Tournez manèges

Ils étaient neuf célibataires

Année : 1939
Réalisation : Sacha Guitry
Avec : Sacha Guitry, Max Dearly, Elvire Popesco
— TOP FILMS —
Pour moi, l’un des meilleurs films français d’avant-guerre. Les personnages, les situations, et surtout les mots… de Guitry ! Évidemment il faut aimer les jeux de mots, les reparties, l’esprit de Guitry et le personnage qu’il joue dans ses films, sorte d’escroc séducteur (un Clooney français de l’époque : pas tout à fait le même look mais la même dérision, la même insolence mouillée dans une classe et un flegme presque britannique).
Il ne faut pas voir ses films pour suivre une histoire, car chez Guitry, il y a toujours un procédé. La forme prime toujours sur le fond (qui de toute façon est toujours le même : « Cette fille me plaît, je dois la séduire, mais comment ? »), ce n’est donc jamais réaliste, les situations au final sont tirées par les cheveux, mais on se plaît à y croire parce qu’on entre dans le jeu de Guitry qui ne trompe pas : on comprend tout de suite que c’est une fantaisie où les mots les situations absurdes primeront sur l’histoire. D’ailleurs le plaisir de Guitry (et le nôtre) est de mettre dans une situation similaire (et en trois actes) huit personnages. En deux mots : les étrangers vivant en France vont bientôt être obligés de repartir dans leur pays à cause d’un nouveau décret (du Sarkozy de l’époque sans doute, sauf que là il ne s’agit pas de Maliens, mais de comtesse polonaise ou de danseuse japonaise… — la classe de Guitry, que certains trouveraient sans doute démodée aujourd’hui), bien sûr Guitry tombe amoureux de cette comtesse polonaise (comme ça en un regard : voilà pourquoi rien n’est réaliste, il ne s’embête pas avec la vraisemblance, ce n’est pas son sujet ; car le sujet, c’est comment il va parvenir à la faire tomber dans ses bras alors même qu’elle le trouve insolent, français quoi…). Et puisque Guitry est un escroc (l’intro sur l’apologie de l’escroquerie est un bijou), il ne peut trouver un autre moyen pour la séduire que de monter une arnaque… Le voilà donc qui crée à Neuilly (c’est toujours là où tout finit toujours par commencer…) un institut de vieux célibataires FRANÇAIS ! Un gros n’importe quoi. Mais chez Guitry, plus c’est gros, mieux c’est (toujours la forme, l’excentricité…). Et très vite les étrangères se bousculent pour se “marier” avec les huit (et pas un de plus) célibataires qui sont en fait tous des vagabonds qui se sont passé le mot… Une bonne partie du film repose donc dans un premier temps à la rencontre forcément étonnante entre ces femmes étrangères (sauf une bien française, exerçant un métier bien français de l’époque…) et ces vagabonds. Le génie de Guitry c’est que pour l’instant, il n’y a pas d’arnaque puisqu’il ne ment pas sur ses intentions ni aux uns ni aux autres (sauf bien sûr aux autorités) : un petit arrangement gagnant-gagnant… L’escroquerie viendra après (pas la peine de dévoiler ça car c’est une chose qu’on prend plaisir à découvrir dans le film puisque c’est une chose qui titille Guitry — il dit lui-même qu’il improvise dans ces escroqueries et qu’il trouvera au moment venu comment rallier tout ça à sa dame polonaise). Le film prend encore une autre saveur quand les vagabonds alors mariés décident d’aller « dire bonjour » chacun à leur manière à leur “femme” — et c’est bien sûr autant de scènes et de situations hilarantes…
Bref un chef-d’œuvre. Pas le Guitry le plus connu mais sans doute mon préféré.

Ils étaient neuf célibataires, Sacha Guitry 1939 | Les Films Gibé