Le Coup de l’escalier, Robert Wise (1959)

Le soleil dans le caniveau

Note : 4 sur 5.

Le Coup de l’escalier

Titre original : Odds Against Tomorrow

Année : 1959

Réalisation : Robert Wise

Avec : Harry Belafonte, Robert Ryan, Gloria Grahame, Shelley Winters, Ed Begley

On sent poindre la fin du code Hays et le polar américain commence à avoir des envies d’extérieurs (même s’il y a des précédents, comme toujours : Sur les quais, En quatrième vitesse, c’est bien avant, comme les films de Jules Dassin).

La forme

Les passages entre extérieurs et intérieurs sont relativement bien exécutés : les plans de transition sont bien pensés dans les premières séquences de l’hôtel et les éléments sonores et visuels suggèrent parfaitement l’existence de l’extérieur (plan de l’entrée avec difficulté à fermer la porte, puis son du vent dans l’ascenseur). C’est peut-être moins convaincant sur l’ensemble des séquences prenant place chez la petite amie (regards dans la rue à travers la fenêtre, mais d’autres plans sentent parfois le renfermé, le studio, à cause sans doute d’un éclairage trop direct alors que la scène est censée profiter de la lumière du jour), mais face à des extérieurs si « crus » (impression renforcée par l’usage d’une pellicule spéciale), le film aurait pu souffrir d’un écart stylistique entre les deux zones.

Ce mix étrange et dangereux entre les espaces intérieurs et extérieurs apparaît également dans l’usage périlleux des transparences. Plus le cinéma répond à des exigences de réalisme et sort pour cela dans les rues, plus certains procédés tournés en studio peuvent vite tout gâcher. J’avais cité le film dans mon article sur l’évolution du procédé dans le cinéma hollywoodien :

« Robert Wise adopte ici une approche résolument réaliste (voire naturaliste) en choisissant de filmer une majeure partie de son film en extérieurs comme c’est devenu presque la règle dans les films criminels depuis 1955 avec En quatrième vitesse et Les Inconnus dans la ville. Reste la question de la manière de filmer ces séquences prenant place dans un véhicule. Robert Wise ici alterne le très bon et le moins bon. Débarrassé de dialogue, quand Robert Ryan se retrouve seul au volant, on y voit que du feu. Quand il place sa caméra à l’arrière et filme la route et les deux personnages au premier plan, la séquence semble bien avoir été filmée sur la route. Quand il fait croiser deux personnages, l’un dans une automobile, l’autre dans un bus, il place sa caméra dans le bus, aucune raison ici de passer par une transparence. Mais quand il convient alors de faire interagir deux acteurs, le charme n’opère plus et l’on devine assez facilement que Wise a dû avoir recours à une transparence qui jure forcément avec l’esthétique générale du film. »

(Wise continuera ses expérimentations pour se passer presque définitivement du procédé dans La Maison du diable, comme je le notais dans la page suivante de mon article.)

On peut par ailleurs remarquer un de tous premiers usages du zoom avant sa généralisation dans les années suivantes (surtout dans le cinéma italien). Dans cet article, il est question de zoom dans It, j’avoue ne pas me souvenir ; quoi qu’il en soit, le procédé existait déjà dans le cinéma muet, mais n’était pas employé autrement que pour divers effets vaguement expérimentaux (le procédé interdisant une netteté parfaite). Wise en fait un outil de contemplation, de scrutation en observant de loin en extérieur un personnage, puis en se rapprochant (ou le contraire). Cela deviendra une des marques du cinéma du Nouvel Hollywood (notamment chez Coppola).

Pour ces audaces formelles, Wise a fait appel à un directeur photo franco-américain, Joseph Brun qui avait déjà expérimenté le cinérama (la Cinémathèque avait projeté son film de 1955 : aucun intérêt).

Le fond

Pour le reste, on sent donc un petit parfum de fin de restrictions sous code Hays (en tout cas une volonté de jouer avec). Si les criminels meurent à la fin, et si le scénario ne ment pas sur les raisons qui conduisent ces individus à jouer leur vie (sur un coup de dé) dans un braquage, l’approche des acteurs et de Wise consiste aussi beaucoup à humaniser et à psychologiser, voire à socialiser ces pauvres gusses poussés à bout.

J’y vois d’ailleurs quelques accents identiques à ceux de Traqués dans la ville, vu récemment et réalisé par Pietro Germi en 1951, avec la différence notable que le film italien évoquait les conséquences d’un hold-up, tandis que le film de Wise s’applique au contraire à en étudier les causes.

Le plus torturé en ce sens se trouve être le personnage interprété magistralement par Robert Ryan : des trois acteurs, c’est peut-être celui qui rend son personnage le moins sympathique, mais son esprit semble agité par bien des tourments. Ancien détenu tombé pour meurtre, il reçoit chaque commentaire qui évoque son passé trouble comme une insulte, moins parce que cela ferait ressurgir chez lui un sentiment de culpabilité que parce que, étrangement, tuer lui aurait procuré du plaisir. Il serait seul à l’écran que ces élans psychiatriques répondraient aux attentes de l’air du temps et aux principes du code en ce qui concerne l’image des criminels à offrir au public. L’associer aux deux autres permet de voir ses névroses d’un œil neuf.

Un des trois est musicien noir, divorcé qui croule sous des dettes contractées en jouant aux courses et a maille à partir avec la mafia qui lui en réclame le remboursement. Comme une partie du film ne consiste pas du tout à préparer le casse comme on peut le voir dans les films du genre, mais à montrer le processus psychologique poussant les deux hommes à accepter la proposition d’un troisième, le récit passe de bonnes minutes à nous dévoiler les rapports familiaux qu’entretient le crooner avec sa femme et sa fille. On s’écarte des standards des criminels habituellement mis en scène dans les « crime films » servant la propagande du code. Nul doute que Ingram est un bon gars : chanteur dans un bar le soir, papa modèle profitant de son droit de visite pour passer du temps avec sa fille, s’il n’avait pas cette addiction au jeu, il appartiendrait au même monde petit-bourgeois que sa femme fréquente (même s’il fait mine de l’exécrer).

L’action prend place à New York, en 1959, on peut douter qu’un tel personnage ait pu exister ailleurs que sur la côte est et ouest dans les quartiers les plus progressistes du pays. Ce hiatus sert de moteur à l’intrigue, le personnage qu’interprète Robert Ryan étant originaire de l’Oklahoma et ouvertement raciste. Ce racisme ne propose pas une simple toile de fond au film, c’est un sujet à part entière qui hypothèque l’avenir crapuleux de leur association. (Soixante ans après, à l’heure du retour de Trump et du racisme décomplexé, cette thématique laisse un petit quelque chose d’amer… L’année précédente d’ailleurs, Stanley Kramer avait mis en scène La Chaîne avec Sidney Poitier et Tony Curtis qui possédait les mêmes caractéristiques de tensions et de violences racistes.)

Le troisième et dernier de la bande est peut-être celui dont on en saura le moins. On ne le verra jamais qu’accompagné des deux autres. Ancien flic, loin des stéréotypes de criminels sans passé uniquement mu par la cupidité et le vice, l’homme de loi a mal tourné après avoir été victime du système. Pour sortir de l’impasse et prendre sa revanche sur la vie, il pense avoir mis au point le coup parfait. Comme le titre du film en anglais l’indique, il y a un revers de la médaille au rêve américain : quand tu ne fais pas partie des gagnants, reste le mythe très américain qu’on peut jouer sa vie (et donc son avenir) sur un dernier coup. Le western et le film noir ont ce mythe en commun. Comme tous les mythes, il a une morale : si seul le succès importe, quand on appartient à la classe des perdants, il y a une forme de légitimité à tenter sa chance sur un dernier coup de dé…

Le code Hays à terre : les criminels agissent non parce qu’ils ont le vice qui coule dans leur veine (sinon, une fois qu’ils réussissent un coup, ils ne s’arrêteraient plus, comme Al Capone), mais parce que la misère les assaille, parce que si vous échouez, vous êtes déconsidéré, et parce qu’il est si facile en Amérique de jouer sa vie sur un ultime coup de dé (un indice sur les raisons de cela : les hold-up partagent cette caractéristique avec les tueries de masse). Ainsi, oui, ce chef de bande légèrement en retrait par rapport aux deux autres n’a pas grand-chose d’antipathique. On connaît vaguement son passé, mais Wise et son acteur en font un mec sympa. Un mec normal, normalement charcuté par la vie quand la chance a décidé de lui faire la peau.

Pourquoi tant d’humanité dans un film noir ? Nouvel indice : il a été écrit sous un prête-nom par Abraham Polonsky, le scénariste du chef-d’œuvre de Robert Hossen, Sang et Or, mais surtout blacklisté à Hollywood. Le flic de son histoire avait refusé de collaborer avec des enquêteurs fédéraux, ce que Polonsky avait précisément fait quand il refusa de témoigner à la commission des activités antiaméricaines en 1951.

Le dénouement n’a plus grand-chose à voir avec de l’humanité : la haine que se porte l’un et l’autre des braqueurs mènera littéralement à une explosion qui précipitera leur mort. Classiquement, dans le crime film, le finale se conclue par une course poursuite entre le malfaiteur et l’homme de loi. Ici, la débandade qui suit l’échec du hold-up est prétexte à ce que les deux ennemis règlent leurs comptes dans une scène de poursuite fatale.

(Wise se vante d’avoir fait changer la fin afin qu’elle soit plus noire alors qu’originellement, le Blanc et le Noir devait repartir bons potes. Sauf que je doute qu’une telle fin, à moins que ce soit un dernier geste d’apaisement avant leur mort, ait justement été acceptée sous code Hays. Le film devait déjà bien assez poser problème à la censure.)

À noter un excellent générique en phase avec les créations de Saul Bass (Wise fera appel à lui pour West Side Story), et une jolie introduction : beau ciel se reflétant dans un liquide ondulant et scintillant sous un grand soleil. Tant qu’il y aura des hommes ? Pas du tout. On éclaire la partie latérale de l’écran : il s’agit en fait d’une flaque courant le long d’un trottoir de New York. Après les transparences capricieuses, les apparences…

Le film s’achèvera d’ailleurs sur la même confusion. Après leur crime, tous les malfrats sont frits. Odd à la nuit.


Le Coup de l’escalier, Robert Wise (1959) Odds Against Tomorrow | HarBel Productions

Les Inconnus dans la ville, Richard Fleischer (1955)

Un samedi de chien

Note : 4 sur 5.

Les Inconnus dans la ville

Titre original : Violent Saturday

Année : 1955

Réalisation : Richard Fleischer

Avec : Victor Mature, Richard Egan, Stephen McNally, Virginia Leith, Tommy Noonan, Lee Marvin, Sylvia Sidney, Ernest Borgnine

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Cinéma dans le miroir

Film finement baroque.

C’est d’abord le récit qui adopte une technique de destins parallèles finissant dans un climax attendu par en partager un commun. Avec ses différentes variantes, la technique est héritée des chroniques, du théâtre brechtien, des pièces de Shakespeare ou de bien autres choses encore. Au cinéma, les destins croisés ne sont pas inédits alors que le principe du montage alterné a façonné sa grammaire et son histoire : si on en reste aux destins parallèles partageant une temporalité et un espace communs, Street Scene de King Vidor, par exemple, ou Went the Day Well?, mettaient ainsi en parallèle différentes aventures urbaines.

Plus tard, ce type de récit reviendra périodiquement à la mode : alors que (de mémoire) la science-fiction des années 50 en faisait déjà usage pour montrer les effets d’une invasion au sein de la population d’une même ville (Body Snatcher, Le Village des damnés, Them!, Le Jour où la Terre s’arrêta…), le mélodrame (genre ô combien baroque), bientôt suivi par sa variante télévisuelle (le soap), l’adoptera dès les années suivantes (Les Plaisirs de l’enfer, notamment, mais aussi, la même année, La Toile d’araignée, et plus tard, La Vallée des poupées). Dans les décennies suivantes, ce sont les films catastrophes qui mettront le procédé à profit (c’est très utile pour multiplier les courtes apparitions d’anciennes vedettes : on pense à Fred Astaire dans La Tour infernale ou à Ava Gardner dans Tremblements de terre). Enfin, c’est bien entendu Tarantino qui joue pour ainsi dire presque toujours dans ses films avec les destins croisés et qui en relancera la mode dans les années 90.

Le baroque, ensuite, concernant la forme, pour le coup, inédite, du film de Fleischer. On adopte ici le Technicolor et le Cinémascope, une première pour ce type de films (thriller à petit budget avec une patte ou une ambition mélodramatique, voire sociale et psychologique, comme pouvaient l’être les films de Douglas Sirk ou certains drames de Vincente Minnelli, à commencer par La Toile d’araignée, déjà évoqué et sorti la même année).

Lors de sa longue carrière, Fleischer est connu pour avoir touché à tout, à tous les genres. Et en réalité, il est presque toujours en marge des genres qu’il aborde, travestit et entremêle. Une caractéristique du baroque. Son premier film sur le drame que vit une petite fille au divorce de ses parents était déjà, et reste encore, un film « sans genre ». Ses thrillers ou séries noires/b mêlent habilement l’âpreté du noir, la comédie avec des répliques cinglantes (Bodyguard, par exemple, ou ici avec ce Violent Saturday) et une ou deux histoires de cœur qui traînent. On retrouve ce mélange des genres ici. Film de hold-up, tout ce qu’il y a de plus traditionnel, sauf que justement, l’habituel film noir se serait focalisé sur les seuls criminels (ça ne fait pas toujours de bons films, au hasard, Le Cambrioleur, avec Jayne Mansfield et Dan Duryea).

Dans Les Inconnus dans la ville, on prend un pas de recul, et comprenant vite les intentions des malfaiteurs (suspense oblige), on regarde, attentifs, la patiente description des victimes collatérales de leur hold-up qui a de bonnes chances de tourner mal (sans quoi on n’y prêterait pas autant attention). Cette manière décalée, baroque ou épique (au sens brechtien : on refuse le spectaculaire et on cherche à dévoiler ou à analyser le cheminement social et psychologique des personnages) et que certains nomment déjà « soap », proche de la tonalité des films catastrophe des années 70 (le calme avant la tempête, les petites histoires faussement futiles des uns et des autres amenées à devenir tragiques, à la Rashômon, en croisant le chemin de quelques criminels), j’y ai vu surtout une appropriation du style Tennessee Williams.

En dehors de l’aspect moite et suintant de la Louisiane de Williams, on y retrouve la névrose des bourgeois ou des habitants d’une même communauté incapables de vivre entre eux. On y voit encore les difficultés des petites gens à préserver les apparences d’une vie ordinaire et conforme aux codes de la communauté, leur recours à des activités illicites pour s’en sortir, et surtout les amours contrariées par l’alcool et par le besoin de fuir les habitudes du cercle conjugal.

On sombrerait effectivement dans le soap si les acteurs en faisaient des tonnes. Mais Fleischer avait déjà démontré sa capacité dans ses films noirs à choisir des acteurs puissants tout en leur imposant de jouer la douceur et la finesse. Depuis l’Actors Studio, on sait que l’on n’a plus besoin de forcer pour passer à l’écran, ni même de prononcer chaque expression : la psychologie passe aussi par une forme d’incertitude et une perméabilité feinte des sentiments (appelée bientôt à craquer). On peut frimer un peu, gesticuler comme peut très bien le faire Lee Marvin (attaché à son stick déboucheur de nez depuis qu’il dit ne pas s’être remis d’un rhume refilé par son ex-femme — voilà qui est très « Actors Studio »), mais là encore, tout se fait en douceur.

Richard Egan, de son côté, en alcoolique mélancolique, charmeur et désabusé, est dans la lignée des autres personnages à la virilité affichée mais contrariée des films de Fleischer (Charles McGraw, Lawrence Tierney, Mitchum, Kirk Douglas, Victor Mature, Anthony Quinn…), capables de jouer sur autre chose que le muscle ou les vociférations.

Les coups d’éclats sont réservés aux répliques. Et si dans le récit, on retrouvait un peu de Tarantino, eh bien, dans ce baroque où les dialogues précèdent la violence, on est déjà un peu également dans du Tarantino. Ou du Sergio Leone. Voire du Charley Varrick. « Quand tu dois tirer, tire ! Cause pas ! »

De quoi peut-être se demander si ce baroque, ce n’est pas aussi finalement ce que certains nomment parfois « modernité ». Un cinéma qui se sait faire du cinéma. À la manière déjà du théâtre de Brecht, un cinéma conscient des effets qu’il produit, et ne manque pas de le faire savoir. À travers parfois des références. Car oui, je m’aventure peut-être un peu, mais à l’image d’un Tarantino, on croit presque voir dans Les Inconnus dans la ville un cinéma déjà de références, un cinéma de cinéphile conscient de l’histoire qui le précède, soucieux de rendre hommage aux films passés tout en ne manquant pas une approche nouvelle.

Même si parfois, les références que l’on pense voir au premier coup d’œil se révèlent impossibles. On est au cinéma, si on les rêve, c’est donc bien qu’elles existent.

L’acteur qui joue le môme de Victor Mature, par exemple, c’est celui de La Nuit du chasseur, un film qui commence avec les conséquences d’un hold-up ayant mal tourné. (Le film de Laughton est sorti quelques semaines après le film de Fleischer).

Sylvia Sidney, qui joue ici la bibliothécaire avec des soucis de portefeuille, avait tourné une quinzaine d’années plus tôt dans Casier judiciaire, un film de hold-up de Fritz Lang qu’elle parviendra à faire avorter grâce à une leçon de mathématiques morales.

Le personnage de héros malgré lui qu’incarne Victor Mature n’est pas sans rappeler celui de meurtrier repenti de Rock Hudson dans Victime du destin ou le shérif blessé de Duel sans merci (ici, Stephen McNally, toujours aussi flegmatique et sans la moindre once de fantaisie, passe du shérif au leader des malfrats). Lee Marvin retrouve le rôle de sadique qu’il a déjà pu jouer chez Don Siegel. Et le banquier voyeur rappelle le banquier, encore plus tordu, du Tueur s’est évadé : les mêmes limites du sadisme refoulé, le même animal à lunette (le film est tourné l’année suivante).

Il y a quelque chose de pourri à Hollywood. Les criminels reviennent à la fête. Et ils refusent de faire leur entrée par la petite porte de derrière. Et s’ils meurent, il faut que ce soit désormais en Technicolor et en Cinémascope !

Bientôt en crise, Hollywood ne sera jamais aussi bon que quand il semble porter un œil critique sur lui-même, quitte à se prendre comme référence : ce sera par exemple le cas dans un style tout aussi baroque, contemporain de Sergio Leone, de Cinq Cartes à abattre. Johnny Guitar aussi avait déjà bien montré la voie : porter un regard sur le cinéma, c’est aussi s’en moquer et prendre ses distances avec un genre pour lui insuffler une nouvelle jeunesse. Rio Bravo, quatre ans plus tard, proposera aussi une toute nouvelle conception du temps à l’écran.

Alors, oui, il pleut des références, et toutes sont un peu forcées et anachroniques. Plus que des références, alors, faut-il y voir un souffle « moderne » à Hollywood ? Se sentant mis en danger par la télévision, les studios commencent à vaciller et les restrictions du code passent au second plan. Le sadisme peut bien s’afficher plus volontiers chez Siegel, Hathaway, Aldrich et donc Fleischer, qu’importe s’il attire du public dans les salles. Et cela, jusqu’à la panne sèche. Les superhéros d’alors sont les névrosés. L’Institut Xavier réunissant la fine fleur des superhéros dans X-Men aurait été dans les années 60 un asile psychiatrique. Ainsi, au tournant de la décennie, ce qui était alors « moderne » ou « baroque » se transformera comme un vieux masque rouillé en alléluia du n’importe quoi. L’épiphanie des extravagances et des excès n’est pas pour tout de suite, si Les Inconnus dans la ville est une réussite, c’est précisément qu’il se trouve parfaitement entre les audaces nécessaires à l’établissement d’une nouvelle proposition de cinéma et les outrances répétées d’une époque ne sachant plus quelles limites dépasser pour attirer l’attention du spectateur.

On pourrait presque voir avec Les Inconnus dans la ville l’avis de décès imminent du film noir. Le genre était indissociable du noir et blanc et des stéréotypes moraux imposés par le code Hays. Le baroque (ou la modernité) du film de Richard Fleischer prouve que le thriller pur, ou le film noir (comme on ne l’a jamais appelé dans les studios), dépouillé des notes mélo-socio-psychologiques des Inconnus dans la ville, pourra tout à fait se conjuguer avec les caractéristiques que l’on croyait réservées aux séries A. Il faudra alors plus volontiers parler après de néo-noir pour les thrillers en couleurs à venir.

Quant à la violence (bien avant Bonnie and Clyde qui dépassera bien plus les usages de la violence au cinéma que le film de Fleischer), on la sent déjà poindre d’une manière qu’on n’avait peut-être plus vue depuis l’époque pré-code (du moins, dans des films de studio de premier plan). En cela, peut-être, le film (mais c’est toute l’époque qui est ainsi) annonce une ère nouvelle : l’ère où Hollywood ne peut plus composer avec la concurrence du petit écran et avec les restrictions d’un autre âge. Ce qui était autrefois réservé aux séries B va peu à peu se généraliser aux films de plus grande importance. D’où les années suivantes particulièrement baroques où des moyens bien plus colossaux que ce que l’on peut voir ici sont déployés pour illustrer des personnages toujours plus tordus et névrosés. Et la transformation sera totale dans les années 70 quand certains grands succès de l’époque seront des thrillers à grand spectacle (avec des variantes paranoïaques).

Pour finir : hommage à la technique, habile et expéditive (tout en étant non-violente) d’un des trois malfrats pour faire taire un gamin un peu trop grande gueule. Mon ex avait adopté la même technique lors de ses conférences où des gamins se trouvaient malgré elle impliqués. Elle avait même un budget alloué pour leur clouer le bec. C’est que j’en ai bouffé aussi des bonbecs. (Je ferais bien de revoir le pedigree de mes fréquentations. Qui veut finir une fourche nichée entre les omoplates ?)


Les Inconnus dans la ville, Richard Fleischer (1955) Violent Saturday | Twentieth Century Fox

Charley Varrick, Don Siegel (1973)

La Proie, l’Appât et les Truands

Note : 4.5 sur 5.

Tuez Charley Varrick !

Titre original : Charley Varrick

Année : 1973

Réalisation : Don Siegel

Avec : Walter Matthau, Joe Don Baker, Felicia Farr, John Vernon, Sheree North, Norman Fell

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Don Siegel avait tout de même l’art dans les années 70 de proposer des films, et un ton surtout, comme on n’en aura jamais vu par ailleurs ni avant ni après. À part Dirty Harry qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, je suis un inconditionnel des Proies et de Sierra Torride. Et si on parle d’auteur, il y a là bien une marque siegelienne à laquelle cet opus peut se rattacher, faite d’humour, de nonchalance, de nihilisme, de faux masochisme, et synonyme aussi de grand spectacle avec mouvements de fuite, musique tout aussi nonchalante (signée du génial Lalo Schifrin) et images flamboyantes.

Le début du film, le casse d’une banque de l’Amérique d’en bas, est un modèle de thriller et de suspense, mais aussi de montage alterné. Belle gageure, la séquence étant un véritable archétype du genre… Possible par exemple que, si le film est un hommage à La Mort aux trousses surtout sur la fin, que cette séquence soit, elle, un hommage détourné à Gun Crazy où on retrouve la même configuration qu’ici : un même coin paumé, une femme au volant (cette fois, c’est elle qui est déguisée, ou qui porte son habit de scène, comme plus tard Varrick portera le sien), qui attend son homme (ici Walter Matthau et deux autres acolytes). Différence notable, c’est que ce film de Joseph H. Lewis sorti en 1950 est surtout connu pour cette scène tournée… en plan-séquence (on trouve la scène sur Youtube) et qu’ici Don Siegel opte pour un choix totalement opposé en multipliant les sujets, les points de vue, pour former une géniale séquence en montage alterné.

L’histoire est tirée d’un roman écrit par un inconnu (et dont le titre original me semblait bien meilleur que Charley Varrrick : The Looters, Les Pilleurs), mais ce n’en est pas moins un modèle. Le film noir est mort, le polar siegelien débarque. La brutalité n’est plus celle des méchants de l’ombre, mais bien celle du héros principal. De vrais mauvais garçons, et pire que tout, des malfrats sympathiques. Après quelques décennies de code Hays, il faut réinventer le genre qui s’était à peine dessiné en « crime films » au début des années 30. Fini les grandes villes, bonjour l’Amérique profonde, voire parfois la banlieue de Los Angeles, autrefois trop claire pour servir le film noir (c’est une généralité, voire un archétype imaginé a posteriori sur une poignée de films, Fallen Angel de Otto Preminger est un exemple de film noir tourné en Californie). Adieu les femmes fatales, bonjour les femmes-objets dans une société où c’est l’objet qui nous domine (sorte de mix étrange entre pseudo-féminisme et critique du matérialisme de la société de consommation).

Charley Varrick, c’est l’alliance improbable du western qui se meurt dans son crépuscule et le film noir qui s’est déjà mouru dans l’ombre plus d’une décennie plus tôt. Le polar à la sauce 70 vient trotter sur les pas de Hud (Martin Ritt, 1963) ou de Seuls sont les indomptés (David Miller, 1962) : la mort du western où les grands espaces ne sont plus que des terrains vagues ; chapeaux et santiags sont là pour faire jolis, les chevaux ronflent maintenant sous les capots d’étranges chars métalliques, et la place des duels du village est remplacée par une piste d’atterrissage improvisée au milieu des épaves automobiles… Les ombres du film noir ont disparu, la tonalité est la même ; l’ombre au tableau, identique, on l’éclaire désormais d’une lumière criarde et de paillettes. Le folklore pour mieux cacher les désillusions d’un monde à l’agonie ; l’humour et le cynisme comme seuls moyens de subsistance ; le Nouvel Hollywood, qui recueille les lumières expirantes des phares inaccessibles des boulevards aux étoiles entre deux sorties d’autoroute, entre deux mégapoles, à la frontière du désert qui maintenant n’est plus rien sinon un dépotoir et une zone morte depuis que le Pacifique n’est plus un rêve, un but, mais un mirage ne reflétant plus que les lumières fardées et autocentrées de l’usine rêve : Hollywood.

Charley Varrick dévalise une banque, cela pourrait tout aussi bien être un hangar, un studio de cinéma. Il y aurait trouvé le même argent sali par l’orgueil, les fausses illusions, les mêmes connivences troubles, les mêmes mensonges. Varrick y perd sa femme, c’est un homme maintenant libéré de toute contrainte qui va pouvoir savamment, patiemment, froidement, tout faire valser. Dirty Varrick. Seul contre tous, d’abord contre son embarrassant complice, puis la police, et enfin la mafia. Les armes du cygne ? Un peu de dynamite pour tout faire exploser et de jugeote pour s’extirper d’un piège dans lequel il est tombé, s’en extirper comme on prépare le grand casse du siècle. Un magicien de la piste notre Varrick : il cite Hitchcock, mais c’est bien avec surprise qu’il nous appâte aussi et finit par nous tromper. Un tour est un tour, quoi qu’en dise Alfred : on devrait s’attendre à être trompés, mais le stratagème est trop bien ficelé pour ne pas nous éblouir quand il nous pète à la figure.

Pour garder une longueur d’avance (Varrick l’avait déjà en comprenant qu’il était tombé dans un piège qui n’était pas tendu pour lui, ni pour personne), ce franc-tireur, solitaire intégriste, impose le terrain à son adversaire, impose ses propres apparences et son expertise (le choix de l’arme). Les gros poissons se laissent toujours tenter par les plus gros appâts, même si ça les fait sortir une seconde de leur élément. Et l’ancien Hollywood, avec ses complices de la société de surconsommation, ces mafieux qui ont troqué depuis longtemps les flingues pour les sourires hypocrites, tout ça peut alors se faire voir dans un dernier bûcher. Varrick y cédera la part misérable qu’on lui prêtait pour le casse, et se joue ainsi des apparences d’un monde qui l’avait dépossédé de tout.

Voler les escrocs par l’escroquerie.

La misère matérialiste, quand elle sait travailler avec sa tête, peut se révolter et tout faire péter dans ce monde d’escrocs. Avec la seule idéologie qui vaille alors : le nihilisme. Un coup de pied dans la fourmilière et au revoir. Aucun message, aucune morale. No future. Quand ça vient d’un flic, c’est réactionnaire ; quand c’est un ange vengeur, tout lui est permis. Choisis ton côté de la barrière.


À croiser avec Le Point de non-retour.


Charley Varrick, Don Siegel (1973) | Universal


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Les Indispensables du cinéma 1973

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Le Raid, Hugo Fregonese (1954)

Note : 4 sur 5.

Le Raid

Titre original : The Raid

Année : 1954

Réalisation : Hugo Fregonese

Avec : Van Heflin, Anne Bancroft, Lee Marvin, Richard Boone

Western singulier mettant en scène un épisode de la guerre civile américaine, celui du raid de St. Albans, une bourgade « yankee » située à la frontière du Canada. On est loin du grand Ouest américain (ou même des territoires généralement impliqués dans la Guerre de Sécession) et on se rapprochait plus du film d’espionnage ou de guerre comme il en fleurira quelques années plus tard. Un petit côté Star Wars amusant dans cette histoire : on commence par une fuite des rebelles sudistes vers le nord, et le reste est la mise au point d’un plan pour attaquer cette ville du Vermont en représailles des attaques de l’armée de l’Union au Sud. Une vision de la rébellion passablement datée aujourd’hui, une telle démarche (le raid d’une ville pour en tirer un maigre butin mais espérer surtout désorganiser l’ennemi) étant plutôt assimilée aujourd’hui à du terrorisme.

La mise en scène est parfaite, la photo magnifique (Lucien Ballard aux commandes, futur opérateur des films de Peckinpah, ou un peu plus tard de L’Esclave libre, tout aussi flamboyant). Quant à la distribution, c’est du grand cru même si le film ne se prête pas forcément à de grands numéros d’acteurs et si tous ou presque semblent plutôt avoir été utilisés à contre-emploi : Van Heflin, Anne Bancroft, Richard Boone, Lee Marvin, Peter Graves (le chef de Mission impossible, la série)… Efficace et historique. (Hugo Fregonese quant à lui est un vaste inconnu.)


Le Raid, Hugo Fregonese 1954 | Panoramic Productions

Four Faces West, Alfred E. Green (1948)

Four Faces West

Four Faces WestFour_Faces_WestAnnée : 1948

Réalisation :

Alfred E. Green

8,5/10  IMDb

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Lim’s favorite westerns

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

Excellent western sans prétentions. Pas de grands moyens, ni de grands effets, mais un ton juste et une moralité à toute épreuve. Un de ces anti-westerns où les coups de feu sont rares (aucun n’est tiré ici et on ne manque jamais de le rappeler, subtilement, dans le film) et où les hommes sortent grandis.

Tout cela, la même année que le Moonrise de Borzage, où un personnage allait de la même manière se laisser convaincre de se rendre, et où la justice, la loi, l’ordre, sont rendus par des hommes justes. Un peu d’espérance, et de naïveté, ça aide à montrer la voie. « Ici est passé Ross McEwan », qu’on peut lire sur la roche. Oui, il était bien le seul.

L’actrice principale, Frances Dee, est formidable, ainsi que Joel McCrea comme d’habitude (ces deux-là seront mariés très longtemps), mais aussi tous les autres acteurs de la distribution. Les fausses pistes sont parfaitement menées comme dans un bon petit film noir (un côté The Narrow Margin au début, lors d’une séquence dans un train) et les partis pris sont sans détour. Larmoyant, naïf, idiot, moralisateur, diront certains. Non, simple et juste.

Un bon petit film de coco si vous voulez mon avis.


Four Faces West, Alfred E. Green 1948 | Enterprise Productions, Harry Sherman Productions


Nightfall, Jacques Tourneur (1957)

Dennis ou le Dernier Page Tourneur

Note : 4 sur 5.

Nightfall

Année : 1957

Réalisation : Jacques Tourneur

Avec : Aldo Ray, Anne Bancroft, Brian Keith

Fabulation en guise de commentaire détourné

(Harry Cohn était le directeur historique de la Columbia, distributeur de Nightfall. À la même époque, Dennis Hopper peinait à trouver du travail en tant qu’acteur. Le second essaie de faire comprendre au premier que le cinéma est à un tournant et qu’on en sent les prémices dans ce film. Dix ans plus tard, c’est la Columbia qui distribuera Easy Rider, l’un des films phares du Nouvel Hollywood.)

— Allô ? Dennis ? Harry Cohn à l’appareil…

— Salut, chef !

— M’emmerde pas ! C’est quoi cette note de service que je viens de recevoir ? Je t’ai demandé d’espionner sur les plateaux et tu me ponds… des commentaires sur le film avec quelques… conseils ? Tu te foutrais pas un peu de ma gueule, gamin ? Qu’est-ce que tu as fait pendant tout ce temps ?

— J’étais avec Elvis comme vous me l’aviez demandé, chef. Je n’ai pas pu aller sur le film de Tourneur parce qu’il y avait trop d’extérieurs…

— Comment ça le film de Tourneur ? C’est Tyron Power qui me l’a proposé…

— C’est Jacques Tourneur qui le réalise, chef, c’est son film. Tyron Power a créé la Copa dans cette optique, pour donner plus de libertés aux…

— Ah oui ! C’est ce que tu dis dans ton machin : la politique des auteurs, c’est quoi ces conneries ?

— C’est français, chef !

— Si c’est français, c’est des conneries ! Bref, qu’est-ce que je lis là : « Ne vous êtes-vous jamais mis à regarder les couples dans le métro en essayant de deviner d’après la manière dont ils parlaient depuis combien de temps ils étaient ensemble ? » Mais bordel, Dennis, c’est quoi cette merde ? Tu crois que je prends le métro ? Tu te crois à New York ? Et puis, tu te prends pour un écrivain, c’est quoi cet immonde détour pour introduire une note de service ! Une putain de note de service où je te demande qui fait quoi sur un plateau !… Écoute-moi bien Dennis, je suis le dernier à t’offrir du travail, t’es sur la liste noire. En plus d’être un crétin de rouge à ce qu’on dit, il a fallu que tu ailles chercher des poux à Hathaway. T’es un malade, Dennis ! Donc si tu veux rester en Californie et éviter de retrouver dans ton putain de métro new-yorkais, tu fais ce que je te demande !

— Vous étiez bien pourtant heureux d’avoir reçu ma note de service sur la musique diégétique, chef !

— Si tu crois que j’y ai compris quelque chose à ta fichue note !… Mais je te reconnais au moins ça oui, Dennis. La musique pour Le Pont de la rivière Kwaï, ça marche du tonnerre. En plus du film, on vend à tour de bras cette musique qui ne nous a pas coûté un kopeck… Et c’est bien parce que t’avais l’oreille musicale que je t’ai fourgué avec Elvis, qu’est-ce que tu crois !

— Mais Harry, il m’emmerde ce type. Je peux pas prétendre éternellement être son pote…

— T’étais bien pote avec ce pédé de James Dean, je pensais au moins te faire plaisir ! Et m’appelle pas Harry, connard !

— Très bien, connard…

— Ni Harry, ni chef, ni connard, espèce de trouduc !!!…

— Très bien…

Nightfall, Jacques Tourneur 1957 Copa Productions (1)

Nightfall, Jacques Tourneur 1957 | Copa Productions

— Je reviens à tes commentaires : tu m’expliques les figures de style en moins ?

— Voyez-vous, il s’est comme passé un truc sur ce film. Je suppose que vous l’avez vu comme moi, lors de la première rencontre entre Anne Bancroft et Aldo Ray dans le bar…

— J’espère que tu plaisantes, elle n’en finit pas cette scène ! J’ai cru mourir !

— Elle est nécessaire pour exposer les personnages, développer leur psychologie…

— Attends, Dennis, j’ai raté un wagon : t’es acteur, pas scénariste, ça aussi c’est une idée de ta… politique des auteurs ? Tu veux te convertir, tu veux être le nouveau Dalton Trumbo ?

— Mais écoute, la psychologie, c’est très important, c’est l’avenir du cinéma. Laisser plus de champ aux acteurs, créer des personnages plus complexes, s’attarder sur les détails de la vie, les incertitudes…

— C’est ce que je dis : tu te fous de ma gueule ! Le cinéma, c’est l’action. L’action, c’est tout ce dont le public demande. Et ce que le public demande, c’est à nous de lui donner. L’offre. Et la demande.

— Mais Harry, si tu lui offres toujours ce qu’il attend, ton public va se lasser… Et puis merde, c’est de l’art aussi…

— J’ai rien entendu. Bon, explique-moi ce truc avec Aldo…

— En fait, je crois que ça tient plus d’Anne Bancroft. Aldo est très bon, mais il est encore meilleur dans cette scène parce qu’elle l’élève à un niveau que peu d’acteurs peuvent atteindre. Jimmy m’en parlait déjà, ce sont les nouvelles techniques de jeu à New York…

— Je ne compte pas importer dans mon studio ce jeu chiant à mourir où les acteurs se grattent les fesses en regardant les étoiles ! Ici, c’est Hollywood, c’est l’action qui détermine le rythme. À l’écran, dès que tu baisses le rythme, le spectateur s’endort et la prochaine fois, il ira voir ailleurs. J’ai vu ça pour Sur les quais : c’est bon pour décrocher des Oscars, mais je n’ai pas aimé le travail qu’a fait ce Français avec un accent bolchevik sur le film de Kazan. Ces scènes en extérieurs sont mal éclairées, ça fait vrai, mais est-ce que le public demande que ça fasse vrai ? Non. On vend du rêve. Pas cette lèpre néoréaliste…

— Et pourtant, je sens un truc, j’ai vu ça en rêve, Harry ! Je suis sûr qu’on va y venir.

— Mes couilles ! L’écran large, Technicolor, musique et action ! Le Pont de la rivière Kwaï ! Bon sang, Dennis, même quand tu as raison, t’es incapable de t’en rendre compte. Et tu veux devenir scénariste, ou critique, ou je ne sais quoi…

—… Réalisateur ! Un jour, je serai un putain de réalisateur ! Je serai aussi scénariste et je jouerai aussi dans mon putain de film, Harry ! et tu sais quoi, Harry ? c’est toi qui le distribueras ! Je ferai tout pour t’emmerder, mais tu finiras par le distribuer mon putain de film !!!

— Plutôt crever !

— Tu ne comprends pas, Harry ! T’es un dinosaure, le vieux Hollywood va s’effondrer et tu vas t’effondrer avec ! Tu vas crever espèce de fossile fasciste !!!

— Bon sang, mais c’est vrai ce que disait Hathaway ! t’es un véritable emmerdeur ! Et moi qui te file un job !… Qu’est-ce que tu en sais qu’on va crever ?! Que ton tour viendra ?! T’es rien ! tu ponds des notes de service, tu t’encanailles avec des têtes d’affiche, mais toi t’es rien ! t’es qu’un emmerdeur !

— J’ai raison, Harry ! et tu verras ! Tu verras que tous les acteurs passés par New York s’imposeront à Hollywood, et si Hollywood ne leur laisse pas les clés, il n’y aura plus rien ici ! Ce sera la Floride, il n’y aura plus que des vieux à siroter leur martini dans un transat !

— Eh bien parlons-en de ces acteurs de la « méthode »… Qu’est-ce que tu lui trouves à cette Anne Bancroft ?! Elle est censée être une actrice caméléon, comme ils le prétendent tous, et elle est pas fichue d’être crédible en mannequin ! Tu l’as pas vu marcher ?! ils ne vous apprennent pas ça les Français ?! On dirait une gourde qui avance !… Ils me font rire ces acteurs de Lee Strasberg… J’ai vu ce Paul Newman dans Marqué par la haine : si c’est ça l’Actor studio, donner un rôle d’Italien à un Irlandais, ça va vite capoter cette histoire ! D’ailleurs, ça l’est déjà… on dit qu’il tourne un western avec un type venu de la télévision. C’est déjà fini pour lui. Et tiens, ton Anne Bancroft, je la renvois illico à la télévision, elle aussi : ma « méthode » ! Et dans dix ans, je la sors du placard, et j’en fais une mère juive !

— Elle est Italienne.

— C’est donc qu’elle est déjà ringarde ! Les Italiens, c’est fini pour eux à Hollywood. Capra, Minnelli, Sinatra. On a eu note dose. Le temps est à l’Amérique profonde. Regarde Elvis, c’est lui l’avenir du cinéma. Il me faut des types comme Elvis !

— Je te le promets… Tu la reverras. Parce que les choses vont changer. Quand je suis défoncé, je vois le monde tel qu’il sera dans quelques années. Et je la vois, Harry. Je la vois, Paul Newman, et ce réalisateur…

— Arthur Penn… la télévision… quel cauchemar… Je veux Elvis ! Je veux du rêve sinon on va tous crever à cause de cette salope de télévision !

— Voilà ! tu comprends rien Harry. Tous, nous allons prendre le pouvoir ! et plus jamais rien ne sera comme avant ! Tu verras comment les acteurs qui sont capables d’improviser vont imposer une nouvelle manière de jouer. Le rythme sera ralenti, moins systématique, et ce sera la psychologie contrariée des personnages qui fera avancer ta putain d’action ! Pas ton putain d’Elvis ! Tu verras que c’en sera fini des tunnels de dialogues bien écrits ponctués par une musique de fanfare. La musique sera présente, oui, mais pour illustrer les états d’âme des personnages. Ou elle sera diégétique…

— Comme dans Le Pont de la rivière Kwaï

— Parfaitement !

— Et comme Elvis, bonté divine !!!

— Non, ce sera le temps du rock’n’roll non pas parce que vous voudrez mettre aux goûts du jour vos musicals, mais parce que le rock, c’est la vie, c’est la rue, et parce que c’est la vie, c’est naturel de l’entendre à travers la vision des personnages. Les vieux genres hollywoodiens, que sont les musicals, les westerns et les films noirs vont disparaître et réapparaître sous de nouvelles formes, que nous, déciderons de remettre au goût du jour… Comme dans L’Équipée sauvage… L’avenir est au western mécanique, aux musiques électriques, et aux paradis artificiels…

— Mais putain, Dennis, tu dis n’importe quoi ! Je comprends plus rien : c’est quoi… les films noirs !

— Tes putains de « crime films », Harry ! Ce sont les Français qui les appellent comme ça !

— Tu m’emmerdes avec tes Français ! Qu’ils s’y mettent à faire des films ces losers ! Ceux qui sont encore capables de faire quelque chose, ils sont ici, à Hollywood ! Tourneur, c’est bien lui qui a dirigé ta Bancroft !

— On ne dirige pas Anne Bancroft, Harry ! Tu n’as pas bien vu le film ! Je te le redis : pense à mes couples dans le métro…

— Très bien, monsieur je-vois-l’avenir, explique-moi ça deux secondes !

—… c’est pourtant simple. Elle parle dans cette scène comme si elle connaissait Aldo Ray depuis une éternité…

— Ah, voilà ! elle est là ta crédibilité ! ton génie !… C’est leur première rencontre ! ça tient pas la route !

— Elle est là la nuance, Harry. Et c’est ça que toi et tes congénères de l’ancien monde ne pourront jamais comprendre. C’est parfaitement délibéré de sa part : c’est une approche psychologique. On s’adresse ainsi aux gens quand on a déjà plus rien à attendre d’eux, quand on a des certitudes et la première d’entre elles : qu’on est déjà un loser…

— Je comprends mieux maintenant pourquoi elle porte un prénom français…

— As-tu remarqué comment elle parlait ? Il n’y a pas cinquante pancartes lumineuses qui s’éclairent quand elle s’apprête à parler. Ça coule tout seul. Les acteurs de demain seront capables d’improviser, mais ils seront aussi capables de jouer avec simplicité le texte imposé : le corps disposera de sa vie propre, et les mots ne seront l’expression que d’une puissance intérieure, l’une et l’autre s’opposant aussi naturellement que je m’oppose à toi.

— Cette saloperie qui te fait parler a donc un nom ?! c’est un putain de « naturalisme » ?!

— C’est une nouvelle ère qui s’ouvre. Et ton Aldo fait pareil. C’est un acteur correct, mais il ne sera jamais aussi bon que dans cette scène… Parce qu’il a en face de lui une actrice qui lui facilite le travail.

— Dennis ?!

— Harry ?

— Je veux plus te voir. T’es viré. Ne compte plus travailler à Hollywood, ne pense même plus foutre les pieds en Californie. Henry avait raison. Tu es fou à lier. Je peux faire une dernière chose pour toi : je te paie ton voyage pour New York. Je suis sûr qu’on apprend beaucoup de choses sur la psychologie du personnage dans une rame de métro. J’ai eu ma dose.

— C’est la chose la plus sensée que tu aies jamais dite à mon attention, Harry. J’irai à New York, et je suivrai les mêmes cours qu’Anne Bancroft. Et que Jimmy…

— Jimmy est mort Dennis, fais-toi une raison et reviens à la réalité…

— Jimmy avait raison et vous avez tort ! L’avenir est aux auteurs, aux réalisateurs, aux acteurs, à la liberté et à la vie. La révolution viendra d’Europe, et Hollywood sera obligé de suivre en nous laissant les clés. Hollywood, Harry. Pas toi, parce que tu ne seras plus là malheureusement à l’heure de notre sacre pour venir nous embrasser le cul. Tu seras le premier à laisser ta place, mais tous les autres suivront. Un nouvel Hollywood est en marche : Anne Bancroft et Arthur Penn travailleront ensemble. Anne Bancroft, toujours, en ton honneur, baisera un jeune juif avant de le voir s’échapper avec sa fille : tout le monde baise tout le monde. Pas de bons, pas de méchants, ce sera ça le nouvel Hollywood. Parce que c’est ainsi qu’est la vie. J’ai eu une vision durant Nightfall. Tu vois, ces bus à la fin du film ? Ne trouves-tu pas choquant de faire ça en studio ?

Nightfall, Jacques Tourneur 1957 Copa Productions (2)

— Ça coûtait moins cher ! Il y avait déjà trop d’extérieurs !

— Bientôt, on hésitera plus à prendre la route et aller là où est la vie. On partira aussi pour être libérés de votre bêtise : laisser une équipe partir en extérieurs quelques semaines et imposer que les scènes du bus soient tournées en studio pour avoir plus de contrôle sur le tournage ?… Eh bien, j’ai eu cette vision, Harry, et un nouvel âge commencera, là, à l’instant où deux mômes irresponsables prendront la route à bord d’un bus vers une destination inconnue. Celle qui restera derrière et qui leur aura en même temps montré la voie, représentant le vieil Hollywood, ce sera elle, Anne Bancroft. Et ils partiront, loin de tout ça et d’eux-mêmes. Lonesome Cowboy, Harry. Easy Riders. Nos racines sont là : sur la route. Et nous allons y retourner pour de bon. Accompagnés, mais seuls, perdus. En recherche de quelque chose qui ne vient pas. Parce que c’est ça la vie. Et parce que bientôt, la vie qui s’imposera au cinéma sera celle des enfants de la guerre. Cette glorieuse génération de baby-boomers qui demandera sa place dans le monde et qui refusera de faire la guerre. Ils s’opposeront à leurs parents en faisant le choix de l’éternelle jeunesse, c’est-à-dire de l’irresponsabilité. Fini les happy ends où chaque chose doit revenir à sa place. Au contraire, tout devra remuer, et c’est cette agitation, cette incertitude, qu’on se doit de montrer au cinéma et qui ne se fait pas encore. Une errance. Une quête. Un abandon à soi-même et une attirance fatale vers le vide. On vous attirera ainsi vers le fond quand vous serez tout fatigués et nous seuls remonterons pour être les nouveaux géants. De nouveaux tyrans animés par leur seule irresponsabilité. Et quand les chefs de studios recevront des notes de service de la part des auteurs, ce ne sera que pour répondre « OK ».

— Je sais tout ça, Dennis. Et tu sais pourquoi ?

— Non.

— Parce que je fais aussi partie de ton rêve. Je suis déjà mort. Tu ne m’as jamais envoyé de note de service parce que tu es incapable d’écrire quoi que ce soit, Dennis. Ta vision du futur est exacte, mais elle reste incomplète. Tu feras Easy Rider, oui, et nous le distribuerons. Et ce sera un succès. Et puis, tu continueras à être ce que Dennis Hopper a toujours été. Un fou et un emmerdeur. Certains d’entre vous prendront le pouvoir. Anne Bancroft connaîtra le succès tel que tu en as eu la vision… Mais ceux qui prendront notre place la prendront et la garderont en appliquant nos méthodes. Et ceux qui comme toi refuseront de les appliquer en prétendant faire un cinéma de la méthode resteront en marge. Comme toutes les révolutions, Dennis : ton nouvel Hollywood ne durera qu’un temps. Le… néoclassicisme arrivera pour s’imposer dans la longueur sans même que vous vous en aperceviez. Il y a des opportunistes qui prendront la main quand nous partirons, et il y a les losers. Tu es un loser, Dennis. Et c’est ce que tu as toujours voulu être.

— FUCK YOU, Harry ! fumier !

— Easy, easy, Dennis. Je ne suis que le rêve d’un fou. Alors réveille-toi. Et que tombe la nuit.


Nightfall, Jacques Tourneur 1957 Copa Productions (3)


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La Ville abandonnée, William A. Wellman (1948)

La « Miche » abandonnée

La Ville abandonnée

Yellow Sky

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : Yellow Sky

Année : 1948

Réalisation : William A. Wellman

Avec : Gregory Peck, Anne Baxter, Richard Widmark

Voilà un western bien à mon goût. Pourtant ce ne sont pas les stéréotypes du genre qui manquent. L’histoire, c’est celle d’une bande de voleurs de banque emmenée par Gregory Peck et Richard Widmark (on sait tout de suite qui joue le gentil bandit et le méchant), obligée de traversée la Vallée de la mort pour échapper à une garnison partie à leur trousse.

Le récit de la traversée est parfaitement épique, on se croirait dans Lawrence d’Arabie, et surtout, c’est un peu dans le récit, un symbole, comme un monde qu’on n’atteint pas facilement et pour lequel il faudra faire des sacrifices ; c’est l’épreuve de départ dans beaucoup de récits. Ils arrivent donc assoiffés à l’autre bout de la vallée, mais ils ne trouvent là qu’une ville abandonnée, fantôme… Surgit alors notre Séphora de l’ouest, venue « secourir » nos bandits tel Moïse après sa traversée du désert. Sauf qu’ici, elle les accueille le fusil à la main. Magnifique apparition d’Anne Baxter (ironiquement, Cecil B. Demille la prendra huit ans plus tard pour jouer non pas Séphora, mais la femme de Ramses Nefertari) qui leur montrera où s’abreuver. La fille vit seule avec son grand-père dans une bicoque isolée et a tout du garçon manqué (se faisant même appeler Mike — savoureusement transcrit en français par « Miche », pour Micheline sans doute). Les bandits ne mettront pas longtemps à comprendre qu’ils ont une mine d’or…

La suite est tout aussi prévisible, vue mille fois mais parfaitement efficace, avec les deux bandits luttant pour savoir comment se partager le magot… La morale est sauve, Peck gagnera la belle (Widmark a trop peur pour ses miches) et ira rembourser dans une scène d’épilogue l’argent volé dans une banque au début du film (si ça, ce n’est pas du spoiler).

Le film serait une adaptation de La Tempête de Shakespeare… J’avoue qu’il faudrait que je relise la pièce parce qu’en dehors du naufrage, je ne vois pas bien la correspondance. Si dès qu’il y a quelque chose qui ressemble à un naufrage on parle de La Tempête… C’est juste comme j’ai dit un procédé narratif habituel, le fait d’entrer violemment dans un autre monde. On parle aussi pas mal de Planète interdite pour l’adaptation de La Tempête…, bah oui, mais pourquoi pas non plus Ulysse ? Le mec passe son temps à s’échouer sur des îles pour retrouver Ithaque et rencontre des princesses qui lui cassent les pieds avant de tomber amoureuses de lui… Et dans ce cas, Star Wars aussi commence par un échouage, Alice au pays des merveilles aussi… Bref, ce n’est pas une référence à Shakespeare ni même à Homère, c’est juste un archétype d’introduction…

La mise en scène est très efficace, audacieuse même. Wellman n’hésite pas à étirer certaines scènes, ralentir le rythme pour accentuer le suspense. Un procédé de mise en scène que je ne me rappelle pas avoir vu beaucoup dans des westerns à cette époque et qui était plutôt employé par Hitchcock ou les réalisateurs de films noirs. Autre procédé intéressant, c’est l’utilisation de la profondeur de champ (à la Greg Toland) avec le visage d’abord de Widmark en très gros plan, coupé, et de l’autre côté de l’écran les autres personnages bien plus loin. Voilà deux procédés que Leone réutilisera abondamment pour ses westerns.


La Ville abandonnée, William A. Wellman 1948 Yellow Sky | Twentieth Century Fox


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Johnny Guitar, Nicholas Ray (1954)

Faut pas gâcher

Johnny Guitar Johnny Guitar (1954) Nicholas RayAnnée : 1954

 

9/10  IMDb iCM

Les Indispensables du cinéma 1954

— TOP FILMS —

Top des films avec des femmes indépendantes

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

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Lim’s favorite westerns

Réalisation :
Nicholas Ray

Avec :

Joan Crawford, Sterling Hayden, Mercedes McCambridge, Ward Bond, John Carradine, Ernest Borgnine

Johnny Guitare (ou Johnny Guitar), c’est un classique. Et il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas un western, ce n’est pas un film épique, ce n’est pas non plus malgré ce que pourrait laisser penser l’affiche avec ses couleurs flamboyantes, une opérette. Non, c’est un vaudeville. Ce qui est remarquable dans ce chef-d’œuvre, ce sont les dialogues. Ici on ne chevauche aucun cheval, on chevauche les répliques comme pour surenchérir sur la précédente. C’est un gun fight avec des mots. Alors quand tout d’un coup, ça se finit, on est un peu surpris et on se met comme une musique qui s’achève et qui résonne toujours dans notre tête à imaginer ce que pourrait ajouter un personnage en répondant aux phrases les plus anodines…

­– Nous irons en ville demain…

– Ah oui, la ville, j’y suis allé un jour… C’est un lieu pas comme les autres.

– Je prends du café. Tu en veux ?

– Ah, le café… Tu as toujours su en faire mieux que personne.

– Tu m’as dit autrefois que ta mère savait très bien le faire…

– Oui, et grand-mère aussi sait faire du bon café.

Bref, faut pas se prendre pour Mozart, et comme pour mémé, faut pas gâcher, un petit plaisir avec une tartine de spoilers avec quelques-unes des meilleures répliques au début du film. Parce qu’une splendeur de musique de chambre où chaque note vient comme une évidence après la précédente, ça s’écoute, ça ne s’explique pas.

« Elle pense comme un homme, agit comme un homme, et me fait douter d’en être un. »

« C’est le journal du mois dernier. Combien de fois l’as-tu lu ?

– J’aime savoir ce qui se passe.

– Bientôt, il se passera des choses ici. »

« Lance la roulette.

– Pourquoi ? Pas de clients.

– J’aime l’entendre. »

« Bonne chance, Vienna. Même si c’est peu.

– Je ne crois pas à la chance. Un bon tireur ne compte pas sur un trèfle à quatre feuilles. »

« On a des ennuis, n’en ajoutez pas.

– Les seuls ennuis ici sont ceux que vous apportez. »

« Nous vous arrêtons, vous et vos hommes.

– Tu peux arrêter la roulette. »

« On ne veut pas de vous ici !

– La terre n’est pas à vous. Pas celle-ci.

– Il vous en restera de quoi y être enterrée.

– Je compte être enterrée ici… au vingtième siècle.

« Maintenant, dehors !

– De grands mots pour une petite arme. (…)

– Posez cette arme, Vienna.

– En bas, je vends du whisky et des jeux. Si vous montez, vous achetez une balle dans la tête. »

Johnny Guitare qui se retrouve au milieu de deux camps cherche à détendre l’atmosphère :

Johnny Guitare : Vous m’offrez cette cigarette ?… (à l’autre camp :) Auriez-vous du feu, ami ? Rien ne vaut une cigarette et une tasse de café. Certains sont obsédés par l’or et l’argent. Pour d’autres, c’est les terres et le bétail. Et il y a ceux qui ont un faible pour le whisky et les femmes. Mais au fond, de quoi un homme a-t-il besoin ? D’une cigarette et d’un café.

Dancing Kid : Qui êtes-vous ?

Johnny Guitare : Je m’appelle Johnny Guitare.

Dancing Kid : C’est pas un nom.

Johnny Guitare : Vous voulez le changer ?

Vienna : Vous êtes ici pour jouer, pas pour insulter mes clients.

Johnny Guitare : Si c’est ça, vos clients, j’hésite à accepter.

Dancing Kid : Vous êtes sûr de vous, pour un homme sans arme.

Vienna : Et mal élevé.

Johnny Guitare : Le Dancing Kid ?

Dancing Kid : C’est mon nom, ami. Vous voulez le changer ?

Johnny Guitare : Non, il me plaît. Vous savez danser ?

Dancing Kid : Vous savez jouer ?

« Et vos armes ?

– Je n’en ai pas.

– Ou vous les avez jetées après.

– Quel esprit méfiant…

– Et pourquoi pas ?

– Je ne suis pas le tireur le plus rapide de l’Ouest. »

« Je t’aide à faire tes valises ?

– Je les ai jetées en arrivant ici. »

« Vous restez ?

– Il faut s’arrêter un jour. L’endroit paraît tranquille. Et amical.

– Vous me plaisez. Voulez-vous travailler pour moi ?

– Quel genre de travail ?

– Je trouverai. Vous n’aurez qu’à jouer pour moi.

– J’ai déjà une offre.

– La mienne est meilleure.

– Laisse M. Guitare décider lui-même.

– Tout à coup, vous ne me plaisez plus.

– Ça m’attriste. Je déteste perdre un ami. »

« J’ai toujours voulu tuer un guitariste.

– Noble ambition. »

« À ta place, je monterais à cheval et partirais pour ne pas revenir.

– Je devrais, mais je ne fais jamais ce que je devrais. »

« Tu n’as pas du tout changé, Johnny.

– Que croyais-tu ?

– En cinq ans, on devrait apprendre.

– Il y a cinq ans, je t’ai connue dans un saloon, tu y es toujours. Je ne vois pas de changement.

– Mais celui-ci m’appartient. »

« Tu croyais vraiment qu’après 5 ans, je t’attendrais ?

– La route est longue, d’Albuquerque. Je laissais errer mes pensées. Je me disais que nous serions réunis.

– C’est très généreux à vous, M. Logan. Est-ce une demande ?

– Un homme doit se fixer un jour. L’endroit en vaut un autre.

– C’est la déclaration la plus touchante jamais entendue.

– Je suis comblée. »

« Pourquoi ne dors-tu pas ?

– Des rêves. De mauvais rêves.

– J’en ai aussi, parfois.

– Combien d’hommes as-tu oubliés ?

– Autant que de femmes dont tu te souviens. Ne t’en va pas.

– Je n’ai pas bougé. Dis-moi quelque chose de gentil.

– Bien sûr. Que veux-tu entendre ?

– Mens-moi. Dis-moi que tu m’as attendu. Dis-moi.

– Je t’ai attendu.

– Tu serais morte si je n’étais pas revenu.

– Je serais morte si tu n’étais pas revenu.

– Dis-moi que tu m’aimes encore comme je t’aime.

– Je t’aime encore comme tu m’aimes.

– Merci beaucoup. »