Les Mendiants de la vie, William A. Wellman (1928)

Note : 4 sur 5.

Les Mendiants de la vie

Titre original : Beggars of Life

Année : 1928

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Wallace Beery, Richard Arlen, Louise Brooks

Le « calcul » aux échecs consiste ni plus ni moins à envisager et à simuler diverses suites de coups afin de voir laquelle finit gagnante au bout d’échanges, de prises, des parades et d’attaques successives. Quelque chose me dit, pour un réalisateur, qu’imaginer une scène de film (dans le cinéma muet, de surcroît) procède de la même logique de « calcul ».

Un bon réalisateur n’improvisera pas au moment du tournage : il devra prévoir au moment de l’écriture diverses manières de placer ses acteurs ou sa caméra ; imaginer des échanges de regards ; faire intervenir de nouveaux éléments dans le champ ; jouer sur la profondeur ; opter pour un angle lui offrant la meilleure stratégie possible ; forcer un « tempo » ou prendre de l’avance sur un plan, en gagnant du terrain et en se rapprochant des personnages ou en prévoyant un emplacement avant de commencer un champ-contrechamp ; définir à l’avance la grosseur des plans adéquats ; placer ses personnages dans des situations illustrant au mieux les menaces et les conflits auxquels les personnages sont confrontés (user d’un même plan large ou d’un champ-contrechamp) ; imaginer les expressions et les gestes des acteurs ; calculer la longueur des plans et des séquences ; etc.

Le cinéma parlant, le cinéma muet possédait ce petit quelque chose de millimétré comme un roman-photo ou une bande dessinée en mouvement. Certains s’aident d’ailleurs d’un storyboard pour mieux calculer leur(s) coup(s). Si Wellman s’est révélé si efficace dans les deux périodes du cinéma (parlant et muet), c’est peut-être qu’il avait (comme les quelques dizaines de génies qui ont passé la barrière du son) cette capacité de « calcul ». Avant de parler, les plus judicieux tournent leur langue sept fois dans leur bouche, les grands réalisateurs tournent sept fois le film à faire dans leur tête. Ils pensent le film en imaginant la stratégie gagnante qui illustrera de la meilleure des manières le sujet ; ils confrontent différentes approches afin d’en faire ressortir celle qui remportera le plus aisément possible l’adhésion du public ; grâce à leurs simulations imaginatives et à leurs « calculs », ils auront identifié les principaux écueils de l’histoire et de sa réalisation.

Si l’histoire des Mendiants de la vie n’a rien de follement imaginatif ou de passionnant, rien dans sa construction, son découpage, ses placements et ses déplacements d’acteurs, ses expressions ne dépasse. Aucun temps mort, aucune situation développée à la hâte ou mal agencée ; les regards comme il faut qui sont comme des attaques à la découverte (« Je te regarde, je te menace. Comment vas-tu parer ça parce que tu sais que tu es à ma merci si tu bouges le petit doigt ? »), histoire de préparer le plan suivant et de maintenir une menace constante ; des gestes francs et précis qui illustrent en une seconde une prise de décision, une pensée, une réaction, une attention vis-à-vis d’une menace, etc.

Il est vrai, en revanche, que si le sujet ne brille pas pour son originalité, les rapports de force qui s’y trament se prêtent à une telle logique de la confrontation et de la menace rappelant les échecs : Wallace Beery se retrouvera d’ailleurs impliqué dans une adaptation célèbre reprenant ce jeu de menaces et d’alliances à plusieurs coups, L’Île au trésor. « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier des deux joueurs qui fera un faux pas aura une tapette. »

« N’importe quel pion avancé doit monter à la promotion. Et pour ce faire, être protégé. Si ce n’est par une tour, ce sera par un cavalier. Au bout du chemin, le pion deviendra dame. »

Le cinéma muet arrive tout juste à la perfection avec ses codes, quelques audaces formelles sont encore permises si elles servent le récit (ici, Wellman s’autorise un passage en surimpression pour décrire le récit du meurtre qui sert d’hamartia, de faute initiale, obligeant les personnages à la fuite), mais les meilleurs réalisateurs ont de manière générale compris les « trucs qui marchent » : des montages alternés constants entre les divers groupes d’une histoire (les gentils, les méchants, les alliés – même si tous ces archétypes sont ici inversés) ; un rapport continu entre extérieurs et intérieurs (le théâtre, en cinq mille ans d’existence, n’en a jamais été capable, donc on se régale de cette nouvelle opportunité qui donne l’impression de voir des romans mis en images en privilégiant les sujets offrant des décors variés) ; et enfin, une densité dans le découpage technique pour illustrer des histoires rarement plus longues que deux ou trois jours (si l’on marie densité et temps diégétique long, il faudra que le film soit allongé en conséquence, autrement, ça passera pour une facilité, une facilité que l’on commence déjà beaucoup à rapprocher du mélodrame).

Le cinéma parlant s’imposera bientôt, et tout sera à refaire. Ou presque. Car si vous changez quelques règles aux échecs (comme le meilleur d’entre eux s’est amusé récemment à le faire en reprenant une vieille idée de Bobby Fischer), les capacités de « calculs » des réalisateurs qui s’étaient déjà montrés plus habiles que d’autres à se représenter des films avant de les réaliser demeurent. Après, je veux bien croire que certains filmaient sous tous les angles et laissaient ensuite le monteur « calculer » à leur place. Mais ce n’est clairement pas le cas ici. Tout est trop bien découpé, les gestes et les regards participent si bien au montage que ça ne peut être fait après coup.

La seule paresse ou négligence que je peux reprocher à Wellman, c’est le manque de réalisme dans certains espaces intérieurs. De mémoire, dans ses films parlants, il n’aura aucun problème à tourner des séquences censées prendre place en extérieur… en studio. Pour les plans de nuits, les plans rapprochés, ça peut parfois se révéler inévitable, mais Wellman, pour diverses raisons, n’a jamais trop pris au sérieux la parfaite reproduction ou logique dans la représentation de certains espaces qu’ils soient extérieurs ou intérieurs (sans doute justement parce qu’il était issu du muet où les exigences n’étaient pas au même niveau). Ses extérieurs sont ici parfaits, spectaculaires (trains en mouvement, ravins), mais certains intérieurs laissent trop apparaître qu’il s’agit d’un plateau dans un studio avec le recul nécessaire et suffisant pour y placer une caméra. C’est un peu, aux échecs, comme disposer d’un fou attaqué et hésiter à le déplacer de quelques cases ou l’envoyer le plus loin possible… Les calculs sont pas bons, William.

Je te pardonne. Ça se laisse mater sans difficulté.

William composerait une symphonie (un film) avec trois bouts de ficelles (un sujet sans grand intérêt), mais aucun réalisateur ne pourrait jouer à la place de ses acteurs. Louise Brooks rayonne comme il faut en garçonne en fuite ; Richard Arlen convainc sans mal dans un rôle parfaitement crédible (non) de bon samaritain sans le sou ; mais quand Wallace Beery passe quelque part, toute l’assistance se tait et regarde… L’acteur se montre tout aussi précis dans son « découpage » que le réalisateur, et propose en permanence un geste ou une expression qui vous laisse béat d’admiration. S’il y a une forme d’intelligence à tramer à l’avance tout un film dans son découpage et dans les mouvements, les gestes, les expressions des acteurs… que dire des acteurs qui, quel que soit le type de personnage joué, lui offriront toujours cette impression frappante de facilité, de charisme, d’autorité… L’intelligence de l’apparence. L’œil alerte, les mains qui dirigent ou commentent l’action et les autres personnages, l’imagination active qui s’exprime en un instant avant de rebondir pour donner à voir quelque chose de différent… Et cela, sans surcharger les cases de son échiquier : chez Feydeau, il faut laisser le spectateur « recevoir » les répliques afin qu’il ait le temps de rire ; avec les acteurs qui jouent la menace, la logique est la même : « Je joue un coup, à ton tour. Sauras-tu parer cette menace ? (Petit temps.) Pas grave. J’ajoute un attaquant. »

À regarder Beery, il est plus facile de comprendre comment certaines crapules arrivent à tirer à eux des alliés et des victimes. Roublards, voleurs, magouilleurs…, il rend tous ses personnages à la fois… calculateurs et tout à fait inoffensifs. Pire, le sachant même du côté des fripouilles et des escrocs, à cause de son bagout, de son charme, de ce je-ne-sais-quoi, il compte parmi les hommes que l’on pourrait suivre les yeux fermés. Et à la fin, ceux qui en ont été victimes trouveront toujours un moyen pour dire : « Il n’était pas si méchant dans le fond. » Edward G. Robinson ou James Cagney avaient cette même faculté à attirer le regard, à rendre sympathiques des crapules (Harrison Ford avait aussi ce talent, mais il a vite cherché à profiter de son statut de star pour ne plus interpréter que les bons samaritains, sans comprendre justement que quand les mecs roublards et charismatiques apparaissaient à l’écran, les spectateurs ne voyaient plus qu’eux, jusqu’à éclipser le gentil de l’histoire… « La Rebellion s’est ruinée par ce Han Solo, mais au fond, c’est un chic type. »).

Les deux pièces principales du plateau quittent l’écran sans que l’on se préoccupe beaucoup de leur sort ; le roi adverse meurt au dernier plan et recueille tous les suffrages du public en imaginant plusieurs décennies à l’avance le coup de Mais où est passée la septième compagnie : « J’ai glissé, chef ! ». Littéralement, la meilleure chute possible. Roque and roll.

Beau travail, William & Wallace. Back to back W.


Les Mendiants de la vie, William A. Wellman (1928) Beggars of Life | Paramount Pictures


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Le Sel de Svanétie, Mikhail Kalatozov (1930)

Note : 4 sur 5.

Le Sel de Svanétie

Titre original : Соль Сванетии / marili svanets

Année : 1930

Réalisation : Mikhail Kalatozov

Des images fabuleuses. Comme d’habitude dans les documentaires de l’époque du muet, on prend des libertés avec la rigueur objective qui deviendra plus tard la règle : si le film décrit bien quelques dizaines de minutes la vie quotidienne et difficile des montagnes, il prend par la suite un tournant résolument dramatique, pour ne pas dire tragique et lyrique, l’occasion de faire intervenir à la fin le parfait sovietus ex machina quand l’effort bolchevique en matière de terrassement met fin à l’enclavement de la région. On est entre Terre sans pain et The Epic of Everest. « L’âge de pierre tourne en rond » en Svanétie…

Le plus remarquable reste encore les images. Les Soviétiques utilisaient des objectifs qui offraient d’étranges effets de lumière, de flou et de profondeur de champ. J’avais déjà noté cette étrangeté dans La Nouvelle Babylone ou dans certains films japonais muets (voire dans Le Dernier des hommes). En fait, certains plans semblent avoir été tournés avec une petite focale, et alors que la profondeur devrait être grande, par certains défauts d’objectif, de sensibilité ou de luminosité, des parties du champ n’apparaissent pas aussi nettes qu’elles le devraient dans un plan à grande profondeur de champ. Et qu’est-ce qu’il se passe quand dans un plan d’ensemble (mais pas que) censé être en petite focale certaines parties sont floues ? Eh bien, ça donne un effet miniature, aussi connu de nos jours comme l’effet « tilt-shift » quand il est volontaire.

Quelques exemples :


Le Sel de Svanétie, Mikhail Kalatozov (1930)

Le Mystérieux X, Benjamin Christensen (1914)

Le classicisme à travers les âges

Note : 4 sur 5.

Le Mystérieux X

Titre original : Det hemmelighedsfulde X

Année : 1914

Réalisation : Benjamin Christensen

Avec : Benjamin Christensen, Karen Caspersen, Otto Reinwald

La supériorité du cinéma scandinave dans les années 10 sur l’ensemble des autres productions du monde n’est plus à démontrer. Cependant, voir aujourd’hui Le Mystérieux X à côté des films qui lui sont contemporains ne fait qu’appuyer un peu plus cette évidence. À l’orée de la guerre de 14, et quatre ans après L’Abysse, tous les principes de ce qui deviendra le classicisme sont déjà en place.

Le classicisme, embrassé plus tard par le cinéma hollywoodien, consiste à réaliser des films en essayant d’adopter des procédés largement compris dans le public et qui visent à présenter le sujet avec le plus de transparence possible. On évite les expérimentations techniques ou narratives, et sur le curseur identification/distanciation, la préférence va clairement vers l’identification. On propose un spectacle au public, on cherche à le distraire, certainement pas à l’éduquer ou à lui fait faire un pas de côté (en 1914, je doute cependant que ces principes, énoncés surtout après-guerre, soient volontaires).

Et pourtant, pour proposer du classicisme en 1914, il faut nécessairement adopter des procédés jugés expérimentaux pour beaucoup à l’époque. On a dépassé le stade un peu partout dans le monde où les cinéastes se contentent de plans fixes. Personne ne prend toujours conscience des possibilités narratives des outils du cinéma. Pour gagner l’adhésion du public, l’accent se porte davantage sur les décors et les péripéties. Ce cinéma-là amuse la galerie, cherche des formes nouvelles, de nouvelles audaces, et ne s’interdit pas les excès (sans toutefois se livrer encore à l’expérimentation : l’audace passe par l’écran, pas par la technique). L’époque est à la reconstitution grandiose en costumes (péplums ou collants), aux thrillers basés sur les légendes urbaines (Traffic in Souls), aux premiers longs westerns (The Squaw Man, Le Serment de Rio), aux serials à moustache façon Brigade du Tigre (Fantômas), aux slapsticks ou aux mélos familiaux ou sociaux. Je parle d’excès ; mais l’« exotisme » faisait alors déplacer les foules. Or, une particularité, me semble-t-il, marque le cinéma scandinave de cette époque et explique son influence dans l’élaboration des règles du classicisme. Celui-ci se trouve à mi-chemin entre le théâtre réaliste, bourgeois et déjà assez psychologique (Ibsen, Strindberg) et les récits folkloriques bientôt adaptés par d’autres réalisateurs scandinaves. Ces derniers se chargeront alors de creuser le filon et poseront les bases du classicisme et de la transparence.

Ainsi, le canevas du film, dans un premier temps, a tout du drame réaliste bourgeois (un théâtre qui s’applique à éviter les excès de la scène mélodramatique et populaire) : la femme d’un militaire est convoitée par un comte un brin insistant qui se trouve avoir des activités en parallèle, disons…, antipatriotiques. La femme peine à se défaire de ce comte un peu lourd et pense pouvoir s’en débarrasser en lui filant sa photo (ne faites jamais ça, mesdames). Vous donnez ça à un comte, il vous prend le bras… (et la tête). Alouette. La guerre éclate, le mari est chargé de transférer un ordre scellé vers un commandant de la marine…, mais en bon petit-bourgeois qu’il est, il passe chez lui entre-temps saluer sa chère et tendre épouse. Manque de chance, l’amant, à qui elle croyait avoir dûment présenté la porte, revient aussitôt par le placard (où tout amant qui se respecte aspire à se trouver un jour). Madame n’apprécie guère (de 14) ces manières de goujat et ne s’en laisse pas comter. « Ciel, mon mari ! »

On frôle déjà un peu le mélodrame, je le reconnais, mais Christensen n’y sombrera pourtant jamais. Comme au théâtre, le comte, pas plus que ça gêné aux entournures, se cache derrière l’encoignure formée au premier plan par la cheminée. (C’est peut-être ce qui apparaît le moins cinématographique dans le film, mais cette situation rocambolesque à peine crédible, plutôt habituelle au théâtre dans des tragédies ou des mélos, sera bizarrement compensée par le positionnement et le mouvement de la caméra.) La femme et le mari s’absentent au premier étage, et le comte, dont on sait déjà que c’est un espion, en profite pour décacheter l’ordre scellé avant de le remettre où l’avait laissé l’officier…

Le mari repart le cœur léger et la fleur au fusil ; sa femme se débarrasse une fois de plus de celui à qui elle a le plus grand mal à faire comprendre qu’elle refuse de le prendre comme amant. L’espion s’en va et rejoint le moulin où il a l’habitude d’envoyer ses messages par le biais de pigeons voyageurs. Le message est envoyé, mais peut-être déjà pas bien habile pour un amant dans le registre des portes qui claquent, il s’enferme à la cave, la trappe de celle-ci restant bloquée (là encore, je vais y revenir, on pourrait trouver ça ridicule et tiré par les cheveux, mais la mise en scène fait tout et parvient à faire ressentir au contraire une véritable tension de thriller).

Le pigeon est intercepté, l’ordre scellé semble accabler le mari, il est accusé pour trahison, bref, à partir de là, on entre peut-être un peu plus dans des péripéties dignes des mélodrames d’aventures de l’époque (comme Les Exploits d’Elaine). Pourtant, la mise en scène parvient à ne jamais y tomber complètement (le cinéaste danois parviendra, à travers le montage et le choix des plans, à faire ressortir la tension des situations sans trop en demander à ses acteurs : il en reste encore des traces dans les réactions, car au théâtre, cette tension, ne pouvant naître de la mise en scène, est accentuée par le jeu des acteurs ; mais dans l’ensemble, le réalisme l’emporte sur le mélodrame). Finalement, le mari échappera à la mort grâce à une preuve qui accablera le comte…

Voilà pour le sujet. Maintenant, comment Christensen s’y prend-il pour adopter une forme de mise en scène transparente ? D’abord, au niveau du montage alterné, la maîtrise est totale : il passe allègrement d’un lieu à un autre sans forcer des alternances répétées auxquelles certains cinéastes à l’époque ont souvent recours pour rendre spectaculaire une situation. Christensen s’en sert réellement pour faire du « pendant ce temps » ou plus simplement encore pour annoncer l’entrée future d’un personnage venant en rejoindre d’autres. Son montage alterné est ainsi permanent (comme il le deviendra presque systématiquement sous sa forme classique) et, ce qui est plus remarquable, transparent.

Au niveau des échelles de plan, notamment au début du film, la maîtrise demeure perfectible, et un visionneur actuel perd en transparence à cause de deux ou trois faux raccords (ou des sauts brutaux comme le passage direct d’un plan moyen à un insert). Mais tous les cinéastes de l’époque ne s’embarrassent pas toujours avec les échelles de plan. Une échelle de plan, on risque parfois les faux raccords, mais ça offre surtout beaucoup plus de possibilités narratives. Et notons ainsi comme seul exemple, le dernier plan du film : un raccord dans l’axe parfaitement exécuté. On n’y voit que du feu (transparence, toujours).

Les mouvements de caméra ne sont pas en reste. Transparence toujours, il s’agit de mouvements imperceptibles, d’ajustements de la caméra sur son axe (léger travelling d’accompagnement, très commun à l’époque), ou même des petits travellings de face. Le mouvement de caméra le plus étonnant reste celui qu’opère Christensen dans la séquence du moulin cité plus haut en passant de la trappe, que le comte tente en vain d’ouvrir. Ce mouvement se poursuit lentement vers la porte (que l’on voit tressauter au rythme des coups qu’envoie le comte sous la trappe), puis sur ses gonds. Le spectateur comprend alors que la porte ne peut pas être désolidarisée de ses gonds, car une sorte de loquet l’y empêche.

 

https://youtu.be/vx-wOu6UNcs?t=2431

Seul procédé étonnant à classer plutôt du côté des effets de distanciation : le recours parfois à des plans de face. Le cinéaste ne se servant de cet effet étrange qu’avec le personnage féminin (et une fois sur lui-même — puisqu’il joue le mari officier — vers la fin quand il entend le garde tirer sur son fils), difficile d’imaginer qu’il s’agisse d’un réflexe issu du théâtre. Au contraire, cela semble volontaire, un choix quasi esthétique, voire une référence à ce plan d’Asta Nielsen dans L’Abysse qui m’avait tant impressionné (pour être précis, l’actrice n’apparaissait pas de face, mais de dos, et la singularité des plans vient surtout de la symétrie qui y est recherchée). La référence aurait même presque été poussée au point de prendre une actrice qui ressemble à la star danoise. (Mais ici, le film n’étant sans doute pas assez tiré par les cheveux, c’est moi qui en rajoute peut-être un peu.)

Bref, les années 10 appartiennent aux pays scandinaves avec leurs cinéastes précurseurs du classicisme, Le Mystérieux X en est un bon exemple.


 

Le Mystérieux X, Det hemmelighedsfulde X, Benjamin Christensen 1914 | Dansk Biograf Compagni



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The Penalty, Wallace Worsley (1920)

Les nuits de San Francisco

Note : 4 sur 5.

The Penalty

Titre français : Satan

Année : 1920

Réalisation : Wallace Worsley

Avec : Lon Chaney, Charles Clary, Doris Pawn, Jim Mason

— TOP FILMS

Tous les éléments du bon vieux crime film, charnière entre deux époques du muet (celle des années 10 aux costumes encore d’inspiration Belle Époque, et celle des années 20, où l’émancipation de la femme s’effectuera davantage à travers sa représentation, notamment vestimentaire, au cinéma).

Le film applique les recettes des romans de gare de son temps : le mélo y règne en maître. Les excès du genre sont un peu les excès high-tech ou de superhéros d’aujourd’hui. Personne n’oserait plus ces tours de passe-passe narratifs et ces archétypes grossiers que dans des romans pour la jeunesse. Et ce sont en partie ces artifices qui me plaisent. Si l’on ne semble pas encore être entrés dans les années 20, c’est que le film rappelle pour une partie les serials notamment français des années de guerre comme Fantômas.

Les ficelles sont grosses, on tire sur la corde, mais ça marche. Tout autre acteur que Lon Chaney pour interpréter ce Satan rendrait le film bien moins crédible. Deux éléments du film m’ont encore plus impressionné : toute la structure du montage narratif et la structure adaptée à l’environnement mental et physique d’un gangster estropié comme Blizzard.

D’abord, pour ce qui est de la réalisation, l’usage très à la mode du montage alterné a rarement été aussi bien employé : pour générer dans l’esprit du spectateur la sensation d’urgence, on continue aujourd’hui dans les films d’action à gros budget à adopter ce principe qui consiste à passer successivement d’un espace et d’une séquence à l’autre rapidement afin d’insinuer dans l’esprit du spectateur la simultanéité des événements, voire symboliquement ou non, leur confrontation. Cela ne fonctionne évidemment que si cette urgence créée artificiellement est motivée par la tension de la situation qui combine les deux séquences ainsi alternées. Dans un crime film de ce type, et avec un méchant aussi machiavélique, un tel montage est plus que justifié.

Par ailleurs, au contraire des films de Feuillade où le plan moyen reste dominant, Wallace Worsley digère parfaitement ici les échelles de plan qui s’imposent encore aujourd’hui. Des plans moyens introduisent la scène, puis on passe à des échanges en champ-contrechamp et plan américain ou plan rapproché (le plan américain coupe ici plutôt à la taille qu’à mi-cuisse, et cela n’a probablement rien à voir avec le handicap du personnage principal…).

Pour ce qui est des décors faits à la mesure du personnage, à la manière plus tard de Underworld ou de fantaisies comme Batman (ou de bien d’autres films de gangsters), le l’espace secret révélé derrière un mur ou un soupirail reste un passage obligé.

Le repère de Blizzard apparaît d’abord comme un immeuble dans lequel il peut contrôler ses employés dans leurs moindres faits et gestes. On entre dans son antre par une porte avec une poignée (basse, ajustée à sa taille). Sa pièce de vie est richement agencée. Le spectateur découvre au fur et à mesure du film les quelques astuces décoratifs censées façonner l’environnement de ce chef estropié pour en illustrer tout le pouvoir criminel et le génie adaptatif : une petite échelle murale qui lui permet de grimper vers un sas, ou soupirail, à travers lequel il peut communiquer avec ses employés, mais surtout la traditionnelle pièce cachée derrière une cloison ou ici une cheminée et accessible via un mécanisme secret. La cheminée ne donne d’ailleurs pas seulement accès à un espace secret, mais à tout un sous-sol qui servira ultérieurement au gangster pour suivre son ambition de réhabilitation (corporelle, mentale, ou simplement de vengeance) et pour mettre la main un jour sur la ville.

Cette dernière ambition est l’occasion d’un procédé narratif là encore très populaire dans les films d’action d’aujourd’hui (de mémoire, me semble-t-il, Christopher Nolan l’utilise dans Tenet, et j’ai dû voir ça aussi dans le dernier Spider-Man) : l’illustration d’un plan énoncé et censé s’exécuter plus tard, toujours en montage alterné, mais en accéléré, et exposé « verbalement » par le personnage qui l’a mis en place. (Ce procédé de récit dans le récit avait déjà été employé, mais cette fois pour évoquer non plus des actions à venir, mais le passé, dans Homunculus, je l’avais décrit ici.)

Même la fin adopte une technique narrative encore en vogue : le twist… Les gangsters ne goûtent guère les réhabilitations faciles et surprenantes.


 

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Éclipse, Hiroshi Shimizu (1934)

Note : 4 sur 5.

Éclipse

Titre original : Kinkanshoku

Année : 1934

Réalisation : Hiroshi Shimizu

Avec : Mitsugu Fujii, Hiroko Kawasaki, Michiko Kuwano, Shiro Kanemits

— TOP FILMS

Merveilleux sac de nœuds amoureux (au demeurant, assez peu crédible, mais que seraient les mélodrames sans deux ou trois de ces rencontres fortuites et sans ces entrelacements savants tenant bien souvent du miracle ou du mauvais œil).

Aucune des facéties habituelles du réalisateur, tant sur le sujet (il faut dire qu’on est relativement tôt dans sa carrière et que les comédies de groupes éphémères partis en villégiature — de ce qu’on peut en voir — n’arriveront qu’avec Monsieur Merci en 1936 : avant ça, ce sont les mélodrames qui dominent avec Perle éternelle, Voici les femmes du printemps qui pleure ou Un héros de Tokyo par exemple) que sur le plan formel : à peine Hiroshi Shimizu nous gratifie-t-il ici une ou deux fois de ses travellings chéris.

Le mélodrame est donc tout ce qu’il y a de plus conventionnel avec des amours toujours contraires et impossibles, des personnages presque obstinés à poursuivre une voie qui les détourne du bonheur. Au niveau de la direction d’acteurs (pour ce qui n’est encore qu’un film muet), ce qu’en fait Shimizu est un modèle de précision. L’interprétation tout en retenue et en non-dits est à la hauteur des autres grandes interprétations de l’époque du muet et du début du parlant au Japon. Je crois ne pas avoir retrouvé une même tension dans les rapports amoureux, une telle volonté de sacrifier son amour pour celui de l’autre, depuis Le Printemps d’une petite ville (1948).


Éclipse, Hiroshi Shimizu (1934) Kinkanshoku | Shochiku


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Rotaie, Mario Camerini (1929)

Note : 4 sur 5.

Rails

Titre original : Rotaie

Année : 1929

Réalisation : Mario Camerini

Avec : Käthe von Nagy, Maurizio D’Ancora, Daniele Crespi

Deux tourtereaux pris par l’urgence de survivre : résister à la tentation du jeu, de la convoitise de l’étranger, et retrouver les bonnes vieilles valeurs populaires.

Les quinze premières minutes sont magnifiques. Les deux amoureux échouent dans un hôtel, accablés par les dettes ; ils osent à peine se regarder, se demandant comment survivre. Tout est affaire ici de regards : la manière de les faire dialoguer dans le montage. Un peu comme trente ans plus tard, Valerio Zurlini réussira à le faire dans le magnifique Été violent.

Le montage suit littéralement le langage des yeux : une situation, une atmosphère, une attitude pensive suivie d’un roulement d’yeux tout ce qu’il y a de plus simple au monde et qui est le signe qu’on cherche à chasser une pensée par une autre ; et puis un regard qui en cherche un autre parfois hors champ ; et hop, on coupe pour montrer ce qui est vu ; et rebelote. Les yeux, rien que les yeux. Pour montrer ce qu’on pense, pour montrer la détresse, la solitude (parfois partagée), il suffit de regarder, mais de manière très épurée, sans autre mouvement, celui qui regarde et n’est pas censé être vu. On se passe ainsi pas mal d’intertitres, car on lit tout dans un regard, surtout l’indéchiffrable. Et en effet, en un peu plus d’une heure, le film n’en contient qu’une vingtaine. In the Mood for

L’influence allemande, celle de Murnau tendance Kammerspielfilm (voire celle de L’Aurore, avec l’attrait pernicieux des lumières de la ville, le personnage tentateur) est évidente, même si on joue moins sur les décors : l’accent est plutôt ici mis sur la psychologie des personnages (on est loin de l’expressionnisme, si le jeu est plein d’intensité, on est dans une veine beaucoup plus naturaliste, voire stanislavskienne), et la caméra est parfois virevoltante sans jamais tomber dans les excès.

Le cœur du film est peut-être moins convaincant. Le jeune délaissant sa belle, accaparé qu’il est par ses gains, puis ses pertes, au casino ; et la belle voyant fatalement rôder autour d’elle un bellâtre bien né dont elle n’a que faire.

Cela a au moins le mérite d’être vite expédié et d’être efficace. Même en Italie, 1929 semble avoir été un cru exceptionnel pour le muet…


 

 

 

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Les Indispensables du cinéma 1929

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Le Pauvre Amour / True Heart Susie, D.W. Griffith (1919)

Note : 4 sur 5.

Le Pauvre Amour

Titre original : True Heart Susie

Année : 1919

Réalisation : D.W. Griffith

Avec : Lillian Gish, Robert Harron, Wilbur Higby

La même année que Le Lys brisé, et probablement le même niveau technique pour Griffith : ici encore un ou deux faux raccords (dont un surprenant parce qu’il me semble qu’il aurait pu y remédier en forçant un peu sur la continuité, à croire que ça ne heurtait pas encore le regard), des étonnants passages de plans moyens à plan rapprochés dans l’axe (produisant là encore un faux raccord pour un œil contemporain : dans une composition classique on doit respecter l’échelle de plan et ici Griffith zappe le plan américain, donc le passage au plan rapproché saute à la figure ; effet sans doute plus violent à l’époque parce que les plans rapprochés y sont tout neufs, mais ça se justifie aussi par la situation), et puis pour le positif, Griffith reste le prince du montage alterné (celui à la fin mêlant le mari cherchant sa femme et cette même femme réfugiée chez Lillian Gish, c’est un vrai bijou, d’une modernité folle).

Le meilleur est encore ailleurs. Il faut reconnaître, et c’est peut-être le mélange étonnant de comédie et de drame propice à une mise en scène (je parle de la direction d’acteurs) riche, mais je ne me souvenais pas d’un Griffith (bien qu’il soit lui-même acteur, comme la plupart des meilleurs metteurs en scène de l’époque) aussi bon à diriger des acteurs. Et pas une direction théâtrale où les acteurs ont toute l’amplitude habituelle de la scène pour étaler dans des plans sans coupe tout leur talent, mais bien un jeu typique du cinéma, frustrant pour les acteurs, qui n’est fait que de petits bouts de scène, d’actions et de réactions (l’accent nécessaire lors des moments importants étant juste souligné par un rythme plus lent et un plan rapproché). Il n’y a que ça ici, et la meilleure dans ce catalogue de mimiques cinématographiques, c’est bien sûr Lillian Gish.

Le jeu des acteurs du muet passe souvent pour être théâtral, pour n’être qu’une simple pantomime, je crois pourtant avoir vu que très rarement une telle performance chez une actrice au cinéma, parlant compris. Gish passe d’un registre à l’autre avec une aisance déconcertante, offrant sans cesse une palette d’expressions collant merveilleusement à la situation et à son personnage, le tout toujours dans une justesse confondante.

Elle commence en adolescente timide et amoureuse, semble imiter, par la démarche cahotante et des petits tics ou rictus (une jambe qui se dresse soudain), Chaplin, puis elle gagne en maturité, cherche à plaire à l’homme qu’elle aime tout en acceptant avec dignité son choix de se marier avec une autre, continue de jouer le rôle de meilleure amie pour l’un et pour l’autre… Il faut la voir surtout pleurer à chaudes larmes, ou plutôt comme insistait toujours un de mes profs de théâtre : « se retenir de pleurer ». Parce que oui, on est bien plus émus par un personnage qui se retient de pleurer, et c’est bien plus dur à reproduire pour un acteur. Non seulement Lillian Gish arrive à pleurer tout en nous donnant l’impression qu’elle cherche à retenir ses larmes, mais elle arrive en plus de tout ça à rester simple, juste, nous laissant là penser que c’est la chose la plus facile au monde… Il faut la voir aussi l’œil en coin (comme elle sait le faire si souvent et pour exprimer tant de choses différentes), exprimer quelque chose entre la méfiance, le dégoût, la jalousie, l’envie de meurtre, quand elle regarde son amie, la femme de celle qu’elle aime, échouée dans son lit après une escapade nocturne limite adultérine. Il y a du génie là-dedans, un génie comme presque toujours, qui passe par la fantaisie.


Le Pauvre Amour, D.W. Griffith 1919 True Heart Susie | D.W. Griffith Productions


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Ma mère dans les paupières (Banba no chutaro mabuta no haha), Hiroshi Inagaki (1931)

Note : 4.5 sur 5.

Ma mère dans les paupières

Titre original : Banba no chutaro mabuta no haha / 番場の忠太郎瞼の母

Aka : Chutaro Banba : Le Souvenir d’une mère

Année : 1931

Réalisation : Hiroshi Inagaki 

Avec : Chiezô Kataoka, Shinpachirô Asaka, Waichi Narimatsu, Hajime Morita, Ryôsuke Kagawa, Isuzu Yamada

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Première version d’une histoire connue plus tard sous le titre simplifié Mabuta no haha dont Tai Kato proposera une adaptation soporifique et colorée avec Kinnosuke Nakamura (le Miyamoto Musashi de Tomu Uchida). Dommage que le film ne soit référencé nulle part, c’est un chef-d’œuvre minimaliste et mélodramatique.

Loin des codes habituels du film en costumes (jidaigeki) ou même des matatabi-eiga (films de yakuza itinérant hérités des matatabi-mono dont serait maître l’auteur et dramaturge Shin Hasegawa), Ma mère dans les paupières serait plutôt un drame en costume resserré autour d’un seul objectif (le héros cherche sa mère à Edo) et concentré sur quelques heures (le film est adapté d’une pièce de théâtre). En 1931, il s’agit encore d’un muet et Inagaki, futur pape de la couleur thorpienne dégueulasse et de l’épique au service de Toshiro Mifune, se révèle ici maître dans la gestion de l’intensité, certes théâtrale, mais parfaitement adaptée en quelques plans et intertitres clés.

Une fois que notre héros a trouvé sa mère (et il y parvient assez facilement, ce n’est pas un film d’enquête), l’argument, et le dilemme, est assez simple : elle refuse de le reconnaître et pense qu’il vient réclamer sa part d’héritage quand lui vient innocemment chercher la maman qu’il n’a jamais eue. En un seul face-à-face, Inagaki multiplie les angles de caméra, les rythmes, répète avec insistance la même rengaine comme son héros le fait avec sa mère, mais toujours avec un sens du rythme inouï, ne lâchant rien. Une fois résolu à ne pas recevoir la reconnaissance espérée de sa mère, une nouvelle tension naît aussitôt dans les espaces extérieurs livrés au vent et à la neige… La fille arrivant à convaincre sa mère de retrouver ce premier fils caché et abandonné, la question est de savoir si elles parviendront à le rejoindre… Un lyrisme qu’Inagaki emploiera rarement par la suite lui préférant la sobriété des cadrages et des montages classiques.

Chiezo Kataoka, futur régulier lui aussi d’Uchida (Meurtre à Yoshiwara, Le Mont Fuji et la Lance ensanglantée), y est exceptionnel.

Ma mère dans les paupières (Banba no chutaro mabuta no haha), Hiroshi Inagaki (1931) | Chie Production


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Chantage, Alfred Hitchcock (1929)

Note : 4 sur 5.

Chantage

Titre original : Blackmail

Année : 1929

Réalisation : Alfred Hitchcock

Avec : Anny Ondra, John Longden, Sara Allgood

Premier Hitchcock vu depuis des années voire des décennies. Jamais vu celui-ci.

Mise en scène très maniérée, toute en gros plans et en mouvements de caméra. Tout cela est peut-être un peu trop systématique, ou forcée, mais c’est vrai aussi qu’on est encore dans le muet et qu’il faut bien séduire le spectateur avec du visuel plus qu’avec le reste. La composition des plans est remarquable, Hitch profite d’une jolie profondeur de champs. Et le rythme est forcément (c’est sa force, au gros), irréprochable, plein de tension. Jamais on ne s’ennuie.

Ce pervers de Hitchcock nous trouve les jambes de blonde les plus belles du monde, et il ne se prive pas de nous les montrer sous tous les angles (suggestif avec ça, parce qu’il sait rester correct : les bas sont blancs opaques, merci pour le symbole).

L’impression d’avoir vu cette histoire mille fois (ça me rappelle du Lang, La Rue rouge, il me semble). Mais peu importe ce qu’on raconte, seule la manière compte. Et Alfred Hitchcock connaît son affaire sur le bout des doigts.


Chantage, Alfred Hitchcock 1929 | British International Pictures


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