Pension d’artistes, Gregory La Cava (1937)

Les truies latines

Pension d’artistes

Note : 5 sur 5.

Titre original : Stage Door

Année : 1937

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Katharine Hepburn, Ginger Rogers, Adolphe Menjou

— TOP FILMS

La fin est négligée, larmoyante et conventionnelle. Mais peu importe. Durant une heure, c’est un pur plaisir. Il arrive parfois que l’histoire ait finalement assez peu d’intérêt. Dans les comédies musicales, on ne s’attend pas à trouver une histoire aussi fine qu’Hamlet, on juge les numéros. Le numéro ici est assuré par le couple comique que forment Ginger Rogers et Katharine Hepburn. Deux sacrés numéros en effet.

L’humour n’est pas loin de Vous ne l’emporterez pas avec vous de Capra qui sera tourné l’année suivante. Les deux films sont tirés de deux pièces de George S. Kaufman. Impossible de savoir ce qu’il reste de la pièce. Sans doute peu de choses vu le nombre de scénaristes crédités. Mais la parenté de ton est évidente. Pour les dialogues (qui constituent donc la part la plus importante des « numéros » du film, plus que l’intrigue), on peut imaginer que Morrie Ryskind y a joué un rôle majeur. L’année précédente, il avait participé, pour le même La Cava, à Mon homme Godfrey. Ces deux mêmes « scénaristes » travaillaient également sur divers films pour les Marx Brothers. Rien à voir avec Stage Door ? Et pourtant si. Le même burlesque, la même insolence, Ginger Rogers possède ici le même humour pince-sans-rire que Groucho Marx. Son personnage est sensiblement identique à celui des films qu’elle tourne durant la même période avec Fred Astaire, mais débarrassé de l’idylle superflue et de ses robes du soir, son personnage en devient beaucoup plus rock’n’roll. C’est elle qui joue la chasseuse en quelque sorte, ou dans un film où il y a essentiellement des femmes…, c’est elle qui assume ce rôle de mec. Si les codes de la comédie américaine se sont déjà mis en place avec le succès de New York – Miami pour créer les screwball comedies, avec les comédies populaires de Capra « dans lequel un brave type est le héros », ou encore les comédies burlesques, et si tout ça se figera un peu avec les habitudes prises dans le cinéma parlant (et l’autocensure), il y a encore dans ces fabuleuses années 30, des comédies hybrides qu’on ne verra plus par la suite. Stage Door est le spécimen rare d’une espèce endémique probablement issue des films de « stage » du début des années 30, en particulier les comédies musicales (auxquelles Ginger Rogers avait participé avant de se lier avec Astaire) et qui parce qu’elles étaient trop audacieuses et mettaient en scène des personnages trop populaires pour le code, disparaîtront avant de revenir au cours des années 50 avec l’emballage Technicolor et l’assouplissement du code. Sans être un « pré-code », Stage Door en a la saveur. Sa crudité n’apparaît pas dans ses images, mais dans son vocabulaire et sa tonalité générale. Et cette fin pathétique rappelait sans doute aux patrons le caractère mélodramatique du film. Dans un film noir, les méchants doivent être punis ; ici, on n’en est pas loin, les impertinentes jacasses qui envoient du lourd façon mitraillette avec leur fast paced repartee sont contraintes de la fermer quand l’histoire tourne au drame.

Pension d’artistes, Gregory La Cava 1937 Stage Door | RKO Radio Pictures

Avant ça, les dialogues fusent et c’est Ginger Rogers qui en profite le plus. Une réplique, un tir. Et dans le mille. Tout l’art consiste à rendre sympathique un personnage qui envoie de telles atrocités. Comme celui de Katharine Hepburn s’en aperçoit, elle aboie beaucoup, mais elle ne mord pas. C’est soit un jeu, soit le résultat d’une blessure profonde qu’elle cache grâce à son arrogance et sa volubilité. Aucune intention de mordre : quand elle ouvre la bouche, c’est pour laisser s’échapper de paroles déplaisantes et odieuses. Tel le lanceur de couteau, elle envoie vite, mais vise toujours juste pour souligner les défauts de la personne qu’elle prend pour cible. La repartie découpe la silhouette de nos imperfections. Ginger Rogers ici, c’est la légendaire bonhomie de Jean-Pierre Bacri avec le débit de Fabrice Luchini. Brillant, irrésistible. Il y a des tap-dancing films et il y a des tap-talking films

We all talk pig Latin, qu’elle dit. Eh oui, j’ai bien peur de perdre la moitié de ses piques. La traduction ne peut pas suivre le rythme, et certaines répliques sont tout bonnement intraduisibles.

Des mots, des mots, des mots. Et une note : 10/10




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