Un matin couleur de sang, Li Shaohong (1990/92)

Note : 4.5 sur 5.

Un matin couleur de sang

Titre original : Xuese qingchen/血色清晨

Titre international/alternatif : Bloody Morning

Année : 1990/92

Réalisation : Li Shaohong

Avec : Zhaohui Gong, Hu Yajie, Lu Hui ,Wong Kwong-Kuen, Yan Xie, Zhao Jun, Kong Lin, Ju Xingmao, Miao Miao, Linlang Ye

— TOP FILMS

Remarquable adaptation du roman de Gabriel García Márquez, Chronique d’une mort annoncée. Le film navigue entre Kiarostami (tendance sac de nœuds, comme Où est la maison de mon ami ? ou Close Up, tournés d’ailleurs à la même époque) et Asghar Farhadi (même tendance sac de nœuds, spécifiquement judiciaire).

Le récit dans les deux premiers tiers du film se partage entre l’enquête qui suit le crime d’honneur dont a été victime le maître d’école (la voix off du policier — forcément bienveillant comme dans n’importe quel film de dictature — ponctue le récit), les flashbacks censés rapporter une version des faits (un peu à la manière de Rashômon et de Nous et nos montagnes, mais il n’y a pas vraiment de contradictions dans le récit des personnages, c’est surtout un prétexte narratif pour changer de temporalité et se focaliser sur les différents sujets abordés lors de l’enquête) et les conséquences (surtout psychologiques) du crime avant que les deux assassins ne quittent le village pour être jugés.

Le dernier tiers du film livre une conclusion à tout cet engrenage parfois complexe en montrant une version plus linéaire des faits au matin du meurtre. On quitte alors un type de récit à la Rashômon pour épouser un dénouement, toujours sous forme de flashback, plus à la Agatha Christie (tendance Le Crime de l’Orient-Express) parce qu’en réalité, les deux assassins ont tout fait pour que les divers villageois à qui ils ne cachaient pas leur dessein les empêchent de passer à l’acte. Mais un mélange de circonstances malheureuses et de pleutrerie générale a fait qu’ils ont dû suivre ainsi la macabre tradition de ce qui est une constante dans les cultures du monde : quand la fille à marier se révèle ne plus être vierge à la nuit de noces, un crime d’honneur (la victime en est le plus souvent la mariée, ici, il s’agit du fautif supposé, l’instituteur) s’impose pour sauver la face… Ironiquement, lors du mariage, la troupe de théâtre semblait proposer un numéro consistant à rappeler l’importance de s’assurer de la virginité de la fiancée avant le mariage (« semblait », parce que le plan sert de virgule avant de passer à autre chose)… Au petit matin, tout le monde a su, personne n’y a vraiment cru, et une fois tout le village massé autour des trois protagonistes, les deux frères ne pouvaient plus reculer… Chaque individu de cette chaîne défaillante, accroché malgré lui à une tradition barbare et rétrograde possède sa part de responsabilité aux côtés des deux assassins. La morale de ce conte funèbre pourrait ainsi être : « Si vous trouvez ça révoltant, faites en sorte que l’on ne pratique plus cet odieux crime d’honneur dans nos campagnes. La Chine doit entamer cette révolution ! »

En Iran, comme en Amérique du Sud, comme en Union soviétique, et donc comme en Chine, cette même capacité à évoquer par le conte et par la parabole, une morale universelle susceptible de ne pas trop froisser la dictature en place. Car si le roman initial et cette adaptation (à laquelle il faut ajouter la version italienne dont je n’ai aucun souvenir) divergent quelque peu, les crimes d’honneur constituent bien une constante universelle dans des sociétés du monde n’ayant aucun rapport entre elles et censée protéger le lignage des familles. Le film montre d’ailleurs bien à la fois le choc culturel opposant ces usages ancestraux aux usages modernes condamnant ces pratiques, mais aussi l’opposition entre le monde des campagnes, héritières d’un autre, millénaire et en décomposition (les extérieurs, composés de maisons ou de bâtiments en ruines vieux de plusieurs siècles, évoquent parfois, dans un univers toutefois plus escarpé, les décors du Printemps d’une petite ville), et le monde des villes qui n’est pas encore celui des mégalopoles chinoises actuelles, mais des villes moyennes dans lesquelles les paysans peuvent s’enrichir.

Le film gagnerait à être vu une seconde fois tant il s’est révélé compliqué à suivre. Le film a les défauts de ses qualités : sa structure est très dense, pleine d’ellipses, de personnages et de flashbacks, au point que l’on ne sait parfois plus qui est qui et que le sens de la situation nous échappe (les mariages arrangés imposent une forte verbalisation des rapports, une marchandisation des liens à créer, et quand on évoque le nom d’un personnage, puis celui d’un autre, on est vite perdus). Au milieu du film, je n’y comprenais plus rien. Façon Le Grand Sommeil. Qui s’en plaindrait d’ailleurs ? Le confusionnisme a ses avantages (si toutefois on sait se laisser porter par les quelques instants de grâce d’une réalisation). J’ai ainsi dû reconstituer a posteriori un puzzle laissé inachevé pour m’assurer, après des recherches, par exemple, que la mariée n’avait jamais avoué avoir eu une liaison avec le maître d’école comme j’en avais eu l’impression au visionnage (ayant gardé son livre de poèmes, il est raisonnable de l’imaginer amoureuse du fiancé de sa meilleure amie, mais à la manière d’un récit à la Asghar Farhadi, ce détail joue surtout sur les apparences et entretient le flou sans rien apporter de concluant sur la réalité de leur relation). Une fois l’identité de chacun mieux établie, j’ai ainsi mieux saisi la manière dont le mariage avait été arrangé : le marié (qui répudiera sa femme la nuit du mariage), jouissant d’une bonne situation dans le village voisin, tombe sous le charme de la fille et pour convaincre son frère de lui accorder le mariage, il lui propose de se marier le même jour (à 36 ans, aucune femme ne veut de lui) avec sa propre sœur… handicapée. Après avoir constaté que sa femme n’était pas vierge, le mari la renverra donc dans sa famille la nuit même et pillera les cadeaux que la famille avait reçus en dot… (Le récit pratique ici la technique de la douche écossaise qu’affectionnait, dans mon souvenir, John Ford et Akira Kurosawa — mais je n’en suis plus si certain, mes recherches sur le Net pour m’en assurer… me renvoyant vers des pages de mon site ! —, qui consiste à alterner une séquence douce, lente, avec une autre, brutale et rapide. Ici, le pillage nocturne des biens du second mariage répond ainsi à l’autre nuit de noces et à la tendresse naissante entre le futur assassin et sa femme handicapée. Le frère « déshonoré » repartira même avec sa sœur, touchée par une crise d’épilepsie…)

Vive les mariages d’amour.

D’autres détails encore, plus subtils, ou évocateurs d’une réalité, prennent alors tout leur sens. La marque des grands films. Le soin apporté à chaque personnage secondaire du village, par exemple, du bambin martyrisé par ses voisins et qui échoue à passer le message que sa sœur lui avait demandé de faire parvenir à l’instituteur, à la grand-mère qui a perdu la tête, en passant par les diverses femmes du village, loin d’adopter la moindre bienveillance et sororité à l’égard de la fiancée mise en cause. Et cela se fait à travers des plans brefs, généralement des plans de coupe, révélant l’esprit de tous ces personnages secondaires dans des situations dont souvent, prisonniers de leur point de vue, ils ne peuvent mesurer la portée.

Le film a été réalisé à la grande période du renouveau du cinéma chinois quand on découvrait notamment en France les films de Zhang Yimou et de Chen Kaige. Il partage ainsi certaines qualités spécifiques de cette tendance : jolie lumière ; élégance de la réalisation à travers de légers mouvements de caméra et des angles recherchés ; un découpage serré, mais lent, capable de créer des atmosphères à la fois réalistes et poétiques ; usage parcimonieux et judicieux de la musique (à l’opposé des productions futures se vautrant dans le lyrisme pompier) ; et une direction d’acteurs stupéfiante de précision et de naturel (deux spécificités souvent contraires)…

Comment un tel film a-t-il pu disparaître des radars alors qu’il avait été primé, et donc remarqué, au Festival des trois continents ? Les distributeurs, Arte, ont-ils fait le job alors qu’à la même période le cinéma chinois était à la mode ? Est-ce que c’est parce que Li Shaohong est une femme ?… Parce que le film nous perd parfois ? Mystère. La Cinémathèque française l’a diffusé dans une salle minuscule (et à « guichet fermé ») à l’occasion d’une rétrospective dédiée aux femmes cinéastes chinoises.


Un matin couleur de sang/Bloody Morning/Xuese qingchen/血色清晨, Li Shaohong (1990/92) | Beijing Film Studio


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Nous et nos montagnes, Henrik Malyan (1969)

Note : 4 sur 5.

Nous et nos montagnes

Titre original : Մենք ենք, մեր սարերը / Menq enq mer sarery

Année : 1969

Réalisation : Henrik Malyan

Avec : Sos Sargsyan, Frunzik Mkrtchyan, Khoren Abrahamyan, Armen Ayvazyan, Artavazd Peleshian, Azat Sherents

Henrik Malyan met de côté les formes expérimentales et esthétiques de ses collègues du Caucase pour adapter ce qui semble être un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine arménienne. L’auteur, Hrant Matevossian, s’est chargé lui-même de l’adaptation de la nouvelle qui semble l’avoir fait connaître, publiée en 1962 selon la page française de Wikipédia — 1967, pour le recueil de nouvelles selon la page anglaise de l’encyclopédie en ligne. Malyan est passé par une école de théâtre et de cinéma à Moscou avant, semble-t-il (toujours selon ma source du pauvre), de prendre la direction de divers théâtres en Arménie.

La Russie a inventé le jeu moderne, et ses acteurs ont tout au long du vingtième siècle suivi les principes du jeu intériorisé et psychologique qui s’exportera jusqu’à New York avec l’Actors Studio. C’est précisément le type de jeu que l’on voit ici. En plus d’être la meilleure méthode pour mettre en évidence une histoire, elle a surtout l’avantage de paraître naturelle et de proposer deux niveaux d’interprétations simultanées. Elle distingue la part dramatique de la fable suivant le fil des événements (souvent rapportée à travers les dialogues), de la part illustrative, qui consiste à mettre en scène les personnages dans des activités annexes. Ces deux niveaux se manifestent généralement dans notre activité du quotidien : nous sommes capables de parler d’un sujet sans rapport avec ce que nous faisons, et quand l’on s’arrête (temporairement ou non), cela souligne le fait que la situation a gagné en gravité. Une fois mise au service d’un récit, ce principe a la vertu de pouvoir jouer en permanence sur les deux tableaux et de porter à la connaissance du spectateur un contexte naturaliste et sociologique d’envergure (même si Marlon Brando en conclura qu’un acteur doit se gratter les fesses pour paraître « naturel »).

Voilà pour la forme d’apparence classique. Sa mécanique repose d’ailleurs sur une sophistication bien plus élaborée qu’elle en a l’air. Si les audaces et les étrangetés « brechtiennes » d’approches plus visibles et plus distanciées à la Sergueï Paradjanov ou à la Tenguiz Abouladze sont plus adaptées aux histoires traditionnelles et folkloriques (voire baroques), pour servir une fable moderne et absurde, la forme classique et naturaliste paraît plus appropriée.

Sur le fond, l’histoire de Hrant Matevossian rencontre énormément de similitudes avec les récits postérieurs de ses voisins iraniens. Pour éviter la censure et le risque de se voir suspectés d’offrir au spectateur une critique de la société dans laquelle ils vivent, les réalisateurs iraniens passeront volontiers par la fable (mettant en scène bien souvent des enfants). Dans ces films produits sous dictature, les auteurs arrivent toujours à faire preuve d’une puissante subtilité allégorique ou thématique qui mènera forcément à l’universalisme, car les exemples trop spécifiques pourraient heurter le pouvoir en évoquant des contextes domestiques. Et cela, en se pliant aux exigences d’une représentation policée de l’autorité : un gendarme se doit d’être un modèle de droiture, de fermeté, mais aussi d’humanité… La fable tire vers l’universel, ce qui lui permet d’échapper aux contextes sociaux ou politiques. Au contraire du théâtre italien, par exemple, dans lequel les archétypes sociaux dominent, dans la fable, les personnages ont une fonction qui les extrait de leur particularisme comme dans la mythologie ou les légendes. Peu importe que les bergers soient ici cultivés, cela reste un détail, et un détail d’ailleurs assez en phase avec un idéal soviétique d’éducation pour tous (ou de labeur pour tous) : il convient en revanche que les héros appartiennent à un type de personnages universels. Et quoi de plus universel que des bergers ?

Ensuite, comme dans n’importe quel mythe, chacun des bergers représente une manière distincte d’appréhender les choses. La fable offre toujours au lecteur un sens moral aux événements : les caractères et les réactions différentes des bergers face au gendarme qui les interroge sont censés viser une forme d’exhaustivité. Les personnages adoptent chacun une stratégie opposée et complémentaire. La fable use alors de la répétition pour les interrogatoires comme dans Les Trois Petits Cochons ou dans Le Petit Chaperon rouge. Dans une sorte de Kafka rural, le style tire vers l’absurde, mais la structure du récit s’appuie sur une mécanique mythologique et morale. L’absurdité naît des pinaillages et des réticences de chacun à vouloir élucider ou masquer les détails d’un événement dont la logique traditionnelle s’oppose à la rationalité et à la temporalité du droit au sein d’une société dans laquelle tout acte, tout accord, toute vente est transposé à l’écrit avant de pouvoir être consulté et vérifié : vous payez, vous vendez, les registres sont comptables de la moindre de vos transactions passées. Comment une société rurale étrangère à ces usages donnera-t-elle la preuve d’un accord tacite ? La réponse sera d’autant plus incertaine que l’on n’est pas sûrs qu’un tel accord existe. Le berger lésé, lui, reste vague sur ses allégations, et les accusés peuvent se jouer d’un gendarme quelque peu pointilleux sur les principes du droit en interprétant à son intention une sorte de remake parodique de Rashômon. Qui vole un mouton finit petit-bourgeois et digne du goulag… Ou pas, si tu tournes bien la chose…

Comme dans toutes ces fables qui opposent la ruralité à la modernité (dont les caractéristiques sont partagées avec certains westerns et donc avec certains films iraniens), l’espace reflète cette opposition. L’environnement commun est celui de la nature domestiquée par l’homme, mais sur laquelle la civilisation n’a pas encore tout à fait la main. Si le gendarme peut interroger les suspects à son poste de police, il paraît bien seul pour mener son enquête, et il apparaît surtout comme l’unique représentant non seulement de la loi, mais de l’« empire » comme son usage intempestif du russe pour marquer son autorité le rappelle. Et alors, une fois l’enquête terminée, que fera-t-il ? Il « transhumera » avec les accusés et le plaignant vers la ville et son tribunal. On retourne presque au temps des mythes grecs quand les héros « transhumaient » d’une cité à l’autre. Ces « odyssées » (souvent pédestres) occasionnaient des rencontres néfastes prévues par les oracles, des expériences initiatiques ou révélatrices. Œdipe tuera son père sur un tel chemin alors qu’il croyait précisément l’épargner en s’éloignant de lui. Ici, en guise de Sphinx et de conclusion au film, cette joyeuse troupe de personnages ralliant la ville croisera d’autres bergers à qui ils « révéleront » à voix haute et de façon répétée leur méfait (comme un plaider-coupable adressé au seul tribunal auquel ils se soumettent : les collines de leur pays). (Preuve du caractère universel du genre, ce recours aux « mythes des itinérances » se retrouve tout aussi bien dans les récits traditionnels japonais — les jidaigekis de Kenji Misumi par exemple — que dans les road movies du Nouvel Hollywood.)

Avant ce geste tout à la fois loufoque et symbolique, le film contient toutes sortes de détails amusants et tout aussi parlants. Le gendarme, d’ordinaire si soucieux de rendre le droit dans une campagne qui semble s’affranchir de toutes contrariétés légales, traverse un verger en chapardant un fruit sur son arbre. Son entrain à finir ses bouchées marque bien l’idée qu’il a conscience d’agir en contradiction avec ses principes : « qui vole une pomme, vole un mouton, qui vole un mouton, vole un œuf (non, ce n’est pas ça) ». Volontaire ou non, le vol prend un caractère autrement plus symbolique, de nombreux fruits étant originaires du Caucase (sorte de trésor national). Mais le gendarme échappera aux pépins, lui.

Enfin, lors d’un simulacre de tribunal que les bergers et le gendarme organisent le temps d’une halte dans les collines rocailleuses pendant leur voyage vers la ville, chacun se prête au jeu et intervertit les rôles sans amoindrir ses responsabilités. Jusque-là, Hrant Matevossian s’était contenté de citer Shakespeare. Avec ces inversions des rôles, ces travestissements censés dévoiler la véritable nature des personnages, on est en plein dedans. L’absurdité et la critique du droit rejoignent celle par exemple du Marchand de Venise (l’excès des conditions posées par Shylock, le travestissement à des fins révélatoires et la parodie de procès). Rarement le cinéma aura aussi bien illustré l’idée d’intelligence empathique : la capacité à se mettre à la place de l’autre.

Quelques notes de musique au début rappellent Nino Rota. Et à travers ses alpages pleins de rocailles, d’herbes et de ruisseaux, le style du film évoque parfois le cinéma italien. Pâques sanglantes, par exemple. Le monde caucasien n’a pas l’air si différent du monde méditerranéen. L’air commun des latitudes, peut-être, des mythes partagés depuis des millénaires aussi…


Nous et nos montagnes, Henrik Malyan (1969) Մենք ենք, մեր սարերը We and Our Mountains | Armenfilm


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My Young Auntie/Lady kung-fu, Liu Chia-liang (1981)

Vaudeville martial

Note : 4 sur 5.

Lady kung-fu

Titres originaux : My Young Auntie/Zhang bei

Année : 1981

Réalisation : Liu Chia-liang

Avec : Liu Chia-liang, Kara Hui, Hou Hsiao

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Quel régal… Je me répète, j’ai un faible pour les genres à la croisée des chemins, pour les prises de risque stylistiques, ou pour le simple goût du baroque (au sens premier du terme presque, quand divers genres ou thématiques peuvent cohabiter sans problèmes dans un même univers). Dans ce contexte, la dernière fois que je me suis autant régalé, c’est sans doute avec Pékin Opera Blues et Swing Kids. L’alliance du burlesque, de la screwball (où les femmes imposent leur présence ; or, ici, on frôle la comédie de remariage) et de la chorégraphie (qu’elle soit exécutée à travers un art martial comme ici ou à travers la danse comme dans Swing Kids) fonctionne pour mon plus grand plaisir.

Notons un dénominateur commun à ces films « d’humour baroque » ou de fantasme assouvi de « théâtre total » : la parfaite mise à distance avec l’impératif narratif que l’on connaît sous le terme de « suspension volontaire de l’incrédulité ». Le burlesque (qui tient ça des apartés de la commedia dell’arte) peut s’autoriser une plus grande mise à distance avec ce principe de vraisemblance et d’immersion dans le récit. C’est même souvent cette mise à distance qui provoque l’étrangeté et le rire. On dit que dans un vaudeville mieux vaut laisser le spectateur recevoir les répliques débordantes de reparties qui s’enchaînent à une allure soutenue, à défaut de quoi il peut finir noyé par le trop-plein de bons mots ou de situations hilarantes qui montent crescendo. Ce principe se retrouve dans les autres types de comédies quand elles sont réussies : la mise à distance se produit sur différents tableaux. On accorde le temps par des ruptures de rythme, et presque par de brèves mises en pause, pour que le spectateur digère, assimile et profite des effets à travers une forme de contentement de son propre rire. Il faut un certain talent pour savoir se détacher d’une situation pour ne jamais donner l’air de se prendre au sérieux et, au contraire, pour provoquer une connivence avec le spectateur. Cette mise à distance produit paradoxalement un rapprochement vers le spectateur (principe de l’aparté).

Ce n’est pas tout de ne pas se prendre au sérieux. Si du scénariste aux figurants, tout le monde doit être sur la même longueur d’onde, il faut aussi trouver le ton idéal qui suggère au spectateur que les acteurs (essentiellement) s’amusent comme des fous sur le plateau. Une réussite à mettre sans doute au crédit de Liu Chia-liang. C’était déjà la marque de son précédent film projeté dans le cadre de cette rétrospective sur le kung-fu à la Shaw Brothers : Le Singe fou du kung-fu. Si l’on reconnaît cette tonalité pince-sans-rire et généreusement facétieuse chez Liu (acteur), on se doute que c’est bien grâce à sa virtuosité à diriger ses interprètes autrement que par les chorégraphies que tous s’accordent pour proposer une même vision à base d’autodérision. Tous suivent une partition identique et renoncent à cette logique de vraisemblance stricte au profit d’un apparent « plaisir de jouer », d’un détachement ironique constant (œil qui frise, fantaisie) et de l’abandon pur et simple de toute psychologie.

La principale réussite de ce tour de force burlesque, c’est d’avoir mis au centre de cet humour une femme (ce sera le cas également dans Pékin Opera Blues). Derrière la volonté de Liu d’imposer Kara Hui, peut-être est-ce l’influence directe (ou une influence à trois bandes) de La Guerre des étoiles qui se fait ressentir : le film de Lucas venait tout juste de remettre au goût du jour la dérision typique des années 30 à Hollywood. Les incarnations féminines (et l’humour) faisaient défaut par exemple aux Cinq Venins mortels ; beaucoup de ces films d’action ou de comédies hongkongais réduisaient les rôles de personnages féminins à des héroïnes potiches quand ils n’étaient pas simplement absents. Lorsque l’on songe que l’emploi de Liu serait plutôt celui du père sage et un peu lunaire, toujours bienveillant, et que celui d’Hou Hsiao serait celui du fils exubérant, il manque en tout état de cause une figure qui représente un « yang » dominant dans cette jolie affaire familiale. Et c’est donc à une femme qu’incombe cette fonction de cheffe indiscutée. Dans une farce, cet inversement des valeurs et des stéréotypes est du pain béni. Véritable matamore au féminin, ce rôle central qui tient son petit-neveu par le bout du nez et qui tient en respect son aîné grâce à son caractère inflexible n’est pas pour autant épargné par l’esbroufe grotesque et la défiance puérile renvoyant à la réalité de sa jeunesse. Comme les deux autres, son personnage demeure ridicule, mais savoureux parce que ses intentions sont nobles et son talent martial authentique malgré ses fanfaronnades. On rit de ce trio comme on rit d’un enfant qui jouerait à botter les fesses de méchants imaginaires avec un bâton de fortune et qui finirait à terre.

On remarque donc d’un côté une connivence de rupture (avec le spectateur), et de l’autre, la connivence d’une fausse opposition entre deux personnages. Celui qu’interprète Kara Hui est censé être la tante, on comprend pourtant qu’un jeu de séduction se met vite en place entre elle et le fils de son « neveu ». La première rencontre est basée sur un quiproquo (nouvel héritage de la commedia dell’arte). La relation repose ensuite sur une confrontation joyeuse qui ne trompe personne : les deux personnages surjouent la concurrence pour cacher leur attirance mutuelle, et cette concurrence qui passe par le kung-fu fait un peu ici office de parade nuptiale. Les coups pleuvent, mais dans tous les sens du terme, cela reste du cinéma. Leur connivence est implicite, et le spectateur participe, amusé, à ce petit jeu de faux-semblants en ne pouvant être dupe de la nature « réelle » de cette confrontation.

Quand dans un film d’action les enjeux purement dramatiques reposent relativement toujours sur des schémas éprouvés, le défi consiste alors à porter un regard original sur les autres éléments du récit. Dans une comédie, cela passe encore une fois par une forme de mise en distance. Ainsi, dans My Young Auntie, lors des face-à-face avec l’ennemi, s’en joue un autre, cette fois entre la tante et le fils pour savoir qui mène aux poings. Il nous faut ainsi répondre à cette question infantile de première importance : qui possède le meilleur kung-fu entre les deux tourtereaux. Ou qui « a la plus grosse… » (Là encore, il s’agit d’un type d’écart — d’un pas de côté —, d’une dérision, déjà présente dans La Guerre des étoiles.)

Après l’humour restent les chorégraphies phénoménales de Liu, exécutées à une vitesse folle et pleines de trouvailles amusantes. Mais s’il fallait déterminer un vainqueur à ce mariage réussi, ma préférence irait définitivement à l’humour. J’adore les cabrioles spectaculaires et mixtes, mais en termes de farce et d’autodérision, on se demande parfois ce qu’on regarde (sinon un vaudeville à la sauce cantonaise) ; les audaces sont nombreuses, et Liu semble ne rien se refuser.

Communément, la comédie naît des travestissements ou des chocs de cultures. Précisons que le récit se déroule au début du XXe siècle dans la Chine profonde, que le fils revient de Hongkong (où il étudie) avec une savoureuse manie à tout tourner ridiculement à « l’américaine », et que la tante est au contraire une fille de la campagne qui découvre les bonheurs (et le bon goût) vestimentaires de l’Occident : assez pour comprendre qu’on dispose là d’une matière explosive idéale pour la farce. De Molière à Goldoni, de Feydeau à Billy Wilder, jusque dans la screwball comedy et au-delà, il est souvent question de travestissement, de déguisement, de dépassement des classes sociales, de mariage à faire (ou à déjouer) et de « voyage en terres inconnues ». On force le trait beaucoup, mais puisque la caricature s’accomplit avec détachement, et qu’on s’amuse, tout est permis. En tant que spectateur, on met bien volontiers de côté la suspension d’incrédulité parce qu’on voit bien que rien n’est réel et que la finalité est de divertir (en allant au bout dans la logique absurde de départ). On retrouve là le même nonsense que dans la screwball, la même opposition de sexe factice que dans la screwball (en guise de séduction masquée, de comédie de remariage et de parade nuptiale), les mêmes images arrêtées loufoques en rupture avec les stéréotypes que dans la screwball, les mêmes travestissements (ici aussi bien culturels, avec des Chinois qui imitent les Occidentaux, que régionaux ou sociétaux, avec la fille de la campagne mariée avec un riche propriétaire bientôt confrontée à la « modernité » du monde) que dans la screwball.

Un bonheur.


My Young Auntie/Lady kung fu, Liu Chia-liang (1981) | Shaw Brothers

La Famille matrilinéaire, Kenji Misumi (1963)

Calculs reinaux

Note : 4 sur 5.

La Famille matrilinéaire

Titre original : Nyokei kazoku / 女系家族

Année : 1963

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Ayako Wakao, Machiko Kyô, Jirô Tamiya, Miwa Takada, Yachiyo Ôtori, Ganjirô Nakamura, Chieko Naniwa, Tanie Kitabayashi

— TOP FILMS —

Savoureuse satire sociale anti-bourgeoise aux allures de thriller successoral. On marche sur les platebandes de la Shochiku qui l’année précédente avait adapté un roman à peu de choses près sur le même sujet avec Masaki Kobayashi aux commandes : L’Héritage. Le film de la Shochiku, dans mon souvenir, était noir et feutré. Tout le contraire ici, car la satire est souvent amusante (on commence à comprendre qu’effectivement Misumi est un formidable directeur d’acteurs, parce qu’on est loin de la comédie pure, mais chaque séquence contient de nombreux éléments, dialogués ou non, très drôles qu’il serait facile de faire capoter sans une personne avisée à la baguette). Le film est adapté, cette fois, d’un roman de Toyoko Yamasaki, parfois qualifiée de « Balzac japonaise » dont la Daiei avait déjà adapté un précédent roman traitant des déboires successoraux d’une riche famille composée de femmes puissantes : Bonchi.

La satire sociale qui s’exerce ici est un joli pied de nez (dans sa morale livrée lors d’un dénouement inattendu renversant et poilant) fait par les classes laborieuses à celle qui les méprise et donne l’impression en regardant le film de tout posséder au Japon. Je spoile : les riches finiront spoliés.

La petite saveur amère supplémentaire en plus de cette histoire cruelle ou amusante (c’est selon) vient cette fois du doigt d’honneur fait à ses filles par l’auteur de ce testament machiavélique (et dont on ne verra jamais qu’un portrait semi-hilare, comme le fait remarquer l’aînée de la fratrie). Car le bonhomme, qui s’était marié avec l’héritière d’une riche famille d’Osaka dont le pouvoir passait traditionnellement aux mains des filles (d’où le titre français du film), profite en réalité de sa future mort pour mettre en scène ce qu’il faut bien qualifier de complot dans le but de faire passer les rênes de la famille à un héritier mâle. Le roman ayant été écrit par une femme, on peut y voir peut-être une forme d’humour noir désinvolte, voire de fatalisme ricaneur : si d’un côté ceux qui ont tout, à force de se chamailler et de comploter les uns contre les autres, finissent par se faire prendre à leur propre jeu au profit d’une femme pauvre dont ils avaient outrageusement moqué l’origine ; de l’autre, c’est au prix de la perte d’une tradition qui ironiquement faisait des femmes les héritières d’une famille puissante. Les hommes restaient jusque-là toujours en retrait (au propre comme au figuré : dans le film, les maris se tiennent toujours derrière leur femme) et par l’habilité de celui qui avait survécu d’un an seulement à la matriarche (on voit bien que sa cadette se plaint, dès le début du film, d’avoir été mise à l’écart au profit du défunt devenu avant sa mort, et par la force des choses, l’éphémère chef de famille), les hommes finissent par reprendre la main. Cela revient un peu à dire que le seul espace au Japon où les femmes avaient le pouvoir, les hommes sont parvenus à leur ôter.

Après, c’est la qualité des grandes histoires, on peut sans doute proposer bien des versions à la morale de cette histoire. Comme de larges pans des usages japonais (plus spécifiquement ceux ayant cours à Osaka) nous sont difficilement accessibles, il y a à parier que toute interprétation de ce retournement faite par un étranger soit condamnée à n’être que « exotique ». (J’ai par exemple du mal à bien saisir s’il y a parmi ces sœurs certaines qui sont « adoptées », à quel moment de leur vie cela aurait été fait, et surtout quelles conséquences cela aurait sur le respect dû et sur les rapports de force toujours très codifiés au Japon.) Peu importe au fond, le spectateur, même parfaitement néophyte, a tous les droits.

Avant d’en arriver à ce dénouement soumis à interprétations, c’est tout le jeu de pouvoir qui amuse et fait grincer des dents : les jalousies, le ressentiment et les innombrables magouilles que déploient tous les membres de la famille (à l’exception de la cadette qui finira par dire à la fin que tout compte fait, c’est mieux qu’elles aient été prises à leur propre jeu, avant de prendre la résolution de faire le tour du monde), mais aussi le commis de la famille, au service de la famille depuis deux générations comme il le rappelle, et qui, lui aussi, compte bien prendre sa part du gâteau aux dépens des autres. Sa position d’exécuteur testamentaire lui offre un avantage, mais malheureusement pour lui, la satire sociale a autant la dent dure pour la classe dominante que pour ceux de la classe laborieuse qui cherche à tirer profit crapuleusement des autres.

À l’opposé de ce petit monde rempli de personnes aigries, voraces, cupides et finalement solitaires, il y a le personnage de la maîtresse du défunt, peut-être pas aussi innocente qu’elle le montre tout au long du film, mais dont on peut imaginer au moins qu’elle agit en accord avec la volonté du disparu. C’est à deux qu’ils semblent avoir manigancé tout ce sac de nœuds parfois hilare pour remporter la mise. Drôle et cruel.

Encore et encore, cinéma japonais et cinéma italien n’en finissent plus d’agir comme des frères jumeaux à des dizaines de milliers de kilomètres l’un de l’autre : au même moment où le cinéma italien produit de magnifiques satires (genre ô combien rare et délicat puisqu’on tombe facilement dans la critique amère ou la farce accusatrice), le Japon nous propose donc celle-ci parfaitement réussie justement parce qu’elle reste drôle, sans être méchante ou, pire (comme celle que Misumi réalisera cinq ans plus tard avec Les Combinards des pompes funèbres), forcée et grotesque.

À l’heure où d’ailleurs le shomingeki est passé de mode en 1963, on pourrait presque y voir une forme de shomingeki alternatif en guise de révérence et d’adieu : le regard bienveillant envers les classes populaires, il se fait à la lumière de celui porté, très acerbe, sur la classe dominante. Les remarques immondes et continuelles sur les gens de classe modeste (voire les sœurs entre elles, l’aînée ayant du mal à se faire à l’idée d’être traitée à l’égale de ses cadettes) ne trompent pas. Quelques exemples. Quand les sœurs prennent la résolution de rendre visite à la maîtresse de leur père, l’une d’elles insiste sur la nécessité pour elles d’adopter des habits « simples » de circonstance ; elles s’y rendront finalement en berline de luxe, un sac en croco au bras. Une fois arrivées sur les lieux, l’une des sœurs enlèvera la photo de son frère que la maîtresse des lieux utilisait pour son autel particulier dressé en l’honneur du défunt (plus tard, la sœur déchirera cette photo). Puis, ayant appris que des ennuis de calculs rénaux mettaient en danger sa grossesse, les deux sœurs et la tante exigeront d’abord que l’ancienne « geisha de bains publics » suive un examen gynécologique ; elles insisteront ensuite, dans une séquence d’une rare violence, pour assister à la scène… Un peu avant ça, quand l’une des filles se rend dans les habitations délabrées que la famille loue pour s’enquérir du prix que cela pourrait valoir, les locataires s’étonnent de voir débarquer à l’improviste « le propriétaire » qui manifestement néglige depuis longtemps leurs demandes et laisse dépérir les lieux. La critique est frontale, parfois plus fugace, mais toujours violente. Au moins sur l’aspect « lutte des classes », l’accumulation des critiques acides laisse peu de doutes quant aux intentions de l’auteure.

Je reviens à cette idée de testament du shomingeki. Ce regard bienveillant sur les pauvres porté par procuration en regardant les riches, c’est un peu comme si on avait affaire à un film dont le scénario avait été prévu pour Mizoguchi (du genre Une femme dont on parle, sur un sujet contemporain et adapté par le même scénariste) et que pour continuer sur la note finale, grinçante de La Rue de la honte, on le mettait entre les mains d’un réalisateur comme Kirio Urayama (La Ville des coupoles et Une jeune fille à la dérive). Avec ça, vous changez l’habituelle bonhommie contemplative d’un Chishû Ryû pour l’air presque aussi idiot, mais à la duplicité bien plus suspecte d’un Ganjirô Nakamura (l’acteur d’Herbes flottantes et des Carnets de route de Mito Kômon et que j’ai surtout évoqué dans Les Carnets secrets de Senbazuru) jouant ici le « larbin de la famille », tel qu’il se définit, et le tour est joué. Le shomingeki mué en satire sociale pour un dernier baroude d’honneur.

Dans un shomingeki classique, on porte un regard sur les petites gens, mais les choses restent toujours à leur place. Ici, on met un grand coup de pied dans les conventions : le « larbin » chargé de devenir l’exécuteur testamentaire du défunt, avec son petit air idiot trafiqué, on comprend vite ce qu’il convoite. Imaginez que ce que contemple passivement Chishû Ryû, ce ne soit plus le calme, l’immuabilité du monde, mais une parcelle du jardin du voisin. On ne s’assied pas docilement sur le tatemae en contemplant l’humilité des gens simples et en vantant l’ordre établi. Cette fois, le tatemae, tel un masque de kabuki dont Nakamura était maître, soudain se fissure, et derrière le masque des apparences hypocrites, apparaît au grand jour la réalité fourbe d’un personnage qui appartient peut-être à la classe des dominés, mais qui aspire, par la ruse, à prendre la place de ceux qui l’ont méprisé jusque-là. À la limite, le regard porté sur la sœur cadette, présentée comme une jolie idiote, est bien plus bienveillant. Elle a au moins l’excuse de la jeunesse et semble se désintéresser des petits complots que chacun vient à mettre en œuvre pour tirer la couverture à lui.

La Daiei a sorti une nouvelle équipe de rêve. Qui de mieux pour cette adaptation du roman de Toyoko Yamasaki que des orphelins de Mizoguchi ? Deux de ses plus proches collaborateurs répondent à l’appel : au scénario, Yoshikata Yoda (qui écrira plus tard La Rivière des larmes) ; à la photographie, Kazuo Miyagawa.

Et si l’idée au fond, ce n’était pas de faire la suite de La Rue de la honte et de voir Ayako Wakao reprendre son rôle de geisha calculatrice ? Elle aurait trouvé son protecteur, et ils auraient donné ensemble un sens nouveau au syntagme « calculs reinaux » en accouchant d’un plan clouant définitivement le bec à ces femmes de la haute…

La bourgeoise au prolétariat : « Dis donc, il vient cet enfant ? »

La prolétaire à la bourgeoise : « Ça tire ! Ça tire ! »

La bourgeoise, d’un air désinvolte : « Tu as dit « satire » ? »

La prolétaire : « Ah ! La satyre ! »

Rira bien…


La Famille matrilinéaire, Kenji Misumi (1963) Nyokei kazoku | Daiei


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— TOP FILMS —

Limguela Top films japonais

Les anti-films

Les perles du shomingeki (le clou dans le cercueil du genre)

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La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972)

Note : 2.5 sur 5.

La Dernière Maison sur la gauche

Titre original : The Last House on the Left

Année : 1972

Réalisation : Wes Craven

Avec : Sandra Peabody, Lucy Grantham, David Hess, Fred J. Lincoln, Jeramie Rain

Rien de bien folichon. Une histoire inspirée de La Source qui rappelle par certains côtés Délivrance sorti la même année. Je veux bien que le film en ait inspiré pas mal par la suite (surtout au rayon rape and revenge), mais au fond, le cinéma américain se découvre une seconde vie avec les caméras légères et la fin des restrictions, il est normal d’explorer de nouveaux espaces et limites. La fameuse banlieue qui sera si souvent le théâtre des films d’horreur futurs, on la retrouvait tout autant dans les films noirs et séries B d’antan. C’est parfois si mal filmé qu’on pourrait se penser dans un film de John Waters (le début notamment est terriblement statique) : Pink Flamingos est aussi sorti en 1972. L’air du temps. Tous les chemins, après la dernière maison sur la gauche, mènent à l’horreur… L’Italie, notamment, réalisait déjà de son côté des slashers avec des moyens plus conséquents (sans oublier, l’Espagne, avec l’exemple de La Résidence).

Pour recontextualiser les choses, 1972, c’est l’année de sortie aussi du premier film porno exploité aux États-Unis. Quant à Délivrance, déjà cité, il est peut-être moins cru, mais c’est un film à gros budget avec potentiellement plus d’impact qu’un film indépendant qui ne pourra avoir eu son petit effet que de manière confidentielle. Les outrances aident à taper dans l’œil du spectateur alors que Hollywood semble rebattre les cartes. En 72, le spectateur américain était donc servi, à condition que ces films sortis au même moment aient bénéficié d’une exploitation égale (ce qui est rarement le cas pour de tels films). Massacre à la tronçonneuse, que le film aurait pu éventuellement inspirer viendra en 74. Tandis que La Nuit des morts-vivants, pour recontextualiser encore, c’est 1968.

Loin de moi l’idée de minimiser l’importance du film, mais je pencherais plutôt pour une influence tardive et un jalon dans le cinéma d’horreur que les amateurs du genre auront probablement mal identifié à l’époque. Il y a des modes qui sont lancées par le succès de certains films (la mode des films apocalyptiques grâce à Airport ou Colossus), et il y a des usages qui sont des voies explorées par diverses personnes non pas par mimétisme, mais parce que la voie était désormais libre. Si tous se mettent à faire, indépendamment (dans tous les sens du terme), des films, c’est moins parce qu’ils se copient et se connaissent que le fait qu’ils puissent désormais réaliser des films avec de faibles moyens et le distribuer dans des réseaux de distribution alternatifs. Que ce soit pour les films pornographiques, les audaces de Waters, les slashers et les rape and revenge films, l’histoire est la même.

Cela étant dit, aussi mauvais que le film puisse être, il trouve un second souffle salutaire vers la fin, assez cathartique, je dois avouer, quand les deux parents bourgeois s’en prennent à leur tour aux quatre criminels en fuite. L’humour, typique des films futurs de Wes Craven et de toute une génération de réalisateurs, prisonniers volontaires de l’adolescence, est également le bienvenu. Sans cet humour, pas de catharsis, pas de second degré, et le piège de nombreux films de vengeance dans lequel tomberont les films qui en reprendront le principe : on ne s’amuse plus et cela devient au contraire gênant parce qu’on se pose la question de la morale dans l’histoire.

Craven, au moins, me paraît assez peu ambigu ici. L’avantage de ne pas trop se prendre au sérieux. Dans la catharsis, plus de morale, comme au carnaval : on intervertit les rôles, les codes disparaissent, et on s’amuse pour purger les tensions passées… Quand le père prépare des pièges pour zigouiller les meurtriers de sa fille, façon Maman, j’ai raté l’avion, il n’y a rien de sérieux dans cet exercice. C’est purement cathartique. Les adolescents qui feront le succès des films de Wes Craven dans les décennies suivantes ne regarderont pas ses films par goût du macabre, mais bien parce que c’est amusant. Ceux qui sont dérangés sont ceux qui prennent ces films au premier degré. Si parfois certains films tombent un peu trop dans l’ambiguïté et foutent mal à l’aise (Henry, portrait d’un serial killer, par exemple), c’est que le côté ludique et cathartique du genre semble oublié. C’est loin d’être le cas ici, mais ça n’en fait pas pour autant un bon film.


La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972) The Last House on the Left | Sean S. Cunningham Films, The Night Co, Lobster Enterprises


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Cannibal Tours, Dennis O’Rourke (1988)

Note : 4 sur 5.

Cannibal Tours

Année : 1988

Réalisation : Dennis O’Rourke

Joyeux malaise et choc des civilisations. La caméra de Dennis O’Rourke prend part à un safari touristique en Afrique équatoriale et se mêle aux touristes allemands, italiens ou américains en quête de folklore tribunal. Sans le moindre commentaire, il oppose ainsi la présence saugrenue de ces Occidentaux dans des villages autochtones tout dédiés au commerce de leur passé et de leur héritage culturel. Le montage alterne interviews des populations locales exprimant leur totale dépendance aux attentes de leurs visiteurs et cirque touristique indécent d’hommes et de femmes cannibalisant du regard les usages, les costumes ou l’artisanat produit à leur attention.

Personne ne se comprend. D’un côté, des locaux agacés de voir que les Occidentaux n’achètent rien ou marchandent leurs produits quand ils savent que, pour eux, quand ils vont en ville, les prix sont fixes et ne se marchandent pas. Des locaux également circonspects sur le fait d’être visités sans pouvoir en retour se rendre dans les pays de leurs visiteurs ; puis, aigris de voir que ces visiteurs, raffolant de babioles qui fera leur petit effet une fois accrochées à un mur, sont les mêmes qui, des décennies avant, leur en interdisaient la représentation et l’usage. Et de l’autre, des touristes qui exploitent sans retenue des populations, victimes contemporaines de cette forme moderne de colonisation qu’est la mondialisation, forcées de s’adapter et de se plier à l’exploitation grotesque de leur « folklore » pour survivre à l’intrusion implacable de ces hordes de touristes. Une forme de commensalisme à l’échelle humaine en somme…

Tout le monde aura sa petite photo, son objet artisanal et de jolis souvenirs folkloriques qui ne manqueront pas d’être partagés à leur retour pour les faire passer pour des explorateurs et des témoins avancés, proto-ethnographes pour certains, d’un monde dont ils ont contribué à la disparition.

On y trouve ici la même autosatisfaction puérile de l’homme industriel et consumériste, témoin des effets dévastateurs sur le climat et l’environnement de son mode de vie autodestructeur, inconscient d’assister à sa propre mort, mais tout heureux d’être aux premières loges pour en faire partager son petit cercle personnel.

« La fin du monde ? Tu es sûr que c’est maintenant ? Chouette ! Je vais faire un selfie et le posterai sur les réseaux sociaux. J’espère avoir le plus de vues possible. »


Cannibal Tours, Dennis O’Rourke (1988) | Institute of Papua New Guinea Studios

Au nom de la loi, Pietro Germi (1949)

Sicile : Si cille, ci-gît

Note : 4 sur 5.

Au nom de la loi

Titre original : In nome della legge

Année : 1949

Réalisation : Pietro Germi

Avec : Massimo Girotti, Charles Vanel

La mise en scène au cinéma n’est pas faite que de mouvements de caméra ou de découpage technique ; mettre en scène, c’est aussi et surtout diriger des acteurs, c’est-à-dire les mettre en situation dans le cadre. Pietro Germi en donne le parfait exemple ici. On aura rarement vu des acteurs jouer aussi bien leur partition des premiers aux seconds rôles dans une logique de montée constante de l’intensité.

Au nom de la loi est un western de Sicile, un film de mafia obéissant plus aux logiques épurées, mythologiques et brutales d’un récit situé dans le Far-West qu’à celles d’un film policier. Tous les archétypes du western sont présents, et un élément essentiel du genre l’est encore plus : la menace sauvage, directe, physique (en face-à-face ou derrière une colline, au coin de la rue), explosant rarement dans le champ de la caméra. Si les meurtres sont montrés à l’écran, les coups de feu son hors-champ, accentuant l’impression que les tirs peuvent être tirés de partout et à tout moment.

Pietro Germi met donc parfaitement en scène cette menace permanente par le biais de ses acteurs : les regards se font face sans jamais se baisser, c’est encore par le regard qu’on jauge son adversaire, qu’on lui tient tête ou qu’on cherche à l’intimité. Jusque dans les seconds rôles, les jeux de regards servent à créer cette ambiance pesante et menaçante. Par exemple, quand l’un des chefs mafieux suspecte la femme du baron d’un double jeu, il lui jette rapidement un regard en coin montrant explicitement par là au public ses suspicions. Ces petits coups d’œil qui ne durent parfois qu’une fraction de seconde servent aussi à ponctuer un plan ou une séquence (tandis que les regards insistants apparaîtraient probablement plus au premier plan et au cœur d’une séquence). Avec les mêmes conséquences et effets sur le spectateur qu’un aparté au théâtre : la connivence avec le spectateur et l’addition à la scène d’une information qu’on pourrait suspecter de ne pas être totalement diégétique, car en réalité dans la vraie vie on ne laisse jamais apercevoir de telles expressions car elles pourraient trahir nos pensées.

Preuve une nouvelle fois que jouer au cinéma comme au théâtre, diriger des acteurs, ce n’est pas « faire comme dans la vraie vie ». Un jeu bien dirigé est beaucoup plus riche en informations qu’un jeu qui se contenterait d’être « vrai », et sans que cela pour autant fasse « moins vrai ». Jouer, c’est une illusion, tout est connivence et aparté avec le public ; les acteurs qui croient pouvoir donner à voir en étant naturels, s’illusionnent eux-mêmes sur le pouvoir d’évocation ou d’expression de leur « nature ». On peut bien sûr décider de procéder sans ces informations apportées au public, mais on le fait alors dans une logique de distanciation, car « naturellement », en « cherchant le vrai », on rend plus difficile l’accès à ces informations que le public est alors invité à imaginer. Le tout est de savoir ce qu’on fait : adopter un style de jeu naturaliste en tentant par ailleurs de multiplier les effets d’identification aux personnages, c’est probablement se casser la gueule, même si on le sait l’équilibre entre identification et distanciation permet a priori certaines combinaisons n’allant pas de soi. Au cinéaste alors à trouver la bonne formule, la cohérence, la faire adopter à ses acteurs, s’y tenir tout au long du tournage, et convaincre le public qu’il a adopté la bonne formule… (Public qui d’ailleurs aura rarement conscience de ces enjeux de mise en scène, surtout s’il conçoit la mise en scène qu’à travers le jeu avec la caméra, le montage et autres éléments techniques du film…)

C’est toute la subtilité de jouer un sous-texte qu’aucun acteur ne proposera sans la direction d’un metteur en scène. Hitchcock d’ailleurs avait raison : l’intensité des regards chez ceux qui s’aiment est quasiment identique à celle des regards de ceux qui se sentent menacés, qui sont aux abois ou qui jaugent un adversaire. On voit bien ici une sorte de continuité d’intensité des regards entre les séquences de confrontation entre la mafia et la justice et entre les séquences entre le jeune juge et la baronne.

Le film est présenté comme appartenant à une mouvance néoréaliste, les critiques auront vite fait de placer le film dans cette catégorie en y voyant les décors naturels et les quelques acteurs amateurs du film. En réalité, on est loin du naturalisme, donc du néoréalisme, et on serait plus encore une fois soit dans le western soit dans la tragédie (ce qui n’est pas loin d’être la même chose). Il n’est pas étonnant d’ailleurs de voir que d’autres équipes d’écritures en Italie produiront dès la décennie suivante les chefs-d’œuvre que l’on connaît (Fellini et Monicelli ont participé au scénario, si le premier est sans doute un peu loin du western, le second, sans avoir jamais réalisé de western spaghetti à ma connaissance, s’en rapproche avec des films plutôt picaresques).


 

Au nom de la loi, Pietro Germi (1949) In nome della legge | Lux Film


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1949

Top films italiens

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La Dernière Vague, Peter Weir (1977)

La Dernière Vague

Note : 3 sur 5.

La Dernière Vague

Titre original : The Last Wave

Année : 1977

Réalisation : Peter Weir

Avec : Richard Chamberlain, Olivia Hamnett, David Gulpilil

Deux ans après Pique-Nique à Hanging Rock, Peter Weir prouve une nouvelle fois sa qualité de faiseur d’ambiances, son goût pour l’exotisme et l’étrange, son formidable savoir-faire pour suggérer le plus avec quelques plans et des séquences courtes qui l’amèneront à Hollywood. Seulement ici, il n’est pas aidé par un scénario qui peine à confirmer les promesses des premières minutes.

L’introduction est vive, mystérieuse, mais dès qu’il faut soulever le voile sur les mystères énoncés, ça se complique, et l’on peut même craindre que pour éviter des séquences ridicules, il ait fallu tellement rogner dans le développement qu’il ait fini par lui manquer de la matière dramatique. On en vient même à se demander si un tel sujet n’est pas intrinsèquement une impasse.

Comment poursuivre et résoudre les énoncés du récit sans tomber dans ce que le film semblait jusqu’ici éviter ? En ayant recours au fantastique (avec la confirmation de ce qui n’était jusque-là que suggéré). Certains films comme Pique-Nique à Hanging Rock savent rester sur le fil du mystère sans jamais tomber dans le puits sans issue du fantastique. Or, ici, on y plonge d’abord frileusement quelques orteils avant de s’y noyer pour de bon.

Au-delà de ces aspects problématiques du scénario, Peter Weir tient la baraque. Même dans la séquence de la révélation souterraine, il arrive à éviter le ridicule en y préférant un macabre fantastique vite expédié (là encore suggéré, l’action se passant hors-champ, ou presque) et en nous rinçant la cervelle grâce à une dernière séquence qui donnera le titre au film (la vague en question, en revanche, sera rendue par un effet visuel cheap et ridicule).


 
La Dernière Vague, Peter Weir 1977 | McElroy & McElroy, The South Australian Film Corporation

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Les Indispensables du cinéma 1977

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Rester vertical, Alain Guiraudie (2016)

En chien de fusil

Note : 2 sur 5.

Rester vertical

Année : 2016

Réalisation : Alain Guiraudie

Avec : Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry

Quand la savonnette t’échappe au milieu d’une meute de loups…

Dommage que cette histoire de loup solitaire ou de brebis égarée se répande peu à peu dans le trash retenu parce qu’il y a quelque chose d’au moins regardable quand on échappe aux provocations ou aux rebondissements poilants. De regardable, autant que peut l’être un film de la nouvelle qualité française avec ses ellipses, son ton feutré, son rythme rapide. J’avoue que devoir si se farcir une scène de cul entre un homme et une femme dans un film, en général c’est déjà rarement poilant, voir une séquence similaire entre un homme et un vieux plouc, ce n’est pas bien plus passionnant. Ça force un peu la normalité et l’acceptation de l’autre, comme une sorte de sophisme cinématographique qui essaierait de nous convaincre que si c’est possible entre un homme et une femme pourquoi ça ne le serait pas entre un homme et un vieux… Sauf que ce n’est pas “normal”, c’est embarrassant, parce qu’une scène de cul montrée sur la durée, ç’a autant d’intérêt dramatique qu’une scène de cabinet ou une autre dévoilant en longueur un homme en train de couper du bois. C’est moins une question de “genre” que de situation hors sujet. Et je n’aime pas trop qu’on me force la main d’ailleurs, surtout si c’est pour me faire comprendre de telle banalité. « Ah, vous avez vu, c’est normal. »

Le détour le plus ridicule, il est encore ailleurs, celui de concentrer son récit autour d’une même poignée de personnages : si bien que quand un petit ami apparaît à la blonde, ça ne peut être qu’un de ces personnages déjà vus. Ça ne mange pas de pain, on profite d’un effet spectaculaire, mais c’est surtout une coïncidence ridicule et difficile à avaler. Au final, on se retrouve étrangement avec le bon goût d’une série B qui se donne l’apparence d’un film d’auteur.

Pour le positif, il y a une lenteur dumontielle qui attire l’œil, dans un premier temps toutefois (on retrouve un bon principe bressonnien également, qui est de ne jamais expliquer, tuer les rapports de cause à effet, afin d’amener le spectateur à s’interroger). Et les acteurs s’en tirent plutôt bien.

Assez caractéristique, j’insiste, d’une nouvelle qualité française. Pour copier Bresson, Dumont ou les autres, il y a du monde, mais si la forme est entendue, le signe d’un certain savoir-faire naturaliste, pour le contenu, c’est rarement ça. À ce compte, je préfère encore voir un Dardenne ou un Loach, pour qui la forme ne surprendra plus personne, mais le sujet au moins est clair, on est dans un cinéma qui se propose de constater l’air d’une époque. Là, ou dans nombre de ces films de la nouvelle qualité française, rien. La forme qui devrait aider à illustrer un sujet, fait tout le contraire et se noie souvent derrière un dispositif pourtant léger et simple à mettre en œuvre.

(Un film « Cahier », Les Films du losange et « Cannes officiel », ça ne surprendra personne.)


 


 

 

 

 

 

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Paï, Niki Caro (2002)

       Paï

5/10  

Réalisation : Niki Caro

Des grosses ficelles épuisantes. On croit voir une histoire formatée par, ou pour, des recettes toutes prêtes hollywoodiennes. Impossible d’échapper à tout le catalogue de passages obligés. Ce ne serait pas si ennuyeux avec une réalisatrice de talent… (Jane Campion a les mêmes travers, mais elle a réalisé, elle, un chef-d’œuvre).

Au-delà des tours et détours laborieux du récit, surlignés par des dialogues puérils ou une musique tapageuse, l’aspect le plus mal maîtrisé reste le choix des acteurs et la direction d’acteurs. La question de l’opposition entre les générations, entre modernisme et tradition, avec comme ici la question de la place de la femme dans la (petite) société, c’est un sujet fréquemment rabâché dans le cinéma japonais de l’âge d’or par exemple, et ça nous donne une idée des pièges à éviter.

La gamine est certes jolie, mais l’idée d’en faire un garçon manqué casse à mon sens toute la logique « féministe » de la chose. On n’y croit pas une seconde. La seule séquence où l’actrice arrive à me convaincre est celle où, affublée du costume traditionnel, elle récite son discours dédié à son grand-père absent de la salle : pour la première fois non seulement on voit une gamine, touchée, vulnérable, bref, pas seulement une fillette, mais un être humain auquel s’identifier. Le reste du temps, le fait de surjouer le côté garçon manqué, parfaite en tout mais lisse, aurait plus tendance à la rendre insupportable et assez peu crédible.

L’interprétation du grand-père se heurte aux mêmes écueils : ce n’est pas parce que c’est l’opposant principal du récit qu’il faut en faire un homme aussi antipathique.

Aucunes nuances auxquelles se rattacher ; deux blocs s’opposent, et comme par magie, toutes ces frictions devraient disparaître lors d’un dénouement forcé dans lequel chacun serait amené à reconnaître la part cachée qu’on se refusait de voir jusqu’alors… Ridicule, pour ne pas dire vulgaire.


Paï, Niki Caro 2002 Whale Rider | South Pacific Pictures, Apollo Media Distribution, Pandora Filmproduktion


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