Un héros, Asghar Farhadi (2021)

Note : 4 sur 5.

Un héros

Titre original : Ghahreman/قهرمان

Année : 2021

Réalisation : Asghar Farhadi

Avec : Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Sahar Goldoost, Fereshteh Sadre Orafaiy, Sarina Farhadi

Du Asghar Farhadi dans le texte. Certes, le cinéaste iranien relate un événement bien réel qui a massivement circulé dans les médias et agité les réseaux sociaux en Iran, mais la mécanique narrative de son cinéma demeure facilement identifiable. Accusé de plagiat par une étudiante qui a fait de ce même événement un documentaire, Farhadi a été blanchi par la justice en début d’année. On peut difficilement arguer effectivement qu’on puisse voler des idées en bloc, un sujet, quand les faits authentiques rapportés sous forme de fiction sont déjà connus et bien discutés dans toute la société. On pourrait d’ailleurs reprocher à Farhadi de produire continuellement le même film en jouant sur les apparences, sur les oppositions d’intérêts contraires entre des personnages pas forcément malhonnêtes révélant l’impossibilité de tirer des conclusions hâtives sur eux.

Contrairement aux précédents œuvres du réalisateur, en revanche, on y reconnaît ici un petit côté Voleur de bicyclette, même si le profil naïf du protagoniste n’est pas ce qu’il y a de plus crédible dans le film. Le cinéaste aurait pu par ailleurs mieux traiter la relation entre le père et le fils bègue ; non pas pour se rapprocher de De Sica, mais parce que Farhadi semble, pour une fois, abuser gratuitement des éléments en tirant son récit vers le pathos sans en assumer ou en maîtriser les implications. Si l’exploitation de son handicap est bien utilisée, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, ce sont au contraire les conséquences de cette exploitation sur leur relation qui apparaissent peut-être légères si on les compare, par exemple, à la relation entre le père et la fille dans Une séparation (de mémoire, le père pousse sa fille à un faux témoignage, exactement comme ici, sauf qu’on voit plus ouvertement le dilemme éthique posé à la fille avec comme conséquence une dégradation de leur relation). Dernier détail peu convaincant : la facilité avec laquelle la future femme du « héros » le défend (son amour paraît gratuit ; une simple petite ligne de dialogue aurait pu justifier ce dévouement, mais peut-être m’a-t-elle échappé).

Pour le reste, Farhadi, comme d’habitude, joue les équilibristes en livrant au spectateur en permanence de nouvelles informations sur les enjeux de chacun et sur leur passé qui nous obligent à revoir notre jugement sur l’intégrité des personnages rencontrés et sur la situation dans laquelle ils s’embarquent malgré eux. Revient toujours chez le cinéaste, comme une rengaine familière, cette impression de sac de nœuds et de sable mouvant parti d’un seul événement initial ; les pièges dressés dans une histoire de Farhadi laissent penser que chaque fois que les personnages essaieront d’améliorer leur sort, ils ne feront au contraire qu’aggraver leur cas et nourrir un peu plus les tensions qui les divisent. Les rôles permutent souvent : les aidants se transforment en opposants ; chacun doit affronter de nouveaux dilemmes ou des conséquences inattendues de quelques fautes passées ; on tente de trouver des compromis, des terrains d’entente ; on cherche à sauver sa peau, préserver son honneur ou les apparences ; puis tout s’écroule à nouveau quand des éléments imprévus rejaillissent… On n’aura jamais eu autant le sentiment face à un film reposant sur une « histoire vraie » d’avoir en réalité affaire à tout le contraire. Le réel n’a pas, en principe, vocation à passer pour « mécanique » ou à ressembler à une fable éthique et morale (à la manière du jugement de Salomon). Une seule logique s’impose toujours au spectateur dans un film de Farhadi : le juge, c’est le spectateur, pas l’autorité politique (autorité à qui l’on pourrait presque toujours voir, en filigrane, que les films du cinéaste sont destinés). Chacun pourra alors en juger : aucun spectateur-juge ne voit le même film et aucun n’applique un jugement unique sur les personnages.

Enfin, quel plaisir de voir dans les films de Farhadi un aperçu de la vie iranienne telle que vécue actuellement entre sanctions internationales et pressions autoritaires du régime des mollahs… On ne devine pas grand-chose, sinon une forme de censure (on peut évoquer la « légèreté » des responsables de la prison, mais les personnes à la préfecture restent irréprochables), mais l’essentiel est comme souvent ailleurs : le cinéma permet de réunir les peuples en dévoilant à travers les moindres gestes du quotidien ce qui les unit, plus que ce qui les sépare ou les oppose.


Un héros, Asghar Farhadi 2021 Ghahreman | Arte France Cinéma, Asghar Farhadi Productions, CNC


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Last Night in Soho, Edgar Wright (2021)

Not all men

Note : 2.5 sur 5.

Last Night in Soho

Année : 2021

Réalisation : Edgar Wright

Avec : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Diana Rigg, Terence Stamp

 

Les joies du confusionnisme. Pendant près d’une heure, on s’agace en voyant cette pauvre gamine ne pas aller voir un psychiatre, tout dans ses visions faisant penser à de la schizophrénie. Cela n’aurait rien coûté de balayer rapidement cette hypothèse ou d’inventer un subterfuge en guise de justification pour ne pas avoir à le faire (comme on le fait pour justifier de ne pas appeler les policiers dans un film criminel). On lève alors les yeux au ciel en comprenant au moment du dénouement que ses visions s’appuient sur des événements réels… qu’elle identifiait mal. L’horreur, le fantastique, c’est bien, mais quand ça tient d’une explication moisie justifiée sur le tard, on s’enfonce rapidement dans le ridicule. Et c’est d’autant plus vrai, pardon, mon cher Edgar (pas Poe), que les hallucinations de la gamine n’ont rien de simples visions rattachées à un espace hanté ou à une quelconque sorcellerie : quand elle est dans la bibliothèque et qu’elle attaque une élève suite à des hallucinations, c’est typiquement un type de situation que l’on peut rencontrer avec des schizophrènes. Pour le coup, aucun rapport avec un passé bien réel… Ne pas donner des explications à son comportement à ce moment-là est plutôt problématique… Première confusion qui me pousse à faire “beuh”.

Second niveau de confusion : le rapport aux victimes, aux mâles comme la société actuelle ne veut plus en voir (des prédateurs, pour faire court) et aux assassins. Déflorons l’intrigue. Une étudiante s’installe dans une vieille chambre dans le quartier de Soho ; elle ne tarde pas à avoir des visions sur une aspirante chanteuse dans les années 60 et « apprend » qu’elle aurait été abusée par une série d’hommes que son manager lui aurait fait rencontrer. Ses visions lui indiquent bientôt que cette chanteuse aurait été assassinée par ce même manager parce qu’elle ne se pliait pas à ses exigences ; elle pense y voir un crime non résolu, et court en informer la police qui ne la prend pas au sérieux. Arrive le twist où les masques tombent, et patatras, l’assassin était en fait la victime, la logeuse, qui s’en serait prise aux hommes qui l’avaient précédemment abusée. Donc, quoi ? Finalement,… not all men ?

Dans ses visions, quand elle comprend que ceux qu’elle croyait être, seulement, ses bourreaux sont aussi les victimes assassinées par sa logeuse, elle refuse de les aider quand ils lui demandent son aide. Soit, c’est de bonne guerre. La réplique est amusante d’ailleurs, très esprit metoo radical. Sorte de revenge movie par procuration. Sauf que les implications dramatiques deviennent difficiles à justifier : la gamine comprend le fin mot de l’histoire alors qu’elle est censée être sous somnifère (elle retrouve toutes ses facultés, on se demande comment), et si elle refuse de venir en aide aux abuseurs devenus à leur tour victimes qu’elle voit en hallucinations…, de quel côté va-t-elle se placer quand la mamie psychopathe (victime autrefois de ces abus mais devenue par la force des choses une tueuse en série) se trouvera en face d’elle ? Tu as trois secondes pour réfléchir, lady, parce que mamie arrive enfin de sa longue montée des escaliers ! Alors ?… Inutile de réfléchir, mamie décide pour toi. Et que tu sois une fille ou un mec, pour la boomeur, ça ne change rien à l’histoire : la sororité, elle la poignarde en plein cœur ! Aucun respect pour les féministes 2.0, ces bonnes féministes des 60’s qui ont mal vieilli.

Sérieusement, faut pas pousser mamie dans les orties, ça n’a aucun sens. Confusionnisme total. L’ironie, sans doute, c’est probablement encore qu’on ait affaire ici à une sorte de justification par l’absurde du mouvement metoo par ceux qui justement sont les moins bien placés pour en justifier les excès : les hommes. Confusion et tartufferie. Si on voulait résumer en un film d’absurdité de metoo, il aurait bien sûr fallu y mettre un peu de male gaze. « Mesdames, je vais faire un film pour vous défendre, vous, les victimes. Ce sera trash. Les hommes vont en prendre pour leur grade. » « Cool. » « Et puis, le twist est génial. » « Ah ? » « À la fin, c’est la femme qui est coupable. » « Heu. »

Dans Scary Movie, parfois, on peut être amusé de ne plus savoir qui sont les assassins et les victimes. Mais c’est volontaire. Ici, on rit jaune (giallo peut-être), parce que plus personne ne semble savoir qui sont les agresseurs ou les victimes ou les deux. Le film d’une époque, assurément où chacun voudrait pouvoir prétendre juger de qui est qui alors que le monde n’est, pour nous et à notre petite échelle, qu’un grand flou halluciné. La vie n’est pas une fiction : la première chose à faire, c’est d’aller voir la police, de laisser faire la justice, et de surtout ne jamais se fier à ses intuitions. Les intuitions traduisent le monde comme on veut le voir ou comme on le craint ; elles nous rendent surtout les choses simples, créent un récit cohérent avec peu de matière. Un récit, ce n’est pas la réalité. Pas plus que la gamine dans le film, on n’est apte à juger de ce que l’on pense voir ou comprendre. Connaissant son passif familial, elle aurait dû s’en remettre à un psy, comme nous n’avons d’autre choix que de nous en remettre à la justice quand surviennent des faits dont la nature précise reste floue. Intuitions, hallucinations, même combat. Si le film pouvait au moins servir à cette conclusion, ce serait déjà pas si mal, mais je suis probablement le seul à forcer ainsi cette interprétation. Le confusionnisme a ses vertus : je m’efforcerai toujours à trouver un sens personnel à un grand n’importe quoi. (Quand le film que l’on vous propose est mauvais, tentez toujours d’y créer le vôtre.)

Tout cela est bien dommage, parce que tout le reste est parfaitement réussi (production, réalisation, interprétation, musique). Plaisant à regarder, mais indéniablement mal fichu.


Last Night in Soho, Edgar Wright (2021) | Focus Features International, Film4, Perfect World Pictures


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Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, Arthur Harari (2021)

Apoplexie Now

Note : 3 sur 5.

Onoda

Année : 2021

Réalisation : Arthur Harari

Avec : Yûya Endô, Kanji Tsuda, Yûya Matsuura, Tetsuya Chiba

Mise en scène et contextualisation : crédibilité, détails/situation générale

Il faudrait toujours se méfier des sujets inspirés d’un événement réel. Bien qu’on puisse imaginer que les auteurs aient essayé d’en retirer les éléments les moins crédibles (l’histoire ne serait pas 100 % authentique), ils ont peiné à faire ressortir la logique justement irrationnelle qui a poussé le personnage principal — mais pas seulement, car quand il apprend la possibilité de la fin de la guerre, par deux fois déjà, il est accompagné — à refuser l’évidence du réel. Retranscrire le basculement vers une forme de folie est une gageure qui relève presque de l’impossible : il faut pour cela gagner de ses acteurs qu’ils ressentent sans en rajouter le poids de l’isolation, année après année, l’obstination et les pertes de repères logiques qui expliquent le refus de se faire aux quelques signaux reçus indiquant la fin des hostilités ; il faut que tout le travail de contextualisation restitue au mieux l’environnement oppressant de la jungle où les menaces invisibles et parfois insoupçonnées peuvent fondre rapidement sur vous et vous anéantir (c’est d’ailleurs ce qui arrivera à tous les compagnons d’Onoda).

Ce n’est pas un problème mineur. Tout le film tient à cette gageure.

Pourtant déjà, bien avant que les soldats soient confrontés à ces signaux, très vite le film peine à convaincre par sa mise en scène et par sa direction d’acteurs. L’histoire ne me semble pas si mal agencée, avec quelques flashbacks pour amorcer le récit, délivrer au compte-gouttes quelques révélations sur l’identité et la nature de la mission (avec pour effet de créer une tension au sein même du groupe de soldats, puis un sens du devoir partagé). C’est bien la mise en scène qui ne parvient jamais à trouver le bon rythme ou la bonne approche. Il n’y a guère qu’à la fin peut-être que l’approche semble la mieux adaptée : en général, quand on sait qu’il y a une « scène à faire », il y a de fortes chances pour qu’on la rate, et le mieux est alors de surprendre le spectateur en lui en proposant une autre ou en adoptant un angle suffisamment singulier pour qu’il ne roule pas des yeux. Pourtant, la fin me semble adopter une approche plus convaincante que ce qui avait été jusque-là proposé. Et c’est sans doute aussi un peu grâce à l’acteur qui joue Onoda vieux. Quand on change ainsi d’acteurs en plein milieu d’un film, en général, on ne leur donne pas aussi facilement du crédit. C’est pourtant le cas ici, le rôle-titre jeune et l’ensemble des autres acteurs n’ayant jamais été à la hauteur du défi proposé.

Dès les premières minutes s’installe ainsi dans le film un faux rythme qui augure des faiblesses à venir (une volonté de jouer sur la lenteur surtout). Mais un rythme lent, ça se prépare, ça repose sur un contexte lourd, sur des ambiances travaillées, sur des acteurs comprenant parfaitement les enjeux derrière chaque situation. Rien pourtant de tout cela n’est maîtrisé. La lenteur est factice. Elle se justifie parfois par une pesanteur qui émane naturellement des images : on peine à distinguer ce qui s’y passe, on attend que quelque chose d’incertain s’achève ou prenne son envol, on guette avec les acteurs une menace hors cadre qui tarde à se montrer. Si on prend son temps alors que rien ne se passe à l’intérieur ou en dehors du cadre… rien ne se passe. Ce n’est pas ainsi que l’on crée des ambiances. Ce n’est pas le rythme ou la volonté de « faire lent » qui crée l’atmosphère, c’est l’atmosphère (et l’objet qui se présente sous nos yeux, avec sa part de mystère et d’incertitude) qui a comme conséquence la lenteur. La lenteur de la caméra ou du montage, c’est celle du chat qui se fait discret avant de fondre sur sa proie : on doit y trouver de la tension et de la concentration. Pas de tension ni de lenteur si la menace ou l’objet de tension n’est ni identifiable (parfois mal) ni tout bonnement présent (lors de séquences introductives par exemple : on sent comme une volonté de créer une atmosphère tendue à travers la musique et les images, à la Apocalypse Now ou à la Aguirre, mais ces deux éléments participant à la mise en scène n’offrent rien de bien probant à ce niveau). Parfois même, la lenteur est celle du cadre, du montage, du poids de la musique qui vient en contrepoint des images alors que les objets du cadre possèdent une vitesse propre (ce qui a pour effet de créer par ailleurs une vision narrative qui concourt à la création d’une ambiance puisqu’on sent le poids d’un récit subjectif qui tranche avec une vision habituellement neutre et omniscience : c’est souvent utilisé dans les films avec une voix off, mais elle est très peu utilisée ici). Harari fait le contraire. Il veut mettre la charrue avant les bœufs en quelque sorte et se repose trop sur l’espoir de gagner des effets sans en montrer (ou en suggérer) les causes ou les origines.

Résultat, on sent les acteurs empruntés, plus soucieux de suivre les indications du réalisateur pour leur donner le rythme, les expressions ou les effets souhaités que de s’intégrer dans une situation. Si la gageure pour une telle histoire, c’est de la rendre crédible alors même qu’elle repose sur des événements réels, la gageure pour un directeur d’acteurs et ses interprètes, c’est de rendre crédible la reconstitution d’une suite de situations ancrées dans un monde et une société passés, par définition, disparus. Difficile pour un acteur de rendre l’atmosphère et la mentalité d’un soldat sans se représenter la mentalité des soldats pendant la guerre et que votre directeur d’acteurs semble attendre de vous des effets prédéfinis sans comprendre que ces effets ne naissent pas d’eux-mêmes et que personne ne pourra y croire si on les reproduit tels quels sans prêter attention à ce qui les provoque (c’est bien pourquoi la situation doit toujours primer sur les détails). Au spectateur, on peut lui rendre plus facilement crédible une époque, une atmosphère, quand on a de gros moyens et qu’on est capable de contextualiser un monde grâce à des décors ou à des figurants. Quand on n’a rien de tout cela, quand les moyens de reconstitutions sont limités, il faut se reposer sur la qualité des acteurs et bien les diriger. Or, l’erreur, c’est de les laisser jouer souvent au premier degré les répliques qu’on leur a écrites, jouer sur les détails d’une situation qui n’a souvent qu’une valeur illustrative alors que l’essentiel serait de jouer une situation plus générale, une atmosphère, une époque (un comportement est souvent plus constitutif d’événements généraux, d’une situation, surtout en temps de guerre où la tension est constante, que d’humeurs passagères déterminées par des conflits, objectifs ou microsituations qui débordent rarement de l’espace d’une scène).

Pour reconstituer un monde, le rendre crédible sans le montrer, il faut s’appuyer sur un sous-texte qui devra prévaloir sur le moment présent : on doit ainsi sentir la tension d’un Japon mis sous pression, les besoins de penser à autre chose (une scène essaie de le faire, lors de la formation en flashback, mais le cinéaste n’arrive absolument pas à construire l’atmosphère de détente suggérée), le besoin de ne jamais montrer ses sentiments, de se conformer à une volonté supérieure, les conflits peut-être qui en découlent. On ne ressent rien de tout ça parce que les acteurs et la direction d’acteurs ne s’appliquent qu’à « jouer » une situation présente souvent moins intéressante qu’une autre plus globale. Certaines scènes sont de simples illustrations : elles sont là pour apporter diverses informations, mais elles servent surtout à illustrer un contexte, mettre en place un environnement historique et géographique. Tout ça concourt en principe à instaurer une ambiance et à provoquer une sensation, parfois un choc, de « crédibilité » : on ressent puissamment ce qu’on voit parce qu’on décèle des éléments hors cadre dans le regard des acteurs. Et paradoxalement, les acteurs arrivent à mieux restituer le monde qui est censé exister autour des personnages en en montrant le moins possible et en gardant à l’esprit l’atmosphère générale (c’est pour ça que certains acteurs que l’histoire a jugé trop « impassibles » sont si efficaces ; ils ne sont pas « impassibles », ils jouent une situation qui dépasse les enjeux illusoires du moment présent).

Ce qui prime ici, c’est de retranscrire une humeur générale qui ne doit surtout pas trop se laisser imposer un rythme ou une tonalité propres à des microsituations anecdotiques. C’est une des difficultés principales pour un acteur : dans mes « techniques d’acteurs », je précise qu’on réclame à un acteur à la fois de ne jamais jouer sur les détails et de jouer l’instant présent. Ce n’est pas si contradictoire avec ce que je dis ici : quand on dit à un acteur de jouer « au présent », cela concerne souvent son travail sur la « pensée », sur sa manière de rendre un texte ; en revanche, il faut comprendre la nuance avec « ne pas jouer les détails » : dans la vie comme devant les caméras, les comportements sont beaucoup plus conditionnés par des situations générales, des enjeux, des objectifs qui font bloc, et dans ce cadre, les microsituations, conditionnées elles par des enjeux immédiats à court terme, font généralement peu de poids. Il faut jouer l’un et l’autre, mais la situation générale, avec ses objectifs, ses enjeux, doit prévaloir sur le reste. Et à l’écran, en découle alors un jeu qui se fait dans l’instant, déterminé par le texte, les relations immédiates, et un jeu fait de sous-texte qui tire son origine beaucoup plus dans la situation générale (parfois, c’est la conséquence d’une séquence précédente qui influe sur le comportement actuel). Et cela, seul l’acteur qui joue Onoda vieux arrive à le laisser transparaître. Ce n’est peut-être pas encore suffisant pour un personnage qui aurait été ainsi déconnecté du monde pendant tant d’années, mais disons que par rapport aux autres acteurs qui jouent « l’instant » sans parvenir à faire transparaître la situation générale, c’est le jour et la nuit.

La photographie n’aide pas beaucoup plus à nous rendre le monde décrit crédible. Pas beaucoup de profondeur ou de contraste, ce qui semble être une surexposition permanente… Je ne sais pas si ce sont les effets d’une caméra numérique, mais c’est assez laid à voir. Et puis, qui fait des nuits américaines de nos jours ?…


Onoda, 10 000 nuits dans la jungle, Arthur Harari (2021) | Bathysphere Productions


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Bergman Island, Mia Hansen-Løve (2021)

Persona non grata

Note : 2.5 sur 5.

Bergman Island

Année : 2021

Réalisation : Mia Hansen-Løve

Avec : Vicky Krieps, Tim Roth, Grace Delrue, Mia Wasikowska, Anders Danielsen Lie

Pas étonné par le résultat. On est rarement surpris par les films de la nouvelle qualité française. Vide complet et autofiction.

J’avais snobé la rétrospective de la dame à la Cinémathèque parce que je ne pense pas qu’il faille encourager les gens qui n’ont pas de talent et parce que je n’aime pas trop qu’une institution comme celle-là mette en avant les copains. J’avoue toutefois que le film a piqué ma curiosité quand j’ai appris qu’il était question de l’île de Bergman (oui, je parle bien anglais) et espérais donc un peu en tirer quelques informations comme dans un safari pour fans débiles (que je suis par ailleurs).

Tout pue dans le film, sauf peut-être l’épilogue qui brouille les pistes entre fiction et réalité. Et à côté de ça, je reconnais à la dame un certain talent pour la concision : deux phrases tout au plus, puis on poursuit la discussion dans un autre lieu. Ça donne l’idée qu’on évite le bavardage, mais on n’échappe pas aux situations sans intérêt. L’illusion est réussie : l’habillage, le décor, le rythme, ça arrivera toujours à séduire le badaud.

Peut-être qu’à force de voir les films de la dame, je finirais par y trouver un intérêt, car comme son double fictif le fait remarquer (dit par son mari) : plus on regarde une chose, plus on y trouve un intérêt. Là-dessus, je serais assez d’accord. Seulement, si ça marche avec un Hong Sang-soo ou avec bien d’autres, il y a certaines personnes avec qui tout simplement on n’a pas envie de faire l’effort : on est au lendemain du couronnement de Charlie, pour lui comme pour d’autres têtes que l’on couronne et dont on arrive à se convaincre tout compte fait qu’il y a au cœur de ce processus une forme de mérite (ou de tradition familiale), en particulier chez les artistes, je suis un pouilleux, je n’aime pas les aristocrates et n’aiment pas ceux qui en font la promotion. Ça se fait toujours au détriment des autres, plus méritants, plus talentueux. Certains traînent des pieds en allant voir le film d’un violeur d’enfant, moi je me pince le nez pour regarder le film d’un enfant de bonne famille qu’un autre moins chanceux ne se verra jamais proposer de réaliser. Il n’y a pas de double standard ou de priorité morale ; certaines indignations ont déjà assez de voix. Je porte ma voix dans le désert, et c’est toujours là où je me sens le mieux. Je demande à personne de me suivre, et je ne porte aucun jugement de valeur sur l’indignation des autres. Il faudra ainsi encore enfoncer la porte bien des fois pour me faire changer d’avis à propos de certains individus qui n’appartiennent pas à ma classe et dont on estime qu’il leur est naturel d’occuper mon univers culturel. On le sait déjà, Mia aura l’occasion bien plus que d’autres d’enfoncer la porte de mon attention. Lui proposer un peu de dureté là où elle n’en a jamais rencontré, c’est encore le moins que je puisse faire. Certains jeunes turcs critiquaient la qualité française ou le cinéma britannique, par exemple, on ne devrait ainsi pas trouver si injuste que ça que la petite voix inoffensive qui est la mienne trouve ses propres têtes de turc et se fâche de voir beaucoup de « fils de » et de « bourgeois de gauche » chez les bénéficiaires, garants et promoteurs de cette « nouvelle qualité française ».

Rien de personnel, serais-je tenté de te dire, Mia. À moi désormais le soin de laisser sa chance à un autre film médiocre issu d’une plus grande diversité…

(On y retrouve l’acteur de Julie (en 12 chapitres) ou de Oslo, 31 août, également apparu chez Assayas dans Personal Shopper. Tout est dit.)


Bergman Island, Mia Hansen-Løve 2021 | CG Cinéma, Arte France Cinéma, Dauphin Films


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La nouvelle qualité française

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Juste sous vos yeux, Hong Sang-soo (2021)

Le retour du film prodigue

Note : 3.5 sur 5.

Juste sous vos yeux

Titre original : Dangsin-eolgul-apeseo / 당신의 얼굴 앞에서

Aka : In Front of Your Face

Année : 2021

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Lee Hye-yeong, Kwon Hae-hyo, Kim Sae-byuk

Nouvelle actrice, nouveau départ. On commence à comprendre la technique Hong Sang-soo (à laquelle il ne peut rien) : c’est à l’échelle de toute une filmographie, ce que j’ai appelé parfois l’effet La Maman et la Putain. Le film d’Eustache était chiant et long, mais parce qu’il était long et ne s’appliquait qu’à nous montrer à l’écran les mêmes acteurs, on finissait par s’habituer et par rentrer dans le jeu, dans le rythme du film, ou sa logique propre.

Il parait ainsi évident qu’à piocher ici ou là un film au hasard du cinéaste, il y ait peu de chance de s’y laisser prendre. Mais la force des films de Hong Sang-soo, c’est pour beaucoup ses acteurs. Et les acteurs doivent en être conscients parce qu’ils le lui rendent bien : j’ignore précisément la technique de direction d’acteurs du cinéaste, mais ils sont tous sur la même longueur d’onde. On peut imaginer des tentatives avortées avec des acteurs, mais en général, quand des acteurs ne sont pas faits pour certaines techniques de jeu, ça se voit tout de suite. On ne verra donc jamais ces essais ratés s’ils existent. Pour les autres, ça ne peut être qu’un plaisir de retrouver un cinéaste qui les met si bien en avant et qui, je le pense compte tenu du résultat, leur laisse autant de libertés.

Je m’étais plaint parfois de certains de ses acteurs. Je ne sais pas si c’était dû au film, à l’habitude que je n’avais pas encore prise de les voir, si je suis tombé sur les acteurs d’une époque avec qui le cinéaste aura finalement choisi de ne plus travailler, le fait est que ce serait intéressant de revoir ces films découverts en début de chaîne pour voir si l’expérience nouvellement gagnée à voir certains d’entre eux, dans d’autres rôles, permet de les voir sous un autre angle et ainsi d’apprécier différemment les œuvres vues parfois peut-être trop tôt. Il n’y a toujours qu’un film (même si Hong Sang-soo s’applique à refaire ce même film depuis vingt ans), pourtant, quand on le revoit, on en voit toujours un autre…

Je verrai. C’est bien aussi de rester sur les premières impressions. Autrement, on passerait notre temps à tout revoir. C’est juste une perception, farouchement esclave de nos habitudes de spectateurs, avec laquelle il ne faut pas être dupe. Et je suis désolé, toujours, d’en revenir au relativisme. Parce que oui, ça fait relativiser toutes les appréciations et la valeur que l’on donne aux choses.

Au début du film ici, donc, le visage de l’actrice principale ne m’était pas bien familier, et on peine à s’intéresser ou à comprendre ce qui la ronge. On parle d’un rendez-vous qu’on apprend très vite être un entretien avec un cinéaste qui compte faire un film avec elle. Elle n’a pas tourné depuis longtemps, partie depuis aux États-Unis. La relation entre elle et sa sœur est ainsi intéressante, mais (désolé de te le faire remarquer, Sang-soo) aussi beaucoup anecdotique, même quand on la revoit à la lumière de ce qu’on apprend après. Peut-être parce qu’elle prend un peu trop de place justement. Et parce que c’est tout naturellement qu’on pense qu’elle est au cœur du film (alors qu’elle ne sert qu’à illustrer la détresse du personnage principal).

On commence à comprendre où veut en venir le cinéaste quand « l’actrice » profite que son rendez-vous soit reporté de quelques heures pour se rendre à un autre endroit : la maison où elle a grandi. Tout passe toujours par le dialogue chez Hong Sang-soo — dialogues qui en révèlent toujours plus que ce qu’ils semblent dire d’abord dans leur apparente trivialité. Mais à force d’agréger les indices (et les informations), on finit par avoir une meilleure vue d’ensemble. Plus tard, l’actrice dira au cinéaste que ses films sont comme des nouvelles, et précisément, c’est peut-être une technique narrative qu’on rencontre plus dans la littérature (et encore plus dans la nouvelle qui fonctionne assez souvent sur les mêmes principes « d’exposition, indices et chute ») qu’au cinéma. Une manière d’aborder les choses sans avoir l’air d’y toucher. Bref, on comprend alors la solitude et la nostalgie de cette femme venue retrouver des images lointaines, probablement de bonheur, de son enfance. On ne sait pas encore pourquoi, mais ce n’est sans doute pas sans raison. Image rare chez le cinéaste : celle d’une enfant, qui vient s’approcher de l’actrice. On ne verra jamais son visage, sans doute parce qu’il s’agit plus d’une apparition : l’image sans visage de la petite fille qu’elle avait été à grandir entre ces mêmes murs.

Et puis, ellipse brutale, comme souvent chez le cinéaste qui favorise les longues séquences installées. Un visage familier : Kwon Hae-hyo, l’acteur au ton si ironique et pince-sans-rire qui parfois semble interpréter le pendant face à l’écran du cinéaste. L’entretien entre l’actrice exilée et le cinéaste. La première est directe et semble percevoir toutes les techniques louches de mâle usant de son autorité pour gagner les faveurs des femmes. Pourquoi l’entretien se tient-il dans un bar fermé ? Pourquoi le cinéaste a-t-il demandé à l’assistant de les laisser ? Etc. Ici, en tant que spectateur, quand on sait à quel point les films du cinéaste peuvent être inspirés par la réalité, on aurait presque la curiosité de savoir s’il y aurait réellement une telle actrice n’ayant joué que dans un film qui l’aurait marqué au point de vouloir la refaire tourner trente ans après… (L’actrice est la fille du cinéaste Lee Man-hee avec qui, apprend-on sur Wikipédia, la mère productrice de Hong Sang-soo aurait travaillé. Possiblement, les deux filsde se connaîtraient donc depuis l’enfance.) Quoi qu’il en soit, elle finit par expliquer qu’elle ne pourra pas faire de film avec lui, et tout ce qui suit est follement passionnant… et triste. L’humour heureusement ne manque pas de ponctuer l’humeur sinistre de cette seconde partie bien meilleure que la première. Et comme toujours, c’est à travers l’alcool que les personnages se livrent. Comme toujours, le cinéaste raconte l’histoire d’un retour.


Juste sous vos yeux, Hong Sang-soo 2021 Dangsin-eolgul-apeseo | Jeonwonsa Film


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Ascension, Jessica Kingdon (2021)

Ascension à la marche

Note : 2.5 sur 5.

Ascension

Année : 2021

Réalisation : Jessica Kingdon

Pas très friand de ces films à la Koyaanisqatsi/Samsara qui visent l’exhaustivité des sujets en assenant à renfort de musiques lourdingues un discours obscur car indirect qui démontre surtout le cynisme et l’hypocrisie de ceux qui les font.

Quand ils sont sans paroles, je préfère de loin les documentaires avec un sujet unique qui peut au moins laisser deviner une identification et une empathie avec les sujets présentés (et éventuellement dénoncer des pratiques de personnes favorisées, non toute une population ou une culture). Ce qui est loin d’être le cas quand on butine d’un sujet à un autre en les intégrant à un autre plus général, souvent idéologique, qui a en plus le bon goût (ou le courage) de laisser la musique porter un jugement sur les images plutôt que d’utiliser le verbe pour assumer son point de vue. Cela permet d’être plus insidieux, on dira…

On nous montre ainsi la société chinoise par les mille petits bouts de la lorgnette. Génie du hors contexte qui sert un sujet qui les dépasse. On pourrait montrer autant de cynisme et de mauvaise foi en montrant une société différente. Jessica Kingdon n’est pas Chinoise, assurément. Et c’est un peu ironique de traiter au fond tous ces individus d’esclaves quand on se sert de leur image, de leur présence, de leur naïveté et de leur travail pour illustrer un propos qui les dessert. On imagine combien une telle démarche a pu être appréciée aux États-Unis, le documentaire pointant du doigt les méfaits d’une culture de la surconsommation quand cette culture prend précisément modèle sur la sienne… Les images d’étudiants faisant la fête par centaines dans des piscines géantes, les mêmes faisant du rafting dans le toboggan surdimensionné d’un parc d’attraction, des travailleurs exploités, des managers en bullshit, ce n’est certainement pas dans le pays de l’oncle Sam qu’on trouverait ça…

J’ai été par le passé assez conciliant avec ce genre de démarche documentaire faussement exhaustive (je devrais parler de cherry picking documentary en fait) et sans parole mais avec un discours en creux qui passe par l’émotion (guidée par la musique, le plus souvent). Je crois que c’est avec Samsara que j’ai compris l’hypocrisie de la chose. On échappe ici aux belles images, mais la musique qui dirige les émotions est là, ainsi que l’exhaustivité des sujets qui picore ici ou là pour illustrer un vague mépris pour la nouvelle société à abattre (c’était les rouges, puis ç’a été les musulmans, maintenant c’est les Chinois).

Nominé aux Oscars, what else. Moi aussi, quand j’ai des copines qui médisent sur une ex, je leur lance des lauriers.

La plus grande audace encore, c’est de donner un titre pareil à un tel film. Un petit quelque chose de sarcasme jaloux de la part de la première puissance économique du monde face à celle qui la dépassera bientôt. On peut aussi retrouver une forme de filiation avec le cinéma documentaire expérimental des années 20, sauf qu’il y avait une démarche esthétique et poétique qu’on ne trouve pas ici ; et pour cause, la volonté de donner un sens à ce kaléidoscope de situations sans rapport les unes avec les autres dévore toute possibilité de s’intéresser à autre chose.

Que les cinéastes condamnent courageusement les travers de leur propre société au lieu de cracher sur celle des autres. Pour commencer. On n’a pas besoin, en plus, du cinéma pour cracher sur le voisin.


Ascension, Jessica Kingdon 2021 | Mouth Numbing Spicy, CrabXTR


Liens externes :


Life of Crime 1984-2020, Jon Alpert (2021)

Ruissellement de la misère

Note : 4 sur 5.

Life of Crime 1984-2020

Année : 2021

Réalisation : Jon Alpert

Quelle violence… ! D’une certaine manière, ça fait écho à The Power of Nightmares où on voit décryptées les politiques criminelles aux États-Unis à des fins idéologiques. La Grande-Bretagne avait usé des mêmes méthodes pour affaiblir la Chine en l’inondant d’opium. Les États-Unis ont fait la même chose avec leur propre population.

Et ça fait aussi écho au film de Fritz Lang que j’ai vu la semaine dernière (You and Me). Dans ce film, d’anciens gangsters trouvent un travail pendant leur liberté conditionnelle à l’aide d’un entrepreneur idéaliste comme on n’en a vu que dans les films des années 30. À ma connaissance, c’est aussi un des rares films où on voit le travail des agents de probation et de liberté conditionnelle. Si d’un côté, une portion de la population pense que les délinquants ont ça en eux et que la société doit se protéger d’eux en les harcelant si nécessaire, d’un autre, d’autres sont convaincus au contraire qu’il faut les aider. Tout le contraire des politiques criminelles et sociales menées dans les dernières décennies du vingtième siècle aux États-Unis. Les délinquants ont besoin d’agents de probation pour les guider dans leur réinsertion, de guides moraux, d’aides sociales et de personnes de bonne volonté pour leur offrir du travail et avoir confiance en eux. En dehors des agents de probation, on ne voit rien de tout ça dans le documentaire. Au mieux, on voit que ce sont les victimes elles-mêmes qui s’organisent en communauté pour aider celles d’entre elles se trouvant le plus au fond du trou. Ça a valeur d’exemple, mais parfois les exemples ne sont pas infaillibles. Dans le film de Fritz Lang, cet exemple est donné de manière très surprenante par le personnage de Sylvia Sidney : alors que son gangster de mari ignore son passé de détenue, quand il retombe avec ses amis avec comme projet de cambrioler le magasin de l’employeur qui leur a tendu la main, c’est là qu’elle se manifeste et leur fait une leçon magistrale quasi mathématique pour leur expliquer en gros que le crime ne paie pas.

Ça devrait être à la société (donc aux politiques sociales fédérales pour ce qui est des États-Unis) d’éduquer ainsi ses citoyens pour les mettre en garde des dangers du crime et de la drogue, non d’anciens criminels repentis. C’était une vision naïve et utopiste dans un film des années 30 ; c’est une obligation dans le monde réel des États-Unis à la fin du siècle, car c’est la seule solution proposée à ces personnes en détresse. Puisque l’État ne fait pas son devoir et puisque la criminalité est utilisée comme une arme politique.

On le voit bien dans le documentaire, ce qui manque encore à tous ces anciens détenus, c’est encore plus des addictologues. La plupart de ces crimes sont liés à la drogue. Contre une addiction, le bon exemple ne suffit pas toujours… En plus qu’une aide sociale et du reste, ces anciens délinquants ont besoin d’être suivis médicalement et psychologiquement… L’Amérique a fait le choix de criminaliser ses populations pauvres, ce documentaire est un exemple parmi d’autres mettant en évidence l’idée qu’on ne naît pas criminel. Il n’y a de vocation que chez les responsables idéologiques et politiques à maintenir des populations en difficulté dans la misère et la criminalité à des seules fins personnelles pour gagner des bulletins de vote et instrumentaliser la misère dont ils sont eux-mêmes à l’origine à travers une idéologie du tout répressif.

Le début du film est assez surréaliste. À se demander comment le cinéaste a pu arriver à être témoin de telles scènes. On imagine que dans le Newark des années 80, les opportunités, ce n’était pas ce qui manquait. Et on peut imaginer alors qu’au contraire des documentaires léchés comme Les Chasseurs de truffes où les plans sont pensés et préparés bien en amont, on soit plutôt ici en présence d’un documentaire multipliant les heures de rushs : trois protagonistes suivis sur 35 ans, mais combien suivis en réalité depuis le départ et qu’on ne verra pas dans un montage final ?… Et à défaut, combien d’heures de rushs ou de risques de manquer un tournant de la vie de ces trois laissés pour compte ?


Life of Crime 1984-2020, Jon Alpert 2021 | Downtown Community Television Center


Sur La Saveur des goûts amers :

Top des meilleurs films documentaires

 

 

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Liens externes :


Matrix Resurrections, Lana Wachowski (2021)

Notes diverses

Transcription de réponses faites essentiellement sur Twitter.

The Matrix Resurrections, Lana Wachowski 2021 | Warner Bros., Village, Roadshow Pictures, Venus Castina Productions

Réponse au podcast C’est plus que de la SF épisode Matrix Resurrections :

https://t.co/eQZhtMk3Tr

« L’époque n’est peut-être plus aux blockbusters mais aux séries. »

Les films cités, blockbusters contemporains sont presque tous des séries. James Bond, Spider-Man et tous les films Marvel/DC, Matrix… On est en plein dans ce qu’on appelait, il y a un siècle, et qui faisait déjà le succès de ces studios à l’époque du muet, le serial. Avec souvent ses recettes connues : l’aventure, le crime, le sentimentalisme, le complot, l’exotisme (la SF high-tech, voire le cyberpunk, c’est une forme d’exotisme). Même Dune à sa manière revisite le serial. Adapter une seconde fois (et pardon, toujours avec si peu de talent) un feuilleton littéraire SF, ça relève aussi de la logique du serial. Elle pourrait se résumer ainsi : un maximum de risques pris par les héros ; un minimum pris par les créateurs (voire le public pour qui les « révisions » de ses doudous passés, s’ils ne sont pas à la hauteur, sauront toujours au moins lui rappeler l’ivresse des hauteurs passées…). Sur les quatre intervenants, vous êtes trois à souscrire totalement à cette révision (ou reboute). Quand on aime sans doute, on ne compte pas… les suites.

Seulement, il y a quelque chose qui m’interpelle dans vos commentaires et vos analyses. C’est que vous ne voyez un film qu’à travers le prisme des intentions supposées d’un auteur, jamais de l’exécution.

C’est une constante chez les critiques, on le sait. On juge et défend des films, des cinéastes, en fonction de ce qu’on croit, ou sait, de ce qu’ils ont voulu dire. Avec cette approche (quoi, dialectique ?) on en vient toujours à trouver des justifications à des ratages. Quand le public n’est pas allé voir un film ou ne l’a pas apprécié, c’est qu’il ne l’a pas compris ; si le public court en voir un autre, il ne l’apprécie pas pour les bonnes raisons parce qu’il n’en a pas compris le sens (forcément).

D’abord, ça supposerait que les intentions d’un auteur (si tant est qu’il en existe un – on connaît la propension de certains critiques à faire de simples exécutants de studio des auteurs) nous soient accessibles. Il n’est pas rare de voir des cinéastes s’amuser des interprétations faites par certains professionnels, à quoi ces critiques ont vite fait de laisser entendre que des cinéastes peuvent révéler beaucoup d’eux-mêmes sans s’en rendre compte dans leurs films. Soit. Mais ce serait des interprétations d’autant plus faciles à faire qu’un « auteur » aurait réalisé plusieurs films, avec ses petites manies certes, ses petits secrets de fabrication (comme c’est amusant de remarquer que l’acteur est l’actuel mari de et l’ancienne doublure de : le sens caché des choses, toujours).

Mais ça supposerait encore qu’il y ait une réelle valeur à juger un film en fonction de ses intentions (cachées, supposées, interprétées, analysées, etc.). Pardon d’être radical : je pense que les intentions, c’est un peu comme l’imagination : tout le monde en a. Tout le monde est capable de créer un univers qui ne serait fait que « d’intentions » ou de « sens cachés révélés que par une poignée d’insiders, d’érudits ou de fans assidus ».

Les intentions, les bonnes comme les mauvaises, comme les idées, c’est gratuit. Au cinéma (comme en littérature), qu’est-ce qui fait la réussite d’une idée ? Quand elle est articulée avec d’autres, pas forcément bien originales d’ailleurs, et que tout un savoir-faire, une technique, se met à son service pour laisser supposer qu’il n’y en a pas de meilleure.

Rare photo de Lana Wachowski tentant de rejoindre les deux bouts : The Matrix, The Wachowski (1999) | Warner Bros., Village Roadshow Pictures, Groucho Film Partnership

Et là, c’est cruel pour les commentateurs ou les analystes, parce que si l’on peut juger d’une intention ou d’une idée rien qu’en l’évoquant, c’est beaucoup plus difficile, et toujours discutable, de juger du savoir-faire technique et narratif d’un cinéaste. (C’est bien pourquoi rares sont ceux qui s’y aventurent. Les critiques proposent ainsi soit des commentaires descriptifs qui paraphrasent à leur manière ce qu’ils ont vu, ce qu’ils interprètent ou ce qu’ils jugent être de valeur dans un film, soit des analyses personnelles quasiment jamais techniques.)

Tout ça pour dire que s’agissant d’un blockbuster, le public se trompe rarement. Sauf, évidemment s’il se rue sur un film, faute de mieux (Spider-Man, en cette fin d’année). Pour des films plus confidentiels, j’aurais tendance à penser aussi qu’ils finissent toujours par trouver leur public et par être loués par les critiques…

Ainsi, je doute que des critiques ayant déjà souscrit à de précédentes resucées, à mon sens, ratées (je ne parle pas des intentions, mais de savoir-faire, ce qui est une manière assumée d’accepter l’immense part de subjectivité de nos jugements ; alors qu’une interprétation : Freud parle, il n’y a plus rien à dire^^), puissent juger un film, appartenant à une série précédente, différemment des autres. Au contraire, un nouveau film ira toujours nourrir un peu plus leur narratif (quoi, dialectique, j’ai dit ?). Qu’importe qu’un film soit bon ou non (avec ce que ça implique de subjectivité assumée encore une fois), qu’on l’aime ou non (pourquoi ne pourrait-on pas défendre des films, les aimer, tout en reconnaissant qu’ils sont mauvais ?) : un nouveau Nick Carter, un nouveau Fantomas, un nouveau Flash Gordon, un nouveau Indiana Jones, ça ne fait jamais que nourrir le mythe. Et quand un de ces « épisodes » est raté, cela n’est jamais alors parce que le film serait, intrinsèquement, jugé comme mauvais, mais parce que son « auteur » aurait présenté des « intentions » qu’eux seraient capables de juger non conformes au mythe (à la franchise) initial ou, au contraire, n’auraient su correctement le rebouter.

Qui se cache derrière Matrix, qui en est l’auteur ?… 

Le gros du public (dont je suis) n’a pas apprécié le 2 et le 3, au risque déjà d’altérer le souvenir, et la vision, qu’il se faisait du premier.

Pourquoi, pour le gros du public, le premier avait-il été une claque et la suite d’épouvantables supplices ? Eh bien, j’ose le croire, parce que le premier relève du chef-d’œuvre technique, narratif. Il compte parmi ces films rares où tout semble s’aligner avec les bonnes personnes et avec les techniques arrivant à leur maturité au bon moment.

Les intentions des frangines ? Je m’en moque. Ce qui m’importe en tant que spectateur à ce moment, ce sont les intentions hautement spéculatives, et très largement influencées par la sidération que me procure le film au moment où je le vois. Quand on prend une telle claque en tant que cinéphile, les interprétations fusent, c’est même souvent à ça qu’on reconnaît un grand film. Personne ne voit le même film, et c’est peut-être ça, déjà, son premier niveau de lecture « meta ».

Pour le reste, l’essentiel, la réussite du premier film tient dans l’évidence encore compréhensible de son récit, dans la folle ingéniosité de ses trouvailles techniques, dans son design fou, dans le fait que pour la première fois enfin un film de SF arrivait à convaincre avec le cyberespace (Ghost in the Shell venait de montrer la voie). Dans les précédents ratés hollywoodiens, ce n’était pas les bonnes intentions qui manquaient… mais la bonne histoire, la bonne exécution. Le bon moment.

En matière de films SF, je ne crois qu’aux miracles. Je ne crois ni aux auteurs de SF, ni aux intentions, ni au savoir-faire (cf. Ridley Scott est-il un auteur ?). Tous les grands films de SF apparaissent comme des générations spontanées. Ils se perdent dans le temps comme les larmes dans la pluie… Ils sont rares. Et leurs suites, toujours, exploitent une œuvre initiale jamais égalée. Comme dans tout serial, on joue sur la répétition, sur les digressions vers des personnages déjà connus, sur ce qui se joue avant, après, au-dessus, au-dessous, etc., et sur la nostalgie aussi beaucoup. Que s’est-il passé avec ces vieux serials ? Certaines resucées médiocres, voire sans doute peut-être déjà des sabotages assumés, peuvent radicalement changer la perception qu’a un public pour une œuvre initiale. Jusqu’à l’oubli pur et simple. (Nick Carter ? Die Spinnen ? Les Exploits d’Elaine ?) Peut-être que le public d’aujourd’hui a plus de facilités que celui d’hier à avoir accès aux œuvres initiales, mais on peut aussi supposer que le public reste toujours plus enclin à s’intéresser à des films récents. Et pour ce public, viendra un moment où avoir plus facilement accès à Matrix 4 achèvera la possibilité pour eux de voir Matrix 1. Eux n’ont aucune nostalgie. Avec d’autres blockbusters sur les rangs en décembre, le film aurait encore plus été assuré de faire un four.

À voir si, à force de vouloir saboter le film (intention supposée), Lana ne prendrait pas le risque d’enterrer un mythe. Elle joue avec le feu, si pour moi, ni elle ni sa sœur ne sont véritablement « auteurs » du film (puisque je le range dans les « petits miracles spontanés du cinéma SF »), elle peut encore en être la fossoyeuse.

Y a-t-il quelqu’un au bout du film ?


Échanges avec trineor :

« Personnellement j’ai immensément aimé Reloaded à l’époque, beaucoup aimé Resurrections il y a une semaine, et toujours été assez convaincu que ceux qui avaient adoré le premier mais trouvaient que les suites racontaient n’importe quoi aimaient le premier sur un malentendu. »

> Et peut-être que si tu étais honnête avec toi-même, tu émettrais également cette hypothèse que ce malentendu peut aussi venir de toi. :)

Tout est toujours affaire de malentendus. On pourrait faire un sondage auprès des auteurs, leur demander s’ils pensent que leur œuvre a été comprise, et je serais prêt à parier qu’une grande majorité répondrait non.

En revanche, le spectateur a toujours raison. Il n’a jamais tort d’avoir compris ce qu’il a compris d’une œuvre. Ce qu’il a compris lui appartient. Ce que tu as compris t’appartient. Et je suis loin de penser que ce que les frangines ont compris elles-mêmes de leur œuvre ait un sens. Une cohérence.

On est peut-être nombreux à ne rien avoir compris du film initial qu’on adore, en revanche, sans notre naïveté, aucune de ces suites n’aurait été possible.

« D’où : 1. On ne peut prétexter du malentendu toujours, partout, pour tout dire d’une œuvre ; parfois il y a dans l’œuvre quelque chose qui dit explicitement non et résiste à ce qu’on en dit.

2. La fréquentation régulière d’une œuvre augmente la connaissance que nous en avons. »

>

Je suis d’accord. Mais je vais utiliser une allégorie(ou une comparaison, je ne sais trop) pour essayer de te faire comprendre pourquoi je n’adhère pas aux films qui jouent trop sur ces malentendus (et sans interdire à qui que ce soit de le faire). Pour moi, un bon récit, c’est comme une histoire drôle. Le ton, l’attaque, la lancée, l’ambiance, l’astuce qui la compose, sa durée et surtout sa chute, tout ça est important. Mais si au moment de la chute, on ne comprend pas. Tu peux toujours ramer, expliquer, la blague a raté.

Je suis désolé, je vois une parfaite cohérence dans le premier film. Un film qui n’a aucunement besoin des surenchères proposées dans les suivants.

Toi, tu aimes les films qui te disent quelque chose, quitte à y passer cinq ou six films, quitte à contredire ce que tu disais dans le précédent tout en arrivant après un bullet time théorique à retomber sur tes pieds, mais qui revient en fait à dire « vous pensiez avoir compris, je vais vous expliquer que vous n’y avez rien compris ». Bref, décrit ça comme tu veux, vois-y une cohérence d’ensemble inaccessible pour les intransigeants de mon genre, moi, je reste ferme sur mes principes : la cohérence, c’est le spectateur qui la crée.

En tant que spectateur, c’est mon droit de refuser qu’après avoir adhéré à une proposition narrative et esthétique qui tenait la route dans un premier film, on cherche à déflorer cette cohérence en imposant une surenchère ou une complexité inutile exploitée dans des suites.

Le nouveau siècle a été déterminant dans ce domaine, car les sœurs n’ont pas été les seules à se vautrer dans cette surenchère. J’ai adoré Nolan quand il proposait Memento, parce qu’il te retourne le cerveau, et parce qu’à la fin comme dans tout bon récit qui se respecte tout redevient cohérent et lisible pour tous. Pas de twist pour t’expliquer que ce que tu viens de voir dans un film qui tient la route, que ce que tu croyais être n’était pas tout à fait, et de devoir passer encore d’autres films pour trouver une nouvelle cohérence. Puis Inception est arrivé, et Nolan a commencé à vouloir ajouter une couche de complexité. Le twist est recherché en permanence, la volonté de perdre le spectateur aussi. C’est là que moi je dis, non, stop. Il ne faut pas confondre complexité et cohérence. Gigi Abrams fait pareil.

Dans un récit, une cohérence doit faire l’effet d’une évidence. Un dénouement, une résolution, doit rendre simple et claire ce qui ne l’était pas jusque-là. C’est mon droit de spectateur d’exiger cela des films que je regarde. Ce n’est pas un malentendu, c’est une exigence. Une exigence morale de spectateur. Si suite il y a, elle doit renouveler le plaisir du film initial sans renier les propositions narratives et esthétiques qui ont fait son succès. Si les suites servent à me dire que j’ai mal compris ou mal apprécié ce que j’ai vu : poubelle. Autrement dit, une franchise doit étendre son univers, pas le restreindre en remaniant (ou déconstruire) les éléments du premier pour les tordre vers une cohérence nouvelle. Étendre un univers, c’est ajouté des personnages, des histoires, respecter la proposition de départ.

Comme tout auteur, les sœurs ont tous les droits, mais c’est mon droit de spectateur de refuser d’adhérer à une proposition basée sur une surenchère des effets, sur une complexité réclamant une attention renforcée, et sur un reniement des qualités premières d’un film initial. Je peux prendre un exemple de surenchère : quand Néo se bat dans le premier, il est en apprentissage, il se bat d’abord contre lui-même, puis contre ses alliés, et enfin contre une poignée d’opposants parfaitement désignés. C’est clair, on ne fait pas plus classique comme récit. Arrive la suite, et l’on y voit un personnage principal avec des pouvoirs démultipliés, des alliés acquis à sa cause, une quête devenue tellement incompréhensible qu’elle en devient abyssale, et des opposants qui se comptent par milliers. Ce n’est pas un récit, c’est de la bouillie.


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France, Bruno Dumont / Titane, Julia Ducournau (2021)

La France kigagne

Note : 1.5 sur 5.

Note : 3 sur 5.

France / Titane

Année : 2021

Réalisation : Bruno Dumont, Julia Ducournau

Je me marre… La politique des auteurs et ses limites.

J’ai toujours été conciliant avec Bruno Dumont parce qu’il propose des choses et n’a pas peur du ridicule. Parfois, il a fait mouche, d’autres fois, il se plante. Et il ne faut pas le rater quand il se plante, évidemment. On voit ce qu’il semble vouloir faire avec France. Le scénario n’est pas si mauvais. Les acteurs non plus, même si je trouve Léa Seydoux plutôt antipathique de manière générale (et si ici, à divers moments, elle peut se révéler touchante, au contraire de Blanche Gardin, insupportable). Mais sa réalisation est une vraie catastrophe.

Cette HD avec lumière crue, ces plans très étranges en voiture, ces reproductions de reportages totalement ratées, cette reproduction assez peu convaincante du monde politico-journalistique parisien, et cette direction d’acteurs plus qu’aléatoire quand le cinéaste a affaire à des acteurs professionnels, ce n’est pas beau à voir.

D’un autre côté, le film de Julia Ducournau souffre de défauts opposés : mise en scène à la hauteur, direction d’acteurs plutôt bonne, mais le scénario, attention aux turbulences… Les dialogues, ça peut aller, mais la construction de l’histoire, la motivation des personnages, la cohérence d’ensemble, ben… c’est franchement horrible à voir. Une constante dans le cinéma d’horreur peut-être.

Les intentions sont bonnes, et si je suis conciliant avec Bruno Dumont, je le serai tout autant envers un cinéma français qui tenterait de retrouver une forme de grand guignol depuis longtemps oubliée. Conciliant, jusqu’à certaines limites… Ce n’est pas de la science-fiction, mais on se situe entre l’horreur, le thriller, le grotesque, et dans la forme, c’est un peu comme si David Cronenberg rencontrait Gaspard Noé. Dommage donc que ce soit tellement si mal écrit… Qu’est-ce qui reste de la proposition de départ qui laisse entendre qu’on se rapprocherait d’un Crash à la française ? L’amour des voitures, que devient-il au fil de récit ?

De manière très étrange, le film fournit deux introductions. Une pour expliquer la plaque de titane que possède le personnage dans la tête (implant purement cosmétique, il n’a strictement aucune utilité dramatique). Et un autre qui va déclencher la folle suite de crimes perpétrés par le personnage principal… Personnellement, je qualifie ce genre d’expositions des hamartia, des événements traumatiques sur lesquels les événements qui suivent trouvent leur raison d’être (Aristote en parle dans La Poétique et sans doute ailleurs). Quand il y en a deux, Aristote appelle ça « l’erreur du karatéka » : une hamartia, deux hamartiaux. Ouille. Pour résumer la chose, jugez de l’effet produit : une impression bizarre que le récit manque de maîtrise. À moins que le second événement devienne une conséquence directe du premier (une hypothèse loin d’être évidente).

De la série B à la française, du grand guignol bien gore, je crie de joie. Mais Julia Ducournau pourrait au moins s’appliquer à élaborer une histoire qui tient la route. Une demi-douzaine de films pourrait se produire dans la foulée par an tellement le travail d’écriture est bâclé. Présenter ça comme du grand cinéma, voire du cinéma d’auteur, envoyer ça dans un festival général et le primer, faut pas pousser (bébé dans le bain d’orties). Rien de bien original à voir des films de genre mal écrits, mais n’en faites pas des films d’auteur et enchaînez-les à la pelle. Que vive la baguetteploitation ! Parce que si l’on continue à laisser penser que ces films sont dignes d’être envoyés dans un festival non dédié au fantastique, on arrivera jamais à multiplier ce genre de productions en les faisant passer pour ce qu’elles sont : des séries B. Et je reviens à ce que je dis souvent : même si l’on a la chance en France de bénéficier de crédits à la création, et une création diverse, on manque en revanche, en dehors des comédies, d’une authentique production de série B à échelle industrielle et à vocation commerciale, voire internationale. C’est seulement quand on dispose d’une vraie industrie de série B, qu’on peut voir se dessiner des mouvements et des cinéastes qui sortent du lot. Au lieu de les faire sortir des écoles de cinéma à papa et de juger les intentions mises en avant plus que le talent ou la popularité.

On va dire que c’est le charme des films d’auteur à la française. Des films qui se remarquent davantage à travers leurs défauts. Maintenant, je ne sais pas jusqu’à quel point Julia Ducournau prétend être « autrice ». Et je ne sais pas jusqu’à quel point on peut se montrer conciliant avec ce type de cinéma… Au moins, Titane m’aura procuré quelques bonnes tranches de rigolade (oui, le grand guignol, on a droit de rire sadiquement, c’est de la catharsis, messieurs, dames). Mais qu’une Palme d’or soit décernée à une tentative de série B grand-guignolesque, comment dire… Le cinéma n’a-t-il vraiment rien de mieux à proposer de nos jours ?


 

France, Bruno Dumont 2021 | 3B Productions, Red Balloon Film, Tea Time Film

Titane, Julia Ducournau 2021 | Kazak, Frakas, Arte


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Don’t Look Up : déni cosmique, Adam McKay (2021)

Échauffements médiatiques

Note : 3 sur 5.

Don’t Look Up

Année : 2021

Réalisation : Adam McKay

Avec : Leonardo DiCaprio, Meryl Streep, Jennifer Lawrence, Timothée Chalamet, Cate Blanchett, Mark Rylance, Tyler Perry, Jonah Hill, Rob Morgan

Satire poussive qui a peut-être au moins le mérite d’exister. Ou pas. Ce qui a le mérite d’exister, c’est que la satire se double d’une allégorie sans grandes concessions d’un monde incapable de faire face à la réalité d’un réchauffement climatique. Le problème, c’est que si l’allégorie est claire, et si elle emploie le genre difficile de la satire, elle n’a en définitive rien de drôle, et si le film est parsemé d’infinis petits détails bien sentis et cruels, il plonge le spectateur le plus souvent dans une consternation gênée et muette.

La satire est le genre le plus compliqué qui soit, alors quand elle s’attaque en plus à un sujet tragique en gestation lente comprimé ici en quelques mois, le geste est certes louable, mais elle peine largement à convaincre.

L’allégorie donc est simple et plutôt bien trouvée : pour évoquer le réchauffement climatique (cela vaudrait tout aussi bien pour une pandémie), et le quasi-désintéressement du monde face à un désastre annoncé, le film met en scène la quête de deux astronomes soucieux de convaincre la population de la réalité d’une catastrophe imminente, celle qu’une comète foncerait sur la terre et dont l’impact prévu six mois plus tard assurerait à l’humanité une fin certaine. Le ton du film navigue alors tour à tour entre réalisme et farce. Et c’est là le principal défaut du film : chercher d’abord à reproduire plus ou moins bien la manière dont une telle découverte pourrait être faite puis amenée à la connaissance des instances dirigeantes, pour opposer ensuite ces éléments avec d’autres beaucoup plus clairement inscrits dans la farce. Ce mélange incessant de sérieux et de farce (voire de sentimentalisme) a tendance à égarer le spectateur. Si le personnage de Meryl Streep, dans ses outrances et son ridicule, n’a aucun mal à convaincre avec une combinaison présidentielle mêlant Trump et Hillary Clinton, si Leonardo DiCaprio réussit, dans un premier temps, le même exploit avec son rôle de scientifique gauche, on s’écarte définitivement du sujet quand il perd inutilement les pédales, abandonnent ses obsessions premières, et se grise face à sa popularité naissante. En temps de pandémie, surtout en France, cette transformation aurait eu un sens, mais en ce qui concerne le réchauffement climatique, j’avoue ne pas comprendre le message, ou la référence… Les scientifiques qui alertent sur les menaces présentes ou à venir ont le défaut de ne pas être entendus ou pris au sérieux, pas vraiment de tomber dans les travers décrits dans le film. Les grands événements de l’histoire révèlent la nature des individus, et ce dernier travers s’appliquerait davantage aux usurpateurs plus attirés par la lumière que leur offre une crise en mal de sauveurs que par la science.

Les autres personnages ne sont guère plus convaincants. On ne sait trop sur quel pied danser avec ce personnage de la doctorante qui découvre la comète tueuse : difficile de plaisanter à son sujet, le film joue pourtant avec elle dans un comique de répétition aussi peu drôle que malvenu. En appuyant sur le sexisme dont elle est victime et dont son professeur tire profit, à l’image du reste, le film finit par tomber dans ce qu’il semble dénoncer : Leonardo DiCaprio s’étonne d’abord que l’on ne prenne pas plus attention à son étudiante…, puis assume volontiers, seul, le rôle de leader et de caution scientifique (rôle que son étudiante semblait jusque-là assumer — du moins, c’est ce que laisse entrevoir Jennifer Lawrence dans son interprétation — avant de devenir la risée des réseaux sociaux). Ce choix malheureux permet à l’acteur de prendre la lumière, et Adam McKay étouffe dans l’œuf une des propositions intéressantes du film.

Avec celui de la présidente, le portrait fait de la présentatrice télévisée jouée par Cate Blanchett est ce qu’il y a de plus féroce. Seulement, je ne prête pas à l’actrice le même talent que Meryl Streep pour la comédie, encore moins pour la farce. Elle était déjà insupportable dans un Woody Allen de triste mémoire, et c’est à se demander si pour le coup prendre une réelle bimbo de la télévision dans le rôle n’aurait pas mieux fait l’affaire. On devrait pouvoir rire de ses outrances, de son masque botoxé, pas avoir de la peine pour une actrice qui correspond malheureusement un peu trop à la caricature proposée… La satire, comme la comédie, est toujours une question de bonne distance. (Et allez savoir pourquoi, après un début de carrière convaincant, je n’ai jamais pu supporter Cate Blanchett… C’est comme si elle choisissait en permanence des personnages contre-nature.)

Le fils de la présidente quant à lui, s’il a peut-être le mérite au moins de jouer les bons faire-valoir auprès de sa mère, il s’oppose surtout bêtement à la doctorante. Ce n’est pas assez drôle pour se placer réellement dans le registre de la farce, et l’acteur lui-même ne semble pas bien à l’aise à situer la nature ou le registre de son personnage. Un autre acteur est lui aussi perdu dans son rôle, c’est Mark Rylance : mix entre Elon Musk, Jeff Bezos et Steve Jobs, ses allures de téléévangéliste endormi jettent le plus souvent un froid, et la farce supposée jaillir d’une telle caricature d’entrepreneur high-tech patine affreusement dès qu’il a trois phrases à dire.

Deux autres personnages inutiles complètent cette riche distribution : le chef d’une organisation censée gérer les implications d’une telle découverte (personnage tellement inutile que les scénaristes, dans leur bonté, choisissent d’en faire un célibataire sans vie personnelle, sans famille, mais… avec un chat soudain devenu superflu le jour du grand soir — ne l’appelez pas Schrödinger, mais Oglethorpe), et un jeune délinquant joué par Timothée Chalamet dont l’unique utilité dans le film consiste, lui, à appuyer lourdement sur une des seules concessions faites par les auteurs du film à un monde en perte de sens total : la religion. Tout le monde en prend pour son grade, même Hollywood (petite séquence d’autocritique), même les scientifiques qui n’y sont pour rien, et qu’elle est la seule chose qui est préservée dans ce grand dérèglement médiatique ? La religion. On ne peut pas mieux se prendre les pieds dans le tapis. Vive l’Amérique… C’est vrai, quoi, si les scientifiques avaient un peu plus la foi, on n’en serait sans doute pas là tout de même…

Bref, parfois de bonnes idées, de bonnes intentions (difficile d’aborder l’aveuglement de nos sociétés face au grand défi de notre siècle dans un film autrement qu’à travers une satire), mais un résultat mitigé. L’image renvoyée de notre société est consternante, certes, mais ni drôle, ni parfaitement mordant comme il faudrait.


 

Don’t Look Up : déni cosmique, Adam McKay 2021 | Netflix


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