La Bataille d’Alger, Gillo Pontecorvo (1966)

L’histoire écrite par les borgnes, pour les sourds et les courtisans

La Bataille d’Alger

La battaglia di Algeri

Note : 3.5 sur 5.

Titre original : La battaglia di Algeri

Année : 1966

Réalisation : Gillo Pontecorvo

Avec : Brahim Hadjadj, Jean Martin, Yacef Saadi

Le film est présenté, surtout dans le monde anglo-saxon, comme un chef-d’œuvre. Un classique, primé à Venise…, et pourtant, c’est la première fois que j’en entends parler. Y aurait-il en problème en France ? On se demande parfois pourquoi les auteurs ne s’intéressent pas à l’histoire récente de leur pays. La réponse est simple. Dès qu’on produit un film, qu’il soit réussi ou non, fidèle ou non à l’histoire (la fiction a tous les droits, comme être médiocre ou non fidèle à « l’histoire »), ça fait polémique autour de questions non artistiques comme une bande de mégères provinciales commentant le dernier scandale en ville, ou on empêche sa distribution (Les Sentiers de la gloire interdit pendant longtemps, celui-ci qui mettra cinq ans à sortir en France, aucune diffusion TV…). La centralisation (ou le parisianisme) a du bon, ça permet de faciliter la censure, et pas forcément la censure étatique. La bonne conscience ou le précieux réseau s’en charge. Difficile ici de regarder en face sa propre histoire, et si en plus elle nous est présentée par un Transalpin, il n’est pas question qu’on puisse y trouver un intérêt.

Qu’est-ce qu’on reproche au juste à ce film ? De montrer l’utilisation de la torture par les forces françaises ? L’idée parfaitement hypocrite que l’Algérie à l’époque n’était pas une colonie mais un territoire français, au lieu d’une terre occupée depuis plusieurs dizaines d’années, avec une forme d’apartheid ? C’est tellement subversif que ça ? On va imaginer que c’est un film de propagande alors que le réalisateur, malgré pourtant la présence d’un des acteurs majeurs des « événements » dans le film, à la fois producteur et l’un des deux personnages principaux parvient à montrer les horreurs des deux côtés ? D’un côté l’utilisation de la violence la plus brutale par les agents du FLN avec la mise en scène d’attentats gratuits, et de l’autre l’utilisation de la torture. D’ailleurs cette torture, on finit par l’accepter. Au lieu de faire passer le personnage du Général Massu comme une bête sanguinaire, il nous apparaît sensé, essayant de faire avec ce que lui donne la métropole et justifiant la torture par la seule réponse possible aux attentats du FLN. C’est la brutalité de la guerre montrée comme une véritable absurdité. Il n’y a pas un des camps qui a raison plus qu’un autre. Impossible de penser après ça que les accords de Genève sont autre chose que des vœux pieux, une sorte de journal pour Bisounours. La guerre, c’est sale. On ne se bat pas entre gentlemen. Le film montre également l’absurdité des positions en métropole, notamment des journaux, et l’impuissance de l’ONU (ah, on peut se montrer agacé des veto russes, us, notamment en rapport à Israël, la France a tout autant bénéficié de sa position pour agir comme elle l’entendait).

Le film est un bon moyen de se faire une idée de la situation à l’époque (autant que puisse le faire une fiction). Son traitement du conflit semble honnête car impartial. Mieux, comme la plupart des films de guerre, il est antimilitariste, ou en tout cas nous pousse à l’être encore plus non seulement en nous montrant l’horreur de la guerre, mais aussi son absurdité et parfois son inéluctabilité. Qu’est-ce qui est prioritaire pour un gouvernement ? Protéger ses intérêts ou être fidèle à des principes de liberté ? Les intérêts d’une population, c’est souvent un problème concret, alors que les libertés…, c’est un concept assez aléatoire qu’on peut fléchir en fonction des situations, exactement comme un ministre accusé de conflit d’intérêts et qui se justifie en disant qu’il n’a rien à se reprocher… Les principes de moralité sont souvent revus en fonction de ce qui se passe dans la vraie vie. Et il est toujours facile de donner des leçons après coup ou placé en dehors du sujet. Le film n’épargne donc ni le FLN (et encore une fois malgré le fait qu’un des acteurs principaux du conflit joue son propre rôle et est producteur du film) ni les « para » ; tout comme il n’en fait pas des monstres. À la guerre : il n’y a ni bons ni méchants. C’est la seule morale qu’on devrait tirer d’un tel film. Le film est indispensable, peut-être pas un chef-d’œuvre (quoique, on pourrait parler de son côté un peu trop documentaire, mais que faire d’autre ?), mais un film qui ne mérite pas toute cette indifférence dont il fait l’objet dans notre pays. Il serait temps qu’on sorte de notre provincialisme et qu’on s’émancipe des pouvoirs du microcosme parisien. La décentralisation, ce n’est pas pour tout de suite… Si on veut pourtant pouvoir parler de la famille sans crainte de représailles, il faut arriver à prendre ses distances et ne pas craindre de ce qu’on pourrait dire ou penser. Non seulement tout se passe à Paris, mais on n’ose plus rien, on est à l’ère du politiquement correct. On ne peut pas dire une bêtise sans être traité de raciste, d’homophobe, de réactionnaire, de gauchiste ou comme dans le film de nazi. Montrer du doigt les agissements des autres en les montrant à la loupe est devenu un moyen facile pour se détourner de sa propre médiocrité. Ah, ça a servi à quelque chose mai 68 ! On est encore plus intolérants sur nos médiocrités et nos bêtises, et dix fois plus coincé du cul de peur de dire des bêtises qui pourraient nous faire passer pour des salopards (ce collabo ou ce fasciste que chacun cherche depuis un demi-siècle dans le comportement du voisin). Il faut revendiquer le droit à être con et de ne pas prendre perpette pour ça. Un film qui pointe du doigt les agissements de l’armée française a une position parcellaire de l’histoire ? Et alors ? C’est une fiction ! Est-ce que l’armée US crie au scandale en précisant après avoir vu Apaclypse Now qu’aucun officier n’a jamais fait de surf sur le Mékong ou balancé du Wagner à fond lors d’un assaut ?…

La fiction a tous les droits, même d’être infidèle, même d’être médiocre. Je dirai même « surtout ». Et tant qu’on n’aura pas redonné à ce film la place qu’il mérite, on aura toujours un problème pour revisiter notre histoire dans la fiction. On peut s’amuser des différentes versions de la bataille de Waterloo à travers les récits de Hugo ou de Tolstoï…, aujourd’hui il serait impossible de le faire sur des événements de notre histoire récente. Un comble. Notre conception du récit et de la fiction se limite à la comédie mièvre ou à la chambre à coucher. On peut donner des leçons au monde, ça fait longtemps qu’on n’est plus dans le jeu.


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