Le Désert des Tartares, Valerio Zurlini (1976)

Le Désert des Taratatas

Note : 3 sur 5.

Le Désert des Tartares

Titre original : Il deserto dei tartari

Année : 1976

Réalisation : Valerio Zurlini

Avec : Jacques Perrin, Vittorio Gassman, Giuliano Gemma, Helmut Griem, Philippe Noiret, Francisco Rabal, Fernando Rey, Laurent Terzieff, Jean-Louis Trintignant, Max von Sydow

Je ne croyais pas dire ça un jour, mais l’argument du film est un chef-d’œuvre. Certes, les scénarios ne sont pas des œuvres, mais le roman dont est tiré le film a des… arguments pour me convaincre de le lire un jour. Avec un titre de film pareil, sans rien connaître au roman initial, on est en droit d’attendre du spectacle, de l’aventure, du mouvement, des rebondissements… Et, surprise, sur notre chemin de spectateur, se dresse une histoire absurde et existentialiste à la Kafka sur une frontière floue où il ne se passe jamais rien et où on attend sur des décennies l’apparition d’un ennemi craint et imaginaire : les hommes de l’État du Nord ! Aka, « ceux dont on ne peut pas dire le nom », aka « Les Tartares ».

Les officiers amenés à se perdre dans cette forteresse du désespoir semblent, au fil des ans, soit broyés par l’ennui et le doute, soit sujets aux mirages et aux récits fantastiques de ceux qui pensent avoir vu quelque chose. Le plus souvent, ils finiront anéantis par la solitude et l’isolement des lieux, drogués ou fous. D’étranges relations se nouent entre ces soldats qui désespèrent de ne jamais se battre et pour certains, cet ennui finit même par devenir une drogue en soi : la foi qu’un jour les hommes de l’État du Nord se présenteront à eux et attaqueront. Le moindre signe venu du désert pourra ainsi être vécu comme la preuve de l’existence d’une attaque future et espérée. Certains attendent le Messie ; eux, c’est l’ennemi qu’ils guettent en espérant qu’ils viennent les délivrer. Parmi ces officiers (volontaires ou non) affectés à cette frontière débouchant sur le vide, certains rêvent d’abord de quitter ces lieux où rien ne se passe (c’est le cas du personnage principal) ; d’autres semblent s’être résignés depuis longtemps à y pourrir parce que la retraite que procure ce poste avancé loin du monde était ce qu’ils pouvaient rêver de mieux pour achever leur existence ; d’autres encore rêvent tellement de voir finir par aboutir à leurs portes une attaque qu’ils tardent à prendre les bonnes décisions quand les premiers signes extérieurs de la présence ennemie apparaissent : au moins, si la forteresse apparaît désertée, cela incitera peut-être les « Tartares » à attaquer. Les soldats qui y perdront la vie mourront alors d’autre chose que d’ennui et resteront peut-être dans les livres d’histoire.

Une matière en or, un sujet à grands films. Seulement, pour mener à bien de tels projets, il faut des génies aux commandes ou des réalisateurs audacieux un peu fous capables de tracer des pistes nouvelles dans le désert… Et Zurlini est, à mon sens, loin d’être l’homme idéal pour un tel film : c’est un cinéaste des espaces urbains et de l’intimité. L’errance serait peut-être plus dans ses cordes, mais le film reste pauvre en propositions purement cinématographiques, visuelles ou situationnelles illustrant cette thématique. C’est aussi un cinéaste habile à dévoiler les regards qui se croisent et à adopter des points de vue subjectifs. Là non plus, on ne voit rien de tout ça dans le film. Zurlini n’a ni les armes pour lutter face à un tel ennemi invisible qu’est la mise en scène des grands sujets existentiels ni le talent pour faire de la mise en scène le point d’attention central d’un film parce qu’il n’a jamais été un cinéaste des ambiances, de la contemplation et des illusions. On trouvait peut-être un peu de cette ambiance absurde et post-apocalyptique dans Le Professeur, mais une telle histoire (vide) aurait nécessité que tout soit mis en œuvre pour que l’accent soit mis sur les qualités imaginatives de son argument. On aurait pu rêver d’un Aguirre statique chez les Tartares, d’un 2001: A Time Odyssey, d’un Solaris terrien et uchronique ou d’un Problème à trois corps… pour te pendre. Occasion manquée. Un film, ce n’est pas un scénario. Encore moins une adaptation. Mais adapter un tel roman proposant un espace vide entier susceptible de voir des génies de la mise en scène venir y exprimer leur talent, ce n’est pas adapter La Dame de chez Maxim.

Peut-être y a-t-il des œuvres littéraires, basées sur un univers poétique et absurde parallèle, qui se déroberont toujours à leurs adaptations. Qui irait produire une adaptation du Rivage des Syrtes (dont l’argument est quasiment un clone du Désert des Tartares) par exemple ? Ou de… Dune ?… De Fondation ? Aucune adaptation ne sera jamais à la hauteur des imaginaires que ces œuvres véhiculent. Et j’insiste : la seule astuce viable avec de telles adaptations, c’est de s’écarter des obligations dramatiques d’une histoire, en évoquer les contours seuls tout en gardant une forme de cohérence narrative, et cela afin de proposer une œuvre qui s’appuie davantage sur l’atout majeur du cinéma : l’image. Ces histoires suggèrent des imaginaires puissants, ce serait une erreur de faire confiance aux dialogues pour en restituer la magie, la beauté ou l’absurdité. On ne vient pas voir Dune pour l’histoire, mais pour son univers (c’est bien pourquoi il y avait une logique à voir David Lynch en proposer une première version).

Zurlini ne dépasse jamais l’écueil de la transgression du roman et de son adaptation « littérale » se perdant à retranscrire à l’écran des scènes de dialogues bien trop prosaïques pour que l’on puisse partager la folie, le désarroi ou l’ennui des personnages. Quand on pense à l’utilisation des dialogues d’un Tarkovski dans Solaris ou ailleurs, il parvient toujours à les mettre au second plan : sa caméra montre autre chose et s’applique d’abord à transmettre une ambiance qui doit coller avec celle de son personnage.

Peut-on filmer un ennemi invisible ? Bien sûr. Qu’il existe ou non, ne pas pouvoir le montrer ne devrait pas être un problème parce que le cinéma, c’est l’art de suggérer les choses sans les montrer. On peut ainsi supplanter la menace d’un ennemi qu’on attend sans jamais le voir à d’autres, bien réels, moins exogènes mais tout aussi anxiogènes : les éléments naturels, la folie, la solitude, l’absurdité…

Peut-on filmer l’ennui ? Bien sûr. Tout l’art de la mise en scène consiste à filmer l’invisible, l’attente, l’ennui, la pesanteur, l’illusion du temps qui passe, la percussion des images pour en suggérer un sens. Quand Sergio Leone filme le début d’Il était une fois dans l’Ouest, il n’a ni besoin de dialogues, ni besoin d’action. Parce que la mise en scène, c’est justement de donner corps à ce qu’il y a entre les choses. Son cinéma, comme celui de Kubrick, de Visconti, de Coppola ou de Tarkovski, n’est fait que de pesanteur où il ne se passe rien, où on met de la distance avec les choses, où au contraire on se focalise sur une autre qui tarde ou grandit. L’attention, comme le suspense, elle naît de « l’attente », de la « suspension » des choses. Un dialogue ne suspend rien ; si on ne le met pas à distance ou en situation, on adapte gentiment un scénario pour la télévision. Le Désert des Taratatas.

L’ennui devrait être ce qu’il y a de plus cinématographique à filmer. Parce que pour filmer l’ennui, on est obligé d’essayer d’en faire sentir au spectateur les raisons et l’origine. L’ennui devient un mystère à appréhender. Filmer l’ennui, ce n’est pas filmer le néant ou l’attente. C’est en filmer les contours. C’est creuser les raisons de cet état suspendu supposément vide. La caméra fouille dans son environnement ce qui accable tant les personnages : c’est une loupe qui cherche des indices, qui illustre une quête en train de se faire autour de soi, dans un environnement immédiat que l’on ne saisit pas. C’est le montage qui fait alors dialoguer entre eux les images et qui nous suggère des explications à cet ennui. Concentrez-vous dans un film qui traite du néant, de l’absurdité ou de l’ennui sur les maigres éléments dramatiques que l’histoire vous offre, et vous n’avez rien compris, parce que le but, il est précisément d’illustrer un fantôme à travers les traces bien visibles qu’il laisse à son passage. L’ennui, tel un trou noir, on ne peut le voir directement, il faut guetter les traces qui trahissent sa présence. Et c’est ainsi qu’il finit par fasciner et par vous envoûter : parce qu’on regarde graviter autour de lui ce qui est encore vivant et qui finit par sombrer dans la torpeur. Ce qui émeut, ce n’est pas un cadavre déjà sans vie, mais un corps qui meurt et présente ses derniers sursauts de vie.

Mais ne mettons pas tout sur le dos de Zurlini. Pour illustrer ces espaces impalpables, pour mettre en scène les indices résiduels d’un mystère qui nous échappe et qu’il faut dompter, il faut disposer d’une matière suffisante servant de révélateur. Si aucune matière ne tombe dans le trou noir, vous n’assisterez jamais à son festin. Le néant, effectivement, on ne le filme pas en filmant « rien ». On le filme en multipliant les images qui le précèdent et le contournent.

Elle est peut-être là d’ailleurs la plus grande absurdité du film : toute la production (Zurlini en tête) semble avoir rendu les armes bien trop vite une fois envoyés à la frontière. Le monstre était là, il fallait tendre les jumelles et ne pas résister à la tentation de le montrer, quitte à ne rien voir. Depuis Hitchcock (rappelons-nous par exemple du film le plus hitchcockien de Steven Spielberg, Les Dents de la mer), on sait que plus un ennemi est invisible, plus il terrorise. Encore faut-il suggérer sa présence, ou son absence. Au lieu de nous montrer des personnages regardant au loin et discutant de ce qu’ils voient, il faut nous donner à voir ! Le cinéma, c’est la percussion des images. Pas un assemblage scolaire de répliques égrenées comme un chapelet de bénédictine pour faire plaisir au scénariste. Zurlini, le cinéaste des regards aurait dû comprendre ça. À des personnages qui regardent au loin pour guetter un ennemi invisible, il faut répondre à des plans subjectifs. Sans contrechamp, pas de hors-champ. Sans hors-champ, pas de crainte, ni ennui, ni attente. L’ennui n’est plus diégétique, mais canapégétique. Les répliques doivent poser brièvement les enjeux d’une situation, mais très vite, il faut les mettre à distance et se focaliser sur l’objet insaisissable qui apparaît, ou non, au loin.

Et si le problème vient autant de la production que de la mise en scène prosaïque et verbeuse de Zurlini, c’est bien qu’il faut apporter au film une matière à filmer dans ces contrechamps. Or, on voit trop la distinction entre les séquences tournées à la forteresse en Iran et les intérieurs de Cinecittà. Si la mise en scène, c’est l’art de faire dialoguer les images, l’un des défis de contextualisation auxquels doit se frotter tout cinéaste, il est d’arriver à faire cohabiter dans une même séquence des éléments tournés dans un lieu avec un autre. Pas le choix de trouver des artifices pour donner à voir justement l’instant, l’espace, où les personnages passent d’un lieu à un autre. Peut-être que les autorités iraniennes ne pouvaient-elles pas donner leur aval pour que soient aménagés un site archéologique pour le bien d’une production audiovisuelle. Mais c’est bien là toute une question de production. Si Zurlini est sans doute un peu fautif d’avoir cherché à suivre béatement un scénario trop littéral d’une œuvre qui n’a probablement rien de cérébral, le reste de la production l’est tout autant. On ne peut pas faire tout un film, cloîtrés dans un décor reproduit dans un studio, et se trouver tout à coup dans la séquence qui suit dans la cour ou sur les remparts d’une forteresse. Pour montrer cette drôle de guerre aux frontières d’un monde qui n’existe pas, il faut pouvoir l’alimenter avec autre chose que quatre ou cinq espaces clos et quelques séquences en extérieurs. Des transitions sont indispensables. Un jeu sur la profondeur de champ disposant toutes les échelles de cet environnement dans une même image aurait aidé à la contextualisation des choses, par conséquent à l’imaginaire. Parfois, ce sont bien des astuces de production qui servent à donner de la prestance à certains films qui en manquent par ailleurs à travers des séquences qui tout à coup proposent une idée, un angle ou un décor ingénieux : on pourrait rêver d’un dispositif comme celui mis en place pour un palace inachevé dans Rio Conchos capable de mettre à l’écran enfin un rapport intérieur/extérieur de la forteresse et d’illustrer l’absurdité de la présence de ces hommes postés au bord d’un précipice incertain.

On ne peut pas non plus compter sur Ennio Morricone pour pallier à l’absence de matériel et d’images. La musique ne fait jamais que venir surligner ce que l’on voit à l’écran. Elle n’est souvent qu’un écho qui vient renforcer l’espace vide d’une pièce, d’un décor, d’une situation. Elle ne fera jamais vibrer un espace que l’on a déjà rempli de personnages soumettant déjà au public leur musique. Il y a des films dans lesquels les dialogues sont à mettre en avant parce qu’ils font figure d’atout premier d’une œuvre ; mais quand un film est destiné à dévoiler autre chose, à développer tout un imaginaire visuel (même intime), les dialogues ne sont plus que des notes de bas de page.

Raté donc. Je rêverais d’une adaptation de cette histoire en film de science-fiction dans un univers spatial. Elle est là désormais la nouvelle frontière. Et les Aliens feraient de parfaits « Tartares ». (Encore faudrait-il trouver l’homme providentiel acceptant d’être envoyé ainsi au front dans une guerre avec comme seul ennemi que lui-même…)


Le Désert des Tartares, Valerio Zurlini (1976) Il deserto dei tartari | Fildebroc, Les Films de l’Astrophore, Reggane Films, Corona Filmproduktion

La Mort en direct, Bertrand Tavernier (1980)

Vallée de l’étrange

Note : 3 sur 5.

La Mort en direct

Année : 1980

Réalisation : Bertrand Tavernier

Avec : Romy Schneider, Harvey Keitel, Harry Dean Stanton, Max von Sydow

C’est beau comme du Stephen King : une bonne idée de départ qui appâte et qui se révèle très vite stérile.

Deux vérités ici. Contradictoires. Celle d’abord qu’on peut parfaitement réaliser des films de science-fiction avec peu de moyens, et celle qu’il est extrêmement difficile de convaincre en SF sans tout un attirail high-tech, décoratif voire contemplatif (d’un futur fantasmé prenant forme de manière crédible dans un film) au service d’un sujet qui, il faut se l’avouer, nous laissait alors indifférents.

On est peut-être entre Le Prix du danger et La Honte (avec le même Max von Sydow). Le côté apocalyptique fait froid dans le dos, et la satire sur les médias est déjà cruelle. Même prémonitoire : ce qui est dit sur les programmes auquel le public n’adhère pas tout en les regardant vaudra pour la TV poubelle des années 90 jusqu’à l’avènement de la téléréalité, voire pour l’explosion des chaînes privées devant fournir pour légitimer leur antenne du contenu toujours plus racoleur (ça vaut par exemple aujourd’hui pour les chaînes d’info en continu qui taisent l’information et le décryptage au profit des bavardages de remplissage et de mise en lumière d’éditorialistes spécialistes de rien mais sûrs de tout).

Le problème, comme avec tous les films de SF, c’est qu’on pourra nourrir autant qu’on veut les personnages, leurs relations, c’est comme si le sujet, et surtout le monde parallèle ou futur proposé, finissait toujours par accaparer l’essentiel de notre attention. Un peu comme une fable de La Fontaine dont on ne saurait au juste si le plus important ce serait d’y voir une morale à l’histoire ou s’il faut se laisser amuser comme une sorte de conte… Ça me semble être un écueil difficile à surmonter pour les cinéastes qui osent s’attaquer à la SF et qui n’ont plus qu’à espérer en un miracle pour avoir la chance de réaliser un bon film… On sait qu’ils existent en SF, invoquer Harry Dean Stanton ici est peut-être une manière d’ailleurs de s’attirer les faveurs des dieux du genre. La SF, parfois, se résume à être tenté par deux cornets de glace dont on nous dit que l’un d’eux est empoisonné. Choisir le bon, c’est peut-être la garantie de s’en sortir et de se faire plaisir, mais même si on échappe à la mort immédiate, on risque encore la lapidation par le public.

D’ailleurs, si le film s’essouffle aussi assez vite, au-delà de cet embarrassant « effet Stephen King » qui fait que la proposition de départ contient en elle tout le ressort dramatique (et stérile) du film, toutes les diverses propositions dramatiques secondaires nécessaires à achever l’histoire font gentiment sourire ou hausser les épaules. J’ai peur que sans le maquillage high-tech et décoratif habituel du genre, et en dehors de très rares occasions (ces fameux miracles de la SF), ces défauts finissent toujours par nous sauter à la figure. Dans La Mort en direct comme dans n’importe quel film d’anticipation. Une sorte de vallée de l’étrange non pas appliquée à la supposée ressemblance d’un robot humanoïde avec un humain, mais appliquée à la ressemblance d’un monde parallèle et futuriste avec la réalité (ou la crédibilité) du monde qu’on connaît. C’est amusant un robot, mais moins on y croit plus on prend plaisir à sa présence ; faites-en un objet un peu trop ressemblant à ses créateurs, et ces derniers nourrissent pour lui un rejet immédiat. Eh bien, l’univers SF, ce serait un peu pareil : si ça ressemble un peu trop à notre réalité et que seuls quelques éléments nous rappellent qu’on n’est pas dans notre monde, et l’étrangeté devient trop malaisante pour qu’on y adhère. Ce qui reviendrait à la contradiction évoquée en début de commentaire : certes, il suffit d’un rien pour embarquer le spectateur dans un univers fictionnel parallèle ou futur, mais cette vallée de l’étrange nous obligerait à être attirés bien plus par les propositions de SF à haute valeur ajoutée high-tech plus que par des univers ressemblants. (Même si on peut imaginer au moins deux contre-exemples des années 2000 : Les Fils de l’homme et The Man from Earth.) Un rapport compliqué avec une certaine forme de réalité altérée qui n’est pas sans rappeler les difficultés de la satire : une satire révèle des réalités qu’on est peut-être tout à fait prêts à accepter quand elles visent « les autres », mais si elles nous révèlent quelque chose de nous-mêmes, et on préfère détourner les yeux.

Ça reste un Tavernier, jamais de chefs-d’œuvre ni de francs navets. En revanche, Romy Schneider, à l’image d’une Marlene Dietrich — et je ne pense pas que ç’ait un rapport avec leur nationalité —, j’avoue faire partie de ce public qu’elle a toujours laissé indifférent. Ce qui peut être utile dans des rôles à fonction, à pouvoir, mais justement, le plus souvent, l’actrice joue sur la corde sensible, l’apitoiement, et j’avoue n’être jamais rentré en empathie avec une telle systématisation des sentiments… Autre vallée de l’étrange : voir que certaines actrices arrivent toujours plus à toucher un public féminin que masculin.


 

La Mort en direct, Bertrand Tavernier 1980 | Films A2, Gaumont International, Little Bear


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Une histoire du cinéma français

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Le Visage, Ingmar Bergman (1958)

Ansiktet

Note : 4.5 sur 5.

Le Visage

Titre original : Ansiktet

Année : 1958

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Max von Sydow, Ingrid Thulin, Gunnar Björnstrand, Naima Wifstrand, Bengt Ekerot, Bibi Andersson, Gertrud Fridh, Lars Ekborg, Erland Josephson

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Ainsi fond, fond, fond, le masque envoûtant des apparences…

Duel quasi ogival entre le visage d’une science miraculeuse et une autre, moderne. Comme le passage en surimpression d’un monde à un autre.

Bergman et son goût pour les troubadours, les escrocs, les masques… Je ne suis pas un grand admirateur de La Nuit des forains, mais on y aurait trouvé la distribution du Visage que ç’aurait peut-être tout changé (avec Max von Sydow en clown notamment). On y trouve là peut-être, en dehors d’Harriet Andersson et de Liv Ullman, tous les meilleurs acteurs du maître suédois. Une concentration de talent exceptionnelle. Bergman et son chef opérateur (le même que celui des Fraises sauvages, de Jeux d’été ou de Sourires d’une nuit d’été, avec cette jolie surexposition champêtre qu’on retrouvera également dans La Source) baignent tout ça dans une atmosphère à la fois mystérieuse et pleine de fantaisie qui manquait peut-être à mon goût pour La Nuit des forains. Sans compter que celui-ci est beaucoup plus concentré, théâtral, car tourné en adoptant quasiment le principe du huis clos (tout se passe dans une grande maison bourgeoise). Des troubadours sédentarisés, c’est bien ça aussi la réussite étrange de cet opus, intense par ailleurs d’un bout à l’autre.

Une tragédie comique basée aussi sur un principe dramaturgique vieux comme le monde : la mise en parallèle de deux lignes dramatiques, l’une générale, contextuelle, avec un objectif défini et annoncé, et l’autre plus intime qui viendra chahuter la première jusqu’à ce qu’elles finissent dans un dénouement par se mêler.


Le Visage, Ingmar Bergman 1958 Ansiktet | Svensk Filmindustri


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Les Indispensables du cinéma 1958

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Shutter Island, Martin Scorsese (2010)

L’île de Minos

Shutter Island

Note : 2.5 sur 5.

Année : 2010

Réalisation : Martin Scorsese

Avec : Leonardo DiCaprio, Emily Mortimer, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Max von Sydow

J’ai cru revivre Inception… Le même délire sans fin d’une réalité pas tout à fait comme on pourrait le penser, la mise en abîme facile d’un monde à l’intérieur d’un monde, des énigmes forcées pour maintenir le spectateur dans une ambiance mystérieuse…

Sauf que tout est forcé. On ne croit pas une seconde à cette histoire. Du moins, on n’entre pas du tout dans le jeu ou la tête de Di Caprio. Difficile de croire dès le début à cette histoire de policier qui vient enquêter sur une île de fou sur une disparition…, tant l’enquête est rapidement mise de côté pour les délires paranoïaques, hallucinatoires, du personnage de Di Caprio.

Le but du récit ici semble clair : il veut nous dire dès le départ que c’est Di Caprio qui est fou et qu’il va devoir s’évader… de sa propre folie. Intéressant. Sur le papier. Sauf que c’est un peu comme essayer de se repérer dans un labyrinthe sans lumière ou… sans fil directeur. Tenter de sortir d’un casse-tête, c’est intéressant à partir du moment où on a une idée d’où il faut aller. Si on navigue à vue, ce n’est rien qu’un grand huit où les effets se suivent. Aucun enjeu. Di Caprio enquête. Sur quoi ? On n’en sait rien. Son passé, des disparitions ? Il cherche son pote ? rencontre des fous tout aussi fous que lui ? On finit par s’en foutre totalement vu qu’on sent qu’on joue avec nous, sans nous laisser la possibilité de nous laisser croire que ce qu’on voit est vrai ou pas. C’est un peu comme vouloir faire un effet de surprise dans un film d’horreur et l’annoncer une heure à l’avance…

Tous les effets sont là pour faire de l’esbroufe. Scorsese se regarde entre train de nous tromper, et on le regarde en train de nous prendre à son propre piège… C’est du n’importe quoi. Les effets sont plus importants que l’histoire (vu que finalement il n’y en a pas : le fin mot de l’histoire est révélé à la fin, mais on s’en moque, ça ressemble à un prétexte de scénariste pour justifier ses gesticulations, alors qu’on devrait sentir cette réalité pendant tout le film sans le voir, on devrait avoir des indices… que dalle).

De la masturbation nolanesque. Les effets pour les effets. Par exemple, quand il interroge une nana, celle-ci profite de ce que son partenaire ait le dos tourné pour lui écrire un mot sur un papier : RUN ! Wow, énorme la révélation ! Tout ça pour ça. Aucun rapport avec le sujet réel du film qu’on apprend qu’à la fin, à savoir que Monsieur est fou et qu’il est le sujet d’une expérimentation de ses professeurs pour le faire sortir de sa folie (intéressant comme sujet, même si méga naïf et peu crédible, mais ça l’est encore moins, crédible, quand on ne joue cette partition qu’à la fin).

Et ultime revirement, quand Di Caprio revoit enfin le fin mot de l’histoire, de son histoire (scène pathétique de révélation à la limite du Grand-Guignol…, du genre on va vous révéler le fin mot de l’histoire… ; il ne manquait que les trompettes et le petit texte à la Tarantino : « La Révélation »). Le processus expérimental de recouvrement de la raison semble avoir porté ses fruits. Ils semblent avoir gagné contre la folie et la paranoïa (comme si on pouvait faire comprendre à un fou qu’il l’est… ; les troubles ils n’apparaissent pas parce que les sujets sont “déraisonnables” mais parce qu’il y a des dérèglements dans leur cerveau, bref, c’est de la science-fiction leur truc). Il semble donc avoir recouvré la raison… jusqu’à la scène finale où il craque et parle à celui qui jouait dans cette manipulation mentale son partenaire et qui est en fait l’un de ses psy, comme s’il était toujours son partenaire… Mmmh…

Revirement stupide, inexpliqué et dérisoire, que pour faire beau. Exactement comme dans Inception, le but n’est pas de raconter une histoire, c’est juste d’en mettre plein les yeux et la tête du spectateur. Au moins, contrairement à Inception, on ne ressort pas avec un gros mal de crâne parce qu’on a essayé de tout suivre… Là, on nous explique tout de suite qu’il est fou, qu’il ne faut pas faire attention à toutes ces scènes où il enquêtera vu que… il est comme dans un rêve. On regarde Di Caprio avec distance, on n’entre pas une seule seconde dans sa tête de maboule. Il peut pleurnicher et s’effrayer tant qu’il voudra, on n’en a rien à faire, vu qu’on sait qu’il est fou… jusqu’à la révélation finale du pourquoi, qui n’est qu’un prétexte à tout ce cirque…

Un grand n’importe quoi que beaucoup trouveront fascinant parce que le scénario fait semblant d’être compliqué. Des effets dans tous les sens, des énigmes (des anagrammes même, comme si un dingue pouvait construire sa folie autour de choses aussi rationnelles que des anagrammes…, ce n’est pas un film, c’est un jeu de mots croisés en images… ; ce ne sont même pas des énigmes, on nous montre ces anagrammes alors qu’on ne s’est jamais posé la question… ; en quelque sorte, c’est comme un jeu de mots croisés certes, mais avec déjà toutes les cases remplies, il n’y a pas d’énigme, que des dénouements, des fausses révélations : « whoah, c’était des anagrammes ! bah pfiou… on s’en tape »). Tout ça, ça ne fait pas un bon film. Un peu comme LOST. Ça doit être la mode. On fout plein d’énigmes à la suite, au bout d’un moment, on a une overdose parce qu’on n’a jamais le fin mot de l’histoire et que seuls les effets de mystère comptent, et le fin mot de l’histoire est du genre « c’est un rêve, c’est un fou »… Pratique, quand c’est un rêve, on peut toujours prétendre que telle ou telle chose n’est pas crédible et vraisemblable…

La mise en scène, la photo ont beau être excellentes, ça ne fait pas un bon film.


Shutter Island, Martin Scorsese 2010 | Paramount Pictures, Phoenix Pictures, Sikelia Productions


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La Honte, Ingmar Bergman (1968)

La guerre est nôtre

La Honte

Note : 4 sur 5.

Titre original : Skammen

Année : 1968

Réalisation : Ingmar Bergman

Avec : Liv Ullmann, Max von Sydow, Sigge Fürst

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La guerre transforme nos vies, notre intimité, même quand on cherche à se préserver de toute idée politique, même quand on se retire dans le trou du cul du monde.

L’histoire, si on peut appeler ça une histoire, évolue simplement : Max von Sidow et Liv Ulman se sont retirés à la campagne pour vivre heureux en dehors des tumultes des villes. La guerre civile les rattrape, et les insurgés, se réfugiant, pas loin de chez eux, leur maison se retrouve bientôt au centre de bombardements. Ils ont le choix entre le pouvoir en place (une dictature probablement) et les insurgés (qui ne sont pas des saints non plus). Choisir l’un ou l’autre camp, ça revient finalement à la même chose, les deux amoureux voudraient rester en dehors de tout. Mais la politique est binaire et la désertion idéologique prohibée. Et la guerre civile entre alors dans le lit conjugal (au propre comme au figuré). Après bombardements et exécutions en masse, les deux amants s’en tirent finalement pas trop mal et retournent chez eux.

C’est là que compte mettre en place Bergman son champ de bataille. La guerre change les hommes, et les sépare surtout. Même ceux qui la refusaient.

La Honte, Ingmar Bergman 1968 Skammen | Cinematograph AB, Svensk Filmindustri (SF)

Ils ne s’accordent plus sur l’attitude à adopter, s’il faut rester neutre, et s’il faut prendre le parti de quelqu’un, pour lequel… Les deux camps se serviront de leurs incertitudes, de leurs contradictions, de leurs doutes. Et c’est ainsi que l’indifférence, la peur, le refus de s’engager, engendre la docilité (donc la servitude — et dans d’autres circonstances, la collaboration). À l’égard des deux camps. Dans une guerre, il y a les abrutis qui ont des convictions (et ceux-là décident de s’affronter) ; et les autres, qui parce qu’ils n’en ont aucune, subissent la logique des premiers. La majorité silencieuse, qu’on dit. Elle se prostitue à l’officier qui les a laissés en vie (ce n’est même plus le cas après les désaccords avec son mari) ; ils ont en retour des petits cadeaux. Par ailleurs, les insurgés viennent se servir chez eux (c’est toujours un moindre mal). Jusqu’au jour où militaires et insurgés viennent à se rencontrer chez eux…

Malgré la détestation profonde qu’ils éprouvent désormais l’un pour l’autre, ils continuent de vivre ensemble…

Voilà. Une guerre sans nom, dans un pays sans nom, dans une époque indéfinie, le tout pour mieux mettre en évidence un autre conflit, celui, quotidien, de la vie conjugale. Et encore, malgré les désaccords, les conflits, malgré la fuite du désir et la disparition de l’amour, on reste ensemble, parce qu’on préfère vivre mal avec l’autre, que vivre seul et mourir. Le seul courage, c’est celui de vivre avec l’autre. Vivre, c’est renoncer à ses certitudes, renoncer à les imposer aux autres. La paix, c’est une guerre qu’on renonce à se faire. Et donc la guerre, c’est la lutte permanente pour la paix qu’on a décidé de perdre. Peace and love, docteur Ingmar.

Le début est beau. Jamais Liv Ulman n’aura été aussi belle. Par la suite, ça se gâte évidemment. Quelque chose d’étrange se produit alors. Un peu comme si nous aussi, on commençait à ne plus les supporter et que malgré tout on avait du mal à nous séparer d’eux. Si seulement le monde, la guerre, le chaos, ne les avaient pas rattrapés.

Film curieux. Parce que ce n’est pas un drame. Plutôt une parabole dystopique, une chronique avec des « scènes de la vie conjugale » mises à l’épreuve du temps. Au lieu de chercher à montrer comment un conflit se noue et se dénoue, Bergman préfère l’exposer simplement. Sans début ni fin ; c’est là. Il en ressort une étrange impression d’inachevé où c’est à chacun de tirer les leçons. Bergman explore les étapes de la vie d’un couple, mais son unité se fait sur une base thématique et non dramatique. Le sujet n’est pas un conflit en particulier, mais “le” conflit, donc il peut prendre différentes formes. Le tout est de creuser le même sillon. D’un point de vue dramatique, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Parce que l’intérêt est ailleurs. Dans l’analyse personnelle que chacun fera de ces relations (qu’on ne vienne donc pas me dire que je déflore l’histoire…). Et au manque d’objectif défini, nécessaire à tout récit dramatique, s’ajoute la soumission des personnages. Un héros classique prend son destin en main et cherche à être maître de l’environnement qui l’entoure, c’est la pleine puissance de l’homme qu’on célèbre depuis que l’homme raconte des histoires. Ici, c’est le contraire, puisque Bergman rappelle son impuissance, sa volonté de rester en dehors du temps, en dehors de l’histoire, en dehors de la vie et de l’environnement. Au lieu de chercher en dehors, la quête se fait en dedans, on voit ça depuis Œdipe. Les personnages veulent tout sauf être des héros. Bergman s’applique à nous montrer les hommes tels qu’ils sont, non tels qu’ils devraient être ou tels qu’ils ont été racontés selon les légendes. À nous de nous forcer à nous interroger sur nous-mêmes, plutôt que de nous émouvoir et de nous divertir avec le récit captivant de héros embarqués dans des histoires extraordinaires. On a alors le film qu’on mérite : si on est incapable de tirer des leçons de tout ça, les forces évocatrices du film échoueront à trouver un écho en nous. Mais ça n’interdit pas de tirer du plaisir devant une telle démonstration. Comme la limace qui tombe en extase devant son reflet dans une flaque… sans comprendre que c’est son propre reflet qu’elle est en train de voir. C’est beau, on ne sait pas pourquoi, et parfois c’est suffisant. C’est toute la réussite de Bergman comme d’un Tarkovski. Réussir à adopter une posture de distanciation pour forcer le spectateur à se rapprocher de lui-même, sans oublier la poésie. C’est-à-dire la possibilité de s’abandonner à ce qui nous échappe.


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Les Indispensables du cinéma 1968

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Liens externes :


La Source, Ingmar Bergman (1960)

La Source

Jungfrukällan
Année : 1960

Réalisation :

Ingmar Bergman

Avec :

Max von Sydow
Birgitta Valberg
Gunnel Lindblom

10/10 IMDb

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MyMovies: A-C+

Une trame simple mais véritablement coup de poing. Sur un sujet très dur (le viol sur « boucle d’or » donc ce qu’il y a de plus méprisable, et ensuite « l’auto-justice »). Brrrr ! Un Chien(s) de paille à la sauce Bergman, et un petit côté Kurosawa aussi, surtout dans l’esthétique, la manière de filmer et de montrer les personnages, avec beaucoup de retenue, de distance… Et cette esthétique, d’une caméra avec une grande profondeur de champ (qui ne met pas en valeur des détails, mais regarde sans juger) et ces bois très clairs qui font penser aux bois de Rashomon.