Elephant

An Elephant Sitting Still
Titre original : Da xiang xidi erzuo
Année : 2018
Réalisation : Bo Hu
Avec : Yu Zhang, Yuchang Peng, Uvin Wang
Le film résume presque à lui seul une certaine mouvance du cinéma de ces dernières décennies.
Dans la forme, distanciation et immersion dans la durée : on est entre Bela Tarte et Gus van Sant, voire Haneke.
Dans le fond, encore un peu de Haneke par la violence, souvent hors champ ou ponctuelle, inattendue, quand elle est physique mais brutale, qui jaillit surtout après une souffrance contenue, résultat d’injustices, façon coup de boule de Zidane. Et puis, il y a la violence morale aussi, psychologique, constante, avec ces gens qui s’aboient dessus en permanence, qui vomissent leur mépris sur leurs voisins ou les membres de leur famille. La même noirceur que chez Haneke, une même désespérance (« vous pouvez partir, mais vous ne trouverez rien de différents ailleurs » dira finalement le vieux à ses compagnons fatigués et harcelés comme lui par les emmerdes relationnelles).
Enfin, dans la construction, on retrouve le même génie d’Asghar Farhadi par exemple qui s’attache à construire des histoires à travers des leitmotivs et des détails significatifs parfois imperceptibles, et à travers des croisements permanents de tranches de vie qui s’opposent, se supportent, se mêlent, se contredisent parfois même souvent dans ce qu’on croit en comprendre. On pense aussi à la distance crue et lancinante de Jia Zhangke, en particulier pour ce qui est de la violence et de l’incommunicabilité, à A Touch of Sin.
La recherche de références, c’est peut-être ce qui nous reste quand on reste un peu béat devant un tel chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre, c’est souvent aussi pour une bonne part un objet qui nous échappe et qui nous laisse une rare et étonnante impression de finitude, d’accomplissement. On sent, ou on sait, que le film, ou son auteur, dépasse, ou ignore, ou digère toutes ces références passées, mais on n’a plus que ça pour étalonner, jauger, identifier, ou verbaliser ce qui paradoxalement ne prend jamais aussi bien une forme finie, accomplie, que dans un chef-d’œuvre. On le voit, il est là, il nous assommerait presque, mais c’est comme si notre entendement ne pouvait faire le point sur lui. Alors, on tâche de le voir et de l’identifier autrement. À travers ce que l’on connaît déjà. D’où les références. Avec la conviction bien sûr que ce n’est qu’effleurer l’objet. Le trahir aussi.
Bref, ce portrait du monde, ce constat absolument déprimant de ce que sont aujourd’hui nos sociétés, avec des élites et des institutions défaillantes, faisant régner la loi du plus fort et de l’individualisme sur des populations désorientées et livrées à elles-mêmes, est à la fois ce que j’ai pu voir de plus juste et de plus désespérant au cinéma ces dernières années… Brillant.
An Elephant Sitting Still, Bo Hu 2018 Da xiang xidi erzuo | Dongchun Films
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