Je veux vivre, Robert Wise (1958)

Note : 4 sur 5.

Je veux vivre !

Titre original : I Want to Live!

Année : 1958

Réalisation : Robert Wise

Avec : Susan Hayward, Simon Oakland, Virginia Vincent, Wesley Lau

S’il fallait illustrer ce qu’était la mise en scène, les premières secondes de Susan Hayward dans le film feraient l’affaire. Réveil soudain dans une chambre d’hôtel. L’actrice est de dos et en contre-jour. Elle s’ébroue, puis tire sur sa cigarette avant de la passer à une personne hors champ. On voit à peine, mais on a tout vu, tout compris de la situation en trois gestes parfaitement décomposés. Ces gestes donnent toutes les informations utiles à une entrée en matière ; ils caractérisent assez le personnage principal (ses pulsions instinctives en faisant presque une cousine des personnages des films d’Imamura qui entreront bientôt en scène, comme dans La Femme insecte) ; et ils offrent au film une tonalité, une atmosphère inquiétante et pleine de vices.

Pendant plus d’une heure ensuite, l’actrice compose une partition remarquable. Ce rôle en or (même si Hayward appartient encore à cette ancienne génération qui sera rapidement supplantée par des acteurs de la method) joué avec une spontanéité animale lui vaudra un Oscar. Ce n’est pas tous les jours qu’Hollywood propose à une actrice un rôle aussi franchement imposant à l’écran : pas d’acteur avec qui partager le haut de l’affiche, et un sujet loin des standards conservateurs auxquels les femmes échappent que rarement dans le cinéma sinon pour jouer des femmes fatales infréquentables.

Pour l’accompagner, les actrices et acteurs de complément ne sont pas moins exceptionnels. Juste avant Le Coup de l’escalier, un poil plus naturaliste, Wise sent bien cette nécessité de s’écarter des studios sans pouvoir encore totalement aller au bout de cette inspiration. Lorsque la condamnée rejoint la prison où elle sera exécutée, par exemple, le réalisateur tente une approche pour filmer les quelques phrases tournées dans une voiture qui semble déjà offrir autre chose que les plans de face, mais la transparence demeure évidente. Dès le film suivant, il proposera une astuce pour se passer du procédé (pas toujours) et fera encore quelques essais dans ses films suivants sans pour autant s’affranchir totalement des transparences. (Voir mon article sur les transparences à Hollywood, dans lequel les films de Wise apparaissent.)

Dans la dernière demi-heure du film, la matière narrative est plus attendue, plus centrée sur la tension intrinsèque du récit, sur des enjeux qui dépassent le personnage principal tout en restant focalisée sur son sort. Le message devient à la fois plus clair, nécessaire, mais aussi, paradoxalement, sur le seul plan esthétique et créatif, moins intéressant. Le héros du film n’est alors plus son protagoniste, mais les conséquences morales, idéologiques, politiques de son exécution. Pour le spectateur qui a suivi tous les faits et gestes de Barbara Graham, il ne fait aucun doute qu’elle était innocente. Dans la réalité, les faits ne sont pas si clairement établis, et sur le plan narratif/esthétique, ce parti pris discutable affadit considérablement la puissance d’un récit porté par l’incertitude de sa culpabilité. Le sujet du film n’est pas tant l’innocence de l’inculpée que la peine de mort et les failles (voire les mauvaises pratiques) de l’institution judiciaire (la manière particulièrement vicieuse de soutirer des aveux à l’accusée ou la faiblesse de sa défense par exemple).

Je veux vivre ! rejoint ainsi des films qui l’avaient précédé disposant d’une fibre politique et sociale assumée en épinglant au passage le système judiciaire et carcéral américain (Je suis un évadé ou Appelez Nord 777). Inspiré là encore d’un fait divers retentissant, le film doit beaucoup à son producteur, Walter Wanger, qui était lui-même passé par la case prison après avoir produit certains chefs-d’œuvre des années 30 et 40 (dont J’ai le droit de vivre, déjà sur un faux coupable – ce que le producteur n’était pas quand il a tiré sur ce qu’il croyait être l’amant de sa femme). Après son incarcération, il était revenu à la production dans les années 50, notamment avec Les Révoltés de la cellule 11, à travers lequel il souhaitait dénoncer les conditions de vie en prison.


Je veux vivre, Robert Wise 1958 I Want to Live! | Walter Wanger Productions


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L’Homme de paille, Pietro Germi (1958)

Séduite et…

Note : 4 sur 5.

L’Homme de paille

Titre original : L’uomo di paglia

Année : 1958

Réalisation : Pietro Germi

Avec : Pietro Germi, Luisa Della Noce, Franca Bettoia

Quelle est l’histoire la moins originale que l’on puisse imaginer pour être une des situations les plus courantes dans toutes les sociétés depuis la nuit des temps ? Celle de l’homme, peut-être, qui trompe sa femme avec une fille ayant deux fois son âge. Qu’est-ce que le talent ? La capacité, peut-être, à sublimer les matériaux bruts, sans charme ni profondeur comme la plus banale des histoires.

Voilà. La signification du titre m’échappe (une référence, semble-t-il, au poème de T.S. Eliot, The Hollow Men), comme les mathématiques, mais j’ai au moins compris que Germi avait un talent fou. Ils s’y étaient pourtant mis à quatre pour produire cette histoire (dont Germi) ; et même si, évidemment, leur film ne sombre jamais dans le mélodrame aussi grâce à une écriture qui échappe à tous les écueils possibles du mauvais goût et de l’excès, le film aurait été réalisé par n’importe qui d’autre que Germi, on aurait à coup sûr hissé les épaules, plein d’incrédulité face à tant de conformisme.

Germi est un humaniste. Il aime les êtres désespérés. Mais au lieu de venir exposer ces créatures emplies de remords et de doutes au public pour les prendre à témoin et leur soutirer des larmes, Germi fait tout le contraire. Il se tait et laisse chacun sentir le poids de l’inextricabilité des relations qui se nouent, mesurer les forces de l’indicible qui, si elles lâchent, verront le monde s’écrouler autour d’elles. Des âmes mortes errant dans un ailleurs qui ne compte plus, le cœur vide, rempli de mousse… ou de paille.

Eh bien, tu vois que tu as compris le rapport avec T.S Eliot…

Il peut être question de l’histoire la plus ordinaire du monde, Germi et ses acolytes y mêlent quelques éléments singuliers au milieu d’épouvantables banalités (peut-être intentionnelles, d’ailleurs). Les mélos touchent plus volontiers les classes supérieures. Les auteurs parlent de ce qu’ils connaissent. Comme souvent, Germi choisit un milieu ouvrier. Andrea n’est toutefois pas un petit ouvrier, on dirait aujourd’hui un « ouvrier qualifié ». Une situation qui lui permet d’avoir un bel appartement dans la capitale et d’aller à la chasse tous les dimanches. Un ouvrier de première classe (si on peut dire) aurait eu cinquante enfants et son appartement aurait été tout crasseux. Cet ouvrier-là, d’ailleurs, Germi et ses scénaristes le caricaturent peut-être sous les traits du père de celle qui deviendra sa maîtresse. Et il a un peu perdu la boule. Rita (son futur amour de passage donc) n’appartient pas non plus au pire de la classe ouvrière : elle est dactylo. Pas le pire des situations au milieu des années 50. Autant dire qu’il est question ici de monsieur et de madame tout le monde. Ni réels ouvriers ni bourgeois. Monsieur et madame Smith. Cette volonté d’éviter « les extrêmes » (dirait-on aujourd’hui – ou pas) se manifeste de la même manière dans le style du film : réalisme pur. Ni mélo ni néoréalisme. Ni de gauche ni de droite. On se demanderait presque si Germi ne prend pas un soin tout particulier à éviter de tomber dans un genre spécifique : la comédie y est aussi présente par touches subtiles. Ça ne ressemble tellement à rien que ça pourrait être du Flaubert. (C’est un compliment.) Ou du Hollande. (Ce n’est pas un compliment.)

En même temps.

Le pire, auquel on ne peut malheureusement échapper, il faut le trouver dans une certaine forme de male gaze. Je suis loin d’être un grand partisan de cette théorie selon laquelle les hommes cinéastes poseraient un regard typiquement masculin sur les choses (et en particulier les femmes*), mais force est de constater qu’on nous offre ici un point de vue exclusivement masculin qui, malgré toute l’humanité dont il peut par ailleurs faire preuve quand les personnages sont à l’écran, invisibilise à mon goût un peu trop la souffrance de la véritable ou principale victime de cette histoire : la jeune femme de 22 ans, trompée à sa manière par l’homme dont elle est sottement tombée amoureuse.

* Je viens d’écrire que les femmes sont des choses. Ne prêtez pas trop attention à mes maladresses. Je pleure les jours de mes anniversaires et je parle fort aux enterrements. Maintenant que l’on sait (vous et moi) que je suis loin d’être fréquentable, merci de finir le paragraphe.

Je peux même déflorer la fin parce qu’elle révèle beaucoup de cette violence implicite, peut-être évidente à notre époque, moins pour des auteurs et un public, tous italiens, du milieu du siècle précédent dans un pays fortement catholique. On peut être socialiste, humaniste et par ailleurs manifester des réflexes petits-bourgeois… On dirait aujourd’hui que Germi est d’extrême centre sans doute. Autant allié de la gauche (dont Germi semble se revendiquer) que de la droite. Ensemble. Un bourgeois en devenir peut-être. Et pourquoi pas après tout. La prospérité devrait être pour tout le monde. Si l’on parle de progrès, toutefois, parce que pour ce qui est des valeurs, c’est peut-être bien là où ça coince.

Dans un film japonais, on aime bien que les choses reviennent en ordre à la fin des petites tragédies. Tout ça pour ça. Le Repas illustre parfaitement cette tendance. Et de la même manière, dans L’Homme de paille, on trompe, on ne se dispute pas ; mais on se quitte, on se fout en l’air sans « hystérie » (sans échapper toutefois à la qualification pour expliquer un geste d’humeur) ; et à la fin, tout revient en ordre. En ordre… pour la petite famille bourgeoise en devenir. La dactylo passera, elle, par pertes et profits (sans « pertes et fracas »).

Le film use habilement de la voix off, comme pour introduire le récit d’un drame dont Andrea est à la fois le héros malheureux et le principal témoin (et la cause) d’un plus grand drame encore. Mais celle à qui cette voix fait référence passe un peu facilement à la trappe. Plus troublant : à la fin, pour la première fois, me semble-t-il, c’est la femme d’Andrea qui se joint dans sa voix off pour conclure ce récit. Étrange manière d’évoquer une disparue. On vous invite à un enterrement, et vous en profitez pour vous raccommoder avec votre ex-femme (peut-être en parlant un peu trop fort.) Pour le dire autrement : le film commence par le récit d’une idylle qui n’aurait jamais dû se faire, une relation dont le ton de la voix off dévoilait déjà tout de sa tragique issue, et pour achever votre histoire, vous honorez l’amour indéfectible d’un couple de mariés plutôt que d’avoir une pensée pour la victime. C’est moi et je retourne pleurer pour mon anniversaire ou l’on frôle le faux pas petit-bourgeois ?

Bref. Toutes les femmes que j’ai aimées, je leur ai écrit de longs commentaires… sur ce qu’il ne me plaisait pas en elles. Je fais la même chose avec les films.

Quatre paragraphes pleins pour critiquer Germi et sa bande, alors que j’étais parti pour louer leur bébé.

Je sèche mes larmes, rafistole ma chemise pour cacher la paille qui commençait à poindre, et je repars.

Peu avant que Rita sente qu’Andrea commence à lui échapper, elle lui dit qu’elle l’aime. Elle n’attend aucune réponse de son amoureux parce qu’elle baigne dans le bonheur. Amour avoué est à moitié pardonné. À 22 ans, on a la culture de l’instant. Tout peut prendre des proportions dramatiques. Quand, dans une scène suivante, elle espère une réponse, il est déjà trop tard. Vous pouvez tromper votre femme tout le temps ; vous pouvez tromper tout le monde un certain temps ; mais vous ne pouvez tromper votre maîtresse bien longtemps.

Pas convaincu ? Alors, je m’empresse de dire en termes simples en quoi Germi est au-dessus de la banalité de l’histoire qu’il raconte : la délicatesse.

Flaubert aurait fait un roman de cette histoire, aucun lecteur n’aurait seulement songé à défendre Andrea. Dans ses actions, c’est un goujat. Un homme d’âge mûr, beau, avec une bonne situation, et qui sait sans aucun doute le pouvoir d’attraction qu’il produit sur les jeunes femmes jouit d’un certain capital sur le marché des sentiments. Certes, Rita devait être déjà un peu toquée : elle ne se laisse pas séduire par hasard, car elle dira à Andrea qu’il l’avait vu s’installer avec sa femme. Quand elle le croise d’abord sur la plage, elle sait donc qui il est. Il est là le male gaze. Même avec ce type de personnages masculins, quelle jeune femme lui donnerait tous les signes d’ouverture possible ? Quelle femme avoue à son amant l’avoir repéré du coin de l’œil et ne pas être restée insensible à son charme ? Je veux dire… j’ai l’âge pour le rôle, ne suis ni qualifié ni beau et n’ai aucune idée à quoi peuvent ressembler des signes d’ouverture sinon quand on les voit au cinéma, mais là, difficile de ne pas concevoir cette situation autrement que comme un fantasme de cinéaste, de scénaristes, même (tous mâles). Aucune femme au monde ne donnerait à un homme, même s’il lui plaît, tous les signes possibles afin qu’il profite d’elle. Regarder du coin de l’œil, se laisser séduire de loin par la présence de l’autre, voilà un comportement typiquement masculin, non ?

Bref, je continue à massacrer le film, c’est dire si je l’aime.

Admettons que cette incohérence soit possible, qu’est-ce que fait Germi de ce goujat ? Un homme délicat, pris au piège, victime, incapable de résister à une force qui le dépasse : l’amour (on devient très sentimental tout à coup quand on a envie de tirer son coup). Il y a la délicatesse, mais il y a aussi l’exploit de parvenir à illustrer les premiers instants de l’amour naissant (Stendhal parlerait de cristallisation). Comme chez Zurlini : des regards qui se croisent et qui ne peuvent plus se quitter. Et des sourires aussi.

Les choses sont parfois étranges. Il y a le male gaze appliqué aux cinéastes, mais y a-t-il un male gaze du spectateur ? Certains cinéastes prétendent devoir tomber amoureux de leur actrice pour produire de bons films (comme c’est pratique), mais les spectateurs masculins tombent-ils un peu amoureux du charme des personnages féminins ? (Et vice versa concernant le héros masculin d’un film comme celui-ci. Mais si, même moi, avec des aptitudes en perspicacité limitées, y trouve une forme de male gaze, ce serait étonnant qu’une femme, habituée à tenir à distance les hommes, se laisse attendrir par le personnage joué par Germi. Quel que soit le charme par ailleurs du bonhomme.)

Ma première réaction devant l’actrice qui incarne Rita dans cette première séquence à la plage a été : « Tiens, elle a un côté Emmanuel Béart. Un air un peu sordide. Pas un grand charme. On ne la reverra probablement plus. »

Et soudain, lors de la scène suivante, on la voit sourire. « On ne va plus la quitter. »

Je parlais de la délicatesse dans l’approche de Germi. Même dans un simple sourire, il y a une manière de diriger ses acteurs dans un sens qui les rend humains, simples, charmants. Germi, l’acteur, à ce moment, répond par un sourire. Lui aussi est dans la délicatesse. Rien de graveleux, rien de prémédité ou de mécanique. On sait que ce sont des acteurs, mais leur simplicité, leur délicatesse nous laissent croire le contraire. Et alors, temps qu’elle sourit, on aime Rita avec Andrea. On « cristallise » avec lui. Et Rita sourit beaucoup.

Mais Rita sourit de plus en plus tristement…

L’astuce (peut-être bourgeoise) du film, c’est que la femme d’Andrea, Luisa, lance exactement les mêmes regards et sourires à son homme après des années de vie commune. Le message pourrait être subliminal et conservateur : les couples mariés s’aiment toute leur vie parce que Dieu a béni leur amour. Je préfère penser que tous les personnages de Germi sont touchés par la grâce. Parce que Germi est un humaniste, un homme délicat, et qu’il aime montrer les gens sous leur meilleur jour. Dieu n’est pas dans le ciel, il est, caché derrière un peu de paille, dans nos cœurs… Luisa aurait pu être une femme impossible, vieillie, et le spectateur aurait trouvé une raison facile à cet amour interdit. Non, Luisa est une femme formidable, encore belle, et tous les deux se regardent et s’aiment comme au premier jour. Alors, quoi ? Pourquoi ? Pourquoi céder à l’amour facile et passager ?

Parce que la vie est cruelle. Si Germi est délicat avec tous ses personnages, si vous ne trouvez aucun être réellement antipathique chez Germi, c’est peut-être parce qu’il sait que la vie est cruelle.

Et que les hommes sont… des hommes.

Quand Luisa se suicide, les hommes qui ont écrit cette histoire n’en ont que pour la peine et le désarroi d’Andrea. Germi s’attarde sur son ouvrier qualifié qui doit désormais porter le deuil d’un secret. Si vous ne savez pas pourquoi certains pleurent à leur anniversaire, songez qu’il y a des hommes qui pleurent leurs liaisons restées dans l’ombre. Personne ne connaît les raisons du suicide d’une femme de 22 ans. Vous, l’amant, vous savez.

Et puis Andrea, rongé par le remords ou la solitude d’un secret trop lourd pour lui, décide de révéler toute l’histoire à sa femme. Luisa arrête de sourire. Dix ans de vie commune, et jamais le soupçon d’une liaison, jamais la moindre jalousie. Un bonheur de dix ans. Une cristallisation impossible. Il y avait bien eu ce parfum sur le pull de son mari, et cela avait été l’occasion pour Germi de jouer magnifiquement (peut-être trop) sur la rupture et le non-dit. Sinon, rien. Alors quand Andrea soulage sa conscience pour en faire porter le fardeau sur elle, Luisa fait ce que toutes les femmes qui peuvent se le permettre font : partir. Comme dans les mélodrames bourgeois, Luisa jouit d’un privilège rare : ne manquer de rien et, par conséquent, si la nécessité s’en faisait ressentir, être en mesure de quitter le foyer conjugal. Si les quatre hommes qui ont écrit cette histoire savent se mettre à la place d’une femme dans ces conditions comme leur personnage masculin gère la maison en l’absence quelques semaines de sa femme, le manque de cohérence sociale à cet instant peut se comprendre. Maladresse et délicatesse peuvent faire bon ménage, que voulez-vous. Les auteurs gauches… pas assez à gauche ont leur petit charme.

Alors, si « toutes les histoires d’amour finissent mal en général », les histoires de drame de remariage ne devraient pas être des histoires d’amour : parce que les femmes finissent toujours par revenir à la maison. Happy End. Tout en délicatesse, mais happy end tout de même.

Et pas pour tout le monde.


Franca Bettoia, qui joue ici cette jeune dactylo, est décédée il y a peine un mois à Rome.


L’Homme de paille, Pietro Germi (1958) L’uomo di paglia | Cinecittà, Lux Film, Vides Cinematografica


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Les Carnets de route de Mito Kômon, Kenji Misumi (1958)

Note : 4 sur 5.

Les Carnets de route de Mito Kômon

Titre original : Mito Kōmon man’yūki / 水戸黄門漫遊記

Année : 1958

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Ganjirô Nakamura, Shintarô Katsu, Saburô Date, Tamao Nakamura

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Il faudrait qualifier Misumi de cinéaste errant tant une bonne partie de ses meilleurs films prennent place sur la route… On retrouve d’ailleurs Shintarô Katsu, quelques années avant ses collaborations les plus mémorables avec Misumi pour des films de personnages errants (en tant qu’acteur dans Zatoïchi et en tant que producteur de Baby Cart, le rôle-titre étant assuré par son frère, Tomisaburô Wakayama). Il est ici un (double) usurpateur assurant la partition humoristique du film en compagnie de Ganjiro Nakamura, l’acteur, entre autres, d’Herbes flottantes, et rôle central de ces carnets de route. Ces carnets de Mito Kômon sont inspirés de la vie d’un seigneur ayant réellement existé et occupé le poste de « conseiller provisoire du milieu » avant de se retirer. C’est cette « retraite » qui fait l’objet de cette histoire de voyages cocasse et bouffonne.

On est entre Alexandre Dumas pour les aventures de grand chemin et la commedia dell’arte. Et comme beaucoup de récits populaires japonais, on se rapproche pas mal du ton de la bande dessinée et des variations pouvant se décliner à l’infini à partir d’un même principe (les voyages forment la jeunesse et… une partie des histoires déclinées en séries sans fin). J’avoue être particulièrement amateur de ces facilités. Il faut regarder ça comme un exercice de style : à chaque voyage, sa trajectoire, à chaque étape, sa rencontre et son épisode dédiés.

Le petit plus ici, c’est que la trajectoire de départ est lancée par une idée plutôt lumineuse : un seigneur à la retraite, connu pour ses facéties et son humilité, décide de parcourir le Japon pour partir à sa rencontre ; il décide de partir seul ou presque sur les routes à une époque où les seigneurs forment des processions hautement codifiées et sécurisées ; bien sûr, les autorités ne sont pas de cet avis, et on apprend en même temps que le seigneur voyageur, au détour d’une conversation qu’il n’était pas censé entendre, qu’on précède ses pas dans chaque ville-étape pour lui assurer les aventures qu’il réclame tout en lui assurant la sécurité qui est due à son rang.

S’ensuit un jeu de quiproquos sans fin qui finit en apothéose. Chacun essaie de tromper la partie adverse en se faisant passer pour ce qu’il n’est pas ; et dans ce jeu du chat et de la souris, on se demande bien qui sera le plus filou en réussissant à berner l’autre. Comme chez Shakespeare, on peut dire que le monde est un théâtre et qu’hommes et femmes réunis n’en sont que des acteurs. (On pourrait même rapprocher les acolytes à la fois inséparables et indissociables qui précèdent, accompagnent ou chassent le seigneur dans sa procession — on ne sait plus très bien — aux deux compagnons d’Hamlet, Rosencrantz et Guildenstern dont Tom Stoppard avait tiré un film tout aussi cocasse et bouffon. À moins qu’on ait affaire aux Dupont et Dupond de Hergé.)

En plus de multiplier les situations d’une savoureuse drôlerie, le film est aussi, par beaucoup d’aspects, émouvant : suivant le même principe du « monde est une scène », les masques finissent toujours pour tomber. Les identités ainsi révélées sont l’occasion de se reconnaître, de se confondre en excuses, de pleurer ensemble, etc. Grand moment aussi quand le vieux seigneur cherche ses amis de voyages disparus après une bataille… : les seuls amis peut-être véritables qu’il se serait faits, car eux seuls, croyait-il du moins, grâce à leurs masques respectifs (et leurs fausses identités), le prenaient pour ce qu’il est vraiment : un vieux fou sans prétention aspirant à l’anonymat, à l’humilité et à la découverte du monde des petites gens. Dans les histoires japonaises comme partout ailleurs, l’émotion que suscitent les révélations identitaires reste toujours la même. On ment, on s’amuse, on se redécouvre, on se reconnaît, et on se tombe dans les bras. Du moins en pensées.

Des carnets de route à l’humour tendre et espiègle. Un peu comme si La Forteresse cachée était mixé avec Tora-san.


Pas d’images du film, mais quelques photos de plateau à retrouver ici ou ici. Les récits de Mito Kômon firent l’objet de nombreuses adaptations. Celle-ci est produite par la Daiei, mais la plus connue semble celle de la Toei avec Ryûnosuke Tsukigata dans le rôle principal (acteur dans Le Sabre pourfendeur d’hommes et de chevaux ou dans Le Mont Fuji et la Lance ensanglantée dont l’histoire reprend ce principe, sur une note plus dramatique, des voyages initiatiques).


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Ordre de tuer, Anthony Asquith (1958)

Les mains sales

Note : 3.5 sur 5.

Ordre de tuer

Titre original : Orders to Kill

Année : 1958

Réalisation : Anthony Asquith

Avec : Eddie Albert, Paul Massie, Irene Worth, James Robertson Justice, Lillian Gish

Après une longue introduction d’entraînement à une mission d’espionnage censée avoir lieu dans un Paris occupé pendant la Seconde Guerre mondiale, le film prend tout son sens une fois que l’espion rencontre sa cible. Alors que le début du film pouvait laisser penser à un film sur une déviance pathologique de l’apprenti espion pour en faire un psychopathe (fausse piste pas forcément bien nécessaire, alors qu’il aurait suffi d’insister sur la légèreté un peu triviale de l’ancien aviateur durant son entraînement, et à moins que j’aie, moi, surinterprété cette piste à ce moment du film…), le film prend alors une tournure plus philosophique et plus psychologique. À contre-courant du genre (à supposer qu’on puisse placer le film dans la catégorie « film d’espionnage »), l’espion se révèle immature et incompétent, mais ces défauts rédhibitoires pour passer inaperçu le rendent aussi plus humain : en ayant la faiblesse de se laisser approcher par sa victime, il suspecte une erreur et commence à se poser des questions morales.

Le scénario est adapté d’une pièce de théâtre, et on sent bien cette origine lors de la séquence de confrontation avec son agent de contact « tante Léonie ». Il y a dans cette scène, un petit quelque chose des Mains sales de Jean-Paul Sartre… La morale de l’histoire n’est pas bien brillante pour l’ensemble des services de renseignements de l’Alliance : car si l’apprenti espion s’est révélé mal préparé, inexpérimenté et incompétent, que dire des niveaux de compétence de l’ensemble de la chaîne de commandement et de renseignements des différentes armées (armée de la résistance française, armée britannique, et finalement armée américaine censée fournir un agent pour accomplir la sale besogne) ?

Film d’espionnage, satire de guerre, film sur la culpabilité : encore un de ces films au genre indéfinissable et hybride. Parfois déroutants (toujours dans cette étrange introduction, on y croise Lillian Gish, et on se demande bien pourquoi), ces films permettent aussi de sortir des sentiers battus et de proposer des expériences filmiques transversales. Montrer une autre manière de faire ou de montrer des histoires, cela a parfois un coût (dérouter autant le spectateur peut le mener hors de la salle) : la prise de risque est plus grande, et il faut apprécier les quelques imperfections qui en résultent, et au bout du compte, à force de tracer un sillon hors des cadres habituels, si le sujet en vaut la peine, on peut être amenés à adhérer plus que de coutume à un genre (propre et unique) et à une histoire.

Il faut aussi sans doute du courage pour dénoncer ou pointer ainsi du doigt les lacunes d’une guerre et d’une chaîne de commandement et de renseignements qui peuvent être communes à toutes les guerres… Comme on le dit si bien dans le film, à la guerre, il n’y a pas que les coupables qui périssent : coupables et victimes se prennent la main pour suivre le même chemin vers la mort. Une bombe qui tombe sur un quartier ne discrimine pas les seconds des premiers, et parfois, les renseignements désignent de mauvaises cibles. Souvent même, personne n’en saura jamais rien. C’est la dure réalité de la guerre. Le film réhabilite un personnage résistant dont la famille ignorait les activités patriotiques et secrètes, mais combien, dans toutes les guerres du monde et de l’histoire, sont morts dans l’indifférence, combien ont vu leur réputation salie par de mauvaises informations, et combien de héros (ou des généraux comme dans le film) se révèlent être dans la réalité des incompétents ou des usurpateurs ? L’incompétence, il faut aussi la reconnaître là : rester modeste face à l’histoire, et parfois accepter, avec de trop maigres informations (c’était le cas dans le film : les éléments à charge étaient ridicules), de se sentir incompétent pour juger d’un individu ou d’une situation.


Ordre de tuer, Anthony Asquith 1958 Orders to Kill | Lynx Films, British Lion Films


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Terror in a Texas Town, Joseph H. Lewis (1958)

Note : 2 sur 5.

Terror in a Texas Town

Année : 1958

Réalisation : Joseph H. Lewis

Avec : Sterling Hayden, Sebastian Cabot, Carol Kelly

Il suffit parfois de voir un très mauvais film pour prendre conscience de la difficulté d’en réaliser un.

En dehors du scénario (Dalton Trumbo à l’écriture — incognito, listé oblige, il est crédité en Ben L. Perry —, avec cette amusante et symbolique histoire de harpon : arme et image inattendue d’un type de pionniers bien réels dont on parle assez peu dans le mythe de Far West), rien ne marche :

  • aucun rythme : c’est outrageusement lent, et pas une lenteur pour instaurer une atmosphère, c’est lent parce que la direction d’acteurs est inexistante, et parce que les acteurs semblent presque attendre des indications pour qu’on vienne les sauver ou parce qu’ils attendent qu’on leur souffle leurs répliques.

  • une caméra posée façon TV, apathique, incapable de saisir les évolutions dramatiques à l’intérieur d’une scène (faut dire que sans un réel metteur en scène pour guider les acteurs et souligner ces avancées, ça n’aide pas non plus), si bien que tout est joué avec la même intensité (le tueur à gages est particulièrement mauvais à jouer toujours « en dessous » des autres), la même humeur.

En revanche, c’est amusant, on retrouve certaines des bonnes idées dans cette histoire qui feront le succès d’Il était une fois dans l’Ouest : le riche propriétaire, l’homme de main qui assassine froidement le pauvre propriétaire assis sur « une mine d’or », l’enfant face au tueur, la putain blasée mais ferrée aux pieds du tueur… Je ne suis pas sûr que le harpon ait pu faire plus recette que l’harmonica en revanche.



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Le Visage, Ingmar Bergman (1958)

Ansiktet

Note : 4.5 sur 5.

Le Visage

Titre original : Ansiktet

Année : 1958

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Max von Sydow, Ingrid Thulin, Gunnar Björnstrand, Naima Wifstrand, Bengt Ekerot, Bibi Andersson, Gertrud Fridh, Lars Ekborg, Erland Josephson

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Ainsi fond, fond, fond, le masque envoûtant des apparences…

Duel quasi ogival entre le visage d’une science miraculeuse et une autre, moderne. Comme le passage en surimpression d’un monde à un autre.

Bergman et son goût pour les troubadours, les escrocs, les masques… Je ne suis pas un grand admirateur de La Nuit des forains, mais on y aurait trouvé la distribution du Visage que ç’aurait peut-être tout changé (avec Max von Sydow en clown notamment). On y trouve là peut-être, en dehors d’Harriet Andersson et de Liv Ullman, tous les meilleurs acteurs du maître suédois. Une concentration de talent exceptionnelle. Bergman et son chef opérateur (le même que celui des Fraises sauvages, de Jeux d’été ou de Sourires d’une nuit d’été, avec cette jolie surexposition champêtre qu’on retrouvera également dans La Source) baignent tout ça dans une atmosphère à la fois mystérieuse et pleine de fantaisie qui manquait peut-être à mon goût pour La Nuit des forains. Sans compter que celui-ci est beaucoup plus concentré, théâtral, car tourné en adoptant quasiment le principe du huis clos (tout se passe dans une grande maison bourgeoise). Des troubadours sédentarisés, c’est bien ça aussi la réussite étrange de cet opus, intense par ailleurs d’un bout à l’autre.

Une tragédie comique basée aussi sur un principe dramaturgique vieux comme le monde : la mise en parallèle de deux lignes dramatiques, l’une générale, contextuelle, avec un objectif défini et annoncé, et l’autre plus intime qui viendra chahuter la première jusqu’à ce qu’elles finissent dans un dénouement par se mêler.


Le Visage, Ingmar Bergman 1958 Ansiktet | Svensk Filmindustri


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The Fearmakers, Jacques Tourneur (1958)

Note : 2 sur 5.

The Fearmakers

Année : 1958

Réalisation : Jacques Tourneur

Avec : Dana Andrews, Dick Foran, Marilee Earle

Comme d’habitude, Tourneur fait le job avec le scénario qu’on lui donne. Tout efficace qu’il est, il ne pourra jamais faire un grand film si le scénario est truffé d’invraisemblances, si le design est quelconque et la photo digne d’une production télévisuelle.

Ça sent la fin pour tout le monde, Dana Andrews paraissant un peu vieux pour le rôle, passablement concerné par le sujet, et surtout incapable de rendre crédible les quelques tunnels de texte qu’un mauvais dialoguiste lui aura pondu. C’est l’époque, différents types d’acteurs avec différentes techniques de jeu se côtoient, et le résultat donne quelque chose d’étrange et d’assez déstabilisant (Kelly Thordsen est pas mal du tout en brute épaisse).

Le genre du thriller d’entreprise (avec quelques morceaux politiques ou les classiques rubans romantiques) sera plus à la mode au Japon ou en Italie. Ici la série B n’est jamais bien loin, le film profitant de chaque détour du récit pour s’attarder sur une possible scène sans suivre comme il le faudra une trame prédéfinie et un style unique. On saute sur l’occasion, et on tombe dans tous les pièges et les clichés, chaque élément de l’histoire, chaque détail de la caractérisation des personnages finissant par trouver une utilité dans l’histoire.

Passé la moitié du film et une mise en place longue, mais durant laquelle on reste attentif parce que rien de bien méchant ne se passe encore, cela devient concernant. En fait, dès que le personnage qu’interprète Dana Andrews a la certitude que son ancien partenaire a été assassiné, tout s’enchaîne, et de la plus mauvaise des manières. On en riait dans la salle. Des exclamations incrédules face aux rebondissements grossiers et prévisibles. Embarrassant.


The Fearmakers, Jacques Tourneur 1958 | Pacemaker


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Ice Cold in Alex, J Lee Thompson (1958)

Marche impériale

Note : 4 sur 5.

Le Désert de la peur

Titre original : Ice Cold in Alex

Année : 1958

Réalisation : J Lee Thompson

Avec : John Mills, Anthony Quayle, Sylvia Syms

Plutôt réussi.

Un classique en Grande-Bretagne qui a dû inspirer George Lucas pour Star Wars. Lucas s’appuyait déjà pas mal sur un autre film de Thompson, Les Canons de Navarone pour son film et en adopter le principe de la mission (à la fois pour Un nouvel espoir et pour Le Retour du Jedi), mais ici il va plus loin puisqu’il va jusqu’à reprendre le même directeur photo Gilbert Taylor. Il faut dire que dès les premières notes du film, on a la puce à l’oreille. Même musique militaire, attaque d’un QG (cette fois reprise plus précisément pour l’Empire contre-attaque, on y retrouve même le mécanicien s’affairant aux derniers préparatifs pour le départ sur sa machine), fuite pour rallier Alexandrie à travers un territoire ennemi ; et bientôt, une ambulance cabossée qui pourrait tout aussi bien être le Faucon millénium.

Toujours fascinant de tenter de tirer le fil des jeux de références aux sources d’un mythe… Mais le film tient merveilleusement par lui-même, sinon le petit Lucas n’y aurait sans doute pas décelé là matière à inspiration.


Le Désert de la peur, Ice Cold in Alex, J Lee Thompson 1958 | Associated British Picture Corporation Limited


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Cri de terreur, Andrew L. Stone (1958)

Oh, Bomb!

Cry Terror

Note : 3 sur 5.

Cri de terreur

Titre original : Cry Terror!

Année : 1958

Réalisation : Andrew L. Stone

Avec : James Mason, Angie Dickinson, Rod Steiger, Neville Brand, Inger Stevens, Barney Phillips

Thriller un peu pataud. Le film vaut surtout le détour pour l’excellente direction d’acteurs. Rod Steiger en tête est exceptionnel, mais beaucoup d’acteurs de second plan sont convaincants ; c’est assez rare et remarquable pour une époque où encore différentes techniques de jeu cohabitent. Pour le reste, malheureusement, rien de bien folichon. Le film est brutal avec pas mal de moments à la limite du sadisme, c’est le code qui lâche du mou.

La tonalité générale est très réaliste (ça aide avec de tels acteurs), mais le scénario et le montage (voire la réalisation et la production) sans grande inventivité font parfois passer ce réalisme pour un réalisme de télévision. Une sorte de série B avec des acteurs de série A. On sent la volonté de pousser le suspense et de provoquer des scènes propices à du grand spectacle, mais tout tombe à l’eau parce que les effets sont souvent inutiles et grossiers. On ralentit l’action grâce à l’inévitable poids lourd qui barre la route (sorte de deus ex machina du pauvre utilisé deux fois pour la même séquence…), on instaure un compte à rebours alors que la police ne chasse pas derrière (la femme commence même par se tromper de chemin…) ; on va acheter des cigarettes, et puis de la bière, et puis on regarde un match à la TV… Bref, tous les éléments pour retarder l’action proviennent de l’extérieur, jamais de l’intérieur (les conflits entre les ravisseurs ne sont pas exploités du tout). James Mason se faufile dans la cage d’ascenseurs un peu pour rien, histoire de prendre la pause dans le vide, on plonge dans les tunnels du métro pour y chercher peut-être un troisième homme…

Aucun réel rebondissement quant au plan initial imaginé au départ par les ravisseurs puisque tout se déroule plus ou moins comme ils l’avaient prévu ; et même la mort de l’un d’eux ne change rien à l’affaire (son personnage de brute épaisse est d’ailleurs parfaitement inutile, ça oblige celui de Rod Steiger de s’éclipser deux ou trois fois pour aller faire ses courses ou une pause pipi).

L’utilisation des voix off n’est pas bête, mais au final ça apparaît plus comme un truc pour remplir le vide, que comme un élément apportant des informations réellement utiles au récit. L’idée de départ est mal exploitée : James Mason était comme piégé, ayant lui-même construit une bombe pour son futur ravisseur, le lien entre les deux était établi entre les deux, propices à des révélations sur leur passé, et ça aurait pu servir à des conflits, là, bien internes ; en fait, c’est vite expédié, on n’en reparle plus, et pour cause, les deux ne se rencontreront plus…

Vu le manque d’intérêt des scènes « d’action », au lieu de s’attacher à créer un suspense artificiel autour de personnages disséminés aux quatre coins de la ville, il aurait été plus judicieux de faire de tout ça un thriller psychologique, ne pas avoir à séparer trop longtemps mari et femme, obligeant James Mason à coopérer pour cesser d’apparaître comme le coupable aux yeux de la police… sorte de machin entre Les Visiteurs de Kazan (voire la Maison des otages) et Entre le ciel et l’enfer de Kurosawa. Tout est trop forcé, cousu de fil blanc.


Cri de terreur, Andrew L. Stone 1958 Cry Terror | Andrew L. Stone Productions


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Night Drum, Tadashi Imai (1958)

tambourin ou katana

Night Drum

Note : 5 sur 5.

Titre original : Yoru no tsuzumi

Année : 1958

Réalisation : Tadashi Imai

Adaptation : Shinobu Hashimoto & Kaneto Shindô

Avec : Rentarô Mikuni ⋅ Ineko Arima ⋅  Masayuki Mori

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La mise en scène n’a pas grand-chose à voir avec le chef-d’œuvre tardif de Tadashi Imai, Contes cruels de Bushido, tourné seulement cinq ans plus tard, qui ressemble bien à un film des années 60, et qui demeure mieux référencé que celui-ci. De son côté, Yoru no tsuzumi donne parfois l’impression d’avoir été filmé à la fin des années 40 (années des débuts du réalisateur). Mais là n’est pas l’essentiel.

Économie de moyens et d’effets, on est dans le minimalisme. Seul le casting impressionne à première vue. Rentarô Mikuni, l’acteur entre autres du Détroit de la faim ; Ineko Arima, la libellule qu’on voit cigarette à la main sur l’affiche de Crépuscule à Tokyo ; Masayuki Mori, qui montre ici des talents de chanteur dans un rôle plutôt singulier.

Le scénario, signé Shinobu Hashimoto et Kaneto Shindô, est une adaptation d’une pièce classique de Monzaemon Chikamatsu, spécialiste des histoires de shinjuu (terme qui semble être assez populaire au Japon, qu’on traduit habituellement par « double suicide »). Les films comme les Amants crucifiés de Mizoguchi, Double Suicide à Amijima de Masahiro Shinoda ou Double Suicide à Sonezaki de Masumura sont tirés de ses pièces. L’occasion de faire un petit tour sur le web et de se déniaiser un peu. Selon wiki, l’auteur serait à l’origine un auteur pour spectacle de marionnettes et aurait été le premier à séparer les récits de type historique (basés sur une opposition assez cornélienne semble-t-il entre loyauté et sentiments personnels) et les récits “bourgeois” ou « tragédies domestiques » mettant en scène des amours impossibles. Ce « Tambourin de la nuit » est donc une pièce originellement écrite pour le théâtre de marionnettes d’Ozaka (Bunraku), et seulement adaptée pour le kabuki au début du XXᵉ siècle : Horikawa Nami no Tsuzumi. Une belle matière pour en faire un film, c’est certain.↵http://www.kabuki21.com/nami_no_tsuzumi.php

On semble y avoir ajouté ici des flashbacks à la mode Rashomon, pour raconter les différents points de vue des protagonistes. Et si l’histoire est inspirée d’une pièce de marionnettes, on est très loin d’un jeu artificiel. On est même loin du jeu excessif des films de samouraïs, plutôt du côté d’Ozu ou de Mizoguchi. Le jeu réaliste est parfois bluffant. Les acteurs sont dirigés avec précision, offrant une multitude de subtilités, par un regard, une intonation. Rien n’est déclamé, toutes les répliques sortent de leur bouche comme des perles de pluie. Tout est dans la spontanéité, la retenue et la simplicité.

Night Drum, Tadashi Imai 1958 Yoru no tsuzumi Shochiku (3)_saveur

Night Drum, Tadashi Imai 1958 Yoru no tsuzumi | Shochiku

Le rythme est lent, tendu, parce que l’ambiance est lourde. Un samouraï revient dans son fief après des mois passés dans la capitale, et une rumeur court : celle que sa femme ne lui a pas été fidèle. La tension est présente dès le début et ne fait qu’augmenter jusqu’au dénouement tragique.

Très peu de musique, très peu même de bruit. Le bruit, c’est celui de la rumeur que seul le mari peine à entendre parce qu’il a une autre musique dans la tête : celle d’être revenu dans son domaine, la douce musique du bonheur de revoir sa femme…

Ce thème de la rumeur et l’utilisation qui en est faite, par les silences, on le retrouve dans The Children Hour de Wyler où deux enseignantes voyaient leur école se vider de leurs élèves, sans comprendre. Thème formidable : la rumeur, elle ronge les hommes. On ne peut rien contre elle parce qu’on n’en connaît pas l’origine et reste insaisissable. Elle est comme un sable mouvant : plus on se débat et plus on s’y enfonce. Ici, personne ne sait, tout le monde voudrait savoir, sauf le mari. Mais c’est finalement son rang, son honneur qui parle à sa place et qui lui impose de savoir, et finalement à agir. Une tragédie, oui.

Imai, c’était donc le cinéaste de Contes cruels de Bushido, déjà pas tendre avec les samouraïs. C’est moins accentué ici, mais difficile d’adhérer à ce final sanglant. C’est ce qui donne la puissance au récit.


Night Drum, Tadashi Imai 1958 Yoru no tsuzumi Shochiku (2)_saveurNight Drum, Tadashi Imai 1958 Yoru no tsuzumi Shochiku (4)_saveurNight Drum, Tadashi Imai 1958 Yoru no tsuzumi Shochiku (5)_saveurNight Drum, Tadashi Imai 1958 Yoru no tsuzumi Shochiku (1)_saveur


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