La Mort en direct, Bertrand Tavernier (1980)

Vallée de l’étrange

Note : 3 sur 5.

La Mort en direct

Année : 1980

Réalisation : Bertrand Tavernier

Avec : Romy Schneider, Harvey Keitel, Harry Dean Stanton, Max von Sydow

C’est beau comme du Stephen King : une bonne idée de départ qui appâte et qui se révèle très vite stérile.

Deux vérités ici. Contradictoires. Celle d’abord qu’on peut parfaitement réaliser des films de science-fiction avec peu de moyens, et celle qu’il est extrêmement difficile de convaincre en SF sans tout un attirail high-tech, décoratif voire contemplatif (d’un futur fantasmé prenant forme de manière crédible dans un film) au service d’un sujet qui, il faut se l’avouer, nous laissait alors indifférents.

On est peut-être entre Le Prix du danger et La Honte (avec le même Max von Sydow). Le côté apocalyptique fait froid dans le dos, et la satire sur les médias est déjà cruelle. Même prémonitoire : ce qui est dit sur les programmes auquel le public n’adhère pas tout en les regardant vaudra pour la TV poubelle des années 90 jusqu’à l’avènement de la téléréalité, voire pour l’explosion des chaînes privées devant fournir pour légitimer leur antenne du contenu toujours plus racoleur (ça vaut par exemple aujourd’hui pour les chaînes d’info en continu qui taisent l’information et le décryptage au profit des bavardages de remplissage et de mise en lumière d’éditorialistes spécialistes de rien mais sûrs de tout).

Le problème, comme avec tous les films de SF, c’est qu’on pourra nourrir autant qu’on veut les personnages, leurs relations, c’est comme si le sujet, et surtout le monde parallèle ou futur proposé, finissait toujours par accaparer l’essentiel de notre attention. Un peu comme une fable de La Fontaine dont on ne saurait au juste si le plus important ce serait d’y voir une morale à l’histoire ou s’il faut se laisser amuser comme une sorte de conte… Ça me semble être un écueil difficile à surmonter pour les cinéastes qui osent s’attaquer à la SF et qui n’ont plus qu’à espérer en un miracle pour avoir la chance de réaliser un bon film… On sait qu’ils existent en SF, invoquer Harry Dean Stanton ici est peut-être une manière d’ailleurs de s’attirer les faveurs des dieux du genre. La SF, parfois, se résume à être tenté par deux cornets de glace dont on nous dit que l’un d’eux est empoisonné. Choisir le bon, c’est peut-être la garantie de s’en sortir et de se faire plaisir, mais même si on échappe à la mort immédiate, on risque encore la lapidation par le public.

D’ailleurs, si le film s’essouffle aussi assez vite, au-delà de cet embarrassant « effet Stephen King » qui fait que la proposition de départ contient en elle tout le ressort dramatique (et stérile) du film, toutes les diverses propositions dramatiques secondaires nécessaires à achever l’histoire font gentiment sourire ou hausser les épaules. J’ai peur que sans le maquillage high-tech et décoratif habituel du genre, et en dehors de très rares occasions (ces fameux miracles de la SF), ces défauts finissent toujours par nous sauter à la figure. Dans La Mort en direct comme dans n’importe quel film d’anticipation. Une sorte de vallée de l’étrange non pas appliquée à la supposée ressemblance d’un robot humanoïde avec un humain, mais appliquée à la ressemblance d’un monde parallèle et futuriste avec la réalité (ou la crédibilité) du monde qu’on connaît. C’est amusant un robot, mais moins on y croit plus on prend plaisir à sa présence ; faites-en un objet un peu trop ressemblant à ses créateurs, et ces derniers nourrissent pour lui un rejet immédiat. Eh bien, l’univers SF, ce serait un peu pareil : si ça ressemble un peu trop à notre réalité et que seuls quelques éléments nous rappellent qu’on n’est pas dans notre monde, et l’étrangeté devient trop malaisante pour qu’on y adhère. Ce qui reviendrait à la contradiction évoquée en début de commentaire : certes, il suffit d’un rien pour embarquer le spectateur dans un univers fictionnel parallèle ou futur, mais cette vallée de l’étrange nous obligerait à être attirés bien plus par les propositions de SF à haute valeur ajoutée high-tech plus que par des univers ressemblants. (Même si on peut imaginer au moins deux contre-exemples des années 2000 : Les Fils de l’homme et The Man froc Earth.) Un rapport compliqué avec une certaine forme de réalité altérée qui n’est pas sans rappeler les difficultés de la satire : une satire révèle des réalités qu’on est peut-être tout à fait prêts à accepter quand elles visent « les autres », mais si elles nous révèlent quelque chose de nous-mêmes, et on préfère détourner les yeux.

Ça reste un Tavernier, jamais de chefs-d’œuvre ni de francs navets. En revanche, Romy Schneider, à l’image d’une Marlene Dietrich — et je ne pense pas que ç’ait un rapport avec leur nationalité —, j’avoue faire partie de ce public qu’elle a toujours laissé indifférent. Ce qui peut être utile dans des rôles à fonction, à pouvoir, mais justement, le plus souvent, l’actrice joue sur la corde sensible, l’apitoiement, et j’avoue n’être jamais rentré en empathie avec une telle systématisation des sentiments… Autre vallée de l’étrange : voir que certaines actrices arrivent toujours plus à toucher un public féminin que masculin.


 

La Mort en direct, Bertrand Tavernier 1980 | Films A2, Gaumont International, Little Bear


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