Les Démons à ma porte, Jiang Wen (2000)

L’occupation et l’absurde…

Les Démons à ma porte

Note : 4.5 sur 5.

Aka : Devils on the Doorstep

Année : 2000

Réalisation : Jiang Wen

Avec : Jiang Wen, Kenya Sawada, Jiang Hongbo

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Un village de campagne de la Chine occupée par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Des inconnus remettent à un villageois deux sacs à garder jusqu’à leur retour. Les deux sacs contiennent un Japonais et un traducteur chinois. Les villageois les cachent des Japonais en attendant qu’on les réclame, mais on ne viendra jamais et ces deux cadeaux finissent par leur empoisonner sérieusement la vie.

Le film est tout du long très drôle, commençant comme une farce italienne. On croirait voir les bêtises de Vittorio Gassman et de ses compères de bras cassés dans Le Pigeon. Malgré leur bêtise, on ne peut s’empêcher d’avoir une grande sympathie pour eux, parce qu’ils n’ont pas de mauvaises intentions, ils se sentent juste coincés avec ce cadeau encombrant, et tous leurs efforts pour s’en débarrasser d’une manière ou d’une autre échoueront lamentablement.

Le charme du loser.

La dernière tentative pourrait être la bonne, et en fait elle va faire glisser le récit vers une absurdité tragique, implacable. Toutes ces folies paraissent vaine, à l’image de la séquence finale du film et de cette tête coupée du misérable paysan qui continue de rire jaune de son sort, de l’infâme, terrible et funeste inhumanité. Il ne sert à rien de se débattre ou de se défendre, parce qu’on est déjà coupable de vivre. Vivre se résume à asservir ou à être asservi, être vaincu ou vainqueur. Pas de place au libre arbitre. Toutes nos décisions, nos actions entraînent une vague de conséquences imprévisibles et coupées de ce pour quoi l’on a essayé de les provoquer. Vivre, c’est un peu comme tenter de garder le cap dans une tempête : on ne peut pas être sûr qu’un coup de gouvernail nous fasse tenir…

Il n’y a pas des bons et des méchants, il n’y a que des crétins, des misérables, quels que soit leur rang ou leur grade, qui n’ont aucune emprise sur la marche du monde, sur les événements et sur le sort. Leurs vaines tentatives pour trouver une issue seraient comme des vagues parmi mille autres perdues dans la tempête de la guerre. Une guerre est faite pour être pourrie, injuste, cruelle, et stérile. Il n’y a pas de traîtres, il n’y a pas de collaborateurs, il n’y a que des hommes qui se retrouvent le cul à l’air et entre deux chaises. On pourra toujours ériger des principes, prétendre rendre la justice. Il n’y a qu’une seule vérité pendant la guerre : celle du chaos. Il n’y a de justice que de celle du vainqueur. Traîtres, héros, collaborateurs, vainqueurs, vaincus, on est tous un peu tout ça en même temps et ce sont les circonstances qui font qu’on apparaît aux yeux des autres tantôt l’un, tantôt l’autre. Encore une fois, toutes nos tentatives pour essayer de garder un cap juste seront à la fois vaines, et susceptibles plus tard d’être interprétées contre nous. Le paysan obligé de tenir captifs ces ennemis se révèle tout autant qu’eux pieds et mains liés ; il a tout pouvoir sur eux, décider quoi en faire, en fin de compte, ce sont les circonstances qui décideront pour lui, tout comme elles décideront de faire de lui un héros ou un traître. Vraiment de quoi rire jaune. La guerre est un chaos absurde, surtout pour ceux qui n’ont aucun pouvoir d’agir, le film en est encore un excellent exemple.


Les Démons à ma porte, Jiang Wen 2000 Guizi lai le | Asian Union Film & Entertainment, Beijing Zhongbo-Times Film Planning, CMC Xiandai Trade Co


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L’Ange rouge, Yasuzô Masumura (1966)

Johnny got his gun in her hands

L’Ange rouge

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Akai tenshi / Red Angel

Année : 1966

Réalisation : Yasuzô Masumura

Avec : Ayako Wakao, Shinsuke Ashida, Yûsuke Kawazu, Ranko Akagi

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Le cinéma japonais des années 60 est décidément pas mal tourné vers sa sale guerre, assez semblable à notre 14-18 : la guerre sino-japonaise. (C’est le cadre du triptyque de Kobayashi, La Condition de l’homme.)

Comme d’habitude, on voit la volonté de montrer l’horreur de la guerre. En choisissant comme personnage principal une infirmière, on privilégie l’horreur de l’après, le carnage presque, pour y trouver assez étrangement une sorte de chirurgie du désir que certains ne trouveront pas à leur goût. On est très loin de ce que pourrait être un film patriotique. Une grande partie du film repose sur la nécessité de couper membres après membres, souvent sans anesthésie. Une boucherie.

L’autre côté du film, anesthésiant sans doute, est celui qu’on adopte en suivant le point de vue de l’infirmière. Le film ose parler d’un sujet tabou dans toutes les guerres, voire dans tous les hôpitaux. La sexualité des patients et… des infirmières. En l’occurrence de sa sexualité à elle, vu qu’il n’est pas question des autres infirmières. C’est assez troublant au début. On a du mal à comprendre où le récit veut en venir. Surtout, sans psychologie, sans volonté de la part de l’infirmière de se révolter après un premier viol collectif (qui est là suggéré alors que par la suite, on verra tout). Puis, on s’y fait. Pas la peine d’expliquer, de comprendre son comportement. Il est facile de concevoir que personne n’agisse normalement dans ces conditions de vie extrême.

Les soldats sur le front, sur leur lit d’hôpital, aussi, ont une sexualité. Même les soldats mutilés, incapables de se tripoter… Le mélange de pitié, d’horreur parfois et d’érotisme fait vraiment une sauce étrange. On pourrait être pas loin de la nécrophilie. Pourtant non, ces hommes sont bien vivants. Même le médecin désabusé, impuissant et shooté à la morphine. Et elle surtout. On ne sait rien de son passé. Pratique, pas de psychologie, rien. La guerre, c’est un monde fermé où rien n’entre et d’où personne ne s’échappe. C’est cru, mais sensuel. La chair dans tous ses états. L’infirmière a des désirs, comme les autres. Elle tombe même amoureuse… Une passion froide, clinique. On passe une envie sexuelle comme on ampute le dernier blessé : il faut que soit radical et sans sentiments. Ces sentiments tardent alors à venir. L’amour sous chloroforme, auquel on substitue la morphine. Il faut du temps pour se désintoxiquer, dans une chambre, petit nid d’amour alors que les bombes commencent à tomber. Si les soldats sont mutilés à vie, il reste un brin d’espoir pour ces deux-là, l’infirmière et son chirurgien-boucher, pour réapprendre à se toucher. L’espoir, on ne le voit pas longtemps, pour nous rappeler qu’il existe et qu’il n’appartient plus à ce monde. On rêve d’ailleurs et la guerre vous rattrape très vite. Quand ce n’est pas le sang ou le foutre qui gicle entre les doigts, les jambes qu’on ampute en remerciant de ne pas avoir perdu l’essentiel, reste le choléra pour bien vous dégoûter de la guerre.

On ne sait pas trop bien où le film veut en venir. Il peut n’être que démonstratif. Pas un film de guerre, pas un film d’amour. Il évoque juste une période noire de l’histoire. Une boucherie où le rôle des femmes, celui des femmes soldats, les infirmières, n’est pas forcément évident. L’image de l’infirmière, au cinéma, c’est souvent, le personnage implacable, l’ange impénétrable, résolu à secourir les pauvres soldats en train de crever. Bah l’infirmière, elle a aussi son histoire, et la vie des anges n’est pas rose.

Singulier et utile comme film. Ça me rappelle une infirmière qui s’était fait virer parce qu’elle avait confondu l’hôpital avec un bordel. Il doit se passer des choses étranges et indicibles dans un hôpital. L’idée de l’euthanasie est moins taboue que l’idée de la sexualité des mourants et des infirmières. Un hôpital, c’est un mouroir, c’est sérieux. On est là pour y crever. L’idée qu’on puisse s’y toucher, s’y tripoter, s’y aimer, n’est pas acceptable.

édit 2013 :

L’Ange rouge a été un de mes premiers Yasuzô Masumura et la vision du reste permet de revoir celui-ci sous un angle nouveau :

Masumura avait déjà adapté Yoriyoshi Arima en démarrant la franchise antimilitariste Yakuza Soldier avec l’acteur et producteur Shintarô Katsu (Hanzo the razor), et en l’achevant sept ans après. Je n’ai vu que ce dernier épisode, le seul sous-titré à ma connaissance, et on a encore affaire à une histoire d’amour impossible entre un soldat bourru et tête à claques — Katsu, forcément — et une espionne chinoise. L’antimilitarisme est là, comme le grotesque, les excès, l’insolence, les rebelles.

Quand on regarde sa filmographie et qu’on voit deux films comme A Wife Confesses (Une femme confesse) et Hanzo the razor, on pourrait se poser des questions… Et finalement, il y a bien un lien (une fois n’est pas coutume, je vais verser dans la politique des auteurs). On peut voir A Wife Confesses d’abord comme un film sur la résistance d’une pauvre petite bonne femme à qui on veut faire payer sa beauté, ou l’Ange rouge… comme un ange dévoué. Ce qui l’intéressait dans ces films, c’était ces personnages en marge, qui n’ont rien à faire des conventions et qui sont toujours seuls face aux autres. Ils n’ont qu’une envie : faire un doigt d’honneur à l’humanité tout entière. Ils ne veulent pas se justifier : ils vous regarderont juste avec un regard noir et iront faire des conneries pour se venger, tester leurs limites ou se prouver qu’ils existent. C’est un humour noir, glaçant, désabusé, qui est l’héritage de la fin des illusions dans une nation d’abord euphorique et expansionnisme après la sortie d’un isolationnisme forcé, après une Première Guerre mondiale gagnée aux côtés de ses futurs ennemis, après l’occupation de la Mandchourie, les horreurs du tout militaire, et finalement l’humiliation de la capitulation et de l’occupation américaine. C’est le temps des contestations (qu’on voit bien pareil également dans Le Faux Étudiant avec ce regard amer sur les petits groupes d’étudiants communistes). Il y a une certaine abdication face aux valeurs autrefois louées et vénérées (et même face aux nouvelles — comme le communisme —, on est plus dans le nihilisme). Il n’y a donc rien de beau dans « ce sacrifice de l’ange rouge » : les bons sentiments, Masumura les exècre. Alors, reste la sexualité… comme une drogue, comme de la morphine en réponse à la désolation et la perte des illusions. La seule drogue qui reste à des bêtes. Et si le médecin, en a lui, de la morphine (et si ça le rend moins animal, moins vulnérable à sa propre bestialité, à sa sexualité) les malades eux n’ont rien. Si l’infirmière « s’offre » à ses patients, ce n’est ni par « angélisme » ni par désir, c’est que tout le monde est bien malade, non pas des blessures et des amputations, mais bien d’un désenchantement généralisé : les malades comme l’infirmière.

À la même époque, il y a les films tout aussi désabusés d’Imamura. C’est même lui qui aurait un peu initié le mouvement de la nouvelle vague nippone en écrivant le scénario de Chronique du soleil à la fin d’Edo. Déjà une comédie noire et foutraque. Comme un symbole, le film se déroule, comme son nom l’indique, à la fin de la période d’isolement du Japon ; et le film semble être un doigt d’honneur aux films de Mizoguchi : assez du beau, assez de la tradition, place à la crudité nue, à la bestialité de l’homme, à sa folie destructrice. Ayako Wakao était déjà la rebelle en 1956 dans le dernier film du maître. En 1957, Imamura écrit donc Chronique du soleil et Ayako retrouve pour la première fois Masumura dans Ao-zora Musume. Si Masumura est parfois un peu baroque (et le sera de plus en plus, jusqu’au mauvais goût), Imamura était, dans ces 60’s, complètement rock’n’roll. Les deux sont dans la contestation, l’insolence et ont ce désir de montrer les bassesses des hommes et de la société. Le regard noir porté sur le monde, toujours. Les hommes sont des monstres grotesques…


L’Ange rouge, Yasuzô Masumura 1966 Akai tenshi | Daiei Studios

Camp 731, Tun Fen Mou (1988)

Camp 731

Men Behind the Sun Année : 1988

Réalisation :

Tun Fen Mou

5/10  IMDb

Film de guerre et d’horreur… pour dénoncer un crime reconnu depuis comme crime contre l’humanité mais finalement assez peu connu (reconnu tardivement, c’est loin…). En matière d’atrocités et de nombre de morts, on bat pourtant des records. En tout, c’est près d’un millier de morts quand on compte les victimes des camps ou ceux de la peste qui a suivi les expérimentations.

Le film est hongkongais, il n’est pas inutile de le préciser.

On y voit donc toutes sortes d’expériences menées par les médecins de l’un de ces camps en vue de créer de nouvelles armes bactériologiques, établir des données sur la résistance humaine. La fin fait encore plus tourner de l’œil : pour ne pas être poursuivi pour crime contre l’humanité, le responsable de ces camps passe un deal avec les Américains. Ils le laissent tranquille et il leur remet l’ensemble des données des travaux. Tout un “savoir” dont les USA se serviront pendant la guerre de Corée…

Bon appétit.


Men Behind the Sun, Camp 731, Tun Fen Mou 1988 | Sil-Metropole Organisation


La Bataille d’Alger, Gillo Pontecorvo (1966)

L’histoire écrite par les borgnes, pour les sourds et les courtisans

La Bataille d’Alger

La battaglia di Algeri

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : La battaglia di Algeri

Année : 1966

Réalisation : Gillo Pontecorvo

Avec : Brahim Hadjadj, Jean Martin, Yacef Saadi

Le film est présenté, surtout dans le monde anglo-saxon, comme un chef-d’œuvre. Un classique, primé à Venise…, et pourtant, c’est la première fois que j’en entends parler. Y aurait-il en problème en France ? On se demande parfois pourquoi les auteurs ne s’intéressent pas à l’histoire récente de leur pays. La réponse est simple. Dès qu’on produit un film, qu’il soit réussi ou non, fidèle ou non à l’histoire (la fiction a tous les droits, comme être médiocre ou non fidèle à « l’histoire »), ça fait polémique autour de questions non artistiques comme une bande de mégères provinciales commentant le dernier scandale en ville, ou on empêche sa distribution (Les Sentiers de la gloire interdit pendant longtemps, celui-ci qui mettra cinq ans à sortir en France, aucune diffusion TV…). La centralisation (ou le parisianisme) a du bon, ça permet de faciliter la censure, et pas forcément la censure étatique. La bonne conscience ou le précieux réseau s’en charge. Difficile ici de regarder en face sa propre histoire, et si en plus elle nous est présentée par un Transalpin, il n’est pas question qu’on puisse y trouver un intérêt.

Qu’est-ce qu’on reproche au juste à ce film ? De montrer l’utilisation de la torture par les forces françaises ? L’idée parfaitement hypocrite que l’Algérie à l’époque n’était pas une colonie mais un territoire français, au lieu d’une terre occupée depuis plusieurs dizaines d’années, avec une forme d’apartheid ? C’est tellement subversif que ça ? On va imaginer que c’est un film de propagande alors que le réalisateur, malgré pourtant la présence d’un des acteurs majeurs des « événements » dans le film, à la fois producteur et l’un des deux personnages principaux parvient à montrer les horreurs des deux côtés ? D’un côté l’utilisation de la violence la plus brutale par les agents du FLN avec la mise en scène d’attentats gratuits, et de l’autre l’utilisation de la torture. D’ailleurs cette torture, on finit par l’accepter. Au lieu de faire passer le personnage du Général Massu comme une bête sanguinaire, il nous apparaît sensé, essayant de faire avec ce que lui donne la métropole et justifiant la torture par la seule réponse possible aux attentats du FLN. C’est la brutalité de la guerre montrée comme une véritable absurdité. Il n’y a pas un des camps qui a raison plus qu’un autre. Impossible de penser après ça que les accords de Genève sont autre chose que des vœux pieux, une sorte de journal pour Bisounours. La guerre, c’est sale. On ne se bat pas entre gentlemen. Le film montre également l’absurdité des positions en métropole, notamment des journaux, et l’impuissance de l’ONU (ah, on peut se montrer agacé des veto russes, us, notamment en rapport à Israël, la France a tout autant bénéficié de sa position pour agir comme elle l’entendait).

Le film est un bon moyen de se faire une idée de la situation à l’époque (autant que puisse le faire une fiction). Son traitement du conflit semble honnête car impartial. Mieux, comme la plupart des films de guerre, il est antimilitariste, ou en tout cas nous pousse à l’être encore plus non seulement en nous montrant l’horreur de la guerre, mais aussi son absurdité et parfois son inéluctabilité. Qu’est-ce qui est prioritaire pour un gouvernement ? Protéger ses intérêts ou être fidèle à des principes de liberté ? Les intérêts d’une population, c’est souvent un problème concret, alors que les libertés…, c’est un concept assez aléatoire qu’on peut fléchir en fonction des situations, exactement comme un ministre accusé de conflit d’intérêts et qui se justifie en disant qu’il n’a rien à se reprocher… Les principes de moralité sont souvent revus en fonction de ce qui se passe dans la vraie vie. Et il est toujours facile de donner des leçons après coup ou placé en dehors du sujet. Le film n’épargne donc ni le FLN (et encore une fois malgré le fait qu’un des acteurs principaux du conflit joue son propre rôle et est producteur du film) ni les « para » ; tout comme il n’en fait pas des monstres. À la guerre : il n’y a ni bons ni méchants. C’est la seule morale qu’on devrait tirer d’un tel film. Le film est indispensable, peut-être pas un chef-d’œuvre (quoique, on pourrait parler de son côté un peu trop documentaire, mais que faire d’autre ?), mais un film qui ne mérite pas toute cette indifférence dont il fait l’objet dans notre pays. Il serait temps qu’on sorte de notre provincialisme et qu’on s’émancipe des pouvoirs du microcosme parisien. La décentralisation, ce n’est pas pour tout de suite… Si on veut pourtant pouvoir parler de la famille sans crainte de représailles, il faut arriver à prendre ses distances et ne pas craindre de ce qu’on pourrait dire ou penser. Non seulement tout se passe à Paris, mais on n’ose plus rien, on est à l’ère du politiquement correct. On ne peut pas dire une bêtise sans être traité de raciste, d’homophobe, de réactionnaire, de gauchiste ou comme dans le film de nazi. Montrer du doigt les agissements des autres en les montrant à la loupe est devenu un moyen facile pour se détourner de sa propre médiocrité. Ah, ça a servi à quelque chose mai 68 ! On est encore plus intolérants sur nos médiocrités et nos bêtises, et dix fois plus coincé du cul de peur de dire des bêtises qui pourraient nous faire passer pour des salopards (ce collabo ou ce fasciste que chacun cherche depuis un demi-siècle dans le comportement du voisin). Il faut revendiquer le droit à être con et de ne pas prendre perpette pour ça. Un film qui pointe du doigt les agissements de l’armée française a une position parcellaire de l’histoire ? Et alors ? C’est une fiction ! Est-ce que l’armée US crie au scandale en précisant après avoir vu Apaclypse Now qu’aucun officier n’a jamais fait de surf sur le Mékong ou balancé du Wagner à fond lors d’un assaut ?…

La fiction a tous les droits, même d’être infidèle, même d’être médiocre. Je dirai même « surtout ». Et tant qu’on n’aura pas redonné à ce film la place qu’il mérite, on aura toujours un problème pour revisiter notre histoire dans la fiction. On peut s’amuser des différentes versions de la bataille de Waterloo à travers les récits de Hugo ou de Tolstoï…, aujourd’hui il serait impossible de le faire sur des événements de notre histoire récente. Un comble. Notre conception du récit et de la fiction se limite à la comédie mièvre ou à la chambre à coucher. On peut donner des leçons au monde, ça fait longtemps qu’on n’est plus dans le jeu.


La Bataille d’Alger, Gillo Pontecorvo 1966 La battaglia di Algeri | Igor Film, Casbah Film


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Les Indispensables du cinéma 1966

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Men in War (Côte 465), Anthony Mann (1957)

Carrousel pour le mort

Côte 465

Note : 4.5 sur 5.

Titre original : Men in War

Année : 1957

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Robert Ryan, Aldo Ray, Robert Keith

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Excellent film de guerre antimilitariste.

Unité d’action : durant la guerre de Corée, un détachement de quelques soldats menés par un lieutenant interprété par Robert Ryan et cherchant à rejoindre leur division, se retrouve bloqué devant une colline tenue par l’ennemi. Ils essayeront de la contourner en vain : un à un les soldats de cette unité vont disparaître comme dans les meilleurs films d’élimination (du type Dix Petits Nègres, Alien…).

Unité de temps : l’action se déroule sur à peine une journée et montre toute l’absurdité de la guerre, le désespoir des soldats, leurs craintes, leurs folies… Tout tend à montrer dans ce jeu d’élimination où l’ennemi est invisible, que la guerre est absurde. Tant de morts en si peu de temps, pourquoi ? Rien. Tenir une position, retrouver les siens qui ne sont qu’à quelques mètres…

Men in War (Côte 465), Anthony Mann 1957 | Security Pictures

Unité de lieu : énorme paradoxe. Ils cherchent à rejoindre leur unité, à contourner cette colline, à éviter le feu de l’ennemi, donc ils avancent, mais au fond ils sont comme dans un carrousel : ils ont beau avancer, marcher, ils n’avancent pas d’un iota, puisqu’ils continuent de se faire canarder, un à un.

Une structure modèle donc pour cette histoire. Après, il reste le ton du film. On est très loin de la propagande de certains films où le soldat est la figure moderne du héros : courageux, inventif, intelligent, investi pour sa patrie. Là, les simples soldats sont apeurés et bientôt fous. Le général et son « fiston » sont des personnages de théâtre, semblant sortir des no man’s land de Beckett : le génie de ces personnages qui arrivent dans un second temps, un peu comme Pozzo et Lucky dans En attendant Godot, c’est qu’ils ont un vécu fort, ils portent en eux, dans leur comportement, les blessures et les traumatismes du passé. Pourtant, on ne saura rien des raisons de ces traumatismes. Ce qu’on imagine en voyant ça — toujours le pire — c’est qu’ils réchappent du cauchemar que vont maintenant vivre ceux qu’on suit depuis vingt minutes. — Ça rappelle un peu dans le principe, l’imaginaire de Cube : « Tu crois que tu es dans la merde parce que tu es bloqué ? Non, tu n’as encore rien vu ! ». Ils sont comme des personnages revenant de l’enfer, aidant ceux qui plongent : ils en sont sortis, ils y retournent, mais s’ils en réchappent, c’est aussi parce que le « fiston » se méfie de tout et flingue tout ce qui bouge. La morale est claire : ceux qui réchappent à cet enfer ne peuvent être que des salauds ou des fous. La réussite, c’est de ne pas faire de ce « fiston » un cinglé total ou un salaud conscient de ses actes : il passe pour un rusé, un roublard qui se méfie de tout et de tout le monde. Et bien sûr les roublards, le public adore ça.

C’est un théâtre d’ombres et de carcasses fumantes, d’antihéros, ou des héros désabusés, indisciplinés, las. Personne n’obéit aux ordres. Parce que seule la mort gouverne sur ce seuil. Tout le monde se plaint. Mais le lieutenant s’en fout. Il a le sens des responsabilités et aime ses hommes, mais il ne se fait guère d’illusions sur l’issue de leur voyage. En enfer, chacun roule pour sa pomme.

Un plaidoyer efficace, mais désespéré, contre la guerre et son absurdité.

Je ne suis pas fan des westerns d’Anthony Mann. Je préfère de loin ce Côte 465 un peu en marge.



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Les Indispensables du cinéma 1957

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Les antifilms

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Démineurs, Kathryn Bigelow (2009)

Pétard mouillé

Démineurs

Note : 3 sur 5.

Titre original : The Hurt Locker

Année : 2009

Réalisation : Kathryn Bigelow

Avec : Jeremy Renner, Anthony Mackie, Brian Geraghty

Je ne suis pas mécontent de voir si peu de films contemporains. C’est ça la grande qualité du cinéma américain ? Ça et… Avatar ? Ce n’est pas forcément un mauvais film… Je ne vais pas dire non plus que c’est un film mineur, mais la guerre, blabla…, rien à foutre de la guerre, montrée comme ça… Un film de guerre, c’est un film contre la guerre, c’est une vilaine satire contre les cons donc contre nous-mêmes, et tout autre chose ne saurait être que considéré que comme mineur, ou minable. Ce n’est pas de la politique, c’est une histoire de goût. Je constate. Viendra peut-être un jour où j’envisagerais d’un bon œil les nouveaux conflits créateurs de grands films ; pour l’instant, sans ce regard sur la guerre, je doute de pouvoir regarder un de ces films sereinement.

Les faux films à thèse pour éviter justement le prétexte d’un banal film d’action dans un contexte explosif, ça va cinq minutes. Ouh là là, la guerre, c’est une drogue, les soldats sont des camés… Merci, on le savait déjà en voyant Voyage au bout de l’enfer avec Christopher Walken accro aux jeux de hasard et qui ne pouvait se contenter de la Française des jeux… Si le Cimino est un chef-d’œuvre, c’est qu’il y a un contrepoint à cette folie : avec le personnage de De Niro (voire la présence féminine de celui de Meryl Streep). Là, on a qu’un point de vue, celui du mec camé à l’adrénaline (les Cahiers du cinéma pourront dire que c’est un thème cher à la réalisatrice…). C’est du cinéma endoscopique, pour des sujets ça peut en effet procurer un certain intérêt, quand ça ne fait qu’ajouter à la grossièreté du sujet, ça devient vulgaire. Ça me laisse perplexe. Je n’arrive pas à m’identifier à un mec comme ça. Et je n’arrive pas à m’intéresser pour de tels sujets qui me semblent sévèrement torchés pour des anus nourris à la testostérone. La guerre comme fantasme, l’odeur du sang, du risque, non merci.

Démineurs, Kathryn Bigelow 2009 | Voltage Pictures, Grosvenor Park Media, Film Capital Europe Funds (FCEF )

Je le répète, le film est loin d’être mauvais. Les soldats sont accros à la guerre, OK (ça ne doit pas être la majorité des cas en plus, la plupart doivent subir ce qui leur arrive). Mais un film qui a tout l’air d’être à thèse pour dire une telle banalité, ça ne va pas bien loin. Le premier sourcil se lève par politesse tandis que l’autre n’en a déjà plus rien à faire. On pourrait trouver dans le film un pur plaisir de spectateur. C’est moins con que le film de son ex-mari, mais Avatar était ouvertement un pur divertissement. Démineur se veut hybride, et au final on ne sait pas ce que c’est. J’avais déjà l’arrière-train qui était resté coi devant Jarhead, je n’ai vraiment pas le béguin pour ces films. Si la Bigalow voulait dire que certains soldats prenaient du plaisir à la guerre, il fallait y aller à fond et ne pas être timide sur la connerie des personnages. C’est juste mou du genou et ça sue l’ennui. Loin des connards de militaires qu’on peut voir dans Apocalypse Now (le personnage de Duval) ou dans Full Metal Jacket… Ça, c’est du cinéma. De là, à penser que la Bigelow est elle-même accro à ce qu’elle dénonce…, bah, je n’en suis pas loin. Ce film, c’est quoi pour elle ? Elle veut se prouver que l’adrénaline, c’est une drogue, et elle nous fait son petit témoignage de camé aux bouffeurs de sensations fortes anonymes ? Je ne capte pas. Et on ne peut même pas se raccrocher au(x) personnage(s) : les relations et leur développement sont quasi nuls. Tout repose sur les scènes de déminage ou de missions — une fois le type tente de rechercher les terroristes qui avaient utilisé son pote comme bombe humaine, mais ça ne va pas plus loin. D’ailleurs, c’est peut-être ça qui sauvera pour moi le film dans quelques années : en faire un film à la loupe sur une profession, à la Bresson, sans psychologie, sans sentiments, à la Pickpocket en somme. Il faudra le revoir dans dix ans, si le film se bonifie, parce que là, ce n’est pas loin d’être un pétard mouillé (pas étonnant parce que chez moi, l’adrénaline, la drogue, ça n’évoque pas grand-chose).

Peut-être que chaque spectateur a un sexe, et que celui-ci ne correspond pas toujours à ses parties génitales. Et alors je dois être un peu gouine sur les flancs parce qu’un film sans jupe, sans bout de téton qui dépasse, sans jambes, sans reins, sans chevelure, sans le sourire d’une femme ou sans son petit regard perdu ou en coin, je digère mal. Tout film est un petit moment de séduction où on n’a rien à faire d’autre qu’ouvrir la boîte à fantasmes et se laisser faire. Tu veux, tu veux pas, c’est l’autre qui fait le travail et qui prend tous les risques. On joue à se laisser séduire. Ça n’engage à rien, on sait que l’expérience une fois finie, on repassera de l’autre côté. Et quand vient alors l’heure des constats ou des explications, va expliquer ce qui te touche au plus profond…



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Alfred the Great, Clive Donner (1969)

Alfred the GreatAnnée : 1969

 

Réalisation :

Clive Donner

7/10  lien imdb
MyMovies: A-C+

Vu en janvier 2008

L’autre “Grand”

Film méconnu (quand je ne connais pas, ça l’est forcément), et pourtant c’est hachement bien !

Très épique, à la limite du pompeux, comme chez David Lean, mais juste comme il faut. Le genre de productions qu’on ne sait plus faire aujourd’hui (cf. le Kings of Heaven où on se fait diablement suer).

L’histoire du Roi Alfred, le premier souverain de l’union anglaise. Je connais plus l’époque des deux roses (et encore…), Shakespeare oblige… Passionnant.

 


Le vent se lève, Ken Loach (2006)

The Wind That Shakes the BarleyThe Wind That Shakes the BarleyAnnée : 2006

Note : 5

IMDb iCM
Vu le : 21 octobre 2007

 

Réalisation :

 

Ken Loach

Avec :

Cillian Murphy
Padraic Delaney
Liam Cunningham

Je ne suis pas fan des derniers films de Ken Loach… J’ai tellement aimé les premiers, comme Poor Cow, Kes ou Family Life, que j’ai du mal avec ces films d’époque ou trop ouvertement politiques. Pour moi, Loach, c’est le cinéma de la laboritude. J’ai exactement la même impression que pour Land and Freedom. Le même film ou presque, seuls l’époque et le lieu changent. Loach est un cinéaste descriptif et de la distanciation. On était ému dans ses films naturalistes parce qu’il n’en rajoutait pas dans le mélo, il évitait l’explicatif et le ton sur ton. Or là pour des grandes fresques politiques, ça manque au contraire d’ampleur, et c’est normal, Ken Loach n’est pas David Lean. Avec des histoires comme celle-ci, quand on développe plusieurs aspects d’un personnage dont l’histoire d’amour au milieu de la guerre civile, on est obligé d’en faire plus que nécessaire. Résultat des courses, c’est un peu trop carré, trop froid, on ne s’identifie pas assez aux personnages (l’acteur d’ailleurs est antipathique). Loach reste dans son style mais avec des scénarios comme ça, ça ne marche pas tout à fait.

Je préférerais qu’il revienne à plus de simplicité, plus près du quotidien, plus près des hommes (et des femmes en particulier). Reviens Kenny, tu as les mêmes à la maison.