Un dimanche comme les autres, John Schlesinger (1971)

Note : 4 sur 5.

Un dimanche comme les autres

Titre original : Sunday Bloody Sunday

Année : 1971

Réalisation : John Schlesinger

Avec : Peter Finch, Glenda Jackson, Murray Head

S’il n’y aurait probablement pas eu de Nouvel Hollywood sans nouvelles vagues européennes, je ne suis pas sûr qu’on mesure à quel point John Schlesinger a participé à l’importation de ces nouveaux usages à Hollywood. Dans le Nouvel Hollywood, comme précurseur, on évoque surtout Bonnie and Clyde, Le Lauréat ou Easy Rider, et certes, leur succès a obligé les studios à revoir leur copie, mais sur le plan formel, je trouve Medium Cool et le Macadam cowboy de John Schlesinger bien plus représentatifs des techniques qui se mettront en place dans la décennie qui suit.

Les pellicules couleur sensibles et abordables, les petites caméras, les dispositifs sonores améliorés, toutes sortes d’avancées techniques ont permis l’essor d’un nouveau style, plus direct, voire d’un nouveau langage cinématographique. On s’autorise plus souvent les surimpressions abandonnées depuis le temps du muet ; on adopte des zooms et des longues focales renforçant les flous. Les mouvements d’appareil sont nombreux et les vues subjectives ne sont pas rares. À côté de ces nouvelles possibilités techniques, les cinéastes s’aventurent plus volontiers aussi vers des récits plus « modernes » : les drames ne sont plus construits autour d’enjeux définis forts et des confrontations évidentes s’achevant par une résolution, on écrit des chroniques, les histoires servent à illustrer l’humeur d’une époque, d’une société.

Il y avait tout ça dans le cinéma européen des années 60, John Schlesinger l’a exporté en Amérique en tournant sur la côte est Macadam cowboy, et le voilà qui enfonce le clou deux ans après à l’occasion de son retour en Angleterre avec Un dimanche comme les autres. La forme du film est tellement représentative de ce que j’ai décrit plus haut et les productions sont parfois si perméables à l’époque entre États-Unis et Grande-Bretagne qu’on pourrait même l’associer au Nouvel Hollywood. En cette année 71 d’ailleurs, les films adoptant ces nouveaux usages (désormais plus aux États-Unis qu’en Europe qui va amorcer à partir de là un déclin par rapport à la décennie précédente) sont nombreux. John Schlesinger en reste à la chronique amoureuse alors qu’en Amérique, c’est surtout le thriller qui profite le plus de ces nouvelles formes (le réalisateur y viendra avec Marathon Man), mais le virage formel est identique. Pour ne citer que les films les plus représentatifs, pour cette seule année 1971, nous avons donc un axe automobile avec French Connection, Macadam à deux voies, La Dernière Séance, Duel, THX 1138, Point limite zéro, un autre que l’on pourrait qualifier d’eastwoodien avec Les Proies, L’Inspecteur Harry et Un frisson dans la nuit, et un axe new-yorkais avec Klute, Panique à Needle Park et Minnie et Moskowitz (on pourrait ajouter à cette liste Les Chiens de paille que Sam Peckinpah vient tourner en Grande-Bretagne avec l’acteur marquant de cette première vague du Nouvel Hollywood, Dustin Hoffman).

On trouve donc tous les aspects formels du Nouvel Hollywood dans Un dimanche comme les autres : récits éclatés, voire mêlés (tout le film est une alternance de séquences centrées sur deux amants d’un même homme auquel, parfois, mais pas toujours, il prend part), pas d’enjeux forts (simple description d’une situation suffisamment représentative d’une époque pour ne pas en faire un objet de conflit : en dessiner les différents contours et limites suffit à rendre le film intéressant, surtout sur un plan social et psychologique) ; usage du zoom, du téléobjectif, de mouvements de caméra (voire de vues subjectives illustratives participant à une sorte de montage impressionniste), de surimpressions ; importance majeure du son hors-champ (parfois même extradiégétique : récit en voix-off ou son d’une autre séquence forçant un dialogue inattendu entre perception sonore et visuelle jusqu’à se demander lequel des deux illustre l’autre — de quoi rappeler certaines scènes d’Il était une fois en Amérique), nombreux inserts (plans sur la mécanique téléphonique à chaque appel manqué ou reçu ; le thriller paranoïaque utilisera abondamment ce procédé, car il provoque une forme évidente de suspense — un usage déjà présent dans les films d’anticipation comme THX 1138, sorti la même année, ou dans Le Cerveau d’acier). Et bien sûr (en Europe, on avait adopté ces usages depuis longtemps), le film multiplie les séquences tournées dans la rue ou dans un véhicule en marche.

Pour ce qui est du sujet de la chronique amoureuse, elle recèle son lot, peut-être pas d’innovations, mais d’avancées sociales propres à une époque : le triangle amoureux est vécu sans grande tragédie (on évite les conflits sans pour autant cacher les difficultés, la solitude, la jalousie), et il implique deux hommes (et cela, sans que l’on fasse de ces hommes des caricatures d’homosexuels névrosés et pervers).

Je m’épate régulièrement des films dans lesquels le double jeu et le sous-texte permettent une sorte de musique à deux mains. On y est pleinement dans ce récit qui se refuse aux grands éclats et qui adopte une approche descriptive presque transversale pour illustrer le drame (ou la condition) d’un triangle amoureux plus ou moins imposé, mais connu et accepté par chacun. D’un côté, le récit expose des situations anodines de la vie quotidienne centrée sur deux des trois protagonistes (les deux connaissant l’existence de l’autre sans partager sa vie et avec des règles rappelant celle de la garde alternée, d’où le titre), c’est la mélodie ; et de l’autre, côté harmonie, le récit qui, sans l’air d’y toucher, évoque les particularités, les non-dits, les mensonges (dans une société réprouvant à la fois les couples libres et les homosexuels), les dépendances affectives et la jalousie épisodique, la solitude, l’égoïsme (l’électron libre finit par quitter ses deux amants pour rejoindre l’Amérique : le médecin de la TWA lui souffle que San Francisco vaut le détour). C’est une jolie manière de dévoiler les choses sans condamner qui que ce soit, l’art du fait accompli : les personnages acceptent leur sort et nous avec. La révolution sexuelle à la sauce britannique et bourgeoise en somme. Une révolution silencieuse et sans vague.

À noter un passage de témoin incongru entre la standardiste apparaissant dans quelques séquences et un petit loubard : le second est joué par Daniel Day-Lewis, la première, par Bessie Love, ancienne star de muet qui tenait par exemple le rôle-titre de Bessie à Broadway (Frank Capra, 1928) et pionnière du cinéma américain (elle a commencé en 1916 notamment avec Douglas Fairbanks, Allan Dwan, Griffith ou William S. Hart). Un siècle de cinéma vous contemple.


Un dimanche comme les autres, John Schlesinger 1971 Sunday Bloody Sunday | Vectia, Vic Films Productions


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L’Art d’être aimé, Wojciech Has (1963)

Poupée de son

Note : 4 sur 5.

L’Art d’être aimé

Titre original : Jak byc kochana

Année : 1963

Réalisation : Wojciech Has

Avec : Barbara Krafftówna, Zbigniew Cybulski, Artur Mlodnicki, Wienczyslaw Glinski

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L’art de la mise en scène de Wojciech Has

On est en 1963, et bientôt, ce type de mise en scène passera à… l’Has. C’est pourtant une manière de faire qui m’a toujours plus séduit que les méthodes de jeu jugées plus naturelles qui tendront à s’imposer par la suite. Il s’agit d’une mise en place particulièrement adaptée ou attachée dans l’imaginaire collectif au noir et blanc. En voici les deux caractéristiques principales : un jeu mécanique qui donne à voir à chaque seconde une expression ou un geste ; un centre unique d’attention ou dans le cas d’un plan large une recherche de cohérence dans les mouvements pour éviter la multiplication des centres d’attention et l’impression de chaos ou d’improvisation.

Comme ailleurs dans mes commentaires, à noter que dans mon vocabulaire, « mise en scène » se rapporte presque toujours à la direction d’acteurs, à leur mise en place (j’y intègre également, par principe les éléments que l’on nomme au théâtre « scénographie », autrement dit les accessoires et les décors). J’oppose ainsi tout ce qui est censé apparaître dans le champ (la mise en scène) ou dans l’univers diégétique du film (le hors-champ) à tout ce qui a trait à la technique d’appareils ou de montage (la réalisation). Je ne traite ici que de la mise en scène (j’évoque en fin de commentaire, brièvement, les mouvements de caméra).

Organisation du mouvement

Un jeu mécanique, précis et un centre d’attention unique, ces détails ne peuvent pas être décidés par les acteurs seuls. C’est une partition que le metteur en scène décide et organise seul. Les acteurs peuvent proposer des gestes, des expressions, des placements ou des mouvements lors des répétitions ou des prises, mais c’est bien celui qui dirige toute cette mise en place qui organise leur mise en œuvre, choisit de les adopter ou non, parce que c’est une question de coordination et de pertinence. Quand une mise en place est aussi précise, certains peuvent la trouver trop mécanique ou théâtrale, mais toujours, elle donne à voir et organise les choses (dont le récit, l’impression visuelle) afin qu’on ait l’impression que chaque chose est à sa place et paradoxalement s’organise naturellement.

Le réel est un chaos, on multiplie les gestes non signifiants, on se percute, on s’interrompt, on parle en même temps. On filmerait cette “nature” du réel qu’on n’y comprendrait pas grand-chose. Avec de l’improvisation (sauf quand elle est bien dirigée), les acteurs ont la mauvaise manie d’en faire trop, et ça devient vite une catastrophe. Même sans improvisation, en réalité, dans la plupart des films actuels, les acteurs sont laissés à leur sort : on s’assure qu’ils ont appris leur texte, le metteur en scène leur indique des positions, ils se mettent d’accord sur la situation, et basta. Tandis qu’avec d’autres cinéastes, comme au théâtre, on décide pour chaque seconde ce qui apparaîtrait dans le champ : gestes, regards, interactions, pauses, déplacements. En plus de donner une impression mécanique, il est assez simple de remarquer ce type de mise en scène travaillée : le jeu est décomposé, c’est-à-dire que les acteurs prennent soin de ne pas mélanger les répliques avec des gestes ou des expressions significatives. Les choses se font l’une après l’autre.

Les metteurs en scène choisissent au mieux parfois la place de la caméra, ils donnent des indications générales aux acteurs, mais très rarement dans les commentaires de film, on parle de ce qui parfois est l’essentiel : la mise en place. Vous ne verrez jamais des critiques faire l’éloge de la qualité d’une mise en place. Cela n’a jamais été leur sujet. Bonne ou mauvaise, riche ou pauvre, ils ne sauront pas faire la différence. Pourtant, c’est un savoir-faire qui apporte en réalité énormément à un film : elle permet de travailler sur le sous-texte, d’agrémenter sa mise en scène d’allusions, de regards en coin, d’expressions variées (souvent en réaction discrète et en contrepoint), d’améliorer la présence et l’autorité des acteurs à l’écran, etc.

Quelques exemples pris au hasard pour illustrer la nature de ces petits gestes, expressions ou mouvements qui ne sont pas le fruit du hasard ou de l’inspiration d’acteurs sur le moment.

Premier exemple

Au moment de nettoyer la table une fois que les officiers nazis et le collabo s’en vont après que leur voisin, l’acteur de théâtre, leur a manqué de respect, la serveuse, le personnage principal du film, rend au collabo discrètement ses gants et son étui à cigarettes. Elle ne le regarde pas, mais son regard se pose ostensiblement ailleurs. C’est le signe que c’est un geste délibéré pour insister sur la tension et la nécessité de faire attention à ce qu’on fait en présence des occupants. C’est plein cadre, on ne voit que ça au moment où l’actrice est face à la caméra alors que les autres se retirent à l’arrière-plan et qu’elle leur tourne le dos. Il n’y a rien de naturel ou d’improvisé : elle fait un geste à la fois, une expression à la fois, et dans ce genre de direction d’acteurs, on donne à voir à chaque instant. Le metteur en scène ne décide pas forcément de toutes les nuances d’expression que les acteurs apportent à leur jeu, mais un geste comme celui-ci peut difficilement être improvisé (même si l’imprévu n’est pas rare non plus ; on en voit d’ailleurs un exemple, puisqu’il s’agit d’une histoire d’acteurs, plus tard dans le film lors de la séquence radiophonique durant laquelle l’actrice surprend son partenaire obligé de s’adapter à ses improvisations).

La mise en place, la direction d’acteurs, disons, volontaire, souvent, ça donne cette impression de jeu mécanique : tac, tac. Une mise en scène précise, structurée, significative (elle donne à voir), et que d’aucuns qualifieraient de “théâtrale”. Quand on écrit un récit (ou une critique de film), on fait ça proprement, on structure les événements, on décide quoi montrer, on dévoile les choses les unes après les autres. La mise en place au cinéma, certains cinéastes savent ou préfèrent faire pareil. Cela ne veut pas dire que ceux qui ne maîtrisent pas la mise en place et la direction d’acteurs feront systématiquement moins bien, disons en tout cas que ceux qui connaissent cette manière de faire auront souvent ma préférence. Trop souvent, on insiste beaucoup chez les commentateurs de films sur l’aspect formel de la réalisation quand cela concerne la caméra (les mouvements d’appareil, les angles de vue, le montage) et presque jamais sur la mise en place et la direction d’acteurs. Je ne m’expliquerai jamais ce tropisme. Méconnaissance, préférence, désintérêt ?

Deuxième exemple

Dans la même séquence ou un peu plus tard, un soldat nazi prend un homme par le col pour le rejeter un peu plus loin. C’est un geste en arrière-plan, au même moment, bien autre chose se passe dans le champ. Pourquoi est-ce significatif ? D’abord, parce que ça illustre à mon sens pas mal la situation : les soldats sont menaçants et n’hésitent pas à user de violence sur la population. Surtout, aucun figurant n’oserait prendre l’initiative d’un tel geste, seul. Il arrive que des metteurs en scène décrivent à des foules d’acteurs et de figurants une situation et leur demandent d’agir en conséquence, mais le résultat est presque toujours chaotique avec des imprévus rarement allant dans le sens de la situation que l’on voudrait voir se développer dans le champ. C’est donc, là encore, le signe que c’est une indication du cinéaste à un figurant pour donner à voir à ce moment-là. Le geste est répété au préalable : les acteurs savent où commence le mouvement, où ils doivent finir et ce qu’ils font par la suite. Une telle mise en place réclame toujours des heures de travail. Parce qu’il ne faut pas croire que metteur en scène et acteurs trouvent tout de suite le geste qu’il faut… Bien sûr, en voyant le résultat, tout paraît naturel, peut-être un peu mécanique, mais en réalité ce sont des heures de répétitions et de travail en amont. C’est justement parce que ça paraît simple que ça prend du temps à coordonner. Et je serais prêt à parier qu’aujourd’hui encore plus, la majorité des cinéastes dédaignent ce travail de mise en place, par choix ou par méconnaissance. Un cinéaste donnerait des indications à ses acteurs principaux et un assistant-réalisateur (ou je ne sais qui) en donnerait d’autres, d’ordre général, aux figurants. Avec un résultat, je l’ai dit souvent chaotique : certains proposent des mouvements au même moment, on se percute, d’autres figurants restent au contraire parfaitement statiques et semblent assister en spectateur à la scène, bref, on tâche de faire comme dans la réalité, on y retrouve certes son aspect chaotique, mais non, l’improvisation mal dirigée, cela a ses spécificités, et dans les séquences avec des figurants appelés sur le tard, on voit vite qu’ils se sentent comme des potiches au milieu des acteurs professionnels. Je le répète : combien de cinéastes avant de réaliser leur premier film ont déjà travaillé avec des acteurs ?

Voilà pour ces quelques détails. Inutile d’en faire plus : ce sont deux exemples, en réalité, chaque seconde du film pourrait illustrer ce que je veux dire.

Réalisation

Pour le reste, Wojciech Has n’en est pas encore aux grandes reconstitutions ou aux décors extravagants de La Poupée ou de La Clepsydre. On serait plus dans une forme de classicisme très cadré de cinéma d’intérieurs comme pouvait l’être Le Nœud coulant. Le talent de Has, il est de parvenir en très peu de plans extérieurs à nous restituer le contexte de la guerre dans une ville polonaise occupée, puis libérée. Les jeux de raccords avec les fenêtres sont ainsi primordiaux. Les fenêtres (une fenêtre en particulier) jouent même un rôle crucial dans le récit et dans la symbolique de la mise en scène de Wojciech Has : le premier plan en flashback nous montre presque brusquement l’une de ces fenêtres, sans que l’on comprenne le sens de cette évocation brutale.

À la Ophuls, on voit le cinéaste polonais déjà habile à suivre ses acteurs avec des travellings d’accompagnement. Rien encore de tape-à-l’œil : c’est propre, discret et efficace. L’idée est d’être toujours au plus près des acteurs tout en leur permettant d’évoluer dans un espace souvent limité par un décor d’intérieur et, si nécessaire, de les cadrer avec d’autres acteurs quand on peut y trouver des actions simultanées et qu’elles se répondent. Montrer ainsi le personnage principal en regarder d’autres du coin de l’œil, dans le même cadre, cela permet de proposer rapidement un sous-texte, pas forcément essentiel, mais qui illustre bien une situation et l’atmosphère, baignant dans la nostalgie et la solitude, du film. Ça colle d’autant plus que le film est un long récit à la première personne, et que ça fait sens d’intégrer ce qui pourrait presque s’apparenter à des apartés silencieux ponctuant les longs flashbacks narratifs racontant les épisodes marquants de la vie de cette actrice pendant et après la guerre.

Les acteurs

Les acteurs sont parfaits. Dans un parfait rôle d’appoint, on remarque la présence d’une des figures majeures du cinéma d’après-guerre polonais, Zbigniew Cybulski, notamment dans les films de Wajda, et qui tournera avec Wojciech Has Le Manuscrit trouvé à Saragosse. Il disparaîtra relativement jeune, à 40 ans, percuté par un train. Destin opposé pour sa partenaire, Barbara Krafftówna, présente pratiquement dans tous les plans du film, et qui est décédée seulement l’année dernière à l’âge respectable de 93 ans. Cela semble être en tout cas ici son rôle le plus marquant de sa carrière. On peut difficilement rêver meilleur rôle. Son personnage s’apprêtait à jouer Ophélie, la guerre l’en a empêché. Et Ophélie n’est en effet jamais bien loin. L’actrice échappera à la folie et au reste, mais son cher Hamlet lui en fera d’autres…

L’histoire

Difficile de trouver meilleur rôle pour une actrice, car en plus de ces atouts formels, le film est parfaitement écrit et tragique comme il faut. Le personnage principal, une actrice, se rend à Paris en avion, et depuis son siège se remémore les épisodes marquants ayant fait de sa vie sentimentale un désert (le titre du film semble un poil ironique et désabusé). Elle apprendra vers la fin du film que lors du premier voyage en avion, on a coutume de dire que les passagers revoient leur vie défiler. Elle en sourit, car c’est précisément ce qu’elle a fait depuis une heure. Sa carrière d’actrice est donc interrompue par la guerre, et à la suite d’une brouille entre un acteur et un groupe de soldats dans le bar où elle travaille, elle propose à l’acteur de l’héberger chez elle pour lui permettre d’échapper à la police. Éprise de son ancien partenaire de jeu, elle le cache ainsi pendant toutes les années de guerre dans son appartement. Son amour est loin d’être réciproque. L’acteur lui fait comprendre qu’une fois la guerre finie, il filera vite hors de ce qui pour lui est une prison. Avant ça, de son côté, sa protectrice lui fait savoir qu’une rumeur sur sa mort circule dans la ville, et il a comme un pressentiment que ça ne présage rien de bon.

L’un des premiers tournants tragiques du film, c’est quand deux soldats viennent fouiller chez l’actrice et qu’ils en profitent pour la violer à tour de rôle. Pour ajouter à son malheur, quand elle court vers l’acteur caché sous des matelas, il est tellement mal au point qu’elle doit s’occuper de lui, et alors qu’elle pensait au moins trouver un peu de réconfort auprès de lui, que nenni, le bonhomme n’a probablement rien entendu. Double peine.

La guerre s’achève, mais les problèmes continuent. Comme il l’avait promis, l’acteur fuit sans demander son reste (puisqu’on était dans les détails de mise en scène, en voilà un autre : il pensait s’échapper en profitant de l’absence de sa protectrice, mais elle le trouve à temps juste avant son départ en train d’emballer tel un voleur un gros morceau de saucisson…). On a connu mieux comme remerciements. Et puis, comble de la déveine, à l’image de ce qu’il se faisait en France dans l’immédiate après-guerre, les nouveaux maîtres des lieux règlent leur compte avec les collaborateurs. Comme pressenti plus tôt par l’acteur en entendant qu’on le pensait mort, personne n’a eu connaissance de leur situation : personne n’était au courant. D’un côté, on reproche à l’actrice d’avoir travaillé pour les Allemands (un ami lui reproche de ne pas se défendre en n’évoquant pas le fait qu’elle ait caché une personne recherchée, mais elle n’a aucune preuve), et de l’autre, on apprendra quelque temps après que l’acteur était suspecté d’avoir été de mèche avec la Gestapo parce que personne ne savait où il était passé pendant toutes ces années… Il y a un côté savoir-faire et faire savoir dans leur malheur commun : ils se sont tellement bien caché que personne n’était au courant et que personne ne peut désormais imaginer une telle histoire… Si vous êtes des héros, rappelez-vous que l’essentiel pour tirer profit de votre héroïsme, c’est d’en faire la publicité et de connaître les bonnes personnes pour raconter votre histoire… On a connu des acteurs plus habiles en la matière.

Bref, des années après, lui est devenu alcoolique, et puisqu’une femme amoureuse, c’est une femme un peu idiote, elle lui propose de revenir loger chez elle. Bien entendu, tout ne se passe pas comme elle l’aurait espéré. Faites sortir le malheur par la porte, il entrera par la fenêtre. Elle file ensuite pour la capitale et se fait remarquer dans une émission radiophonique qui lui vaut son succès. Pèsera sur elle toujours le regret de n’avoir jamais été en mesure de passer maître dans l’art d’être aimé…

La dernière image du film est bouleversante. L’hôtesse de l’air qui s’est un peu prise d’affection pour elle en la voyant enchaîner les verres de cognac lui propose un café : l’avion va atterrir, signe que le défilement de son passé prend fin. Regard dans le vague, regard perdu. Et malgré son émotion, elle cherche à faire bonne figure. L’image bouleversante d’une femme trahie par les hommes, souillée en silence pendant la guerre, accusée de ce qu’elle n’était pas, et qui ne rencontrera jamais l’amour d’un homme. Les hommes, ces lâches.

Grand film.


L’Art d’être aimé, Wojciech Has 1963 Jak byc kochana | WFF Wroclaw, ZRF Kamera


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1963

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La Femme qui s’est enfuie, Hong Sang-soo (2020)

Le retour d’Alice

Note : 3.5 sur 5.

La Femme qui s’est enfuie

Titre original : Domangchin yeoja / 도망친 여자

Année : 2020

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Song Seon-mi, Kim Sae-byuk, Lee Eun-mi, Kwon Hae-hyo

Je crois avoir rarement vu un titre révéler autant les parts d’ombre d’un récit qui refusera toujours de se dévoiler complètement au cours de ses quelque 75 minutes.

(Heureusement que les traducteurs se sont contentés de traduire littéralement le titre original, cette fois…, car ce n’est malheureusement pas toujours le cas, certains distributeurs en France aimant céder aux caprices publicitaires en charcutant avec le cinéaste coréen ou avec d’autres la nature souvent révélatrice ou indicative des titres de ses films… Un peu comme mon titre idiot)

En réalité, rien dans le comportement de cette femme qui rencontre successivement d’anciennes connaissances ne laisse voir (en dehors de son titre donc) qu’elle pourrait fuir. Et pourtant. Cet indice, puis ceux sur sa vie privée laissent bien comprendre qu’il s’agit là d’une femme qui étouffait tellement dans son mariage qu’elle a décidé de prendre l’air. Sans l’indication apportée par le titre, on manquerait probablement la dimension psychologique la plus importante du film (même si chez le cinéaste, cela ne pose pas toujours problème d’ignorer ou de ne pas comprendre certains aspects diégétiques de ses films).

Un petit côté Le Repas tendance incommunicabilité. On ne saura pas grand-chose du mari à qui elle tente ainsi d’échapper, à part qu’elle ne l’aime sans doute pas beaucoup, et on en saura un peu plus au contraire… sur son ancien amant parti avec une autre femme. Son mariage à elle prend alors tout à fait l’aspect d’un mariage par dépit, et le film ne cesse de s’enfoncer dans le sinistre une fois qu’on a compris que si elle fuit, c’est aussi un peu pour tenter de se rapprocher de ce qu’elle a perdu. La mise en abîme finale (double ration) où elle s’enfonce dans une salle de cinéma vide où on projette un film est glaçante (elle le serait d’autant plus s’il s’agit, comme certains le prétendent, d’un film de Hong Sang-soo).

Rarement, on aura vu au cinéma la solitude aussi bien exprimée d’un personnage enfermé dans la prison nostalgique d’un ancien amour perdu. Tout ce qui précède, les rencontres avec ses vieilles amies célibataires qui semblent heureuses ainsi, ne fait que préparer cette chute d’une tristesse infinie. Elle n’aura jamais eu l’occasion de goûter au bonheur et à la liberté d’être seule : sa solitude à elle a sans doute été synonyme de mariage sans amour, un mariage qui l’asphyxie, et au moment d’essayer d’y échapper, tout la ramène à l’échec de sa relation passée. Hong Sang-soo n’a pas besoin d’explorer la possibilité d’un destin qui l’aurait mené vers le bonheur (ou l’amour), car son personnage ne cesse de le chercher pour nous. Certains plongent leur chagrin dans l’alcool, d’autres s’enivrent dans des salles vides de films tristes…

Il y a quelque chose à noter également : le tournant apparent (mais peut-être inexact, je ne vérifierai pas) du cinéaste pour des récits toujours plus centrés sur les femmes. Il y aura peut-être mis du temps, et c’est peut-être la force du temps, il se rapproche de plus en plus, me semble-t-il, de tous ces cinéastes qui ont toujours préféré mettre les récits de femmes à l’honneur. Les hommes ne sont pas forcément exclus, mais ils sont peut-être moins présents, moins obsédés, et surtout, les femmes sont rarement dupes de leurs bêtises (même si elles restent toujours leurs victimes). Là encore, je ne vérifierai pas, mais il est possible que ce tournant se soit effectué depuis sa rencontre avec Kim Min-hee et depuis le scandale qui semble avoir émaillé leur relation (qui est sans doute à l’origine du sujet de Seule sur la plage la nuit — on remarque d’ailleurs que l’actrice, comme le personnage du film, n’a pas depuis tourné avec quelqu’un d’autre).

Les récits du cinéaste semblaient, avant cette rencontre, être focalisés sur des personnages masculins (souvent des artistes, donc sur lui), et depuis, l’actrice en est souvent au centre. L’occasion non pas de l’envoyer dans les bras d’autres hommes (certains cinéastes le font), mais de traiter sa solitude et surtout de l’accompagner d’autres femmes. Le male gaze sur la sororité en quelque sorte. Un grand classique du cinéma (certains titres y font même souvent explicitement référence : Trois Femmes, Hannah et ses sœurs, Les Quatre Sœurs Makioka, Femmes au bord de la crise de nerf, etc.). Et par trois fois au moins, cela a été l’occasion de voir Kim Min-hee aux côtés de Song Seon-mi. Dès Seule sur la plage la nuit, les deux actrices montraient une parfaite entente, et un baiser venait même ponctuer leur première scène. Dans Hotel by the River, l’une vient réconforter l’autre dans une complicité quasi fraternelle (voir amoureuse). Et le cinéaste remet le couvert dans ce film. Vingt ans pour trouver des perles, ça vaut le coup sans doute. Tamise encore quelques années, l’ami, et je suis sûr que tu m’apporteras de l’or.

J’attends toujours ton chef-d’œuvre, en revanche. À moins que (puisqu’à chaque visionnage, on s’habitue) tu me laisses, par moi-même, faire de tes précédents films de grands films à l’occasion de visionnages futurs… Pas sûr de vouloir passer ma vie avec toi, tu sais, Jean-Claude.


La Femme qui s’est enfuie, Hong Sang-soo 2020 Domangchin yeoja / 도망친 여자 | Jeonwonsa Film


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Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo (2017)

Gueule de bois

Note : 4 sur 5.

Seule sur la plage la nuit

Titre original : Bameui haebyeoneso honja / 밤의 해변에서 혼자

Année : 2017

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Kim Min-hee, Seo Young-hwa, Kwon Hae-hyo, Jeong Jae-yeong, Moon Sung-keun, Song Seon-mi

Peut-être le plus digeste des films très autocentrés du cinéaste. Oui, il nous y expose des événements plus ou moins en rapport avec sa propre vie et avec celle de son actrice principale (du moins, on peut l’imaginer), mais il faut reconnaître qu’après vingt ans à peaufiner un dispositif cinématographique et une écriture somme toute bien personnelle, le bonhomme sait y faire.

On retrouve globalement les acteurs qui se sentent probablement le plus à l’aise dans ce dispositif, car je n’ai plus grand-chose à dire sur les acteurs ou sur la manière d’aborder leur personnage… À ce niveau, tout est parfait, et le plaisir est là, celui de retrouver des acteurs pour leur charme et souvent pour leur second degré. L’ironie, c’est encore ce qu’il y a de plus charmant à suivre dans ces derniers films de Hong Sang-soo.

Concernant la forme, le cinéaste reste, cette fois, assez sobre (autant qu’il peut l’être, à l’image des personnages qu’il convie autour d’une table) : un leitmotiv burlesque au sens assez abscons (l’individu qui demande l’heure, qui suit les deux Coréennes à Hambourg et qui lave la porte-fenêtre un peu plus tard dans l’appartement), une construction en deux parties (départ après le scandale, retour au bercail où le scandale n’en finit pas de hanter le personnage principal). Et puis, une séquence qui se révèle être un rêve : une habitude chez Hong Sang-soo, un caprice d’étudiant, mais on est habitué, il est pardonné (surtout que ça ne fait que rajouter à la solitude de l’actrice et va donc ainsi dans le sens du récit, on échappe à l’effet de surprise et de mauvais goût habituellement rattaché au procédé).

J’attends toujours le chef-d’œuvre, cela dit. On est dans le haut du panier ici, mais il manque la marche supplémentaire qui me laisserait coi, ébahi et plein d’admiration. Elle a raison ton actrice, ta chérie ou ton personnage principal : arrête peut-être de raconter ta vie, pour voir, et mets-toi plus en danger, explore. Garde le meilleur de ton style, et imagine une histoire qui colle parfaitement avec la forme, mets-toi en quête d’une évidence, tente d’en faire peut-être à peine plus dans un sens, ou au contraire, tends vers plus de minimalisme ou d’incommunicabilité, de contradictions, d’injustice… Au travail, fainéant.

Sinon, je m’amuse à repérer les tics de langage auxquels les acteurs sont autorisés à avoir (dans le cas d’improvisation dirigée) ou dans son texte (toutes les séquences semblent être de l’improvisation dirigée, avec probablement un certain nombre de passages obligés, mais le cinéaste semble tout de même laisser beaucoup de champ à ses acteurs). Je n’ai remarqué qu’un « aille-go » qui est pourtant un tic de langage très courant chez les Coréens (équivalent à « zut », mais avec des variantes que j’ignore, mon traducteur vocal par exemple traduit ça par « oh, mon Dieu ! »), pas beaucoup plus de « keurenika » (« tu sais », balancé à la fin de chaque phrase pour ponctuer une discussion), en revanche, ça balance énormément de « créo », de « qeuré », de « qeuré-ka » (traduit par « ah bon », « d’accord », « bien », « tu crois ? »). Encore cinq cents ans et je suis bilingue. D’ici là, Hong Sang-soo aura produit quelques chefs-d’œuvre.

그래.


Seule sur la plage la nuit, Hong Sang-soo 2017 Bameui haebyeoneso honja Jeonwonsa Film


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Haewon et les hommes, Hong Sang-soo (2013)

Sang-soo dans tous ses états

Note : 2.5 sur 5.

Haewon et les hommes

Titre original : Nugu-ui ttal-do anin Hae-won / 누구의 딸도 아닌 해원

Année : 2013

Réalisation : Hong Sang-soo

Avec : Jeong Eun-Chae, Lee Sun-kyun, Yoo Joon-sang, Ye Ji-won, Kim Ja-ok, Kim Eui-sung

Rien de bien enthousiasmant pour ce qui est présenté comme un de ses meilleurs films. Hong Sang-soo, sans des personnages ou des acteurs qu’on aime retrouver et apprécier pour leur petit truc en plus, sans les astuces narratives nous mettant la puce à l’oreille en quelque sorte, ça ne vaut pas grand-chose. Les astuces ici sont mal emboîtées et bien trop faciles : des mégots qu’on écrase on ne sait trop pourquoi (leitmotiv), des remparts à Séoul qu’on gravite à deux occasions (comique de répétition ou technique du jeu de l’oie quantique), des tranches de récit qui sont en fait des rêves (ou pas).

Ça, c’est l’accessoire, la forme. L’axe fort du cinéaste en général.

Parce que le fond est sans saveur : en dehors du vieux promeneur aux remparts (acteur récurrent faisant office de sage mutique dans le cinéma de Hong Sang-soo), et peut-être de l’actrice principale, je suis loin d’être fan des acteurs habituels qui parsèment la distribution. Surtout, leurs personnages sont insupportables.

Une étudiante un peu perdue sentimentalement, sans réelles attaches ou qui, au contraire, a le cœur qui s’attache un peu trop facilement (donc pas du tout) à deux hommes, qui, eux, cherchent avant tout à profiter d’elle. À côté d’elle, un professeur qui en a fait sa maîtresse l’année d’avant et qui n’aurait rien contre le fait de profiter de sa position pour sauter à nouveau sur l’occasion (et l’étudiante).

Quand on commence avec des clichés, le but, c’est de s’en écarter le plus possible, pas d’aggraver leur cas. Le film s’appelle Haewon et les hommes, à ce compte, on prend surtout plus de plaisir à voir cette gamine un peu lunaire partager les premières scènes du film avec deux femmes : Jane Birkin et sa mère. Je ne sais pas jusqu’à quel point le cinéaste fait de l’autofiction dans ses films, mais il ne faudrait pas qu’il soit un de ceux qui aiment profiter de leur statut pour profiter des femmes. Certains cinéastes coréens semblent ne pas y avoir échappé, ce que Hong Sang-soo montre dans celui-ci, cette certaine forme de légèreté qu’on autorise aux hommes (ou qu’ils s’autorisent tout seuls) et l’inconséquence relative des dégâts que leur comportement peuvent faire sur leurs victimes (Haewon est peut-être consentante et adulte, en attendant, c’est elle qui doit assumer seule l’injonction du secret imposé par son amant et qui doit subir les crises de jalousie puériles et déplacées de son “amant”) laisserait entendre que ce doit être une perspective crédible qui aurait la mauvaise idée de polluer la perception qu’on peut se faire de ses films (il y a des limites à la décence à laquelle aucun spectateur ne peut échapper même en y résistant de toutes ses forces). Il n’y a pas toujours un avantage à laisser entendre aux spectateurs à qui on destine ses films que des pans entiers de ce qu’on décrit dans les films qu’on raconte ont une base autobiographique. On pourra toujours me dire que Hong Sang-soo, c’est un peu comme Rohmer, et que ce ne sont que des histoires légères, seulement l’inconséquence, non, dans la vie, surtout quand on profite d’un statut pour user de son autorité sur d’autres qui y seraient sensibles, ce n’est pas acceptable. Les connards, on les aime (et pas toujours) sur l’écran, pas en dehors. Si on s’inspire de ceux de la vie réelle et qu’on en est un soi-même, disons que ça casse relativement efficacement le contrat de confiance passé entre auteur et spectateurs. D’autres ont plus la délicatesse (ou l’hypocrisie) de parler de tout autre chose dans leurs films que ce dont on leur reproche en dehors.


Note de fin de filmographie : Après quelques recherches, ce qu’on pouvait ressentir dans ce film s’est vérifié, car trois ans après ce film, il devra confirmer une liaison avec l’actrice qui deviendra finalement l’égérie de cette dernière partie de carrière. L’adultère ferait moins jaser en France qu’en Corée, mais cela laisse supposer malheureusement que le cinéaste aurait sans doute abusé (au sens familier, pas sexuel, même si on peut le craindre) de sa position. L’alcoolisme ou la solitude au sein d’un mariage raté n’excuse rien. Les cinéastes, a fortiori quand ce sont des hommes, quand ils font des avances et qu’elles sont refusées, cela n’a pas de conséquences sur eux. Des actrices, au contraire, peuvent y laisser des plumes. Parce que les acteurs sont toujours, et a fortiori quand ce sont des femmes, soumis aux désirs parfois capricieux de ceux qui leur donnent du travail : ce n’est ni les critiques ni le public qui les font tourner.

Regardons ce qu’il est advenu de la carrière de Kim Min-hee après l’officialisation de leur relation : elle qui avait tenu le rôle principal dans Mademoiselle n’a plus jamais tourné dans une production de cette ampleur. Elle est depuis, pour ainsi dire, assujettie au seul désir de son ancien amant et pas forcément libre non seulement dans ses choix de carrière (on ne décide pas forcément d’être l’égérie de quelqu’un, et on ne maîtrise pas ce qu’on fait de son image : le pouvoir de dire non est très limité), mais aussi dans sa vie personnelle. Quand un cinéaste connu trompe et quitte sa femme, il continue de travailler ; quand une femme de cinéaste (légitime ou non) qui est par ailleurs reconnue pour être l’actrice quasi exclusive de ce cinéaste, qui lui offre du travail quand elle décide de le quitter ?

La seule chose à espérer pour Kim Min-hee, c’est qu’elle soit pleinement maîtresse de ses choix. Mais ça, on peut en douter. Je n’aime généralement pas m’immiscer dans la vie personnelle des artistes (quoique, je ne me retiens pas pour évoquer les « filsde »), mais puisqu’on peut difficilement séparer le cinéaste Hong Sang-soo de l’homme, parce que c’est son choix, on y est un peu forcé ici. À l’image des séquences entre les séquences filmées qu’on s’imagine dans ses films, on peut même dire, qu’on l’accepte ou non, que cette part inconnue qui sépare la vie réelle, des fantasmes et des films du cinéaste fait partie intégrante de son cinéma. Malheureusement pour lui, à force de jouer trop près du feu, on finit par se brûler. Les avantages et les inconvénients de l’autofiction…

Dernière note de fin : Ce film est peut-être le seul de la décennie décevant à mes yeux. À la hauteur de films du cinéaste des années 2000 qui ne m’enthousiasment guère. À se demander si la conséquence du scandale de 2016 n’a pas été une obligation pour Hong Sang-soo de mettre les femmes bien plus au cœur de ces films au lieu d’en faire des objets de conquête ou des idiotes. Ses films se sont humanisés, féminisés, et ses acteurs récurrents (les plus en phase avec ses principes peut-être) ont formé un noyau dur, une troupe que le spectateur prend plaisir à retrouver. Faut-il qu’un cinéaste se comporte comme un connard avec les femmes pour venir ensuite être le plus convaincant possible dans son traitement des femmes ? Bergman, Mizoguchi, Allen… À en perdre la foi… Après, on pourra toujours me dire que Sang-so a l’alcool gentil et qu’il n’a jamais fait d’avances à des collaboratrices que dans ses films ou dans ses fantasmes (et à l’exception d’une autre).


Haewon et les hommes, Hong Sang-soo 2013 Nugu-ui ttal-do anin Hae-won / 누구의 딸도 아닌 해원 | Jeonwonsa Film


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Okaeri, Makoto Shinozaki (1995)

Le couple et le néant

Note : 4 sur 5.

Okaeri

Année : 1995

Réalisation : Makoto Shinozaki

Avec : Susumu Terajima, Miho Uemura, Tomio Aoki

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Drame minimaliste, d’abord sur l’incommunicabilité, la solitude, puis le film prend un tour plus mélodramatique sans jamais se départir de sa lenteur étrange. On sent que quelque chose ne tourne pas rond, ça entretient le mystère, puis la femme (il n’y a que deux personnages principaux, et le reste de la distribution est très limité, dont une apparition de Tomio Aoki, l’un des gosses de la Shochiku qui connut le début du cinéma parlant avec Ozu et Naruse et plus tard quelques grands films des années 50) commence à avoir un discours incohérent et paranoïaque.

On ne tombe alors pas vraiment dans une sorte de Love Story pour schizophrène, sobriété oblige, mais le film n’en est pas moins éprouvant émotionnellement parlant. Le film garde son mystère avec lui. Je ne suis pas sûr que la schizophrénie soit fidèlement rendue, mais la voir à travers le prisme de l’incommunicabilité et de la sobriété sèche, presque froide, clinique (à la Haneke, mais les deux personnages principaux ici restent malgré tout émouvants, car leur incommunicabilité n’est pas un désintérêt de l’autre, pas une forme de monstruosité), est une bonne idée, sans doute plus respectueuse que n’importe quelle autre forme de film qui aurait multiplié les éclats et les péripéties pour illustrer les différentes étapes de la maladie et de son traitement.

Jolie prouesse pour un film à si petit budget dans une production japonaise des années  90 où les grands films sont rares.


Okaeri, Makoto Shinozaki 1995 | Comteg, Komuteggu


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The Revenant, Alejandro González Iñárritu (2015)

Root Bear Man

Note : 3.5 sur 5.

The Revenant

Année : 2015

Réalisation : Alejandro González Iñárritu

Avec : Leonardo DiCaprio, Tom Hardy, Will Poulter

C’est encore ce qu’il y a de plus digeste chez Alejandro. J’y retrouve le côté brutal des meilleurs films de Mel Gibson. Pour une fois, la sophistication de la mise en scène d’Iñárritu me paraît plutôt bien servir son sujet, précisément parce que le sujet présenté est d’une simplicité limpide. Une qualité que j’ai toujours appréciée chez Gibson, et qui fait plaisir ici. Toute cette sophistication vise précisément à être immersive sans être pour autant insistante ou l’objet principal du film : le grand-angle, les séquences filmées au plus près de l’action grâce à un steadicam sans coupes apparentes, le tout épicé d’effets spéciaux invisibles mais évidents (comme dans les meilleures séquences d’Alfonso Cuarón, dans Children of Men ou dans Gravity) sans faire pour autant du plan-séquence une obstination, ça paraît être le choix idéal pour un tel film.

Reste que ça ne mène pas bien loin pour autant, la brutalité réaliste ne pouvant à elle seule faire un film. Mon intérêt tout personnel, et bien particulier je dois le reconnaître. Pour les premiers films de Mel Gibson, il était de découvrir à travers cette réalité brute, des univers rarement exposés au cinéma. J’avoue que très vite, je me suis laissé à penser ici le même type de film, celui d’un homme isolé appartenant à un « clan » dans un univers pour nous exotiques, pour lui, froid et hostile, et cherchant à retrouver d’abord les siens après avoir été grièvement blessé par un ours, puis chasser l’assassin de son fils (voilà qui est en somme le résumé d’un film d’un peu moins de trois heures), le tout dans un monde que j’aurais préféré, certes, non pas de trappeurs nord-américains du début du XIXᵉ siècle, mais de chasseurs, sapiens ou néandertaliens, au cœur d’une Europe paléolithique, par exemple. Il m’a toujours semblé dommage qu’un film comme La Guerre du feu n’ait pas déclenché une mode de films préhistoriques, comme Le Pacte des loups pour ce qui est du Moyen Âge provincial. Il suffit de peu parfois pour contenter un spectateur, et des westerns, j’en ai déjà assez vu. Celui-ci a donc au moins le charme de sa singularité. Le film étant, ce qu’on a coutume désormais de dire, un « film immersif », l’objet (le décor) de cette immersion est capital. Et ça l’est d’autant plus quand le sujet réduit à rien peut s’effacer devant cet objet de curiosité et quand le spectateur peut profiter de lui sans être distrait par des artifices grossiers de mise en scène.

La performance de DiCaprio est bien sûr impressionnante, mais tant qu’à être réaliste, je m’étonne de le voir si fringant ne serait-ce qu’après avoir été chatouillé et baladé de droite à gauche par un ours. Au moindre mal de tête, je n’ai déjà plus de force et tous mes mouvements se font au ralenti ; Leonardo, lui, encaisse chaque coup comme si c’était son dernier souffle : je mets au défi n’importe qui, et de bien portant, de gémir comme Leonardo, de ramper sur des bras comme Leonardo, et de ne pas s’écrouler de fatigue au bout de dix minutes. Alors, la même chose, dans un froid polaire, affamé, lacéré de toutes parts et bouffé par la fièvre (plaies infectées oblige), même le plus vaillant des hommes (ou des hommes de Néandertal si on retourne à mes rêves de spectateurs) n’aurait une telle vaillance. Au mieux, l’œil est hagard et les mouvements lourds. C’est moins photogénique, un acteur qui joue l’agonie sans panache. Mais il faut bien ça, sans doute, pour capter notre attention de spectateurs dégourdis par deux décennies de superpouvoirs.

Dernier mot sur la musique : quand reviendra-t-on un jour à de la vraie musique ? Depuis quelques années, et le funeste Hans Zimmer qui a enterré la mélodie sous un gros voile de basses, on n’a plus qu’une suite d’accords mous (des cordes ici) rehaussée au mieux de deux notes toutes les dix secondes pour accentuer la tension. C’est triste de s’interdire ainsi toute portée poétique et de devoir subir, film après film, ces musiques censées nous dicter la moindre émotion.


 

 

The Revenant, Alejandro González Iñárritu 2015 | New Regency Productions, RatPac Entertainment, New Regency Productions


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Il boom, Vittorio De Sica (1963)

Note : 3.5 sur 5.

Il boom

Année : 1963

Réalisation : Vittorio De Sica

Avec : Alberto Sordi, Gianna Maria Canale, Elena Nicolai

Fable satirique qui aurait gagné à trouver un pendant au génial Sordi. Tout à la fois drôle et touchant, nous n’avons d’yeux que pour lui. La comédie à l’italienne me semble toujours meilleure avec des vis-à-vis efficaces et une satire mordante mais plus fine.

Il faut probablement penser que De Sica et Zavattini aient voulu reproduire la réussite d’Une vie difficile, sorti l’année précédente, et où Sordi réussissait à la fois à nous amuser et à nous attendrir en jouant admirablement les chiens battus en attente d’un sucre ou d’une caresse consolatrice (même si ça doit être une constante dans les films de Sordi quand on ne tombe pas dans le piège des caricatures).

Il boom, Vittorio De Sica (1963) | Dino de Laurentiis Cinematografica

Les péripéties me semblent moins nombreuses ici que dans le film de Dino Risi (le sujet, littéralement anecdotique, limite les possibilités), ce qui laisse un petit arrière-goût d’inachevé, et donc les vis-à-vis sont bien moins réussis que dans le Risi (si le rôle de la femme me paraît assez bien réussi, la focalisation sur la femme cette fois de l’entrepreneur borgne l’est beaucoup moins).

Le plus dur à suivre sans doute dans cette histoire, ce n’est peut-être pas les pirouettes que doit faire Alberto Sordi pour éponger ses dettes et préserver son train de vie ; non, le plus dur à admettre, le plus triste, c’est sa solitude. Or, là encore si on l’oppose à Une vie difficile dans lequel cet aspect était parfaitement exploité, et était même un moteur important du film, Il boom tire plus franchement vers la farce, voire la fable satirique, et peut-être moins vers une comédie dramatique comme pouvait le faire le film de Risi ou nombre de comédies italiennes réussies de la même époque. Si Il boom rate cette dernière marche, c’est peut-être là, sur son humanité. Manque quelques plans ou séquences de Sordi pitoyable, non plus en essayant de feindre et de jouer la comédie, mais pitoyable justement parce qu’il se rend compte de sa solitude, de ses sacrifices, et de sa condition de misérable arriviste prêt à tout pour être accepté d’une classe qui le méprise.


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Symbol, Hitoshi Matsumoto (2009)

Dans la peau de Mireille Mathieu…

Note : 2.5 sur 5.

Symbol

Titre original : Shinboru

Année : 2009

Réalisation : Hitoshi Matsumoto

Oui, le problème avec l’absurde, c’est qu’il faut en trouver l’issue. Ça ne peut jamais être à mon sens qu’un décor, un point de départ, à une quête bien mieux définie : dans l’idéal, avec une histoire d’amour et un objectif tout ce qu’il y a ensuite de bien conventionnel.

C’est un peu pour les mêmes raisons que Dupieux me fait ni chaud ni froid, et plus précisément pourquoi Dans la peau de John Malkovich pour moi un chef-d’œuvre. L’absurde, c’est la sauce soja qui vient à propos et qui vient s’ajouter au plat principal, pas l’inverse.

Le montage parallèle ici, par exemple, semble vouloir donner une clé, une issue, pour sortir de l’absurde, et ce n’est qu’une pirouette, une blague potache presque, qui ne sonne pas très bien à nos oreilles après avoir patienté et espéré tout ce temps une résolution ou une explication. La seule issue possible pour Matsumoto avec une histoire résolument et intrinsèquement absurde, c’est la surenchère absurde vers un absolu pseudo-métaphysique qui aura toujours de pratique de n’avoir jamais explication à donner à tout ce charivari.

Comme dans un palais des glaces, la seule finalité du procédé, c’est lui-même : l’absurde pour l’absurde, par l’absurde. On voit bien que ça mène nulle part et que le but n’est que d’offrir au spectateur un parcours “déformant” hors des sentiers battus. Une fois qu’on a compris où on était, on a juste envie de se gratter les couilles une dernière fois et d’en sortir. Toute la différence entre un récit proposant un dénouement et un autre ne proposant comme seul horizon possible que… la porte de sortie. À l’image d’un deus ex machina, la résolution du problème ne peut venir que d’un élément extérieur au récit. Matsumoto ne sort en fait jamais de sa salle de jeu.

Dans un univers où tout est possible, sans barrières à son imagination, ça n’a plus beaucoup d’intérêt pour le spectateur. Ce n’est plus qu’une facilité de scénario, un procédé toujours, un prétexte, à ne rien raconter d’autre que des étrangetés sans fondement, alors qu’à mon sens, le parcours du spectateur, à travers l’identification au personnage principal chemine dans un récit bien plus complexe qu’un simple “procédé”, répété cent fois. Son récit d’ailleurs a toutes les caractéristiques d’un court métrage gonflé artificiellement en long. Un court aurait très bien pu montrer une telle situation absurde sans avoir jamais à en donner une explication et donc une porte de sortie. Un univers réellement clos, sans interprétations possibles, et sans intégration d’une histoire parallèle censée à un moment du récit venir interagir avec la première. Il y a des sujets, ou des styles, qui ne se prêtent pas au long. Une histoire drôle, brève et efficace, ne gagnera rien à être étalée sur la durée. Quand le principal atout d’une histoire, c’est son procédé, inutile de venir broder autour. On illustre, on pose ça devant le spectateur, et on se barre, le laissant avec ses incertitudes.

Symbol, Hitoshi Matsumoto (2009) (69)

Quand on pense aux « plus courtes sont les meilleures », sérieusement, l’idée de la sauce soja, on la sent venir à des kilomètres, et je ne suis pourtant pas un habitué des prémonitions de ce genre. Quand on attend des plombes alors qu’on imagine la suite, ce n’est ni du suspense ni drôle, on espère juste que le personnage va saisir l’humour des petits pénis comme tout le monde et leur fera remarquer avant la chute. Le contraire est lourd.


 


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Swallow, Carlo Mirabella-Davis (2019)

Note : 3 sur 5.

Swallow

Année : 2019

Réalisation : Carlo Mirabella-Davis

Avec : Haley Bennett

Étrange objet acidulé qu’on goberait volontiers comme un bonbon sans confession avant de finir étouffé par une fausse route à force de ne plus voir le bout de l’alambic narratif.

L’actrice est remarquable en revanche. C’est sur elle qui repose tout le film et l’essentiel de l’intérêt du film (autant qu’un film puisse reposer entièrement sur la performance de son acteur principal). Entre dépression retenue susceptible de la faire craquer à tout instant, et légèreté, et même une certaine fantaisie (qui est à mon sens souvent une marque de talent), c’est un grand écart difficile à réaliser. Une sorte de Bill Murray au féminin.

C’est très correctement réalisé, avec un bon sens du rythme, un excellent sens de la musique, une volonté appréciable de passer par des montages-séquences en guise d’amuse-bouche narratif, ou par la fantaisie (par le biais de son actrice principale donc) pour illustrer une histoire. Malheureusement, c’est bien par là que le bât blesse. Le sujet est bon, mais il ne part en fait d’aucun contexte préexistant susceptible de nourrir la suite, et une fois exposé, on sent trop que le récit cherche une issue. Il en trouve un quand, dans la seconde partie du film, elle décide de s’échapper et de rejoindre son père afin de le mettre face à ses responsabilités, mais cela devient un tout autre sujet que celui exposé au début. Parce que oui, une histoire, c’est un peu comme avec le pica (trouble de nutrition dont est affecté notre personnage principal et qui consiste à avaler tout et n’importe quoi) : ça commence par un objet, celui-ci évolue dans le tube digestif, et ce même objet doit ressortir, après pas mal de pérégrinations, intact. Ici, comme par magie, on passe d’un sujet à l’autre… Si le pica était un prétexte à en venir à une histoire personnelle (au demeurant assez originale elle aussi), il aurait fallu l’amener d’une tout autre façon, à commencer par ne pas le mettre au centre du film pendant si longtemps.

Parce qu’au final, d’un sujet assez bien vendeur car original, on en vient rapidement à se demander s’il ne faudrait pas le mettre au rayon des fausses bonnes idées, de celles qui allèchent les babines mais qui révèlent peu à peu un potentiel dramaturgique faible. Ce qui me fait dire assez souvent que l’originalité n’a rien d’une qualité en soi, c’est un atout qu’il faut savoir sortir habilement de sa manche et arriver à transcender assez rapidement sans quoi on s’appuie trop sur lui en oubliant les qualités principales du jeu narratif. Sans compter que si on réduit l’originalité à une capacité à choisir des sujets, à l’imagination parfois aussi, eh bien cela est, me semble-t-il, donné à beaucoup de monde. Tout le monde dispose d’une imagination, et tout le monde est original. La grande difficulté, toujours, c’est de transcender ce premier état, de structurer ses bonnes idées pour qu’elles donnent l’impression d’aller toutes vers la même direction. L’art, il est là. Pas à choisir ses sujets (même si c’est un début).


 

 


 

 

 

 

 

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