Boyz’n the Hood, John Singleton (1991)

Boys, boys, boys

Note : 3 sur 5.

Boyz’n the Hood

Année : 1991

Réalisation : John Singleton

Avec : Cuba Gooding Jr., Laurence Fishburne, Hudhail Al-Amir, Angela Bassett

Le film a peut-être une valeur documentaire importante, et a sans doute ainsi le mérite de montrer la réalité des banlieues noires de Los Angeles à la fin du siècle dernier, mais difficile de voir un tel film sans être tenté de dire qu’une partie des problèmes que se créent ces populations, en plus du manque d’éducation et de moyens, en plus des discriminations dont ils sont victimes depuis toujours, est issue en partie des mauvaises solutions adoptées pour faire face à leur misère. Solutions qui passent prioritairement par l’affirmation outrancière de soi au détriment des autres, et surtout par une masculinité exacerbée, toxique et aux conséquences souvent morbides. Loin d’être une option endémique à la Californie, option probablement plus contrainte que réellement choisie, c’est en réalité la même trajectoire commune qui semble être toute promise à différentes populations délaissées du monde issues de l’immigration forcée ou de la colonisation.

Quand une société délaissée est coupée de ses racines culturelles profondes, invisibilisée ou au contraire victimisée dans le grand récit national sans possibilité de s’identifier à des figures autrement plus positives et marquantes que des figures locales du banditisme, on se raccroche aux petites branches disponibles sur le bas du tronc nu de l’arbre, et pas forcément les meilleures options pour se tirer d’affaire : la violence et la masculinité qui va avec. C’est la même logique de ghetto connue dans le monde entier : ces micros sociétés sont le fruit du rejet de leur société mère, pas des micros sociétés qui se sont faites seules. À cette société mère de réintégrer d’abord ses enfants au sein de la canopée commune. Autrement, violence et masculinité morbide ne cesseront d’y faire la loi, et ceux n’en étant pas victimes continueront à penser et dire que la plus grande part, voire la seule, des responsabilités de cette misère en revient à ceux qui en sont victimes. Ce serait un peu comme leur donner un bâton pour qu’ils puissent mieux s’entre-tuer (ce n’est d’ailleurs pas qu’une allégorie : dans les années 80, l’administration Reagan a favorisé ces violences à travers son système judiciaire — on voit ça illustré, de mémoire, dans la série documentaire The Power of Nightmares).

Se toiser en permanence entre hommes du même groupe pour éveiller sans cesse sa part masculine ou éprouver les limites virilistes de ceux qui en sont exclus, siffler les filles dans la rue sans porter intérêt à la peur qu’on puisse leur faire subir dans un milieu où le viol ne doit pas être le dernier crime perpétré, les traiter invariablement de “putes” tout en espérant finir dans les bras de l’une d’elles avant d’aller voir ailleurs, avoir une logique de clan ou de meute quitte à défendre son territoire face à un autre clan, défendre (sic) les siens quand ils sont humiliés par des “étrangers” qui ne manqueront pas à leur tour de se venger sur eux avec une arme située un cran au-dessus sur l’échelle de la violence, c’est pour beaucoup les signes ici d’une masculinité mal placée, dangereuse et toxique.

Si l’absence de l’État est ici coupable, il est à noter que presque toujours, c’est cette virilité envahissante, exposée et éprouvée en toutes circonstances, qui devient alors à chaque fois l’étincelle qui embrase un environnement construit autour de cette concurrence virile. Voir la mère du personnage censé être le « bien élevé » du lot dire à son ex-mari que c’est à lui de montrer à leur fils comment doit agir un homme, le père a beau être honnête et représenter une image positive du film, c’est avec ces logiques qu’on perpétue une culture fortement sexuée et oppressive pour ceux qui la perpétuent, la promeuvent ou en sont directement victimes : les hommes qui ne seraient pas assez “virils” et les femmes pas suffisamment à leur place. Ces dernières ne sont souvent réduites d’ailleurs qu’à leur seule condition de pute ou de mère, et il n’y a ni choix ni alternatives pour elles puisque ce sont les hommes qui définissent quand ça leur chante laquelle des deux entre la pute ou la mère elles doivent être. On le voit ici, même quand elles arrivent à s’émanciper de ce milieu, comme le personnage que joue Angela Bassett, elles sont incapables de s’émanciper des codes sociaux qui régissent leur environnement passé et donc de sortir de cette logique d’oppression constante largement genrée qui est en partie à l’origine de leurs problèmes…

Difficile ainsi de trouver la juste distance pour mettre en scène ces réalités crues, car se pose toujours le même problème quand vient nécessaire d’illustrer ou de dénoncer certaines formes de violences : le risque d’en faire au contraire la promotion. Se contenter d’en montrer les victimes, chercher à mettre en avant ceux qui cherchent à en sortir (avec succès ou non), finir sur une note sanglante pessimiste, tout cela peut se révéler souvent inutile si au cœur du récit, on assène des messages contraires instillant la confusion en adoptant des mouvements de caméra, un montage ou une musique qui laissent entendre qu’on prend en réalité fait et cause pour ce culte de la toxicité masculine…

Heureusement que la distribution exceptionnelle atténue l’écœurement qui nous envahit face à un tel déversement de misère et de violence sociale ou physique : ça fait plaisir de voir un Laurence Fishburne jeune et toujours aussi charismatique ; Cuba Gooding Jr et Ice Cube crèvent l’écran par leur talent et joueront souvent par la suite les utilités pour l’industrie cinéma des beaux quartiers blancs de la ville.


 

Boyz’n the Hood, John Singleton 1991 | Columbia Pictures


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