Get Out, Jordan Peele (2017)

Just the Tube of Us

Note : 4 sur 5.

Get Out

Année : 2017

Réalisation : Jordan Peele

Avec : Daniel Kaluuya, Allison Williams , Catherine Keener

Il faut savoir se satisfaire d’un bon film d’horreur quand il est bon. Us avait été un tel supplice…

Le déclenchement des hostilités vient peut-être un peu tard (elles ne venaient pas bêtement bien trop tôt au contraire dans Us ?), si bien qu’elles sont vite expédiées, mais ce qui précède, et c’est sans doute aussi une raison de la réussite du film, plus à ranger du côté du thriller psychologique que de l’horreur, est plutôt terrifiant. Ce que cache la belle famille, les motivations ainsi que les outils pour arriver à leurs fins, font peut-être tomber le film, le temps des révélations venues, dans la série Bée, mais hé, c’est un film d’horreur, hein. Aucune histoire de Stephen King, quelle qu’elle soit, une fois révélée, ne tient la route, alors pour un premier film, on ne fera pas trop le difficile…

Ce qui marche d’ailleurs, on le doit peut-être aussi aux moyens limités du film qui, c’est un classique dans la réussite des films de genre, l’oblige à ne pas en faire trop. Ce que le spectateur imagine est toujours pour lui beaucoup plus terrifiant que ce qu’il voit à l’écran… Les hostilités sanguines auraient commencé plus tôt, et le film aurait été moins à mon goût… Comme Us, donc.

Il faut prendre le film comme il est : un excellent premier film, et un rare film d’horreur, tendance thriller psychologique, qui tienne la route.

Par ailleurs, la mise en scène de Jordan Peele est tout à fait efficace : les mouvements de caméra, notamment lors de la scène de la télévision (c’est pour beaucoup une question de rythme, et ici en particulier, de lenteur), la direction d’acteurs (jouer des zombies, ce n’est pas évident, il faut aussi souvent savoir trouver des acteurs capables, par leur personnalité, leur allure, d’incarner un film tout entier, et Daniel Kaluuya a tout de la victime idéale, impuissante, naïve et terrifiée, tout en disposant d’un certain niveau d’intelligence et du charme pour nous inciter non pas à le prendre un peu trop facilement en pitié, mais à nous mettre à sa place et craindre pour sa vie), tout ça démontre que le garçon sait y faire et saura probablement par la suite nous proposer autre chose de bien meilleure qualité que ce qu’il a montré avec son film suivant. Le germe d’un nouveau M. Night Shyamalan peut-être, avec l’espoir de mon côté qu’il saura proposer autre chose de bien plus efficace à mes goûts que le réalisateur de Sixième Sens.


Get Out, Jordan Peele 2017 | Universal Pictures, Blumhouse Productions, QC Entertainment


 

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Duel sans merci / The Duel at Silver Creek, Don Siegel (1952)

Duel sans merci

Note : 3 sur 5.

Duel sans merci

Titre original : The Duel at Silver Creek

Année : 1952

Réalisation : Don Siegel

Avec : Audie Murphy, Faith Domergue, Stephen McNally, Susan Cabot

Malgré quelques trouées dans le scénario, l’histoire tient la route. Pourtant Siegel, s’il est déjà bon au découpage et à la direction d’acteurs pour ce quatrième film, peine à mettre du relief et du cœur dans l’affaire. On est trois ans après l’excellent Ça commence à Vera Cruz, et je ne m’explique pas cette si longue absence à la mise en scène.

Quoi qu’il en soit, on se rend compte ici une nouvelle fois qu’une tête d’affiche, ça peut parfois faire la différence. Siegel a beau être un très bon directeur d’acteurs, tout le monde n’est pas Robert Mitchum, et rares sont les bons acteurs capables de jouer sur différents tableaux et tonalités dans un film. Le charme, l’ironie, l’aisance tranquille, ça ne s’invente parfois pas. Alors si tous les seconds rôles sont comme d’habitude, on pourrait presque dire parfaits, le rôle principal, ainsi que son principal opposant, jouent leur rôle au pied de la lettre, avec le sérieux et la rigueur de deux courtiers en assurances, et ne sont clairement pas à la hauteur pour faire passer cette production à un niveau supérieur. Stephen McNally est un très bon acteur, il a l’autorité qu’il faut pour le rôle, mais aucune fantaisie, aucune prise de risque pour s’écarter a minima des lignes de dialogues ou de la situation, et par conséquent aucun charme, aucune nuance notable dans son jeu.

Le scénario offrait pourtant des pistes à Siegel pour faire de ce shérif un personnage intéressant, et si l’un ou l’autre, réalisateur ou acteur, avaient pris un peu plus le temps d’offrir ces nuances, ou si Siegel avait hérité d’un acteur capable de jouer sur les failles du personnage proposées dans le scénario, ç’aurait vraiment pu donner quelque chose d’intéressant.

On est à la limite du western noir, du moins, c’est ainsi que c’est écrit puisqu’on y retrouve pas mal d’éléments propres aux films policiers de l’époque, à savoir la voix off du détective (ce qu’est un shérif) et une figure américaine d’antihéros (sur beaucoup de plans, le shérif est crédule, voire aveugle, un effet renforcé par le fait qu’on connaît tout de suite qui sont les coupables recherchés, et que pendant tout le film, il se fait rouler par eux sans le voir, en particulier par la femme fatale et son soi-disant frère, chef de la bande).

Ce qui brouille peut-être les pistes, ce sont les deux rôles beaucoup plus affiliés aux stéréotypes du western : le jeune à la gâchette facile cherchant à se venger des brutes qui ont tué son père et la jeune fille à papa amoureuse du vieux héros et habile, elle aussi, de la gâchette (un modèle de la femme républicaine : une main sur le fusil, une autre sur le rouleau à pâtisserie). L’opposition était pourtant intéressante entre le jeune blanc-bec qui se révèle vite à la fois plus intelligent (ou lucide) que son patron et plus habile (le shérif a été blessé à l’épaule et cherche à cacher qu’il ne peut correctement tirer : c’est cette faille qui est mal exploitée par Siegel), et peut-être que Siegel n’a pas compris cet aspect du scénario et a préféré jouer sur le charisme mou de son acteur principal, allez savoir. On le verra souvent diriger par la suite de grandes carcasses à contre-emploi, et c’était sans doute ce qu’il fallait ici. Même John Wayne, avec sa nonchalance légendaire, aurait suffi pour en imposer dans ce personnage et jouer en quelques notes immédiates et compréhensibles la faille qui était celle de ce shérif. Même si, à y réfléchir de plus près, on imagine mal John Wayne accepter de jouer un personnage aussi naïf et trimbalé autant par ses ennemis… Alors, mettons… Gary Cooper, plus adéquate, certes, plus antihéros, le Gary Cooper du Train sifflera trois fois, tourné la même année, et qui est un western qui prend beaucoup plus son temps que celui-ci (c’est le moins qu’on puisse dire, preuve s’il en est, que le rythme, la concision, ce n’est pas toujours ce qu’il y a de mieux, même dans un western — ce qui deviendra une évidence avec les westerns spaghettis).


Duel sans merci, The Duel at Silver Creek, Don Siegel 1952 | Universal international 

Sur La Saveur des goûts amers :

Les 365 westerns avoir avant de tomber de sa selle

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Le Piège d’amour, William Wyler (1929)

The Love Trap

The Love Trap
Année : 1929

Réalisation :

William Wyler

Avec :

Laura La Plante
Neil Hamilton
Robert Ellis

8/10 IMDb iCM

Listes sur IMDb :

L’obscurité de Lim

MyMovies: A-C+

Lim’s favorite comedies

Un de ces films composites de la période de transition vers le parlant. L’occasion de virer étrangement vers une screwball comedy dès les premières séquences parlées (la petite virée en taxi à la campagne, muette, avait déjà c’est vrai, un peu la saveur d’un New York – Miami), le tout devenant savoureusement bavard.

La longue séquence dans laquelle Laura La Plante prend à son propre piège son beau-père qui tentait de se débarrasser d’elle préfigure nombre de situations du parlant où c’est la femme qui se joue des hommes : au lieu d’entrer dans son jeu, elle renverse le piège avec malice en tentant de le mettre dans son lit, ou du moins de le laisser croire mais si le beau-père à cet instant ne comprend pas le piège dans lequel sa bru tente à son tour de lui tendre, la connivence avec le public est totale. On sait que quand son mari arrivera en les surprenant tous deux, cela obligera le beau-père à se tirer, lui, de cette impasse en abandonnant son propre chantage, ou du moins le rendant inopérant…

La comédie américaine comme meilleur moyen d’émancipation de la femme. C’est qu’il en faut de la jugeote pour se moquer ainsi d’un homme si respectable (par son statut, pas par ses agissements).

On oublie que William Wyler a aussi tâté de la comédie sentimentale, et avec brillance. Ces objets hybrides à moitié sonorisés ne sont pas les meilleurs témoins d’une telle évidence.


Le Piège d’amour, William Wyler (1929) The Love Trap | Universal Pictures


La Marchande de rêves, Tod Browning (1923)

La Marchande de rêves

DriftingDriftingAnnée : 1923

6/10 IMDb

Réalisation :

Tod Browning

Avec :

Priscilla Dean, Matt Moore, Wallace Beery, Anna May Wong

À croire que Priscilla Dean n’est jamais aussi bonne que quand un mioche vient se pendre à son cou pour la faire flancher.

Seul intérêt du film, l’originalité du finale : un merveilleux montage alterné avec une ribambelle d’actions simultanées et dramatiques (duel au couteau, maison en feu…). On frôle malheureusement le ridicule quand on quitte Wallace Berry et son pote entamer une lutte au couteau et qu’on les retrouve quelque chose comme dix minutes après et cinquante péripéties alternatives… dans une position identique.

Ah, l’art de l’ellipse… Peut-être que la meilleure ellipse, c’est celle qu’on renonce à faire, ou qui suit une cohérence, ou une apparence du moins, temporelle. Or dans le principe du montage alterné, on suit une continuité temporelle, autrement dit : pendant qu’on est ailleurs, et qu’on laisse des péripéties en cours, eh ben ces dernières suivent la même fuite du temps. Comme c’est étrange. Et logique, mais pas pour tout le monde. (Ça devrait pourtant plus l’être en 1923.)


 

La Marchande de rêves, Tod Browning 1923 Drifting | Universal Pictures


Police sur la ville, Don Siegel (1968)

Police sur la ville

Madigan

Année : 1968

Réalisation :

Don Siegel

8/10 IMDb

Policier plutôt hybride entre deux époques, donc aux accents un peu vieillots, mais la thématique de l’honnêteté est au cœur du film et parfaitement gérée. Le vieux commissaire droit et inflexible, sans enfant (la famille corrompt, parce qu’on le devient toujours quand on protège quelqu’un, c’est bien vu), devant gérer les déboires de son seul pote ; et en face de lui le flic roublard mais pas trop (tout le film consiste à rattraper une de ses bourdes) devant gérer une vie de couple presque de jeune marié en cherchant à rester honnête et fidèle à sa femme.

Rien n’est simple, et plus que l’intrigue, ce sont ces interrogations sur la probité qui passionnent. Faut voir la bagnole du Richard Widmark aller tout droit et ignorer une intersection « one way » après que Henry Fonda, interrogé sur la marche à suivre, dit : « There’s only one way… ». La rencontre fortuite entre les deux hommes est magnifique : Widmark, tout impressionné, comme un petit enfant face à la stature de l’homme honnête incarné par Fonda…

(Le design est moche : sous les projos, la mort des chapeaux au cinéma, des intérieurs comme des extérieurs tous aussi laids les uns que les autres, et des personnages féminins comme dans les westerns qui font tapisserie.)


Police sur la ville, Don Siegel 1968 Madigan | Universal Pictures


Charley Varrick, Don Siegel (1973)

La Proie, l’Appât et les Truands

Note : 4.5 sur 5.

Tuez Charley Varrick !

Titre original : Charley Varrick

Année : 1973

Réalisation : Don Siegel

Avec : Walter Matthau, Joe Don Baker, Felicia Farr, John Vernon, Sheree North, Norman Fell

— TOP FILMS

Don Siegel avait tout de même l’art dans les années 70 de proposer des films, et un ton surtout, comme on n’en aura jamais vu par ailleurs ni avant ni après. À part Dirty Harry qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, je suis un inconditionnel des Proies et de Sierra Torride. Et si on parle d’auteur, il y a là bien une marque siegelienne à laquelle cet opus peut se rattacher, faite d’humour, de nonchalance, de nihilisme, de faux masochisme, et synonyme aussi de grand spectacle avec mouvements de fuite, musique tout aussi nonchalante (signée du génial Lalo Schifrin) et images flamboyantes.

Le début du film, le casse d’une banque de l’Amérique d’en bas, est un modèle de thriller et de suspense, mais aussi de montage alterné. Belle gageure, la séquence étant un véritable archétype du genre… Possible par exemple que, si le film est un hommage à La Mort aux trousses surtout sur la fin, que cette séquence soit, elle, un hommage détourné à Gun Crazy où on retrouve la même configuration qu’ici : un même coin paumé, une femme au volant (cette fois, c’est elle qui est déguisée, ou qui porte son habit de scène, comme plus tard Varrick portera le sien), qui attend son homme (ici Walter Matthau et deux autres acolytes). Différence notable, c’est que ce film de Joseph H. Lewis sorti en 1950 est surtout connu pour cette scène tournée… en plan-séquence (on trouve la scène sur Youtube) et qu’ici Don Siegel opte pour un choix totalement opposé en multipliant les sujets, les points de vue, pour former une géniale séquence en montage alterné.

L’histoire est tirée d’un roman écrit par un inconnu (et dont le titre original me semblait bien meilleur que Charley Varrrick : The Looters, Les Pilleurs), mais ce n’en est pas moins un modèle. Le film noir est mort, le polar siegelien débarque. La brutalité n’est plus celle des méchants de l’ombre, mais bien celle du héros principal. De vrais mauvais garçons, et pire que tout, des malfrats sympathiques. Après quelques décennies de code Hays, il faut réinventer le genre qui s’était à peine dessiné en « crime films » au début des années 30. Fini les grandes villes, bonjour l’Amérique profonde, voire parfois la banlieue de Los Angeles, autrefois trop claire pour servir le film noir (c’est une généralité, voire un archétype imaginé a posteriori sur une poignée de films, Fallen Angel de Otto Preminger est un exemple de film noir tourné en Californie). Adieu les femmes fatales, bonjour les femmes-objets dans une société où c’est l’objet qui nous domine (sorte de mix étrange entre pseudo-féminisme et critique du matérialisme de la société de consommation).

Charley Varrick, c’est l’alliance improbable du western qui se meurt dans son crépuscule et le film noir qui s’est déjà mouru dans l’ombre plus d’une décennie plus tôt. Le polar à la sauce 70 vient trotter sur les pas de Hud (Martin Ritt, 1963) ou de Seuls sont les indomptés (David Miller, 1962) : la mort du western où les grands espaces ne sont plus que des terrains vagues ; chapeaux et santiags sont là pour faire jolis, les chevaux ronflent maintenant sous les capots d’étranges chars métalliques, et la place des duels du village est remplacée par une piste d’atterrissage improvisée au milieu des épaves automobiles… Les ombres du film noir ont disparu, la tonalité est la même ; l’ombre au tableau, identique, on l’éclaire désormais d’une lumière criarde et de paillettes. Le folklore pour mieux cacher les désillusions d’un monde à l’agonie ; l’humour et le cynisme comme seuls moyens de subsistance ; le nouvel Hollywood, qui recueille les lumières expirantes des phares inaccessibles des boulevards aux étoiles entre deux sorties d’autoroute, entre deux mégapoles, à la frontière du désert qui maintenant n’est plus rien sinon un dépotoir et une zone morte depuis que le Pacifique n’est plus un rêve, un but, mais un mirage ne reflétant plus que les lumières fardées et autocentrées de l’usine rêve : Hollywood.

Charley Varrick dévalise une banque, cela pourrait tout aussi bien être un hangar, un studio de cinéma. Il y aurait trouvé le même argent sali par l’orgueil, les fausses illusions, les mêmes connivences troubles, les mêmes mensonges. Varrick y perd sa femme, c’est un homme maintenant libéré de toute contrainte qui va pouvoir savamment, patiemment, froidement, tout faire valser. Dirty Varrick. Seul contre tous, d’abord contre son embarrassant complice, puis la police, et enfin la mafia. Les armes du cygne ? Un peu de dynamite pour tout faire exploser et de jugeote pour s’extirper d’un piège dans lequel il est tombé, s’en extirper comme on prépare le grand casse du siècle. Un magicien de la piste notre Varrick : il cite Hitchcock, mais c’est bien avec surprise qu’il nous appâte aussi et finit par nous tromper. Un tour est un tour, quoi qu’en dise Alfred : on devrait s’attendre à être trompés, mais le stratagème est trop bien ficelé pour ne pas nous éblouir quand il nous pète à la figure.

Pour garder une longueur d’avance (Varrick l’avait déjà en comprenant qu’il était tombé dans un piège qui n’était pas tendu pour lui, ni pour personne), ce franc-tireur, solitaire intégriste, impose le terrain à son adversaire, impose ses propres apparences et son expertise (le choix de l’arme). Les gros poissons se laissent toujours tenter par les plus gros appâts, même si ça les fait sortir une seconde de leur élément. Et l’ancien Hollywood, avec ses complices de la société de surconsommation, ces mafieux qui ont troqué depuis longtemps les flingues pour les sourires hypocrites, tout ça peut alors se faire voir dans un dernier bûcher. Varrick y cédera la part misérable qu’on lui prêtait pour le casse, et se joue ainsi des apparences d’un monde qui l’avait dépossédé de tout.

Voler les escrocs par l’escroquerie.

La misère matérialiste, quand elle sait travailler avec sa tête, peut se révolter et tout faire péter dans ce monde d’escrocs. Avec la seule idéologie qui vaille alors : le nihilisme. Un coup de pied dans la fourmilière et au revoir. Aucun message, aucune morale. No future. Quand ça vient d’un flic, c’est réactionnaire ; quand c’est un ange vengeur, tout lui est permis. Choisis ton côté de la barrière.


À croiser avec Le Point de non-retour.


Charley Varrick, Don Siegel (1973) | Universal


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They Might Be Giants (Le Rivage oublié), Anthony Harvey (1971)

They Might Be Giants

Note : 4.5 sur 5.

Le Rivage oublié

Titre original : They Might Be Giants

Année : 1971

Réalisation : Anthony Harvey

Avec : George C. Scott, Joanne Woodward

— TOP FILMS

Les fous au pouvoir !… Qui est fou ? Les doux rêveurs ou la société ?

Quelques moments de “bravoure” d’anthologie, du théâtre filmé, des dingues en pagaille, de cette folie plus proche de la raison que certains hommes sages ne le seront jamais (on est chez Shakespeare, Cervantès ou chez Érasme) et la plus savoureuse entre tous, l’une des comédiennes les plus phénoménales du monde plat, à l’imagination débordante et à la maîtrise totale, au charme unique… Joanne Woodward. Difficile de croire que c’est la même qui l’année suivante tournera De l’influence des rayons gamma… Temps écoulé avant le quasi-coup de foudre : 5 minutes. Chaque mimique, chaque geste, chaque moue boudeuse, chaque interrogation, chaque sourire est une caresse. Watson, je vous aime.

Mais il faut aussi voir le film pour George C. Scott, tellement improbable en Sherlock, et donc forcément fascinant et crédible dans ce personnage où malgré les apparences, lui seul fait preuve de finesse, d’intelligence et de sagesse. Jusqu’à ce que lui aussi succombe, à la plus douce des folies, l’amour.

Et puis surtout… « There’s no more westerns! ». L’acte de mort d’un genre qui se déclare dans un film censé être complètement dingue. La vérité sort de la bouche des fous.

Ce qu’on pourrait appeler un vrai film pour cinéphiles. Un éloge des tordus, des battants luttant contre les faux-semblants, et de l’amour. De la douce folie aussi.


They Might Be Giants (Le Rivage oublié), Anthony Harvey 1971 | Universal Pictures, Newman-Foreman Company


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Ex Machina, Alex Garland (2015)

L’Ex-Fiancée de Frankenstein

Note : 2.5 sur 5.

Ex Machina

Année : 2015

Réalisation : Alex Garland

Avec : Alicia Vikander, Domhnall Gleeson, Oscar Isaac

Bien pâlot pour un film qui est censé fournir une histoire de haute volée. Rien de neuf sous le soleil SF rayon IA. La problématique n’a pas évolué depuis Asimov, voire depuis Frankenstein, en pire.

L’IA progresse, en vrai, mais de tout ça, on ne saura rien. On prend du vieux, et on le sert à la mode 2015. Le savant fou n’est plus inspiré des personnages de Jules Verne (reste le côté “entrepreneur” dans sa tour d’ivoire), mais du yuppie (c’est comme ça qu’on dit ?) : forcément intelligent avec un QI hypertrophié (à la sauce anglo-saxonne, sorte de mythe de l’intello touche à tout, capable autant de créer sa boîte à treize ans, que de citer Oppenheimer), forcément cool et adepte de la gonflette. Musk en must. Le personnage est insupportable, mais les autres ne font pas mieux.

Depuis vingt ans, on ne peut plus voir un film sans l’indispensable twist. Il a au moins le bon goût de se pointer assez tôt et de réserver le dernier acte à une séance de facepalm fatiguée. Avant ça, la manière dont les deux “amoureux” sont amenés à s’intéresser l’un à l’autre se fait en un claquement de doigts. J’ai même peiné à comprendre l’intérêt d’illustrer le test de Turing. C’est à la fois incompréhensible et pas franchement susceptible de provoquer des situations dramatiques. On cause, on cause, et on cause. Le tout derrière une vitre… C’qu’on s’emmerde. Le film est d’ailleurs censé être un thriller en lieu clos, et rarement j’aurais vu une telle idée aussi mal exploitée. Faut dire que si le rythme est plutôt lent (façon « on va faire un film pesant, avec du mystère »), le montage est un gros bordel insupportable. Difficile dans ces conditions de jouer avec un lieu clos. (Un choix par ailleurs parfaitement gratuit. Disons que ça fait beau pour la cave postale.)

Pour montrer à quel point l’illustration du problème IA paraît un peu aujourd’hui rétrograde, il suffit d’y voir comment le corps de la femme y est systématiquement exploité. On se croirait replongé tout d’un coup dans les années 50, avec un vague assaisonnement cronenbergien (période post-porno oblige). Une IA, les mecs, c’est top, mais parlons plutôt des pin-up aux viscères électriques, aux ovaires stroboscopiques, au poil juvénile, et aux yeux de toutous dociles… Attention toutefois, les mecs, c’est un jouet pouvant se révéler castrateur !… Ouais, tu sais, comme toutes les femmes…

Bref, une horreur. Rien de mieux sur le sujet, que de se replonger dans Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? K Dick était déjà passé au niveau supérieur, la question n’était plus de savoir si une IA était possible, mais quel regard porterions-nous sur eux, et comment eux-mêmes se regarderaient-ils, et considéreraient-ils leurs “créateurs” ? Voilà un sujet plus bien profond qu’un vulgaire « Aurai-je un jour une copine avec des hanches chromées qui fait tchou-tchou quand je lui tire le sifflet… ? Oh, mais attends, suis-je vraiment le mécanicien ou la machine est-elle vouée à se révolter contre son créateur ?… » Allô, Mary Shelley ? On a retrouvé votre machin, ça fait deux siècles qu’il se balade dans nos coursives à fantasmes…


Ex Machina, Alex Garland 2015 | A24, Universal Pictures, Film4


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Le Convoi de la peur, William Friedkin (1977)

Boom

Le Convoi de la peur

Le Convoi de la peur

Note : 2.5 sur 5.

Titre original : Sorcerer

Année : 1977

Réalisation : William Friedkin

Avec : Roy Scheider, Bruno Cremer, Francisco Rabal

Pas peur de me faire exploser…

J’ai du mal à comprendre l’unanimité pour cette adaptation. Celle de Clouzot était pourtant un chef-d’œuvre, il fallait oser offrir autre chose et ne pas avoir peur de la comparaison.

Je n’ai pas lu le roman original. J’imagine que Friedkin est plus respectueux de la trame initiale. Peu importe. Pour moi, ça ne marche pas. Impossible de me laisser embarquer dans cette histoire louche. Il y a une règle majeure à laquelle peu d’histoires arrivent à se soustraire, c’est celle de l’unité d’action. Pour cela, il faut un sujet clair et parfaitement défini, du moins le premier acte achevé.

Dans le Clouzot, c’est évident : il faut aller d’un point A à un point B en chargeant de la dynamite sans se faire péter la tronche. C’est simple, et c’est efficace. (Il paraît que ce n’est pas tout à fait ça ; je veux bien le croire ; je n’irai pas revoir le film pour m’en assurer[1].)

Ici, ce premier acte dure des plombes. Et tout ça pour nous mener où ? L’intérêt, il est dans le transport, alors donne-nous la marchandise, vérifie les freins, la jauge à caramel, et en route Germaine ! Une heure pour expliquer comment les personnages sont arrivés dans cette galère… N’explique pas ! Jamais. Montre ! Alors bien sûr, on peut faire un très long premier acte, comme dans Voyage au bout de l’enfer ; mais il faut qu’il y ait un but. Là, soit il n’y en a pas, soit je n’ai pas eu envie de le comprendre. Dans le Cimino, c’est utile pour créer une opposition, le paradis et l’enfer… Là, je cherche (ou pas).

Une fois que le film est parti (enfin), Friedkin nous torture encore en s’attardant vingt minutes sur un seul obstacle, un seul pont… Obligé de nous refourguer cinquante fois le même plan sous la pluie… C’est bon, j’ai compris l’idée, passe à autre chose !

Les acteurs sont bons. J’adore Bruno Cremer (excellent dans La 317ᵉ Section). Quelques choix douteux pour créer une ambiance : des effets un peu lourds, la musique, le travail sur le son, le montage. Tout ça semble en fait un peu ringard et à côté de la plaque. Le film de Clouzot était centré sur les personnages, sur leur peur, sur l’enjeu absurde de leur quête, un peu comme dans Marche ou crève de Stephen King. Sans le laisser paraître, Le Salaire de la peur, en plus d’être un thriller, avait bien ce petit côté dystopique : le rétrécissement du récit autour de cette seule quête lui permettait de gagner une certaine valeur universelle car détachée de tout contexte et de toute explication. En insistant sur le contexte politique, sur les origines qui ont vu les personnages atterrir dans cette jungle, on perd de ce caractère universel. On retrouve la même chose dans Apocalypse Now ou dans Aguirre. Si les questions du pourquoi ou du comment sont sans cesse posées (plus que dans le Clouzot, de mémoire), on se fout de connaître les réponses. Parce qu’elles ne seront jamais meilleures que celles qu’on peut craindre. Mettre au centre d’un film des peurs primitives, celle de survivre face à un danger permanent, plonge le spectateur dans une tension, un suspense, qui n’a pas besoin d’une heure d’introduction. Les intérêts de la compagnie pétrolière, les petites crapuleries dans un coin perdu, on s’en balance pas mal.

Friedkin prouve ici qu’on n’améliore pas une œuvre en lui apportant du nouveau matériel. Surtout à un chef-d’œuvre. La simplicité sonne comme une évidence, et cette évidence rend illusoire toute tentative de développement. Mettons que Spielberg apprécie Persona de Bergman (c’est une hypothèse), pourra-t-il améliorer le film en y ajoutant des effets spéciaux, de nouveaux personnages, en y multipliant les scènes et les décors ? Approche typique américaine quand il est question de refaire des films. J’aurais pensé que Friedkin aurait échappé à cet écueil.

À la même époque, le cinéma voit débarquer des chefs-d’œuvre aussi différents que Aguirre, Les Dents de la mer, Voyage au bout de l’enfer ou Apocalypse Now. Ce sont tous des films qui ont été nécessaires, et qui sont marquants pour cette période. Friedkin y a participé également à ce renouvellement de ton, mais ce n’est en tout cas pas avec ce film qu’il y est parvenu. C’est une belle sortie de route. Eh oui, Willie ! Reste sur la piste ! un seul sujet ! Attention, Willis !

« Non, non… c’est bon, Lim ! T’inquiète pas, je gère ! »

— Boom.


[1] Finalement revu en 2017, et même si ce n’est pas le cas, le film de Clouzot me semble trouver un meilleur équilibre. (Mauvaise foi.)

Réponse à un commentaire :

Si je n’adhère pas au film de Friedkin, c’est qu’on ne peut pas croire avec toute cette agitation, ces excès, cette vitesse, qu’ils transportent de la nitroglycérine. Ça devient une sorte d’aventure exotique, une course kolantesque pour atteindre son but, et au fond, ce n’est rien d’autre que la course poursuite de French Connexion dans la jungle. Vroom vroom. Film d’action.

Alors que dans le Clouzot, on a peur parce qu’il s’attache à décrire ces instants de trouille quand tout s’arrête parce qu’on prête l’oreille au moindre grincement ou on souffle parce qu’on est encore là. Le moindre caillou sur la route, et on compte les anges passer. Vouuuuuuuuuuu… Thriller.


Le Convoi de la peur, William Friedkin 1977 Sorcerer | Film Properties International N.V., Paramount Pictures, Universal Pictures


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L’Homme qui n’a pas d’étoile, King Vidor (1955)

Le Barbelé

L’Homme qui n’a pas d’étoile

Note : 3 sur 5.

Titre original : Man Without a Star

Année : 1955

Réalisation : King Vidor

Avec : Kirk Douglas, Jeanne Crain, Richard Boone, Claire Trevor

Je ne me rappelais pas bien de ce western, et pour cause, rien de bien original dans cette histoire. C’est construit comme il se doit, j’ai notamment remarqué un début au film, un milieu et une fin, mais ça m’a paru un peu court. Un bon film, c’est un film dans lequel on commence à trouver le temps long (traditionnellement durant le milieu de l’histoire, mais certaines techniques soporifiques permettent d’initier l’ennui chez le spectateur bien avant), puis, en insistant et en produisant à l’intérieur du récit (au milieu du film plus généralement) un nouveau départ, on procède ainsi à un retournement spectaculaire des attentes du spectateur. Celui qui retourne sa veste aura toujours tendance à se révéler plus royaliste que le roi. La tiédeur est le fait des petits films ; les grands ennuient avant de nous conquérir pour de bon.

L’Homme qui n’a pas d’étoile, King Vidor 1955 Man Without a Star | Universal International Pictures (UI)

(Relecture :) La même année (1955), D.D Beauchamp, adaptateur ici d’un roman avec un scénariste plus aguerri (Borden Chase), scénarise Le mariage est pour demain, pour Allan Dwan (avec qui il avait déjà travaillé pour La Belle du Montana ; et qui pourtant — Le mariage — est plus court de deux minutes — preuve aussi qu’avec une idée simple et sans parenthèses inutiles, en allan dwan à l’essentiel, on peut faire de grands films). Eh bien, D.D, ça manque de densité dans les péripéties et de complexité dans les rapports entre les personnages. Pas moyen dans tout ça de trouver le temps long, et au bout du compte ça ressemble à une tranche de vie toute simple : Kirk Douglas qui s’arrête dans une ville, qui chope un boulot (début) ; on apprend qu’il n’aime pas les barbelés, il prend sous son aile un type qui lui rappelle son jeune frère (milieu) ; et puis basta (fin prématurée). On ne sait pas trop de quoi ça parle d’autre, quel est l’enjeu, le réel sujet de tout ça. Pour un roi du spoiler comme moi qui aime reproduire les évolutions du récit, je me sens bien démuni. Le rapport avec le gosse est d’une banalité effrayante, vu et revu mille fois. Le personnage de Kirk Douglas était plein de promesses, mais l’archétype du « cow-boy » intelligent, viril, solitaire, séducteur, qui ne cherche pas les embrouilles et qui les trouve, flirte tendrement avec le stéréotype. Le rapport avec la patronne est déjà plus singulier, mais comme le reste, ça manque de retournements et de péripéties. On n’est pas loin de la fin bâclée de Jumper… quand le personnage de Douglas dit simplement « au revoir » sans raison… D’accord, au revoir, moi aussi j’ai une autre séance qui m’attend…

Il y a des westerns plus longs que celui-ci…, et je suis loin de penser que de s’imposer une relecture décennale aide en quoi que ce soit à l’appréciation du film. Rendez-vous dans dix ans peut-être.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les 365 westerns à voir avant de tomber de sa selle

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