Deux mots au sujet de la situation après les attentats de Charlie Hebdo

Les capitales

Violences de la société

Comme je ne sais ni dessiner ni rire (d’autre chose que de moi-même — et encore), j’ai pris ma pelle et mon sot (moi) pour en faire un pâté.

Quand je vois certaines discussions interminables (je ne parle que de celles des autres bien sûr) concernant le rôle de l’islam dans ces attaques terroristes, ou de l’échec de « l’intégration », il me semble qu’on cadre assez mal le problème et qu’on tombe dans le piège des terroristes. (J’ai raison, vous avez tort.)

Parler d’islamistes, c’est exactement ce que les terroristes veulent nous voir faire. Qui sont les terroristes ? Les (des) musulmans ? Non, ce sont des groupes étrangers qui prennent une religion en otage pour légitimer leur soif de puissance et qui trouvent comme ambassadeurs de leur folie, non pas des musulmans, mais des repris de justice qui se trouvent sur le tard une vocation de djihadiste pour faire un doigt d’honneur au monde dans lequel ils peinent à s’intégrer. La religion est un moyen tout indiqué pour gagner du pouvoir, et les victimes sont tout d’abord ceux qui croient sincèrement à leurs fadaises (pour changer). Le problème ne vient donc pas des musulmans, ni de l’islam, mais de ceux qui utilisent l’islam et les musulmans pour leurs desseins pas très catholiques. Ce serait une erreur de se tourner vers ces zozos pour leur demander des comptes alors que leurs seuls torts (ce qui ne les libère par pour autant de leurs responsabilités), c’est leur crédulité et leur incapacité à dissiper la confusion voulue par ces « fous de Dieu ».

Qui sont donc ces groupes qui se revendiquent ouvertement de l’islam ? D’un côté Al-Qaïda et de l’autre DAESH. Rien que cette alliance étonnante laisse rêveur sur la manière dont auraient été commanditées les attaques terroristes. Entant « qu’ONG terroriste » on croyait Al-Qaïda sur le déclin face à un groupe militarisé qui profitait du chaos issu à la fois de la guerre en Irak et en Syrie pour s’imposer cette fois en tant que force militaire capable de revendiquer un territoire. Si les talibans sont tombés en Afghanistan à cause des « opérations extérieures » de leurs petits copains terroristes, non parce qu’ils étaient directement en guerre avec l’Occident, DAESH n’a aucun problème à considérer l’Occident comme son ennemi vu qu’il s’oppose à sa progression militaire avant même que le groupe puisse revendiquer son fauteuil aux Nations Unis. Mais de là à penser qu’ils s’organisent sérieusement pour mener une guerre de terreur contre l’Occident alors qu’ils sont encore focalisés à prendre le contrôle de l’Irak et de la Syrie, il y a de quoi rester sceptique… Commander et déléguer, ce n’est pas tout à fait la même chose. Il y a sans doute une opportunité saisie pour eux de frapper leurs ennemis de l’extérieur, mais s’ils daignent y investir quelques forces, cela vient à mon avis surtout d’un autre facteur qui là les toucherait plus directement dans leur combat sur place. Pour gagner la guerre, c’est leur intérêt d’appeler au djihad partout où c’est possible, et donc particulièrement sur le Net pour recruter de nouveaux combattants parmi les musulmans ou désaxés venus d’Occident (ou d’Asie). Comme dans toutes les guerres idéologiques (à l’image des Brigades internationales lors de la guerre d’Espagne pour soutenir les forces républicaines), il est de l’intérêt de ceux qui se revendiquent de cette idéologie d’accueillir des combattants étrangers, et donc d’inciter l’arrivée de ces nouveaux combattants. Ces hommes venus d’Europe pour l’essentiel sont utilisés pour combattre dans les zones de guerre (ils sont en général dociles car souvent « plus royalistes que le roi »), mais ils peuvent se révéler également utiles pour faire pression contre les pays occidentaux et aimanter à leur tour des soldats vers les zones de combat. Deux méthodes : l’enlèvement et leur meurtre d’Occidentaux, souvent par des recrues occidentales, et le terrorisme. Dans les deux cas, on est dans une guerre de propagande dont on sait l’Occident très vulnérable. Paradoxalement, l’intervention timide des Occidentaux est une aubaine pour ces groupes, parce que leur implication militaire est limitée (refus d’envoi de troupes), et qu’en retour, ils peuvent se poser en victime, trouver une légitimité à une contre-attaque, et encore une fois, comme dans toutes les guerres idéologiques, peuvent espérer voir débarquer des hommes qu’ils n’auraient pas eus autrement. Depuis plus de dix ans en fait, cette situation est le résultat des errances politiques des Occidentaux dans cette région. Et les attaques contre Charlie Hebdo, les policiers et la supérette casher sont les conséquences directes de ces erreurs passées. Là encore, avant d’accabler les « musulmans », commençons par nous-mêmes, nos dirigeants, et nos propres idéologies.

La difficulté est sans doute de déterminer le degré d’implication de ces groupes pour commanditer des opérations à l’extérieur, mais pour savoir comment répliquer à son tour, ou mieux, éviter les vocations, il est avant tout important de comprendre les origines du mal et qui se cache derrière ces attaques.

Je repose donc la question. Les musulmans ? Non. Une coalition DAESH-Al-Qaïda ?… Sérieusement ? Tous deux peuvent s’y retrouver en ayant un intérêt commun, car un ennemi commun (l’Occident) mais ils n’ont, en tout cas pour le premier, pas un grand intérêt à porter ses attentions vers l’extérieur que là où ils en ont le plus besoin, sur le terrain. Si cela dénote une réelle volonté de leur part de toucher l’Occident, il faut donc pour eux, en quelque sorte, sous-traiter ces opérations, ou laisser se créer des franchises capables de se revendiquer de leur cause si elles parviennent à entrer en action, et cela pour limiter leurs coûts humains, en ressources, en force… S’ils peuvent espérer d’un tel « coup médiatique » un retour avec un afflux de combattants, je persiste à penser que pour DAESH, qu’un tel coup peut se révéler être à double tranchant pour eux (retour de bâton façon talibans après les attaques du 11 septembre) ; alors qu’il y a plus d’intérêt à accueillir les Occidentaux et à les embrigader sur le Net, pour s’en servir dans leurs combats en Syrie et en Irak ; parce que leur priorité, leur attention, elle est là, et qu’ils n’auraient pas forcément intérêt à voir les forces occidentales s’intensifier en réponse à des attentats trop sanglants alors qu’elles ne parviennent pas pour l’heure avec leurs frappes aériennes à les ralentir comme ils le voudraient (et ça semble déjà commencer à changer avec la perte de la ville de Kobané…). Il est donc plus probable que ces attaques ne soient que tolérées dans le cadre d’une idéologie générale et peut-être dans l’espoir de créer des tensions en Europe qui leur fournirait alors toujours plus de combattants faciles à manipuler.

S’il n’y a qu’une forme de volonté molle de toucher l’Europe en son sein (quand on légitime sa violence par l’idéologie, il faut bien faire des concessions à cette idéologie et se résoudre alors à voir des combattants ne plus être que des VRP de leur cause idéologique), il faut donc que la volonté la plus ferme de s’impliquer dans ces attaques vienne de ces combattants occidentaux. Il semblerait que celui qui ait été le moteur principal des attaques soit Coulibaly.

Or là, le profil du terroriste est presque toujours le même. Des locaux se revendiquant d’un combat extérieur, sur fond d’idéologie religieuse ou de choc des civilisations, pour légitimer des attaques locales. Ce ne sont non pas des musulmans, mais des petites crapules des quartiers. L’islam, toute zozoterie qu’elle est, est à la fois l’otage et le ciment idéologique d’une logique de confrontation avec l’Occident.

Est-ce la preuve de l’échec de l’intégration (ou de l’assimilation), de la réinsertion ? La question ne doit pas se poser en ces termes à mon avis. Se poser la question de l’intégration, c’est en soi affirmer son échec… et le perpétuer. On est intégré quand on arrête de se poser la question de l’intégration. Les problèmes sont sans doute révélateurs de nombreux maux que cumule la société française, pas un groupe d’individus en particulier. Si on tient tant que ça à pointer du doigt la « communauté musulmane », il faudrait sans doute évoquer le fossé générationnel et culturel existant parfois entre membres d’une même famille. L’absence du père, mais aussi celle des aïeux censés véhiculer les valeurs de l’islam à leurs jeunes. La crise identitaire commence quand on ne parle correctement la langue de ses parents et qu’on est incapable alors de suivre un prêche à la mosquée délivré en arabe. Entre une génération d’immigrés qui ne fait pas de vague en préférant rester transparente et une autre née en France qui manque de repères, il y a un grand écart, et c’est peut-être bien aux anciens de prendre conscience qu’ils vont devoir se forcer à réapprendre leur intégration pour montrer la voie à ces jeunes qu’on a balancés trop vite dans le monde en leur disant qu’il fallait se contenter de la liberté et de rester caché. C’est moins un problème d’intégration qu’une dissociation profonde entre des générations d’une même « communauté ». Quand on parle de fossé générationnel, il me semble qu’il est encore plus grand dans certains ghettos où la transmission des aïeux vis-à-vis des plus jeunes est défaillante, parce qu’ils estiment peut-être à tort que la république ou l’école de la Nation doivent jouer ce rôle. Or la première des intégrations, c’est l’intégration identitaire à sa propre famille, à sa propre histoire. La notion d’identité française ne veut pas dire grand-chose, ça ne s’apprend pas à l’école, on ne devient pas Français. En revanche, l’identité personnelle, elle, passe par la transmission de valeurs que seul l’entourage peut offrir aux plus jeunes. Si les anciens laissent cette place en pensant qu’elle revient naturellement à « la république », ces enfants auront toutes les chances de manquer de repères et de se trouver fragilisés face aux obscurantismes.

Autre mal de la société révélé par cette jeunesse tourmentée des « banlieues », la responsabilité de l’État dans la situation de certaines régions, ou zones, qu’on l’appelle « banlieues » ou « ghettos ». Une responsabilité qui à mon sens ici est totale et coupable. Depuis les premières politiques « de la ville », on a sans doute eu beaucoup de belles idées, mais très peu de résultats. Pour une raison simple : ces villes n’ont jamais été bâties pour être des villes. C’est bien parce que ces zones n’avaient rien de « villes » qu’elles ont fini par être la caricature d’elles-mêmes et que les classes moyennes les ont désertées. Il leur manque une chose essentielle : l’activité. Personne ne veut habiter des zones qui sont entièrement ou presque dédiées à l’habitat. Si certaines « villes-dortoirs » de riches sont possibles, c’est que le cadre de vie est tout autre. Barres d’immeuble, puis barres d’immeuble, belle idée de l’aménagement du territoire. Il n’y a qu’à voir la vénération qu’on a pour les îlots directionnels pour comprendre en quoi ce pays souffre d’un trop-plein de béton. Et pour dormir, le béton, ce n’est pas terrible.

Depuis 20-30 ans, l’échec de la ville, il est là. La résolution du problème commençait par l’abandon du concept de zones (urbaines, commerciales, industrielles). Dans une ville, une vraie, tout se mêle et l’activité devient un foisonnement positif où chacun a sa place parce que personne ne sait précisément qui est qui est pourquoi il est là. Un individu qui se rend à une zone commerciale, va travailler, un autre qui retourne le soir à une zone résidentielle rentre chez lui… C’est Kafka, chacun se définit en fonction de son activité et de sa zone. Le début de « l’intégration » commence alors par une forme de fourmillement « sans étiquette ». On a Paris sous les yeux et personne ne semble la voir !… Et c’est cette impression de mal-être, d’abandon et d’éloignement du pouvoir et de l’activité, qui force l’aliénation et la criminalité. Le chômage est haut dans ces zones et ça devrait être de leur faute ? L’intégration de l’activité, elle se fait où ? Au milieu des barres d’immeuble, sur les toits, sur les terrains vagues ? La seule fois qu’on y implante des activités, ce sont des tribunaux ou des CAF. Il y a des vocations qui se créent… Le premier des aménagements à faire, c’est donc de respecter les normes parisiennes en matière de hauteur de bâtiments : l’exception culturelle sans doute, celle des termitières laissées aux seuls banlieusards. On aime le béton ? Qu’on construise de vraies villes sur le modèle français de centre urbain.

Et qu’on construise des prisons. Avant de taper sur ses délinquants, la France ferait bien de commencer par cesser de l’être en étant sans cesse montrée du doigt pour la condition dans laquelle elle traite ses détenus. Avec des prisons dans un tel état, je suis même surpris de voir qu’il n’y ait pas encore de gangs entiers qui se forment pour ravager le centre parisien.

Tout cela a un coût ? Oui, mais le bien-être et la paix n’ont pas de prix (Les Chefs-d’œuvre du sophisme, Ed. de La Palice).

Est-ce qu’il est donc si raisonnable de nous attaquer aux musulmans, à l’islam ? Ce serait accepter de rentrer dans une guerre idéologique où on aurait tout à perdre, et c’est exactement ce dont ont besoin ceux qui nous combattent.

N’est-ce pas ce que fait précisément Charlie Hebdo, pourrait-on se demander ?

Il y a quelques mois, se posait la question de savoir comment nommer ce groupe militaire qui intervenait au Moyen-orient. D’ « État islamique » on est passé à DAESH. Mine de rien, la suppression du terme « islamique » est très importante, parce qu’il enlève symboliquement à ce groupe la possibilité de se revendiquer de l’islam. La guerre est d’abord guerre de propagande, et quand on n’a pas conscience d’être en guerre (non pas contre « le terrorisme » mais contre des groupes terroristes et contre des groupes armés se revendiquant par ailleurs de l’islam ; les conseillers en communication seraient bien avisés de regarder à qui sont destinées nos bombes), on ne peut que la perdre. Il est donc important de choisir les termes qui servent nos intérêts plutôt que ceux de l’ennemi. Celui qui a le choix des armes a un avantage, et comme les mots peuvent aussi être des armes de propagande… autant choisir ce qui est à notre avantage.

Est-ce qu’il est donc de notre intérêt de continuer à faire le jeu de ces groupes en parlant « d’islamistes », de « musulmans », de « djihadistes » et d’opposer « musulmans modérés » à « musulmans intégristes ». Entre d’un côté des zozos qui tuent et de l’autre des zozos qui se taisent, qui ont honte, et qui sont en aucun rapport avec les groupes terroristes, pourquoi force-t-on un rapport qui n’est pas à notre avantage et qui ne fait que multiplier nos tensions internes ? Il n’y a pas de bons et des méchants musulmans, il y a des musulmans qui vivent en paix et des groupes barbares qui se revendiquent de l’islam. Il n’y a vraiment pas beaucoup de rapport entre les deux et forcer le lien, c’est pousser des zozos bien de chez nous à aller se perdre chez les zozos barbares pour finir par en revenir tout aussi zozos et bien plus barbares. Alors certes, dans un monde sans propagande organisée, on laisse ça derrière la responsabilité et l’intelligence de chacun, mais s’il faut se forcer, c’est justement à distinguer qui sont les ennemis, non à accabler les innocents ou les prier en permanence de se distinguer des « fous d’Allah ». On ne serait pas si rapides à pointer du doigt son voisin pour l’accabler de tous les torts qu’on aurait sans doute la tête un peu plus sur les épaules et les yeux en face des trous pour voir en réalité qui nous menace. Je suis rationaliste et en tant que rationaliste la religion musulmane comme les autres peut être la cible de mes piques, mais il n’est pas question de cela ici ; il ne faudrait pas s’y tromper : ce n’est pas l’islam ou les musulmans qui s’attaquent à Charlie ou à des Juifs.

La première chose à faire est donc de laisser nos zozos musulmans en paix en évitant de leur faire un faux procès. Ils ne sont nullement responsables des atrocités perpétrées par des barbares, au Moyen-orient, comme en Europe. Et leur demander des comptes ne ferait qu’augmenter leur propre sentiment d’insécurité (voire leur donner la preuve de leur non « assimilation ») et que les pousser à rejoindre une cause qui n’est pas la leur.

En revanche, puisque les musulmans sont aussi les premiers à côtoyer ces fous, il ne serait pas inutile qu’ils se déniaisent, ne serait-ce que du point de vue de leurs propres croyances, en pointant du doigt, eux, leurs faux prophètes, et que, tout en prenant soin de ne pas faire le lien avec les terroristes, qu’ils se questionnent sur ce qui les gêne tant dans ces caricatures. Si on parle d’amalgame, il est à regretter qu’il naisse aussi d’un discours maladroit et peu clair à l’attention d’une pratique qui, selon leurs principes, n’a aucune raison de les choquer.

On pourrait aussi penser que si certains apprentis zozos sont assez stupides pour filer en Syrie en la prenant pour la terre promise de l’islam, c’est bien qu’ils sont zozos de haut niveau, et que, sans espérer les voir garnir les rangs de la sainte église athée, il serait bon qu’ils arrivent à faire face à leur irrationalité. À cette irrationalité, seule, c’est-à-dire à leur fantastique capacité à croire. Si on joue le jeu du choc des cultures et des guerres idéologiques en leur demandant des comptes, on a déjà perdu… Il est vain de demander à des croyants de faire preuve d’un peu de logique, mais on peut leur demander de l’être dans la logique de leurs croyances…

Alors, Charlie Hebdo manque-t-il de respect à l’égard des religions ? Oui, et c’est son droit. Mais quand on dit qu’il n’y a pas de délit de blasphème, c’est reconnaître que cela peut en être un. Or pourquoi s’emmerder à créer un monstre quand on peut l’éviter ? Le propre de la zozoterie, c’est bien d’être suivie par des idiots. Il ne faut donc pas jouer les idiots à son tour et expliquer en quoi des caricatures ne sont pas « blasphématoires ». Même pas. En tant que musulmans, vous vous sentez offensés ? Pourquoi ? Rien ne dit dans le Coran que le prophète ne peut être représenté. Il y a même des exemples où il était représenté au début de l’islam. Faudrait-il brûler ces documents ? En tuer les auteurs ? S’offusquer ? Le plus amusant par ailleurs, c’est qu’il est probable que cet usage ait été influencé… par la religion juive, et cela, à une époque où « l’ennemi », le « croisé » n’était pas « Israélien » mais européen et chrétien (avec tous les excès ostentatoires et iconographiques de la contre-réforme et de l’orthodoxie). Il faudrait peut-être une bonne foi(s) pour toute qu’on leur rappelle à tous ces zozos monothéistes que le dieu des juifs, des chrétiens et des musulmans, c’est censé être le même. Et que les musulmans en particulier ouvrent leur bouquin et le lisent (je l’ai fait et c’est une véritable torture) qu’on y parle d’Abraham, de Moïse et de Jésus comme de prophètes. Je sais que la bêtise et l’ignorance sont les premières alliées des religions, mais un petit effort sur ce point ne serait pas inutile. Si donc, pour les cathos, les juifs ou les athées, il est mal venu de demander des comptes aux musulmans quand trois tarés viennent répandre la terreur, il ne serait pas inutile non plus que les musulmans eux-mêmes sortent de leur propre racisme et comprennent leur propre religion. Et ça commence en écoutant ce qu’en disent les anciens…

Aux musulmans qui s’entre-tuent ou s’attaquent à tout ce qui est en rapport à l’Occident en ce moment même en Afrique, il n’y a sans doute rien à espérer, mais des musulmans français, ou Français musulmans (ou Français, et musulmans), on peut espérer au moins faire appel à leur intelligence. Et encore une fois, il est plus que nécessaire de leur demander ce qui les choque dans ces dessins. Quand la caricature d’un personnage présenté explicitement comme étant le prophète vient à violer une chèvre ou des nonnes, l’offense, bon, pourquoi pas. Mais il n’est même pas question de cela. Ce qui offense la religion et le prophète, c’est la caricature d’un personnage présentant vaguement des traits arabes en couv’, portant une pancarte « Je suis Charlie », et surmontée d’un message d’amour qui dit « tout est pardonné » ? Dieu… quelle offense ! Où est-il dit qu’il était question du prophète ? D’une part. Et d’autre part, cette interdiction, cet usage, de ne pas montrer les traits du prophète, quelle en est la raison, l’origine ? On dit que le prophète est « sacré ». Avec ma grande ignorance, j’avais pourtant compris le contraire : si la non-représentation du prophète est une référence à l’usage dans la religion juive, elle se rapporte à l’interdiction de vénérer des idoles. Donc non seulement cette interdiction ne s’applique qu’aux croyants, mais c’est tout le contraire du sacré. Si on n’y touche pas, c’est justement pour ne pas le vénérer. Le prophète est censé être un guide, pas un dieu. Seul Dieu est sacré. (Enfin, de ce que j’en comprends…) Qui blasphème, alors ? Si certains veulent voir « un peu plus de musulmans s’expliquer sur les agissements de nos trois barbares », il y a une seule chose, moi, que je leur demanderais (ah…, s’ils pouvaient, pour me répondre, se réunir en concile et délivrer au monde une parole audible !) : comprenez votre propre religion. (À défaut de faire comme tout adulte qui se respecte ; cesser de croire au Père Noël.)

C’est surtout une guerre entre la bêtise et l’intelligence. Certains prétendent que les caricatures de Charlie Hebdo sont stupides et provocatrices. Pour moi, leur provocation est un appel à l’intelligence. Ils ne provoquent pas pour insulter ou blesser, mais pour révéler nos contradictions, nos petites bêtises. Ça a toujours été le rôle de la caricature. La caricature est-elle raciste ou islamophobe ? Par essence, une caricature est injuste et grossit le trait. Donc oui, une caricature est raciste ; oui une caricature stigmatise. C’est son rôle. Mais non pour attiser la haine, ou blesser, mais pour éveiller les consciences, stimuler l’intelligence. La caricature joue sur les différents degrés de représentation. On est d’abord choqués, gênés, et puis on prend conscience que ce n’est qu’un dessin, qu’une représentation, qu’une grossièreté. Une caricature est injuste parce qu’elle joue sur les apparences, les croyances, les perceptions, les préjugés. Mais le sens de la dérision, c’est de grossir le trait pour nous rappeler que tout cela n’est bien sûr pas à prendre au sérieux, ou au premier degré, et que la caricature déforme pour nous pousser à voir autrement. Elle est là l’intelligence. En montrant l’artifice, on nous pousse à voir au-delà des artifices. Quand on nous montre Sarkozy en petit diable, on est amené à nous interroger sur la pertinence d’un tel rapprochement. Même chose pour Marine Le Pen en Bavaroise. La caricature est injuste et ne fait que nous amener à réfléchir sur notre propre capacité à nous écarter de nos propres préjugés, croyances et perceptions. Et ça, manifestement, certains n’en sont pas capables. Parce « qu’on leur dit » qu’il s’agit du prophète, c’est forcément le prophète. Puisqu’on leur dit que c’est forcément offensant, c’est offensant. Est-ce que la religion est-elle capable de laisser les individus réfléchir par eux-mêmes ou sont-ils condamnés à être esclaves de leur bêtise ?

Qu’on ne me réplique pas que je suis intolérant. Il n’y a aucune tolérance à avoir face à la bêtise. Donc face aux religions. Et par ailleurs, puisque ce n’est pas mon intolérance à leur bêtise qui les empêchera de croire et d’aller au paradis où est donc le problème ? Qu’on me laisse creuser ma place en enfer, ça ne regarde que moi. Quant à mon sort ici-haut, il n’y a pas encore de délit d’intolérance face à la bêtise. Et si je me goure sur toute la ligne ? Eh bien, c’est le principe Charlie : l’intolérance à la bêtise quand il est question du droit de l’exprimer, mais également la tolérance à la bêtise au niveau du droit. La bêtise ne se condamne pas pénalement. On a, en même temps, le droit d’être stupide et le droit de révéler (par des caricatures ou autre) la bêtise de l’autre. Si notre bêtise ne nous permet pas ou plus d’aller dans l’espace ou de retrouver les traces des dinosaures sous nos pieds tant pis pour nous, c’est notre droit le plus strict. Parce que p’t-être bien qu’en faisant les cons parfois on touche juste. Mieux vaut en rire donc. Eux, de la nullité des caricatures de Charlie, nous (Charlie) de leurs zozoteries.

Alors, il faut reconnaître, que peu de musulmans sont venus expliquer que de simples dessins n’avaient en soi rien d’offensant pour la religion… Mais oui, où sont-ils tous ces musulmans dont on parle ? Où se cachent-ils ces fripons ? Mais…, mais… Mais, doit-on, peut-on, en même temps leur en vouloir ? Et face à ces événements gravissimes est-ce si important ? D’une part, les personnalités musulmanes invitées dans « les médias » sont assez rares, et surtout en leur reprochant ce silence, on ne ferait encore une fois qu’aller dans le sens de ceux qui ne voudraient que voir des « communautés » s’opposer les unes aux autres dans notre pays.

Certes, parfois il suffit de peu de choses. Par exemple, les déclarations du frère du policier assassiné lâchement sur le trottoir m’ont mis la larme à l’œil. Il y avait chez lui une volonté non seulement de bien identifier les auteurs de cet acte comme des fous, et certainement pas des musulmans, mais surtout, il a évoqué à plusieurs reprises des termes comme antisémite et synagogue pour les mêler à « raciste » et « Mosquée ». Il ne prêchait pas pour sa paroisse, il parlait en français excédé de la folie des hommes. Il ne se posait pas en victime d’une communauté face à une autre, il identifiait parfaitement les fous, et ceux que ces mêmes fous voudraient voir s’opposer pour grandir les rangs des fous. Reprocher aux musulmans de ne pas s’exprimer, c’est donc un peu fort, puisque quand l’un d’entre eux prend la parole, on ne l’écoutera plus à partir du moment où il ne se revendiquera plus comme étant musulman mais Français ou simple victime de la folie humaine. Il faut aussi savoir écouter. On ne peut pas réclamer aux musulmans de prendre la parole pour se revendiquer presque de ne plus l’être, et leur reprocher quand ils le font, de devenir transparents. Alors, si les musulmans ne prennent pas la parole pour évoquer un tragique fait divers, et se contentent entre eux d’en discuter comme n’importe quel Français le fait, accoudé au bistro du village, moi foi, je n’ai rien contre ; quand on peut faire l’économie de quelques bondieuseries, c’est toujours pas plus mal.

Allah là, que ferait-on sans les querelles de clochers.

Dernières choses concernant l’éducation et la liberté d’expression.

Il semblerait que comme réponse à tout ce chaos, le gouvernement, toujours bien prompt à proposer des solutions qui ont de la gueule plus que de la crédibilité et du fond, a décidé de lancer de grands débats, heures de cours, de formation, etc. concernant l’apprentissage des religions. Personnellement, je trouve ça bien idiot. Avoir de bonnes intentions et déniaiser ses petits bouts de chou, ce serait plutôt une bonne chose si on était en capacité de le faire. Le problème, c’est qu’on se heurte ainsi à plus de nouveaux problèmes qu’on en résout. Parler d’histoire des religions peut être intéressant si on se limite à l’histoire des religions et rien d’autre. Or je doute qu’on puisse (les enfants surtout) se détacher de ses propres croyances pour juger de simples faits historiques, et la question de la foi (de certains) arrivera forcément à un moment ou à un autre, et on risquerait alors de voir des dérives pas franchement en accord avec le principe de laïcité. Rien ne prouve d’ailleurs que même relayées sans problème, ces connaissances aient une quelconque utilité concernant les divers problèmes liés aux religions. Si le premier problème est la connaissance même de ces religions par les croyants, c’est une connaissance liée au culte, aux croyances, aux usages, pas (ou peu) à l’histoire. Ensuite, le problème majeur en classe, c’est que mettre au cœur de l’école ce qui ne sont que des sujets de société, c’est inutile et passablement foireux. Une école est un lieu où on étudie, on apprend des faits concrets, pas où on discute de tout et de n’importe quoi et avec n’importe qui. Les élèves sont comme tout le monde, ils discutent de ces sujets en dehors des cours. Apporter ces sujets en cours n’y apportera rien de plus concret, sinon un avis, pas plus éclairés ou accepté, qui sera celui du grand guide spirituel qu’est le professeur. L’école n’est pas là pour dire la bonne parole ou faire de la morale. Quand autrefois on avait des cours d’éducation civique, c’était pour apprendre du concret, pas pour exposer ses idées sur la peine de mort ou l’IVG. Et les professeurs auraient d’autant plus de mal à être dans le concret qu’il faudrait expliquer les propres incohérences de la république. Ainsi, comment expliquer à des mômes, que la liberté d’expression à travers des caricatures, c’est « sacré », et que la liberté d’expression pour un spectacle qu’on juge antisémite avant d’être donné, c’est moins « sacré » ? Je veux bien croire que parmi les profs beaucoup arrivent à s’en tirer, mais s’il y a des partisans de Dieudonné par exemple parmi ces profs (qu’on ne me dise pas que c’est impossible) est-ce qu’on est certain que ceux-là arriveraient à faire comprendre toutes les subtilités de la république et faire accepter ses incohérences ? Non, on pourrait tout aussi bien faire l’économie de tels débats dans nos écoles. Apprendre à être citoyen, c’est déjà savoir qu’on est libre d’échapper à toutes ces discussions au sein de l’école. Les avis, les opinions, les croyances n’ont pas leur place à l’école. Ça commence au comptoir du bar et ça finit dans un isoloir, mais entre les deux, il n’y a certainement pas l’école. C’est ça aussi la laïcité. Ne pas se laisser polluer par les débats foireux de l’extérieur. Des faits, pas de l’opinion ou de la croyance.

Par ailleurs, si on veut commencer à lutter contre les croyances folles et la bêtise, il faudrait commencer par nos propres croyances, en particulier celles qui nous permettent en tant que « nation » de nous gargariser d’être le centre du monde et des valeurs suprêmes. Deux exemples. Non, la France n’est pas le « pays des droits de l’homme ». Belle suffisance, vive l’ignorance. On dirait une vieille fille essayant de se convaincre qu’elle est toujours belle en se rappelant une beauté supposée d’autrefois. La France est le pays de sa « déclaration des droits de l’homme et du citoyen », point. Ce texte n’a aucune valeur universelle dans le monde (peut-être autrefois dans nos colonies et encore). Non seulement, on se plaît à confondre ce texte issu de la Révolution française avec le texte établi par l’ONU au sortir de la seconde guerre mondiale et qui lui a une valeur universelle, c’est-à-dire reconnu par la grande majorité des pays du monde ; mais en plus, il n’a aucune influence sur quoi que ce soit par ailleurs. Au contraire, le texte, dans le même esprit, est précédé par d’autres qui ont eu eux beaucoup plus d’influence dans l’histoire, et en ont encore beaucoup aujourd’hui, en particulier un texte britannique et un autre américain (1689 pour le premier, 1776 pour l’autre). Pays des droits de l’homme, donc, et mon cul… Allez dire à un Italien ou à un Japonais que la France est le pays des droits de l’homme…

Autre exemple, l’idée que la France est le pays de la pensée des Lumières… C’est évidemment faux. Le siècle des Lumières est un mouvement philosophique qui s’est répandu à travers toute l’Europe au XVIIIe siècle… Pas plus en France qu’ailleurs. Pour un courant basé sur la lutte contre les obscurantismes et les crétinismes, ça le fout mal de se prévaloir de lui tout en ignorant précisément ce dont il s’agit. On pourra donc toujours s’émouvoir devant ces musulmans incultes n’ayant jamais lu le Coran, on en fait autant. C’est encore à se demander ce qu’on apprend en cours d’histoire et en cours d’éducation civique (et j’avoue mon ignorance, je ne sais pas si ça existe encore) si c’est en effet pour nous raconter de telles conneries. Essaie-t-on de présenter aux élèves une vision de l’histoire qui soit plutôt objective et détachée du culte de la « nation » ? Quand il est question d’évoquer les dinosaures (oui j’aime bien les dinosaures — le ciel leur est tombé sur la tête et c’était même pas… Dieu), là, ça ne pose pas de problème (enfin j’espère). Mais dès qu’on arrive à l’histoire moderne, au mieux, elle est centrée sur l’Europe (d’où le principe de Moyen Âge, précédant l’époque dite moderne — et on aurait bien raison d’occulter — nous les Lumières — une époque florissante pour le monde… arabe), au pire, centré sur la France. Ce n’est pas de l’histoire, mais de la propagande. Une propagande nationocentrée (et ça, ce n’est pas du français).

(On est tout autant centré sur notre petite personne en littérature, mais c’est vrai qu’on peine à savoir à partir de quand — ou si seulement — on commence à passer d’un cours de langue française à un cours de lettre — perso je n’ai pas bien compris s’il y avait un basculement, et s’il y a, on ferait bien de se questionner sur la nécessité de garder un véritable cours de français jusqu’au bac, et garder la littérature, toutes les littératures, à un autre cours — la langue, la grammaire française est assez subtile et son domaine d’étude suffisamment vaste pour qu’on puisse en faire une discipline à part entière pendant toute la scolarité).

Concernant enfin la liberté d’expression. On voit là encore toutes les limites d’un système restrictif à la française (oui là encore, désolé de taper sur la France quand les libertés sont mieux respectées ailleurs). Quand on définit des limites à cette expression, on se heurte forcément à la difficulté de définir ces limites et on laisse alors le soin à un magistrat d’interpréter la loi. C’est surtout l’expression d’une société réactionnaire et qui, s’étant séparée de l’Église, est tentée de délivrer sa bonne morale. Ce n’est pas à l’État ou la loi à définir ce qu’est l’histoire, encore moins de définir des groupes pour qui il serait plus intolérable de se montrer intolérant. Les seules limites à la liberté d’expression tiennent au devoir de la collectivité de protéger les plus vulnérables, ses bambins, ainsi que chacun de ses citoyens des propos diffamatoires. Ce qui concerne donc tout le reste, je serais pour une fois plus favorable à une loi « à l’américaine » dans laquelle tout serait permis. Que les cons puissent s’exprimer librement, on aurait au moins l’avantage d’échapper à leur publicité quand ils délivrent leurs conneries. Et des propos dits dans le cadre d’un spectacle ne pourraient pas à mon sens être alors perçus comme diffamants étant entendu qu’un spectacle, comme une caricature, n’est pas la réalité, mais un travestissement de la réalité pour obliger le spectateur à se questionner sur ses rapports avec cette même réalité… Si les fous du roi sont d’intérêt public en riant du roi, les rois eux-mêmes auraient tout intérêt à ne pas tenir autant à ressembler à leurs caricatures.

(Je disais ça comme ça. C’est juste qu’il me restait du sable de l’autre jour qui me démangeait entre les doigts de pieds…)


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Les capitales

Violences de la société


Autres capitales :


Le Cheik, George Melford (1921)

De l’émancipation à la captivité consentie

Le Cheik

Mon ami Rudolph

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : The Sheik

Année : 1921

Réalisation : George Melford

Avec : Agnes Ayres, Adolphe Menjou, Rudolph Valentino

Quel titre d’article pompeux pour un film à l’eau de rose mettant en scène Rudolph Valentino !… Je plaide coupable, je vais m’en expliquer.

D’abord, quelques mots sur le film en lui-même parce qu’il rappelle gentiment les stéréotypes sur les barbares (en l’occurrence les Arabes) qu’on rencontre dans… le Retour du Jedi. Je n’avais jamais fait le rapprochement entre l’univers cruel de Jabba the Hutt et l’imaginaire de la culture des Mille et Une Nuits. La barge a même un certain côté « tapis volant » quand on y pense… Et pour le reste, pas une image, pas un décor, pas une posture, ne saurait être transposable d’un univers à l’autre. Lucas d’ailleurs reproduira cet imaginaire dans certains Indiana Jones si je me rappelle. Il est bien question d’imaginaire. Le but est de reproduire l’image qu’on se fait d’un environnement pour titiller le mythe. Qu’on le fasse à Paris, avec des Incas, des Arabes ou des Geishas, c’est la même farine. Des stéréotypes oui, mais rien d’offensant, c’est une caricature qui se sait en dehors de la réalité. Inutile d’aller crier au racisme comme on peut le lire ici ou là (parce que l’art est toujours affaire de discrimination, si, si : raconter, c’est exclure, c’est choisir, c’est archétyper).

Depuis des lustres, les recettes du succès sont les mêmes. L’exotisme paie toujours. À la même époque Fritz Lang par exemple rencontrait le succès avec sa série des Araignées (utilisant l’imaginaire de l’Amérique du Sud — dans des aventures, encore, qui n’étaient pas sans rappeler Indiana Jones). Mais plus encore que son univers, le film va bénéficier de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui « un buzz », d’abord poussé par le succès phénoménal et inattendu du film, très vite alimenté lui-même par le scandale accompagnant le film — ou les scandales.

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Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik | Paramount Pictures

Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik Paramount Pictures (6)_

D’abord, comme pour beaucoup de succès, le film bénéficie d’un malentendu, ou d’un coup de chance. Rudolph Valentino vient de tourner pour la future MGM, et ici, la Paramount compte bien se servir de ce succès mais parie surtout d’abord sur l’actrice principale du film, Agnes Ayres. Or, il faut bien l’avouer, l’actrice est plutôt insignifiante, et le découpage tend à offrir à Valentino plus de place que la seule raison ne lui aurait jamais offert. C’est que le garçon l’est tout autant, insignifiant. Seulement, il a le mérite (si on peut dire) d’avoir l’insignifiance plutôt ostentatoire. Il pourrait être cabot, mais il est plus que ça, il est carrément chameau (quand il sourit, d’ailleurs, oui, le bellâtre a comme un air chameau). Il est si mauvais qu’il en est à désespérer ; c’est inévitable, la nature est cruelle, plus il en fait, plus il se montre, et plus il fait ressortir une sorte de sex-appeal prétentieux dont on comprend bien qu’il en émouvra plus d’une. Grande bouche (donc), grands yeux, grandes mains, buste large…, tout est grand et large chez monsieur. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais la science : c’est une démonstration de virilité auquel, au premier coup d’œil, les femmes sont très sensibles (au début — et un film, ce n’est pas long — et il en est d’autant plus charmant le garçon, qu’il reste muet). À côté, Adolphe Menjou, avec sa fine moustache et ses muscles d’escrimeur ne fait clairement pas le poids. Voilà donc une partie du scandale : comment un film mettant à l’honneur un acteur aussi mauvais peut-il avoir autant de succès ? Il est vain de s’égosiller en indignations faussement viriles car on ne fait que s’agiter ; l’agitation entretient le scandale et donc la publicité autour du film, et voilà le buzz qui est fait… (Pourquoi n’a-t-on pas fait de Michael Vendetta et de Nabilla des stars de cinéma ? On y perd quelque chose.) On peut ajouter que le fait de remettre sur le tard Rudolph Valentino et Agnes Ayres sur le même plan préfigure les alliances de stars qu’on pratiquera à Hollywood après la crise de 29 et qui fera là encore le succès de l’âge d’or hollywoodien (même si d’une certaine manière aujourd’hui la seule vedette du film semble bien être Valentino).

Autre raison du succès (et du scandale), le traitement de la femme européenne (occidentale, civilisée) que lui réserve un vil barbare. Le film navigue suffisamment dans l’ambiguïté pour éveiller des malentendus et des réflexes pouvant refléter les idées d’une époque, et plus particulièrement, les principes moraux d’une société qui change. On est après guerre en 1921, le début des années folles, période où la femme s’émancipera comme jamais. Et il est bien possible que l’Occidental outré d’abord par la manière dont une femme est traitée par un cheik arabe finisse, sans s’en rendre compte, à s’indigner, non plus que cette femme soit traitée ainsi par un étranger, mais seulement par le seul fait qu’une femme devienne ainsi l’objet des désirs d’un homme, quel qu’il soit. Le fait qu’elle soit britannique joue sans doute d’ailleurs beaucoup parce qu’on la voit au début du film refuser les avances d’un homme (occidental) lui proposant le mariage et lui avouant qu’elle ne s’y soumettra jamais parce que le mariage est pour elle synonyme de prison. Quand on s’indigne du sort de cette femme, on s’indigne d’autant plus qu’il s’agit d’une femme indépendante. Alors que l’émancipation initiée par les suffragettes dans les sociétés occidentales n’était sans doute pas encore une idée bien répandue et acceptée, il suffit que l’une de ces femmes rencontre un danger extérieur pour que, très vite, on s’insurge en adoptant sans hésitation les nouveaux principes moraux censés s’opposer aux principes barbares venus de l’agresseur. Voilà comment on devient « féministe » à son insu. Soft power, mon général.

Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik Paramount Pictures (1)_Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik Paramount Pictures (3)_Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik Paramount Pictures (4)_

Que cette femme soit par la suite retenue captive, violée, et même qu’elle tombe finalement dans les bras de son agresseur, n’y change pas grand-chose. Car ce qui compte, c’est la nature initiale du personnage. On a parfaitement intégré et accepté l’idée qu’une femme puisse être indépendante, se revendiquer comme telle, et chercher à la défendre quand un goujat ose mettre la main dessus. De l’émancipation à la captivité consentie… C’est bien la romance mièvre, et le charme supposé de Valentino, qui pourrait servir de prétexte aux spectatrices pour faire de ce film un tel succès, mais en réalité ce qui aurait peut-être derrière cette fascination de la femme occidentale pour cette situation en apparence en totale contradiction avec les valeurs du féminisme, c’est bien le fait que cette femme se retrouve tout d’un coup captive et privée de ce qui lui était le plus cher : son indépendance, sa liberté. Le fantasme, il peut être autant de se voir dans les bras du cheik que de se rêver aussi émancipée que cette femme. À ce titre, il est intéressant de souligner l’importance du costume dans le film. On voit d’abord Agnes Ayres avec une robe de soirée typique des années folles, sans corset, la montrant pratiquement nue, et n’a pas encore la coupe en garçonne (mais les bouclettes typiques à la Mary Pickford) ; par la suite, elle porte dans le désert la tenue coloniale, invariablement asexuée. Quand le cheik la retient captive, il lui impose une tenue légère affreusement dégradante pour elle (rappelons-nous de la princesse Leïa dans le Retour du Jedi, c’est pareil). Elle n’est pas moins habillée qu’au début du film, mais l’humiliation qu’elle fait remarquer au cheik ne naît pas de sa quasi-nudité, bien du choix qui lui est imposé (et il est intéressant de noter que le problème persiste aujourd’hui autour de l’idée, et de la définition, du viol, ou quand on peut légitimer un crime en fonction de l’interprétation qu’on fait d’une tenue ou d’un comportement ; or, on est bien dans une société du paraître, et on peut jouer la docilité, tout en se refusant au dernier moment, parce que ce qui définit l’individu, et fait de lui un être libre, ce n’est pas ce qu’il donne à voir, mais ce qu’il dit : l’habit ne fait pas le consentement ; et au moins, ce film, en donne une preuve plutôt évidente).

Encore une fois, quelle que soit la qualité du film, le cinéma montre qu’il a très probablement joué un rôle majeur dans la diffusion et l’acceptation de l’image de la femme moderne dans les sociétés occidentales. Loin de montrer une femme soumise, le film montrait au contraire une femme libre qui n’avait plus à lutter dans son monde pour cette liberté (quand elle exprime ses souhaits au début du film, ça ne fait même pas débat : l’homme à qui elle s’adresse l’accepte). Au contraire, fraîchement revêtue de son indépendance, elle devait faire face à l’intolérance d’autres hommes, tout aussi barbares et sexistes que ceux qui refusent, en Occident, de voir les femmes s’émanciper… Si les hommes détestaient tellement ce film, il est probable que c’était moins à cause de l’attirance stupide qu’ils croyaient déceler chez les femmes pour Valentino, qu’à cause de l’image de la femme présentée au début du film et capable d’ébranler leurs certitudes ou leurs réflexes sexistes. Valentino ne servait alors que de prétexte à leur indignation. On pouvait bien montrer du doigt l’étranger et faire de lui le responsable de notre trouble existentiel, les causes de cet inconfort réactionnaire étaient probablement ailleurs… Quand une femme quitte son mari pour un autre homme s’accable-t-il lui-même pour ne pas avoir su la retenir ou accuse-t-il « l’amant » de sa femme ? « Il me l’a prise ! » Tiens donc, qui est le cheik ? Pour qui la femme est-elle encore un objet ?

Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik Paramount Pictures (7)_Le Cheik, George Melford 1921 The Sheik Paramount Pictures (5)_

Michel Serres, identité, appartenance, racisme et mon amie Daisy

Michel Serres rappelle qu’il ne faudrait pas confondre ou mêler “identité” et “appartenance”. Dire « je suis » Français, Juif, musulman, etc. serait un contresens. Il faudrait dire plutôt « j’appartiens à ce groupe qui se définit comme étant français (juif, etc.) ». Le problème, c’est qu’il est plus facile d’exprimer verbalement l’identité (« je suis ») que l’appartenance à un groupe (« j’appartiens »).

La langue, en allant au plus simple, discrimine. Même en le rappelant cent fois, c’est vain de chercher à lutter contre la facilité. La langue devient le “réel” et non le seul outil nous permettant de conceptualiser le monde.

De la même manière, il faudrait considérer toute reconnaissance de traits, comportements ou discours jugés “racistes” (ou discriminants) comme étant intrinsèquement discriminants et racistes. Si on ne peut pas parler d’identité pour discriminer dans un sens négatif, on ne peut pas plus le faire dans un sens jugé positif. Il est en effet pratique d’envoyer à la face de l’autre et comme argument suprême qu’il est (ou son discours) raciste ou discriminant, alors qu’il serait plus juste de rappeler que l’appartenance à un groupe n’est pas une identité. (Le même problème prévaut chez certains féministes qui prétendent ou croient défendre l’égalité des sexes tout en soulignant davantage des clichés qui ne peuvent résoudre la question de discrimination faite aux femmes quand ils adoptent un discours de type « nous les femmes, vous les hommes, vous êtes… / les femmes pensent, agissent, font ainsi, tandis que les hommes, etc. ». Le langage est toujours discriminant.)

Plus on se présente avec l’idée de défendre des “minorités”, des “peuples”, des « identités nationales », plus on tend, à travers le langage, à perpétuer les conditions de tensions qu’on cherche pourtant à résoudre. C’est pourquoi j’aurais tendance à penser que le devoir de mémoire par exemple constitue à lui seul un obstacle à l’objectif qu’on prétend lui donner. Ce serait un peu comme une voiture qui irait de droite à gauche et qu’on essaierait de faire aller droit : on ne va pas droit en donnant un coup de volant au sens opposé, mais en arrêtant de le tourner.

Est-ce que les mots pensent à travers nous ? Non, les mots « expriment » parfois mal notre pensée, mais ils ne pensent pas à travers nous. Le problème est le même qu’en traduction. C’est l’idée passant d’une tête à une autre, sorte de téléphone arabe permanent (ou juif pour ne pas faire de jaloux) qui impose le travestissement ou la simplification d’une idée ; et beaucoup l’usage : la langue étant essentiellement un outil qui se remodèle sans cesse en fonction de ce que ceux qui la pratiquent en font justement au sein d’un groupe. La nuance peut-être présente dans la pensée se perd une fois exprimée à travers des mots.

Il me semble bien qu’on puisse penser sans mots avant de s’exprimer, même avec des concepts abstraits et complexes, sinon on ne serait pas en mesure de conceptualiser des idées sans en connaître les termes, et on serait alors incapables d’en “repenser”, d’en “re-conceptualiser” d’autres.

Si la langue est un outil parfois imparfait et trahit parfois la pensée (exactement comme la traduction, encore), elle ne précède pas la pensée. C’est même un des dangers des “penseurs” possédant un important bagage philosophique ou habitués à certains usages et chemins de pensée (le piège des heuristiques ou d’un vocabulaire riche et personnel). Avec beaucoup de mots et de concepts savants, on peut raconter tout un tas de conneries. Et le “verbe” (ou les “mots”) exprimant toujours insuffisamment ce à quoi il est censé se référer, peut être amené, pourtant dans un cadre que l’on croit logique, proposer une pensée biaisée dès sa concept-ion.

C’est pourquoi je propose toujours à mes élèves primates de ne pas tant s’offusquer quand on le rappelle qu’ils ne disposent pas encore du langage. Ce matin, je disais encore à Daisy, une des guenons du parc où j’officie : « Mais pense ! Songe à penser avant de vouloir singer les hommes avec ses baragouinages ! Oublie Descartes et son “ Je pense donc je suis  (elle lit trop de philosophes) : l’existence précède le verbe, et précède même la pensée ! Tu existes, Daisy, avant de savoir que tu existes ! Et comme tu le sais déjà, contente-toi déjà d’être… »

Une autre fois, alors que je disais, en gros, la même chose à un groupe de chimpanzés ventriloques, l’un d’eux se lève, furibond, et me lance quelque chose qu’il avait probablement digéré depuis des heures : « Et pourtant, elle pense ! » J’avoue que sans saisir l’ampleur de l’événement, tout nigaud que j’étais, je lui ai répondu simplement : « Mais Galilée, je ne dis pas le contraire… Veux-tu te rasseoir ? » J’avais dû le vexer parce qu’il commence alors à avancer lentement vers moi me regardant fixement tandis que les autres se mettent à fredonner My Way. Il ne pouvait pas parler, mais je voyais dans son œil décidé qu’il n’en pensait pas moins. Et j’entends alors les paroles dans ma tête :

« Je me lève, je marche, et je te bouscule : le lâche, tu ne te réveilles pas. Comme d’habitude. Avec toi, je remonte dans l’arbre, j’ai peur que tu te prennes pour moi. Comme d’habitude. Ma main épouille tes cheveux, presque malgré moi. Il fait froid sans toi. Comme d’habitude. Tu me tournes le dos. Comme d’habitude… »

(Mes excuses au genre humain, à la raison, aux primates, toussa…)

Chers téléspectateurs, vous venez de voir en images la preuve que la religion est, et doit rester, une affaire personnelle. Toi et Dieu, ça te regarde, c’est affaire de religion. Moi et toi, c’est affaire de politique, on se met d’accord sur du factuel.


Les capitales     

L’Oiseau de paradis, King Vidor (1932)

Tintin chez les Vahinés

L’Oiseau de paradis

The Bird of Paradise

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : The Bird of Paradise

Année : 1932

Réalisation : King Vidor

Avec : Dolores del Rio, Joel McCrea

En dehors de l’indéniable talent de raconteur d’histoire de King Vidor, le film n’a plus grand intérêt aujourd’hui tant la connaissance, et la perception du monde dans son ensemble, avec ses différents environnements et ses différentes peuplades, a évolué depuis 1932. Le film avait sans doute une saveur exotique à l’époque, on y sent une exaltation des beautés des mondes paradisiaques des îles du Pacifique… À la limite, le film illustre et donne à voir un monde inconnu, même en trahissant probablement les usages des Polynésiens ; ce qui comptait pour le public d’alors était moins l’intérêt ethnologique que l’exhibition d’un fantasme sexuel. Et le film a ses côtés sensuels, oui.

Derrière le mythe du bon sauvage et du paradis perdu qui nous sont servis au début du film, on a droit à l’utilisation d’un peuple autochtone comme opposant au récit, au même titre que pouvaient l’être les Indiens dans certains westerns. Dans une perception contemporaine multiethnique, métissée, qui a vécu l’horreur de l’extrémisme xénophobe durant la Seconde Guerre mondiale, et dont nos tabous actuels tirent leurs origines, le film ne peut plus passer.

Si durant les années qui suivirent, sous la censure du code Hays, le film pouvait choquer par sa grande sensualité, aujourd’hui, c’est bien le visage montré des étrangers qui choque…

La femme (interprétée par une Dolores del Rio, au mieux mi-nue ; mais, c’est vrai, d’une beauté fascinante) est une représentation fantasmée du désir de l’homme, docile et aimante, prête à quitter son peuple de sauvages pour l’homme « civilisé ». Leur rencontre commence pourtant bien, telle Sephora sauvant Moïse après ses quarante jours passés dans le désert, Luana sauve Johnny des eaux… C’est ensuite que ça devient un peu plus douteux et que le fantasme va un peu loin. L’illusion qu’un homme « civilisé » puisse séduire une « sauvage » rien qu’en la désirant, que leur intérêt puisse être mutuel, ça paraît peu crédible, voire vulgaire, aujourd’hui. Lui ne veut que l’embrasser, elle, d’abord, se débat… puis se laisse faire. Aujourd’hui, on parlerait de harcèlement ou de viol. Ce qui est douteux, c’est de présenter ça comme une chose facile et due : je te désire, tu ne peux pas dire non, une fois que je t’aurais prise, tu comprendras que tu m’aimes. La xénophobie, elle commence dès cet amour forcé, fantasmé, sans une once de psychologie ou de réalisme, dès ce rapport simpliste et grossier de l’homme et de son éternelle étrangère, la femme. L’étranger est soit un ennemi barbare, soit un objet sexuel fasciné par la sophistication de l’homme blanc.

Ce « petit racisme » s’accentue quand nos deux héros jouent les Roméo et Juliette. Le choc des cultures est inégal. Chez Shakespeare, c’est le monde, les deux familles qui s’opposent à cet amour impossible et interdit. Ici, on présente clairement l’Occident comme une civilisation, un monde évolué, en opposition aux barbares, aux Polynésiens, sauvages, brutaux et cruels (forcément puisqu’ils refusent d’accepter leur amour). Johnny s’intéresse au cul de sa Luana aussi bien que nous guettons un bout de téton derrière son collier de fleurs. Mais quand il s’agit de commu-niquer, la cul-ture de Luana ne l’intéresse pas, parce que jugée inférieure, et c’est à elle d’apprendre sa langue. Le bon occidental qui la libère de son état animal pour en faire une femme évoluée… On rêve… L’idée du monde que se fait ici le pseudo-homme civilisé est simple : le monde appartient à l’homme évolué, donc à l’homme occidental, parce que sa culture est supérieure aux autres et, par conséquent, il se proclame le droit de piller, violer, ce monde à envie, sans avoir de compte à rendre à personne et certainement pas à ces animaux que sont ces indigènes, ignorants tout des beautés qui les entourent.

C’est ainsi que Johnny s’empare de la fille du chef polynésien. Il ne cherche même pas à discuter, à marchander : il la veut, et ça lui paraît tout naturel qu’il puisse la prendre s’il la veut. Je l’aime, je la désire, donc elle est à moi. On pille une femme comme on pille des ressources d’un pays, ou comme on vole les pêches du voisin sous prétexte qu’il ne les cueille pas. Un peu comme si l’Occidental, par son raffinement supérieur, était capable d’apprécier des choses que ces sauvages ne pouvaient pas. Le droit de la propriété, ça marche chez nous, mais quand on est chez les autres, on oublie nos principes et on se permet tout sous prétexte que « l’autre » n’est pas assez « évolué » pour apprécier certaines choses… Qui est le sauvage au final ?!…

Quand Luana invoque son dieu, Johnny lui dit sans ironie, sans le moindre doute sur sa supériorité, presque comme un ordre, qu’elle ne peut invoquer qu’un seul dieu, le sien. Là encore, le plus grossier, c’est que c’est présenté comme une évidence. L’homme blanc qui éduque l’indigène à la bonne parole, comme autrefois les missionnaires en Amérique du Sud ou ailleurs.

À un autre moment, pour la nourrir, l’homme chasse la tortue marine… espèce aujourd’hui protégée. Bien sûr s’offusquer d’une telle scène est anachronique, reste que c’est bien à cause de ces comportements idiots où l’homme se croit tout permis et au-dessus de la nature qu’on en arrive aujourd’hui à s’en agacer parce qu’on connaît la situation critique sur notre planète et que ce sont ces comportements qui en sont à l’origine. Anachronique oui, mais surtout un exemple de ce que nous étions, une preuve de notre mépris pour la nature et notre perception biaisée de son caractère « infini » ou « invulnérable ». Ce qui était autrefois perçu comme un véritable instant de bravoure, de courage, est aujourd’hui considéré comme un crime. On a cessé d’apprivoiser le monde. On le sait désormais : il est fini et fragile. Nous en rendre maître ne nous a pas plus aidés à le comprendre.

Cette histoire — la plus vieille que le monde ait contée —, c’est celle de la belle Hélène enlevée par Pâris. Sauf qu’il y a plus de 2 500 ans, Homère, un peu comme le fera Shakespeare avec Roméo et Juliette, construit deux blocs et raconte l’histoire selon les deux points de vue. C’est même probablement tout l’intérêt du récit : montrer les conflits d’intérêts, les dilemmes… On est déjà dans le choc des cultures, mais il y a un enjeu, celui de l’emporter face à un ennemi redoutable qui croit tout autant que l’autre camp être dans son bon droit. Trois mille ans plus tard, on a sacrément régressé dans le choc des cultures et dans la subtilité des confrontations… Il n’est plus question que du camp des hommes civilisés pour qui tout est permis, et celui des sauvages venant poursuivre bêtement leur femme comme un chien après son os. Il n’y a pas de débat possible : il y a l’homme légitime, et la bête qui doit obéir à son maître — lui devra apprendre à la dompter, ou simplement, fuir face à une telle férocité animale. Un peu rétrograde, donc.

Le récit, lui, est efficace. Il y a le savoir-faire de King Vidor. Mais c’est un rêve, un peu trop simpliste et con. Dolores del Rio n’est pas une vahiné, mais un fantasme facile, une Mexicaine maquillée comme un camion latino. Certes magnifique, envoûtante, charmante, mais elle est la preuve que son personnage est un prétexte à fantasmer, donc bien une Occidentale, une femme « civilisée »…, une femme facile, pour laquelle il ne sera pas nécessaire d’user de trop de sophistication pour la séduire. Une hymne à la femme facile. Un hymne à la bêtise bien occidentale.

dolores del rio, bird paradise, king vidor

L’Oiseau de paradis, King Vidor 1932 The Bird of Paradise | RKO Radio Pictures

Le film est entièrement disponible sur le Net, car tombé dans le domaine public

http://www.archive.org/details/Bird_of_Paradise_1932


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The Liberation of L.B. Jones, William Wyler (1970)

Le chant du maître

On n’achète pas le silence

On n'achète pas le silence

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : The Liberation of L.B. Jones

Année : 1970

Réalisation : William Wyler

Avec : Lee J. Cobb, Anthony Zerbe, Roscoe Lee Browne, Yaphet Kotto

Curieux et ultime opus de William Wyler tourné en 1970, assez symptomatique de certains films méconnus, et à juste titre, des vétérans d’Hollywood à cette période.

Adapté d’un bouquin, le film retrace l’histoire d’un fait divers survenu dans le sud du Tennessee. Le hic, c’est que si le sujet n’est pas le racisme, ça n’a plus grand intérêt. Et le problème est là : ce n’est pas parce qu’un Noir se fait sauvagement buter par un policier blanc que c’est un crime raciste, même dans le sud des États-Unis. Le racisme est bien sûr omniprésent. Le flic est bien poussé par son pote qui lui est bien raciste ; mais lui ne l’est pas et il a un mobile expliquant son geste. Il le bute parce qu’il couche avec la femme de la victime, parce qu’il est envieux de sa réussite. Les remords surviennent très vite. Un raciste à cette époque et dans ce contexte aurait assumé.

C’est donc déjà bien bancal. On aurait pu se gaver avec de la morale antiraciste, et on repart avec pas grand-chose. Wyler a peut-être trouvé un intérêt à cette histoire dans l’ambiguïté de ce personnage. Mais tourné comme ça, ça n’a plus d’intérêt… Au final, on se retrouve avec des enjeux assez peu définis et une trame ultra-molle. La mise en scène vieillotte de Wyler n’arrange pas les choses. Travellings d’accompagnement dans les commissariats de police, plan sur la porte avec l’enseigne « police departement »… Et le must du plan ringard utilisé au premier degré (que Tarantino utilisera au second lui), avec ces scènes de voitures tournées en studio, la toile projetée en arrière-plan pour suggérer le défilement du paysage… 1970, le Nouvel Hollywood donne de l’air aux studios et certains vétérans ne sentent pas le vent tourner.

Que ce soit la mise en scène ou l’histoire, rien n’est bien convaincant (la critique semble avoir dit qu’un sujet comme ça en 1970, c’était un peu comme arriver après la guerre, les sujets étaient déjà traités en mieux — sauf que de toute façon ce n’est pas un film sur le racisme).

Reste une chose à sauver dans le film : la composition d’acteur et la direction d’acteurs. Parfois un peu trop dirigés d’ailleurs, parce que certains trouveraient ça théâtral ou pas assez naturaliste. Mais entre choisir une interprétation naturaliste et une autre où l’acteur peut habilement jongler avec les contradictions de son personnage, mettre des nuances de ton, faire jouer son imagination et donc la nôtre, je signe tout de suite pour la seconde. Je m’en fous du réalisme, je veux qu’on me raconte une histoire. Je préfère les acteurs précis, inventifs, qui savent où ils vont et qui me racontent plus qu’ils ne se la racontent.

Lee J. Cobb campe ici un avocat plus ou moins raciste. Yaphet Kotto, futur passager d’Alien : un acteur plein de nuances, au corps imposant. Anthony Zerbe joue le personnage de flic ambigu ; sa gueule est familière, vue dans d’innombrables films ou séries ; et il est parfait dans ce rôle de tordu. Même Lee Majors, aka Steve Austin, aka L’homme qui valait beaucoup de pépètes, aka L’Homme qui tombe à pic, est très convaincant… — il aurait pu avoir une belle carrière si on lui avait écrit des rôles sur mesure celui-là.

À oublier.


The Liberation of L.B. Jones, William Wyler 1970 | Liberation Company


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Le Sifflement de Kotan, Mikio Naruse (1959)

Rendez-vous en terre inconnue : Mikio Naruse chez les Aïnous

Le Sifflement de Kotan

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Kotan no kuchibue

Année : 1959

Réalisation : Mikio Naruse

Avec : Ken Yamauchi, Yoshiko Kôda, Masayuki Mori

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Étonnant de voir Naruse quitter la ville pour les kotans (villages) aïnous de l’île d’Hokkaido. Et au fond pas tant que ça. Qu’est-ce que fait le plus souvent Naruse ? Décrire une société japonaise qui change sous l’influence de l’Occident, à travers des histoires de geishas, d’amour ou de femme au milieu d’une famille souvent monoparentale.

On est donc sur l’île d’Hokkaido ou on suit une famille aïnou (un peuple d’une ethnie minoritaire au Japon). Il y a le fils, doué à l’école, le père ivre depuis que sa femme est décédée (joué par Masayuki Mori, avec encore un rôle à mille lieues de ces autres rôles ! il suffit de voir le personnage de banquier bien respectable qu’il jouait dans Quand une femme monte l’escalier…) et la fille idéale qui prend soin de tout le monde, belle comme un ange. Le conflit social est clair. Les enfants aïnous sont victimes du racisme japonais à l’école.

Naruse décrit comme à son habitude un grand nombre de personnages avant de se recentrer sur ceux qui deviendront les principaux (le fils et surtout la fille). C’est comme ça qu’il suit un bon moment la voisine qui vit avec sa grand-mère, qui rêve de faire de la danse et qui flirte avec un Japonais. Sa grand-mère va un jour voir le père de ce garçon (directeur de l’école qui a toujours été correct avec les aïnous) pour connaître ses intentions si leurs enfants décidaient de se fiancer. Elle y va avec un peu d’espoir, vu le personnage (joué par Takashi Shimura, l’éternel humaniste des films de Kurosawa, donc l’acteur idéal pour ce rôle), mais il lui fait comprendre que ce n’est pas une bonne idée… Après quoi, la grand-mère tombe malade, la fille disparaît. On ne saura jamais ce qui lui est arrivée… Voilà qui est très narusien : il développe des personnages et il les délaisse presque consciemment en cours de route comme pour coller un peu plus à la vraie vie où souvent on perd de vue même son plus proche voisin. Puis la grand-mère meurt… La vie, en somme, mais pour une fois chez Naruse, celle des autres, ceux de l’île voisine.

Le Sifflement de Kotan, Mikio Naruse 1959 Kotan no kuchibue | Toho Company

Le récit peut alors s’attacher complètement au destin de la famille. La fille est choisie par le professeur de dessin pour être son modèle, elle s’entiche un peu de lui, mais il finit par partir pour Tokyo (avant d’être parti pour la grande ville de l’île, Saporo, avec elle pour présenter son tableau à un concours), le fils se bat avec d’autres élèves (japonais eux) qui le jalousent et le martyrisent, le père parvient à se détacher de l’alcool, mais qui mourra (Mori) à la fin, écrasé par un arbre (il avait trouvé une place de bûcheron).

Ça commence comme un film social, avec des oppositions entre deux cultures, ils nous mènent tranquillement au mélo avec une ou deux amourettes, deux morts cruelles… Tout ça pour laisser les deux orphelins à la fin, livrés à leur oncle cruel. La même rengaine tragique, même en plein dans les bois, et tout aussi efficace.

On se croirait presque dans un film de Miyazaki. Les Aïnous et surtout leur culture animiste (avec tous ces esprits de la forêt) ressemblent à des peuples qu’il décrit très souvent dans ses films. Naruse ne reproduit pas totalement la culture aïnou. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le Net pour s’apercevoir qu’il y a un ou deux trucs qui ne sont pas retranscrits dans le film. Par exemple, il a bien pris des Japonais pour jouer les Aïnous, et il me semble qu’ils parlent tout le temps japonais… En tout cas, c’est bien dépaysant. Voir qu’il y a également un problème de racisme au Japon, c’est comprendre finalement que tout le monde a les mêmes problèmes. Dommage que la fille n’ait pas fait d’autres films, elle avait un de ces sourires…



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The Glass Shield, Charles Burnett (1994)

Police blues

The Glass Shield

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1994

Réalisation : Charles Burnett

Avec : Michael Boatman, Lori Petty, Ice Cube

Ce n’est évidemment pas un chef-d’œuvre. Les films de cette époque (début des 90) paraissent un peu périmés. Il faudra attendre une ou deux décennies avant de pouvoir y goûter à nouveau avec un plaisir. Mais, ça vaut le détour — tout de même.

Un jeune flic noir commence son boulot dans un commissariat plein de Blancs racistes. Il essaie de faire sa place, mais généralement, chez des types comme ça le racisme n’est pas la seule « vertu ». Le problème, c’est que le flic est un peu crétin parce qu’il veut se faire accepter par ses pairs, donc quand un flic lui demande de le couvrir et de modifier légèrement la réalité, il le fait sans fléchir. Il se pose d’autant moins de questions qu’il est persuadé de prendre la bonne décision puisque c’est la seule manière d’inculper un type.

Malheureusement, il déchante très vite et se rend compte qu’il a fait une connerie. Aidé de l’autre mal aimé du commissariat (une femme juive), il va mener une enquête interne. Dans la plus pure tradition du petit qui fourre ses mains là où les grands ne veulent pas qu’il y vienne mettre ses pattes…

Le développement ensuite du canevas n’est pas transcendant. Mais on comprend mieux vers la fin. Les événements sortent des clous, des règles, des codes de ce type de film… Normal, c’est une histoire vraie. On pose son pop-corn et on remet son cerveau sur on. C’est la fin surtout qui fait réfléchir… Je peux la dévoiler. En fait, tous les salauds corrompus et violents du commissariat s’en sortent sans dommage, et seul lui, le flic noir, perd son job, doit même faire face à la justice (c’est suggérer je crois à la fin, ça se termine un peu brusquement) pour un faux témoignage alors que celui qui lui avait demandé de mentir n’a rien eu… en échange de cette information… Plus kafkaïen, plus injuste, plus absurde, tu meurs.

Ça ne casse donc pas la baraque, surtout au niveau de la mise en scène. C’est très conformiste, très sage, très premier de la classe : propre, bien fait, mais sans véritable chair, sans cœur… Reste le sujet, qui rien qu’à lui seul mérite qu’on regarde le film.


The Glass Shield, Charles Burnett (1994) | CiBy 2000, Miramax


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Hôtel Rwanda, Terry George (2004)

De la nécessité d’étiqueter

Hôtel Rwanda

Note : 3.5 sur 5.

Année : 2004

Réalisation : Terry George

Avec : Don Cheadle, Sophie Okonedo, Joaquin Phoenix

Un peu tire-larmes, mais c’est pour la bonne cause. Pour en savoir un peu plus sur ce qui s’est passé pendant le génocide…

Au début, on est un peu agacé par l’accent de Don Cheadle, et puis finalement, on n’a pas le choix, on s’y fait.

On apprend donc très vite que la rivalité entre Hutu et Tutsi a été créée de toutes pièces par les colons belges qui ont décidé de délimiter les Rwandais en deux camps. Un peu comme ce qui s’est passé avec l’Inde et le Pakistan, sauf que là-bas, on les a différenciés sur des identités religieuses. Au Rwanda, les Belges, les ont différenciés sur des critères physiques : les grands d’un côté et les petits de l’autre, pour former les Hutus puis les Tutsis, ces derniers étant les préférés des colons belges… Et voilà comment du racisme, engendre de l’injustice et à nouveau engendre… du racisme…

En fait, c’est un peu comme si on séparait ceux qui ont les cheveux bouclés et ceux qui les ont lisses… Les enfants n’ayant pas forcément les mêmes critères esthétiques que leurs parents, impossibles de déterminer qui est quoi, vu qu’ils ont la même langue et ont la même culture, bref, c’est à l’origine une ethnie identique…

Voilà pour la première phase absurde. Ensuite, c’est une phase surréaliste, où comme le personnage principal, on voit venir, mais on n’y croit pas. En fait, tout est parti d’un animateur radio qui lançait les ordres à travers son émission, sa voix était comme une sorte de voix tombant du ciel (ou d’outre-tombe) qui animait le désir de revanche des Hutus, attisait la haine, et même donc, donnait les ordres d’exécution, parfois avec une précision diabolique ! La voix du diable… Dans un film, ça aurait été gros, mais non, c’est la vérité…

Hôtel Rwanda, Terry George (2004) | United Artists, Lions Gate Films, Industrial Development Corporation of South Africa

Le film prend le parti de s’attacher au destin de ce « juste » Hutu, directeur d’un hôtel de haut standing, qui est un peu contraint, au moins au début, de réfugier des Tutsis. Lui, tout ce qu’il veut c’est protéger sa femme tutsie, mais elle ne veut pas laisser sa famille…

Le plus ignoble, c’est de voir le désintérêt des pays occidentaux dès que les massacres commencent, puisque très vite, ils décident de partir, ne laissant plus qu’un ou deux casques bleus… — Bien sûr, pas de pétrole au Rwanda, ni même de café, de chocolat, d’or, rien.

Les scènes surréalistes et tire-larmes se succèdent, avec la super musique en toile de fond et un dénouement des plus heureux — pour nos héros (morale bien américaine où dans les films catastrophe le labrador à la fin de nos héros est retrouvé, et où en Afrique, deux ou trois enfants, valent bien un chien… — le plaisir cathartique du spectateur est sauf !).

Bref, tout ça est tout de même bien flippant.

C’est bien gentil de vouloir mettre des étiquettes sur chacun, comme si on était des pots de yaourt. C’est pratique, c’est sécurisant, on a l’impression comme avec un yaourt que puisqu’on sait que c’est un yaourt à la fraise, on aura moins de chance d’avoir de mauvaises surprises que s’il n’était pas étiqueté et qu’on ne savait pas à l’avance sur quoi tomber.

Réclamez à votre grande surface la mise en place de yaourts-surprises : ce qu’on veut c’est manger du yaourt, au fond le parfum on s’en moque… (sauf pour les yaourts goût cerise, ceux-là, on peut les exterminer — faire un génocerise vite et massif).



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