My Dinner with Andre, Louis Malle (1981)

Note : 2.5 sur 5.

My Dinner with Andre

Année : 1981

Réalisation : Louis Malle

De et avec : Andre Gregory, Wallace Shawn

— Dis-moi, Lim, qu’est-ce que le préjugé pour toi ?

— Laisse-moi plutôt te poser une autre question : qu’est-ce que l’invisibilisation des auteurs ? Hier, je vais voir avec des amis My Dinner with Andre. Évidemment, tu le sais tout comme moi, François, je n’ai pas d’amis. Mais j’ai réellement vu My Dinner with Andre.

— Tiens, donc, ce cher Louis se porte-t-il bien ?

— François…, ne casse pas mon entrée en matière. Louis Malle est mort depuis longtemps maintenant.

— Ah, désolé. Ce « dîner », c’était donc hier soir ?

— À l’instant. Bref, je vois ce film de Louis Malle, oui, j’insiste, « de Louis Malle », et vu que le film a été écrit par deux acteurs, ceux qui apparaissent dans le film, je me suis demandé à qui serait attribuée la « paternité » du film. Tu connais mon aversion pour la politique des auteurs…

— La politique restrictive des auteurs. Tu m’en as très souvent fait part, Lim… Nos discussions ne portent que sur ça.

— Voilà. Et je n’ai pas vérifié, mais tu peux être certain de deux choses. La première : Louis Malle s’est peu, voire pas du tout, impliqué dans l’écriture du film et s’est uniquement chargé d’aider les deux auteurs à mettre en scène leur texte. La seconde : presse et spectateurs ne manqueront pas d’attribuer au seul Louis Malle le moindre élément du film lié à l’écriture du film.

— Tu as vérifié ?

— Non. Ai-je répondu à ta première question ?

— En un sens, oui. Mais es-tu certain de ces deux choses : quelle est la véritable entrée en matière de notre discussion que tu ne manqueras pas de reprendre au moment où tu l’auras choisi et par conséquent en présenteras une version forcément tronquée ? Et réponds-tu parfaitement à celle que tu as lancée toi-même en introduction ?

— L’invisibilisation des auteurs ?

— Oui. Non pas que je présume de ce que tu pourrais en penser, mais je me considère, à mon niveau, comme un auteur, je me sens plus ou moins responsable de la manière dont tu perçois la « politique des auteurs », et j’ai peur de ce que tu pourrais en dire. Rouspéter sur la politique des auteurs sans rien évoquer du film ou le nom de ces auteurs, n’est-ce pas une marque (peut-être plus évidente) d’invisibilisation ?

— Exact. Laisse-moi réparer cet impair, François. Le film n’a aucun intérêt. L’exercice de style est formidable, mais trop personnel, pas assez… universel. Quant aux acteurs (une autre manière d’invisibiliser les auteurs), ils me confortent dans l’idée que celui que l’on écoute et regarde le plus est celui qui a le moins de texte à dire.

— Tu m’avais déjà dit que les mauvais acteurs comptaient le nombre de lignes pour préjuger de leur importance. Je vais désormais essayer de compter mes mots !

— Cela n’a rien de significatif, effectivement. Par leur seule présence, certains acteurs arrivent à invisibiliser leurs partenaires qui pensent offrir aux spectateurs la meilleure version d’eux-mêmes parce qu’ils tiennent la corde auditive, remplissent l’espace sonore alors que leur mauvaise récitation de vieux disque rayé ne leur fait plus passer que pour des éléments sonores un peu encombrants. Jouer, c’est parfois se contenter (et c’est beaucoup) d’écouter son partenaire. Et c’est encore plus vrai au cinéma dans lequel le gros plan et le montage tendent à scruter la psychologie des personnages. André Gregory a bien trop à dire, et aucun acteur, aussi bon soit-il, ne pourrait s’en sortir avec de tels tunnels. Et Gregory se révèle plutôt médiocre dans cet exercice alors que l’on pourrait difficilement dire qu’il ne comprend rien ni à la situation ni à l’intention de l’auteur. Wallace Shawn, en revanche, est remarquable. Son travail est à la fois plus simple et bien plus maîtrisé. De l’écoute, de la spontanéité. Excellent dans les choses essentielles du jeu.

— Cette discussion commence un peu trop à ressembler au film, si tu veux mon avis. Sois certain que j’ai demandé à mon monteur de multiplier les plans de coupe sur moi pendant ton tunnel !

— J’avais oublié à quel point tu étais considéré par certains comme un cinéaste de comédies…

— Je suis un auteur : je sais aussi poser des questions. T’es-tu forgé ton avis après seulement cinq minutes de film et dans ce cas, à quel point as-tu tordu la réalité pour que ton impression finale reste conforme à ton préjugé ?

— Je ne pars avec aucun préjugé quand je regarde un film.

— Soit. Mais nous avons bien entamé cette conversation alors que tu n’avais pas encore vu la moitié du film, n’est-ce pas ?

— Je ne peux rien te cacher, François. Mes « amis », ce sont ces chers préjugés. Fidèles à eux-mêmes, on hésite à trop les contrarier.

— As-tu fini par aller lire ce qu’en disait la presse pour voir si « tes amis » avaient vu juste ?

— Tu es de bien meilleure compagnie.

— C’est bien pourquoi je te laisse toujours payer l’addition.

— En feras-tu un film ?

— Je suis un cinéaste qui écrit des comédies romantiques, Lim. Un écart à cette logique décrédibiliserait mon rapport à la politique des auteurs. Demande à Louis ce qu’il en pense.

— Il est mort, je t’ai dit. Wallace Shawn et André Gregory sont encore de ce monde en revanche.

— Tu sais. Dans la « politique des auteurs », il y a une logique que tu sembles n’avoir jamais voulu comprendre.

— Quoi donc ?

— Le rapport à l’autre. L’amitié, le réseau. Elle est là aussi la politique. Et que tu le veuilles ou non, c’est elle qui gouverne le monde. Comment penses-tu que le film ait pu se faire ?

— Peu importe. Mes préjugés sont de bien meilleures compagnies.

— Tu ne seras donc jamais un auteur.

— Je danse sur les tables ; je ne prétends pas être un auteur.

— Très bien. Revois le film et imagine maintenant que Andre ne soit pas parti en Pologne et à partir de là en avoir découvert plus sur lui-même et sur le monde, mais qu’il ait « dansé sur les tables ». Cela t’aurait-il rendu le film plus éloquent ?

— Non.

— Qu’est-ce donc que ce préjugé-là ?…


Invisibilisation d’un des auteurs. My Dinner with Andre, Louis Malle (1981) | Saga Productions Inc., The Andre Company


The Royal Family of Broadway (1930) & Girls About Town (1931)

Il faut qu’une porte reste ouverte ou fermée

Note : 2 sur 5.

The Royal Family of Broadway

Année : 1930

Note : 3 sur 5.

Girls About Town

Année : 1931

Réalisation : George Cukor

Avec : Ina Claire, Fredric March, Mary Brian, Henrietta Crosman

Avec : Kay Francis, Joel McCrea, Lilyan Tashman

C’est fou les progrès que l’on peut produire en l’espace de quelques semaines. Le cinéma parlant se distingue singulièrement du muet, tout était à réinventer, et rares sont les réalisateurs ou les studios qui ont compris instantanément les pièges de ce nouveau théâtre filmé.

En quelques mois, on produit des films à la va-vite à partir de pièces de Broadway, et le tour de force du système hollywoodien a consisté alors à trouver les failles dans ces ratés et à y proposer des solutions avant la concurrence. Si, à l’âge du muet, les recherches formelles et les superproductions avaient fini par prendre le contrôle du paysage cinématographique (en dehors de quelques acteurs comiques auquel le public s’était attaché), avant cela, c’était bien le burlesque (ou slapstick) qui avait inventé les codes de la réalisation (on a trop donné à mon sens d’importance à Griffith ou aux drames/thrillers en général, mais c’est une constance, on ne prend pas au sérieux… les rigolos). C’était, en gros, ma thèse dans mon article « Charlot grammairien ».

Pour faire simple, réaliser une séquence burlesque dépendait autant de l’exécution de l’acteur que du montage. Au théâtre, l’acteur est maître du rythme. Or, sans rythme, pas de comédie. La comédie, c’est la rupture, la surprise, la mise en opposition. Quand vous regardez une scène de commedia dell’arte ou un numéro burlesque, tout est déjà question de montage et de rythme. C’est donc naturellement que les premiers réalisateurs de slapstick (surtout le Chaplin de la première heure, d’après ce que j’ai pu en voir) se sont servis du montage pour cadrer leurs effets. Cadrer, dans tous les sens du terme.

Le poids du slapstick déclinant à la fin du muet, on peut comprendre la panique à l’arrivée du cinéma parlant. Au public étaient proposés des comédies ou des succès de Broadway parfois bien éloignés du burlesque (mais pas toujours : le cinéma parlant a permis aux Marx Brothers de s’imposer très vite dans ce support naissant qu’était le cinéma parlant). Qui détenait les codes de ces nouvelles comédies portées à l’écran ? Bien sûr, la règle des 180 degrés, celle des échelles de valeurs de plan ou la problématique des raccords, tout cela était déjà parfaitement connu. Mais comment réaliser une comédie désormais majoritairement propulsée par des répliques ? Le rythme, c’est une chose, mais la comédie tolère moins que le drame certaines libertés ou l’absence même de codes (on appellera ça, éventuellement, du « naturalisme », si ce n’est, plus généralement, de l’incompétence). La comédie ne se résume pas à un genre, c’est un langage : tu maîtrises certains principes et c’est drôle, tu ne les méprises pas, et ta comédie tombe à plat.

Les ratés, lors de ces premiers essais et premiers mois du cinéma parlant, proliféraient à l’affiche. Il suffirait presque d’éplucher la filmo des réalisateurs plus ou moins connus ou appelés à le devenir durant ces deux premières années (1930, 1931), et assurément, quelques rares chefs-d’œuvre émergeraient d’une forêt de films inaboutis. On a souvent pointé du doigt (et moqué) les acteurs du muet, incapables de faire face à une tout autre manière de jouer. Mais ils étaient les plus exposés et le cinéma a même entretenu cette légende qu’ils étaient les seuls à devoir s’adapter (Chantons sous la pluie, par exemple). Derrière eux, tout le système de production a en réalité dû réapprendre à réaliser des films. À faire des comédies. Si la facilité et la concurrence ont poussé les studios à adapter des succès de la scène new-yorkaise ou européenne, ils ont vite dû se rendre à l’évidence. Filmer une comédie, fût-elle un succès, ce n’est pas illustrer un texte avec des images et quelques stars.

En deux films de George Cukor réalisés plus ou moins coup sur coup, c’est ainsi cette évolution rapide qui se trouve remarquablement mise en lumière. Le premier (The Royal Family of Broadway) se vautre… royalement ; le second, sans être un chef-d’œuvre, présente beaucoup des codes des comédies réussies de cette époque pré-Code, dont une partie sera réemployée dans ce genre plus spécifique, déjà plus cinématographique, qu’est la screwball.

Espace scénique unique = théâtre / transparence = cinéma

Je dispose de mes propres codes, et souvent, pour illustrer un propos qui tourne en boucle d’une critique à l’autre, j’en reviens souvent à cette question simple : qu’est-ce que le cinéma ? La même réponse réapparaît alors toujours : le montage. Si je développe encore : qu’est-ce que le montage ? Je réponds : le rythme, la rupture, le montage alterné, la suspension, la grosseur de plan. Voilà quelques-uns des éléments essentiels constitutifs de la spécificité du cinéma, mais on pourrait en ajouter d’autres : la contextualisation et… les portes.

Qu’est-ce que le théâtre ? Un espace ouvert (la scène) où les portes claquent soit en coulisses, soit en ouvrant vers les coulisses. Dans un décor de théâtre, à moins de disposer de mécanismes sophistiqués (à la manière des productions totales et grandioses de Max Reinhardt à Berlin ou de Florenz Ziegfeld à Broadway), au mieux, on change d’espace une fois par acte. Le reste du temps, tout se passe donc au même endroit. Dans le théâtre de boulevard (encore aujourd’hui), on représente ainsi sur scène un grand espace ouvert vers le public, lui-même souvent compartimenté en aires de jeu plus petites. Cependant, tous ces espaces sont interconnectés : pas de cloisons, pas de portes. Rien de réaliste là-dedans, c’est une convention. Les acteurs se transportent d’une pièce à une autre sans rencontrer la moindre porte. Quand porte, il y a, elle ouvre sur les coulisses dont l’espace reste, par définition, invisible du public.

Quand les studios s’agitent donc tout d’un coup pour acheter les droits des spectacles de Broadway, qu’est-ce qu’est devenu le cinéma ?… Réponse : un espace ouvert où les portes claquent en coulisses.

Où sont les portes ?

Avec leurs gestes pleins de formes…

Dites-moi où sont les portes.

Portes, portes, portes, portes.

Où sont les portes ?

À la fois si belles et si plates.

Aux gonds qui traînent et qui planent.

Où sont les portes ?

Portes, portes, portes, portes.

Où sont les portes ?

C’est vrai ça, Patrick : où sont donc passées les portes dans The Royal Family of Broadway (1930) ? Eh bien, je crois n’en avoir compté qu’une. Et encore, elle se refermait sur un hors-champ invisible. Comme au théâtre. Évidemment : si je réclame des portes, c’est qu’elles vont vite devenir indissociables du cinéma (j’en avais parlé pour le film Attends-moi). N’imaginez pas un quelconque fétichisme. Je ne vais pas répéter ce que j’ai dit ailleurs : à moins de pouvoir réaliser un film dans de grands espaces, le cinéma (donc le montage) ne connaît pas d’outils plus essentiels qu’une porte. Vous l’ouvrez, et c’est automatiquement un espace nouveau qui s’offre au regard du spectateur. Vous avez le choix de rester sur le pas de la porte et de jouer ainsi de champs-contrechamps articulés autour de ce protagoniste de l’ombre, ce monolithe de l’espace, ou de montrer, au contraire, un personnage en train de faire son apparition. Dans ce dernier cas, le mouvement aura comme avantage de forcer un cut (entrée imprévue ou retour vers un personnage qu’on avait laissé entre-temps pour nous intéresser à d’autres : principe du montage alterné, mais appliqué à la mise en scène de salon) ou un raccord dans le mouvement (continuité du déplacement d’un personnage depuis une autre pièce et avec le plan précédent).

1931, l’Odyssée de l’espace

Essayez à la maison ! Le cinéma muet avait mis en évidence notre fascination pour une simple variation de champs-contrechamps (les chase films par exemple) : vous pouvez reproduire la même action en montage alterné, fait de va-et-vient, et notre attention restera hypnotisée devant une action en boucle sans rien proposer de nouveau (littéralement, pendant des heures, on peut suivre une étape du Tour de France sur ce seul principe). Ajoutez-y une porte, et c’est du cinéma.

Le problème dans The Royal Family of Broadway, c’est donc sa trop grande application à reproduire des codes spécifiques au théâtre. La majeure partie du film est tournée autour d’un même espace : une salle de séjour, un grand escalier, un canapé, quelques chaises, et dans les coins, des zones plus intimes (salon plus intime avec une cheminée, haut de l’escalier) auxquelles on peut accéder librement depuis la salle de séjour. On y remarque la même impression que face à une scène de théâtre à ne jamais pouvoir saisir du regard les plafonds, les limites exactes d’une pièce ou les perspectives. Un espace « vide », ample, aux proportions irréalistes, entre l’espace scénique et la caméra (une caractéristique du théâtre qui au cinéma n’est pas justifiée) donne clairement à imaginer une caméra tranquillement posée dans un studio sans souci de recul (j’avais noté cette particularité dans un film de Raoul Walsh tourné en 1931, Hors du gouffre).

Quelques séquences ouvrent vers des pièces nouvelles de la maison, mais l’intérêt du cinéma (ce dont le théâtre est incapable), c’est de passer d’un espace à l’autre en une fraction de seconde, de revenir par un simple cut aux personnages restés dans la pièce précédente et ainsi d’entamer un montage alterné… Par souci de contextualisation (qui deviendra de plus en plus une norme intangible), très vite, le cinéma apprendra à situer le décor principal au milieu d’un espace réel et public, puis à intégrer à l’intérieur de plans intérieurs des ouvertures factices ou réelles vers l’extérieur. Le cinéma muet utilisait déjà sporadiquement cette méthode (je l’évoquais pour Le Journal d’une femme perdue), mais cela deviendra surtout une constante dans les films parlants. Avant que l’on comprenne l’indispensable nécessité de contextualiser un espace en faisant l’union des espaces intérieurs et extérieurs, de nombreux films tournés en studio s’enferment dans l’idée qu’on peut ne jamais montrer quoi que ce soit de l’extérieur : j’avais noté cette particularité pour L’Ange blanc, de William A. Wellman (1931).

À cette incapacité à changer de place dans un même lieu pour en exposer librement tous les recoins (travail de contextualisation et de représentation d’un espace complexe et crédible au fil du temps) s’ajoute un autre problème. Puisque tout paraît un peu trop hiératique et théâtral, les acteurs et leur directeur trouveront difficilement leur rythme. Or, une comédie sans rythme, ça fait flop.

 

Grand espace vide au premier plan, distortion des perspectives et porte qui reste muette = théâtre

Espace en arrière-plan suggérant la réalité d’un extérieur = cinéma

Ni l’écriture ni l’adaptation ne sont en cause. Rien n’empêchait Cukor ou la production d’imposer un espace avec des portes, de scinder quelques échanges pour forcer un mouvement et séparer les personnages une fois ou deux pour créer des montages alternés (de salon). Rien, sauf l’habitude. On avait donc exploré cette manière de faire dans le cinéma muet, mais c’était loin d’être une règle parce que le muet obéissait à des logiques bien différentes. Avec le cinéma parlant, on peut certes multiplier les espaces, mais si l’on veut créer une situation, il faut bien un moment se poser. Au muet, on cherchait presque parfois à limiter ces confrontations parce que cela signifiait des cartons à ne plus en finir. On peut bien sûr profiter de l’expérience du muet pour varier la mise en place, mais on le comprendra très vite (ce sera une marque des screwball comedies) : dans la comédie, même si c’est les dialogues qui sont moteurs d’une situation, cela doit bouger et alterner entre mouvement et moment plus statique. C’est ça le rythme : à ne pas confondre avec la vitesse. On bouge, on avance, on se pose, puis on repart. Le tout, en discutant. Le tout, bien souvent, coordonné autour d’un sentiment d’urgence (c’est ce qu’on comprendra avec la screwball). Et l’art de la comédie américaine, il est d’arriver à circuler constamment dans un espace censé être unique et à trouver un prétexte à se mouvoir en changeant de pièce. Cette manie qu’ont les Américains à vous proposer un tour du propriétaire vient sans doute de là…

Pour résumer et pour le dire plus simplement : dans une mise en place comique, si vous restez statiques trop longtemps, vous vous installez et le public s’ennuie. Au théâtre, un canapé a beau trôner en plein milieu de l’espace, il ne fait jamais que de la figuration. De la même manière qu’on pourrait dire qu’une porte au cinéma a pour fonction d’être alternativement ouverte et fermée, au théâtre, le canapé n’a qu’une seule utilité : faire rebondir les personnages. Aussitôt assis, aussitôt debout ! Si vous posez un canapé dans un coin et que vous n’y faites asseoir vos personnages qu’une ou deux secondes, passe encore. Mais si vous le posez en plein centre de votre dispositif sur un plateau de tournage comme dans une comédie de boulevard, vous vous laisseriez à la facilité de vous y endormir. N’oublions pas qu’une comédie de salon (on n’appelle pas ça comme ça, c’est une manière de présenter les choses) est inféodée à son salon parce que c’est… du théâtre. Rien n’oblige un studio à adapter une pièce (de salon) dans un salon. Le cinéma n’est pas tributaire d’un décor unique. Et c’est là que Cukor s’est laissé prendre au piège : si le cinéma exige la mise en œuvre de nouveaux codes, se poser trop longtemps sur un canapé pour papoter n’en fera pas partie. Je choisis le canapé comme exemple le plus significatif, mais même quand il explore les autres espaces de son plateau, on ne sent pas l’énergie et le besoin de bouger.

Très vite, on comprendra donc l’impérative nécessité de s’activer, même dans des adaptations de pièces de Broadway (ou anglaise, ou hongroise, ou allemande, ou française).

La suite l’a d’ailleurs démontré : quels sont les auteurs de la pièce adaptée ici ? Edna Ferber et George S. Kaufman. Ne reconnaît-on pas dans cette maison d’hurluberlus un certain humour, un certain type de situation ou de lieu ? Réunis ou séparés, les deux dramaturges connaîtront quelques succès une fois adaptés à Hollywood. Leur ton est facilement identifiable : on n’est pas tout à fait encore dans ce qui deviendra la screwball (avec sa variante, la comédie de remariage) et le style se rapproche du burlesque situationnel des Marx Brothers : ici, on serait plutôt dans « la maison de fous » et l’humour loufoque. Les deux coécriront par exemple Pension d’artistes avec Morrie Ryskind, et Kaufman écrira Vous ne l’emporterez pas avec vous. Comparer les deux films permettrait de comprendre à quel point George Cukor s’est planté ou a galéré à transmettre à ses interprètes la tonalité loufoque du film. (En 1930, encore une fois, rien de plus normal.) Seul Fredric March semble avoir appréhendé l’excentricité de la pièce dont il semble avoir été le premier interprète à Broadway trois ans plus tôt. Il y est un formidable matamore, parodie assumée de John Barrymore. Aucun de ses partenaires ne passe la rampe : pas assez d’audace, de fantaisie, de justesse. Là, oui, on peut dire que l’arrivée du cinéma parlant a correspondu avec le déclin de certains acteurs. (Cukor n’est pas pour autant exempt de tout reproche : voyant que ça patinait, il aurait pu demander à ses acteurs d’accélérer le rythme. March y parvenait très bien.)

Au théâtre, aucun concurrent ne viendra vous faire voyager d’un espace à un autre : tout le monde est assujetti au « ici et maintenant ». Au cinéma, si. Si, au mieux, l’on renouvelle le décor une fois par acte au théâtre, au cinéma, un cut vous transporte aussi bien dans la pièce voisine qu’à l’autre bout du monde. Et c’est probablement la concurrence qui a forcé la mise en place rapide de codes entre la production de The Royal Family of Broadway et celle de Girls About Town.

Entre les deux films, on change ainsi du tout au tout : jeu sur la relation entre l’intérieur et l’extérieur (silhouette de « la mère » à la fenêtre interdisant le galant à venir s’incruster chez sa belle) ; variation des espaces à la fois dans les intérieurs (les portes claquent, et l’on écoute même aux portes) et dans les extérieurs (on choisit opportunément une histoire dont une bonne partie prend place sur un bateau) ; interdiction de s’appesantir (tout est mouvements, rencontres, passage d’un lieu à un autre, actions, oppositions, rebonds) ; et enfin, redistribution des rôles (beaucoup des acteurs du film resteront populaires dans la décennie : Kay Francis, Joel McCrea, Eugene Pallette).

Volontaires ou non, ces changements illustrent au moins une évolution globale et la prise de conscience rapide, dans l’industrie cinématographique, que le cinéma parlant ne fonctionnera ni avec les codes du muet ni avec ceux du théâtre filmé. Conscientisés ou non, ces changements vers des codes communs qui s’opèrent en à peine quelques mois concernent sans doute en priorité les films qui feront date ; en 1932, il n’est par conséquent pas dit que le gros de la production obéissait à ces règles. Et quoi que l’on puisse en dire, au moins, l’évolution semblait inéluctable, une évolution parfaitement illustrée dans ces deux films réalisés à quelques mois d’intervalle.

Énormément de films étaient produits à l’époque avec l’idée qu’en adaptant un succès de Broadway ou une comédie de la scène européenne, les studios se faciliteraient la tâche. La concurrence a joué son rôle, et c’est à cette période que des carrières parfois longues de plusieurs décennies se sont lancées. « Spectateurs, songez que du haut de ces premiers succès, quarante décennies vous contemplent. » Une réalité valable autant pour les nouvelles vedettes que pour les réalisateurs : certaines pointures du muet retrouveront peu ou prou leur rythme de croisière, d’autres ne trouveront jamais la porte du salut incrustée dans le mur qui fonçait droit sur eux, et d’autres encore comme Cukor ont émergé grâce à leur capacité à comprendre et à appliquer les codes naissants. Venu de Broadway, Cukor était disposé plus que d’autres à participer à cette révolution. Et dès 1933, il rejoindra la MGM pour adapter à l’écran à nouveau une pièce… d’Edna Ferber et de George S. Kaufman ! Les Invités de huit heures. Et cette fois, avec succès. Ironiquement, le metteur en scène y retrouvera deux membres de la « Royauté Barrymore » (Lionel et John), gentiment parodiée, précisément, dans The Royal Family of Broadway.


The Royal Family of Broadway (1930) & Girls About Town (1931) — George Cukor | Paramount

La Fille sur la balançoire, Richard Fleischer (1955)

Baby Doll in Red Velvet

Note : 4 sur 5.

La Fille sur la balançoire

Titre original : The Girl in the Red Velvet Swing

Année : 1955

Réalisation : Richard Fleischer

Scénario : Charles Brackett & Walter Reisch

Avec : Ray Milland, Joan Collins, Farley Granger

— TOP FILMS —

L’art est-il cyclique ?

L’art, comme l’histoire, est-il cyclique ? Probablement pas. Du moins, pas en partie. C’est d’abord sans doute une vue de l’esprit, mais puisque c’est aussi une vue des esprits qui décident des choses de leur temps, il est probable que la perception qu’on se fait de son époque vienne à vouloir y répondre en prenant le contre-pied des usages alors en vigueur, initiant ainsi des mouvements contraires et un nouveau cycle.

Parmi ces modèles cycliques, le plus évident est peut-être celui de la Contre-Réforme. Après la Réforme et l’austérité du protestantisme, l’Église se lance dans une contre-attaque qui sera la Contre-Réforme : l’opulence répond à l’austérité, l’art baroque apparaît. Réforme/Contre-Réforme, un enfant de quatre ans peut comprendre la logique.

Selon le même principe, on parle parfois d’époque fin-de-siècle, et tout particulièrement au cinéma, on distingue une forme de classicisme imposé par les studios (notamment la MGM) dès l’époque du muet. Viennent ensuite les quelques avancées libérales en matière de mœurs et les scandales à Hollywood : c’est ce qu’on appellera plus tard, la période pré-code. Puis le code Hays sera appliqué au milieu des années 30 jusque dans les années 60 tout en étant de moins en moins suivi au fil des décennies. Les années 60 marquent une époque de crise des studios que certains qualifieront de « Hollywood décadent ». Le Nouvel Hollywood donnera un nouvel élan au cinéma américain avec une approche à la fois plus réaliste et tout aussi brutale. Cette période sera à son tour marquée par une sorte de tournant contraire quand ce cinéma jugé trop sombre par une poignée de réalisateurs, tels que Spielberg ou Lucas, s’adressera davantage aux adolescents soucieux de trouver dans les salles des divertissements enthousiasmants, pleins de fantaisies et d’optimisme. Une norme qui a encore cours actuellement.

Il n’y a donc pas de cycle…, mais force est de constater qu’un certain esprit de contradiction souffle souvent entre les générations et que par voie de conséquence, on est bien tenté de ne plus voir que ce qui jure par rapport à ce qui précède en regardant certains films hollywoodiens du milieu des années 50. L’ambiance fin-de-siècle, elle semble avoir en réalité touché Hollywood en plein milieu du siècle… Tourné juste avant La Fille sur la balançoire, on n’était déjà pas loin d’un frétillement (baroque) avec Les Inconnus dans la ville du même Fleischer : il y a quelque chose dans l’air qui laisse penser que quelque chose est en train de changer, quelque chose qui annonce les dérives ou les incompréhensions des années de crise qui suivront, et quelque chose qui semble donc répéter un schéma éprouvé :

Excès/Décadence/Réforme/Austérité/Contre-réforme/Excès/Décadence…

Et cela semble s’appliquer à pas mal de choses : les libertés sexuelles, les mouvements en art, la morale civile ou religieuse, les modes vestimentaires, etc. Bien sûr, toutes ces perceptions sont souvent un peu forcées, mais quand ces « mouvements » viennent aussi parfois explicitement en réaction à un usage devenu obsolète, on ne peut pas les ignorer.

« Prête à vous envoyer en l’air ? »

Assiste-t-on pour autant à une réaction volontaire à l’austérité appliquée depuis le milieu des années 30 à Hollywood avec ces deux films de Fleischer ? Certainement pas. La réaction sera beaucoup plus marquée quelques mois plus tard en France avec la nouvelle vague, en réaction, non pas à un code qui ne s’applique pas à son industrie, mais à une « qualité française » dont on peut toutefois reconnaître des similitudes formelles avec le cinéma de la même époque à Hollywood.

Mais c’est peut-être quand ces mouvements sont involontaires qu’ils sont peut-être les plus intéressants à décrypter. Parce qu’au milieu des années 50, si Hollywood fait le diagnostic qu’une réforme est nécessaire, il ne fait pas forcément toujours les bons choix ou ne reconnaît pas forcément son principal concurrent : la télévision était peut-être moins à craindre que l’émergence de nouvelles cinématographies venues d’Europe ou du Japon. Au lieu d’aller vers plus de simplicité, plus de réalisme (pourtant initiés par certains acteurs de la scène new-yorkaise, mais vite chassés comme des sorcières), Hollywood fera bientôt le choix des outrances. Ce sera rococo party. En dix ans, on basculera peu à peu des audaces acidulées des Plaisirs de l’enfer aux excès grotesques de La Vallée des poupées, et de La Vallée des poupées aux surenchères parodiques (ou pas) de Beyond the Valley of the Dolls.

En 1955, on n’en est pas encore là. La Fille sur la balançoire précède de deux ans Les Plaisirs de l’enfer. Tous deux restent donc dans les clous. Mais Hollywood est en train de créer sans le savoir les conditions qui favoriseront ses échecs futurs… tout en tendant la main à quelques cinéastes (puisque tout désormais devra passer par eux) qui auront les clés pour sortir de l’impasse dans les années 70.

Fait notable : contrairement aux Inconnus dans la ville, La Fille sur la balançoire n’est pas un film contemporain. Il raconte l’histoire vraie, sordide, d’un fait divers ayant fait la une des journaux au début du siècle. Le film est donc réalisé à une époque où on sent le classicisme, ses codes, ses usages commencer à se fracturer. Mais le fait de raconter une histoire pleine de brutalité prenant place à une époque qui illustre un moment charnière d’une époque qui basculera bientôt dans la guerre ne fait que renforcer, comme en écho, cette impression que ce sont les années 50 et toute la haute société américaine qui pourraient imploser comme elle l’avait fait un demi-siècle plus tôt.

La Belle Époque sur la côte est des États-Unis n’est peut-être pas la Belle Époque qu’on a connue à Paris, mais telle qu’elle nous est représentée dans le film, ça y ressemble… Ce petit parfum de scandale permanent qui amusait encore jusqu’à la fin du siècle qui précède quand des hommes riches et célèbres s’affichaient avec des horizontales, des demi-mondaines, des comédiennes qu’on prenait pour maîtresses et qu’on entretenait, quand ces petits arrangements entre dominants/dominés poussent au crime, cela ne fait plus beaucoup rire grand-monde ; et la société semble découvrir à l’occasion d’un grand déballage et d’un procès toute la vulgarité et les outrances de son époque (et de ses élites). Derrière le parfum vulgaire des cocottes, c’est toute la misère humaine qui finit par vous claquer d’un coup à la figure.

Parler de cocottes n’a peut-être pas de sens appliqué à la société new-yorkaise de la Belle Époque, on évoquera alors plutôt les Gibson Girls, mais leur sort était probablement identique. Avec la guerre, au moins en apparence, ce sera une tout autre société (avec ses nouveaux usages, ses nouvelles modes) qui s’imposera. (Et avant que les Ziegfeld Girls, showgirls ou chorus girls prennent le relais.)

Cette ambiance « fin-de-siècle » bavant jusqu’au milieu des années de la première décennie du siècle, avec ses outrances d’une époque qui ne peut plus cacher ses limites, les outrances de ses élites, ses hypocrisies et ses destins brisés, c’est un peu l’ambiance qui commence à poindre à Hollywood au milieu des années 50, et c’était déjà celle des années 20 jusqu’à l’application du « code ».

(Et c’est un peu celle que l’on connaît aujourd’hui, parfois dépeinte, encore timidement, dans la fiction, qu’elle soit volontaire — comme dans Don’t Look Up, The Boys ou Extrapolations — ou involontaire — comme dans Matrix Resurrections, Avatar 2, Star Wars : L’Ascension de Skywalker, Doctor Sleep, Once Upon a Time in… Hollywood, Le Loup de Wall Street… Reste à savoir jusqu’où on peut aller dans les outrances, la surenchère, la répétition, avant que quelque chose de réellement neuf apparaisse et amorce un nouveau tournant…)

« Juste un doigt ? »

En 1955, le classicisme a fait son temps. Les thrillers se font désormais en couleurs ; le Cinémascope s’impose aux séries B ; et Fleischer dévoile même dans son premier film une passion adultérine sans que cela fasse des deux amants pour autant des criminels (Child of Divorce). Ce que certains appellent « modernité » pointe le bout de son nez. Aldrich, Fuller et donc un peu Fleischer donnent les clés qui ouvriront les portes d’un cinéma sans limites. Pourtant, chez Fleischer en tout cas, ce que certains appellent modernité, je m’amuserais plutôt à décrire ça comme étant du « baroque ». Fini, la mesure du classicisme, la mise à l’honneur des bonnes âmes (surtout quand elles appartiennent à la classe supérieure) ; fini, les dérives que l’on acceptait seulement quand elles appartenaient au monde interlope des personnages louches et qu’on ne saurait montrer positivement ou impunies ; fini, les rapports stéréotypés et convenus. C’est la foire aux monstres. Place à la névrose, aux ambitieux, aux pervers, aux alcooliques, aux escrocs ou aux truands (pas de l’ombre, comme il était admis de les montrer, mais de la haute société) ; et au lieu de montrer les demi-mondaines, à leur balcon, cracher discrètement du sang dans un mouchoir, on les montre chassant les cœurs des hommes mûrs au portefeuille garni ou à la réputation bien faite. Le vice, partout, tout le temps, et en Technicolor s’il vous plaît. Le vice comme effet spécial des années 50 et 60 est censé attirer les foules dans les salles de cinéma. Hays est mort, vive le vice !

Selon Bernard Benoliel qui présentait la séance à la Cinémathèque, le film aurait laissé coi Darryl F. Zanuck, le patron historique de la Fox. On le serait à moins. Si le film précédent avait déjà un côté sadique qui jouait sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, La Fille sur la balançoire suggère fortement certaines situations qui frôlent la vulgarité. Le ton aussi frappe par sa noirceur. Et si les cocottes apparaissent traditionnellement dans les fantaisies du cinéma classique toutes fraîches et innocentes, et ce, jusqu’à Gigi peut-être (façon hypocrite de montrer la prostitution et de créer des stéréotypes auxquels les petites filles polies et sages seront appelées à s’identifier), l’image que l’on donne d’elles ici est bien plus scabreuse.

Evelyn est ambitieuse, et malgré ses seize ans, pas tout à fait innocente : si le scénario de Brackett, Walter Reisch, et Fleischer laissent entendre qu’elle aimera son amant et protecteur, on peut douter de son honnêteté (la véritable Evelyn aurait officié sur le film en tant que conseillère technique). Comme beaucoup de petites filles pauvres de l’époque, devenir actrice, se faire repérer par un riche protecteur et gagner ainsi son indépendance dans un monde qui ne leur promet en dehors de cette situation que la misère, c’est hautement compréhensible. Difficile à accepter aujourd’hui ou en 1955 : c’est peut-être paradoxal, mais pour ces filles pauvres, se faire l’esclave d’un riche protecteur était surtout l’occasion de gagner leur indépendance à une époque où l’accès aux études était impossible et où surtout les femmes n’avaient tout bonnement pas les mêmes droits que les hommes.

C’est une lutte des classes, peut-être, mais d’abord, surtout, une lutte individualiste, une quête personnelle vers l’émancipation. Le riche a ce qu’il veut quand il se laisse séduire par une cocotte, et la cocotte, en échange de la fraîcheur de ses joues, gagne sa « liberté » dans une prison dorée.

La réalité montrée est brutale, terriblement sombre malgré les couleurs chatoyantes et les décors somptueux du film, et c’est sans doute déjà ça qui a pu interloquer le public habitué aux reconstitutions donnant une bonne image de la haute société d’alors et idéalisant leurs bonnes manières comme le code ne cessait de vouloir le répéter depuis vingt ans. Fini les frous-frous, les grands sourires de façade, les ronds de jambe affriolants, les rangées de chorus girls et les fantaisies : le luxe est toujours là, mais on passe désormais aussi à la couleur. Les vraies couleurs, celles de la vérité. Et la vérité de l’époque n’est plus « belle » à voir. C’est un monde qui s’écroule sous le poids de ses artifices, un monde qui se dévoile dans toute sa grossièreté et son hypocrisie derrière les détails scabreux d’un fait divers. Le film s’ouvre sur une image du procès et une présentation des faits, donc on ne nous ment pas sur l’inéluctabilité du drame qui se noue devant nous. Les personnages, eux, ne verront rien venir.

Les allusions sexuelles parsèment chaque séquence du film. Cela reste toujours plus subtil que les dérives « décadentes » des films futurs produits à Hollywood, mais on en annonce déjà un peu la couleur… Tout commence par le titre (beaucoup plus explicite, moins euphémique, en anglais) qui renvoie à une séquence et à un décor d’une symbolique sexuelle évidente. (Même si on laisse encore le spectateur innocent jouir d’une autre interprétation).

En le disant, cela passera toujours moins bien que dans le film où, parfois, plongés dans la situation, on n’en mesure pas forcément l’outrance grossière (qui n’est pas celle du film, mais bien celle du personnage, représentant bien réel des outrances de sa classe et de son époque) : un riche architecte tout ce qu’il y a de plus respectable, une sommité de son temps, dispose d’un appartement secret dans l’arrière-salle d’un magasin… de jouets. Il y reçoit des amis pour faire la fête et, on le devine assez bien, régulièrement, des actrices. Ouvrez la porte d’un premier secret, c’est presque un labyrinthe gigogne à la Fellini (ou à la Break-Up, érotisme et ballons rouges) qui se déploie devant vos yeux. Derrière une seconde porte, une perversion un poil plus tordue vous attend : monsieur n’est pas architecte pour rien, une porte, un escalier en colimaçon, et après une dernière porte, une garçonnière, un loft reproduisant sous une grande voûte une forme de jardin symbolique. En son centre, pas un lit, non, on n’est pas dans La Vallée des poupées, on prétend encore à la subtilité, même si on s’apprête à en casser joliment le plafond de verre… Pas un lit donc, mais une balançoire. Après le magasin de jouets, la balançoire… Tu le sens le malaise ?

(À toutes fins utiles, je précise que le scénario a été coécrit par Charles Brackett et que le riche protecteur est interprété par un de ses acteurs fétiches, Ray Milland, qui avaient « commis » treize ans plus tôt avec leur complice, Billy Wilder, l’excellent, mais un peu tordu, The Major and The Minor.)

Le clou du spectacle, il se trouvera donc là, sur cette balançoire en velours rouge suspendu à la voûte du luxueux nid d’oiseaux de monsieur l’architecte. L’oiseau voulait y entrer ; Evelyn y découvre l’amusante balançoire ; son hôte la rejoint ; séduite pour un rien, à peine présentés, elle lui demande de l’embrasser… ; et là où tous les films jusque-là coupaient et imposaient une ellipse qui ne trompait personne, on nous fait bien savoir que l’objet suspendu détourné de son sens initial est bien ce que l’on avait suspecté : on ne suggère plus, on montre. Tout en se réfugiant derrière la métaphore.

Le film ne cédera qu’une seule fois à cet excès, et en ça, on peut dire que le baroque de Fleischer frôle le rococo sans s’y vautrer. Il annonce en tout cas les excès beaucoup plus répétés des films de la décennie suivante. Vas-y que je te pousse, et tiens, essaie de toucher avec ton pied la lune que tu vois là-haut. Et la lune en question est une sorte d’oculus translucide, une membrane blanche ouvrant vers le septième ciel qu’elle tente donc de toucher à force de poussées répétées… Plus l’architecte la balance, plus on se demande (et on craint) qu’elle ne perce cet œil translucide, symbole presque de sa virginité… O colus persus/in nubilis devenus, comme on dit dans la langue de Virgile.

Je ne sais pas si c’est de l’audace ou de la vulgarité, mais j’aurais presque envie de dire à Brackett : « Attention, l’oiseau va sortir ! ».

On évitera de nous rappeler cet épisode édifiant de la balançoire au tribunal que les journaux de l’époque n’ont sans doute pas manqué, eux, de rappeler, mais à la fin du film, on évoquera très subtilement (enfin, pas tout à fait) cette séquence censée représenter un grand moment de joie pour elle (c’était sa première fois, hein), façon Lola Montès, et dans une scène qui se rapprocherait pour le coup plus du chef-d’œuvre des exhibitions pré-code : Freaks.

Zanuck, perplexe, dites-vous ?

« Gare aux cigares qui sifflent dans vos bouches, petites garces… ! — Oh, je m’égare ! Pardonnez ces écarts ! »

Le film connaît par ailleurs d’autres grands moments de « modernité » ou de « rococo », si on peut dire, avec l’épisode du cigare : Evelyn allume le cigare de son riche architecte, ce dernier s’étonne de la voir si habile, et la jeune fille lance alors dans un petit sourire : « C’est que je les ai souvent allumés pour mon père. Il me laissait même parfois en prendre quelques bouffées. Et jamais je n’ai recraché la fumée. »

Rococo comme de la fumée sortant en arabesque folle de la bouche d’une enfant… Que font les ligues de vertu ?

Bref, je reprends mon idée saugrenue de départ. S’il y a quelque chose de cyclique en art comme en histoire, il s’agit toujours de venir « reformer » la période précédente, si bien qu’au bout de deux réformes, on en vient finalement à une révolution. Un petit tour par atavisme et puis s’en va.

L’émancipation des années 70 et 80 qu’on peut lire chez Maupassant, puis les excès arrivant façon « atmosphère fin de siècle », ceux-là mêmes qui sont dépeints dans le film, puis la guerre et son austérité, puis les années folles, populaires, jusqu’aux excès d’une certaine Europe et au conformisme dans le cinéma hollywoodien, puis l’austérité d’une nouvelle guerre, la flamboyance du renouveau d’après-guerre, la couleur, les audaces nouvelles avec ses excès…, et cela jusqu’à aujourd’hui, où on se demande quand tout cela prendra fin.

Et aujourd’hui, comme en 1905, comme en 1955 à Hollywood, on s’habitue à la médiocrité. Pourtant, rien n’atteint les élites : ceux qui autrefois s’entretuent en duel pour les beaux yeux d’une cocotte, ceux qui se livraient à des « crimes passionnels » en public, on ne les voit jamais vaciller face au scandale. DSK s’en tire à bon compte ; les petites fortunes à la Epstein se suicident en prison ; mais le peuple, au lieu d’appeler à une contre-réforme se laisse prendre par les fausses pistes de la désinformation et regarde ailleurs. Au lieu de vouloir la tête de ces élites quand elles fautent, au lieu de leur demander des comptes à l’heure des crises qui se suivent alors qu’elles sont l’occasion pour elles de s’enrichir, le peuple succombe aux mythes de la désinformation et regarde ailleurs.

C’est peut-être ça finalement la fin de l’histoire. Faire en sorte que tout se perpétue comme avant, voire que, malgré les crises, les classes dominantes se « régénèrent » au détriment des plus faibles. En 1905, le scandale augure d’un changement d’époque. En 1955 aussi. Il faudra attendre dix ans. Aujourd’hui, on attend encore. Le cinéma illustre de cette stagnation : plus rien ne surprend, on ne réforme plus rien, on régénère les succès d’hier. On préfère les franchises à l’honnêteté. Jusqu’à quand ? Faudra-t-il une nouvelle guerre pour que les élites soient remplacées par d’autres, pour que la société, l’art, se réforme ?

Les « jeunes Turcs » d’autrefois, on leur dirait aujourd’hui de rentrer chez eux, dans leur pays. Mais cela voudrait dire quoi au juste de notre temps ? Est-ce le conservatisme ou l’excès qui prévaut ? Il est peut-être là le souci. Un peu des deux. Entre 1955 (où le public serait resté perplexe devant un film aussi misanthrope dressant un portrait guère flatteur du monde où chacun, quelle que soit sa classe, tire un bénéfice de l’autre) et 2024, il n’y a pas tant que ça de différences. Difficile aujourd’hui de se laisser émouvoir par le sort de l’amant tué, lui, l’hypocrite bien éduqué qui prétendait vouloir résister au charme de sa cadette, mais qui mettait tout en œuvre pour que de jolis oiseaux viennent se perdre dans la cage dorée qu’il avait bâtie pour elles. La balançoire, elle est faite pour les amies de sa femme qu’il prenait pour maîtresse peut-être ?…

Émus, on aurait pu l’être en voyant chez Evelyn une victime de l’appétit des hommes, une victime de la classe dominante ne lui laissant pas l’occasion d’être autre chose qu’une proie. Mais en fait, non. Evelyn est bien trop volontaire pour être une innocente victime : hameçonner un gros poisson, c’était sortir d’une misère assurée, presque commune. Malgré sa déchéance et son brutal retour à la normalité, plaint-on réellement la femme d’un assassin qui a touché du doigt (ou du pied) la vie de confort espérée en échange d’un amour supposé et bienvenu avant de livrer son cœur à un autre plus offrant ? Est-on victime quand on a eu ce qu’on cherchait ? Les jupes des cocottes étaient-elles trop courtes en 1905 ?

Donc, oui, sans doute, pour nous aussi, autant qu’en 1955, on se réveille du cauchemar des autres sans avoir su à qui donner notre sympathie. C’est l’humanité dans son ensemble qui en ressort écornée. Au fond, comme dans une guerre, il n’y a jamais de gagnant. Dans cette lutte de classes ou dans cette lutte des sexes, tout le monde y perd. Et c’est peut-être mieux qu’un seul justement n’en sorte jamais vainqueur. À la société de limiter les conditions favorisant les scandales qui provoqueront sa chute… Force est de constater qu’on fait aujourd’hui tout le contraire. La réforme arrivera fatalement un jour, reste à savoir sous quelle forme : guerre, faillite, lent essoufflement…

Je parierai sur un essoufflement, une implosion sans vague. Le film annonce les crises futures des années 60, mais il n’aura fallu que quelques années pour que Hollywood s’écroule, et se relève presque aussitôt. Farley Granger a de méchants airs de Hayden Christensen, tiens. Si la série des films Star Wars a été le point de départ d’une ribambelle de films à grands effets spéciaux et à superhéros, on se demande aujourd’hui si tout cela aura en réalité une fin. À quand l’implosion du système hollywoodien (et des autres) au profit de propositions et d’approches nouvelles ? N’a-t-on pas déjà dépassé les limites ? Ou la « régénération » invoquée par certains nous a-t-elle déjà irrévocablement rendus amorphes ?

« Cul-y, cul cuit. »

Tiens, pourquoi ne changerions-nous pas les rôles, rien que pour voir ? Plaçons Ray Milland sur la balançoire et faisons en sorte que Evelyn le pousse, encore et encore, jusqu’à ce qu’il casse le plafond de verre et fasse une révolution. Excessif ? De quoi précipiter la chute de l’empire occidental ? Que serait un Anakin Skywalker dans l’excès (si, c’est possible) ? Un superhéros de The Boys ?… Même pas. C’est affolant. Tous les excès ont déjà été faits. Cela voudrait donc dire que l’on vit une période… conservatrice ? Non, je suis perdu.

Bref, je ne sais pas si c’est la fin de l’histoire, la fin d’un cycle, en tout cas, cela semble bien être le chaos.

— Oh, j’ai la tête qui me tourne ! Arrêtez de pousser ! Cessez, je vous dis ! Vous poussez l’audace bien trop fort !

— Comment ? Mais n’êtes-vous pas venu pour cela ?

— De l’air. Faites-moi descendre.

— Un cigare ? J’ai cru comprendre que vous ne crachiez jamais la fumée.

— Oh, non ! De l’air ! De l’air !

— Ouvrez l’oculus. Si vous arrivez à l’atteindre, peut-être auriez-vous un peu d’air. C’est bien ce à quoi toutes les femmes aspirent ?

— Ah, vous croyez ? Là, comme ça ?

— Oui, un peu plus fort. Là, encore.

— Mais cela fait mal, voyons ! Et je m’essouffle d’autant plus.

— Encore.

— J’ai la tête qui tourne.

— Encore !

— Qu’hymène me suive ! Oh, que dis-je ?

— Le cigare vous monte à la tête, Evelyn.

— Quel cigare ?

— Celui que vous avez dans la bouche.

— Ah !

(Elle casse l’oculus en forme de lune. L’architecte la fait descendre de la balançoire.)

— Vous avez tapé trop fort.

— Non. Ce n’est pas ça.

— C’est fait. Voyez, l’air peut passer maintenant. Vous respirez complètement. Vous êtes une femme désormais.

— Ah, goujat !

— Un bonbon ?

(Elle se redresse.)

— Oui, merci. Oh, comme c’est joliment torsadé ! Parfaitement rococo.

— Tout ici n’est que sucrerie. Ceux-ci, ce sont des berlingots.

— Des berlingots ?

— Oui. Regardez celui-ci. C’est mon sucre d’orge.

— Oh, comme il est mignon !

— Le suceriez-vous pour moi ?

— Oh, je préférerais le croquer !

— Faites donc, ma jolie ! Maintenant que vous avez décroché la lune, tout vous est permis.

— Tout ?

— Tout. Mais c’est un secret. Ne révélez à personne nos petits secrets !

Doit-on vraiment en arriver là ?

Bref. Il n’y a pas que le music-hall (le vaudeville) qui a tiré misérablement profit (avec la principale intéressée) du scandale de cette histoire. Dix ans après, le cinéma s’était lui aussi engouffré dans la brèche :

Une preuve que la guerre n’a rien résolu et que les cycles sont des vues de l’esprit ? (Le film est aujourd’hui perdu.)


La Fille sur la balançoire, Richard Fleischer (1955) The Girl in the Red Velvet Swing | Twentieth Century Fox



Si vous appréciez le contenu du site, pensez à me soutenir !

Unique
Mensuellement
Annuellement

Réaliser un don ponctuel

Réaliser un don mensuel

Réaliser un don annuel

Choisir un montant :

€1,00
€5,00
€20,00
€1,00
€5,00
€20,00
€1,00
€5,00
€20,00

Ou saisir un montant personnalisé :


Merci.

(Si vous préférez faire un don par carte/PayPal, le formulaire est sur la colonne de gauche.)

Votre contribution est appréciée.

Votre contribution est appréciée.

Faire un donFaire un don mensuelFaire un don annuel

La Fille de tes rêves, Fernando Trueba (1998)

Note : 2.5 sur 5.

La Fille de tes rêves

Titre original : La niña de tus ojos

Année : 1998

Réalisation : Fernando Trueba

Avec : Penélope Cruz, Antonio Resines, Jorge Sanz, Rosa María Sardá

Quelle idée de proposer des comédies sur des monstres historiques et réels… ! Preuve est faite, une nouvelle fois peut-être, que l’humour s’exporte mal. Le film serait drôle, on pourrait lui pardonner cette faute de goût ; seulement, une comédie avec des juifs et des nazis qui ne servent que de prétexte à des situations qui n’ont rien de drôle mais qu’on fait jouer comme s’il s’agissait de grandes pitreries, j’avoue qu’on multiplie les faux pas.

Rien à dire sur les acteurs d’ailleurs, voire sur la mise en scène, disons, technique…

La mise en scène, c’est aussi adopter la bonne approche, éviter le mauvais goût, ne pas forcer les portes (ici, de l’humour). Ce n’est déjà pas bien glorieux d’avoir un humour aussi poussif, si en plus le contexte historique met mal à l’aise, cela en devient extrêmement gênant et problématique sur la durée d’un film. Imaginons que Trueba ait gommé totalement l’aspect humoristique de cette histoire, il resterait toute une panoplie de personnages stéréotypés difficile à supporter. C’est souvent le cas en comédie, mais l’intérêt pour les personnages, c’est aussi ça parfois qui peut faire en sorte qu’on laisse une chance à un film. Je ne parle même pas des personnages secondaires, parce que pour les principaux, c’est une catastrophe : la star au grand cœur qui veut sauver un juif (pas des juifs, son juif, celui avec de jolis yeux bleus), le metteur en scène amoureux de son actrice et qui entretient une relation avec elle alors qu’il est marié, l’acteur principal qui se révèle être à l’opposé du personnage qu’il interprète…

À ranger à côté de La vie est belle dans les films européens blindés de thunes cherchant un compromis commercial entre la comédie et le drame et qui se vautrent. On y retrouve d’ailleurs quelques éléments de la réussite de La Belle Époque : de l’humour et un film d’époque. La différence peut-être, c’est qu’il n’était pas outrageusement boursouflé comme La Fille de tes rêves. Comme quoi, c’est bien le fric, parfois, qui dénature les comédies légères. De la légèreté à la lourdeur ; de la comédie qui reste à hauteur humaine à un trop-plein d’ambition…


La Fille de tes rêves, Fernando Trueba 1998 La niña de tus ojos | CARTEL, Fernando Trueba Producciones Cinematográficas, Lolafilms


L’Art d’être aimé, Wojciech Has (1963)

Poupée de son

Note : 4 sur 5.

L’Art d’être aimé

Titre original : Jak byc kochana

Année : 1963

Réalisation : Wojciech Has

Avec : Barbara Krafftówna, Zbigniew Cybulski, Artur Mlodnicki, Wienczyslaw Glinski

— TOP FILMS

L’art de la mise en scène de Wojciech Has

On est en 1963, et bientôt, ce type de mise en scène passera à… l’Has. C’est pourtant une manière de faire qui m’a toujours plus séduit que les méthodes de jeu jugées plus naturelles qui tendront à s’imposer par la suite. Il s’agit d’une mise en place particulièrement adaptée ou attachée dans l’imaginaire collectif au noir et blanc. En voici les deux caractéristiques principales : un jeu mécanique qui donne à voir à chaque seconde une expression ou un geste ; un centre unique d’attention ou dans le cas d’un plan large une recherche de cohérence dans les mouvements pour éviter la multiplication des centres d’attention et l’impression de chaos ou d’improvisation.

Comme ailleurs dans mes commentaires, à noter que dans mon vocabulaire, « mise en scène » se rapporte presque toujours à la direction d’acteurs, à leur mise en place (j’y intègre également, par principe les éléments que l’on nomme au théâtre « scénographie », autrement dit les accessoires et les décors). J’oppose ainsi tout ce qui est censé apparaître dans le champ (la mise en scène) ou dans l’univers diégétique du film (le hors-champ) à tout ce qui a trait à la technique d’appareils ou de montage (la réalisation). Je ne traite ici que de la mise en scène (j’évoque en fin de commentaire, brièvement, les mouvements de caméra).

Organisation du mouvement

Un jeu mécanique, précis et un centre d’attention unique, ces détails ne peuvent pas être décidés par les acteurs seuls. C’est une partition que le metteur en scène décide et organise seul. Les acteurs peuvent proposer des gestes, des expressions, des placements ou des mouvements lors des répétitions ou des prises, mais c’est bien celui qui dirige toute cette mise en place qui organise leur mise en œuvre, choisit de les adopter ou non, parce que c’est une question de coordination et de pertinence. Quand une mise en place est aussi précise, certains peuvent la trouver trop mécanique ou théâtrale, mais toujours, elle donne à voir et organise les choses (dont le récit, l’impression visuelle) afin qu’on ait l’impression que chaque chose est à sa place et paradoxalement s’organise naturellement.

Le réel est un chaos, on multiplie les gestes non signifiants, on se percute, on s’interrompt, on parle en même temps. On filmerait cette “nature” du réel qu’on n’y comprendrait pas grand-chose. Avec de l’improvisation (sauf quand elle est bien dirigée), les acteurs ont la mauvaise manie d’en faire trop, et ça devient vite une catastrophe. Même sans improvisation, en réalité, dans la plupart des films actuels, les acteurs sont laissés à leur sort : on s’assure qu’ils ont appris leur texte, le metteur en scène leur indique des positions, ils se mettent d’accord sur la situation, et basta. Tandis qu’avec d’autres cinéastes, comme au théâtre, on décide pour chaque seconde ce qui apparaîtrait dans le champ : gestes, regards, interactions, pauses, déplacements. En plus de donner une impression mécanique, il est assez simple de remarquer ce type de mise en scène travaillée : le jeu est décomposé, c’est-à-dire que les acteurs prennent soin de ne pas mélanger les répliques avec des gestes ou des expressions significatives. Les choses se font l’une après l’autre.

Les metteurs en scène choisissent au mieux parfois la place de la caméra, ils donnent des indications générales aux acteurs, mais très rarement dans les commentaires de film, on parle de ce qui parfois est l’essentiel : la mise en place. Vous ne verrez jamais des critiques faire l’éloge de la qualité d’une mise en place. Cela n’a jamais été leur sujet. Bonne ou mauvaise, riche ou pauvre, ils ne sauront pas faire la différence. Pourtant, c’est un savoir-faire qui apporte en réalité énormément à un film : elle permet de travailler sur le sous-texte, d’agrémenter sa mise en scène d’allusions, de regards en coin, d’expressions variées (souvent en réaction discrète et en contrepoint), d’améliorer la présence et l’autorité des acteurs à l’écran, etc.

Quelques exemples pris au hasard pour illustrer la nature de ces petits gestes, expressions ou mouvements qui ne sont pas le fruit du hasard ou de l’inspiration d’acteurs sur le moment.

Premier exemple

Au moment de nettoyer la table une fois que les officiers nazis et le collabo s’en vont après que leur voisin, l’acteur de théâtre, leur a manqué de respect, la serveuse, le personnage principal du film, rend au collabo discrètement ses gants et son étui à cigarettes. Elle ne le regarde pas, mais son regard se pose ostensiblement ailleurs. C’est le signe que c’est un geste délibéré pour insister sur la tension et la nécessité de faire attention à ce qu’on fait en présence des occupants. C’est plein cadre, on ne voit que ça au moment où l’actrice est face à la caméra alors que les autres se retirent à l’arrière-plan et qu’elle leur tourne le dos. Il n’y a rien de naturel ou d’improvisé : elle fait un geste à la fois, une expression à la fois, et dans ce genre de direction d’acteurs, on donne à voir à chaque instant. Le metteur en scène ne décide pas forcément de toutes les nuances d’expression que les acteurs apportent à leur jeu, mais un geste comme celui-ci peut difficilement être improvisé (même si l’imprévu n’est pas rare non plus ; on en voit d’ailleurs un exemple, puisqu’il s’agit d’une histoire d’acteurs, plus tard dans le film lors de la séquence radiophonique durant laquelle l’actrice surprend son partenaire obligé de s’adapter à ses improvisations).

La mise en place, la direction d’acteurs, disons, volontaire, souvent, ça donne cette impression de jeu mécanique : tac, tac. Une mise en scène précise, structurée, significative (elle donne à voir), et que d’aucuns qualifieraient de “théâtrale”. Quand on écrit un récit (ou une critique de film), on fait ça proprement, on structure les événements, on décide quoi montrer, on dévoile les choses les unes après les autres. La mise en place au cinéma, certains cinéastes savent ou préfèrent faire pareil. Cela ne veut pas dire que ceux qui ne maîtrisent pas la mise en place et la direction d’acteurs feront systématiquement moins bien, disons en tout cas que ceux qui connaissent cette manière de faire auront souvent ma préférence. Trop souvent, on insiste beaucoup chez les commentateurs de films sur l’aspect formel de la réalisation quand cela concerne la caméra (les mouvements d’appareil, les angles de vue, le montage) et presque jamais sur la mise en place et la direction d’acteurs. Je ne m’expliquerai jamais ce tropisme. Méconnaissance, préférence, désintérêt ?

Deuxième exemple

Dans la même séquence ou un peu plus tard, un soldat nazi prend un homme par le col pour le rejeter un peu plus loin. C’est un geste en arrière-plan, au même moment, bien autre chose se passe dans le champ. Pourquoi est-ce significatif ? D’abord, parce que ça illustre à mon sens pas mal la situation : les soldats sont menaçants et n’hésitent pas à user de violence sur la population. Surtout, aucun figurant n’oserait prendre l’initiative d’un tel geste, seul. Il arrive que des metteurs en scène décrivent à des foules d’acteurs et de figurants une situation et leur demandent d’agir en conséquence, mais le résultat est presque toujours chaotique avec des imprévus rarement allant dans le sens de la situation que l’on voudrait voir se développer dans le champ. C’est donc, là encore, le signe que c’est une indication du cinéaste à un figurant pour donner à voir à ce moment-là. Le geste est répété au préalable : les acteurs savent où commence le mouvement, où ils doivent finir et ce qu’ils font par la suite. Une telle mise en place réclame toujours des heures de travail. Parce qu’il ne faut pas croire que metteur en scène et acteurs trouvent tout de suite le geste qu’il faut… Bien sûr, en voyant le résultat, tout paraît naturel, peut-être un peu mécanique, mais en réalité ce sont des heures de répétitions et de travail en amont. C’est justement parce que ça paraît simple que ça prend du temps à coordonner. Et je serais prêt à parier qu’aujourd’hui encore plus, la majorité des cinéastes dédaignent ce travail de mise en place, par choix ou par méconnaissance. Un cinéaste donnerait des indications à ses acteurs principaux et un assistant-réalisateur (ou je ne sais qui) en donnerait d’autres, d’ordre général, aux figurants. Avec un résultat, je l’ai dit souvent chaotique : certains proposent des mouvements au même moment, on se percute, d’autres figurants restent au contraire parfaitement statiques et semblent assister en spectateur à la scène, bref, on tâche de faire comme dans la réalité, on y retrouve certes son aspect chaotique, mais non, l’improvisation mal dirigée, cela a ses spécificités, et dans les séquences avec des figurants appelés sur le tard, on voit vite qu’ils se sentent comme des potiches au milieu des acteurs professionnels. Je le répète : combien de cinéastes avant de réaliser leur premier film ont déjà travaillé avec des acteurs ?

Voilà pour ces quelques détails. Inutile d’en faire plus : ce sont deux exemples, en réalité, chaque seconde du film pourrait illustrer ce que je veux dire.

Réalisation

Pour le reste, Wojciech Has n’en est pas encore aux grandes reconstitutions ou aux décors extravagants de La Poupée ou de La Clepsydre. On serait plus dans une forme de classicisme très cadré de cinéma d’intérieurs comme pouvait l’être Le Nœud coulant. Le talent de Has, il est de parvenir en très peu de plans extérieurs à nous restituer le contexte de la guerre dans une ville polonaise occupée, puis libérée. Les jeux de raccords avec les fenêtres sont ainsi primordiaux. Les fenêtres (une fenêtre en particulier) jouent même un rôle crucial dans le récit et dans la symbolique de la mise en scène de Wojciech Has : le premier plan en flashback nous montre presque brusquement l’une de ces fenêtres, sans que l’on comprenne le sens de cette évocation brutale.

À la Ophuls, on voit le cinéaste polonais déjà habile à suivre ses acteurs avec des travellings d’accompagnement. Rien encore de tape-à-l’œil : c’est propre, discret et efficace. L’idée est d’être toujours au plus près des acteurs tout en leur permettant d’évoluer dans un espace souvent limité par un décor d’intérieur et, si nécessaire, de les cadrer avec d’autres acteurs quand on peut y trouver des actions simultanées et qu’elles se répondent. Montrer ainsi le personnage principal en regarder d’autres du coin de l’œil, dans le même cadre, cela permet de proposer rapidement un sous-texte, pas forcément essentiel, mais qui illustre bien une situation et l’atmosphère, baignant dans la nostalgie et la solitude, du film. Ça colle d’autant plus que le film est un long récit à la première personne, et que ça fait sens d’intégrer ce qui pourrait presque s’apparenter à des apartés silencieux ponctuant les longs flashbacks narratifs racontant les épisodes marquants de la vie de cette actrice pendant et après la guerre.

Les acteurs

Les acteurs sont parfaits. Dans un parfait rôle d’appoint, on remarque la présence d’une des figures majeures du cinéma d’après-guerre polonais, Zbigniew Cybulski, notamment dans les films de Wajda, et qui tournera avec Wojciech Has Le Manuscrit trouvé à Saragosse. Il disparaîtra relativement jeune, à 40 ans, percuté par un train. Destin opposé pour sa partenaire, Barbara Krafftówna, présente pratiquement dans tous les plans du film, et qui est décédée seulement l’année dernière à l’âge respectable de 93 ans. Cela semble être en tout cas ici son rôle le plus marquant de sa carrière. On peut difficilement rêver meilleur rôle. Son personnage s’apprêtait à jouer Ophélie, la guerre l’en a empêché. Et Ophélie n’est en effet jamais bien loin. L’actrice échappera à la folie et au reste, mais son cher Hamlet lui en fera d’autres…

L’histoire

Difficile de trouver meilleur rôle pour une actrice, car en plus de ces atouts formels, le film est parfaitement écrit et tragique comme il faut. Le personnage principal, une actrice, se rend à Paris en avion, et depuis son siège se remémore les épisodes marquants ayant fait de sa vie sentimentale un désert (le titre du film semble un poil ironique et désabusé). Elle apprendra vers la fin du film que lors du premier voyage en avion, on a coutume de dire que les passagers revoient leur vie défiler. Elle en sourit, car c’est précisément ce qu’elle a fait depuis une heure. Sa carrière d’actrice est donc interrompue par la guerre, et à la suite d’une brouille entre un acteur et un groupe de soldats dans le bar où elle travaille, elle propose à l’acteur de l’héberger chez elle pour lui permettre d’échapper à la police. Éprise de son ancien partenaire de jeu, elle le cache ainsi pendant toutes les années de guerre dans son appartement. Son amour est loin d’être réciproque. L’acteur lui fait comprendre qu’une fois la guerre finie, il filera vite hors de ce qui pour lui est une prison. Avant ça, de son côté, sa protectrice lui fait savoir qu’une rumeur sur sa mort circule dans la ville, et il a comme un pressentiment que ça ne présage rien de bon.

L’un des premiers tournants tragiques du film, c’est quand deux soldats viennent fouiller chez l’actrice et qu’ils en profitent pour la violer à tour de rôle. Pour ajouter à son malheur, quand elle court vers l’acteur caché sous des matelas, il est tellement mal au point qu’elle doit s’occuper de lui, et alors qu’elle pensait au moins trouver un peu de réconfort auprès de lui, que nenni, le bonhomme n’a probablement rien entendu. Double peine.

La guerre s’achève, mais les problèmes continuent. Comme il l’avait promis, l’acteur fuit sans demander son reste (puisqu’on était dans les détails de mise en scène, en voilà un autre : il pensait s’échapper en profitant de l’absence de sa protectrice, mais elle le trouve à temps juste avant son départ en train d’emballer tel un voleur un gros morceau de saucisson…). On a connu mieux comme remerciements. Et puis, comble de la déveine, à l’image de ce qu’il se faisait en France dans l’immédiate après-guerre, les nouveaux maîtres des lieux règlent leur compte avec les collaborateurs. Comme pressenti plus tôt par l’acteur en entendant qu’on le pensait mort, personne n’a eu connaissance de leur situation : personne n’était au courant. D’un côté, on reproche à l’actrice d’avoir travaillé pour les Allemands (un ami lui reproche de ne pas se défendre en n’évoquant pas le fait qu’elle ait caché une personne recherchée, mais elle n’a aucune preuve), et de l’autre, on apprendra quelque temps après que l’acteur était suspecté d’avoir été de mèche avec la Gestapo parce que personne ne savait où il était passé pendant toutes ces années… Il y a un côté savoir-faire et faire savoir dans leur malheur commun : ils se sont tellement bien caché que personne n’était au courant et que personne ne peut désormais imaginer une telle histoire… Si vous êtes des héros, rappelez-vous que l’essentiel pour tirer profit de votre héroïsme, c’est d’en faire la publicité et de connaître les bonnes personnes pour raconter votre histoire… On a connu des acteurs plus habiles en la matière.

Bref, des années après, lui est devenu alcoolique, et puisqu’une femme amoureuse, c’est une femme un peu idiote, elle lui propose de revenir loger chez elle. Bien entendu, tout ne se passe pas comme elle l’aurait espéré. Faites sortir le malheur par la porte, il entrera par la fenêtre. Elle file ensuite pour la capitale et se fait remarquer dans une émission radiophonique qui lui vaut son succès. Pèsera sur elle toujours le regret de n’avoir jamais été en mesure de passer maître dans l’art d’être aimé…

La dernière image du film est bouleversante. L’hôtesse de l’air qui s’est un peu prise d’affection pour elle en la voyant enchaîner les verres de cognac lui propose un café : l’avion va atterrir, signe que le défilement de son passé prend fin. Regard dans le vague, regard perdu. Et malgré son émotion, elle cherche à faire bonne figure. L’image bouleversante d’une femme trahie par les hommes, souillée en silence pendant la guerre, accusée de ce qu’elle n’était pas, et qui ne rencontrera jamais l’amour d’un homme. Les hommes, ces lâches.

Grand film.


L’Art d’être aimé, Wojciech Has 1963 Jak byc kochana | WFF Wroclaw, ZRF Kamera


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1963

— TOP FILMS

Top films polonais

Liens externes :


L’Intruse, Alfred E. Green (1935)

Note : 2.5 sur 5.

L’Intruse

Titre original : Dangerous

Année : 1935

Réalisation : Alfred E. Green

Avec : Bette Davis, Franchot Tone, Margaret Lindsay

Film bâclé et sans grand intérêt hormis pour ses deux acteurs principaux. L’intrigue est resserrée comme un vieux slip de grand-mère, et on doit compter les péripéties sur les doigts d’une main. Heureusement d’ailleurs, parce que rien d’autre ici à se mettre sous la dent que du bien prévisible (ça abrège les souffrances).

Un architecte tombe amoureux d’une ancienne actrice à succès, réputée pour porter la poisse et alcoolique. Il délaisse alors sa dulcinée, a l’honnêteté de lui dire (les personnages honnêtes au cinéma, c’est ennuyeux, ça coupe net toute possibilité de corser l’intrigue), et retourne vers sa belle bientôt remise sur pieds pour retourner sur les planches. Et là, quand l’actrice lui demande comment sa fiancée a réagi, il balance ça d’un magnifique revers de main : « Tu sais, elle est plus forte que nous tous. » L’excuse idéale pour ne pas se soucier des problèmes que l’on cause aux autres. Magistral d’inconsidération masculine.

C’est le premier Oscar pour Bette Davis. On ne va pas dire qu’elle est formidable, mais sa récompense annonce comment les acteurs seront récompensés par la suite : surtout pour un certain type de personnage, sur une manière d’aborder un rôle, plus que pour leur talent. Pour être plus clair : des personnages devant passer par toutes sortes d’états d’âme, d’émotions, de vicissitudes (on doit les voir au plus bas et au plus haut) et en particulier les voir composer des personnages soit en rupture totale (ici, misère et alcoolisme) soit en décalage avec leur emploi habituel (ce qui forcera l’admiration des “professionnels” pour la “composition” de l’acteur en question).

Le talent de Bette Davis est ailleurs. Une personnalité d’abord, un sacré sens du rythme (à Hollywood, il faut savoir donner à voir, avoir l’œil vif et expressif, capable de jouer les changements d’humeur dictée par la situation, quitte encore à manquer de justesse) et donc malgré tout une justesse rare à l’époque (même si quand on compare à ce qui arrivera vingt ans plus tard, tout sonne forcé). On la connaîtra bien meilleure, notamment dans Eve.


L’Intruse, Alfred E. Green 1935 Dangerous | Warner Bros.


Liens externes :


Noises Off, Peter Bogdanovich (1992)

Note : 3.5 sur 5.

Noises Off

Titre français : Bruits de coulisses

Année : 1992

Réalisation : Peter Bogdanovich

Avec : Michael Caine, Carol Burnett, Denholm Elliott, Julie Hagerty, Marilu Henner, Mark Linn-Baker, Christopher Reeve, John Ritter, Nicollette Sheridan

Du théâtre filmé tout ce qu’il y a de plus impossible à filmer.

Pourtant, on s’y laisse prendre peu à peu, sans jamais atteindre pour autant des sommets : ça commence comme un vaudeville, ou plutôt, déjà, une pièce de boulevard mettant en scène un vaudeville avec portes qui claquent et amant (ou presque) dans le placard, et puis une fois le premier acte passé (dans tous les sens du terme), qui est en fait ici la répétition générale (ou la technique, on ne sait plus bien) avant la première, on retrouve les mêmes acteurs lors d’une représentation en province…, toujours pour le premier acte, mais depuis les coulisses. C’est clair ?

C’est sans doute là que la pièce, jouée sur une scène, prenait déjà toute sa saveur, et a attiré l’attention du cinéaste. On imagine un plateau tournant pour permettre au dispositif de se mettre en place, et puisqu’on connaît déjà un peu le « revers du décor », le premier acte, on peut s’amuser du style en coulisse qui a d’excellentes raisons de tourner au slapstick, au burlesque ou au n’importe quoi : eh oui, en coulisses, les acteurs sont censés faire silence. Jolie chorégraphie qui serait un joli hommage au film muet de la première époque (même si la difficulté de la répétition des “slaps” — surtout pour des acteurs de cinéma — oblige à une sorte de chorégraphie absurde souvent plus que réellement drôle).

À de nombreuses reprises, pourtant, l’humour fait mouche. Mais c’est sans doute plus dans l’absurdité de certaines situations, l’outrance des relations entre personnages qui finissent par un troisième acte (reproduisant une nouvelle fois le premier acte…) lors d’une dernière représentation où rien ne va plus.

Le crescendo est parfait, on peut juste regretter que ce soit difficile à voir avec des sous-titres : les répliques, donc les sous-titres, s’enchaînent à une vitesse folle, et on sature souvent d’informations. Le problème serait sans doute tout autre en français.

Bel hommage aux acteurs et aux personnes qui font tourner les représentations depuis les coulisses en tout cas. Les couacs, les représentations ratées, la pagaille, l’impréparation, l’improvisation, l’improvisation ratée, les inimitiés et les amours qui se font ou se défont, en coulisses, c’est aussi ça qui font les bons souvenirs d’acteurs… et les jolies pièces.


Noises Off, Peter Bogdanovich (1992) | Touchstone Pictures, Amblin Entertainment, Touchwood Pacific Partners 1


Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

Liens externes :


Targets, Peter Bogdanovich (1968)

Carton plein

Note : 4 sur 5.

La Cible

Titre original : Targets

Année : 1968

Réalisation : Peter Bogdanovich

Avec : Tim O’Kelly, Boris Karloff, Arthur Peterson, Nancy Hsueh, Peter Bogdanovich

Premier « carton »

Bonnie and Clyde vient de sortir, les studios sont moins regardants sur la violence exposée à l’écran, toutefois, on peut lire que pour faire passer plus facilement la pilule, la Paramount aurait tout de même imposé un carton liminaire condamnant les tueries de masse et appelant à une meilleure législation sur les armes. Peter Bogdanovich n’aurait pas voulu de cette introduction (elle fait peut-être un peu rire jaune aujourd’hui en voyant que la situation n’a guère évolué depuis), pourtant, pour moi, elle est essentielle à ce que le film ne pâtisse pas d’une brutalité confiée ainsi sans filtres au regard du spectateur, regard peut-être encore mal aguerri en 1968 à des approches manquant à ce point de mise à distance (mais même pour un spectateur actuel, il ne me paraît pas judicieux de faire l’économie d’une telle introduction).

Je suis loin d’être fan en général de ces annonces, mais le film est tellement froid et violent qu’un tel carton d’explication donne le ton pour la suite, annonce la couleur de la violence, et surtout, la condamne sans laisser de place au doute. Parfois, l’absence de doute, l’absence de mise à distance avec un sujet problématique, ça tue un film. Tout le contraire ici où l’évidence ne fait que le renforcer : sans le piratage du “message” initial par un autre imposé par le distributeur, sans le travestissement de l’orientation du film que ses auteurs auraient sans doute encore voulu plus violent (comme un gros pavé lancé dans la vitrine bien tranquille de ce grand magasin à jouet qu’est Hollywood), je ne suis pas sûr que cette approche sans fards à la violence n’aurait pas fini alors par provoquer un malaise suffisant à détourner définitivement le spectateur du film. Il y avait un risque sans cela à tomber dans les excès d’un Tueurs nés (tourné des décennies après, on y retrouve le même rapport à la violence) ou… dans ceux d’un Samuel Fuller (qui a d’ailleurs participé au scénario : pas fou le Sam, il file à un novice un film qu’il n’aurait même pas osé faire, histoire de le voir s’y casser les dents à sa place).

Manque de bol, Sam, Bogdanovich a eu la chance des débutants avec lui. Probable que sa femme, Polly Platt, ne soit pas étrangère non plus à la réussite du film (créditée pour diverses choses au générique, mais de mémoire, dans Le Nouvel Hollywood — où par ailleurs Bogdanovich y est présenté comme en enfoiré, surtout avec elle —, Peter Biskind y révélait qu’elle était largement responsable du succès du petit Peter sur ses premiers films). On peut imaginer aussi que l’écriture en séquences parallèles durant tout le film aurait pu permettre, même sans ce carton explicatif, une bonne mise à distance avec les séquences suivant l’évolution du tueur. Mais n’ayant pas pu expérimenter le film sans ce carton introductif, je ne pourrais pas en être certain… Ce serait intéressant d’ailleurs que des primospectateurs voient le film tel que Bogdanovich l’avait conçu.

Bref, l’histoire de ce carton illustre une nouvelle fois et à lui seul, toute la question parfois insoluble du traitement de la violence au cinéma. Et ce n’est pas rien d’être parvenu (peut-être malgré la volonté de Bogdanovich) à s’extirper sans dommage de ce piège.

Deuxième « carton »

Une fois la question de la distance avec la violence réglée, l’aspect le plus réussi selon moi du film, reste ces séquences de violence froide et de pure mise en scène dans lesquelles la caméra suit l’assassin. J’avais cru comprendre que La Bonne Année avait marqué un tournant avec une manière de coller un personnage avec une caméra mobile qui inspirera Stanley Kubrick (et plus tard Gus van Sant), mais apparemment, l’opérateur du film arrive à un même résultat cinq ans avant le film de Claude Lelouch (László Kovács est aux manettes, et l’année suivante, il signera l’image d’un film qui se place pas mal en termes de mobilité : Easy Rider).

Coller ainsi aussi près du tueur permet de créer une tonalité singulière, très réaliste, qui ne fait que renforcer la tension : dans la gestion du temps et le jaillissement soudain de la violence, puis très vite la peur du prochain moment où elle apparaîtra au milieu d’une normalité terrifiante, on y retrouve quelque chose à la fois d’Hitchcock et d’Haneke.

Et, paradoxalement, cette réussite n’aurait pas été possible sans un acteur jouant l’indifférence, la normalité. Le film est clairement un hommage au cinéma de papa (à la fin, notamment, c’est l’acteur du vieux monde interprété par Boris Karloff qui met un terme au chaos initié par cette jeunesse sans repères représentée par le tueur), et je suis persuadé qu’un Fuller, que le William Wyler de la Maison des otages, le Kazan des Visiteurs (tourné quatre ans après), ou tout autre aîné de Bogdanovich n’aurait pas manqué de demander à l’acteur qui interprète le tueur de jouer le personnage perturbé, névrosé, rongé par la culpabilité (comme c’est souvent le cas à l’époque des belles heures de l’application du code Hays). On le sait aujourd’hui, les tireurs de masse montrent souvent un détachement, une sérénité et une absence totale d’émotions durant leur tuerie. Et cela ne fait que renforcer le réalisme du film. Samuel Fuller ou Oliver Stone seraient éventuellement tombés dans un autre piège : ne pas en faire cette fois des névrosés, mais des fous s’amusant de leur toute-puissance criminelle.

On diffère ainsi dans Targets de l’approche réactionnaire de la violence au cinéma qui, comme cherchait à la représenter le code Hays, est toujours le fait de dégénérés. Même si on sent Bogdanovich soucieux d’honorer le cinéma de papa à travers sa vedette vieillissante, ce qui ressort du film, c’est surtout une critique féroce de la société américaine. Le jeune tueur n’est pas un détraqué sorti de l’ombre, au contraire : c’est précisément cette normalité de la vie en banlieue vantée par les promesses du rêve américain qui a rendu possible l’éclosion de la violence. Les promesses des pionniers d’un monde meilleur n’ont finalement pas été tenues : ce monde préfabriqué est en réalité une prison où confort et conformité vont de pair. Avachi douillettement dans son canapé pour suivre le programme du soir à la télévision, le futur tueur cherche encore une issue à sa violence encore contenue. Mais personne ne l’écoute. Ce monde standardisé dans lequel il erre sans but lui semble être fait pour un autre, et à force de déshumanisation, de désenchantement, il n’aura d’autre choix que de devenir un monstre pour détruire cette maison de poupées où rien ne semble lui être réel. Quand plus rien ne semble réel, même la mort n’a plus aucun rapport avec la réalité, et elle devient la seule limite que l’on s’autorise afin de sortir de sa prison. Le constat est assez clair : les monstres ne naissent plus dans les ruelles sombres des quartiers moites et pauvres des grandes capitales, mais des fausses promesses sur lesquelles l’Amérique s’est construite. Le rêve américain, quand on l’éprouve, n’est qu’un cauchemar de déshumanisation. Le bonheur ne peut être standardisé. Et les monstres ne sont pas ceux que l’on croit.

Roger Corman est à la production, en 1962, il réalisait son chef-d’œuvre, The Intruder, où on y voyait de la même manière un prédicateur raciste offrir une jolie image du mal : le diable s’habille en Prada comme dit l’autre, et peut-être que Corman aurait soufflé cette idée à Bogdanovich. « Who nose », comme dirait Peter “Droopy” Bogdanovich en bon français.


Targets, Peter Bogdanovich 1968 La Cible | Saticoy Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1968

Structures narratives, sens des proportions et mise en scène : « Message invisible » dans Family Life et « message visible » dans Tueurs nés et dans In a Heartbeat

J’aime pas Samuel Fuller

Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain

Vers le Nouvel Hollywood

Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

Liens externes :


Juste sous vos yeux, Hong Sang-soo (2021)

Le retour du film prodigue

Note : 3.5 sur 5.

Juste sous vos yeux

Titre original : Dangsin-eolgul-apeseo / 당신의 얼굴 앞에서

Aka : In Front of Your Face

Année : 2021

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Lee Hye-yeong, Kwon Hae-hyo, Kim Sae-byuk

Nouvelle actrice, nouveau départ. On commence à comprendre la technique Hong Sang-soo (à laquelle il ne peut rien) : c’est à l’échelle de toute une filmographie, ce que j’ai appelé parfois l’effet La Maman et la Putain. Le film d’Eustache était chiant et long, mais parce qu’il était long et ne s’appliquait qu’à nous montrer à l’écran les mêmes acteurs, on finissait par s’habituer et par rentrer dans le jeu, dans le rythme du film, ou sa logique propre.

Il parait ainsi évident qu’à piocher ici ou là un film au hasard du cinéaste, il y ait peu de chance de s’y laisser prendre. Mais la force des films de Hong Sang-soo, c’est pour beaucoup ses acteurs. Et les acteurs doivent en être conscients parce qu’ils le lui rendent bien : j’ignore précisément la technique de direction d’acteurs du cinéaste, mais ils sont tous sur la même longueur d’onde. On peut imaginer des tentatives avortées avec des acteurs, mais en général, quand des acteurs ne sont pas faits pour certaines techniques de jeu, ça se voit tout de suite. On ne verra donc jamais ces essais ratés s’ils existent. Pour les autres, ça ne peut être qu’un plaisir de retrouver un cinéaste qui les met si bien en avant et qui, je le pense compte tenu du résultat, leur laisse autant de libertés.

Je m’étais plaint parfois de certains de ses acteurs. Je ne sais pas si c’était dû au film, à l’habitude que je n’avais pas encore prise de les voir, si je suis tombé sur les acteurs d’une époque avec qui le cinéaste aura finalement choisi de ne plus travailler, le fait est que ce serait intéressant de revoir ces films découverts en début de chaîne pour voir si l’expérience nouvellement gagnée à voir certains d’entre eux, dans d’autres rôles, permet de les voir sous un autre angle et ainsi d’apprécier différemment les œuvres vues parfois peut-être trop tôt. Il n’y a toujours qu’un film (même si Hong Sang-soo s’applique à refaire ce même film depuis vingt ans), pourtant, quand on le revoit, on en voit toujours un autre…

Je verrai. C’est bien aussi de rester sur les premières impressions. Autrement, on passerait notre temps à tout revoir. C’est juste une perception, farouchement esclave de nos habitudes de spectateurs, avec laquelle il ne faut pas être dupe. Et je suis désolé, toujours, d’en revenir au relativisme. Parce que oui, ça fait relativiser toutes les appréciations et la valeur que l’on donne aux choses.

Au début du film ici, donc, le visage de l’actrice principale ne m’était pas bien familier, et on peine à s’intéresser ou à comprendre ce qui la ronge. On parle d’un rendez-vous qu’on apprend très vite être un entretien avec un cinéaste qui compte faire un film avec elle. Elle n’a pas tourné depuis longtemps, partie depuis aux États-Unis. La relation entre elle et sa sœur est ainsi intéressante, mais (désolé de te le faire remarquer, Sang-soo) aussi beaucoup anecdotique, même quand on la revoit à la lumière de ce qu’on apprend après. Peut-être parce qu’elle prend un peu trop de place justement. Et parce que c’est tout naturellement qu’on pense qu’elle est au cœur du film (alors qu’elle ne sert qu’à illustrer la détresse du personnage principal).

On commence à comprendre où veut en venir le cinéaste quand « l’actrice » profite que son rendez-vous soit reporté de quelques heures pour se rendre à un autre endroit : la maison où elle a grandi. Tout passe toujours par le dialogue chez Hong Sang-soo — dialogues qui en révèlent toujours plus que ce qu’ils semblent dire d’abord dans leur apparente trivialité. Mais à force d’agréger les indices (et les informations), on finit par avoir une meilleure vue d’ensemble. Plus tard, l’actrice dira au cinéaste que ses films sont comme des nouvelles, et précisément, c’est peut-être une technique narrative qu’on rencontre plus dans la littérature (et encore plus dans la nouvelle qui fonctionne assez souvent sur les mêmes principes « d’exposition, indices et chute ») qu’au cinéma. Une manière d’aborder les choses sans avoir l’air d’y toucher. Bref, on comprend alors la solitude et la nostalgie de cette femme venue retrouver des images lointaines, probablement de bonheur, de son enfance. On ne sait pas encore pourquoi, mais ce n’est sans doute pas sans raison. Image rare chez le cinéaste : celle d’une enfant, qui vient s’approcher de l’actrice. On ne verra jamais son visage, sans doute parce qu’il s’agit plus d’une apparition : l’image sans visage de la petite fille qu’elle avait été à grandir entre ces mêmes murs.

Et puis, ellipse brutale, comme souvent chez le cinéaste qui favorise les longues séquences installées. Un visage familier : Kwon Hae-hyo, l’acteur au ton si ironique et pince-sans-rire qui parfois semble interpréter le pendant face à l’écran du cinéaste. L’entretien entre l’actrice exilée et le cinéaste. La première est directe et semble percevoir toutes les techniques louches de mâle usant de son autorité pour gagner les faveurs des femmes. Pourquoi l’entretien se tient-il dans un bar fermé ? Pourquoi le cinéaste a-t-il demandé à l’assistant de les laisser ? Etc. Ici, en tant que spectateur, quand on sait à quel point les films du cinéaste peuvent être inspirés par la réalité, on aurait presque la curiosité de savoir s’il y aurait réellement une telle actrice n’ayant joué que dans un film qui l’aurait marqué au point de vouloir la refaire tourner trente ans après… (L’actrice est la fille du cinéaste Lee Man-hee avec qui, apprend-on sur Wikipédia, la mère productrice de Hong Sang-soo aurait travaillé. Possiblement, les deux filsde se connaîtraient donc depuis l’enfance.) Quoi qu’il en soit, elle finit par expliquer qu’elle ne pourra pas faire de film avec lui, et tout ce qui suit est follement passionnant… et triste. L’humour heureusement ne manque pas de ponctuer l’humeur sinistre de cette seconde partie bien meilleure que la première. Et comme toujours, c’est à travers l’alcool que les personnages se livrent. Comme toujours, le cinéaste raconte l’histoire d’un retour.


Juste sous vos yeux, Hong Sang-soo 2021 Dangsin-eolgul-apeseo | Jeonwonsa Film


Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

Liens externes :


Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo (2017)

Gueule de bois

Note : 4 sur 5.

Seule sur la plage la nuit

Titre original : Bameui haebyeoneso honja / 밤의 해변에서 혼자

Année : 2017

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo, Jeong Jae-yeong, Moon Sung-keun, Song Seon-mi

Peut-être le plus digeste des films très autocentrés du cinéaste. Oui, il nous y expose des événements plus ou moins en rapport avec sa propre vie et avec celle de son actrice principale (du moins, on peut l’imaginer), mais il faut reconnaître qu’après vingt ans à peaufiner un dispositif cinématographique et une écriture somme toute bien personnelle, le bonhomme sait y faire.

On retrouve globalement les acteurs qui se sentent probablement le plus à l’aise dans ce dispositif, car je n’ai plus grand-chose à dire sur les acteurs ou sur la manière d’aborder leur personnage… À ce niveau, tout est parfait, et le plaisir est là, celui de retrouver des acteurs pour leur charme et souvent pour leur second degré. L’ironie, c’est encore ce qu’il y a de plus charmant à suivre dans ces derniers films de Hong Sang-soo.

Concernant la forme, le cinéaste reste, cette fois, assez sobre (autant qu’il peut l’être, à l’image des personnages qu’il convie autour d’une table) : un leitmotiv burlesque au sens assez abscons (l’individu qui demande l’heure, qui suit les deux Coréennes à Hambourg et qui lave la porte-fenêtre un peu plus tard dans l’appartement), une construction en deux parties (départ après le scandale, retour au bercail où le scandale n’en finit pas de hanter le personnage principal). Et puis, une séquence qui se révèle être un rêve : une habitude chez Hong Sang-soo, un caprice d’étudiant, mais on est habitué, il est pardonné (surtout que ça ne fait que rajouter à la solitude de l’actrice et va donc ainsi dans le sens du récit, on échappe à l’effet de surprise et de mauvais goût habituellement rattaché au procédé).

J’attends toujours le chef-d’œuvre, cela dit. On est dans le haut du panier ici, mais il manque la marche supplémentaire qui me laisserait coi, ébahi et plein d’admiration. Elle a raison ton actrice, ta chérie ou ton personnage principal : arrête peut-être de raconter ta vie, pour voir, et mets-toi plus en danger, explore. Garde le meilleur de ton style, et imagine une histoire qui colle parfaitement avec la forme, mets-toi en quête d’une évidence, tente d’en faire peut-être à peine plus dans un sens, ou au contraire, tends vers plus de minimalisme ou d’incommunicabilité, de contradictions, d’injustice… Au travail, fainéant.

Sinon, je m’amuse à repérer les tics de langage auxquels les acteurs sont autorisés à avoir (dans le cas d’improvisation dirigée) ou dans son texte (toutes les séquences semblent être de l’improvisation dirigée, avec probablement un certain nombre de passages obligés, mais le cinéaste semble tout de même laisser beaucoup de champ à ses acteurs). Je n’ai remarqué qu’un « aille-go » qui est pourtant un tic de langage très courant chez les Coréens (équivalent à « zut », mais avec des variantes que j’ignore, mon traducteur vocal par exemple traduit ça par « oh, mon Dieu ! »), pas beaucoup plus de « keurenika » (« tu sais », balancé à la fin de chaque phrase pour ponctuer une discussion), en revanche, ça balance énormément de « créo », de « qeuré », de « qeuré-ka » (traduit par « ah bon », « d’accord », « bien », « tu crois ? »). Encore cinq cents ans et je suis bilingue. D’ici là, Hong Sang-soo aura produit quelques chefs-d’œuvre.

그래.


Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo 2017 Bameui haebyeoneso honja Jeonwonsa Film


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films coréens

Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

 

Liens externes :