Frankenstein, Guillermo del Toro (2025)

Note : 4 sur 5.

Frankenstein

Année : 2025

Réalisation : Guillermo del Toro

Avec : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Christoph Waltz, Mia Goth, Charles Dance

Encore un petit effort et le prochain qui se colle à l’adaptation du roman comprendra que le génie de Frankenstein (et celui de Mary Shelley) tient plus de sa composition narrative que de la composition de sa créature.

Dans mon commentaire sur le roman, je m’interrogeais sur la manière dont le cinéma pourrait précisément illustrer le dilemme non seulement narratif mais linguistique de l’œuvre. Parce que Frankenstein est bien plus qu’un simple roman de science-fiction horrifique, c’est un patchwork narratif de génie qui reproduit l’éclatement cosmopolite de l’Europe du XIXᵉ siècle, une allégorie, presque, de la fécondité des relations sociales et internationales de l’époque illustrée par la créature (à travers son adaptabilité, sa sensibilité et son génie propre — Mary Shelley ne cherche pas à rabaisser la créature par l’intermédiaire de la langue, au contraire, elle l’élève à notre niveau pour en faire un alter ego).

Comme on pouvait s’y attendre, Guillermo del Toro évite de faire parler ses personnages français et les transpose vite en Grande-Bretagne. L’aspect continental, dira-t-on (voire polymorphe ou composite du roman), n’apparaît que dans l’évocation de l’enfance du docteur (sans préciser qu’il s’agit de la Suisse, sauf si cela m’a échappé), et l’on y entend quelques mots de français qui ne semble pas être un français de Suisse, ni même un français international de la haute société européenne, mais un français de personne non francophone choisi sur le tard pour le casting… Bref, il s’agit de toute façon d’une adaptation et en dehors de cet aspect étrange et difficile à transposer, c’est en revanche l’aspect narratif qui pour une fois tente un minimum de reproduire à l’écran l’écueil du roman épistolaire.

J’écrivais dans mon commentaire que le roman comptait trois voix, on n’en a plus que deux ici. Le roman est parcouru de peu de péripéties, c’est sans doute pour cette raison qu’il est à la fois si difficile à adapter « à la lettre » (en respectant l’essence polymorphe du roman) et susceptible de laisser une grande marge de créativité (Guillermo ne s’en est pas privé : il s’approprie quantité d’éléments — autobiographiques, expliquait-il à la séance — en recomposant largement les lieux et les péripéties). Le choix a pourtant presque toujours été de se focaliser sur les événements (rarement conformes à Shelley). L’intérêt du roman, comme la plupart des chefs-d’œuvre, se situe autant dans son fond (sujet, thème) que dans sa forme (narrative et symbolique). L’une des surprises à la lecture du roman après en avoir vu diverses adaptations est de voir lire la créature : voir en particulier ce que la lecture et son apprentissage ont fait d’elle (parce que c’est elle qui s’exprime, à l’écrit, dans le roman). Au cinéma, même si l’on peut s’autoriser à y voir adapté d’une manière ou d’une autre l’aspect littéraire et épistolaire du roman, cela passe forcément par la parole. Toutes les adaptations se focalisent sur la créature au moment où celle-ci parle à peine. Guillermo del Toro se contente de la faire brièvement philosopher et d’évoquer ses lectures.

Alors, gageons que la prochaine fois sera la bonne. Un récit enchâssé à la Citizen Kane apporterait quelque chose de plus à Frankenstein. Cette autre voie devrait être possible. À la fois plus fidèle et capable de moderniser le mythe en insistant sur l’aspect polyphonique (et polymorphe) du roman. La créature n’apparaît pas seulement comme un monstre à cause de sa physionomie, mais parce que partout où elle passe, elle est « l’étranger » dont on se méfie : elle « naît » en Allemagne, mais sa langue « maternelle » devient le français, et le tout doit être retranscrit… en anglais. La créature, c’est donc le migrant d’aujourd’hui, l’être cosmopolite, le savant vagabond méprisé dans les sociétés modernes, celui que l’on craint parce qu’il pourrait nous « grand-remplacer » (Guillermo del Toro, plus que Mary Shelley, joue sur la peur de voir les pauvres petites demoiselles du continent succomber au charme « monstrueux » de l’étranger, reprenant ainsi plutôt un motif de Dracula). Le rapport de la créature avec le docteur Frankenstein n’est ainsi pas exclusif. Le sujet du roman, c’est autant l’expérience de l’altérité que la quête de l’espace vital d’une créature modelée par l’homme condamnée à lui survivre. Cette altérité ne se trouve pas seulement évoquée à travers la question de l’apparence de la créature, mais aussi à travers les différentes langues diégétiques du récit, à travers les différentes classes sociales abordées, à travers les différents lieux. Compacter tous ces aspects en une seule langue, un seul lieu, une seule classe, c’est un peu réduire la créature à un vulgaire animal de compagnie, à un simple bout de viande qui se dérobe à notre fourchette.

Le film possède une autre qualité : son design. Je ne suis pas fan des lumières créées par ordinateur, mais costumes et décors valent le détour. Le château des expérimentations évoque à la fois la version de 31 (de ce que je m’en rappelle, surtout pour son entrée, son escalier) et celle de Branagh (la chambre d’expérimentation et sa tour). Quant à la créature, elle évoque plus… le Prométhée de Ridley Scott. Elle est plus proche de l’homme augmenté que de la vision néandertalienne proposée dans les précédentes versions.

Le film est long. Il aurait gagné à prendre encore plus le temps lors des grandes séquences émouvantes « créature/humain ». Les obligations hollywoodiennes… La distribution Netflix ouvrait la voie à une adaptation en deux ou trois volets… Une série, un jour peut-être…


Frankenstein, Guillermo del Toro (2025) | Bluegrass Films, Demilo Films, Double Dare You, Netflix


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Aux frontières de l’aube, Kathryn Bigelow (1987)

Note : 3 sur 5.

Aux frontières de l’aube

Titre original : Near Dark

Année : 1987

Réalisation : Kathryn Bigelow

Avec : Adrian Pasdar, Jenny Wright, Lance Henriksen, Bill Paxton, Jenette Goldstein

Plutôt impressionné par la première heure de film : jolie maîtrise narrative, les séquences s’agencent efficacement en développant une situation attendue, voire archétypale (la transformation d’un « initié » en vampire et sa prise en main par un groupe de noctambules tueurs), et cela en faisant merveilleusement usage de tous les outils du cinéma (ellipses, montage-séquences, musique narrative liant le tout pour donner une impression de course en avant inéluctable, etc.). Et puis, une fois les enjeux posés (conflits éthiques de l’initié qui refuse de s’attaquer à des proies), ça va de mal (v)ampire…

Dans le cinéma de genre, une fois que l’on a su se sortir des pièges de l’introduction à faire, en réussissant à convaincre avec des codes connus de tous, un deuxième écueil vient alors se présenter devant les auteurs : « et maintenant, que vais-je faire ? ». Il faut tirer d’autres fils, faire preuve cette fois d’originalité en revisitant une thématique, tout en gardant une maîtrise dans la structure qui fasse le boulot pour tenir en haleine le spectateur et éviter la série B (à une époque où les séries B tendent à devenir des séries A). Gilbert Bécot interroge alors Kathryn et essaye de l’amadouer en lui chantant « big bisou », et la réalisatrice, comme hypnotisée, répond à la question fatidique de Gilbert par : « Caleb (l’initié) revient dans le groupe après avoir tenté de fuir ». Big mistake. On ne revient jamais en arrière !

À partir de là, plus rien ne marche ou presque. C’est le moment où l’auteur doit surprendre le spectateur avec ce qu’il attend. On attend à ce qu’ils tuent. Ils tuent. On attend à ce que Caleb ait des états d’âme et qu’il parvienne à contre-attaquer… Et tout cela se produit. Pire, le récit commence à multiplier les coïncidences et les trouvailles heureuses (rencontre fortuite, remède commode). Une ellipse grossière casse l’élan du film, et quand il faut relancer les enjeux pour finir l’histoire, le spectacle donne l’impression de passer d’un Terminator vampirique à un épisode pilote de K2000 ou de LAgence tout risque sous adrénochrome.

Dommage donc. La parenté avec Terminator et l’univers cameronien est évidente : Lance Henriksen et un Bill Paxton exceptionnel étaient présents dans Terminator et Aliens, Jenette Goldstein apparaissait également dans Aliens (peut-être pour son rôle le plus marquant de sa carrière), et le directeur de la photographie, Adam Greenberg, est celui de Terminator. La séquence du camion évoque d’ailleurs assez fortement la fin du chef-d’œuvre de Cameron. Les deux films étaient probablement tous les deux aussi fauchés, la production semble assez similaire (voire l’esthétique), mais d’un simple point de vue narratif, le succès du film de Cameron ne trompe guère : le récit ne flanche jamais, de bout en bout, tout se tient, jusqu’à une apothéose comme on en a rarement vu depuis.

J’étais curieux de voir ce film, peut-être le seul qui m’intéressait dans la filmographie de la réalisatrice qui ne botte pas vraiment. Pas loin. Je garderai en mémoire cette introduction et la performance de Paxton qui s’en donne à cœur joie dans un rôle taillé pour lui.


Aux frontières de l’aube, Kathryn Bigelow (1987), Near Dark |, F/M, Near Dark Joint Venture


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Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibáñez Serrador (1976)

Note : 3 sur 5.

Les Révoltés de l’an 2000

Titre original : ¿Quién puede matar a un niño?

Titre anglais : Who Can Kill a Child?

Année : 1976

Réalisation : Narciso Ibáñez Serrador

Avec : Lewis Fiander, Prunella Ransome, Antonio Iranzo

La maîtrise formelle sur le terrain du thriller de l’auteur de La Résidence est impeccable : beaucoup de rythme, des portes qui claquent, un décor marquant… Son idée de départ pourrait gagner un concours d’accroches de cinéma (« Les enfants prennent leur revanche ! ») ; son écriture est très efficace et condensée comme il faut pendant une bonne partie du film avant que le monstre se découvre (le talon d’Achille des thrillers fantastiques et des films d’horreur, c’est qu’au bout d’un moment, il faut bien que le masque tombe ; or, en dramaturgie, ça signifie souvent la fin ; avoir repoussé l’échéance jusqu’au milieu de l’histoire relève assez de l’exploit). Parce qu’une fois que l’on entre dans le registre du sanglant, cela devient un peu n’importe quoi. Jouissif par moments, j’avoue, face à autant d’audace sadique contre des enfants (j’étais hilare une ou deux fois à la fin du film), mais toujours n’importe quoi.

Pourquoi ne partent-ils pas dès que le touriste comprend ce qu’il se passe ? Pourquoi le touriste donne-t-il des calmants à sa femme ? (Face à un danger immédiat, ne faut-il pas plutôt rester alerte ?…) Pourquoi la Hollandaise compose-t-elle au hasard des numéros sans rien dire ? (Ah oui, le motif de l’appel téléphonique tiré de Black Christmas.) Pourquoi le touriste tient-il tellement à sauver la Hollandaise (pour rester sur l’île, OK, et continuer le film, mais aussi ?), alors qu’un peu plus tard, il perd tout à coup son humanité quand la femme du pécheur se trouve mise en danger de la même manière et qu’il aurait suffi de l’inviter à les rejoindre dans la jeep pour décamper au plus vite ? (Ah, ce n’est pas une touriste, elle peut crever.) Pourquoi le touriste réagit-il à peine quand sa femme est tuée… par son fœtus alors que, disons, c’est une mort assez inattendue et violente ? (Il semble l’aimer beaucoup de surcroît, sa femme.) Pourquoi le touriste ne visite-t-il pas tout de suite la chambre 7 ? (Ben, pour y aller bien après, pardi.) La vision de la femme fragile, indéterminée, sans volonté propre qui est une sorte de sac de viande que son mari trimballe en voyage laisserait aujourd’hui le spectateur assez dubitatif. Vivement Alien (cette fois, ce sera l’homme qui « enfantera » un monstre).

Bref, il y a une pelletée de détails qui gâche la fête et qui plonge le film dans le navrant et la série B.

Pour le reste, je suis assez friand de ces excès loufoques et de ses références lourdes. Juste après Les Dents de la mer, Serrador joue sur le thème du tourisme balnéaire (il n’en reprend toutefois pas toutes les bonnes recettes, dont la plus importante : le monstre qui reste dans l’ombre). D’ailleurs, deux ans plus tard, Long Weekend jouera encore sur cette thématique de touristes lambda qui voient leurs saintes vacances perturbées par la nature sauvage. On avait déjà tout compris des excès de la société de consommation et du surtourisme dans les années 70… Il convoque et mélange aussi l’esprit des Oiseaux et celui des films de zombies qui possèdent déjà un accent espagnol en ce début de fléau (Le Massacre des morts-vivants, Une vierge chez les morts-vivants, La Chevauchée des morts-vivants, et… Romero ?) Les enfants se comportent ainsi comme une nuée de zombies revanchards mue par on ne sait quel phénomène étrange. On pourrait également songer au Village des damnés. Enfin, Serrador reprend un effet de la main qui dépasse d’un soupirail utilisé sur un carreau de porte close dans La Résidence. (La meilleure citation est encore celle que l’on se fait à moi-même.)

L’idée originale du film, c’est bien, comme dans Les Oiseaux, de proposer une revanche presque cathartique des victimes sur leurs bourreaux. L’introduction du film énumérant pendant plusieurs minutes les désastres humanitaires dans lesquels les enfants sont les principales victimes annonce la couleur. L’idée de départ (formidable, tournant vers le n’importe quoi) ressemble d’ailleurs tellement à une idée de Stephen King qu’il en proposera une relecture en 1978 avec la nouvelle Les Enfants du maïs. Il y a quelques idées pourries dans l’air du cinéma d’horreur. Elles se répandent vite, avant même que l’on ait compris qu’elles menaient nulle part. Et oui, il n’y a pas que les King qui sont champions dans le domaine des accroches en or et des espoirs déçus.


Les Révoltés de l’an 2000, Narciso Ibáñez Serrador 1976 ¿Quién puede matar a un niño? | Penta Films


Sur La Saveur des goûts amers :

Les indispensables du cinéma 1976

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Black Christmas, Bob Clark (1974)

Note : 4 sur 5.

Black Christmas

Année : 1974

Réalisation : Bob Clark

Avec : Olivia Hussey, Keir Dullea, Margot Kidder, John Saxon, Marian Waldman

Voir réunis dans un même film dans lequel ils sont amants la Juliette de Franco Zeffirelli et le Dave Bowman de 2001 (deux chefs-d’œuvre de 1968), voilà qui est plutôt inattendu. Surtout quand on y trouve par ailleurs la future Lois Lane de Superman en version trash.

Honneur donc, tout d’abord, aux acteurs, parce que c’est eux (au propre comme au figuré ?) qui tiennent la baraque. Dans un thriller, un film d’horreur ou dans tout autre film de genre, quoi qu’on en dise, le talon d’Achille, bien souvent, c’est l’interprétation des acteurs. À travers eux, passe l’essentiel de la crédibilité de l’histoire. Vous pouvez écrire un scénario rempli d’incohérences, certains interprètes (cela vaut aussi pour la mise en scène) peuvent vous masquer ces défauts grâce à leur sincérité, à la manière dont ils défendent un personnage ou grâce parfois à leur seule présence à l’écran.

Pour le reste, je ne vois pas tant que ça de contradictions ou de plot holes. Les zones d’ombre servent sans doute à leurrer le spectateur. Tout demeure confus, le twist final nous embrouille un peu plus, on y voit que du feu. Le scénario a même une qualité indéniable : cette incertitude, cette fin ouverte irrésolue poussent le spectateur à vouloir se refarcir au plus vite le film. Si vous regardez le film sur Netflix, cela ne changera pas grand-chose, mais au cinéma, cela relève presque de l’idée marketing de génie. La structure du récit ajoute habilement des éléments à la connaissance du spectateur qui a presque le luxe d’être plongé dès la première séquence dans un jeu de va-et-vient entre perception des proies innocentes et perception de l’assassin (raison pour laquelle d’ailleurs, à force de vues subjectives, on ne verra jamais le visage du meurtrier). Certains de ces éléments, en apparence tous anodins, pourraient éclairer notre lanterne (avant que la police s’en mêle) sur l’identité, le passé ou les motifs de l’assassin. En plus de forcer l’attention du spectateur, ce classique du thriller dont s’est emparé le film d’horreur, permet non plus de développer l’image de l’assassin (qui restera tapi dans l’ombre jusqu’à ne plus devenir qu’une grande tache de Rorschach soumis à toutes les interprétations possibles, même absurde), mais les relations entre les victimes. Manière détournée et habile d’évoquer deux sujets principaux : le fossé entre deux générations (l’une, conservatrice, l’autre, plus provocatrice, libre, et parfois obscène — les deux partagent le même attrait pour l’alcoolisme) et l’émancipation des femmes (refus de se marier, d’avoir un enfant et souhait de poursuivre ses études).

Je vois deux films à rapprocher de celui-ci. Sans doute un peu parce que je les apprécie, parce que je les ai vus récemment, mais aussi parce qu’ils en possèdent des qualités ou des éléments identiques. Bunny Lake a disparu (Otto Preminger, 1965) et La Résidence, de Narciso Ibáñez Serrador (1969).

Dans Bunny Lake a disparu, de la même manière le tueur se révèle être l’homme le plus proche du personnage féminin principal (et ironiquement, il s’agit du même acteur à dix ans d’intervalle : Keir Dullea). Si beaucoup de films jouent sur les clichés, on peut au moins noter que ces deux films pointent du doigt une réalité bien connue de la police : vous cherchez un meurtrier ? Neuf fois sur dix, il s’agira du petit ami, de l’ex, du frère, etc. de la victime. La résidence de Black Christmas, la chambre de Miss Mac d’où l’assassin peut parfois passer ses appels surtout, n’est pas sans rappeler l’école de Bunny Lake a disparu (surtout avec son dernier étage occupé par l’ancienne directrice). Les deux films jouent par ailleurs très bien sur une forme de folie, certes extrême, mais très réaliste : si certains films d’horreur choisissent le parti pris de l’outrance et de l’effet gratuit comme à l’époque du grand-guignol, on prend exactement le contre-pied ici de cette mouvance (on aura compris que je déteste les séries Z). Au mieux, on garde la folie de l’assassin bien à distance grâce à l’usage récurrent du téléphone.

Deuxième film donc, La Résidence. Deux early slashers comme on dit avec l’accent. On retrouve l’idée de « maison de sororité » dont la tranquillité est violée par un détraqué et l’idée de film à élimination. La résidence universitaire deviendra un trope particulièrement apprécié pour rameuter le public adolescent dans les salles. (Et d’une certaine manière, ce trope apparaissait déjà à l’échelle de la ville dans L’Étrangleur de Boston.)

Ces trois films ont par ailleurs en commun le fait de ne pas être… hollywoodiens. Comme quoi, ça n’a pas toujours été le Hollywood underground qui a su redonner de l’élan aux genres. Un est britannique, un autre espagnol et un autre canadien. (Certains évoqueront le giallo, mais comme je suis loin d’être amateur de ce genre qui précisément évoque pour moi une forme de grand-guignol pisseux, je laisse tout rapprochement ou toute comparaison aux autres.)

J’ai mentionné les acteurs et le scénario (je partagerai un jour toutes mes notes sur le confusionnisme…). En revoyant le film, je me suis attaché un peu plus à la réalisation, et c’est du propre. Les effets sonores plongent réellement le spectateur dans une ambiance malsaine mais subtile (l’idée des cordes de piano est parfaite), chaque mouvement de caméra, chaque zoom, chaque ajustement, chaque montage alterné resserré (souvent pour suggérer une forme de crime sacrificiel et cathartique à la Apocalypse Now), chaque vue subjective participe à cette atmosphère. C’est de l’orfèvrerie. On est loin de la série B. Quand on regarde la lenteur de certains plans par exemple, ou quand les portes sont brutalement défoncées, on remarque que Clark maîtrise le tempo à merveille.

La mode du slasher semble être déclenchée : en cette même année 1974 sort un autre film, bien plus trash (et par conséquent plus mauvais) : Massacre à la tronçonneuse. On remerciera au moins à ce genre d’avoir sans doute inspiré en partie la fin d’Alien à travers un de ses motifs préférés : la femme rescapée. (Même si ici, on peut encore supposer que Jess finisse assassinée vu que les appels de « Bill » ne surgissent qu’après chaque meurtre — c’est du moins ce qui est suggéré dans la dernière séquence.)

J’ai l’impression que ça me fait le coup en ce moment une fois sur deux : à chaque nouveau film visionné, je me rends compte qu’un des acteurs principaux vient de disparaître… La petite amoureuse de Shakespeare, Olivia Hussey (un de mes amours d’adolescent), est donc décédée il y a moins de deux mois. Voilà pourquoi, peut-être, je réduis mes visionnages ces derniers temps. Je porte la poisse.

(Mon nom anglais à l’école, c’était Billy.)


Black Christmas, Bob Clark 1974 | Film Funding Ltd., Vision IV, Canadian Film Development Corporation, Famous Players


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1974

Listes sur IMDb : 

MyMovies : A-C+

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The Dead Zone, l’adaptation et le roman (Stephen King, Jeffrey Boam, David Cronenberg)

Commentaires croisés

Les événements actuels aux États-Unis (tentative d’assassinat et réélection de Trump) m’ont incité à lire le roman et à revoir le film. J’avais écrit une vieille critique (presque vingt ans) que je n’ose relire, et je me suis essayé très brièvement (ça m’arrive) à la comparaison entre quelques éléments séparant et réunissant Stillson et Trump ici.

Mais cette lecture a surtout été l’occasion de repérer la manière dont l’adaptation avait été remarquablement faite. King a une écriture très visuelle et la structure de ses récits pourrait ressembler à du cinéma. Il serait donc tentant de coller parfaitement à la trame de son histoire, sauf que tout en empruntant pas mal des caractéristiques du cinéma (le montage alterné notamment), l’écriture de King adopte par ailleurs un certain nombre de procédés ou d’approches impossibles à réaliser au cinéma.

Il y a 28 chapitres dans le roman, et à peu de choses près, c’est le nombre de séquences dans un film. Le problème, c’est qu’à l’intérieur de ces chapitres, King y inscrit souvent différentes « séquences » supplémentaires, ce qui reviendrait à faire quelque chose qui ressemblerait à des montages-séquences. Impossible, à moins de se prendre pour Coppola, de s’en tenir à la structure du romancier. Malgré les apparences, aucun scénariste n’aurait pu faire l’économie de pas mal de coupes.

Plus intéressant encore : la manière dont Boam concentre le temps du récit autour de quelques mois si l’on met le prologue à part : cinq ans avant le temps du récit, puis l’histoire semble cantonnée aux saisons froides de la région. C’est peu ou prou un temps très cinématographique. En effet, la durée des événements diégétiques excède rarement quelques mois.

Si à l’époque du cinéma muet, de nombreux mélodrames jouaient sur les possibilités du cinéma de passer d’une époque à une autre, tout le monde s’est peu à peu rendu compte que cette possibilité se heurtait à un problème : changer d’époque implique de modifier l’apparence des personnages, et par conséquent les vieillir. Et c’est rarement crédible.

L’astuce dans le film est capillaire, uniquement capillaire. Les autres personnages n’ont pas à être vieillis parce qu’on ne le voit pas dans l’introduction.

Celle-ci est par ailleurs profondément remaniée : King se perd dans une interminable séquence de jeu de hasard et insiste sur les relations entre les deux amoureux, le tout en mêlant aux passages dédiés à Johnny d’autres concernant deux criminels de l’histoire.

Boam ne se complique pas la tâche : une intro, ça sert à introduire. En cinq minutes, c’est plié.

Astuce amusante, Boam élimine tout le début racontant l’accident de hockey de Johnny pour le réintroduire plus tard, mais cette fois pour l’appliquer au personnage dont le médium est le précepteur : on passe du football et à l’adolescence au hockey et à l’enfance. Boam peut supprimer ainsi toute la partie devenue inutile sur l’épisode de l’incendie.

En condensant l’action sur quelques mois, cela permet également de le faire sur l’élection de Stillson, alors que dans le roman, Johnny suit d’abord l’ascension de Carter et celle du psychopathe se fait plus lente.

Inutile de multiplier les événements précédant la rencontre avec le futur autocrate, et dans le film, l’accent est surtout mis sur l’enquête du tueur en série menant à l’implication d’un des flics de la ville. Toutes ces péripéties dans le roman ont une épaisseur relativement identique. Dans le film, cela vient crescendo et des liens logiques apparaissent : si Johnny accepte la proposition de devenir précepteur (ce qui lui permettra de rencontrer une première fois Stillson), c’est parce qu’il doit faire face à différents événements trop pesants pour lui : la mort de sa mère, la brève relation avec Sarah qui signifie aussi la fin de leur relation, la presse et les fans qui s’intéressent bien trop à lui depuis qu’il a aidé à résoudre les crimes mystérieux dans la région.

Dans le roman, Johnny part vivre des mois, voire des années, à l’ouest du pays où il se fait oublier (évidemment, dans un film, changer ainsi de région, d’univers est quasiment impossible, l’unité visuelle, donc géographique, est trop importante pour la cohérence du film). Ce retrait volontaire (qui se manifeste surtout par une fine ellipse : il ne se passe probablement que quelques jours entre la première rencontre avec l’enfant et la leçon qu’il reçoit chez Johnny dans sa nouvelle maison) et le recours à un enfant plutôt qu’à un adolescent permet de prendre une légère respiration avant de venir à l’événement majeur qui conclura le film (et l’on sait combien King a des difficultés souvent à livrer une fin à ses histoires).

Il n’y a pas que des avantages à se restreindre à de telles coupes : ainsi, les raisons du titre disparaissent dans le film alors qu’elles sont évoquées à la fin du roman. Les migraines qui préfigurent l’état de santé de Johnny et sa tumeur existent dans le film, mais on les attribue à l’accident. L’accident initial (l’harmatia en quelque sorte) transféré ainsi de l’enfance de Johnny à son élève qu’il sauvera de cette fin tragique n’a donc plus de raison d’être si tout l’aspect lié à la tumeur disparaît : Boam s’est passé de ce qui était explicatif dans le roman de King. Aucune raison véritable à justifier médicalement les visions de Johnny, encore moins à précipiter son meurtre en se sachant condamné.

Le film s’achèvera d’ailleurs sur la séquence de l’assassinat raté. King, de son côté, surfe ensuite sur l’émotion et sur l’explication en imaginant des lettres écrites par Johnny. Un tel épilogue se rencontre parfois au cinéma, mais on sent dans le scénario de Boam une volonté d’aller droit au but et de proposer un récit droit, froid, presque clinique, voire scolaire, mais terriblement efficace. Une fois Johnny assuré qu’il avait modifié le futur, il n’y avait aucune raison de s’attarder si autre chose que les larmes de Sarah (que Boam a très judicieusement impliqué dans la campagne de Stillson). Comme pour Shining on dira, Stephen King, c’est encore les autres qui en « parlent » le mieux. L’auteur peut critiquer les adaptations tant qu’il veut, il doit probablement une large partie de son succès à ces adaptations plus réussies que l’original.

Dans ce qu’on peut lire de la biographie du scénariste sur Wikipédia, on comprend que Cronenberg a soumis à Boam une série d’indications qui se sont révélées judicieuses pour gagner encore en simplicité. L’ironie, c’est que dans beaucoup des succès des adaptations des histoires de King au cinéma dans les années 80, la sophistication y est prohibée. Pourtant, les romans n’en sont pas totalement dénués. Elles gagnent ainsi à l’écran un côté conte pour enfants qui aura probablement participé en retour un peu plus au succès du romancier du Maine…


Dead Zone, David Cronenberg (1983) | Dino De Laurentiis Company, Lorimar Film Entertainment

Le Fantôme de Yotsuya, Kenji Misumi (1959)

Théâtre de marionnettes

Note : 4 sur 5.

Le Fantôme de Yotsuya

Titre original : Yotsuya kaidan

Année : 1959

Réalisation : Kenji Misumi

Avec : Kazuo Hasegawa, Yasuko Nakada, Yôko Uraji, Mieko Kondô

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Magistrale adaptation de la pièce de kabuki L’Histoire du fantôme de Yotsuya dont on devine l’héritage théâtral à chaque seconde du film. Aucun souvenir de l’adaptation qu’en avait faite la même année Nobuo Nakagawa (notée 6). Pour un de ses premiers films, Kenji Misumi déploie un sens de la réalisation déjà bien affirmé avec des audaces folles si on compare le film à ce qui pouvait encore se faire dans les studios à l’époque. En dehors peut-être de Kurosawa, celui du montage nerveux des Sept Samouraïs, si on regarde du côté des autres réalisateurs de chambara comme Inagaki ou Tomu Uchida, à la fin des années 50, on est loin de l’approche sophistiquée que Misumi démontre ici à chaque plan et peaufinera au cours des années suivantes (dans Tuer, par exemple).

Je suis loin d’être un amateur de films de fantôme, mais l’astuce ici, c’est que l’aspect horrifique arrive tardivement et n’occupe grossièrement que les vingt dernières minutes. L’horreur est d’ailleurs parfaitement maîtrisée : il faut voir, par exemple, comment le fantôme d’Oiwa se fait passer pour un être encore vivant alors qu’on le voit subtilement flotter dans l’air comme si le fantôme prenait soin de mimer la marche des hommes sans être capable de tromper (au moins) les spectateurs. D’autres idées fantastiques limitent les effets, preuve que c’est souvent quand on en fait le moins que le résultat est le plus réussi : le bras qui sort du sceau (rappelant celui sortant de l’écran dans Ring si j’ai souvenir) ; le corps du mari flottant vers le fantôme qui l’appelle à lui avant de tourner sur place ; l’effet « feu follet » ; la mare de cheveux (ou autre chose) d’où le corps du fantôme finit par apparaître à son mari ; les différentes visions des personnages apeurés en voyant l’image d’Oiwa défigurée à la place des traits d’autres personnages, etc.

Le plus remarquable, c’est encore l’écriture théâtrale du film et la réalisation de Misumi. On le voit, dans beaucoup d’histoires traditionnelles japonaises, la psychologie y est absente. Les représentations sont codifiées et le réalisme n’y a pas sa place. Ce qui est mis en avant dans ce type de récit théâtral (et ce n’est pas propre au théâtre japonais), ce sont les avancées dramatiques. On souligne les oppositions, les conflits, et les personnages dévoilent constamment au public leurs intentions (au moins en confidence ou en petit comité). Comme dans un spectacle de marionnettes ou une bande dessinée, les pensées des personnages n’existent pas. Ils ne sont là que parce qu’ils expriment ostensiblement ce qu’ils ressentent ou ce qu’ils ont l’intention de faire. Même quand un complot (ce qui est le cas ici) se met en place, on en dévoile tous les contours aux spectateurs. Aucune place pour la surprise ou le doute. Tout est ainsi surligné. Quand on est habitués à la subtilité des récits contemporains, à la place de la psychologie, quand on est habitués à se questionner sur le sens véritable des intentions des personnages volontairement rendues floues ou irrationnelles, contradictoires, cela peut surprendre. Ici, au contraire, on touche à la tragédie, à la légende, en faisant des personnages sans profondeur psychologique. Ils représentent des archétypes, parce que dans les histoires d’autrefois, ces récits avaient valeur d’exemple : ces tragédies n’apparaissent pas pour raconter de spectaculaires histoires personnelles, mais pour exposer les comportements de personnages reconnaissables par leur fonction (c’est souvent l’adultère qui façonne ainsi le destin des personnages). Si la trame marche si bien, c’est que chaque archétype semble répondre à un ou deux archétypes opposés. L’exemple le plus marquant, en ce sens, c’est bien celui de la femme dévouée à son mari, Oiwa, qui passe de l’image de la femme parfaite, humble et docile, au fantôme sans scrupules, hideux et maléfique. Toujours aucune place pour la subtilité, c’est de la caricature, du théâtre d’ombres ou de marionnettes (je ne dis pas ça au sens propre, la pièce originale étant destinée au kabuki, contrairement à la pièce ayant inspiré Yoru no tsuzumi, sorti l’année précédente, par exemple, et qui était, elle, destinée au théâtre de marionnettes).

Autre particularité du récit : l’espèce de sac de nœuds qui relie tous les personnages. J’avais exactement eu la même impression récemment avec le Kôchiyama Sôshun de Sadao Yamanaka : il faut un peu de temps pour comprendre tout ce qui relie les uns ou les autres, et une fois que la toile est bien tissée, on tire les fils, et c’est tout le canevas qui de fil en aiguille s’en trouve chamboulé.

Les acteurs jouent en suivant la même cohérence : pas de psychologie, on montre d’un geste, d’un mouvement de tête, ce que le personnage pense ou affirme, toujours à la manière codifiée (pas forcément exactement celle du kabuki) de la scène. Et cela, bien sûr, avec en retour une grande justesse (toujours le tour de force à réussir quand on décide de jouer sur l’aspect théâtral d’une histoire et de gommer toute psychologie).

Certaines pièces adaptées, ou certaines adaptations peuvent paraître hiératiques, mais si on sait bien jouer avec l’aspect théâtral, on peut profiter en retour d’une forme plus ou moins lâche de huis clos dans lequel la tension se fait plus aisément ressentir. C’était ce qu’avait admirablement fait Tadashi Imai dans Yoru no tsuzumi. Misumi ne cherche pas à cacher l’origine théâtrale du récit : les séquences en extérieurs ne sont pas rares, mais elles sont fortement stylisées ; le décor est recherché, on vise à présenter au spectateur un lieu caractéristique, et on se fout ici comme ailleurs du réalisme. Le film est tourné en couleurs, et on devine le cyclorama à quelques dizaines de mètres de l’espace au premier plan. Tout est ainsi reconstitué en studio et Misumi se montre particulièrement à l’aise à découper le cadre au moyen de divers panneaux, embrasures de porte, ou rideaux tout en profitant en permanence de la profondeur de champ qui lui permet de structurer son espace en niveaux de profondeurs distincts (ce cyclo, censé représenter le ciel et l’horizon, est visible depuis de nombreux plans intérieurs). L’ordre géométrique est partout, et le cinéaste met souvent tout ça en mouvement afin de donner à tous ces polygones souvent de papier l’impression de s’agiter au milieu d’un grand origami prêt à se rompre au moindre mauvais geste (ce qui arrive fatalement dès que les katanas sont sortis de leur fourreau).

C’est beau, c’est tendu, c’est tragique. Quoi demander de plus ?


Le Fantôme de Yotsuya, Kenji Misumi 1959 Yotsuya kaidan | Daiei


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La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972)

Note : 2.5 sur 5.

La Dernière Maison sur la gauche

Titre original : The Last House on the Left

Année : 1972

Réalisation : Wes Craven

Avec : Sandra Peabody, Lucy Grantham, David Hess, Fred J. Lincoln, Jeramie Rain

Rien de bien folichon. Une histoire inspirée de La Source qui rappelle par certains côtés Délivrance sorti la même année. Je veux bien que le film en ait inspiré pas mal par la suite (surtout au rayon rape and revenge), mais au fond, le cinéma américain se découvre une seconde vie avec les caméras légères et la fin des restrictions, il est normal d’explorer de nouveaux espaces et limites. La fameuse banlieue qui sera si souvent le théâtre des films d’horreur futurs, on la retrouvait tout autant dans les films noirs et séries B d’antan. C’est parfois si mal filmé qu’on pourrait se penser dans un film de John Waters (le début notamment est terriblement statique) : Pink Flamingos est aussi sorti en 1972. L’air du temps. Tous les chemins, après la dernière maison sur la gauche, mènent à l’horreur… L’Italie, notamment, réalisait déjà de son côté des slashers avec des moyens plus conséquents (sans oublier, l’Espagne, avec l’exemple de La Résidence).

Pour recontextualiser les choses, 1972, c’est l’année de sortie aussi du premier film porno exploité aux États-Unis. Quant à Délivrance, déjà cité, il est peut-être moins cru, mais c’est un film à gros budget avec potentiellement plus d’impact qu’un film indépendant qui ne pourra avoir eu son petit effet que de manière confidentielle. Les outrances aident à taper dans l’œil du spectateur alors que Hollywood semble rebattre les cartes. En 72, le spectateur américain était donc servi, à condition que ces films sortis au même moment aient bénéficié d’une exploitation égale (ce qui est rarement le cas pour de tels films). Massacre à la tronçonneuse, que le film aurait pu éventuellement inspirer viendra en 74. Tandis que La Nuit des morts-vivants, pour recontextualiser encore, c’est 1968.

Loin de moi l’idée de minimiser l’importance du film, mais je pencherais plutôt pour une influence tardive et un jalon dans le cinéma d’horreur que les amateurs du genre auront probablement mal identifié à l’époque. Il y a des modes qui sont lancées par le succès de certains films (la mode des films apocalyptiques grâce à Airport ou Colossus), et il y a des usages qui sont des voies explorées par diverses personnes non pas par mimétisme, mais parce que la voie était désormais libre. Si tous se mettent à faire, indépendamment (dans tous les sens du terme), des films, c’est moins parce qu’ils se copient et se connaissent que le fait qu’ils puissent désormais réaliser des films avec de faibles moyens et le distribuer dans des réseaux de distribution alternatifs. Que ce soit pour les films pornographiques, les audaces de Waters, les slashers et les rape and revenge films, l’histoire est la même.

Cela étant dit, aussi mauvais que le film puisse être, il trouve un second souffle salutaire vers la fin, assez cathartique, je dois avouer, quand les deux parents bourgeois s’en prennent à leur tour aux quatre criminels en fuite. L’humour, typique des films futurs de Wes Craven et de toute une génération de réalisateurs, prisonniers volontaires de l’adolescence, est également le bienvenu. Sans cet humour, pas de catharsis, pas de second degré, et le piège de nombreux films de vengeance dans lequel tomberont les films qui en reprendront le principe : on ne s’amuse plus et cela devient au contraire gênant parce qu’on se pose la question de la morale dans l’histoire.

Craven, au moins, me paraît assez peu ambigu ici. L’avantage de ne pas trop se prendre au sérieux. Dans la catharsis, plus de morale, comme au carnaval : on intervertit les rôles, les codes disparaissent, et on s’amuse pour purger les tensions passées… Quand le père prépare des pièges pour zigouiller les meurtriers de sa fille, façon Maman, j’ai raté l’avion, il n’y a rien de sérieux dans cet exercice. C’est purement cathartique. Les adolescents qui feront le succès des films de Wes Craven dans les décennies suivantes ne regarderont pas ses films par goût du macabre, mais bien parce que c’est amusant. Ceux qui sont dérangés sont ceux qui prennent ces films au premier degré. Si parfois certains films tombent un peu trop dans l’ambiguïté et foutent mal à l’aise (Henry, portrait d’un serial killer, par exemple), c’est que le côté ludique et cathartique du genre semble oublié. C’est loin d’être le cas ici, mais ça n’en fait pas pour autant un bon film.


La Dernière Maison sur la gauche, Wes Craven (1972) The Last House on the Left | Sean S. Cunningham Films, The Night Co, Lobster Enterprises


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X-Files, Chris Carter (1993-2018)

Note : 4 sur 5.

The X-Files

Titre français : Aux frontières du réel

Année : 1993-2018

Création : Chris Carter

Avec : Gillian Anderson, David Duchovny

Brève réponse à un épisode du Podcast C’est plus que de la SF dédié à un épisode de X-Files. (J’essaierai de revenir sur cette page en cas de nouveaux commentaires concernant la série.)

La réussite de duo de personnages doit aussi beaucoup à l’humour. Si la série s’inspire d’autres univers d’horreur SF, à l’image de Star Wars, elle convoque aussi les joyeux duos d’acteurs de l’âge d’or de la comédie américaine. Leia/Solo = Mulder/Scully.

Et paradoxalement, on peut imaginer qu’une partie de l’humour qui sera de plus en plus prononcé soit dû, là encore, comme dans Star Wars, aux acteurs, incrédules face à la qualité qu’ils présumaient des histoires qu’ils interprétaient.

Cela donne un second degré et une autodérision typique des screwball comedies des années 30 et 40 comme New York – Miami (les acteurs pensaient de la même manière participer à un film sans importance – typique chez les acteurs : on se relâche, on ne force pas, et cette simplicité se traduit par une connivence sur le plateau), The Thin Man ou La Dame du vendredi. Un critique américain parle même pour certains de ces films de « comédies du remariage ». On y est totalement avec X-Files.

Un homme et une femme qui n’arrêtent pas de s’opposer, de se contredire, de finir les phrases de l’autre, de prévoir les écarts de l’autre, qui partagent les routines de l’autre parfois avec un pince-nez, mais qui s’adorent sans se l’avouer.

Ce n’est pas surprenant si David Duchovny a connu par la suite le succès avec une autre série humoristique (et pas que). Il avait ce second degré souvent dépourvu à l’horreur SF qui a permis à la série de prendre une autre dimension en rendant possibles des niveaux de lectures supplémentaires là où les mauvaises séries sont plus limitées.

Dans War of the Coprophages, notamment, on sort totalement du cadre balisé de la série pour tirer vers la screwball (voire le n’importe quoi). Signe que c’était un peu les acteurs qui avaient pris les commandes.

Et au fond, X-Files, grâce à ces écarts humoristiques et à son duo vedette, est parvenue à revenir à l’essentiel : les meilleures histoires peuvent souvent se résumer par « un garçon rencontre une fille ».


X-Files, Chris Carter (1993-2018) | 20th Century Fox Television, Ten Thirteen Productions


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Last Night in Soho, Edgar Wright (2021)

Not all men

Note : 2.5 sur 5.

Last Night in Soho

Année : 2021

Réalisation : Edgar Wright

Avec : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Diana Rigg, Terence Stamp

 

Les joies du confusionnisme. Pendant près d’une heure, on s’agace en voyant cette pauvre gamine ne pas aller voir un psychiatre, tout dans ses visions faisant penser à de la schizophrénie. Cela n’aurait rien coûté de balayer rapidement cette hypothèse ou d’inventer un subterfuge en guise de justification pour ne pas avoir à le faire (comme on le fait pour justifier de ne pas appeler les policiers dans un film criminel). On lève alors les yeux au ciel en comprenant au moment du dénouement que ses visions s’appuient sur des événements réels… qu’elle identifiait mal. L’horreur, le fantastique, c’est bien, mais quand ça tient d’une explication moisie justifiée sur le tard, on s’enfonce rapidement dans le ridicule. Et c’est d’autant plus vrai, pardon, mon cher Edgar (pas Poe), que les hallucinations de la gamine n’ont rien de simples visions rattachées à un espace hanté ou à une quelconque sorcellerie : quand elle est dans la bibliothèque et qu’elle attaque une élève suite à des hallucinations, c’est typiquement un type de situation que l’on peut rencontrer avec des schizophrènes. Pour le coup, aucun rapport avec un passé bien réel… Ne pas donner des explications à son comportement à ce moment-là est plutôt problématique… Première confusion qui me pousse à faire “beuh”.

Second niveau de confusion : le rapport aux victimes, aux mâles comme la société actuelle ne veut plus en voir (des prédateurs, pour faire court) et aux assassins. Déflorons l’intrigue. Une étudiante s’installe dans une vieille chambre dans le quartier de Soho ; elle ne tarde pas à avoir des visions sur une aspirante chanteuse dans les années 60 et « apprend » qu’elle aurait été abusée par une série d’hommes que son manager lui aurait fait rencontrer. Ses visions lui indiquent bientôt que cette chanteuse aurait été assassinée par ce même manager parce qu’elle ne se pliait pas à ses exigences ; elle pense y voir un crime non résolu, et court en informer la police qui ne la prend pas au sérieux. Arrive le twist où les masques tombent, et patatras, l’assassin était en fait la victime, la logeuse, qui s’en serait prise aux hommes qui l’avaient précédemment abusée. Donc, quoi ? Finalement,… not all men ?

Dans ses visions, quand elle comprend que ceux qu’elle croyait être, seulement, ses bourreaux sont aussi les victimes assassinées par sa logeuse, elle refuse de les aider quand ils lui demandent son aide. Soit, c’est de bonne guerre. La réplique est amusante d’ailleurs, très esprit metoo radical. Sorte de revenge movie par procuration. Sauf que les implications dramatiques deviennent difficiles à justifier : la gamine comprend le fin mot de l’histoire alors qu’elle est censée être sous somnifère (elle retrouve toutes ses facultés, on se demande comment), et si elle refuse de venir en aide aux abuseurs devenus à leur tour victimes qu’elle voit en hallucinations…, de quel côté va-t-elle se placer quand la mamie psychopathe (victime autrefois de ces abus mais devenue par la force des choses une tueuse en série) se trouvera en face d’elle ? Tu as trois secondes pour réfléchir, lady, parce que mamie arrive enfin de sa longue montée des escaliers ! Alors ?… Inutile de réfléchir, mamie décide pour toi. Et que tu sois une fille ou un mec, pour la boomeur, ça ne change rien à l’histoire : la sororité, elle la poignarde en plein cœur ! Aucun respect pour les féministes 2.0, ces bonnes féministes des 60’s qui ont mal vieilli.

Sérieusement, faut pas pousser mamie dans les orties, ça n’a aucun sens. Confusionnisme total. L’ironie, sans doute, c’est probablement encore qu’on ait affaire ici à une sorte de justification par l’absurde du mouvement metoo par ceux qui justement sont les moins bien placés pour en justifier les excès : les hommes. Confusion et tartufferie. Si on voulait résumer en un film d’absurdité de metoo, il aurait bien sûr fallu y mettre un peu de male gaze. « Mesdames, je vais faire un film pour vous défendre, vous, les victimes. Ce sera trash. Les hommes vont en prendre pour leur grade. » « Cool. » « Et puis, le twist est génial. » « Ah ? » « À la fin, c’est la femme qui est coupable. » « Heu. »

Dans Scary Movie, parfois, on peut être amusé de ne plus savoir qui sont les assassins et les victimes. Mais c’est volontaire. Ici, on rit jaune (giallo peut-être), parce que plus personne ne semble savoir qui sont les agresseurs ou les victimes ou les deux. Le film d’une époque, assurément où chacun voudrait pouvoir prétendre juger de qui est qui alors que le monde n’est, pour nous et à notre petite échelle, qu’un grand flou halluciné. La vie n’est pas une fiction : la première chose à faire, c’est d’aller voir la police, de laisser faire la justice, et de surtout ne jamais se fier à ses intuitions. Les intuitions traduisent le monde comme on veut le voir ou comme on le craint ; elles nous rendent surtout les choses simples, créent un récit cohérent avec peu de matière. Un récit, ce n’est pas la réalité. Pas plus que la gamine dans le film, on n’est apte à juger de ce que l’on pense voir ou comprendre. Connaissant son passif familial, elle aurait dû s’en remettre à un psy, comme nous n’avons d’autre choix que de nous en remettre à la justice quand surviennent des faits dont la nature précise reste floue. Intuitions, hallucinations, même combat. Si le film pouvait au moins servir à cette conclusion, ce serait déjà pas si mal, mais je suis probablement le seul à forcer ainsi cette interprétation. Le confusionnisme a ses vertus : je m’efforcerai toujours à trouver un sens personnel à un grand n’importe quoi. (Quand le film que l’on vous propose est mauvais, tentez toujours d’y créer le vôtre.)

Tout cela est bien dommage, parce que tout le reste est parfaitement réussi (production, réalisation, interprétation, musique). Plaisant à regarder, mais indéniablement mal fichu.


Last Night in Soho, Edgar Wright (2021) | Focus Features International, Film4, Perfect World Pictures


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Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon (2016)

Note : 4 sur 5.

Dernier Train pour Busan 

Titre original : Busanhaeng

Année : 2016

Réalisation : Sang-ho Yeon

Avec : Gong Yoo, Jung Yu-mi, Ma Dong-seok

Peut-être plus qu’un film de zombie. Alors que le prequel est complètement raté (Seoul Station) en faisant surtout d’une vraie zombie (au sens figuré) une fille perdue qui attend que son petit copain qui la prostitue vienne la sauver (je crois qu’on ne pourra pas faire plus terrorisant au rayon du sexisme : une victime demandant l’aide à un homme qui la maltraite, et cela au premier degré, c’est littéralement le canevas du film avec une chute qui arrive même à enfoncer le clou), eh bien, tout l’aspect émotionnel ici est parfaitement conçu. C’est bien sûr très convenu, mais vu l’écart lamentable et la faute de goût de Seoul Station, il faut savoir s’en satisfaire. La relation entre la fille et son père, puis celle entre le malabar et sa femme enceinte, c’est vraiment ce qui donne au film sa saveur. Et je crois surtout que je suis fan de Ma Dong-seok qui était déjà responsable en bonne partie du succès du Gangster, le Flic et l’Assassin.

Plus qu’un film de zombie aussi parce que dans la tradition des meilleurs films du genre (et c’est peut-être le genre que j’aime le moins au monde), on y retrouve une satire assez féroce de nos sociétés contemporaines. La critique ici est peut-être moins sur le consumérisme qu’autrefois, mais plus sur l’égocentrisme de nos sociétés. La gamine rappelle à son père que c’est pour ça que sa mère les a quittés (la vérité sort de la bouche des enfants) ; le vagabond, plusieurs fois, leur sauve la mise (c’est donc le type dont notoirement personne ne se soucie : dans une voiture remplie a priori de personnes saines à un moment, l’un d’eux explicite bien la valeur supérieure des personnes qui ont des proches à l’extérieur qui les attendent ou pourraient avoir besoin d’eux) ; et bien sûr, on n’échappe pas à la caricature de l’homme influent cherchant à s’en servir pour échapper coûte que coûte aux « fous » au détriment de tous (alors que le personnage principal est lui au contraire pendant tout le film dans une sorte d’apprentissage : l’influence est inverse, il passe du trader égocentrique à l’homme qui se sacrifie pour ceux, et celles, qui lui ont justement fait la leçon). C’est une belle morale à l’histoire : dans ces situations, on sait que les puissants s’en sortent le mieux, non, comme on le disait à une époque où on avait plus d’honneur et moins la fibre sociale : « les femmes et les enfants d’abord ».

Les blockbusters coréens font souvent dans la morale suspecte en tirant facilement sur les « méchants », caricatures sans ambiguïté du mal ; pour une fois que la satire (ou la critique sociale) est réussie, il ne faut pas bouder son plaisir. Ce n’est d’ailleurs pas si loin de la morale qui fera le succès de Parasite. Ironiquement, il me semble que ces deux films ont été tournés dans une rare période dirigée par une politique de centre gauche. Déjà depuis, le pays est retombé aux mains de la droite. Ironiquement encore (ou pas), si on peut voir aussi le film comme une sorte de mauvais présage des comportements qui verraient le jour avec la pandémie, l’excellente gestion sanitaire du pays était à mettre au crédit d’un pouvoir qui pour la première fois mettait au cœur de sa politique la préservation de la santé de tous au détriment de l’économie ou des libertés individuelles (même s’il me semble que ça se joue parfois à rien : si autant de précautions ont été prises pour éviter une épidémie domestique, c’est qu’un confinement y aurait été illégal). Peut-être que la bonne santé des œuvres, quand elles proposent une satire fine du monde dans lequel elles évoluent, permet aux forces démocratiques d’un pays de rester plus efficacement en alerte et ainsi à la société de mieux réagir face aux nouvelles menaces… (Oui, je suis en train — parti pour Busan — de faire un raccourci entre film de zombie, pandémie et gestion sanitaire d’un pays.)


Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon 2016 Busanhaeng | Next Entertainment World, RedPeter Film, Movic Comics