passant à autre chose, celui-là, on le respecte pour sa capacité à se détacher de lui-même, à ne pas s’apitoyer, à ne pas fléchir au moindre écueil. Un enfant qui comprend ça est déjà grand. Et certains grands demeureront toujours petits.

Mais l’art de la chute, ou du détachement de soi, parce que oui c’est un art, comme tous les arts, il s’apprend. C’est en l’exerçant qu’il se perfectionne.

Il faudrait apprendre à trébucher dans des écoles où ceux qui rient ne sont pas ceux qui regardent mais celui qui chute. Chacun devrait alors juger l’autre en sa capacité à se détacher de lui-même. À rire d’une chute, ou à en rester indifférent. Princes de toutes autorités devraient ainsi s’y plier. Parce que la seule autorité véritable est celle du cœur (violons).

La honte, c’est une peur du regard de l’autre, une peur qui bouillonne en nous et qui attend son heure avant de jaillir à la moindre catastrophe (parfois même à la moindre occasion). Elle nous fragilise un peu plus si on est tenté de la contenir au lieu de la laisser s’échapper : mettre à l’épreuve cette honte, l’apprivoiser, la démystifier, c’est apprendre à regarder au-delà de soi, à tendre vers l’humilité des petites âmes qui ne prennent rien trop au sérieux, c’est l’interdire de grandir en nous avant qu’elle ne devienne un monstre incontrôlable auquel on serait devenu captif.

Il y a de la noblesse dans la chute. Seulement quand offerte au regard d’autrui, elle est suivie d’un rebond. Il n’y a pas un homme qui ressemble moins à un autre homme que quand il trébuche. Mais aucun homme ne se relève comme un autre. La noblesse est bien dans la capacité des êtres qui exposés au regard de leurs semblables font montre, au mieux d’humour, au pire d’un simple détachement désintéressé.

Apprendre à se détacher de soi n’aide-t-il pas à se rapprocher des autres, se mettre à leur place, les comprendre, les accepter tels qu’ils sont… C’est en cela aussi qu’on respecte ceux qui quand ils tombent ne s’enferment pas en eux mais se rapprochent au contraire de nous.

Alors chutons. Apprenons à nous prendre les pieds dans le tapis, à glisser sur des peaux de banane. Se vautrer est une chance. Celle de prouver à nos contemporains qu’on peut mieux que personne nous relever. Pour les rejoindre. Ceux qui s’y refusent sont des imposteurs. Ils préfèrent jeter des peaux de bananes pour ne pas avoir à s’y laisser prendre, et profiter au contraire du fait que les autres trébuchent à leur place. Ceux-là mériteraient quelques séances de tarte à la crème, avant que ceux qui sont tombés à leur place les invitent à la fête.

Avoir les fesses rougies par les chutes, plutôt que les joues cramoisies par la honte.

Humour, détachement, intelligence. C’est la même chose.

Banana_Peel

Paie ta contribution à la culture de la bêtise

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Politique(s) & médias

Paie ta contribution à la culture de la bêtise, version Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes :

« C’est ce qui contribue à la culture du viol que de minimiser ou de relativiser les viols et les agressions sexuels selon le talent, selon la notoriété, de la personne qui est mise en cause. » « Je me suis aperçu qu’en janvier il y avait un autre cinéaste qui était programmé à la Cinémathèque française qui a été condamné deux fois, donc ça me choque. J’en ai parlé avec la ministre de la Culture, nous pensons que la Cinémathèque française pourrait programmer des cinéastes femmes par exemple, ou des cinéastes femmes et hommes qui n’ont pas été condamnés pour agression sexuelle ou pour viol, il y en a pléthore. Ce serait de notre point de vue plus pertinent. »

Ce qui serait pertinent, ce serait qu’une femme secrétaire d’État évite de parler d’un sujet que manifestement elle ne connaît pas en ignorant complètement et probablement volontairement la programmation à la Cinémathèque. Bel exemple d’un opportunisme crapuleux et démagogique.

Parce que ce qui est choquant, et j’en ai parlé avec mon chat il est d’accord avec moi, c’est de suggérer que la Cinémathèque française ne « mettrait à l’honneur » que des cinéastes (présumés ou non, mais quand on se mêle à la foule pour conspuer le même type, secrétaire d’État ou non, on se pense bien protégé au milieu des autres, et la présomption d’innocence, on s’en balance) agresseurs sexuels. Puisqu’on est dans la dénonciation pure et simple, je rappelle donc que Claire Denis a fait l’objet d’une rétrospective complète en début de saison et que Chantal Akerman aura droit aux mêmes honneurs. Et puisqu’il n’est visiblement pas inutile de le préciser à des secrétaires d’État volontairement inculte et/ou malhonnête, non la Cinémathèque ne programme pas lors du prochain trimestre que Roman Polanski et Jean-Claude Brisseau.

Alors, puisque la culture de la bêtise est un virus qui s’insinue un peu par capillarité, je m’y plonge avec joie et demande : Que peut-on espérer d’une secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes qui cultive ainsi la bêtise et la malhonnêteté intellectuelle ?

Rien, au revoir.


Les semailles de la bêtise opportuniste :

http://www.lci.fr/politique/video-pour-marlene-schiappa-l-hommage-rendu-a-roman-polanski-contribue-a-la-culture-du-viol-cinematheque-francaise-2068944.html

La Jeunesse de Maxime, Grigori Kozintsev, Leonid Trauberg (1935)

Révolution de biberons

Note : 4 sur 5.

La Jeunesse de Maxime

Titre original : Yunost Maksima

Année : 1935

Réalisation : Grigori Kozintsev & Leonid Trauberg  

Avec : Boris Chirkov, Valentina Kibardina, Mikhail Tarkhanov

Enfin un bon film dans cette rétrospective soviétique… Le meilleur film soviétique vu ces derniers jours à la Cinémathèque était présenté dans un autre cadre (Croc Blanc).

Une chose est certaine, pas besoin de vivre dans un État totalitaire pour faire de la culture de propagande. 1934-35, on est juste avant les Grande Purges, et aurait donc soufflé, paraît-il, un petit air de liberté dans la production soviétique aux premières heures du parlant. Sauf que pour un créateur à cette époque, pas besoin de sentir la pression de l’autorité totalitaire juste au-dessus de sa tête pour aller dans le sens du pouvoir, il y a un totalitarisme bien plus sournois qui parfois le précède et pousse à la propagande molle et convaincue (c’était sans doute le cas ici), qui est la bienséance, le politiquement correct ou le courant dominant de pensée suivant une révolution de grande ampleur (politique, morale, sociétale, etc.). Il n’y a pas esprit plus endoctriné et servile que celui qui pense agir librement et de bonne foi. La bonne foi, ou la lâcheté, de ceux qui se cachent dans la foule parmi les gueulards qui pensent encore faire la révolution parce qu’ils braillent alors qu’ils ne font qu’enfoncer des portes ouvertes et se mêler au nouveau courant dominant.

Voilà comment en 1934, quand on met en scène des directeurs d’usine, des patrons, des cosaques, des petits nobles à la campagne, des bourgeois, c’est toujours sans la moindre nuance, et on tire toujours dans la caricature facile et inutile, car elle contente la masse et le pouvoir dominant, ne gratte que ceux qui sont désormais passés de l’autre côté, de ceux des indésirables, des faibles ou des minoritaires. Alors non, ce n’est pas de la propagande, pire que ça, plus tendancieux, c’est de la petite haine gratuite et sincère qui parce qu’elle est gratuite et sincère se donne l’apparence d’une noble et légitime récrimination.

Heureusement que le film se concentre autrement sur la manière dont Maxime s’éduque et s’élève, s’oppose et finalement, lui, gagne des convictions qui le mettent réellement en danger face au pouvoir alors en place. L’exaltation de l’élan communiste, révolutionnaire, au moins il peut être accepté ici par le spectateur neutre, parce qu’il est justifié et qu’il lutte contre les courants dominants. La question des bourgeois et des ouvriers, finalement on s’en fout pas mal et ne ressort de cette histoire qu’une des plus vieilles histoires du monde : les faibles contre les forts, et parmi ces faibles, des héros qui ont commencé petits, parfois même pas du tout concernés (tournure à la Moïse presque), et on touche alors à la mythologie, on suit les archétypes d’une dramaturgie parfaitement exécutée, on oublie les détails faciles et caricaturaux comme on oublie les approximations sonores ou les raccords douteux.

Ce n’est plus un film illustrant une idéologie, c’est un film qui décrit le destin d’un petit héros de la révolution comme on aurait pu en raconter des milliers. Ce Maxime, c’est tout à la fois Lacombe Lucien, d’abord, puis Edmond Dantés, Rastignac et on le devine un jour Spartacus. L’idéal qui l’anime, c’est le seul qui vaille, c’est celui de la liberté. La liberté contre l’oppression et le totalitarisme. Et celui-là est commun à tous les peuples, toutes les époques.

Le plus étrange dans tout ça, c’est que le totalitarisme est aussi généré par des courants. Les mêmes qui servent d’abord à faire tomber les digues d’une précédente oppression, puis qui bâtissent sans qu’on s’en aperçoive d’autres remparts contre lesquels il faudra lutter.

Et là, on n’est plus en 1917, en 35, mais en 2017. Il est affligeant de voir à quel point un petit nombre d’individus peuvent prendre plaisir à foutre le bordel autour d’une institution comme la Cinémathèque française (La Jeunesse de Maxime est projeté en même temps que le nouveau film de Roman Polanski et des intégristes féministes se mêlent à la fête), non pas pour défendre la cause qu’ils prétendent mais parce qu’ils se rêvent en grands héros oppressés et se complaisent dans une fausse idée de l’héroïsme et du courage en singeant leurs glorieux aînés. La jolie révolution de crocodiles avec ses tartes à la crème et ses nibards à l’air. Ceux-là devraient comprendre une chose : les révolutionnaires n’ont pas de pères, elles naissent de l’oppression, pas de l’indignation (bourgeoise). Il serait terrifiant de voir combien tous ces fous qui répandent des messages stupides sur les réseaux sociaux, ou devant la machine à café, en parlant à leurs copines, avec le même degré de défaut d’intelligence, de mesure ou d’à-propos en venaient tout à coup à assumer la bêtise de leur opinion et oser sortir dans la rue affronter l’épouvantable régime patriarcal (sic) sous lequel nous vivons. On sent tout de même que beaucoup qui affichent publiquement leur soutien à une cause idiote et déplacée le font par petit intérêt, précisément de cette manière molle d’adhérer à une idéologie dominante contre laquelle on n’ose trop encore élever la voix, protester, qui est précisément l’état d’esprit qu’on ressent dans ce film et qui n’est rien d’autre que de la complaisance à l’égard de la pensée qui domine et qui tend peu à peu vers l’inquisition. Il y a un petit totalitarisme vicieux là-dessous qui sent pas très bon et qui heureusement a peu de chance de tourner au totalitarisme femen. Car papa veille. Ces petits élans totalitaires poussés par les vagues molles de notre bêtise finissent presque toujours par faire pschitt. C’est bien la logique de l’indignation, sentiment si populaire en ce début de XXIᵉ siècle. On montre ses seins au méchant loup, on lui tire la langue, et on se rhabille en rentrant chez papa. Le jeune Maxime en serait affligé. Des petites-bourgeoises jouant les effarouchées alors qu’on manque tant de bonnes femmes pour embrasser la carrière politique (que rien ni personne ne les interdit de suivre).

Tous ceux-là étaient donc venus jouer les Spartacus d’opérette devant le temple du cinéma de papa, pour le seul motif qu’un certain Roman Polanski y était invité pour présenter son nouveau nanar (mesdames, vous pourrez revenir mercredi, la rétro, donc les hommages, c’était pas encore pour ce soir). Et moi, comme à mon habitude quand il y a tout un tas de films chiants projetés, j’y étais enfermé depuis le début de l’après-midi.

Eh ben, elles m’ont bien fichu les pétoches ces grognasses. Tout à coup, c’est vrai, je me sens moins l’envie d’aller violer des jeunes filles. Faut dire que je me laisse facilement impressionner. L’une d’elles est passée sous mon nez, m’a mis laittéralement son téton sous les yeux avant de brailler : « Mes tétons ou la vie ! » Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle invective ? Et elle insiste, elle prend à pleines mains sa poitrine hâlée au miel de mai, et répète : « Mes tétons ou la vie ! » Il me serait trop difficile de répondre à une question aussi saugrenue (non, c’est vrai quoi ?), alors je réponds en foutant élégamment une main à mes parties : « Prends plutôt mes bourses, ma mie ! » « Et allez donc, t’es pas mon père ! », qu’elle me rétorque en levant une jambe en l’air (où c’est qu’elle a bien pu aller chercher ça ?!), et là elle lâche ses nibards carrossés comme les ailes d’un camion volé et me fout une main là où la mienne venait juste de lâcher l’affaire : « Plutôt deux pois qu’un·e, bonhomme ! » Je m’égosille (un peu à sa manière) sans chercher plus avant à comprendre son vocabulaire, et je me surprends tout à coup à prendre un accent, moi aussi, inclusif : « Agression·e ! Agression·e ! » Pour le reste, je ne m’en rappelle plus. Je me suis réveillé en Epstein. Pas le réalisateur, la salle. (Parce que moi je distingue les hommes de leurs productions.)

Vive la révolution, la vraie. Contre l’oppression. La vraie… (Ou contre le totalitarisme, le petit, celui de la pensée dominante qui fait loi et contre lequel rares sont ceux qui osent s’ériger.)


La Jeunesse de Maxime, Grigori Kozintsev, Leonid Trauberg 1935 Yunost Maksima | Gosudarstvennoe Upravlenie Kinematografii i fotografii


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Merci La Poste. Bientôt, pour faciliter l’envoi des courriers et améliorer le service, La Poste n’enverra plus les plis dans notre boîte aux lettres, mais à un voisin chez qui il faudra se rendre pour récupérer les enveloppes qui nous sont adressées. Voilà plus de 4 000 ans que le service postal existe, il était temps d’innover. Vraiment, pourquoi aucune poste au monde n’y avait pensé ? Envoyer notre courrier chez le voisin. C’est pourtant plus simple.

Encore merci, escrocs.

 


La Poste ou les escrocs anonymes

Weinstein et compagnie

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Violences de la société

C’est sympa de nous rejouer le coup des “scandales” sexuels presque un siècle après qu’on a accusé Roscoe “Fatty” Arbuckle de viol et de meurtre de Virginia Rappe, et presque une demi-douzaine d’années après les accusations de viol de DSK sur Tristane Banon. Manifestement, la presse, la rumeur, les scandales et les lynchages en règle qui suivent avec le même systématisme, les mêmes procédés puants et contre-productifs ne nous apprennent rien. Alors on recommence.

Quand on est victime d’un délit et a fortiori d’un crime, il y a ce qu’on appelle dans les sociétés civilisées, la Justice. Personne ne veut aller en justice, on le comprend, ce n’est pas drôle, mais si on y renonce, et plus on y renonce, moins il sera facile, voire carrément possible, de prouver qu’on a bien été victime.

La question n’est pas de savoir si Fatty Arbuckle était coupable, si DSK l’était ou aujourd’hui Weinstein, car les circonstances sont différentes, et au moins pour le premier, il est assez vraisemblable, un siècle après, de penser qu’il avait été accusé à tort. En revanche, c’est tout l’emballement qui suit, les “scandales” relayés et alimentés par la presse et la rumeur, les lynchages, les attaques de tous côtés (que ce soit à l’égard de l’accusé en question ou des victimes), qui procèdent de la même logique.

Un crime, ça se juge devant de la Justice. Pas au tribunal populaire. Alors les petits collabos de circonstances qui sont toujours du bon côté de la barrière et dans le sens du vent, les opportunistes, tous ceux qui ont peur de ne pas participer au mouvement de foule et de dénigrement (là encore en s’attaquant à la fois à l’accusé populaire ou la victime), tous ceux-là, c’est en fait eux, toujours les mêmes, nous, qu’il faudrait accuser. Parce qu’ils n’apprennent jamais rien et n’ont jamais qu’un seul désir : profiter, non pas du crime, mais du scandale. Il y a des profiteurs de scandale comme il y a des profiteurs de guerre. On juge (et je le fais ici à mon tour, mais je ne juge pas un cas particulier), on se lave pas mal les mains en fait des victimes qu’on prétend défendre, car encore une fois, quelques mois après, on se foutra pas mal de savoir s’il y a ne serait-ce qu’un procès, vu que tout ce qui importe, ce n’est pas de protéger les victimes, mais de participer au scandale, au mouvement, aux accusations ; sinon on comprendrait, à force d’expérience, puisque ces scandales ne font que se répéter avec les mêmes résultats, à savoir que ça se retourne contre les victimes, et que les crimes et délits qui entourent toutes ces pratiques bien réelles, et dont on ne parle pas au quotidien, elles continuent sans que cela change.

Parce que profondément, est-ce que la mise en lumière de tels scandales, de telles accusations, aide-t-elle à changer les comportements ? Non. Que les faits soient réels ou non, pour une affaire médiatisée, il y en a des millions d’autres qui n’attirent l’attention de personne et qui tiennent de la même logique. En l’occurrence, un bon gros et gras prédateur sexuel capable, par le pouvoir qu’il détient sur sa (ou ses) victime potentielle, par la sympathie et la confiance dont il peut jouir, et grâce à leur environnement commun, d’agir sur elles a sa guise et sans risque de poursuites (immédiates, et au prix parfois de chantages, d’ententes forcées, de menaces, etc.). Il y a donc un siècle, éclatait cette affaire du viol et du meurtre de Virginia Rappe. Les pratiques ont-elles alors changé à Hollywood ? On serait tentés de dire : « la preuve que non puisqu’on y est encore un siècle après ». Mais encore une fois les affaires ne sont pas identiques, ce n’est que le traitement qui en est fait. Mais les affaires de mœurs ont-elles disparu à Hollywood, ou ailleurs ? Pense-t-on vraiment aller dans le bon sens en nous acharnant sur des affaires sur lesquelles on ne sait rien au lieu de nous attaquer à ce qui fait système ? L’impunité, l’intérêt que chacun a de se taire, la difficulté à porter plainte, l’impréparation des commissariats à recevoir les victimes, la justice débordée… La question des violences dans un milieu en particulier, par un type d’agresseurs en particulier, ou même dans une société tout entière, c’est un problème qui ne peut se résoudre à la lumière d’un seul fait divers ou de ses petites sœurs balancées sur la place publique. Un peu à la manière de la lutte contre le terrorisme, la passion, le manque de raison, la nécessité de montrer les muscles, ou simplement d’agir, presse certains à prendre des décisions au mieux inutiles, au pire, contre-productives. La famille et les amis croient un ou une proche quand elle se dit victime d’un abus ou d’un crime. Mais ce n’est pas à la société entière de la croire. Pour ça, il y a la suspension de jugement. Ce n’est pas parce que 99 % des plaintes seraient issues de victimes réelles qu’il faudrait accepter de systématiser un verdict, justement pour les 1 % qu’il reste. La justice ne peut pas créer de nouvelle victime. C’est pour ça que c’est difficile, et c’est pour ça qu’il faut donner les moyens à la justice de travailler.

Il y a un siècle, le scandale de Fatty a bien ruiné sa carrière, au point qu’aujourd’hui rares sont ceux qui pourraient citer son nom ou un de ses films (ou oublie les scandales et les personnes qui y sont mêlées comme des furoncles passent et repassent sur notre peau : ça jaillit, c’est vilain, on tente à peu près tout pour colmater, on empire la chose, on se salit soi-même les doigts, et puis un an après c’est tout oublié), et au final, sur quoi a débouché l’affaire ? Arbuckle sera acquitté et cette affaire sera le point de départ d’une prise de conscience des faiseurs d’Hollywood (leur bonne conscience, leur agence de presse) et on aboutira quelques années après à la mise en place d’un code de conduite, le code Hays (le but n’étant alors pas de préserver les bonnes mœurs américaines mais bien d’éviter de nouveaux scandales). De rien, on en a conclue qu’il fallait non plus se taire, mais ne plus montrer en laissant penser aux milieux conservateurs que ce que l’on ne voit pas n’existe pas.

De la même manière que dans l’élucidation d’un crime on en vient à se demander à qui profite le crime, en la matière de scandale, il serait bon de se demander à qui il profite. Certainement pas aux victimes. Qui le sont bien souvent deux fois.

J’insiste donc. Aucune justice légitime ne peut passer par la presse. L’emballement ne ferait qu’y rappeler ce qu’on y voit parfaitement décrit dans des films comme Fury, La Rumeur ou L’Étrange Incident. Le citoyen ne sort jamais grandi d’accusation sans preuve, et la victime n’aura jamais gain de cause en accusant publiquement (par voie de presse, quand un système se dessine autour d’un même prédateur, oui). Sans preuves suffisantes, elles laissent la possibilité à leur(s) agresseur(s) une nouvelle fois de les attaquer. D’où l’intérêt pour les victimes de pouvoir se manifester à la justice pour qu’elle puisse lancer, elle, des procédures quand des victimes n’ayant parfois aucun rapport entre elles ne pourraient rien faire seules. Faire appel à l’opinion publique, c’est à la fois se trahir soi-même, se fourvoyer sur l’issue d’un jugement qu’on a jusque-là renoncé à porter devant les tribunaux, c’est espérer une compassion, certes légitime, mais qui se révélera vite éphémère et réellement destructrice pour soi quand on verra que ce n’est pas suffisant. Si les victimes ne s’en rendent pas compte au moment de porter, souvent trop tardivement, leurs accusations, c’est encore ce vacarme étourdissant comme un poulet sans tête qui viendra cruellement leur rappeler.

Un crime, ça se dénonce le plus rapidement possible, à la police, et ça se juge devant un tribunal. C’est cet accès qui doit être renforcé. Il faudrait par exemple pouvoir créer une plateforme de signalement et de plainte. Si les scandales ne font intervenir qu’une poignée de protagonistes, il salit surtout ceux qui s’avilissent à juger une affaire dont ils ne savent rien sur la place publique. Donc tout le monde, la société dans son ensemble. Le scandale Weinstein, comme autrefois celui d’Arbuckle ou de DSK en disent moins sur les petites personnes concernées que sur une société capable de s’agiter sur de tels faits divers. Hier, le code Hays avait servi aux réels agresseurs de se cacher derrière la nouvelle image que cherchait à se donner le milieu ; aujourd’hui, nul doute que de mêmes hypocrites se lient aux mouvements « on te croit » pour mieux cacher leurs crimes. Les belles intentions ne font que préserver les agresseurs. Il n’y a pas à « croire », il y a à donner aux victimes et à la justice les moyens, concrètement, à poursuivre les criminels.

(Et pour ceux encore qui prétendaient ne pas savoir et qui dégueulent sur « ceux qui savaient », rappelons que Peter Biskind parlait déjà du comportement suspect du bonhomme dans Sexe, mensonges et Hollywood.)


À lire : le commentaire écrit plus bas en commentaire d’article concernant la rétrospective Polanski à la cinémathèque française.

(Mieux de le mettre ici… :)

(On recommence quelques jours après. Même improductivité, autres méthodes — la manifestation — cette fois concernant la polémique de la rétrospective Polanski à la Cinémathèque. Ayant posté une réponse à la demande de manifestation par je ne sais quelle activiste mal inspirée, je la poste également ici pour mémoire.)

Sinon vous venez et vous vous intéressez à ce que la Cinémathèque programme par ailleurs, ou vous venez juste cracher votre venin stérile et racoleur dans un seul but promotionnel ?

Les intégristes pseudo-féministes étaient déjà venues chialer l’année dernière lors de l’inauguration de la rétrospective Dorothy Arzner pour réclamer la mise en avant de plus de femmes cinéastes avant de ne plus voir personne lors des projections régulières (preuve si c’était encore nécessaire que seule la publicité est recherchée lors de telles manifestations pseudo-féministes). Et là encore, quand Claire Denis a été mise à l’honneur par la même Cinémathèque, en cette saison, personne dans les salles.

Certaines chialeuses sont très fortes pour dire aux autres ce qu’il faudrait faire, beaucoup moins quand il est question de manifester leur soutien à des prétendues victimes (du sexisme, du patriarcat) par la plus simple et la plus démocratique des méthodes : bouger ses fesses et aller les poser dans une salle. Si la Cinémathèque avait certes pu faire une rétrospective en se gardant bien d’inviter le personnage, d’autres seraient également bien avisés de cesser de parler de la culture que d’autres devraient presque s’infliger à leur place. Ces agitateurs sont aussi féministes que les sociaux-démocrates sont de gauche. Ils servent leurs propres intérêts, nourrissent une haine systématique des hommes et se rangent du même côté de l’extrême droite en piétinant les principes du droit au lieu de chercher à le renforcer. Il faut défendre radicalement le droit. S’agiter et jouer les juges à la place des juges, ce n’est pas être radical, c’est être intégriste.

Il est tout joli le royaume de l’indignation dans lequel vous semblez vivre. Cessez de vous indigner ; cessez d’interroger la programmation d’une institution culturelle quand vous avez manifestement aucun intérêt pour elle, et faites avancer le droit des femmes là où elles en ont.

Soyez par ailleurs certaine(s) d’une chose : que si on peut comprendre que toute cette publicité vous soit profitable (vous existez autrement qu’à travers les polémiques ?), elle sert également, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la personne que vous attaquez. La légende d’Hollywood s’est créée dans les années 10 à partir de scandales qui alimentaient la publicité. De ces scandales ne restera pratiquement rien. Un Fatty Arbuckle, par exemple, sera blanchi dans son affaire ; et même si, contrairement à d’autres qui lui ont succédé, il n’a plus recouvré le succès, restent un siècle après, ses films, rien que ses films. Innocemment ou non, vous participez ainsi un peu plus à la légende d’un cinéaste qui n’aurait probablement pas eu toute son attention qu’à travers son supposé génie. Et cela, en entretenant votre publicité en même temps que la sienne.

Vous prétendez défendre les victimes ? Foutaise. Au lieu de soigner la publicité, cessez de vous attaquer vainement à des symboles et à des crimes vieux d’un demi-siècle, à de simples faits divers qui loin de contribuer pour la cause des femmes et des victimes peineraient même à faire croire que les agitations coutumières dont elles sont à l’origine servent les quelques victimes concernées.

Manifestez son indignation, est-ce protéger les victimes ou les futures victimes ? Certainement pas. C’est au contraire maintenir l’idée répandue que les agressions ne proviennent toujours que de criminels parfaitement identifiables laissés en liberté par on ne sait quelle main invisible ; c’est identifier des « loups » ou des « ogres » qui justement parce qu’ils ont la gueule de l’emploi ne doivent jamais cesser d’être craints ; c’est alimenter une peur ne servant jamais la cause des victimes mais au contraire l’intérêt de ceux ou celles qui prétendent toujours les défendre.

Le même biais, totalement inopérant et contre-productif mais donnant la bonne conscience aux agitateurs qui ne recherchent pas autre chose, ce matin, aux nouvelles : les accusations de viol par un migrant. L’exception fait toujours les gros titres, les têtes de gondole, les symboles sont des cibles parfaites pour servir les intérêts de faux défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Et c’est oublier, nier, que l’exception, facile à dénoncer, n’est jamais la règle.

Des centaines, des milliers, de victimes, chaque année, qui celles-là restent dans l’ombre et le silence et qui pourtant sont les plus nombreuses, agressées non par des « mythes », des « loups », des « migrants », des Weinstein ou des Roman Polanski, mais par des proches, des connaissances, des collègues, bref, par tout sauf des criminels qui n’ont rien de l’apparence évidente, dangereuse, du mythe que vous contribuez à entretenir à travers votre recherche permanente de publicité, eh bien de toutes ces victimes, on n’en saura pas plus, victimes également d’un crime bien trop commun ; et celles-là, suivies bien plus encore qui arriveront après elles, pourront rester dans leur ignorance, leur naïveté, confortées dans leur idée, rassurées qu’elles seront par vos agitations stériles, que les agresseurs dont elles sont potentiellement victimes ressemblent tous à des # porcs.

Lancez en temps venu une autre pétition à l’attention de Jean-Claude Brisseau (sans concertation, c’est à craindre, avec ses victimes) et vous ne servirez pas plus la cause que vous prétendez défendre. Mais la vôtre. Pire encore, vous assurerez un peu plus la publicité et la postérité d’un cinéaste qui ne mérite peut-être pas autant d’attention et d’honneur.

The Red Pill, Cassie Jaye (2016)

Totem moi non plus, ou le Journal de Cassie Jaye

The Red Pill
Année : 2016
Réalisation :
Cassie Jaye
7/10  

Masculinistes et féministes dans nos sociétés d’aujourd’hui ne sont parfois plus que d’affreux sexistes versant sur les représentants du sexe opposé leur petite haine xénophobe (au sens travesti), qui ne voient les maux dont ils souffrent, ou les luttes (légitimes ou non) qu’ils veulent mener, qu’à travers le prisme du genre. On prend un parti, et on ne s’en départ plus. D’un côté comme de l’autre, il faut assumer sa connerie, son idéologie, jusqu’au bout. Du militantisme au fanatisme, il n’y a qu’un pill. Ou un isme. C’est ce que j’exprimais déjà dans mon billet sur les totems de l’idéologie (plutôt axé sur le terrorisme toutefois, mais qui vaut pour toutes les formes de petites haines qu’on légitime à travers un discours victimisant — que ce discours soit légitime ou non, qu’il soit efficace ou non, c’est une autre histoire). Voir donc un film réalisé par une femme se présentant comme féministe sur les groupes activistes masculinistes ne pouvait alors que m’intéresser. Encore plus quand on sait que le film a eu les plus grandes peines du monde dans certaines villes à sortir car jugé antiféministe (la censure autorisée des bienveillants tâcherons du politiquement correct). Il est toujours bon de s’informer des bêtises du monde qui nous entoure et de l’ironie de certains comportements d’individus censés être (ou se présentant comme) libéraux quand ils ne le sont en fait d’abord que pour eux-mêmes, et surtout pas pour d’autres qu’ils se chargeront de désigner.

Attention, une femme au volant.

Le ton du film commence pourtant mal, on n’a pas vraiment affaire à un documentaire, mais à un exercice étrange qui relève plus du journal ou de l’enquête tout terrain à la Michael Moore. Le problème de ce genre de films présentés un peu à tort comme des documentaires, et qui fait principalement leur faiblesse, c’est l’utilisation assumée et revendiquée de la subjectivité. L’exercice de l’objectivité est bien sûr difficile à tenir mais c’est une question de direction, de choix, de volonté. On ne sera jamais, à travers un documentaire ou non, objectif, mais c’est la volonté affichée de l’être qui est respectable, et qui… fait illusion. Je ne vois pas meilleure approche pour informer. En optant délibérément pour la subjectivité, l’auteure du documentaire, Cassie Jaye, se met elle-même dans une situation délicate puisqu’elle questionne en temps réel ses propres convictions, et se met en scène en train de se laisser convaincre par des arguments tout aussi biaisés que ceux l’ayant fait adhérer auparavant à ce qu’elle croyait être du féminisme (le féminisme bon ton, celui des petites filles, le même qui les poussent à se faire un piercing sur le nombril à 15 ans comme signe d’émancipation face à l’intolérable carcan familial, pardon, patriarcal). Ce qui me chagrine le plus souvent dans cette approche personnelle, c’est qu’on traite d’un problème général à travers le prisme de l’émotion et de l’expérience personnelle. Et ce n’est pas que cette approche soit moins légitime au cinéma (mes billets sont tout aussi, voire plus, personnels et n’ont aucune prétention à viser l’objectivité), c’est qu’elle me prive peut-être un peu de l’intérêt que j’aurais pu avoir à profiter d’un film traitant d’un même sujet mais abordé dans une optique plus objective… Plus qu’avec aucun autre film de fiction, le documentaire peut être ainsi une source de frustration pour celui qui le regarde car il ne verra jamais au fond le film qu’il aurait voulu qu’on lui montre…

L’émotion est donc au cœur du film, et le discours de ces hommes faisant part de leur souffrance touche la cinéaste, et à force de s’en trouver affectée, commence à remettre en question ses certitudes et à adhérer à une vision du monde qu’elle croit guidée par de gentils idéaux (les mêmes peut-être qui l’avaient poussée à adhérer au féminisme). Une idéologie (une religion, un dogme, un dieu, un totem) en remplace une autre. L’homme (ou la femme) n’est jamais aussi bien dressé que quand il se met à genoux devant un totem. Cassie Jaye ne comprend pas les processus biaisés qui l’ont conduit jusque-là dans une idée qu’elle se faisait du monde et qui la mène une nouvelle fois à penser différemment mais en fonction toujours des mêmes travers. Elle pense être guidée par les idées, la raison, quand elle ne l’est que par l’émotion et les mirages de la sophistique fumeuse qui entoure toutes ces idéologies (on retrouve les mêmes processus de pensée dans la partisânerie que dans n’importe quel fanatisme).

Je doute donc de la démarche, mais ça tombe bien puisqu’à mon doute répond celui de la cinéaste (on est loin de Michael Moore, et ce n’est pas si mal). Peut-être finalement, me dis-je, qu’il y a un intérêt à voir le film qui m’est présenté, et que j’aurais mieux fait de cesser de me plaindre de ne pas voir celui que j’aurais voulu voir. Chacun tâtonne, un pas dans un sens, un pas dans l’autre, bientôt je danserais avec Cassie Jaye.

C’est moi qui conduis. Attention aux pieds.

La cinéaste, sans doute par un souci d’équité ou de semblant d’objectivité, décide de confronter l’avis des masculinistes à certaines autorités féministes. Et avant que leurs propos (ou leur attitude) finissent par les décrédibiliser tout à fait (la palme à la directrice du magazine Mrs., Katherine Spillar, qui se montrera au fil des interventions toujours plus intolérante et stupide, en particulier dans sa manière… misandre, d’évoquer la conception d’un enfant comme s’il était en fait question d’une maladie inoculée par les hommes aux femmes…), l’une d’elles (c’est un homme) dit justement à propos des masculinistes : « Grandissez un peu, on ne peut pas confondre la souffrance avec l’oppression ». Sauf qu’on aurait envie de lui dire que cette sage affirmation vaudrait tout aussi bien pour des femmes occidentales du XXIᵉ siècle.

C’est sans doute ce que se dit à ce moment l’une d’elles, celle qui précisément réalise le film.

Mais soit, peut-on imaginer, sans aller jusqu’à parler d’oppression, qu’il puisse être utile, significatif, d’évoquer des réalités statistiques pour concevoir un peu mieux le monde dans lequel nous vivons, et par là donc prendre conscience de certains travers de nos sociétés, établir des constats pour le bien-être de tous, autrement dit ici, peut-on faire état de certaines souffrances et supposées inégalités sans se faire traiter de tous les noms ? La question serait de savoir aussi si ç’a un sens de parler de « réalités statistiques ». Et là encore, ce qui vaudrait pour les hommes (ou leurs revendications), pourquoi devrait-on a priori l’accepter quand il est question des droits et des revendications des femmes ? Hein, a priori ? (C’est un outil très répandu pour faire état de certaines inégalités en défaveur des femmes.) Reste que certains constats sociologiques (au-delà donc d’une certaine réalité difficile à concevoir quand on cherche à s’émanciper des biais propres aux statistiques), sans avoir à préjuger de qui, des hommes ou des femmes, auraient tout intérêt, et légitimité, à être évoqués. Les féministes parleraient alors (on m’excusera pour le procès d’intention) d’indécence à parler de certaines statistiques (« profitable » à la souffrance des hommes, ou révélant des inégalités supposées en défaveur des hommes — j’insiste encore une fois sur le caractère supposé de ces inégalités parce qu’elles s’appuient sur des statistiques) quand d’autres en défaveur de femmes illustrent d’un bien plus grand déséquilibre (ce qui serait tout à fait acceptable si le discours féminisant ne venait noircir le tableau plus que nécessaire en évoquant l’oppression issue d’une « société patriarcale », s’écartant alors du seul constat à propos d’un sujet précis pour le généraliser à une idéologie plus globale, et ainsi dresser les femmes contre cette oppression supposée que les hommes exerceraient sur leurs victimes — sophisme à l’insu de leur plein gré ou manœuvre malhonnête, peu importe).

Parlons des suicides par exemple. Les hommes seraient beaucoup plus touchés que les femmes. Victimisation, masculinisme ? Peut-être. Mais est-ce que le constat une fois établi (et si on met de côté, toujours, les biais statistiques qui ont pu mener à un tel résultat) peut permettre, au-delà de toute considération sexiste et idéologique…, non pas précisément à réduire un déséquilibre entre hommes et femmes (l’erreur ici serait de penser qu’il y a une discrimination) mais à identifier des troubles, des comportements propres à certaines populations (il se trouve ici qu’il est question des hommes) afin de commencer à régler un problème sans considérations liées au sexe (j’insiste, l’idée ne serait pas de créer un équilibre des suicides entre hommes et femmes, mais simplement de comprendre qu’il y a une prévalence des hommes au suicide). Dans la même idée, je suppose (désolé de ne pas vérifier) que les femmes sont plus touchées, cette fois, par les tentatives de suicide : moins radicales, elles sont aussi l’expression d’un trouble qu’il faut traiter, et savoir quel type de population est plus susceptible d’être touché, ça participe à comprendre les processus psychologiques et sociologiques qui les provoquent… Et je reviens sur la question des biais statistiques : la seule chose à comprendre, c’est qu’elles ne peuvent et ne doivent pas être utilisées comme une arme pour s’opposer à l’autre sexe. Ce qui vaut pour les mouvements masculinistes vaut pour les mouvements féministes occidentaux du XXIᵉ siècle. Parce que s’il y a un intérêt statistique à connaître le taux de représentation des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises ou dans les parlements, ça trace un constat qui ne peut être inclus dans une démarche idéologique. Un constat aide à régler un problème précis, si c’est pour venir alimenter une idéologie, et en particulier la théorie farfelue du patriarcat, non. Il y a ceux qui veulent régler les problèmes, éviter soigneusement le piège des stéréotypes, et il y a les écervelés et les cons qui prennent des moulins pour des géants ou qui veulent renverser les souverains de leur trône pour s’y mettre à la place (comprendre : renverser une oppression — parfois fantasmée — par une autre, qui deviendra, elle, bien réelle si ces fanatiques gagnaient leurs révolutions en carton).

Petit interlude explicatif et positionniste entre deux tunnels fibreux. S’il fallait faire dans l’aveu d’appartenance à une idéologie, je confesserais bien une petite attirance (mais j’essaie de ne pas trop m’y soumettre sachant, moi, à quel point il est dangereux de se laisser guider par les idées plus qu’en devenir soi-même le maître, na !) pour l’égalitarisme (l’italique le rend encore plus sexy). Bien sûr, ç’a moins de couilles que de se prétendre féministe, c’est moins victimisant qu’être masculiniste ; mais voilà, je dois l’avouer, s’il y a de l’oppression, dans un côté ou d’un autre… il faut que cela cesse ! s’il y a des discriminations, quelles qu’en soient les causes ou les victimes, il faut que cela cesse ! s’il y a des préjugés, en tout genre, il faut que cela cesse !… C’est ma grande faiblesse, je l’avoue. Petit, déjà, je m’en voulais que ma main droite prenne le pas sur la gauche, et depuis lors je m’applique à jamais la négliger en me faisant plus ou moins ambidextre. C’est un combat de tous les jours, l’égalité (ou comme l’objectivité qui me manque dans ce commentaire) est un vœu pieux. C’est l’intention qui compte comme disait l’autre.

Pour en revenir au film, s’il y avait une punchline (un piège rhétorique, ou une manœuvre de la sophistique qu’elle soit induite par la main gauche ou par la droite) qu’il faudrait retenir, énoncée dans le film par son auteur Warren Farrell, c’est la suivante : « Si la femme est vue comme un objet sexuel, l’homme est vu lui comme un objet à succès ». À méditer. (Une affirmation suivie d’une autre tout aussi mignonne, avec tout ce que peut avoir un aphorisme de ronflant : « Les femmes ne peuvent pas entendre ce que les hommes ne disent pas. » Ce qui est passionnant dans les aphorismes, c’est qu’ils ont toujours raison ; ils sont implacables. Malheureusement tout cela sera suivi d’une autre affirmation ébouriffée d’une tout autre manière, et revenant sur nos inévitables biais statistiques, à savoir que 93 % des personnes décédées sur leur lieu de travail sont des hommes. D’accord, bon, au-delà du fait qu’on croit voir des résultats dignes des meilleures publications de l’université de Sherbrooke pour mesurer les bienfaits du café sur l’obésité, on met surtout en exergue l’argument féministe, là, renvoyant à l’image de la femme qui ne se tue pas au travail et pour cause puisqu’elle reste à la maison. L’art d’interpréter les statistiques jusqu’à l’absurde.)

Au moins, il faut l’avouer, contrairement à ce qui a été dit par les tenants du pseudo-féminisme, ces fanatiques sexistes de l’intolérance pour tous sauf pour eux, on pourrait difficilement malgré tout voir ce film (à travers son auteure) comme de la propagande masculiniste, voire antiféministe. L’égalité pour tous ; la bêtise est plutôt bien partagée entre les groupes (malgré une subjectivité assumée de l’auteure un peu terrorisante pour qui rêverait d’une approche plus froide, il faut reconnaître aussi que cette approche lui permet, à travers ses doutes parfaitement mis en scène, d’exprimer quelques réflexions bien senties). Hommes et femmes en prennent donc chacun pour leur grade : les hommes (masculinistes, mais les hommes féministes présentés font tout autant peine à voir) avec leurs sophismes ou leur délire de persécution (léger toutefois), les femmes (pseudo-féministes, activistes à la con, sexistes, féministes avariées en lutte contre une société qui n’existe plus depuis cinquante ans — ah, c’était mieux avant, quand se révolter avait un sens, quand tout était à gagner… alors que les femmes aujourd’hui, pour exprimer leur inclination à la révolte, sont réduites à des hashtags sur le manspreading entre un tweet sur le meilleur rouge à lèvres et un autre sur son assiette instragramée et délicieusement estampillée végane dans le dernier restaurant à la mode) avec leurs injures et leurs ad hominem incessants (on en voudrait presque toutefois à l’auteure, cette fois, de n’avoir interviewé que des pseudo-féministes, quand d’autres probablement plus mesurées, plus honnêtes ou simplement moins débiles, auraient probablement porté un regard plus éclairant à la fois sur les différentes formes de féminisme, mais aussi bien sûr sur la perception de ce féminisme moderne face aux revendications souvent incomprises des masculinistes). Aucun débat possible, donc (sauf peut-être dans la tête de l’auteure du documentaire, et c’est peut-être malgré tout, ce qui est le plus intéressant à suivre, le plus… émouvant, à force de suspecter chez elle, ou à voir prendre forme à travers ses petites vidéos personnelles, un peu moins de certitudes), parce que tous (et toutes) sont des cons, et/ou intolérants à l’intolérance de l’autre. Aucune mesure possible (la mesure, je le rappelle, c’est ce qui aide à l’égalitarisme, mais je dis juste ça comme ça), et la seule volonté de critiquer l’autre ou de l’humilier. Qu’est-ce que disait Yoda déjà (mais c’était il y a bien longtemps) ? La haine engendre la haine… Voilà.

Là, en revanche, où je m’inscris totalement dans la démarche de certains de ces gourous du masculinisme, c’est quand ils font à leur tour la chasse aux faux-semblants, aux idées reçues, aux manipulations, propagées par le discours pseudo-féministe, notamment quand une partie du discours actuel de ces féministes est axée sur l’illusion d’une société du patriarcat, suggérant par là qu’il y aurait comme une ligue des hommes pour oppresser les femmes, ou que les hommes se serreraient les couilles pour se garder le gros du morceau du pouvoir pour ne pas en laisser aux femmes… On est (dans cette critique d’un certain féminisme rétrograde) dans une optique de lutte contre les préjugés et biais cognitifs des plus communs qu’on retrouve à travers différents groupes sectaires ou conspirationnistes (encore une fois les idéologies procèdent de la même façon que les sectes ou les religions, à savoir que c’est l’idée qui nous forme plus que c’est nous qui formons l’idée). Ce serait plus efficace si cette manière de casser le totem, et les sophismes du discours sexiste d’en face, ne servait pas à en construire un autre cela dit (à croire qu’on n’écoute que ceux qui dressent des totems), et cela, justement parce que le film est trop subjectif, on ne le voit pas assez. Si la question de la supposée oppression tient debout et discrédite presque à elle seule le discours du féminisme radical actuel, les exemples statistiques biaisés jusqu’à la moelle foutent en l’air tout un discours qui aurait pu être mieux entendu. Les statistiques, on peut leur faire dire n’importe quoi ; et cela vaut à la fois pour les tenants du masculinisme comme pour ceux du féminisme.

Égalitarisme ! Roulons au centre ! Protégeons-nous des extrēmes en foutant des macrons partout !

(Heu, non, t’as pas du tipex ?)

L’un des discours les plus intéressants du film est à mettre au crédit de certaines femmes d’un groupe de défense des droits des hommes. L’une d’elles questionne le féminisme comme chacun devrait être capable d’interroger sa propre propension à s’identifier, à se définir, à réfléchir en fonction d’une idéologie plutôt qu’à travers sa propre petite cervelle ; et elle évoque ainsi ces femmes qui se définissent souvent sans y avoir réfléchi comme féministes, en parlant de confort. Le confort de celui, ou celle, qui remâche un discours structuré et approuvé par d’autres. Elle évoque ainsi une histoire au Nigeria qui avait fait le tour des médias dans laquelle les sociétés occidentales s’étaient émues du sort de centaines de jeunes filles kidnappées par des djihadistes. Avec raison, elle précisait que si ces femmes avaient été enlevées, c’était certes parce qu’elles étaient des femmes, mais ce qu’on oubliait de dire (ou de penser), c’est que si elles avaient été des hommes, elles auraient été tuées comme les autres. (C’est un moindre mâle.) Il faut faire un effort d’intelligence pour ne pas tomber dans le piège de certains biais cognitifs dont nous sommes tous victimes, parfois pour se refuser aussi à juger d’une situation en fonction de l’avantage qu’on pourrait y trouver (il y a une forme de complaisance à participer à des mouvements de revendication pour lesquels notre participation est gratuite et sans risque, et grâce auxquelles, même, on peut y gagner la bienveillance et le support des autres). En revanche, là où cette même personne tombe dans la facilité ou les préjugés, c’est quand elle affirme que les terroristes savaient que s’en prendre à des femmes leur donnerait de l’attention, qu’ils étaient parfaitement conscients de ce qu’ils faisaient parce que c’était bien ça, l’attention, qu’ils recherchaient. Et oui…, l’intelligence, c’est une lutte permanente contre la facilité. Jacques Brel disait que tout le monde était intelligent, et que l’intelligence n’était que l’effort que chacun faisait pour être un peu moins con. Il y a de ça dans les postures pseudo-féministes de certaines personnes (hommes, femmes, et ça vaut autant pour les féministes que pour les masculinistes une fois qu’ils tombent dans le piège du confort de la pensée, du ralliement à une idéologie ou à ce qu’ils pensent être une « cause »). Parce qu’il est certes confortable, voire gratifiant, pour une personne de se définir en fonction d’une idéologie en vogue et pour laquelle elle ne court aucun risque. C’est cool, c’est la norme de se définir aujourd’hui comme féministe (alors que…, mettons…, il sera plus compliqué pour une femme de se définir comme entrepreneur, d’affirmer des ambitions politiques ; c’est bien de s’en plaindre, mais pourquoi ne pas faire en sorte que cela devienne plus cool ?). Intégrer un mouvement de pensée qui vous donne à la fois l’image d’une personne responsable civiquement, active voire revendicatrice de certains droits fondamentaux, prétendre alors aller à l’encontre du pouvoir établi (d’où la nécessité par ce biais de se voir lutter contre un oppresseur désigné, quitte à l’inventer, et ce sera ici la « société patriarcale ») quand en fait, c’est tout le contraire. Car si dans les sociétés occidentales certains droits peuvent être encore à gagner pour les femmes, si surtout dans l’usage de nos sociétés beaucoup d’inégalités, de discriminations ou de préjugés (dont les « femmes » sont parfois à la fois victimes et responsables) ont encore cours, participer à une idéologie féministe aujourd’hui, c’est se fondre dans le moule de la facilité et de la pensée prémâchée par d’autres. Il est de bon ton, pour être dans son époque, de se revendiquer, qu’on soit un homme ou une femme, féministe, parce que c’est suivre le vent, et c’est s’interdire comme le disait Brel tout effort d’intelligence. On est sûr d’avoir le beau rôle comme on pouvait être sûr de l’avoir en étant révolutionnaire en 1795, bonapartiste en 1800 et napoléonien en 1805. Certaines personnes se placent toujours dans le sens du vent pour avancer plus vite et pour s’interdire d’avoir à penser, surtout, devoir assumer des convictions portées par leur seul jugement, parce que cela peut se révéler dangereux et inconfortable. Il y avait un inconfort certain pour des individus dans les années 60 à se revendiquer féministes. Et parce que la société avait changé, le féminisme à cette époque a aidé à forger notre présent. Reste que certaines personnes ne comprennent pas comment les droits se gagnent ou comment on pointe du doigt les inégalités, et tombent dans le piège du systématisme et de l’idéologie. Par confort, ces personnes agissent contre les causes qu’elles prétendent défendre, principalement en cherchant à combattre des moulins qui n’existent pas, en s’inventant une société du patriarcat dont elles seraient les victimes, au lieu simplement de lutter contre les inégalités quelles qu’elles soient, les discriminations ou les préjugés. La loi et l’usage. Le pouvoir du législateur et celui de la société. La société a parfois de l’avance, et elles poussent les lois à se faire ; d’autres fois, c’est le contraire, les lois sont là, mais ce sont les consciences qui tardent à se faire, ou à évoluer, et alors, les luttes d’autrefois se répandent comme un écho rassurant dans une prison qu’on est le seul à se bâtir, face à un oppresseur qu’on est le seul à voir.

On peut éprouver parfois dans le film, à l’évocation de certains discours masculinistes, un certain malaise quand ils demandent de la compassion face à leur souffrance. Certes, personne n’a le monopole de la souffrance, et certaines de leurs revendications sont légitimes ; mais comme dans toute idéologie, ce qui lorgne très volontiers vers la bêtise, c’est quand ils tombent dans des excès qui n’ont plus rien à voir avec ces revendications légitimes. Il y a l’usage qui est fait des statistiques, et dans la même logique, une certaine facilité à tomber dans les généralités. Ironiquement, cette forme d’idiotie aide surtout à montrer en quoi celle d’en face, le féminisme contemporain radical, procède de la même manière pour faire valoir des revendications pourtant là encore souvent légitimes. La féministe, celle des suffragettes du début du XXᵉ siècle jusqu’à la babyboumeuse des trente glorieuses, avait encore à se battre pour faire valoir ses droits légitimes. Or, si certaines inégalités persistent, ou plus vraisemblablement des discriminations d’usage (inconscientes, dont les hommes comme les femmes sont responsables), l’égalité est un fait de droit acquis dans nos sociétés. Notre époque en cela, et il faut insister plus sur cela sans nier les efforts qu’il reste en permanence à faire (peut-être plus pour maintenir une intelligence, une vigilance, que pour acquérir de nouveaux droits), est probablement inédit dans l’histoire, et masculinisme comme féminisme apparaissent alors aujourd’hui comme des postures confortables et identifiables pour se plaindre de son sort quand il y aurait par ailleurs bien d’autres choses à changer dans le monde… Le syndrome du bien portant qui gémit que lui aussi il souffre. Pour gérer un tel syndrome, la mesure et la diplomatie sont requises. De la compassion, oui, comme ces masculinistes aimeraient en voir plus à leur attention, et comme l’auteure du film est prête à leur en donner, mais surtout un sens des priorités. Dans tous ces domaines, aucune véritable lutte n’est prioritaire aujourd’hui : des inégalités dont la société doit rester, oui, attentives, pour faire en sorte qu’elles se lissent mais dont le législateur ne pourra jamais rien sinon à promulguer des quotas. Les luttes véritables de notre temps sont ailleurs, et concernent là aussi les discriminations. Problèmes de riches. La Guerre des Rose, comme dans ce film où deux conjoints de la haute société passent leur temps à se chamailler. Souffrances et revendications légitimes, mais une goutte d’eau dans ce qui devrait régir nos sociétés (malheureusement trop enclins à réagir en fonction de ce qu’elles voient à travers le petit bout de la lorgnette, plus qu’à identifier des troubles réellement structurels).

Le film a ses défauts, inhérents à tout documentaire écrit à la première personne. C’est finalement cette approche, paradoxalement, qui le rend attachant. Peu importe si les activistes présentés (et de tous bords) ont des arguments ou des revendications légitimes, parce qu’on s’identifie bien plus à l’auteure du film. Il faut avouer qu’il est passionnant de la voir douter de ses propres convictions. À la Michael Moore, une fois qu’on a accepté l’absence totale d’objectivité, on peut s’amuser et louer la personnalité qui se dégage à travers ce qui ressemble peut-être plus à un journal filmé qu’à un documentaire. À la différence près que Cassie Jaye prend le risque de mettre à mal, en les mettant en scène, ses propres convictions. Une démarche peut-être maladroite, loin d’un Moore, mais fort louable. L’honnêteté, si ce n’est pas la raison, aura toujours ce petit air de sympathie qui fait qu’on pourra tout lui passer, en particulier l’imperfection.

La conclusion fait sourire : si Cassie Jaye a l’intelligence de renier des convictions dont elle se rend compte qu’elles étaient plus liées à une idéologie dont elle avait mal mesuré la portée qu’à des revendications légitimes, il faut avouer que la réaction qui en a été faite par la suite est à la fois ironique et prévisible. Car les reproches brutaux qui lui ont été faits à la sortie du film sonnent un peu comme : « Si tu n’es pas féministe, tu es forcément contre nous ». Vive la rhétorique bushienne, toujours efficace dans la bouche des fanatiques quels qu’ils soient, en particulier dans celle de ceux qui se donnent l’image de chevaliers blancs.


The Red Pill, Cassie Jaye 2016 | Jaye Bird Productions


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