Différence entre Nolan et Tarkovski

Certaines comparaisons paraissent étranges. Il y a une grande différence entre Tarkovski et Nolan. Les deux jouent avec le mystère, les ambiances, le tripotage neuronal, mais le premier est un poète, quand le second est un gros bourrin. Affaire de goûts bien sûr, et de bon goût, celui de l’auteur.

Souvent, ce qui est reproché à Nolan, c’est d’en faire trop, de n’être jamais dans la mesure, de chercher les effets, l’abondance au détriment de la simplicité. L’un force, l’autre arrive à donner une évidence à chaque scène. Et puisque les deux font finalement toujours le même film (en particulier pour Nolan), c’est normal de voir certains cinéphiles trouver chacun de ses films affreusement pénibles à voir, quand les autres crient au génie.

Sincèrement, Nolan, moi, il me file la gerbe. Littéralement. C’est comme s’il présentait ses films en neuf dimensions. Certains apprécient l’expérience, moi ça me rend malade comme à un festin de Noël durant lequel on n’a pas su s’arrêter. Il en fait trop. Alors que Tarkovski ne me gavera jamais. Il t’aguiche avec une image, il te laisse le temps de la digérer et de la désirer. Nolan t’abreuve d’images et de sensations jusqu’à en donner la nausée quand Tarkovski éveille ton appétit et te laisse savourer. Vous en voulez encore ? Goûtez plutôt au souvenir de cette première gorgée, savourez l’arrière-goût qui libère vos sens et votre imagination… Espérez, demandez, suppliez… et une fois qu’une goutte d’ambroisie tombe finalement sur votre langue, vous la savourez parce que vous savez d’où elle vient. Nolan… ce n’est pas de l’ambroisie, c’est de l’huile de palme qu’il a fait presser par des petites mains et qu’il vous envoie à la lance d’incendie.


Poet manspreading and his muse (1965, Marlen Khoutsiev)



Autres articles cinéma :


Balise spoiler, annonce et usage des spoils dans une critique

L’Empire du sixième sens, Nagisa Ôshima 1976 | Argos Films, Oshima Productions, Shibata Organisation

À quelqu’un qui me reproche de ne pas annoncer dans une critique sur un film japonais que je spoile :

On devra s’excuser d’écrire des critiques maintenant… Si les gens sont assez cons pour mettre leur main au feu pour savoir si ça brûle, c’est leur problème. Une critique, par définition, parle d’un film… tandis qu’un commentaire de film tournant autour du pot sent la merde.

Et si on respecte également les œuvres et le sens des œuvres japonaises, il faut accepter de vivre sans cette obstination du spoil qui n’a de sens que dans une optique consumériste propre à la riche, mais jeune culture américaine. Dans la culture nippone, la tragédie a encore un sens. L’honneur, la dévotion, le conflit permanent entre devoir et la passion, entre la quête ou le désir individuel avec les attentes d’un milieu… tout ça, ça a un sens. Et c’est ce qu’on connaît en Europe, et qu’on a oublié, dans la tragédie. Et merde, une tragédie, il n’y a pas à spoiler : ça ne se termine pas joyeusement. Les attentes du public américanisé (je ne dis pas « public occidental » par respect pour ceux qui connaissent encore les valeurs de la tragédie) sont des attentes d’éjaculateurs précoces où une jouissance doit être immédiatement consommée et remplacée par une autre. D’autres cultures, plus ancestrales, connaissent la valeur des préliminaires et oublient la finalité du plaisir immédiat pour se questionner sur les origines de leur impuissance. Quand on a quatre ans, on ne veut pas savoir que les histoires, ça finit toujours mal. Quand on change le spoil sur la langue contre du spoil aux pattes, on sait comment ça finit. Le plus dur dans la flûte, ce n’est pas de savoir souffler, mais de bien placer ses doigts. Quand on parle d’une œuvre parfaitement exécutée, ce n’est pas la question de l’exécution finale qui importe. S’il n’y a que la résolution de l’énigme qui nous intéresse, savoir si oui ou non ça se termine bien, si oui ou non ils vont se marier et avoir beaucoup d’enfants, on peut quitter la salle, acheter du pop-corn, et revenir pour le dernier acte. Les autres, quand ils parlent d’exécution, ils parlent de tout ce qui précède. Les tragédies finissent mal, en général. Les gens heureux n’ont pas d’histoire, etc. Merci, Madame. Pour les fins optimistes, il y a les comédies (et encore), sinon la plupart des récits classiques, les codes dramaturgiques japonais, sont dans la tradition de la tragédie. Donc on sait parfaitement ce qu’on est en train de voir. Alors bien sûr, on ne va pas différencier “drames” et “tragédies”, on n’est pas au théâtre. Mais quand même, quand on regarde les affiches ou qu’on lit les titres de films, ça laisse peu de doute non ? Entre La Forteresse cachée (au style très inspiré par la culture américaine) et Les Amants crucifiés, on n’a pas besoin qu’on nous fasse un dessin, si ?


Échanges sur le relativisme autour du Casanova de Fellini

 

Cinéma en pâté d’articles 

SUJETS, AVIS & DÉBATS

Commentaires simples et réponses 

 

Il Casanova di Federico Fellini, Federico Fellini 1976 | Produzioni Europee Associate (PEA)

Moi, par exemple, je ne comprends absolument pas comment on peut s’emmerder devant l’ambiance démente de Stalker.

C’est bien toute la diversité des goûts. L’esthétique touche directement à ce qui nous est personnel. On pourra écrire des milliers de critiques pour tenter de rationaliser tout ça en prétendant y trouver des valeurs esthétiques universelles, il suffit parfois d’un seul élément pour nous pourrir le paysage ou lui donner sa saveur. Plus on découvre les goûts des autres, plus on est surpris. On prend d’abord l’autre pour un con, pour un mouton, on dit qu’il a des goûts de chiottes, et puis à force, en partageant certains goûts, en étant soi-même la risée de tous en aimant une œuvre particulièrement détestée par d’autres et qu’on chérit, on accepte. On pourra toujours me dire que le relativisme, ça pue sa race, je ne vois pourtant pas d’alternative raisonnable. On peut adorer Casanova ou le trouver grossier, on peut être fasciné par Stalker ou le trouver glauque et chiant, il n’y a pas de goût conforme et respectable. Et ça pousse encore plus au relativisme quand ce sont nos propres goûts qui évoluent. Revoir Chunking Express et ne pas comprendre pourquoi on a trouvé ça génial…

Si tu regardes un classique, un chef-d’œuvre considéré comme tel, et que tu n’y trouves aucun intérêt, tu ne feras aucun effort pour te mettre au niveau… de ce que tu penses être de mauvaise qualité. Ce n’est pas au spectateur de faire l’effort d’aller vers une œuvre (même s’il peut), c’est avant tout à l’artiste de tout mettre en œuvre pour lui représenter. C’est même le sens de l’art. Tu ne présentes pas des œuvres pour le goût de l’absconcitude ou de la complexité. Toutes les grandes œuvres sont complexes ? Mouais. Une grande œuvre, c’est une œuvre qui a différents niveaux de lecture, qui est compréhensible de tous, qui a un premier niveau de lecture simple, clair, et qui ensuite peut nous suggérer une certaine complexité. Mais cette complexité, c’est plus la nôtre que celle de l’œuvre. Un chef-d’œuvre, c’est une lumière qui s’éclaire dans une chambre noire. Notre chambre noire. On y découvre nos secrets, nos mystères, peu importe, mais un chef-d’œuvre ne peut et ne doit être que l’éclairage. Pas la chambre déjà toute décorée. Si une œuvre éclaire son propre nombril, tu regardes ça de l’extérieur et tu n’y trouveras jamais aucun intérêt. L’intelligence elle est du côté de l’artiste, pas de côté du spectateur. Et l’intelligence de l’artiste, elle sert à rendre simple, évident ce qui est complexe.

L’image de la lumière dans la chambre noire est pertinente quand on la conçoit comme je conçois l’art. Manifestement, on en a une vision totalement différente. Il faut respecter ça, je vais encore faire appel au relativisme. Vous vous intéressez à l’art et vous avez des valeurs, et tout cela vous est propre. On regarde donc un film, on l’apprécie et on le comprend en fonction de ce qu’on vient chercher et en fonction de son expérience. Mon expérience, ma formation, mes valeurs, mon goût, je l’ai grâce à ma formation théâtrale. Vous en aurez sans doute une autre. Et il m’est arrivé de tâter un peu d’écriture, et on retrouve exactement les mêmes principes, les mêmes techniques, et les mêmes objectifs. Un acteur s’adresse bien à un public. On trouve certes des acteurs qui ne jouent que pour eux-mêmes. Ce sont les pires. On trouve aussi des écrivains qui n’écrivent que pour eux-mêmes, c’est même 99 % des écrivains, ceux qui ne vont pas publier et dont les écrits n’intéressent qu’eux-mêmes. Un acteur, comme un cinéaste ou un écrivain ne va pas s’adresser individuellement à chaque spectateur de la salle. On s’adresse à un public. Une œuvre, c’est un produit relayé par un transmetteur à une audience. C’est ainsi que ça a toujours fonctionné, et cela dans tous les arts. C’est donc un peu idiot de ramener ça à un rapport entre l’artiste et un spectateur. Vous pouvez la faire, mais ce serait la preuve de votre grande méconnaissance en matière de production. Tout le monde ne peut pas être artisan. Ce serait comme être magicien et faire son tour devant une assemblée de spectateurs connaissant tous vos trucs. À partir de là, notre compréhension du “phénomène” étant parfaitement opposée, l’intérêt de poursuivre une discussion est proche du néant.

Quand on juge une œuvre mauvaise, il faut un sacré toupet pour estimer que cela incombe au spectateur. Si on ne te comprend pas, si on ne te prête aucune attention, si tu ne convaincs pas, ce n’est pas la faute de l’autre, du spectateur, mais bien à l’artiste. Et puis quoi encore ? Tu vas courir les castings, tu envoies des manuscrits à des éditeurs, on te trouve nul, et… c’est la faute de ceux qui te voient ou qui te lisent ? Heu, non. En tout cas pas dans ma perception. Vous en avez une autre, c’est tout à fait votre droit.

Vous pourrez assez difficilement définir ce que seraient ces critères objectifs pour juger d’une œuvre. Puisque ces critères de jugement seront influencés par les motifs, valeurs ou désirs du spectateur qui sera amené à les juger. Si le seul critère de jugement est la sensibilité personnelle éprouvée par le spectateur, chercher à établir la valeur objective d’éléments étrangers à ce cadre “sensible” n’auront aucun sens. Pour juger, il faut des valeurs communes. Or, pour une œuvre d’art, vous n’arriverez jamais à établir ces critères essentiels utiles pour juger de ces œuvres. Même dans un cadre intellectuel, cinéphilique, universitaire ou critique, il y a assez peu de critères qui forment des passages obligés au détecteur de jugement. Le plus souvent, chacun dans sa spécialité ou sa fonction (un historien de l’art, un critique ciné, un professeur d’université, un cinéphile, voire un cinéaste) jugera en fonction de critères personnels. On y verra entre eux beaucoup plus de critères communs que dans un domaine différent, mais ces critères ne seront jamais exclusifs ou exhaustifs. Il y a toujours un critère de jugement qui domine chez n’importe quel spectateur éclairé, et d’autres auxquels il ne prêtera jamais attention.

Imaginons, par exemple, un critique qui pense que chaque œuvre doit disposer d’une morale et qu’il ait ensuite à juger de cette morale : il pourrait n’avoir aucun intérêt à juger du jeu des acteurs ou de la photographie (et même s’il le faisait, il est tout à fait possible encore que les critères pour juger de ce seul élément soient multiples et puissent opposer différentes sensibilités). Et imaginons maintenant, ma mère, qui ne juge une œuvre qu’en fonction du plaisir qu’elle y a éprouvé. Ses critères pour juger de ce plaisir seront assez vagues, mais le résultat assez simple : une note sur 10, une appréciation…

Puisque l’art s’adresse à tout le monde, c’est à chacun de déterminer les critères qui vont permettre de juger une œuvre. D’ailleurs, on pourrait s’amuser à faire le compte de ce qui pourrait intégrer la base de données utile à juger d’une œuvre… objectivement. Il y aurait tellement de critères qu’il serait impossible d’y voir clair. Et certains éléments y seraient tellement opposés qu’il faudrait bien en privilégier certains par rapport à d’autres pour finalement déterminer une valeur à l’œuvre. Qu’est-ce qui pourrait alors choisir des critères qui auraient plus de valeur que d’autres sinon… la subjectivité. Est-ce que la moralité vaut plus que l’esthétique ? Est-ce que la technique vaut mieux que les intentions ? Est-ce que le savoir-faire vaut mieux que le cœur ? Est-ce que la musique vaut plus que les dialogues ? Est-ce que la profondeur de champ vaut plus qu’une image sans relief ? Est-ce qu’un panoramique vaut plus qu’un travelling ? Un gros plan plus qu’un plan d’ensemble ? Non, c’est impossible. Aucune objectivité possible.

Les caractères objectifs d’un jugement viennent à la suite d’une impression première, qui est, elle, subjective. On ne se sert de ce qui est objectif que pour rationaliser, expliquer ce qui est impalpable. C’est comme essayer de définir ce qu’on voit en regardant un arbre. « J’ai vu un arbre, je peux l’affirmer. » D’accord, mais entre ce qu’on a vu, ce qu’on exprime, et ce qu’on sait avoir vu, il y a un monde. On n’a pas vu « un arbre », on a vu un certain arbre, dans un certain contexte, qui avait telle ou telle forme, etc. Et au final, on ne peut, objectivement, traduire ça que par « j’ai vu un arbre ». Tous ceux qui ont vu le même arbre pourront dire qu’ils ont vu « un arbre », et le même, sans aucun doute, pourtant si on leur demande d’être plus précis, c’est là qu’on n’échappera pas à des références purement subjectives pour définir ce qu’ils ont vu. L’objectif sera toujours insuffisant pour exprimer une vision qui sera toujours personnelle. Donc une œuvre, on peut la montrer à différents individus, dans le même contexte, au même moment, ils y verront pourtant tous une œuvre différente. Vous pourrez encore une fois chercher à définir des critères communs, mais face aux perceptions personnelles, ces critères ne pourront servir qu’à confirmer une vision première. Il peut arriver que grâce à ces critères communs, on soit amenés à rejuger une œuvre, mais ce n’est pas parce qu’on se met tout à coup à adopter la même grille de lecture, mais juste parce que le souvenir de l’œuvre, sa perception, se voit modifié par un nouveau critère qu’on décide d’adopter (mais on peut très bien ne pas adhérer à tel ou tel nouveau critère ; là encore, ce ne sera qu’une question de perception, de goût, de valeurs, d’intérêts).

Rendre objectif ce qui est une expérience personnelle, c’est intéressant pour qu’on puisse comprendre chacun d’entre nous ce qui est au centre de nos propres préoccupations, intérêts, etc. C’est même une des dimensions les plus intéressantes dans l’art. Mais en aucun cas, on ne saurait parvenir à créer des critères de jugement objectifs valables pour tout le monde. Et c’est même en ça d’ailleurs que l’art est si vital pour l’homme. Parce que face à une œuvre, personne ne pourra nous imposer des critères objectifs. On aime, on adhère, on y trouve de l’intérêt, et personne ne pourra jamais être en mesure de nous dire qu’on a tort. En matière d’art, il n’y a ni raison ni vérité. Seule la liberté de percevoir, d’aimer, de comprendre, avec comme seul critère de jugement : nous-mêmes.

Un magicien, un artisan, un artiste, tout ça relève des mêmes principes. Une œuvre, c’est une illusion. Un artiste produit un numéro de cirque, et on ne sait rien du comment il y est parvenu. La seule chose qu’on sait, c’est si ça éveille en nous quelque chose, et si ça répond à nos attentes. Si un professeur devant ses élèves a un but, celui d’instruire ses élèves, si un homme politique a un but, celui de convaincre de ses qualités et de sa capacité à diriger, un magicien, un artisan ou un artiste, quand il propose un produit, une œuvre à un public, il peut avoir des buts différents tandis que son public viendra pour des motifs tout aussi différents. Mais ils se regroupent tous dans ce même principe de présentation. Que ce soit pour plaire, pour convaincre, pour amuser, voire pour instruire, magiciens, artisans ou artistes obéissent à la même chose : faire et montrer. Et puisque ce qu’on voit n’obéit qu’à notre seule subjectivité, tout n’est qu’illusion. Chacun a son petit numéro à faire, et chacun doit juger de son intérêt. Si ton grand artiste utilise l’illusion pour révéler le réel, reste que ce qu’il produit doit être jugé par un public, et que chaque spectateur est amené à juger de la pertinence de cette “révélation”. C’est tout l’intérêt du malentendu. Racine peut se tuer à écrire le meilleur des Phèdre possibles, ce sera tout à fait le droit du public de penser que si la pièce est une réussite, c’est grâce à la beauté envoûtante de l’interprète… C’est la différence entre un meuble Ikea et une pièce de Mozart. Fort heureusement, personne ne nous impose d’étudier un manuel pour y comprendre quelque chose ou pour pouvoir en jouir (ou pas).

L’œuvre est invariable (et encore, quand on dispose d’autant de traduction de Shakespeare, par exemple, on se met encore plus à relativiser), mais ceux qui les voient, les commentent et les jugent restent des hommes. Il n’y a qu’en science et en droit qu’on peut établir une objectivité. En art, ça me paraît bien impossible. Parce que tout est point de vue, opinion, impression, goût, préférence.

Concernant la difficulté d’attribuer une valeur aux œuvres, il y a plusieurs choses. Chacun peut estimer selon ses goûts, intérêts, etc. que telle ou telle œuvre n’a pas de valeur à ses yeux. Mais ce n’est pas dire qu’on refuse de croire que cette œuvre puisse avoir une certaine valeur au regard de l’histoire ou d’autres spectateurs. Il y a une sorte de marché de l’art où certaines œuvres ou artistes sont cotés qu’ils le veuillent ou non, et ces valeurs fluctuent comme tout autre produit en fonction de l’intérêt porté à leur égard. Ça monte, ça descend, en fonction de critères se voulant rationnels, objectifs. En réalité, ces valeurs évoluent en fonction de phénomènes assez flous tout simplement parce que la valeur est ici plus une réputation qu’une marque de qualité réelle. C’est d’ailleurs pour ça que ces valeurs fluctuent. Ce n’est pas l’œuvre elle-même qui change, mais la perception qu’en a le public. C’est donc normal de voir au cours de l’histoire, des arts, des œuvres ou des artistes, passer de l’ombre à la lumière.

À l’époque de Florence, par exemple, la peinture n’était pas considérée comme un art majeur et de Vinci avait surtout l’ambition de se faire un nom dans les arts de la guerre. Il n’aurait jamais imaginé devenir célèbre pour ses peintures, voire ses croquis. On réévalue perpétuellement ce qu’on voit, lit ou regarde. L’œuvre reste la même, c’est exact, mais c’est bien notre perception qui change. Il n’y a donc aucune objectivité possible. Quand les valeurs, la morale, les références, les mœurs, les enjeux et les ambitions personnelles changent au gré des évolutions sociétales, c’est normal de voir la perception des œuvres changer. Et encore une fois, c’est une perception. Rien de rationnel, aucune possibilité de juger la valeur d’une œuvre en fonction de critères objectifs. Il y aura la valeur toute personnelle qu’on est prêt à donner à une œuvre ; et la valeur (qu’on connaît ou non, mais qui est toujours assez difficile à évaluer parce qu’elle ne dépend pas de nous, mais d’une connaissance ou non de la valeur générale qui lui est attribuée) d’une œuvre dans une culture, une société, un art.

Votre exemple de Picasso est intéressant. Il montre bien que la valeur de certaines œuvres (ou artistes) se fait après-coup. C’est comme en histoire. On réévalue sans cesse les événements en fonction de ce qu’on sait être venu après. La prise de la Bastille est-elle l’événement majeur de la révolution ? Non, c’est un symbole. Même chose pour Picasso ouvrant la voie au cubisme. Si on juge de la valeur des peintures rupestres de la grotte Chauvet, c’est moins pour sa qualité artistique (et on ne sait même pas si ça avait une fonction artistique ou spirituelle, sans doute les deux) que par son importance historique. Si on voulait juger objectivement d’une œuvre, il serait plus juste de juger de leur valeur artistique intrinsèque. À moins de juger que cela a un sens d’avoir comme critère de jugement, l’influence future d’une œuvre. Mais puisqu’on peut discuter de ce critère, c’est bien la preuve qu’aucun consensus sur les critères de jugement n’est possible, et donc qu’il n’y a aucune objectivité possible à attribuer une valeur juste à une œuvre. C’est même pour moi le propre même de l’art. Tout ce qui fait son intérêt, c’est qu’aucune autorité ne pourra nous imposer la valeur d’une œuvre. Elle s’impose à nous, ou elle s’impose dans un groupe comme canon, comme chef-d’œuvre admis. Et comme il n’y a pas qu’un groupe, mais une constellation de mouvements de pensée, de goûts, d’intérêts, de conceptions, eh bien, encore et toujours, personne ne pourra décréter au nom de tous que telle ou telle œuvre vaut plus qu’une autre.

« Non, mais, t’es sérieux ? Tu mets War of Warcraft au même niveau que la Joconde ? » Eh bien, oui. Je ne dis pas que moi, personnellement, je place un jeu au même niveau qu’une peinture. Je dis que l’objectivité, si elle est en soi impossible, elle nous dit une seule chose : que toutes les œuvres se valent. Parce que l’histoire montre que ce qui n’avait pas de valeur hier peut en avoir demain. Ce n’est rien d’autre d’ailleurs qu’une forme de démocratie. Est-ce que l’on dit objectivement que la droite est meilleure que la gauche ou inversement ? Non, on décide, personnellement, qu’à tel ou tel moment, l’un ou l’autre vaut mieux que sa voisine. Et on fait le compte. Un compte qui est remis en question à chaque élection. Objectivement, on ne peut pas dire que tel ou tel parti est meilleur qu’un autre, on décide juste qu’à tel moment, l’ensemble des juges-votants ont décidé d’une valeur. Ça ne veut pas dire qu’on partage l’avis général, mais au moins qu’on l’accepte… jusqu’au prochain vote. L’art, c’est une bourse aux œuvres qui tourne 24 h sur 24. À la clôture, tu as une valeur définie, mais on sait bien que cette valeur sera toute différente demain et après-demain. Il est là le relativisme. L’œuvre ne change pas. Il n’y a que la valeur qu’on lui donne qui change.

(Ajout 2023 : J’ajoute qu’il ne faudrait pas que ce principe « démocratique » de la valeur d’une œuvre à un instant t interdise cinéphiles ou étudiants en art notamment à étudier des œuvres, des mouvements ou des artistes. On finirait par ne plus étudier que ce qui est déjà connu et fait toujours consensus. Étudier ou défendre des pans mal connus de l’art, des artistes oubliés et délaissés, sans pour autant aller jusqu’à prétendre chercher à leur donner une place ou une valeur qu’ils ne peuvent avoir, cela permet tout aussi bien de mieux connaître ce que l’on connaît — ou croit déjà parfaitement connaître —, voire parfois de repenser et voir autrement nos connaissances. Puis, avec le temps, avec les modes qui passent, les intérêts ou les préoccupations qui évoluent en fonction des nouvelles époques, les consensus évoluent, les regards changent ou se lassent.)

Quant à l’intérêt de discuter ou de partager ? Eh bien, il est justement dans le plaisir de partager ses goûts, sa vision, se confronter à d’autres visions pour faire évoluer la sienne. Parce que le goût, c’est aussi un voyage. Et parce que tout le monde cherche, dans la bourse aux œuvres, à acheter une œuvre au plus bas prix. Pour cela, il faut être à l’affût, il faut influencer…

(Ce n’est pas ce que je voulais dire en parlant « d’illusion ».)


À croiser avec

Est-ce que Bresson = Besson ?

 

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SUJETS, AVIS & DÉBATS

Commentaires simples et réponses

 

Mikio Mikio

Une rencontre des Acteurs Anonymes. Mikio vient pour la première fois et se présente devant un groupe d’acteurs et de cinéastes réunis en cercle.

— Bonjour, je m’appelle Mikio et je réalise des films, essentiellement des mélodrames ou des drames réalistes.

— Bonjour Mikio.

— Voilà, je viens vers vous parce que depuis un certain temps, j’ai l’impression d’être dans la peau de quelqu’un d’autre.

— On connaît tous ça, mais tu pourrais être plus explicite ?

— Je n’aime pas les mélos que je réalise. Voyez-vous, j’ai commencé dans ce genre avant guerre parce que je pensais que ce serait une bonne idée pour approcher les filles.

— Nous sommes tous comme toi ici, Mikio ! On a une sacrée réputation…

— Je sais… Mais moi, ça ne m’a jamais aidé avec les filles. Elles adorent ce que je fais, c’est certain, mais elles comprennent vite à mon humour qu’il y a quelqu’un d’autre qui se cache derrière le réalisateur.

— Heu, oui. De quel humour parles-tu ?

— Eh bien, j’ai comme qui dirait un humour un peu particulier.

— Tu joues du coussin péteur ? — Les blagues racistes, j’ai toujours dit qu’il n’y avait rien de mal…

— Non. J’ai un humour… absurde.

— …

— Un quoi ? Qu’est-ce qu’il a dit ?

— J’aime l’absurdité.

— Ne t’inquiète pas, ce n’est pas si sale que ça…

— C’est comme aimer plus que tout faire rire les autres et en être incapable. Je suis toujours celui qui dans un dîner sort des blagues étranges que personne comprend. Ça met mal à l’aise tout le monde…

— C’est vrai que tu n’es pas très drôle dans ton genre…

— J’ai écrit et réalisé un film pendant la guerre. Je suis parti à la campagne, là où je pensais avoir toutes les libertés pour enfin m’exprimer, prendre les acteurs avec qui je m’entendais le mieux…

— Bah tiens, l’esprit de troupe ! Pourquoi on est là à ton avis ? On a tous ça ici ! Même si tu es un peu sinistre comme bonhomme, tu fais partie de la famille !

— … Je ne me suis jamais senti aussi bien sur un film. Et une fois fini, pour la première fois j’ai eu la sensation d’avoir enfin réalisé MON film, celui qui me correspondait le mieux.

— Ta Liste de Schindler à toi, quoi.

— Oui enfin… Bref, j’étais tout heureux de le présenter au public. Et puis… et puis…

— Oui, on connaît tous ça ici. Le plus souvent, ce sont les bides qui nous amènent ici.

— Aujourd’hui, mon film a eu sa millième note en dessous de 5 sur SC…

— Ah, mais c’est très bien ça ! Ça doit valoir un badge non ? C’est qui ton sponsor ?

— C’est son premier jour, il n’en a pas encore…

— C’est quoi ton film qu’on aille le voir, peut-être qu’on va aimer.

— Les Act

— Ne le tendez pas les gars. Il essaie de s’en remettre, ce n’est pas facile pour lui, mais il parle déjà en italique, il va y arriver. Mikio ? Répète après moi : « J’ai admis qu’il y avait un fossé entre mes attentes, mes désirs et celles de mon public, je ne chercherai plus à leur imposer quoi que ce soit étant en désaccord avec ces attentes ; j’ai renoncé à être moi-même ; je ne suis plus que le personnage qu’on me dira être… »

— Snif, ça me fait toujours pleurer quand j’entends cette phrase…

— Répète à présent.

— J’ai admis qu’il y avait un fossé entre mes attentes, mes désirs et celles de mon public, je ne chercherai plus à leur imposer quoi que ce soit étant en désaccord avec ces attentes ; j’ai renoncé à être moi-même ; je ne suis plus que le personnage qu’on me dira être.

— Bravo ! Mikio ! Bravo !

— Ah…, c’est formidable, je me sens mieux. Je vais retourner travailler avec Hideko, je vais faire d’elle une actrice de mélo. Des mélos ! Comme avant !

— Ne t’emballe pas, Mikio. Les rechutes sont assez fréquentes. Tu devras venir nous voir fréquemment. Une dernière chose. Répète après moi : Je renonce à l’absurde.

— Je… je…

— Tu peux le dire Mikio !

— Oui vas-y. Pense à toutes les fois où tu t’es senti ridicule à cause de ton goût pour l’absurde…

— Je renonce… Je renonce à l’absurde.

(Il pleure et le groupe lui fait un gros câlin)

— Charles sera ton sponsor. Charles était dans une autre vie un grand acteur de cinéma muet. Seulement, quand le parlant est arrivé, il a eu le tort de ne pas vouloir renoncer au muet… C’est ainsi qu’il est arrivé ici. Et Charles réalise à présent des films parlants !

— Bonsoir Mikio. Ce ne sera pas facile, il va falloir s’accrocher. La tentation est forte. J’avoue moi-même que pendant les fêtes… il m’arrive de faire le clown encore. Et après ça, je m’en veux toujours. Heureusement que ce n’est pas la même chose : tu imagines s’il me prenait l’envie, là maintenant, de réaliser un film muet ? Il me faudra des années pour m’en remettre ! Alors, l’absurde, renonces-y. Si ce n’est pour personne, ce n’est pas pour toi. On fait un métier populaire, on doit plaire à notre public, on n’est pas là pour lui imposer nos goûts personnels… Entre nous, il s’appelait comment ton film absurde ? Donne-m’en juste un aperçu, personne ne verra rien…

— Les Acteurs Ambulants.

(Il s’effondre en larmes)

— Ah, ah, c’est merveilleux ! Comme notre groupe ! Les AA ! Allez, viens mon ami, je vais te présenter à un ami. Il traîne dans la rue et propose ses numéros à un public qui s’est depuis longtemps désintéressé des galipettes et des tartes à la crème. Il n’a pas voulu arrêter. Alors, il est tombé au fond du trou. Un peu comme nous autres à un moment de notre vie. Mais nous nous en sommes relevés grâce aux Acteurs Anonymes. Buster, lui… Enfin, sortons d’ici. Les acteurs, je les aime bien, mais venir ici me fout la déprime. D’ailleurs, je pense bien que je vais finir par me tirer en Suisse…

(Mikio s’éloigne et s’effondre en larme sur un mur)

— Mais attends-moi l’ami ! Je t’ennuie avec mes histoires. Alors que c’est toi qui es à plaindre… Allons, voyons, viens avec moi. Viens, je te dis… Ne reste pas là, c’est absurde !

— Marhrhhghghhghgghgh !!!!

— Qu’est-ce qu’il te prend ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Oh, décidément, que soit maudit le parlant… Ça n’a jamais fait que des malheureux.

Qu’est-ce que le cinéma ? Leçon 48.

Méthode d’apprentissage du cinéma à l’attention des ménagères cosaques et des chanteurs itinérants.

Leçon 48.

L’action.

Dans le chapitre précédent, nous avons étudié la définition de l’action à l’image à travers la praxie médio-temporale dans un milieu substantiel fixe. Nous allons désormais passer à la pratique au moyen d’exercices simples.
(Il est important de garder les yeux ouverts pendant tout l’exercice.)

La médio-temporalité, comme évoqué dans la leçon 46.d, n’admet dans son champ d’action (praxinis) aucun élément de figuration, et doit donc, pour prendre une forme dramatique, s’adapter à une configuration dramalinguistique du type 9 ou 13 (cf. tableau de la leçon 47.c, ainsi que l’annexe à la partie 4 du chapitre 3 de Propriétés anaproxiatiques des images suppositatoires en mouvement, par Frank Fjord Coppolen aux Ed. Zerotroscopie). Pour cela, veuillez parmi tous ces verbes sélectionner les verbes d’action :

espérer espionner espouliner esquinter esquisser esquiver essaimer essanger essayer essorer essoriller essouffler essuyer estamper estampiller ester estimer estiver estomaquer estomper estoquer estrapader estrapasser estropier établir étager étalager étaler étalonner étamer étamper étancher étançonner étarquer étatiser étayer éteindre étendre éterniser éternuer étêter éthériser étinceler étioler étiqueter étirer étoffer étoiler étonner étouffer étouper étourdir étrangler étrécir étreindre étrenner étrésillonner étriller étriper étriquer étronçonner étudier étuver euphoriser évacuer évader évaluer évanouir

Réponses : espionner esquinter esquisser esquiver essanger essayer essorer essoriller essouffler essuyer estamper estampiller estiver estomper estoquer estrapader estrapasser estropier établir étager étalager étaler étalonner étamer étamper étancher étançonner étarquer étayer éteindre étendre éternuer étêter étinceler étioler étiqueter étirer étouffer étouper étourdir étrangler étrécir étreindre étrésillonner étriller étriper étriquer étronçonner étuver évacuer évader évanouir

Maintenant que vous avez afiguré votre matériel, refermez les yeux dix à quinze secondes, puis rouvrez-les lentement. Saisissez-vous d’une graine de cabâche malgache (sinon reportez-vous à la leçon 15.a et confectionnez-vous en une à la manière indiquée) et procédez à la sélection suivante (cela ne mâche que si vous êtes totalement nu alors pas de chichi).

Complétez maintenant ces phrases à l’aide des verbes que vous avez sélectionnés dans votre réponse. Chaque phrase doit obéir à une logique propre (protopaxilisie), répondre à une situation donnée (atimaxion) et discriminer les solutions vieillies (erreurs antéprolaxistes) ou spécialisées (erreurs jargonorexiques).
Attention, votre plan médiovien est réduit, vous ne disposez que de dix scénarios possibles. Veuillez sélectionner les solutions les plus adaptées selon vous :

Modèle : Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _______ Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte ______ . Après s’être______ , tous deux finirent ________ .

Action !

1/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _espionné_ Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _esquissa_ un pas vers le tonneau situé sur sa gauche. Après s’être_étanchés_ , tous deux finirent _étendus_ sur le sol, ivres morts.

2/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _étalé_ toute sa science devant Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _étendit_ les bras. Après s’être_étreints_ , tous deux finirent _en étalageant_ au grand jour leur amour secret.

3/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _étoupé_ la femme d’Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _éternua_ . Après s’être_essuyés_ , tous deux finirent complètement _essorés_ .

4/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _estrapadé_ la saucisse d’Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _éteignit_ la lumière. Après s’être_étripés_ , tous deux finirent _étranglés_ .

5/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _essayé_ les boucles d’Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _esquiva_ la balle. Après s’être_étiolés_ dans l’air, tous deux finirent _essoufflés_ dans une course poursuite sans fin.

6/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _établi_ que le trouillomètre d’Hector devait être au plus haut. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _s’estropia_ lui-même une jambe. Après s’être_esquinté_ l’autre jambe, tous deux finirent _étêtés_ .

7/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _étrillé_ Hector au tennis. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _étincela_ encore par sa superbe. Après s’être_étiquetés_ mauvais perdants, tous deux finirent par _évacuer_ les lieux.

8/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _étayé_ des théories fumantes sur la sexualité d’Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _estompa_ les effets de la balle. Après s’être_évanouis_ , tous deux finirent _par étalonner_ leur engin d’après des normes communes .

9/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _établi_ la culpabilité d’Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _s’étriqua_ d’un coup. Après s’être_étirés_ , tous deux finirent _par s’évader_ .

10/ Pierre Revêche tenait en joue Hector Sulfamâte avec la ferme intention de le tuer. Pierre Revêche avait _étronçonné_ le sabin de Noël d’Hector. Pourtant, quand Pierre Revêche tira, Hector Sulfamâte _étouffa_ un sanglot . Après s’être_estoqué_ , tous deux finirent _étourdis_ .

Note : 6/10
On voit que la protopaxilisie s’accroît au fil des solutions. Les sujets créatifs commencent par proposer les atimaxions les plus évidents jusqu’à composer, à cours de solutions, de nombreux atimaxions jargonorexiques. Pourtant, il est important de préciser ici qu’à ce stade de composition les erreurs peuvent encore être la marque du style dramalinguiste de l’auteur. On dira ainsi que les atimaxions logiques se classeront parmi les trames classiques, tandis que les dernières solutions seront à classer parmi les trames subclassiques.

Nous étudierons, dans la prochaine leçon, les effets des différents niveaux de protopaxilisie sur la perception du spectateur.

En attendant, vous pouvez fermer les yeux et vous exercer à écrire des films suivant le modèle suivant : dix praxions avant, soufflez, trois praxions arrière, soufflez (reproduire trois fois).

Bon dada !


Le duel : Kenji Misumi face à Hideo Gosha

Perso je vois beaucoup moins de différence entre les “cinéastes” qu’entre les périodes où les films ont été réalisés. Gosha et Misumi, c’est donc kif-kif. Les années 60, on propose chez les deux des films exigeants parce que le public suit. Et quand je dis exigeant, ça reste des chambara donc on est encore loin de cinéastes “auteurs”. D’ailleurs avant ces années 70, Misumi a aussi réalisé des drames, perso j’en ai vu un excellent, La Rivière des larmes, on est très très loin du bis, seulement oui, ces films sont pas ou peu vus. Mais rien que dans ces années 60 Misumi a signé pas mal de Zatoïchi et tu peux en convenir, osonito, ce n’est pas parce qu’on est dans le serial qu’on est, déjà, dans le bis. Et Gosha à la même période tournait pas autre chose. Le bis, ou l’exploitation, elle arrive selon moi avec les années 70 et la faillite de certains studios, obligeant les rescapés à filer vers les extrêmes et la surenchère. D’ailleurs, apparemment la notion d’auteur ou d’art, en dehors de quelques réalisateurs qui se comptaient sur une main et d’ATG, n’avait pas cours au Japon. Katsu par exemple est sans doute plus responsable d’une certaine exigence dans les films dont il était probablement à l’origine plus qu’un quelconque réalisateur chargé de les mettre en scène. (Enfin bon, le type qui fait autorité en la matière et qui relève ça dit par ailleurs que Misumi est un de ses réalisateurs préférés… très cohérent tout ça, mais on n’échappe jamais à ce besoin de foutre une signature sur un film. Moi je te dégrifferais tout ça, raccourcissant tous les films des deux ou trois minutes de génériques, et qu’on juge les films individuellement en se foutant bien de qui en était le chef décorateur — le misumi — ou l’étalonneur de couilles — gosha.)

Une seule chose à savoir donc. C’est tourné dans les années 70. Plus que du bis, c’est le chant de cygne d’un âge d’or katanesque. Tout est un peu criard. On meurt rarement dans la subtilité. Un peu, disons, comme un match formidable de Moussa Sissoko en finale d’un Euro. Quand Ben Jonhson se met à jouer comme Maradona, c’est qu’on est tout près du point de rupture.

@Lim : Oui, Misumi est loin de n’être qu’un artisan du Bis, et finalement, il n’y a guère que les Baby Cart qui témoignent de cette facette chez lui, mais elle existe. Alors que chez Gosha, enfin de ce que j’en ai vu (j’veux bien des titres si j’me plante), c’est quand même relativement plus sérieux.

Alors comme on parlait de Daigoro et son papounet, j’mettais juste en garde Mo sur le fait que cette saga est quand même à part dans la thématique Chanbara.

Mais même dans les Zato, et je suis pourtant d’accord quand tu dis que c’est plutôt sérieux, voir grave parfois, il y a une certaine décontraction, un humour pince sans rire qui fait que pour moi Misumi me parait plus «  »symphatique » » (terme moisi, mais j’ai pas le temps de pinailler !) que Gosha.

Oui mais est-ce que la marque du bis c’est le manque de sérieux ou c’est les excès ? Gosha est peut-être plus sérieux dans le sens où ses films utilisent rarement l’humour, mais ce qu’il fait reste pour moi commercial. Il faut attendre les films des années 80 pour qu’il propose quelque chose qui se démarque sans doute et corresponde plus à ce qu’on pourrait identifier comme films d’auteurs (la Geisha pour ce que je me rappelle et qui a été remarqué par la critique nipponne, mais là encore, si on cherche une correspondance, perso je relierais ça à du Bertolucci, c’est grand spectacle, et sérieux, mais ça reste très populaire). Tous les chambara des années 60 correspondent selon moi parfaitement à ce qui se faisait à l’époque. C’est sérieux, mais parce qu’un chambara c’est sérieux. Si à côté de ça, tu as l’exception Zatoïchi avec son humour pince sans rire, c’est surtout le fait du personnage et de son acteur, pas vraiment d’une volonté d’un Misumi d’en faire quelque chose de léger.

Et dans ces mêmes années 60, il fait quoi le Misumi ? La trilogie du sabre. Dans mon souvenir, ce n’était pas vraiment poilant. Les trois sont avec Raizo Ichikawa, le bonhomme a pas une once d’humour^. Y en a même un qui est une adaptation de Mishima, pas vraiment connu non plus pour son sens de l’humour. Si ça devient très très léger (si on peut dire) au tournant des années 70, c’est encore une fois le fait de ce qu’il met en scène. Faudrait creuser la filmo de Misumi, mais j’avais été étonné de voir son Rivière des larmes, parce que c’était un drame familial (ou du mariage) en costumes, plus quelque chose qu’on verrait chez un Mizo, un Masumura ou un Imai.

Après, c’est vrai que de dire que Baby Cart, bah, c’est du bis, mais c’est moins lié à Misumi qu’à l’époque à mon avis. (Et du bis, Gosha a bien dû en faire aussi. Il a relativement peu tourné dans ces années 70, mais il semble bien avoir tourné un peu dans le bis, version yakuza, avant sans doute d’alterner dans les années 80 en jouant sur le côté « ouais c’est des films sérieux mais c’est avec des geishas, on va voir des nibards comme dans Bertolucci, ne vous inquiétez pas. »)

Et en parlant de nibards, il y a bis et bis… je sais plus dans lequel c’est mais y a une des scènes les plus sensuelles que j’ai pu voir dans Baby cart. C’est peut-être sur ce point que perso j’accepterais pourquoi pas de voir Misumi comme d’un auteur, à sa capacité à tirer au mieux d’une séquence à travers le simple montage. Ça arrive souvent dans les scènes de bain par exemple (et il me semble que s’il a aussi réalisé le meilleur Hanzo pour Katsu c’est bien aussi pour sa capacité à mettre en scène ces instants “vides” qu’ils n’animent rien que par le montage et le cadrage). Je sais plus dans lequel c’est donc, mais Daigoro et son papounet se retrouvent tout mouillés avec une « james bond girl » et se sèchent tous au feu de bois dans une grange. C’est amusant parce que là pour le coup, on est dans l’anti bis, l’anti Hanzo qui lui l’aurait tringlé à la sauvage et aurait arrêté en plein orgasme pour la faire souffrir ; lui, au contraire, il la prend dans ses bras alors qu’il y a déjà une certaine méfiance parce qu’ils ne sont pas censés être très proches, mais il est pragmatique le papounet : il faut se réchauffer. Et là c’est du Hitchcock, on ne sait pas trop si c’est une scène d’amour ou si ça présage un meurtre… Et lui Misumi il use du suspense avec du montage en faisant grimper la tension, suggérant tout et n’importe quoi, prenant son temps, et cette sensualité… du môme qui est dans les bras de son père et de cette inconnue, à poil, et qui enlève une goutte d’eau sur son nibard en lui filant une gifle amoureuse qui le fait rebondir… Et là, le plan qui tue, le montage, toujours le montage, tu vois la fille, qui abandonne sa méfiance et qui limite est en extase. Ce n’est pas du Hanzo encore une fois, pourtant c’est la même période, c’est le même réal, mais les tonalités sont totalement opposées. C’est digne du Oshima de l’Empire de sens, je dirai même que c’est encore plus subtil que Oshima, parce que tout est en sous-entendu, et c’est l’alliance des contraires : la méfiance totale > extase refoulée = abandon discret. Merde, c’est comme un sourire de Ryu chez Ozu : s’il sourit comme un demeuré, c’est peut-être aussi parce que ce vieux schnock vient d’avoir une réaction. Cette scène, c’est la Joconde. Gosha, il est probable qu’il ait pas proposé ça, peut-être justement parce que si c’est plus sérieux, ça joue aussi beaucoup plus sur les faits que sur de purs moments de mise en scène (faudrait revoir mais par exemple ce que j’adore dans Le Sabre de la bête, c’est que c’est du Dumas, d’accord, c’est sérieux, mais c’est l’action qui compte, l’événement, plus que le mouvement et la chorégraphie chez un Misumi peut-être…).

Gosha, c’est :

     
1. Trois Samouraïs hors-la-loi (1964) 8/10   1964
2. Sword of the Beast (1965) 10/10   1965
3. Kiba, le loup enragé (1966) 8/10   1966
4. Goyokin (1969) 6/10   1969
5. Hitokiri (1969) 6/10   1969
6. Les Loups (1971) 8/10   1971
7. Chasseurs des ténèbres (1979) 8/10   1979
8. The Geisha (1983) 8/10   1983
 

(notes perso sur IMDb)

Lien vers le classement réalisateur de Misumi

Misumi, c’est certes de l’exploitation, et une fin prématurée :

     
1. La Porte de l’enfer (1953) 7/10   1953
2. Zatôichi, le masseur aveugle (1962) 8/10   1962
3. Tuer (1962) 9/10   1962
4. Shinsengumi Chronicles (1963) 7/10   1963
5. Fight, Zatoichi, Fight (1964) 8/10   1964
6. Le sabre (1964) 7/10   1964
7. La lame Diabolique (1965) 6/10   1965
8. La Légende de Zatoïchi : Voyage en enfer (1965) 7/10   1965
9. La Légende de Zatoïchi : Route sanglante (1967) 7/10   1967
10. La Rivière des larmes (1967) 8/10   1967
11. La Légende de Zatoïchi : Les tambours de la colère (1968) 8/10   1968
12. Zatôichi abare-himatsuri (1970) 7/10   1970
13. Baby Cart: le sabre de la vengeance (1972) 7/10   1972
14. Baby Cart: L’enfant massacre (1972) 7/10   1972
15. Goyôkiba (Hanzo the Razor) (1972) 8/10   1972
16. Baby Cart: Dans la terre de l’ombre (1972) 7/10   1972
17. Baby Cart: Le territoire des démons (1973) 8/10   1973
18. Okami yo rakujitsu o kire (Les Derniers Samouraïs) (1974) 8/10   1974