La désinformatrice, le satiriste et le fact-checker

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Aka, quand hoaxbuster défend Myriam Palomba face aux pitreries de Vincent Flibustier

Contexte : à l’occasion d’une émission de télévision où elle est chroniqueuse, la spécialiste de fake news et antivax Myriam Palomba lance des accusations extravagantes sur des personnalités en se faisant écho d’une rumeur antisémite concernant un produit qui serait extrait à partir du sang d’enfants. L’humoriste et vulgarisateur, créateur du site parodique Nordpresse Vincent Flibustier fait une vidéo où il lance une rumeur absurde visant à se moquer des méthodes des désinformateurs. En parallèle, un hashtag tout aussi absurde mentionne la journaliste people en collant son nom à celui du terme « pédosataniste ». Le jour suivant, Guillaume HB, créateur du site de fact-cheching hoaxbuster.com publie un tweet dans lequel il critique… non pas sa consœur habituée des fausses nouvelles, mais l’humoriste.

C’est un exemple, d’autres personnalités de la sphère zet/débunkage ayant exprimé leur doute quant à la pertinence de la démarche de Vincent Flibustier.

Je réponds globalement et brièvement à ces critiques.


La satire est tout aussi utile, voire plus, que le débunkage dans une société où les fausses informations circulent à une vitesse folle. Chacun est dans son rôle. Le journalisme pète-cul qui débunke ne convaincra que les convaincus. Vincent Flibustier utilise l’humour, l’esprit de contradiction, la caricature et la psychologie inversée. Tout cela pour rire, mais pas seulement : pour tenter de faire prendre conscience aux personnes qui sont victimes des désinformateurs quels sont les mécaniques de pensée qui les trompent.

Le débunkage apporte de l’éclairage, de la nuance. La satire imite les mécanismes à l’œuvre dans les théories des complots ou ici dans les rumeurs. Je pense donc au contraire que cette « expérience sociale et satirique » est un parfait exemple de leçon en matière de vulgarisation et d’éducation aux médias.

D’ailleurs, la situation est si grave dans ce monde où la prime est si facilement faite aux fakes news et aux désinformateurs, que toutes les propositions pour en déconstruire les mécanismes nocifs à la société sont bonnes à prendre.

Encore une fois, Vincent Flibustier est identifié comme un humoriste dont la spécialité est précisément la fake news consciente d’entre être une. Façon Gorafi. Personne ne pourra ainsi le suspecter d’autre chose que d’un canular : tout y est, le ton, la caricature, voire les vidéos suivantes où il explique sa démarche. Donc le canular a une dernière vertu : elle donne la preuve que les propagateurs de fausses nouvelles (ce sont tous ici les désinformateurs qui se sont fait un nom avec la crise de la covid) se font volontairement passer pour des victimes pour attirer l’attention de leur public parce qu’ils ne vivent que de ça. Vous préférez quoi ? Que des désinformateurs puissent en toute tranquillité répandre leurs fakes news avec des conséquences parfois graves pour leurs suiveurs ou qu’un satiriste puisse vivre de ce pour quoi on le suit : faire le clown ?

Moi je pense que les clowns ont un rôle plus bénéfique à la société que les escrocs et les usurpateurs.


Ajouts :

La caricature, la satire, la parodie ou la simple moquerie sont des armes absolument nécessaires contre les dérives complotistes. Moins pour les complotistes d’aujourd’hui que pour ceux qui pourraient en être victimes demain.

Parce que la caricature, la satire ont une valeur éducative, culturelle et historique bien plus grande que tous les efforts possibles en matière de fact-checking et de débunbkage.

Journalistes et experts tendent à décrire le monde tel qu’il est… au présent. Les clowns tendent à décrire leurs contemporains tels qu’ils sont, souvent en appuyant là où ça fait mal. Or, quand on regarde le passé, on a surtout besoin de voir des pages de l’histoire traitée par l’œil décalé des satiristes et des clowns. Il n’y a rien au monde qui explique mieux le nazisme que Le Dictateur de Chaplin. Un monde où plus aucune moquerie ne serait possible ne peut être un monde sain et libre.

En revanche, le comique de répétition a ses limites. Il n’y a aucune raison, humoristique ou autre, de continuer à se moquer de Myriam Palomba. Surtout après l’humiliation d’hier. Le complotisme n’est pas l’affaire d’une seule personne. Tu as fait ton Dictateur, change de planche à dessin et trouve une autre cible tout aussi légitime.

Puis des “gens” commentent le montage et les allusions transsexuelles dont Myriam Palomba fait l’objet :

Joli déni de réalité. Certains diraient les pires bêtises pour se faire passer pour des chevaliers blancs. Les mêmes méthodes en somme que les conspirationnistes. L’important est d’être bien vu par ceux que l’on dit défendre, mais que l’on trompe.

Ces montages font directement référence à l’intérêt que porte Myriam Palomba pour les rumeurs de ce (trans)“genre”.

Attaquer la transphobie, c’est tout à fait légitime, encore faut-il bien avant de monter sur ses grands chevaux s’assurer qu’il ne s’agit pas d’autre chose.

En revanche, oui, la répétition des moqueries à l’encontre d’une même personne n’a rien de drôle et il serait bon de changer de disque. Parce qu’à la longue, oui, la moquerie se mue en harcèlement, et beaucoup ne font même plus le lien avec l’idée d’origine qui est de caricaturer des pratiques menant aux dérives complotistes. Le harcèlement et la transphobie, là oui, on les retrouvera chez ceux qui répètent comme des idiots les blagues d’un autre qu’ils ont mal compris.

Mais ici encore, ce n’est pas le problème de la caricature, mais des réseaux sociaux.

Et :

C’est amusant ça. L’arroseur n’en finit plus d’être arrosé.

De mémoire, elle a dit : « Il y a des juifs antisémites ». On appelle ça une insinuation. Ce n’est guère bien brillant comme méthode, mais l’insinuation, c’est précisément une des portes d’entrée du complotisme.

Ou encore du confusionnisme ou du mauvais journalisme.

Dans le même genre, il y a l’insinuation portée à travers une question qui n’a rien d’innocent. La préférée des raisonnements complotistes : « Je ne fais que poser une question ».

Phrase qui par ailleurs revient systématiquement dans la bouche de Myriam Palomba pour justifier toutes les fake news qu’elle propage à n’en pas douter depuis des années et surtout depuis qu’on l’entend sur la pandémie.

Un des exemples étant la couverture du magazine dont elle est responsable sur une femme connue en évoquant la rumeur qu’elle soit un ancien homme. Un titre avec un point d’interrogation.

Myriam Palomba n’est pas journaliste, elle insinue, elle « ne fait que poser des questions ». Autant de positionnements faussement naïfs qui participent aux rumeurs et aux fake news.


Puis :

Les fact-checkers défendent leur pré carré, n’apprécient pas le clown qui parodie les complotistes et posent la question de la légitimité des clowns à venir empiéter sur leur domaine :

Le journalisme pète-cul ne pourra jamais accepter que la culture, les clowns et la satire aient plus d’impact sur les consciences que leur travail de gratte-papier.

Dénigrer les clowns, surtout quand ils aident à faire tomber les masques, ça va jamais dans le bon sens.

Et peut-être aussi que les clowns, que la satire ou la caricature à la Charlie ou à la Guignols, ça leur arrive de dépasser les bornes, de heurter, mais c’est justement leur rôle : aider à définir les limites. Parce qu’il y a une énorme différence entre quelqu’un qui n’est pas dans la dérision ou la culture et qui dépasse les norme et un clown : l’objectif premier du clown, c’est de caricaturer le monde pour lui offrir une image déformée de lui-même. La limite dépassée est un miroir qui aide à prendre conscience de ces limites.

Une caricature est toujours dans l’excès, parfois elle n’est pas du tout légitime, parfois, pour certains, elle ne dévoile rien et sert d’exutoire et se perd à tomber dans ce qu’elle dénonce. Mais, sans les clowns, ce serait pire, parce qu’ils sont parfois plus efficaces que n’importe qui d’autre à dévoiler la nature du monde de leurs contemporains pour leurs contemporains et les suivants. Et c’est peut-être de ce pouvoir que les « personnes sérieuses » luttant avec d’autres armes contre les mêmes fléaux sont un peu jaloux.


La question des limites est bien posée notamment dans cet extrait qui a largement été critiqué :

https://twitter.com/Qofficiel/status/1639361441542336514

D’une manière générale, on peut supposer qu’une des limites possibles pour avoir toute légitimité à moquer une personnalité, c’est celle du rapport « haut vers le bas » ou « bas vers le haut ». Un peu comme pour la qualité d’une source, la question de savoir qui est à l’origine du commentaire (censé être humoristique, ici) peut faire la différence. On pourra alors plus légitime de moquer les personnes favorisées que les personnes discriminées ou en difficulté. C’est aussi le souci de chercher à développer un humour personnalisé : il est sans doute plus légitime de moquer les influenceurs dans leur ensemble que deux influenceuses en particulier.

Mais imaginons qu’ici, la cible ait été les influenceuses, force est de constater que l’humour se porte davantage sur leur physique ou leur sexe et sur leur légitimité à participer à des manifestations que sur les facilités de certains de ces influenceurs à se faire du fric sur une population captive des clichés qu’ils véhiculent, par exemple. La cible était peut-être la bonne, mais ce n’était probablement pas sur leur engagement politique (moqué probablement ici pour ne pas être de bonne foi) ou sur leur physique qu’il fallait les moquer.

Est-ce qu’il faut se garder en revanche de moquer de telles influenceuses ? Non. Mais il faut le faire sur leur travail et sur l’image de la femme qu’elles véhiculent. À défaut de quoi ce n’est ni drôle, ni bien finaud. Est-ce que c’est dramatique ? Non. Mais le mieux quand on rate une blague et qu’on manque sa cible, c’est de s’excuser.

Rien à voir avec les pitreries de Vincent Flibustier : il moque les dérives d’une émission et d’une chroniqueuse qui a largement plus d’audience que lui et il caricature précisément les outils employés par la chroniqueuse elle-même directrice de média ou par la complosphère.

Ainsi, par exemple, les détournements jugés transphobes des photomontages dont Palomba a été la cible et qui ont été partagé par les suiveurs de Flibustier, sont transphobes, oui, mais c’est parce qu’ils prennent directement référence à un événement ayant tourné dans la complosphère qui laisse entendre qu’une personne publique pouvait être un homme et non une femme. Quand on joue l’Avare, on dévoile son avarice, on la met en scène, on fait l’illustre à travers des propos et des comportements.

Pour un détournement, c’est pareil (toute œuvre est par ailleurs un détournement : les auteurs ne souscrivent jamais aux propos ou actions des personnages qu’ils décrivent) : pour moquer les excès transphobes, on est obligé de les exprimer, de les illustrer à travers des propos transphobes. Mais c’est justement leur caractère caricatural qui permet de faire la différence entre ce que pense le caricaturiste et le sujet moqué qui lui tient de tels propos au premier second… C’est toujours le degré ou la nature du détournement qu’il faut apprécier. Et ce n’est pas toujours clair. Ces caricatures ne visent donc pas la communauté trans, mais les complotistes ou les tabloïds qui lancent de telles rumeurs transphobes. Le détournement permet justement d’en démontrer l’absurdité et leur caractère injuste. (En revanche, la répétition est lourde. Là encore, cela peut dépendre de l’émetteur de la caricature : parfois, ce ne sont pas des détournements, mais des moqueries à prendre au premier degré.)


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La société se moque-t-elle des victimes des pseudo-sciences ?

 

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Réponse à ce tweet :

https://twitter.com/AntoninAtger/status/1627029015360946176

Ça m’a tout l’air d’être un faux dilemme. Pourquoi devrions-nous choisir entre ces deux propositions ? Personne ne se moque, c’est consternant. Consternant surtout pour la société qui favorise ces pratiques.

Quand quelque chose dysfonctionne dans une société, on aurait tout à gagner, non pas à pointer du doigt les victimes ou les profiteurs, mais ceux que l’on charge collectivement de nous représenter et d’émettre des lois et des règles en notre nom.

Mieux, ce sont aux sociétés savantes de faire leur part de travail afin que les pouvoirs publics agissent dans le sens de la collectivité.

D’ailleurs, je suis désolé de vous dire que dans mon entourage, si j’ai connu des personnes usant de charlatanerie, je ne me suis jamais moqué, ai exprimé mes doutes, mais aucunement je n’ai pu comprendre.

Pardon, mais quand une personne se fait arnaquer par un professionnel, quel qu’il soit, fait-on reposer sur la victime le poids d’une faute supplémentaire ? Il n’y a ni à comprendre ni à moquer les victimes d’arnaques.

Donc moi je vous propose deux options supplémentaires non excluantes : Les sociétés savantes doivent sanctionner tous les praticiens et chercheurs se réclamant de la pseudo-science. Le législateur doit mieux contrôler ces pratiques afin que cessent de prospérer ces techniques.

Or, en la matière, ça n’arrivera jamais. Parce qu’en matière de santé, on estime que la charlatanerie ne doit pas être remise en question. Il faut rester confraternelles entre personnes de même caste.

On remarque d’ailleurs ce même désintérêt des personnes « bien informées » face à celles qui ne le sont pas quand il est question de la promotion ou de l’adoption des bonnes pratiques d’hygiène de vie. Les pauvres et la malbouffe, avec la cigarette, etc.

Les riches, les « personnes bien informées », se portent bien. Donc si les pauvres sont ignorants ou trop bêtes pour suivre les bonnes pratiques, de la même manière que mémé victime d’une arnaque téléphonique : c’est de leur faute !

Il y a deux options de société possibles. On cherche le bien commun. Chacun se débrouille comme il peut. Je vous laisse décider quelle option est la plus pertinente.

Zététique, quand l’excuse du classisme mène au clanisme

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Réseaux sociaux

Nouvelle entrée à faire figurer au rayon de mes explorations résosocialesques. Tout commence par une enfilade relayée par deux vulgarisateurs sceptico-scientifiques que je suis : ‘Hygiène mentale’ et Tana Louis. Je ne connais pas l’auteure du fil, ça tombe bien, j’aime bien découvrir de nouveaux contenus, et les commenter si nécessaire. L’auteure du fil est donc une Youtubeuse qui partage son expérience, et plus précisément sa réception, au sein de ce qu’elle appelle la communauté « zet ». Beaucoup de considérations personnelles et une vision polarisée de la société qui ne serait partagée qu’entre deux catégories : les privilégiés et les soumis. Étant entendu que naturellement les premiers s’appliqueraient à dénigrer et rabaisser les seconds.

Je n’ai rien contre les témoignages pointant du doigt les problèmes de classisme dans de nombreuses sociétés, notamment savantes (pas plus tard que la semaine dernière, j’ai pu voir, et ai commenté, un exemple de dénigrement de ce type sur les réseaux sociaux), en revanche, ça me paraît fort problématique quant à l’intérieur de ces témoignages on en vient autant à caricaturer des rapports de force et des situations loin d’être simples et aussi manichéens… Car de la dénonciation légitime du classisme au clanisme, il n’y a qu’un pas.

L’autre aspect qui me pose problème dans cette démarche, c’est le profil personnel de la personne qui se met ainsi en avant, pour ne pas dire « en scène ». Je l’ai découvert plus tard, mais cette Youtubeuse s’était déjà fait remarquer par le passé en accusant un autre Youtubeur de l’avoir violée. Je ne rentre pas dans les détails sordides, les histoires personnelles ne me regardent pas (j’avais été étonné de voir l’ampleur du truc à l’époque et m’en étais vite écarté) ; je ne suis pas juge, mais spectateurs. Sur la forme, en revanche, on peut remarquer que cette personne (tout autant que celui qu’elle dénonce) fait commerce, à travers sa chaîne et son compte Twitter, de sa vie privée. On pourrait se demander, à ce stade, en quoi tout cela a-t-il un rapport avec la communauté « zet », car c’est ni plus ni moins que de la téléréalité. Autrement dit la mise en spectacle d’affrontements purement personnels auxquels on demande au public de prendre parti (on remarquera que le génie de l’Internet 2.0 ayant pondu le phénomène metoo est probablement l’héritier du même génie populaire mais télévisuel qu’étaient les émissions de téléréalité).

Car pour se convaincre qu’on est loin de la zététique, un petit coup d’œil sur la première page de la chaîne indique que l’objet des vidéos est en réalité un sujet que le nom de la chaîne met d’ailleurs très bien en exergue : ‘Concrètement moi’ (moi je, moi, moi, moi). Et ce qui saute rapidement aux yeux, c’est le visage de l’auteure de ces vidéos présent sur toutes les capsules. On ne peut pas être plus clair. Ce qui n’est pas mal en soi d’ailleurs, cela donne juste une indication sur la nature du contenu.

Si la forme laisse assez peu à désirer, regardons le contenu. Malheureusement, il fallait s’y attendre, toutes les vidéos sont dans le même ton que l’enfilade sur Twitter : des plaintes et du ressenti. Autant dire, qu’on est un peu à l’opposé de ce qu’on pourrait attendre d’une chaîne sur la zététique. Car ce n’est pas sur la zététique, mais sur « mon histoire avec la zététique » et « mon histoire avec les zététiciens ». Tout comme son premier fait d’armes avait été une série sur son « histoire de viol avec un autre Youtubeur ». Rien de mal en soi toujours, on est sur YouTube, il faut souvent incarner un personnage pour fidéliser un public et lui faire découvrir des sujets de la manière la plus ludique possible. Rien de mal donc sauf que c’est très mal fait, que cela a un intérêt très limité parce que le contenu est en réalité très pauvre (un spectateur comme moi n’y apprend strictement rien, et pour cause la personne en question n’est pas une spécialiste, mais, on pourrait dire, une fan). Et la personne en question particulièrement antipathique : se plaindre sans cesse, se perdre en permanence dans des ressentis personnels, des références à telles ou telles personnes, aucun travail de mise en forme (un paradoxe pour un contenu qui s’attache autant à la mise en forme), bref pourquoi devrais-je m’infliger un tel supplice…

Je me l’inflige parce qu’en réalité cette exposition est symptomatique d’une époque et d’une société qu’on trouve sur les réseaux sociaux ou le contenu n’a en réalité aucun intérêt et où tout passe par la personnification, le culte de soi et l’indignation permanente qui doit se trouver chaque jour une victime à soutenir et un bourreau (à défaut, un groupe social) à dénoncer. Et ce qui a suivi ne fait que renforcer ma conviction qu’au-delà de problèmes sociétaux bien réels, on adopte des comportements non pas (ou pas seulement) fortement influencés par notre classe sociale, mais par le groupe auquel on se définit ou cherche à appartenir. Du classisme au clanisme.

Voici la réponse que j’avais postée :

 

De tout ce que j’ai vu depuis quinze ans que je butine ce que tu appelles des “mets” sans en être, c’est qu’il n’y a pas de communauté. Ça va des forums plus ou moins de sciences aux contenus vidéos en passant par les associations. Il n’y a donc pas de communauté, mais des communautés se rapprochant plus ou moins à ce qu’on pourrait définir comme des « zets ».

C’est vrai que les profils que tu décris sont largement surreprésentés. Toutefois, je remarque aussi systématiquement le même type de profils chez les femmes : soit des femmes qui surjouent la scientiste obtuse* et qui adoptent les comportements que tu décris (et pour être franc, de mon côté, je ne vois pas de domination des hommes, pourtant majoritaires, dans ces comportements), soit des femmes qui se plaignent de fournir des contenus mal perçus par une soi-disant commu. Et chaque fois, ce qui m’a mené à tomber sur ce type de contenu, c’est venu du partage d’un ou plusieurs « gros poissons » connus pour leur empathie envers les créateurs de l’ombre.

Parce que je vais être franc : en même pas deux minutes sur ta chaîne, ce qui saute aux yeux c’est que pour quelqu’un de curieux comme moi, ton contenu propose aucune plus-value ou intérêt particulier.

Il faudrait peut-être que les personnes comme toi cessent de se plaindre qu’ils sont mal reçus par la commu ou invisibilisé parce que tes paires, manifestement, te mettent en avant. Si ton contenu par ailleurs n’est pas vu, c’est tout simplement parce qu’il n’est pas de qualité.

Je veux bien croire qu’il y ait des biais parmi les personnes qui regardent ce genre de vidéos, ou que, c’est un fait, la plupart des créateurs et visionneurs soient des hommes. En revanche, je suis sûr d’une chose : si un contenu est bon, quel que soit l’âge, la couleur, le sexe la formation ou même les divers petits défauts que chacun peut avoir et qui pourraient sembler être un frein au départ, eh bien ce contenu trouvera sa place sur YouTube ou ailleurs.

C’est la loi du nombre sans doute plus que celle des discriminations. Avant de trouver du contenu proposé par des femmes qui soit en même quantité que celui des hommes (je ne parle pas de qualité parce que du contenu de qualité proposé par des femmes eh bien il y en a et à ce moment-là, désolé, mais je me fous du sexe, de l’âge ou de la couleur de la personne), il faut commencer à voir plus de femmes s’intéresser à ces domaines. A faire comme tout le monde : avant de proposer des contenus, en être consommateur.

Arrête de chercher à t’insérer dans une commu qui n’existe pas. Propose du contenu de qualité. Ce qu’on, désolé de le dire, ne trouve pas particulièrement sur ta chaîne où la première chose qui saute aux yeux c’est ton visage en gros plan sur toutes les vidéos. Ton sujet, ton centre d’intérêt, c’est pas la “zet”, c’est toi. (Faire une vidéo et une enfilade pour te plaindre de ta réception auprès d’une commu qui n’existe pas mais à laquelle tu tiens tant appartenir n’en est qu’un exemple parmi d’autres.)

 

* Et à y repenser, je rapprocherai son profil plutôt à celui d’un Esteban à qui j’avais consacré déjà cet article : L’histoire du canard à trois pattes qui voulut se faire plus gros que le bœuf. Un profil de personnes avides de reconnaissance, obnubilées par l’opinion des autres sur leur personne, narcissiques maladifs (attention whores), rappelant à envie que les échanges les épuisent émotionnellement mais incapables de s’en défaire, et paradoxalement soumises aux postures d’autorité remarquant leur présence (tous deux sensibles au discours de deux Youtubers connus leur adressant la parole) (alors même que le cœur de leur discours est de pointer du doigt l’injustice des « sachants » à leur égard, ou des stars du milieu résosocialesque dans lequel cherchent à peser). On obéit peut-être un peu tous à un certain niveau sur les réseaux sociaux à ce profil, vu que tout y est fait pour favoriser un culte des échanges et du « moi », mais certains y sont manifestement beaucoup plus sensibles. Et on a foncièrement tort à mon avis d’encourager leur dépendance toxique à ce miroir aux alouettes que sont les réseaux sociaux.


Ce qui m’est donc reproché ici, c’est mon manque d’empathie. Je le reconnais : ce n’est pas nouveau, quand je commente un contenu, je mets de côté les sentiments (du moins j’essaye). Les miens comme ceux de celui ou celle qui pourrait être amené à lire ces commentaires. Je revendique, je commente, j’analyse, le plus froidement possible. Pourquoi ? Parce que je chercherais à adopter un comportement faussement « sceptique » ? Non, c’est parce que j’ai fait mes classes au théâtre, et que j’ai compris très vite que pour avancer il fallait être capable de recevoir la critique aussi dure soit-elle à recevoir. Les compléments, surtout quand ils sont hypocrites, ne vous amènent jamais à apporter un regard différent sur ce que vous faites. Il n’est pas question d’être dur ou froid pour le plaisir ou par manque d’empathie, mais d’essayer de se rapporter à des éléments factuels, voire personnels mais reliés à une perception du spectateur, pour être utile à la personne qu’on critique. Je ne suis d’ailleurs moi-même pas tout à fait exempt d’émotions, car je n’ai aucun souci à exprimer, en tant que spectateur ou créateur de contenu, mon agacement face à l’existence d’un tel contenu. J’ai le même type de réactions quand je commente sous le partage d’une vidéo où Thomas Pesquet partage une vidéo avec deux Youtubeurs décérébrés, mais c’est tout à fait mon droit d’exprimer, en tant que spectateur, ma désapprobation.

Est-ce du dénigrement ? Sans doute. Mais si je prends souvent cette liberté, c’est que j’estime aussi que c’est un luxe d’être commenté. Certains voudraient qu’il n’y ait que des commentaires positifs, pourtant, ce type de personnes n’existe et ne vit qu’à travers les polémiques auxquelles ils sont toujours à l’origine. ‘Concrètement moi’ augmente sa popularité sur les réseaux en faisant une vidéo et une enfilade sur sa mauvaise intégration dans le milieu masculin et bourgeois de la zététique, c’est mon droit le plus naturel d’y poster une contradiction et d’estimer que la prétendue mauvaise intégration dont elle a été victime est plus le résultat de la qualité de son contenu que de la classe sociale à laquelle elle appartient. Admettons que son sexe, niveau culturel ou bagage scientifique aient pesé dans sa réception compte tenu des clichés propres à cette société, si son contenu est pauvre, mal fichu ou hors de propos, cela ne rendra jamais son contenu utile à la communauté à laquelle elle veut appartenir. Car dans une société, en réalité, c’est inexact de penser que l’on se vaut tous : l’expertise ici me semble être un facteur important dans l’autorité qu’un de ces membres peut acquérir auprès « des siens ». Mettre en avant les contenus par exemple de la chaîne ‘Scilabus’ parce qu’elle pourrait éventuellement souffrir d’une moins bonne visibilité que d’autres vulgarisateurs (éventuellement, parce que ça ne me semble pas être le cas), cela pourrait être justifié parce que son travail est de qualité. Promouvoir des contenus faibles de personnes qui par ailleurs pourraient tout à fait souffrir des clichés liés à leur classe, sinon accentuer ces clichés, je n’en vois pas l’intérêt…

J’en viens aux réactions, car elles sont pour le moins là encore symptomatiques de ces comportements de groupe qui visent à exclure des éléments perçus comme nuisibles afin de cimenter ou renforcer une entente nouvelle de groupe. On remarque ça d’ailleurs dans toutes les « communautés » sur les réseaux sociaux : plus on vient à s’exprimer et découvrir des affinités ou des contradictions, plus un groupe auparavant perçu comme uni tendra à se scinder.

On avait donc ici un groupe (ou au moins perçu comme tel, car à mon avis, il n’existe aucune communauté de ce type) de zététiciens qu’on oppose entre eux : c’est selon les époques ou les circonstances, parfois on pose les zététiciens tenant de la science dure aux zététiciens tenant des sciences sociales, ici on a donc une opposition entre un groupe de zététiciens dominants ou oppresseurs appartenant à un même groupe social et un autre groupe de zététiciens qui serait brimé par les membres du premier groupe.

Il est ainsi amusant de faire remarquer la systématisation du rabaissement, dénigrement, moquerie ou insultes par un même groupe (qui se connaissent tous, se suivent, font autorité parmi une certaine « société » et qui sont par ailleurs « adeptes » de la bienveillance prônée par leur maître à tous : ‘Hygiène mentale’) par ce même groupe se plaignant de tels comportements de la part d’un autre groupe censé les opprimer.

Et j’en ai fait l’expérience après mon commentaire. J’aurais un profil évoquant explicitement l’appartenance à ce « groupe » de dominants, va encore, mais j’ai un pseudo — comme deux prénoms — auquel je tiens, qui est épicène, ma photo de profil représente une actrice qui danse, rien n’indique que je suis donc un homme ou que j’appartiens à un quelconque groupe de zététique dans mon profil, et j’avais donc même précisé suivre tout ça de loin depuis des années sans en être. Mais le simple fait de ne pas aller dans le sens de celle qui revendique son statut de victime et en fait commerce, est pour eux la marque que j’appartiens bien au groupe désigné comme oppresseur. Ce qui est surtout la preuve d’une instrumentalisation de la place de victime à des fins personnelles.

Le statut de victime, une posture ici, vous assure une adhésion rapide du peuple. Une adhésion dont on espère tirer profit. C’est aussi un signe révélateur qu’ils n’auront jamais à remettre en question ni la mise en scène grossière de la victimisation de l’une d’entre eux ni mon appartenance au groupe dominant car ça ne collerait pas tout à fait avec le narratif qui consiste à prétendre que le monde des zet est séparé en ces deux catégories et qu’aucun autre juste milieu n’est possible ou mise en doute de la parole de la personne qui se plaint, comme le fait d’accepter que des clichés puissent circuler mais ne pas être convaincu que celle se présentant comme en étant victime le soit vraiment. Non, impossible. Dans la dénonciation du classisme chez les zets comme dans le mouvement metoo, on ne discute jamais la parole de la victime ; refuser de prendre parti et par conséquent douter devient en soi suspect et ouvre à la possibilité de toute mise en accusation comme réponse. Si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous. Un principe fondateur des totems de l’idéologie (expliqué dans cet article).

On a donc ainsi cette première réaction de Gaël Violet, un bonhomme qui a plus de mille abonnés (c’est moi le dominé dans ce secteur) et qui se présente comme rédacteur d’un blog de zététique :

Jusque-là, ça va, je fais une différence entre définir les propos de quelqu’un de « conneries » et dire que c’est un « con ». Mais puisque je trouve ça ironique venant de personnes prônant la bienveillance, je réponds (toujours succinctement comme je sais le faire dans une série de tweet — pour moi-même) :

Accessoirement, voilà pourquoi je préfère palabrer dans mon coin sans souci d’être lu (et quand je le suis d’être moqué). Je trouve très touchant cette nécessité qu’ont certains d’appartenir ou de se créer des communautés fictives et ainsi de se trouver le besoin de se serrer les coudes en ayant ainsi aucun souci à adopter des comportements qu’ils réprouvent chez les autres. Je le redis : je n’aime pas les communautés parce qu’elles nous enferment dans ce type de comportements [sectaires].

Les réactions sexistes décrites dans l’enfilade en question appartiennent à un même type de comportements et d’usages qui sont propres aux communautés, toutes les communautés. C’est ce que j’explique perso à travers ce que j’appelle les « totems de l’idéologie ». On s’invente des ennemis qu’on aime croire qu’ils appartiennent à une même idéologie, et pour lutter contre ce réflexe de protection, on se retrouve auprès d’une même “communauté” et de mêmes totems autour d’une idée, d’une identité, que l’on croit commune, ou de symboles : des idéologies.

Ici, ceux appartenant à la commu des “zets”, ou qui s’y identifient, voient en mon commentaire une attaque [d’un de ces oppresseurs]. N’ayant aucune visibilité et étant difficilement identifiable à une communauté opposée (je « danse sur les tables », une communauté assez restreinte), ceux amenés à lire ce commentaire l’ignoreront, mais d’autres se feront un devoir d’illustrer ce qui est décrit dans l’enfilade d’origine décrivant ces dérives sexistes, mais appliqué cette fois à un individu jugé par ailleurs tout aussi inférieur (dans leur esprit) et dont on se pensera ainsi avoir toute légitimité à rabaisser pour se sentir unis et plus forts (contre).

Un coup d’épée dans l’eau, mais ça fait toujours du bien une petite pique envers un plus faible que soi.

Pourquoi mon enfilade précédente était-elle justifiée ? Parce que je ne suis personne justement. Je n’appartiens à aucune « commu zet », je juge du contenu comme peut le faire n’importe quel visionneur qui habituellement regarde sans rien dire (ou pas, mais moi je prends soin d’expliquer pourquoi je ne suis pas d’accord ou pas intéressé au lieu d’insulter ou de dénigrer en une phrase).

Qu’est-ce qui me donne [encore] la légitimité de répondre ? D’une part, je n’appartiens pas au type de personnes visées (ce n’est pas un simple dénigrement sexiste qui est décrit mais un rapport d’inférieur à dominé) : je suis un nobody qui donne son avis à une personne qui a cent fois plus de visibilité que lui et qui se plaint d’être une nobody dans la « commu des zets ». Je ne lui fais donc pas sentir sous mon commentaire tout le poids de ma supériorité supposée afin d’écraser un peu plus son complexe d’infériorité, je lui dis qu’en tant que public de ce genre de contenu de se concentrer sur [une] production [zet] plutôt que sur la perception qu’auraient ses paires (qui ironiquement la mettent en avant) de son travail. Tu veux être perçu comme un producteur de contenu zet ? Produis du contenu zet de qualité au lieu de créer un contenu sur la perception de ton contenu…

D’autre part, il se trouve que je suis également créateur de contenu. Non pas zet, mais d’autre chose. Je n’ai par ailleurs aucune visibilité et donc autorité dans le milieu, ou la commu, auquel je devrais appartenir. Et il ne me viendrait jamais à l’idée de me plaindre de la réception ou de la non-réception de mon contenu. Je ne cherche pas à appartenir à une commu, je pense même avoir fait comprendre que je m’en gardais bien, parce qu’en tant que créateur de contenu, j’estime primordial de m’attacher à ce contenu et non à la réception de ce contenu. On appelle ça la passion. Être créateur de contenu, c’est être passionné par ce qu’on fait, pas chercher à jouir d’une situation ou d’une autorité qu’on viendrait alors regretter ne pas avoir [si c’était le cas], tout en se plaçant dans une position de victime [dans le but de s’attirer les faveurs cette commu].

Quand on se fout du regard des autres et qu’on produit quelque chose, on est focalisé sur ce qu’on fait, et si les lauriers doivent venir ils viendront. Ce qui est déplacé, ce n’est pas quand on est un nobody d’exprimer son désintérêt, mais de quémander de l’attention quand on estime ne pas en avoir suffisamment alors qu’on ne produit rien par ailleurs. Un créateur, ça crée, et ça ferme sa gueule. (Si je l’ouvre, c’est que mon rapport à l’autre, ou au monde, c’est un peu le sujet, ou l’angle, de mes productions.)

Raconter n’importe quoi, faire beaucoup de commentaires, danser sur les tables dans une bulle à neige, c’est donc mon fonds de commerce. On ne saurait me faire [ainsi] meilleur compliment. Et quand la neige aura cessé de tomber, je me figerai dans le silence. Fin.

Ah, et j’ajoute qu’évidemment, ma réponse est masquée sous son tweet. Les totems de l’idéologie, c’est aussi invisibiliser sur les réseaux sociaux les commentaires n’allant pas dans le sens du vent. [suppression d’une phrase idiote] [oui, je pourrais tout autant tout supprimer, mais j’aime archiver]

En revanche, se démener pour prétendre qu’on est victime d’une certaine classe sociale dans un milieu, ça expose pas mal : en quelques jours, elle gagne des centaines d’abonnés. Y a pas à dire, l’indignation, l’affichage, ça rapporte mieux que la qualité d’un contenu.

Et là, on retrouve en effet le dédain fièrement affiché par ces mâles privilégiés quand ils s’expriment à des personnes qu’ils estiment être de moindre valeur qu’eux (un dédain dont j’avais déjà fait l’expérience avec un neurologue du Net qui s’était de manière assez peu habile aventuré dans un commentaire cinéma : ici)

Le bonhomme me pourrit ailleurs en répondant à une autre personne, je lui fais alors comprendre que je garde archivées ce qui devient des insultes.

Quand on me dit ne pas vouloir recevoir de réponses, en général je n’insiste pas. En revanche, continuez à m’insulter publiquement et vous ne ferez que vous délégitimiser. Pour archivage, monsieur zet :

(Tout cela parce que j’ai livré un avis négatif envers une de ses copines. Tu le sens le clanisme pour défendre un des siens quitte à aller contre les principes qu’on défend et contre les comportements rabaisseurs dont on se dit être victimes ? Le clanisme tue la cohérence des pourfendeurs du rationalisme — comme tous les clanismes, on ne s’attaque ni aux totems ni à leurs zélateurs.)

Et comme, monsieur zet n’aime pas qu’on lui mette le nez dans son caca, il m’insulte de plus belle.

Fascinant ce spécimen venant à la rescousse d’une femme en danger en insultant une autre personne. Ça me rappelle un acteur fameux. On ajoute donc ceci puisque le garçon semble y tenir :

Et puis, il y a ça :

À quoi je réponds amusé :

Ah, ah, c’est nouveau ça. Je suis un oppresseur qui opprime une personne avec plus de trois mille abonnés. Vous prenez tellement au sérieux votre science de la victimisation que vous en venez à traiter les nobody d’oppresseur.


Entre-temps, Madame ‘Concrètement moi’ lit mon long commentaire et fait ce qu’elle fait de mieux : se plaindre d’être mal traitée. (J’aurais peut-être dû expliquer qu’elle n’est pas la seule créatrice de contenu à qui je donne un avis… Car non, donner un avis contraire ou négatif, ce n’est pas « rabaisser ». Period.)

Tout cet étalage de faux sentiments, s’en est troublant. Ces imposteurs disent qu’ils souffrent, puis passent à un autre commentaire sur Twitter comme si de rien était. Étrange conception de la souffrance : les commentaires Twitter me font souffrir donc je continue de lire des commentaires sur Twitter, et puis je souffre, mais tout de suite après je ponds un autre thread pour me plaindre à travers lequel aucune souffrance ne transparaît. Fascinant.

On appelle ça du chantage affectif. Ou de l’imposture, au choix.

Voilà ce qu’elle pond ensuite pour se plaindre auprès de sa communauté (on est en plein dans la logique metoo cela dit — ah, et j’insiste pour que ce soir clair : on peut, et on doit, questionner ce mouvement de dénonciations publiques, tout en étant contre les violences ou discriminations sexuelles ou sexistes ; se plaindre ne fait pas de vous automatiquement une victime, c’est la base du droit et de l’impartialité.)

Ce n’est pas à moi qu’elle répond afin d’alimenter un nouveau thread de plaintes et de fausses souffrances, mais ç’aurait pu.

Non, tu souffres alors qu’on n’est pas d’accord avec toi, ce n’est pas notre problème, on n’est pas là pour gérer tes souffrances personnelles surtout quand tu montres aucun indice de cette prétendue souffrance. Quelqu’un qui souffre ne passe pas son temps sur un réseau social. Un réseau social est un lieu d’échanges, si certains commentaires ne nous conviennent pas ou nous font souffrir, on n’y répond pas. Se servir de ces commentaires négatifs pour alimenter une nouvelle salve de complaintes et de likes, c’est ça l’indécence. Pas y répondre négativement. Parce qu’il faudrait peut-être apprendre que quand quelqu’un s’expose ainsi, ça n’a qu’un but : vous soutirer indûment des émotions et de l’attention.

J’y plante donc mon dernier commentaire :

Arrêtez de vous faire abuser. Cette femme va très bien, elle cherche piteusement votre attention en usant de chantage affectif. Elle voit que plus vous soutenez son chantage, plus elle gagne en visibilité. Pas très zet tout ça. Exemple de l’absurdité de sa démarche. Lunaire :

Et là, une autre zet du clan à 1400 abonnés, Dominique Vicassiau (autre contact d’Hygiène mentale, gourou de la zet bienveillante — envers soi, pas envers les autres), répond (et récolte les likes pour son infinie bienveillance et rationalité sans doute, à moins que ce soit du clanisme) à un commentaire qui me répondait :

J’aurai droit au même meme. La zet bienveillante, c’est donc ça, dire à des petits de fermer leur gueule. Comment dire… c’était bien la peine de nous pondre toute une vidéo et tout un fil pour nous expliquer en quoi la zététique était remplie de dominants malveillants envers les petits pour nous en donner exactement l’illustration. Qui est pris qui croyait prendre. Plouf.


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Rationalisme et scepticisme, méthode scientifique, doute

 

 

 

 

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Réponse apportée à la question du scepticisme

Il faudrait sans doute commencer l’apprentissage des sciences par le commencement, c’est ça qui est un peu idiot et qui entraîne des comportements assez peu “conforme” à l’esprit scientifique. L’histoire des sciences (et donc des “paradigmes”), la logique, les pièges de la rhétorique, les biais cognitifs, l’histoire des supercheries, l’épistémologie, etc. En fait, on commence par les mathématiques, ce qui est une base logique (elles mènent à la philosophie et à la physique) et très vite apparaît l’enseignement de la physique ; c’est un peu un contresens. Si tu n’enseignes pas le doute, l’esprit de recherche, la connaissance de l’importance des erreurs dans l’histoire, tu es incapable d’avoir ce recul “sceptique” sans quoi il n’y a pas de méthode scientifique. On enseigne aux petits la physique comme on enseigne le coran dans une madrasa, ce qui peut bien sûr provoquer par la suite une approche dogmatique de leur pratique.

Cependant, il me semble que la recherche se fait en équipe et que dans une discipline particulière on parle toujours de « communauté scientifique ». Or, si individuellement, on peut imaginer que certains éléments de cet ensemble puissent manquer de “scepticisme” (pour faire court), il n’en reste pas grand-chose au niveau du discours “officiel” (comme aiment à le décrire certains), c’est-à-dire quand la “communauté” s’entend sur un consensus. On peut difficilement penser qu’à ce niveau, il reste encore des dogmes, l’expression d’intérêts ou de biais personnels. La question des “scientifiques” a surtout un sens quand on la comprend entant que communauté, parce que prise individuellement, finalement, si certains ont des “croyances” ou manquent de discipline rationnelle, il n’en restera rien dans ce qui est essentiel pour la recherche : l’expression d’un consensus (et avec cette idée de consensus, c’est déjà les idées de dogme, d’aboutissement, de certitudes, qui volent en éclats). Si l’ensemble de la communauté respecte les principes de la méthode scientifique, il n’y a aucune raison de penser que cette communauté puisse dans son ensemble manquer de scepticisme. Après, il y a peut-être une différence fondamentale entre sciences dures et sciences humaines…

Il y a une confusion souvent en français avec le terme de “sceptique” qui dans le langage courant signifie “douteux” et qui pour les « sceptiques scientifiques » seraient plus synonyme de “scientisme” (perso, je préfère parler de scientisme quand on est dans le dogme, à l’absence d’ouverture, donc le refus de toute possibilité de “doute” — une des grandes “vertus” pourtant de la science est d’être capable de dire qu’elle n’a pas réponse à tout, ou qu’elle ne sait pas, on ne sait pas encore avec certitude) ou de zététique.

N’étant pas scientifique moi-même, j’essaie d’appliquer ce “scepticisme” dans mes “croyances” personnelles et cela jusqu’à la perception de l’art et en particulier du cinéma, et là aussi on me reproche souvent mon “nihilisme”. En l’occurrence ici, en l’absence de méthode ou de paradigme, chacun forge un peu tout seul ses propres conceptions, et on se heurte trop souvent à celles des voisins (mais c’est bien cette absence de “canon” qui participe à l’intérêt de l’art, et ça ne me semble pas si éloigné de la science, chaque artiste devant chercher à créer sa propre cohérence à l’intérieur de son œuvre).

En revanche, les reproches faits aux sceptiques scientifiques vont très souvent bien au-delà de leurs certitudes. Bien sûr, le scepticisme n’est pas une discipline en soi ; c’est une posture, une méfiance rationnelle, qui se veut rigoureuse, une modération, un recul… (une forme d’ascétisme, si j’osais). Il doit donc se pratiquer dans sa vie de scientifique, tous les jours et pour toute chose, en particulier quand il est question de juger de son propre travail et de celui de ses pairs. Mais pour les côtoyer parfois en dehors de ce cadre (encore une fois je n’ai aucune formation scientifique), ils sont surtout amenés à s’exprimer, ou à exprimer ce “scepticisme” dans le cadre des discussions scientifiques ou pseudo-scientifiques ouvertes à tous et qui se sont multipliées depuis Internet. Or là, il y a de très nombreuses critiques à faire concernant ces “dialogues” ou “échanges” qui vont donc bien au-delà des simples certitudes de quelques-uns. D’abord, l’expression de ce “scepticisme” s’exerce le plus souvent en dehors de leur champ de compétence (on ne sait d’ailleurs jamais qui est spécialiste de quoi, et souvent les intervenants n’ont aucune formation particulière — ça a en revanche une vertu, celle d’échapper à pas mal d’arguments d’autorité, même si au final, l’autorité devient celle de la renommée — ce n’est donc pas forcément mieux). On peut voir ça comme un problème parce qu’on entend souvent dire qu’on est “sceptique” dans un domaine qu’on connaît, a fortiori dans son domaine de prédilection ou sa spécialité, et qu’on peut ne pas l’être dans un tout autre domaine (par manque de connaissance, à cause de préjugés, etc. ici les scientifiques dans des domaines qui ne sont pas les leurs ne seront pas forcément mieux armés que les non scientifiques — c’est en tout cas une forme de scepticisme qu’ils expriment souvent eux-mêmes). Par ailleurs, on peut voir ces échanges interdisciplinaires comme des pratiques ou des exercices enrichissants justement parce qu’ils permettent d’être confrontés à des logiques ou des méthodes différentes (donc prendre du recul sur ses propres pratiques, avoir un regard critique sur sa discipline, etc.) On peut donc voir ça comme des forums (au sens presque premier) où tout sujet devient prétexte à un exercice d’échange, de débats, et… d’engueulades. Plus que des certitudes, ce qui leur est reproché, c’est surtout une absence de volonté d’échanger, d’expliquer ; et ça peut se comprendre, avec des pseudoscientifiques ou des naïfs venant faire part de leurs interrogations (ou formidables découvertes). Le “scientifique” ici finit par manquer de patience et peut donner en effet l’impression qu’il a la tête faite de plein de certitudes ; mais je pense que c’est surtout une fatigue de devoir « faire la leçon » à des apprentis savants, des rigolos, des ignares, et même souvent des fous. Or — et là je me fourvoie peut-être complètement — mais il me semble qu’il y a là, dans ces échanges, un formidable outil de promotion, à la fois de la science, mais aussi et surtout de l’esprit scientifique, de la rigueur, du “cartésianisme” (au sens populaire). Et Dieu sait si notre monde fourmille d’idées à la con, de croyances rigolotes mais potentiellement dangereuses, et pour lesquelles ces échanges, parfois confus, qui n’ont évidemment rien de scientifiques (et souvent même rien de sceptiques, il faut être honnête — il y a des idiots partout, les “sceptiques” n’échappent pas à la règle), sont des mines.

Cet enseignement, ce savoir, si on ne nous le transmet pas dans les premières années de notre vie (on a bien des cours d’éducation civique, on pourrait aussi avoir des cours d’éducation logique…), il n’est pas inutile de pouvoir découvrir certains principes plus tard, si ce n’est donc à travers une pratique sérieuse de la science, à travers de tels “forums”. Étant “littéraire” à la base, je peux dire que je n’ai eu aucune de ces notions qui sont propres à la méthode scientifique ; et les découvrir, même en simple observateur, en dilettante, je crois, entant que citoyen ou qu’homme, m’a été très utile (même si bien sûr, je serai toujours incapable de raisonner avec une logique “scientifique”).

Peu importe donc si certains effectivement font preuve de certitudes, d’un faible esprit pédagogique, manque de patience, ou se révèle comme certains pas du tout “sceptiques”. L’important en les côtoyant est de s’interroger sur soi-même sur ce à quoi on croit, sur notre capacité à douter, sur notre capacité à reconnaître certaines erreurs, certaines méprises, les supercheries, à se pousser à raisonner rationnellement, justement en évitant les certitudes… Et pour reprendre la phrase que je citais précédemment, là où ça devient intéressant, là où les “sceptiques” et de manière générale les “scientifiques” deviennent encore plus utiles (ou font comprendre leur utilité — combien de fois on peut entendre dire « à quoi ça sert ces trucs, franchement ? »), c’est quand ils appliquent leur scepticisme… non pas à eux-mêmes, mais aux autres. Pour les autres, pour la collectivité, pour la connaissance (populaire). Qu’ils soient sceptiques, j’aimerais dire « j’espère bien ! c’est la moindre des choses », mais qu’ils aident la société à l’être un peu plus, voilà qui devient “intéressant”.

(J’ai essayé de faire un effort de concision au début, et puis… Comme j’ai souvent les idées qui se faufilent sur les routes comme un grand jour de départ en vacances, c’est l’embouteillage.)


 

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L’Irrationnel, Françoise Bonardel

C’est amusant de voir un sujet transformé (l’irrationnel) en procès contre les rationalistes. Curieux angle d’attaque : on utilise un terme utilisé par ses détracteurs (les rationalistes) pour le dégommer de l’intérieur, et cela avec la carte « je fais de la philo donc je suis légitime ». Bravo Que sais-je. Mais ce n’est pas de la philosophie, c’est un hymne à l’ignorance et à l’obscurantisme, du prosélytisme maquillé en histoire de « l’irrationnel ». Ma mère à couper que l’auteur ne renierait pas la psychanalyse, tiens (il aura fallu attendre que la page 24 pour trouver une référence à Freud — avec le « fameux complexe », et puisqu’il est « fameux », il est forcément vrai, hein.

L’auteur critique d’abord la notion même d’irrationalité dont elle signale le côté « négatif » car exprimé le plus souvent par les « rationalistes » (nommés parfois « scientistes »), à l’image des conspirationnistes qui refusent de se désigner comme tels parce que c’est l’étiquette que leur ont mise dans le dos, bah (ou beh-he)… ceux qui sont « des moutons » ou des naïfs.

Autre belle connerie. Les rationalistes nient la possibilité d’une cohérence à l’intérieur même de ces fantaisies « irrationnelles » (on va éviter le substantif, ça semble l’énerver la dame). Ce qui revient à dire que si l’univers de Tolkien est parfaitement cohérent (ou tout autre monde cohérent en dehors du nôtre, le seul, l’unique, celui des méchants dictateurs de la déesse raison) il est digne d’être étudié autrement que par les seuls fans… Bah, oui OK, sauf qu’on sait que… ce n’est pas vrai, on n’y croit pas. L’astrologie, quand on lui reconnaît une cohérence propre, c’est implicitement reconnaître… « que ça marche ! ». Parce que si Tolkien vend du rêve, les astrologues vendent de faux espoirs. C’est la différence entre un Houdini qui fait de la magie où implicitement on sait qu’il y a un truc (en gros on sait qu’il se fout de notre gueule et que c’est un escroc, mais il nous met au défi de trouver comment il nous berne) et d’autres magiciens prétendant avoir un savoir ou un talent occulte susceptible de dévoiler à ses spectateurs (ou victimes) un autre monde et donc de leur offrir des clés pour appréhender autrement, mieux, le monde réel. Le premier (Houdini), trompe en parfaite connaissance de cause (c’est le principe de tout spectacle, de l’art) ; le second est un escroc.

Autre argument, je cite : « certains de ces corps de doctrines ésotériques et traditionnels (mancies, astrologie, alchimie) qui continuent à interpeller la rationalité. » Hein ? Elle sort ça d’où ? Il n’y a rien qui interpelle dans des pseudosciences incapables de faire la preuve de leur efficacité. Oui, l’astrologie, c’est joli, complexe, fabuleux, amusant…, et ça peut interpeller… Comme Tolkien. Mais tant que cette supposée cohérence reste propre à un univers détaché de la réalité, aux prétentions invérifiables, ça n’interpellera pas grand monde.

Ah, ah la lutte contre « l’irrationnel » ne pourrait être raisonnable et rationnelle que si on quitte le terrain passionnel… de l’idéologie. (Je paraphrase très légèrement). L’argument habituel du zozo face aux rationalistes : « non mais merde, le rationalisme, c’est de l’idéologie ! » Les cathos ne font pas autre chose quand ils disent que « l’athéisme » c’est la croyance qu’il n’y a pas de dieu. Heu ben non, ce n’est pas une croyance. Bel hymne à la bêtise et l’obscurantisme. Bravo.

L’irrationnel est un pseudo-concept. Ah, ah, c’est la chandeleur.

Enfilage ensuite de platonicités gonflantes, ou comment en mettre plein la vue à ses lecteurs en citant des mecs hâchement intelligents morts depuis perpette, qui n’ont rien connu des connaissances des Lumières jusqu’à aujourd’hui, et qui pourtant devraient être pris au sérieux quand il est justement question de chasser les obscurantismes… « Attends, je t’explique pourquoi là, le type, tu le vois hors-jeu, mais je te dis qu’il ne l’était pas : relis les règles du hors-jeu de 1929, tu comprendras — je te le traduis, c’est en hongrois flamand ». Ou encore, non, non vous avez tort, selon les lois de Ptolémée, c’est le soleil qui tourne autour de la terre, attends, je t’envoie un lien Youtube où Ptolémée explique lui-même sa conception du monde — et il est plus vieux que Copernic donc il a plus raison.

« le rationalisme […] se présente comme l’étonnante superposition d’une foi croissante en la Raison, faisant en maintes circonstances figure de théologie déguisée ». Ah, ah, joyeux délire.

Pas un mot sur la science. Pour elle l’opposition de l’irrationnel et de la rationalité, c’est celle des artistes, des tolérants et des bons philosophes (moralistes) face aux théologiens du rationalisme. Pour faire le procès du rationalisme, autant choisir ses témoins : ce seront donc les Grecs. Et donc, pour les rationalistes ayant modifié notre monde et nous ayant offert une plus vaste compréhension de ce monde, rien. Parce que c’est bien le problème, la science, donc la raison, est-elle capable de mettre les astrologues ou autres conneries irrationnelles face à leurs incohérences ou encore leur demander de fournir les preuves de ce qu’ils avancent. Quelle impertinence de la raison, quelle intolérable requête… Voyons, l’irrationnel est raisonnable parce qu’elle est ancienne et fameuse (je peux bien envoyer un épouvantail quand son texte fourmille d’arguments d’autorité du genre « le fameux » répété bien une demi-douzaine de fois pour suggérer l’idée de la supériorité et de la légitimité des obscurantismes).


The Century of the Self, série documentaire de Adam Curtis (2002)

A century of progress

The Century of the Self

Note : 2.5 sur 5.

Année : 2002

Réalisation : Adam Curtis

Si l’idée de départ est louable (montrer l’influence des thèses psychanalytiques de Freud dans la naissance du marketing — ou service de relations publiques — puis son évolution au cours du XXᵉ siècle et notamment comment les entreprises et les politiciens ont usé de ces méthodes pour manipuler les « masses ») le documentaire souffre malheureusement d’un grave défaut. Si l’influence ne fait aucun doute, jamais il n’est pris suffisamment de recul pour faire la critique de telles méthodes dont l’efficacité est contestée. Du coup, on n’échappe pas à une forme de vaste théorie du complot dans laquelle les masses seraient manipulées par de savants manipulateurs travaillant au service des entreprises ou des partis. La critique est moins portée comme elle le devrait sur les capacités réelles de telles pratiques, que sur leur moralité. Du « ça ne marche pas, mais c’est bien problématique que tout un monde fonctionne à travers des niaiseries » on arrive à « ce n’est pas bien que l’on se fasse manipuler par des savants fous ! ».

Le documentaire retrace donc chronologiquement l’histoire de ces techniques, suppose que par leur influence elles n’ont cessé de faire évoluer le monde, et prétend que l’idée d’un consommateur au cœur de la société est le résultat direct de cette volonté des compagnies d’exercer sur lui un contrôle presque machiavélique. L’histoire est belle, et si elle est belle, forcément vraie : le grand pape de cette pseudoscience est Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud. Il serait à la fois celui ayant participé à développer les thèses du gourou de la psychanalyse en Amérique et celui qui s’en inspirant aurait donc développé l’idée d’une propagande faite par les entreprises dont les techniques seraient directement issues des thèses du bon vieux tonton Freud. La belle histoire continuera quand, à la mort de Freud, ce sera sa fille Anna qui reprendra le flambeau et finira d’évangéliser l’Amérique à travers la bonne parole expiatoire de son père. L’idée qu’un génie ou qu’un savoir secret, mystérieux, puisse n’être détenu que par les membres d’une même famille laisse déjà à désirer, pourtant dans la logique du documentaire, ça semble être la chose la plus naturelle au monde. Aucune remarque ou critique vis-à-vis de cet étrange et grossier biais ayant fait de la psychanalyse une pseudoscience aussi séduisante, si prisée des entrepreneurs, des politiques et des artistes…

Il n’apparaît jamais possible ou probable, à travers les quatre épisodes de la série, que la prédominance de la psychanalyse dans les méthodes de vente et le contrôle supposé des masses puisse être aussi crédible que de voir un graphologue décrire la personnalité d’une personne à travers son écriture, un astrologue prévoir les résultats du loto, un futurologue être capable de prédire l’avenir, ou encore un économiste éviter les crashs. Non, l’efficacité des méthodes est supposée réelle. Ce serait même étonnant de se poser la question tant la réponse semble être évidente. Semble. Or, tout ça tient essentiellement à de la croyance. Bien sûr, les méthodes ont leurs résultats. Mais l’astrologue peut aussi prédire sans se tromper. La voyante peut également viser juste avec un peu de bon sens et de la… « psychologie ». Cela ne veut pas dire qu’il faut attribuer ce succès aux méthodes qui sont censées comme par magie influencer le comportement « des masses », et du « consommateur ». La psychanalyse, et donc sa petite fille, la méthode de vente, érigent en système des principes qui, soit sont totalement irrationnels, soit ne font rien d’autre que de faire appel au bon sens. Mais en réalité leur réussite, et l’avènement du consommateur roi au XXᵉ siècle, tient à des facteurs historiques étrangers à la psychologie, et affreusement banals : le développement croissant de l’industrialisation et donc de la société de consommation. Une société ne tourne jamais aussi bien que quand il y a un consommateur pour faire tourner les machines. Dire que la psychanalyse a une telle influence sur le consommateur, c’est en gros prétendre que tout le développement et les progrès propres au XXᵉ siècle sont les résultats de la psychanalyse… L’orgueil de Freud vous remercie ; les ingénieurs, les innovateurs et les scientifiques rient jaune.

Le documentaire, lui, s’il est inspiré par quelque chose, c’est bien des thèses conspirationnistes. Chaque commentaire laisse planer un doute, suggère une menace invisible que l’analyse méticuleuse de son œil-caméra serait capable de dénoncer… « Nous allons vous montrer l’histoire véritable du XXᵉ siècle, l’histoire de la manipulation de masse, ou comment vous, consommateurs, avez été trompés par les marques que vous achetez et par les politiciens que vous élisez. Car en vérité je vous le dis : il y a une volonté nauséabonde des puissants à manipuler les masses ! » Ah ! Merci, grande découverte ! Les puissants chercheraient à manipuler les moins puissants. Mais mieux, l’histoire est encore plus belle à raconter, car non seulement ces puissants ont toujours eu des intentions malsaines à notre égard, mais surtout ils sont parvenus à leurs fins ! Oui, citoyen, tu es manipulé, sache-le !

The Century of the Self, Adam Curtis 2002 British Broadcasting Corporation (BBC), RDF Media (2)_saveur

The Century of the Self, Adam Curtis 2002 British Broadcasting Corporation (BBC), RDF Media (3)_saveur

Effet Koulechov

Ce n’est pas une grande découverte. De là à dire que le développement du dernier siècle est la preuve que ces méthodes… « marchent », c’est un peu grossier. En fait la volonté des puissants à manipuler la population ne date pas de la psychanalyse. C’est une idée qui existait déjà à la naissance de la démocratie moderne. Qui de fait, a toujours été une forme de conspiration contre le peuple. Une forme. Parce que la démocratie moderne n’a jamais été faite que par la bourgeoisie, pour la bourgeoisie. Aux États-Unis comme en France et partout ailleurs, la démocratie n’a rien de la démocratie directe d’Athènes ; c’est au contraire une forme d’oligarchie contrôlée par les bourgeois pour s’assurer la pérennité de leurs affaires, de leurs acquis et de leurs biens. On retrouve factuellement toujours la même organisation dans les institutions démocratiques. Ce sont déjà les puissants qui œuvrent au profit des puissants. Et qui sont ces puissants bourgeois ? Ceux-là mêmes qui deviendront les entrepreneurs du XIXᵉ siècle et qui accéléreront encore plus le progrès, l’industrialisation, et malgré tout, propageront une idée de la liberté. Cette idée d’émancipation, illusoire ou non, cette manipulation prétendue de l’individu, précède la psychanalyse. Et elle est bien le résultat de la révolution industrielle, technique et scientifique des siècles précédents. Pour contrôler les masses, nul besoin d’élaborer de savantes méthodes psychologiques pour prétendre pénétrer leur inconscient : l’idée du bonheur émancipateur, était déjà là, dans les institutions. Et c’était déjà les mêmes qui en profitaient. C’est une croyance sans fondement que de penser qu’une quelconque science puisse manipuler les masses à travers des systèmes sophistiqués ou des connaissances mystérieuses connues des seuls spécialistes. Bien sûr que comprendre le fonctionnement intérieur des individus aide à améliorer les techniques de vente, mais est-ce que la psychanalyse, ou une quelconque science dédiée à l’étude de la consommation, peut, systématiquement, mieux faire qu’un vulgaire vendeur de voitures d’occasion utilisant son instinct ou son bon sens pour augmenter ses profits ?

Penser ou présenter la psychanalyse comme le règne de la rationalité (comme c’est souvent rappelé dans le film) est d’une grande bêtise. Les idées de Freud n’ont rien de rationnel. C’est au contraire le pape de l’irrationnel. C’est un peu comme s’émouvoir devant la beauté faussement logique de l’astrologie, devant ses calculs savants dont la complexité semble donner une image du monde prévisible et contrôlable, donc rationnelle, mais qui tient sur du vent et rien d’autre. Que les puissants aient été influencés et croient à ces balivernes ne fait aucun doute ; encore une fois, il faut voir à quel point les spécialistes de la communication polluent aujourd’hui la « conscience » des politiques. Mais les plus crédules, ce sont bien ceux qui croient en l’efficacité de telles méthodes. Des méthodes difficiles à évaluer dans un cadre historique. Alors les astrologues du marketing, devant répondre d’un échec, iront étudier les causes de cet échec et y trouveront, forcément, des signes, des « raisons » imprévues, mal interprétées, qui les ont amenés à se tromper. Après coup, on a toujours raison. Futurologues, prévisionnistes, ou économistes peuvent de la même manière revoir leurs prévisions… fausses, et affirmer comprendre pourquoi ils ont eu tort. De l’astrologie, rien de plus. Et le « ce qui marche », même avec des techniques plus ou moins évoluées, se limite à du bon sens ou à de la chance.

L’exemple de la cigarette que le vendeur de tabac voulait imposer aux femmes est intéressant. On juge et on interprète a posteriori de l’histoire d’une réussite. Mais c’est sans compter toutes les fois où le « marketing », cette propagande qui ne veut pas dire son nom, s’est planté. On nous explique donc que pour la psychanalyse, la cigarette est un pénis ; les femmes étant dépourvues de pénis (à ce qu’il paraît), il fallait donc créer cette envie d’indépendance… Arrivent donc les suffragettes, et hop, on récupère l’image de la femme active, indépendante, et le tour est joué. De là à nous expliquer que les cigarettiers sont à la base de la révolution des droits de la femme dans nos sociétés, on n’en est pas loin. Il y a une différence entre suivre le mouvement et l’initier. Encore heureux que des entreprises arrivent à accompagner le développement des sociétés, mais croire qu’elles puissent influencer ainsi les foules, c’est du délire le plus complet, tout simplement parce que ça implique trop de facteurs, et que la volonté des marchants à voir un produit se développer plus qu’un autre n’est qu’un facteur parmi tant d’autres. On parlera alors de tous les exemples qui ont marché, censé prouver l’efficacité d’une méthode, quand on oublie sciemment ou non toutes les fois où la méthode s’est plantée.

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The Century of the Self, Adam Curtis 2002 British Broadcasting Corporation (BBC), RDF Media

C’est certain, quand on met en place un service de relations publiques, on tend à améliorer ses chiffres. Comme c’est étrange… Rien de bien surprenant en fait, quand on cherche à convaincre, on a sans doute plus de chances de le faire en y mettant les moyens plutôt qu’en se tournant les pouces… Faire de la publicité va de toute façon aider un produit à se vendre, qu’importe la méthode. Faire de la communication à travers l’entreprise à l’attention des employés va améliorer les conditions de travail, qu’importe la méthode, et quand on fait du lobby on s’en tire certes toujours mieux que quand on n’en fait pas… Merci pour ces évidences.

Le documentaire procède lui-même à travers une méthode simple pour nous convaincre de la force et de l’importance dans l’histoire de ces techniques. Les intervenants sont toujours les mêmes, souvent des proches tout acquis à la cause défendue par le doc (à savoir la capacité de manipulation des puissants sur les non-puissants), et on ne cesse de les voir rabâcher que ces « spécialistes » (papa, tonton Freud) étaient capables de manipuler les masses. Bien sûr, répéter cent fois la même chose aide à convaincre. Plus c’est gros, plus on aura tendance à y croire parce que tout paraît plus simple. On y croira davantage si aucune contradiction n’est apportée, puisque c’est présenté comme un fait entendu, une manipulation réussie, presque machiavélique, sans faille. Et on y croira donc encore davantage, si ce sont les propres membres de la famille de Freud ou d’Edward Bernays, d’éminents psychanalystes, qui soutiennent cette idée (assez peu flatteuse mais pourquoi pas) d’une capacité des PR à manipuler les masses autant que nécessaire. Règne toujours, donc, cette atmosphère de complot dont on sait le spectateur friand ; ici, ce serait un peu comme voir des criminels nazis se vanter de leur crime, il y a comme un plaisir et un intérêt malsain à voir s’exprimer des proches juger eux-mêmes ces méthodes peu recommandables (parce qu’ils croient surtout en leur efficacité — il faudrait psychanalyser tout ça, il y a comme un plaisir pervers à s’attribuer un tel pouvoir de manipulation). Bref, ce n’est pas parce qu’on martèle cent fois la même connerie qu’elle en devient vraie. On est dans le domaine de la croyance pure, pas de l’étude rationnelle. Il aurait été donc intéressant au moins d’apporter un regard plus critique, plus contradictoire à ces hurluberlus.

Car, c’est en fait la pire des manières de faire de l’histoire. Opter pour un angle, une version, et s’attacher à démontrer cette version en rejetant systématiquement ce qui pourrait s’y opposer. Aucune modération des propos, aucun espace laissé à la contradiction. Chaque intervention doit rabâcher sans cesse la même chose : l’évidence de l’implication et de l’influence de ces techniques dans l’histoire. C’est de la sélection d’informations, on capture tout ce qui va dans le sens de notre version, et on juge fausses toutes celles qui iraient dans un sens contraire. Imaginons qu’au sein d’une organisation, un dirigeant influent ait produit un rapport concluant à la nécessité d’employer telle ou telle méthode ou procédure, pour atteindre un but précis, mais que l’ensemble de sa hiérarchie, tout en ayant lu ce rapport en rejette les conclusions. Eh ben, un historien qui serait amené à chercher des preuves allant dans le sens que ces méthodes et procédures étaient effectivement utilisées, et tombant sur ce rapport, en conclurait que, compte tenu de l’autorité dont bénéficiait son auteur au sein de son organisation, l’ensemble de l’organisation qu’il représente en a accepté les conclusions. Le rapport, sans avoir eu aucun impact puisque rejeté, serait utilisé comme preuve. Dans un film, l’effet sur le spectateur serait évident, et la méthode pour le convaincre tout aussi simple et prédictible qu’un génie du marketing pourrait l’imaginer : on produirait le rapport en montrant dans le film un ou deux extraits particulièrement significatifs et édifiants. Et voilà ! Preuve est faite que l’organisation en question utilisait ces méthodes… En réalité, qui manipule qui ? Ceux qui sont censés manipuler les masses, ou ceux qui prétendent qu’il y a un vaste complot de conspirateurs aidés d’un petit manuel d’interprétation des rêves de Freud manipulant les masses à travers leurs désirs refoulés ?

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Une femme perdue, manipulée, dans la fumée de sa cigarette

La seule opposition livrée au spectateur en fait vient ironiquement de Wilhelm Reich (dont je n’ai pas lu précisément les travaux mais dont il ressort qu’il était encore plus timbré que les psychanalystes). Et quand il est question des contestations des années 60, il est rapporté qu’elles ne venaient pas contredire l’idée de l’efficacité de telles méthodes, de leur irrationalité ; au contraire, on nous les présente comme des « masses » se révoltant contre la volonté de ces « marques » ou entreprises à vouloir diriger leur vie, donc à les manipuler, donc d’user de rationalité, d’user de sciences du comportement pour les manipuler… L’idée hautement crédible d’un brainwashing en somme (idée ô combien populaire dans les populations soutenant les thèses conspirationnistes). Ça ne fait toujours qu’aller dans le sens de la « méthode », la présentant toujours comme « rationnelle », et donc apporter du crédit à ces balivernes, et finalement conforter l’idée d’une vaste conspiration secrète des puissants contre les non-puissants… Mieux, le film nous montre comment les entreprises, les politiques et tous ceux censés vouloir contrôler les masses à travers la psychanalyse vont répliquer aux mouvements de contestation des années 60 et produire une sorte de contre-réforme du capitalisme. Encore et toujours la théorie du complot : les puissantes entreprises ou politiciens connaissant les arcanes de l’esprit humain d’un côté, et de l’autre, les pauvres consommateurs qui ont tout à coup pris conscience qu’ils étaient manipulés et qu’il fallait se révolter… Ce n’est pas de l’histoire, c’est du mythe. On est dans Metropolis. Du délire.

En fait, dire que c’est la psychanalyse qui a permis le développement économique à travers le développement du moi, de la satisfaction permanente des désirs, de la création de nouveaux besoins, est un contresens, et on oublie sciemment la marche logique du monde poussée par le progrès technique, scientifique et industriel, qui est pourtant pour la grande part responsable d’un monde presque exclusivement tourné vers la consommation et le culte du moi. Ce serait un peu comme prétendre aujourd’hui qu’une nouvelle forme de prise de conscience est en train de prendre forme en réaction à toutes ces idées du XXᵉ siècle alors qu’elles ne font que se développer à cause justement d’une crise prenant ses sources dans un ensemble de facteurs extérieurs, et en particulier à cause des crises énergiques et environnementales dont on doit faire face. Aucune prise de conscience différente, seulement, à cause ou grâce à l’environnement bien différent (ou qu’on perçoit différemment), ces idées tendent à se généraliser. En fait, la vision du documentaire place l’évolution du monde comme le résultat d’une lutte permanente entre puissants et consommateurs, sans intégrer le concept d’environnement (au sens large) dans cette « étude ». Je ne parle pas seulement de la crise environnementale, mais bien de tout un tas de facteurs extérieurs mal identifiables jouant un rôle dans la marche du monde. Mais un rôle qui sera toujours plus grand que ces méthodes prétendument révolutionnaires, et un rôle bien moindre que possèdent les progrès techniques et scientifiques.

La démonstration aurait un sens si elle ne s’appliquait qu’à illustrer les grandes lignes du culte de l’individualisme au XXᵉ siècle, mais l’idée de suggérer que ce culte ait été volontairement pensé par une méthode, utilisée par le capitalisme, pour faire des citoyens des consommateurs, et qu’en fonction des évolutions du siècle, ce capitalisme (autant dire les instigateurs d’un complot) ait dû revoir sa copie pour s’adapter aux critiques des « masses » et ainsi à nouveau les asservir à leur volonté, c’est une position difficilement tenable car impossible à prouver. Croyance, volonté de croire, idée du complot…, tout y est.

Par exemple, dans son dernier épisode, le documentaire a l’idée de montrer, à la même époque en Grande-Bretagne et aux États-Unis, l’émergence d’une même nécessité, celle d’un parti capable de répondre à l’appel du peuple, à son aspiration à plus d’individualisme… Bel exemple de sélection d’informations. On sous-entend ainsi que cette émergence, puisque vaguement apparue au même moment dans deux pays du monde, était comme inéluctable, prévisible, bref, un peu comme si l’histoire avait une finalité et répondait toujours aux mêmes codes, et que ceux capables de les décrypter seraient en mesure d’accéder au pouvoir. C’est une idée qui ne peut plus tenir quand on élargit sa vision. En France par exemple, c’est tout le contraire qui s’est passé ; quand Thatcher et Reagan tenaient les rênes du pouvoir, c’est Mitterrand qui l’était en France. Ça n’a donc pas beaucoup de sens, et ça n’en aura pas plus en comparant la gauche de Blair et celle de Clinton censée arriver au pouvoir grâce à l’utilisation de ces mêmes méthodes autrefois utilisées par la droite…

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L’arrière-petit-fils de Claude Évin

Le documentaire met donc la place des publicitaires et des communicants à une place qui est certes la leur depuis bientôt un siècle (une place importante dans la vie publique), mais sans jamais critiquer l’irrationalité de leurs méthodes, au contraire, et paradoxalement en en faisant la victoire de la rationalité, celles des prétendus spécialistes du comportement humain et du subconscient, sur le développement du monde. En réalité, le succès qui leur est attribué, et les intentions qu’on leur prête, rappelle la place de l’astrologie chez les souverains jusqu’au Moyen Âge. Astrologues contre astrologues, on en trouvera forcément un bien sûr dont les méthodes et les prédictions se révéleront gagnantes…, jusqu’à ce qu’ils soient remplacés par un « meilleur » astrologue. Bref, l’idée que les méthodes de marketing par exemple puissent évoluer pour s’adapter à une époque tient surtout plus de la supercherie que de la manipulation de masse. Ces méthodes quand elles marchent font appel au bon sens, de la chance, profitent des circonstances, et ont probablement autant d’efficacité qu’un placebo livré à une autruche souffrant de constipation.

Qui pourrait juger de l’efficience de ces méthodes ? Personne en fait. Impossible à évaluer. Pour autant, dire que ces astrologues des temps modernes n’ont aucune emprise sur le monde, sur les compagnies ou les politiques, serait tout aussi idiot que de croire en un vaste complot de ces puissants contre le pauvre peuple consommateur. Mais leur pouvoir tient surtout à la place qu’ils ont tenue et qu’ils tiennent encore, plutôt que par la détention d’un savoir sophistiqué capable de manipuler Pierre, Paul et Jacques. Dans une défaite politique ou dans le désastre économique d’un produit, on préférera alors chercher une cause imprévisible que les experts auraient mal évaluée. Après coup, on a toujours raison. Contrairement à ce que prétend donc le documentaire, leur pouvoir tient surtout à l’irrationalité de leurs méthodes. Et leur génie tient plus à convaincre leurs clients, politiciens et compagnies, à les embaucher en dépit du bon sens qu’à manipuler efficacement les masses.

Les entreprises peuvent, certes, inventer de nouveaux besoins, mais ceux-ci évoluent en fonction de l’évolution des techniques, des usages, et de modes qui sont, contrairement à ce qu’ils prétendent, hautement imprévisibles et très liés aux évolutions technologiques ; il sera toujours impossible de créer un « produit » répondant seul à un besoin qui ne préexistait pas chez le consommateur.

Les compagnies dépenseront des ressources, du temps, et de l’argent pour définir et atteindre un cœur de cible, promouvoir un produit, et elles trouveront n’importe quelle excuse extérieure (ou intérieure, car psychanalytique) pour trouver une raison à l’échec de ce produit au lieu de se demander s’il répondait à un besoin réel. Et les politiques de leur côté sont pourris par leurs conseillers en communication au point que leur discours n’a plus aucun sens et que les votants n’ont plus que leurs lassitudes à exprimer.

Quand le monde connaît un vaste développement, il est facile d’attribuer les mérites de cette réussite à des génies de la communication ou aux grands savants astrologues. L’énergie perdue à forger des méthodes plus ou moins efficaces est vite engloutie dans l’enthousiasme général d’une prospérité qu’on croit éternelle. Et on attribue tout le mérite à ces méthodes participant ainsi à leur développement. En cas de crise, si on est tenté de multiplier ses efforts sur des méthodes irrationnelles, on ne fait qu’accentuer l’inertie qui nous empêche déjà de remonter la pente : au lieu de booster le moteur, on s’applique à vouloir avancer à coups de pensée magique… On pourrait alors penser que le rationnel devienne la norme et que ceux qui réussissent sont justement ceux qui n’utilisaient pas ces méthodes ; sauf que si tout le monde les applique, il y aura toujours des gagnants se trimbalant avec ces casseroles au cul et continuant à penser que ce sont elles qui les font avancer.

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Une femme avec son nom incrusté à l’écran, elle doit avoir fait des choses bien

Alors oui, l’influence de ces forces (magiques) est puissante, mais ce sont, en réalité, des forces contraires foutrement handicapantes pour la société. Tandis que le souverain a les yeux tournés vers le ciel et que son astrologue lui en révèle les secrets, le souverain n’a que faire des réalités pratiques de son royaume. Il en est de même pour les politiques de notre siècle. L’obstination des partis ne devient plus (même si elle l’a sans doute toujours été) que de gagner le pouvoir ; s’ils le font à travers des méthodes fallacieuses, en manipulant sciemment ceux pour qui ils sont élus, cela finit par se voir et l’incrédulité des populations face aux politiques ne fait qu’augmenter. Et si la part de l’influence des compagnies n’a cessé au contraire de s’accroître au détriment des politiques, ce n’est pas parce qu’ils avaient de meilleures méthodes, c’est que, dans une certaine mesure, les politiques les ont laissées prendre le pouvoir et que personne n’a jamais été capable ou désireux de retourner le rapport de force qui tournait toujours plus en faveur des entreprises. Cette prise du pouvoir des entreprises dans la société est sans doute plus le résultat des facteurs conjugués de l’industrialisation et de la mondialisation, qu’à des méthodes de propagande héritées de la psychanalyse… Il est tout de même assez frappant de voir dans ce documentaire que jamais le progrès technique n’est cité comme facteur de développement et d’évolution sociétal ; c’en est pourtant le principal moteur. C’est donner bien trop de crédit à l’idée d’une capacité de certains hommes à manipuler d’autres hommes. Quand on rend capable le transport des produits d’un bout à l’autre de la planète, quand les besoins évoluent en fonction des développements technologiques et en fonction des capacités de production, quand on vit avec l’idée d’une prospérité sans fin passant par la consommation des produits nouveaux, inutile d’user de publicité ou de propagande pour voir émerger des nouvelles envies et voir la société évoluer, poussée par ces progrès sur lesquels les secrets de la psychologie humaine a finalement assez peu d’impact. Donner du crédit à ces méthodes, c’est croire qu’une science de la prédiction puisse persuader le hasard à changer de camp, comme un astrologue auquel on demanderait quelle impulsion donner à sa pièce pour qu’elle retombe toujours du même côté. C’est aussi une croyance pernicieuse parce qu’elle corrompt ce pour quoi les politiques sont élus et parce qu’elle révèle en fait la nature de ce que sont en réalité les partis : des machines à gagner, à prendre le pouvoir, non à répondre aux besoins, bien réels, des populations. Un pari risqué, car les populations sont, dans une très large majorité, conscientes de se faire manipuler. Pas de la manière que ces astrologues de la psychanalyse le prétendraient. Mais simplement parce que les politiques sont coupés de la réalité. C’est d’ailleurs un reproche qui leur est très largement fait et auquel ils tentent bien souvent de répondre à travers la communication… Un non-sens dangereux.

La merveilleuse idée en fait que le documentaire défend et illustre, c’est la croyance selon laquelle la manipulation de masse puisse être une science, et donc être rationalisée. Belle usurpation. Comme l’astrologie, cette pseudoscience a toute l’apparence de la rationalité, mais le marketing, la manipulation de masse, le conseil en communication, tout ça c’est tout le contraire de la rationalité. Le film nous rappelle sans cesse que Freud, ce « docteur » comme ironise son neveu, croyait que les hommes étaient essentiellement poussés par des pulsions irrationnelles… « Croyait », oui, c’est là tout le problème. Freud était hanté par ses propres croyances et aimait faire de sa propre analyse une généralité appliquée « à tous les hommes ». Son neveu doit surtout sa réussite à son opportunisme, à son habileté, à son bon sens, comme n’importe quel astrologue, gourou ou voyant. Cette réussite ne prouve en rien que les techniques mises en place marchent, parce qu’elles marchent avant tout dans un monde plongé dans une course à la modernité. L’être humain n’est ni irrationnel ni rationnel, il est les deux à la fois ; et il appartient à chacun de s’adresser à la part rationnelle qui est en chacun de nous dans un souci de réelle efficacité, voire d’honnêteté. Les usurpateurs et les pseudosciences ont, certes, encore de beaux jours devant eux.

The Century of the Self, Adam Curtis 2002 British Broadcasting Corporation (BBC), RDF Media (1)_saveur

Un symbole phallique mouillant dans les eaux du pouvoir


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