L’Étrangleur de Boston, Richard Fleischer (1968)

La 13e Femme de Barbe-Bleue

Note : 3 sur 5.

L’Étrangleur de Boston

Titre original : The Boston Strangler

Année : 1968

Réalisation : Richard Fleischer

Avec : Tony Curtis, Henry Fonda, George Kennedy

Je ne suis décidément guère convaincu par les variantes chez Fleischer des étrangleurs…

Le film est étrangement construit, ce qui peut facilement s’expliquer : en suivant le cours des événements tels qu’ils se sont réellement passés, il est prisonnier d’une structure imposée par le hasard (celui du réel), non par des nécessités narratives. Les histoires vraies (et sordides) font rarement de bonnes histoires (à moins de prendre des libertés avec les faits). L’un des principaux écueils qu’une telle adaptation pose, c’est l’absence d’un personnage principal au centre des attentions. Il n’est pas impossible de concentrer son récit sur plusieurs personnages, mais dans une fiction, on cherche au moins un équilibre ou une logique narrative dans l’apparition et l’usage des personnages. Imaginons par exemple que dans la réalité, un enquêteur meure d’un accident et que cet accident n’ait strictement aucun rapport avec l’enquête qui deviendra plus tard le sujet d’un film : si on retranscrit telle quelle la réalité, le spectateur cherchera forcément une logique, un design secret, derrière cette mort. Alors que ce ne serait qu’un malheureux hasard.

Le film est ainsi conçu autour de trois parties distinctes, qui, elles, sont bien déterminées par la volonté d’un auteur de basculer d’un point de vue à un autre. Mais c’est encore une maigre intrusion (même si elle est importante), ou liberté, que peut s’autoriser la fiction dans l’univers imposé des événements.

D’abord, les débuts de l’enquête, la paranoïa en ville, puis la désignation d’un super enquêteur qui aura la somptueuse idée de faire appel à un médium pour trouver le coupable… À la lecture d’un scénario, s’il n’y avait aucun rapport avec une réalité des événements, on ne manquerait pas de trouver toute cette partie anecdotique et donc inutile. Le fait que cela se soit réellement passé, on se trouve alors face à un dilemme : soit on en fait l’économie et on se prive de deux ou trois séquences amusantes, soit on décide que ce n’était pas significatif et on se prive d’une certaine matière qui pouvait au moins avoir comme atout qu’elle illustrait le fait que les enquêteurs étaient tellement dans la panade qu’ils étaient prêts à suivre n’importe qui prétendant pouvoir les aider… Dans une fiction, tout doit être logique et proportionné. Dans la réalité, les choses peuvent n’avoir aucun sens, sembler irréelles ou absurdes.

On passe dans un second temps au contrechamp de l’affaire, tout en restant dans une continuité temporelle et en adoptant le point de vue du tueur en série. L’approche est plutôt originale, car bien que ne nous mentant pas sur les agissements du tueur (largement supposés, ce qui pose la question des limites de la fiction et de l’interprétation dans ce qu’on prétend être une reconstitution fidèle des événements), on sort là encore des archétypes et de l’image préconçue que l’on pourrait se faire d’un tel criminel, car très vite s’impose à nous la question de l’état psychologique du meurtrier. On est déjà loin du code Hays et de ses impératifs de la représentation à l’écran des criminels, mais cette empathie, voire ce côté didactique de la description mentale d’un criminel, malgré ses intentions évidentes (et plus tard explicites) de compréhension des crimes à travers un exemple devenu célèbre, aurait de quoi décontenancer le spectateur déjà troublé par l’absence d’unité narrative. Jusque-là, pourquoi pas, mais la multiplication des « expérimentations » narratives et didactiques du film m’a assez vite laissé sur le carreau (et peut-être qu’à la revoyure, mettant de côté cet aspect, passés la surprise et l’inconfort que cela produit, me laisserais-je convaincre par les autres aspects du film).

Enfin, un troisième acte s’occupe de mêler tout ça. Là encore, la réalité des événements aurait de quoi étonner le spectateur. Les coïncidences au cinéma, on aurait plutôt l’habitude de mal les accepter. Le fait que ce soit par un étrange hasard que les enquêteurs tombent dans un ascenseur sur le suspect, on peut l’accepter si l’on sait que le film dépeint des événements issus de la réalité ; il n’en reste pas moins que dans une fiction, a fortiori dans ce qui reste un crime film (une enquête policière), cela produit sur le spectateur une étrange impression. Tout cela est cependant assez conforme aux habitudes de Fleischer et à son goût pour les expérimentations. Mais il y a certaines audaces qui prendront toujours le risque de laisser certains spectateurs sur le bas-côté. Il faut donc croire que s’agissant des films criminels (ou plus spécifiquement des films sur des tueurs en série), le spectateur que je suis a une préférence pour le conventionnel… À moins que ce soit en réalité le sujet qui, quoi que le film propose par ailleurs, produise chez moi une certaine défiance ou un désintérêt. Il me semble pourtant que l’approche humaniste du film pourrait se rapprocher de celle du Fils du pendu qui au contraire de beaucoup d’autres m’avait plutôt emballé (peut-être justement parce qu’on n’a pas affaire à un tueur en série et qu’on n’est pas du tout sur le terrain de la psychologie, mais de la perception des criminels).

Même tributaire des caractéristiques d’un film inspiré de faits réels, le film, dans sa première partie, répond à un certain nombre de codes du genre tout en effectuant quelques propositions qui seront vite (ou étaient déjà) adoptées. Le fait de ne pas savoir où chercher un criminel, par exemple, amène à adopter une vision hyperpériphérique, presque sociale, multipliant les points de vue pour contextualiser au mieux « l’époque » qui agitait la ville. L’influence de la télévision dans les foyers permet également de dépasser l’espace local qui cantonnait les films noirs à des localités plus réduites, à une plus grande confidentialité des événements. Le temps de l’information est également chamboulé : ce qui apparaissait alors dans les journaux du soir ou faisait l’événement du lendemain peut être traité en direct sur les chaînes de télévision. C’est grâce à ce moyen de diffusion rapide que le genre se fait naturellement plus paranoïaque : si les informations passent mieux et s’étendent plus largement dans toutes les strates de la société, la peur aussi. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu par le passé des films capables de simuler ainsi une panique ou une agitation à différents niveaux d’une société, sinon à l’échelle d’une plus petite ville dans Les Inconnus dans la ville qui, du fait de la taille limitée de l’espace, son isolement, adoptait (au moins sur ce point) plus les codes du western. On retrouve ce principe dans de nombreux polars des années 70 et cela reviendra souvent de Zodiac, à Gone Girl, en passant par Seven (même dans ses autres films, Fincher adopte presque toujours cette vision périphérique du récit : les espaces visités doivent être denses et multiples pour donner cette impression que les événements contaminent presque un espace étendu — cela marche aussi avec le nombre de seconds rôles). Entre le thriller paranoïaque et le thriller panoramique, il n’y a qu’un pas.

Richard Fleischer semble même s’amuser à expérimenter les nouvelles possibilités offertes par la télévision. Alors que le film est donc censé retracer fidèlement des faits réels, sur le plan formel, il s’autorise quelques innovations, parfois étonnantes. Je parle un peu plus tard du split screen (ou « écran fragmenté »), mais on peut évoquer aussi cette interview du super inspecteur interprété par Henry Fonda qui à peine nommé est interrogé par un journaliste, depuis son bureau, au milieu des enquêteurs. Le dispositif employé est manifestement celui de la télévision, mais les codes appartiennent à quelque chose d’autre : pas de caméra apparente, mais un regard caméra assez troublant (en général, on répond à un journaliste hors-champ) et un retour en plateau derrière le journaliste et en grand écran. On se croirait presque à ce moment dans Soleil vert ou dans n’importe quel autre film d’anticipation.

Toute cette première partie, basée donc sur une enquête qui fait chou blanc, je me demande si elle ne finit pas par fusionner avec un autre genre (et on sait que Fleischer adore le mélange des genres). J’ai parlé de la multiplicité des espaces, mais allons plus loin : le polar n’est-il pas en train de devenir (ou n’était-il déjà pas) un road movie déguisé ?

Formellement, la suite est, de mon point de vue, beaucoup moins intéressante — grossièrement, dès que Tony Curtis entre en jeu. La performance de l’acteur est exceptionnelle, tout en retenue, en hésitation et en fragilité (le sens psychologique et l’humanisme de Fleischer parlent sans doute ici, comme en attesteront les dernières phrases du film), mais Fleischer laisse peut-être justement trop de place au talent de l’acteur. C’est long, c’est lent, c’est répétitif, on regarde Curtis, on a du respect pour ce qu’il propose, mais il n’y a plus aucune fascination pour un personnage ayant perdu sa part d’inconnu et surtout de danger. Le suspense et le mystère retombent, et on passe d’un film d’enquête à un film psychologique qui a au moins le mérite d’annoncer certains films futurs au lieu de se ranger du côté des films névrotiques excessifs de la décennie. Mais ce manque d’unité dessert de mon point de vue le film : il n’y a pas d’action unique, pas de personnage principal, c’est donc assez déroutant pour le spectateur.

Je finis sur l’usage du split screen* qui est loin de me convaincre. Si dans Suspense de Lois Weber, l’effet se justifie et permet de concentrer l’action en opposant deux événements appelés à se rencontrer, la réinvention et surtout l’amélioration du procédé lors de l’expo de Montréal en 1967 avec le film Dans le labyrinthe semble avoir donné des idées à la fois à Norman Jewison et à Fleischer qui l’adopteront chacun pour leur prochain film. Si l’effet me semble pertinent dans un générique ou dans un film documentaire (William Greaves l’adopte la même année dans Symbiopsychotaxiplasm), grâce à ses qualités illustratives, quand il officie en revanche comme un montage-séquence, en en reprenant tout le ressort narratif sans en montrer la même créativité, sans avoir les mêmes exigences, cela apparaît comme une facilité technique et narrative qui a certes le mérite d’avoir été testé, mais qui fait justement la preuve de son inefficacité narrative. Et si dans le film de Weber, le procédé sert à concentrer une action en temps réel, l’usage qui en est fait ici sert au contraire à diluer l’action et à atomiser le suspense. Non seulement il n’est qu’illustratif, mais en plus il est utilisé comme un autre procédé (le montage-séquence) avec une efficacité moindre. Principe du rasoir d’Ockham : si un procédé avec des propriétés narratives similaires a vocation à en remplacer un autre, aucune raison qu’il le remplace s’il n’apporte aucune plus-value significative et s’il réclame au spectateur une attention décuplée. Et il ne l’a jamais remplacé.

*Note : le split screen a également été employé dans Kohraa, un sombre film indien de 1964.


L’Étrangleur de Boston, Richard Fleischer 1968 The Boston Strangler | Twentieth Century Fox

Ahsoka, Dave Filoni (2023)

L’ombre de Clone

Note : 2.5 sur 5.

Ahsoka

Année : 2023

Réalisation : Dave Filoni

Avec : Rosario Dawson, Natasha Liu Bordizzo, David Tennant, Mary Elizabeth Winstead

« Ne m’appelez plus jamais Snips, la vigueur, elle m’a laissé tomber. Ne m’appelez plus jamais Snips, c’est ma dernière volonté. »

Le personnage d’Ahsoka a mis plusieurs saisons à s’imposer dans Clone Wars avant de devenir peut-être un des personnages les plus représentatifs de la saga. Elle apparaît d’ailleurs dans la plupart des séries Star Wars depuis sa première apparition en 2008, c’est dire si le personnage a pris de l’importance. Au point de s’interroger sur la place centrale qu’elle occupe auprès des autres personnages historiques de la saga. Dans les années 80, on pensait que le personnage central de la saga, c’était Luke. Puis dans les années 2000, Lucas a recentré Star Wars autour d’Anakin. Aujourd’hui, avec l’omniprésence d’Ahsoka dans les séries en parallèle des films où elle n’apparaît pas, on pourrait se demander si ce n’est pas finalement elle qui en est le centre d’attraction principal…

Ahsoka serait la face à la fois lumineuse de l’univers créé par George Lucas (car elle est réellement, elle, indépendante et honnête face aux deux forces souvent politiques qui s’opposent pour le plus grand malheur de tous les citoyens) et une sorte de face obscure, car longtemps invisibilisée au profit des seuls mecs de la saga. Et quand vient l’idée à Disney de proposer des films centrés sur des personnages féminins, elle, autour de qui tourne tout l’univers « série », ce n’est toujours pas elle qui est mise en avant. Il ne faut pas nier l’importance du personnage de Leia dans la culture collective à la fin du XXe siècle, mais celui de sa mère, tout en en partageant certains aspects, retombait beaucoup dans la caricature du personnage décoratif féminin. Ce retour au premier plan, dans Star Wars, d’un personnage féminin volontaire et indépendant comme Ahsoka, développé tout au long des séries jusqu’au développement d’une série dédiée, est donc une belle revanche. Au point, là encore, qu’on pourrait se demander si ce n’est pas finalement à elle qu’incombait la charge de ramener l’équilibre dans la Force…

Malheureusement, de toutes ces jolies promesses qui faisaient la réussite des dernières saisons de Clone Wars, il n’en reste plus grand-chose dans la série éponyme. Le personnage, autrefois si actif et déterminant dans un monde en lutte avec le chaos, malmené par les différentes forces en présence, se contente de croiser ici les bras et de prendre un air détaché à la Mace Windu. « Une menace rôde : enquêtons. » On a connu plus enthousiasmant comme point de départ à une histoire. L’ancienne Jedi repentie, foncièrement indépendante et honnête, se mue ici en une sorte de Ben Kenobi bis ; et ses retrouvailles avec un autre personnage féminin qui faisait toute la réussite de Star Wars Rebels, Sabine, font pschitt. Pire, on y évoque brièvement une relation à peine dessinée dans Rebels entre apprentie et maître, en suggérant que Sabine n’aurait pas été jugée apte à se former à la Force à cause de la perte de sa famille et de son caractère mandalorien assez peu conforme à l’esprit des Jedis. En soi, bien que cela soit du réchauffé, ce n’est pas inintéressant, mais c’est peut-être cette histoire qu’il aurait alors fallu raconter.

Pas celle de Game of Thrawn.

Et c’est d’autant plus frustrant ou incompréhensible que si on voit dans Star Wars Rebels la Mandolorienne s’exercer au sabre laser, il n’a jamais été fait mention quelque part d’éventuelles aptitudes de sa part à manier la Force (ou j’ai manqué un épisode).

Pour ne rien arranger, à mesure qu’on avance dans cette première saison, on perd peu à peu de vue cette thématique d’une relation entre maître et élève pour laisser plus de place à un autre sujet (la menace de Thrawn). On nous dit de cette relation qu’elle est conflictuelle, mais on ne nous en montre réellement jamais les causes. À défaut de centrer le récit sur des épisodes cruciaux dans la vie d’Ahsoka, encore aurait-il fallu développer, dans cette première saison, le sujet tel qu’il semblait nous être annoncé dans son introduction. À quoi bon initier une intrigue en en introduisant des enjeux spécifiques et accaparer l’esprit des personnages principaux et du public à une autre quête ? Dès que les deux personnages féminins principaux se séparent et que Thrawn et Ezra font leur retour, on comprend vite que ce sujet, ce lien entre maître et élève, sera repoussé à une saison suivante ou n’était qu’une fausse piste (ce qui n’aurait pas été bien finaud). Étant réunies à la fin de cette première saison, on peut imaginer que le sujet soit un arc narratif fort de l’ensemble de la série, mais force est de constater qu’on ne nous en a pas donné pour notre argent et que ce manque pèse immanquablement sur l’appréciation de cette première saison.

Difficile de courir deux lièvres à la fois. Le conseil de Huyang aux deux protagonistes de ne pas se séparer, les scénaristes auraient mieux fait de se l’appliquer à eux-mêmes. Dans la trilogie initiale, Luke se sépare de ses amis seulement dans le second volet. Un premier film, une première saison, une introduction, ça sert au contraire à créer des liens entre les personnages. Séparez-les et vous perdez l’occasion de développer une relation forte entre eux (et, par identification, avec le spectateur). Faire de Sabine une captive n’aide pas beaucoup plus à ce qu’on s’enthousiasme pour son personnage. On s’attache rarement à des personnages rendus impuissants. Même coupé de son maître, on aurait gagné à la voir plus volontaire et proactive comme elle en avait fait la preuve dans la série Star Wars Rebels. Si le conflit qui opposait Sabine à Ahsoka portait sur la capacité de Sabine à s’émanciper de son caractère mandalorien, il y avait une logique à la voir adopter à la perte de son maître des réflexes mandaloriens. Au lieu de ça, elle se soumet un peu trop facilement à ses opposants, espérant y retrouver son vieil allié, Ezra. Sans arrière-pensées, sans ruse, sans roublardise qui caractérisait aussi son personnage dans la série animée, on ne retrouve pas la Sabine qu’on connaît et qu’on avait appris à apprécier. (De leur côté, ceux qui auront fait l’impasse sur les séries animées seront bien en peine pour y comprendre quelque chose.)

On ne gagne jamais à soumettre ses personnages principaux… Et Ahsoka se retrouve tout aussi impuissante : c’est Sabine qui parvient à décoder seule la carte des étoiles ; elle délègue beaucoup la formation de son apprentie au robot Huyang ; elle est laissée pour morte, et c’est son ancien maître qui lui fait la leçon en apparition ; ce sont les « baleines de l’espace » qui la véhiculent vers le lieu où il faut être… Bref, elle semble toujours avoir un temps de retard par rapport à ses opposants ou alliés. Cela pourrait être tout à fait compréhensible si on comprenait à travers l’interprétation de son actrice que cette impuissance subite l’affectait. Or, Rosario Dawson semble perméable à tout, rien ne la contrarie, son Ahsoka semble avoir atteint un niveau de sérénité tel que rien ne l’affecte. Même Yoda, placé face à des dilemmes, à l’incertitude, à des dérives, peut se montrer contrarié. Il est donc plus probable que cette étrange sérénité soit plus liée à une mauvaise écriture et à une mauvaise interprétation qu’à une forme de quiétude liée à la maîtrise de la Force du personnage… On est loin du personnage parfois révolté et indépendant rencontré dans Clone Wars qui forçait le respect.

Peut-être faudra-t-il attendre plusieurs saisons, comme pour Clone Wars, pour voir se dessiner quelque chose de plus enthousiasmant (le début de Clone Wars est nul, celui du Mandalorian aussi, Obi-Wan et Boba Fett, je n’en parle même pas). Mais à ce rythme, c’est à se demander si comme beaucoup de personnages de la saga, le sien n’est pas toujours meilleur que quand on parle de lui sans le voir (on passe notre temps à se demander ce que peuvent bien foutre tous ces Jedis retirés, ils méditent ?). Si ici Ahsoka se fait un peu voler la vedette par Sabine (et pas au point de la rendre beaucoup plus intéressante), c’est que c’est elle qui reprend le rôle de la rebelle. Ahsoka, elle, est devenue une incarnation de l’ordre (Jedi), un totem de sagesse qui avance péniblement. « Contemplons notre impuissance, moteurs coupés, portés par les baleines de l’espace ! Regardons les étoiles et croisons les bras ! » Joli programme, Snips. Des personnages, spectateurs heureux de leur propre impuissance…

En plus de ça, la série fait du surplace pendant toute la seconde moitié de la saison, une fois tous bloqués sur la planète-caillou. L’impuissance, toujours.

Dernier aspect raté de la série : la mise en scène. Le rythme est affreusement lent. On sent la volonté de créer une atmosphère pesante, mais Le Mandalorian, déjà problématique dans sa gestion du rythme, ne semble pas avoir servi de leçon. Tous les effets tombent fatalement à plat si les acteurs sont nuls, leurs répliques idiotes, les enjeux superficiels ou si la musique n’est pas capable de remplir ce grand néant.

Un des acteurs de la série The Expanse a hérité du rôle du sbire de Thrawn. Cela présage sans doute un développement, peut-être dès la saison suivante. Avec une trajectoire à la Boba Fett à prévoir : costume génial, personnage insipide. Comme Ezra d’ailleurs. Ce n’est plus une saga, c’est un club de rencontres. Disney, l’appli qui vous fait rencontrer vos personnages préférés et qui vous en fait rencontrer de nouveaux. À quoi voulez-vous que votre « date » ressemble ? Quel doit être son caractère ? Sera-t-il tenté par le côté obscur ? Voyageriez-vous avec lui pour toute une série dédiée ?… Et sinon, l’histoire, les enjeux, les conflits ? Tout ne peut pas reposer que sur les personnages. Ce qui les rend intéressants, c’est de les voir se révéler face à l’adversité. Sans environnement qui pousse le héros à l’action, sans dilemmes qui interrogent ses valeurs, sans opposants nouveaux et sans rencontres inattendues capables de modifier leur manière de voir le monde, pas de héros. Il est parfois reproché aux studios de contenter un certain public en ne lui proposant guère plus qu’un vulgaire « fan service ». À force de donner l’impression de ne pas prendre le soin d’établir autour des personnages des structures narratives consistantes, en obligeant le public à suivre toutes les séries dérivées de la franchise sans quoi il serait perdu (ce ne sont pas de simples clins d’œil, on fait appel à des événements développés dans les autres séries ou un personnage apparaît), on se rapproche de la gestion de patrimoine et du fan service, il faut le reconnaître. Qu’y a-t-il de réellement nouveau dans Ahsoka ? Tous les personnages se connaissent déjà ; ils ont une histoire commune dans les séries précédentes. Il est peut-être aussi un peu là l’échec de cette première saison.

Star Wars est un univers de jeunes premières bien burnées, de rebelles, de parias, avec des contrebandiers, des chasseurs de primes en arrière-plan, pas vraiment un univers de jeunes premiers. Malheureusement, Ahsoka n’est ici ni jeune, ni guère plus rebelle, et encore moins burnée comme elle a pu le démontrer par le passé.

Un regret alors peut-être. Cela aurait sans doute été plus couillu de proposer une trilogie sur ce personnage d’Ahsoka en prises réelles depuis son arrivée au temple Jedi, sa rencontre avec son maître, ses rapports souvent complices avec lui, mais aussi souvent conflictuels, le complot contre elle, sa prise d’indépendance, sa participation à la Rébellion, sa rencontre avec Sabine et son renoncement à la former, son opposition avec Maul et Vador, etc. Une histoire transversale à l’histoire skywalkeresque sur le personnage le plus indépendant et droit de la saga, voilà qui aurait été intéressant, même si fatalement, parfois, cela aurait fait écho avec de nombreux événements relatés soit dans les films soit dans les séries animées. S’il fallait encore s’en convaincre, Disney, au contraire de certains de ses meilleurs personnages féminins, n’a pas de couilles. Progressistes, mais pas trop : on veut bien raconter l’histoire d’une femme indépendante et rebelle, mais on racontera son histoire quand elle aura perdu de sa vigueur et qu’elle pourra faire la leçon aux jeunes (tout en comptant sur eux pour tirer les oreilles des méchants, ces ennemis d’un ordre qui nous est cher). « Ne m’appelez plus jamais Snips. Mais Ma’am. La vigueur, elle m’a laissé tomber. »

Gardons espoir pour la ou les saisons suivantes… Même si, l’espoir, de coutume, on le trouve à l’entame d’une série ou d’une trilogie…


Commentaire écrit en réponse à un épisode du podcast C’est plus que de la SF dédié à la série de Lucasfilm.


Ahsoka, Dave Filoni (2023) | Golem Creations, Lucasfilm

Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon (2016)

Note : 4 sur 5.

Dernier Train pour Busan 

Titre original : Busanhaeng

Année : 2016

Réalisation : Sang-ho Yeon

Avec : Gong Yoo, Jung Yu-mi, Ma Dong-seok

Peut-être plus qu’un film de zombie. Alors que le prequel est complètement raté (Seoul Station) en faisant surtout d’une vraie zombie (au sens figuré) une fille perdue qui attend que son petit copain qui la prostitue vienne la sauver (je crois qu’on ne pourra pas faire plus terrorisant au rayon du sexisme : une victime demandant l’aide à un homme qui la maltraite, et cela au premier degré, c’est littéralement le canevas du film avec une chute qui arrive même à enfoncer le clou), eh bien, tout l’aspect émotionnel ici est parfaitement conçu. C’est bien sûr très convenu, mais vu l’écart lamentable et la faute de goût de Seoul Station, il faut savoir s’en satisfaire. La relation entre la fille et son père, puis celle entre le malabar et sa femme enceinte, c’est vraiment ce qui donne au film sa saveur. Et je crois surtout que je suis fan de Ma Dong-seok qui était déjà responsable en bonne partie du succès du Gangster, le Flic et l’Assassin.

Plus qu’un film de zombie aussi parce que dans la tradition des meilleurs films du genre (et c’est peut-être le genre que j’aime le moins au monde), on y retrouve une satire assez féroce de nos sociétés contemporaines. La critique ici est peut-être moins sur le consumérisme qu’autrefois, mais plus sur l’égocentrisme de nos sociétés. La gamine rappelle à son père que c’est pour ça que sa mère les a quittés (la vérité sort de la bouche des enfants) ; le vagabond, plusieurs fois, leur sauve la mise (c’est donc le type dont notoirement personne ne se soucie : dans une voiture remplie a priori de personnes saines à un moment, l’un d’eux explicite bien la valeur supérieure des personnes qui ont des proches à l’extérieur qui les attendent ou pourraient avoir besoin d’eux) ; et bien sûr, on n’échappe pas à la caricature de l’homme influent cherchant à s’en servir pour échapper coûte que coûte aux « fous » au détriment de tous (alors que le personnage principal est lui au contraire pendant tout le film dans une sorte d’apprentissage : l’influence est inverse, il passe du trader égocentrique à l’homme qui se sacrifie pour ceux, et celles, qui lui ont justement fait la leçon). C’est une belle morale à l’histoire : dans ces situations, on sait que les puissants s’en sortent le mieux, non, comme on le disait à une époque où on avait plus d’honneur et moins la fibre sociale : « les femmes et les enfants d’abord ».

Les blockbusters coréens font souvent dans la morale suspecte en tirant facilement sur les « méchants », caricatures sans ambiguïté du mal ; pour une fois que la satire (ou la critique sociale) est réussie, il ne faut pas bouder son plaisir. Ce n’est d’ailleurs pas si loin de la morale qui fera le succès de Parasite. Ironiquement, il me semble que ces deux films ont été tournés dans une rare période dirigée par une politique de centre gauche. Déjà depuis, le pays est retombé aux mains de la droite. Ironiquement encore (ou pas), si on peut voir aussi le film comme une sorte de mauvais présage des comportements qui verraient le jour avec la pandémie, l’excellente gestion sanitaire du pays était à mettre au crédit d’un pouvoir qui pour la première fois mettait au cœur de sa politique la préservation de la santé de tous au détriment de l’économie ou des libertés individuelles (même s’il me semble que ça se joue parfois à rien : si autant de précautions ont été prises pour éviter une épidémie domestique, c’est qu’un confinement y aurait été illégal). Peut-être que la bonne santé des œuvres, quand elles proposent une satire fine du monde dans lequel elles évoluent, permet aux forces démocratiques d’un pays de rester plus efficacement en alerte et ainsi à la société de mieux réagir face aux nouvelles menaces… (Oui, je suis en train — parti pour Busan — de faire un raccourci entre film de zombie, pandémie et gestion sanitaire d’un pays.)


Dernier Train pour Busan, Sang-ho Yeon 2016 Busanhaeng | Next Entertainment World, RedPeter Film, Movic Comics

Ça commence à Vera Cruz, Don Siegel (1949)

Screwbullet comedy

Note : 4.5 sur 5.

Ça commence à Vera Cruz

Titre original : The Big Steal

Réalisation : Don Siegel

Année : 1949

Avec : Robert Mitchum, Jane Greer, William Bendix, Ramon Novarro

— TOP FILMS

Don Siegel fait du bon boulot. C’est propre et haletant. Fort à parier que pour ce coup-ci, le briscard a profité surtout d’un scénario en or. La distribution n’est pas en reste, le couple de La Griffe du passé est reconstitué : Robert Mitchum et Jane Greer s’y donnent à cœur joie, chaque réplique ou presque semble être une patate chaude qu’ils se refilent avec joie et sadisme. Les je t’aime moi non plus, c’est peut-être ce qu’a inventé de mieux le cinéma hollywoodien. Un joyeux ping-pong verbal qui ne serait possible sans une volonté de mettre la femme au même niveau que son partenaire masculin. Le soft power à visée féministe le plus efficace de l’histoire, il se situe là dans ce petit jeu pervers qui finit vite par devenir une private joke entre deux adultes consentants s’envoyant des piques avant de se bécoter. Il y a une certaine influence britannique dans cet humour par la distance flegmatique que les deux protagonistes cherchent à adopter pour éviter de montrer à l’autre qu’il est en train de s’attacher à lui, ou déjà qu’il ou elle lui plaît. Ou du vaudeville.

La principale marque du film, c’est bien cet humour, pourtant quand il s’agit de films noirs, on semble un peu réticents à en faire une comédie (même si j’ai sans doute une tendance plus que d’autres à faire de certains films noirs des comédies ; ma vision du Troisième Homme, à contre-courant, il faut bien l’admettre, en atteste). Certes, la comédie, c’est comme le glaçage sur une pâtisserie ; c’est à la fois la touche finale qui vient parachever un morceau bien élaboré, mais c’est aussi la saveur la plus délicate qui vous touche en premier une fois engloutie. J’aime ça le glaçage. Je préfère ça à être roulé dans la farine.

Et pour en revenir à cet archétype du couple que tout oppose mais dont les deux éléments unissent leurs forces parce qu’ils poursuivent un même objectif (ici chacun cherche à se faire rembourser une somme d’argent que le même homme leur a soutiré), et sont ainsi poussés sur les routes (les voyages forment la jeunesse, mais scellent peut-être plus encore les amours naissantes), on voit ça depuis New York Miami jusqu’à À la poursuite du diamant vert, en passant par Star Wars, Rain Man (dans une version fraternelle) ou… Sierra Torride réalisé par ce même Don Siegel. L’Amérique des cow-boys nous a aussi fait apprécier l’amour vache.

Les astuces du nœud dramatique sans lesquelles le film serait une vulgaire pâtisserie de film noir relèvent presque du génie ou du miracle : ici, pas de flashback pour noyer le spectateur dans le flou de l’enquête, pas (ou peu) de personnage de l’ombre qui tire secrètement les ficelles. Car en dehors d’un ou deux retournements longuement préparés au four, tout est fluide et limpide comme un chase film. Deux courses s’entremêlent. Celle qui se joue entre les deux protagonistes pour savoir qui a la plus grosse (repartie) ; et celle qui consiste à rattraper leur homme qu’ils filent le plus simplement du monde sur les routes, presque comme dans une caricature, à bord d’une auto, et qu’ils rencontrent le temps de plus ou moins brèves escales où se joue alors un autre genre de jeu du chat et de la souris, là encore verbal, plus subtil, et avec beaucoup moins de connivence que quand on chasse la même proie assise derrière le même tableau de bord et qu’on passe le temps en prétendant ne pas remarquer les qualités de l’autre en lui disant précisément le contraire de ce qu’on pense. (Cette phrase était sponsorisée par La Recherche du magot perdu.) Un jeu de piste pas très malin mais savoureux, et surtout, avec des astuces donc, bien trouvées, pour rendre possible cette connivence autour d’éléments rapidement introduits et capables de servir de référence aux deux (il ne faut pas cinq secondes pour qu’ils se retrouvent autour d’un étrange volatile dont ils vont tâcher de se débarrasser au plus vite tout en continuant à y faire référence à chaque occasion tout au long du film — à commencer par le surnom que l’un et l’autre utiliseront pour s’adresser à l’autre). Des astuces de vaudeville, des MacGuffin sentimentaux et humoristiques. D’autres MacGuffin sont cette fois mis au profit de la trame criminelle : l’argent volé que le chassé-escroc parvient habilement à dissimuler et à remettre à son commanditaire (le même principe sera utilisé dans La Forteresse cachée, et avec des rôles inversés) ; ou une statuette à laquelle tient particulièrement un personnage récurrent.

Le fait de placer cette course-poursuite au Mexique n’est ni gratuit ni exotique. Ça permet au contraire de jouer sur les stéréotypes (sur un même principe de décalage sentimental) ethniques, et là encore, de sortir du simple film criminel (ou noir) pour le rapprocher de la comédie, voire de la screwball (il y a des westerns noirs, et il y a donc des screwball comedies criminelles, comme pouvait l’être la série des Thin Man avec Powell et Myrna Loy). Si tous sont habiles et intelligents, on remarquera que les policiers mexicains ne sont peut-être pas les plus idiots dans l’affaire. Les deux scénaristes ont trouvé une astuce formidable pour se jouer de la problématique linguistique, souvent présentée de manière caricaturale et gratuite dans les films : le chef de la police mexicaine apprend l’anglais (c’est son subalterne qui lui fait sa leçon), et il dit vouloir profiter de la présence de ces Américains pour s’entraîner (on tiendrait presque là les origines hispaniques du nom d’un célèbre enquêteur américain, et fin roublard, maître dans l’art de se faire passer pour plus idiot qu’il n’est : Columbo). Je sais que j’ai une tendance facile à voir des comédies partout, mais qu’on ne me dise pas que ce type d’astuces est plus le fait du film noir que de la comédie.

Pour qu’un tel film marche, une bonne dose d’empathie envers ses acteurs principaux paraît indispensable. La repartie, ce n’est pas seulement des mots, ce sont des mots qu’on dit dans le bon rythme et la bonne tonalité. On a toujours l’air intelligent avec les mots des autres, mais on (les mauvais acteurs) aurait presque tendance à penser que pour paraître intelligent, il faut avoir l’air pénétré, sérieux, réfléchi, voire mystérieux. Or, la repartie, c’est de l’intelligence, et c’est de l’intelligence qui se fait passer pour de la bêtise (un peu comme notre chef de la police mexicaine). Autrement dit, ça vise vite et ça vise juste. Et attention, à ne pas confondre vitesse et précipitation, on n’est pas non plus dans La Dame du vendredi : il faut parfois peser certaines répliques qui passent mieux après une petite pause, un temps censé reproduire la petite pensée cynique du personnage qui se demande s’il va la sortir ou pas, et qui la lâche. Un exemple pour ça : la réplique finale de la séquence où Mitchum et Greer se retrouvent embarqués au poste de police, et où elle confirme qu’ils ont tous les deux un intérêt commun… avant d’évoquer les oiseaux… Vous dites cette dernière phrase trop tôt, sans ponctuation, sans suspense, sans voir Jane Greer simuler un petit temps de réflexion mi-amusée, mi-dépitée, et la réplique tombe à l’eau.

Le physique joue aussi. Ni l’un ni l’autre ne sont des acteurs de screwball, on l’a compris, et je ne prétends pas qu’on tombe complètement dans le burlesque. Du vaudeville, assurément, comme pouvait l’être Stage Door avec des acteurs pas non plus tous connus pour être de grands acteurs de comédies (Ginger Rogers et Katherine Hepburn ont survolé différents genres). Mitchum est un habitué des petites répliques tout en sous-entendus flegmatiques passés sous la table sans qu’on sache si c’est de l’oseille ou du vitriol. Mais Jane Greer est beaucoup plus une surprise dans ce registre. Dès sa première scène, elle possède ce mélange étrange de victime bafouée cherchant réparation, avec ses yeux mouillés et ses poches sous les yeux, et la conviction ou la force de la femme à qui l’on ne la fait pas (ou plus) ; et surtout, comme elle ne cessera de le démontrer avec Mitchum, capable de se mesurer à un escroc, au moins sur le plan verbal, et de lui tenir tête. Par la suite, une des grandes réussites de ce duo, c’est souvent elle qui se montre plus futée que son compagnon : parfois, il est obligé de le reconnaître (il faut le noter, et cela aurait difficilement pu être imaginé dans un pays latin comme le nôtre où le stéréotype de la « femme au volant » a toujours cours), et c’est elle qui tient le volant lors de la longue séquence de course-poursuite. Ce n’est pas seulement un moteur humoristique pour le film : on n’y rit pas parce qu’elle ne sait pas s’y prendre, puisqu’au contraire, elle est parfaite dans cet exercice, mais on sourit de voir que justement Mitchum en est réduit à côté à retirer ce qu’il avait dit sur ses prétendues capacités à conduire, et par conséquent à suivre, dans une position d’attente souvent dévolue au personnage féminin. Et d’autres fois, il ne sait même pas qu’elle lui a sauvé la mise (par exemple quand il s’en veut de ne pas avoir pensé à saboter le véhicule du militaire : on sait, nous, parce que le plan suivant nous le montre, que non seulement elle y a songé, mais qu’elle l’a fait : la charge mentale du sabotage du véhicule quand on est chassés par des méchants et ne pas s’en vanter par la suite, on en parle ?).

Au rang des acteurs, notons encore la présence de William Bendix, avec sa gueule de méchant lunaire, dévoué et naïf, que Robert Mitchum retrouvera bientôt dans un autre noir comique : Le Paradis des mauvais garçons. Un contrepoint parfait à notre couple idéal. Pas de grandes comédies sans faire-valoir ou souffre-douleur.


Ça commence à Vera Cruz, Don Siegel 1949 The Big Steal | RKO Radio Pictures 


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Le Grand Attentat, Anthony Mann (1951)

Note : 3.5 sur 5.

Le Grand Attentat

Titre original : The Tall Target

Année : 1951

Réalisation : Anthony Mann

Avec : Dick Powell, Paula Raymond, Adolphe Menjou

Un joli polar méconnu de Mann à ranger dans les films à suspense se déroulant dans un train avec un coupable à dénicher parmi les passagers et… une sorte de bombe à désamorcer ou de course contre la montre (déjouer en fait l’assassinat de Lincoln lors de son investiture annoncée à Baltimore).

On est entre Speed et Le Crime de l’Orient-Express avec une touche de The Narrow Margin. C’est parfois un peu naïf dans sa morale (il faut sauver Lincoln parce que c’est vraiment un type bien, du genre à vous tenir la porte, si, si), des rebondissements que même moi je les vois signalés à des kilomètres par le chef de gare.

Le seul hic du film vient du manque de charisme évident de l’ancien benêt des comédies musicales, Dick Powell, tenant ici le rôle principal. Un freluquet pour jouer un dur, rusé et sage. On sent qu’il a appris sa leçon, il copie comme il faut les petits gestes des meilleurs acteurs qui en imposent, mais dès qu’il prend un air sérieux, investi, pénétré, autrement dit tout le temps, on sent qu’il force sa nature et on rêve de voir un vrai acteur qui en impose, naturellement, à sa place.

Un qui n’a pas à forcer sa nature, c’est Adolphe Menjou, qui trouve ici un rôle de salaud conspirateur à la hauteur de sa jolie carrière de fasciste : il est parfait. (Comme quoi, ce n’est pas toujours les types biens qui ont le plus de talent.) (Sinon Lincoln en aurait été un, d’acteur, et il n’aurait pas été assassiné par un autre… acteur.)



Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1951

Liens externes :

IMDb


World War Z, Marc Forster (2013)

Pzychologie des foules

Note : 4 sur 5.

World War Z

Année : 2013

Réalisation : Marc Forster

Avec : Brad Pitt

Amusant de voir à quel point ce film se fait défoncer. Je dois être un zombie à ma manière pour l’apprécier plus que d’autres. Je suis loin d’être un amateur de films d’horreur, et là est sans doute l’astuce : World War Z est un blockbuster plutôt grand public centré sur une catastrophe épidémique fulgurante et mondiale.

Alors que traditionnellement dans les films d’horreur, le spectateur titille son propre rapport à la mort, s’amuse jusqu’au grotesque de l’image de son cadavre livré aux charognards ou aux esprits maléfiques, incapable de trouver la paix éternelle, le tout dans un grand carnaval cathartique censé le laver de ses peurs primaires, rien de ce rapport à la mort un peu masochiste dans World War Z : les zombies n’y sont — réellement — pas les bienvenus. L’humour est toujours périphérique (le propre des hommes et de leur bêtise plus que du ridicule des monstres claudiquant la bouche ouverte). Cet humour est plus souvent absurde que grotesque, et quand il est question de montrer individuellement des morts-vivants, l’idée semble moins de faire peur ou de nous dégoûter en nous rappelant qu’avant de retourner à la poussière, un corps est un gros sac de tripes, que d’opposer à nos héros des ennemis animés peut-être par un agent infection, un virus sans doute, qui n’ont plus aucun rapport avec les morts-vivants tels qu’on se les représente dans les premières histoires de zombies (avec une forte imprégnation des mythes vaudous).

Il faut reconnaître que pour un film de zombies, on échappe à certains codes du genre qui m’ont toujours dégoûté : peu de sang, pas de tripes à l’air prêtes à être dévorées, et quand on voit en gros plan les morts-vivants, on voit clairement qu’il s’agit de mastoc (le plastique salit moins que le maquillage). Des pions donc, une armée de cadavres, certes, mais bien impersonnels. Il faut noter par exemple qu’un des ressorts dramatiques habituels du film de zombies, c’est de voir surgir un personnage secondaire changer de bord si on peut dire et s’en prendre à ses anciens compagnons. On ne voit ça ici que brièvement qu’avec des seconds couteaux (certains ont pu se plaindre d’ailleurs de voir l’indifférence des survivants face au plus marquant d’entre eux : le père du jeune hispanique qui accompagnera la famille de notre héros tout au long du film).

Plus important encore, et c’est un des points qui, sans doute pour des raisons personnelles, m’a réellement foutu les chocottes, c’est la vitesse de déplacement des zombies. Traditionnellement, les morts-vivants avancent les bras en avant telle la créature de Frankenstein surprise en pleine crise de somnambulisme. Ici, et sans faire référence à un précédent film avec Brad Pitt commenté, les créatures sont pleines de furie et avancent par vagues. La vitesse de propagation du virus en est d’autant plus rapide, d’autant plus qu’il faut moins de dix secondes pour qu’une personne infectée chasse la vermine humaine à son tour. Ce qui est effrayant, c’est l’ampleur de la contamination, son extrême violence et la vitesse à laquelle elle se propage. Comme si l’ombre effrayante et morbide qui l’accompagnait était inéluctable.

Je parle de raisons personnelles. Je n’ai vraiment aucune appétence particulière pour les films de zombies. La vague critique consumérisme ou les séquences de cloisonnement que les films produisent peuvent temporairement éveiller mon intérêt, mais globalement, faire joujou avec des pots d’hémoglobine ou des lambeaux de peau putrides, c’est loin d’être mon truc. Là pourtant, il y a quelque chose dans ces séquences de foule qui me fascine. Il faut reconnaître que l’aide massive des effets spéciaux doit y faire : la vitesse semble par moments accélérée, les chocs sont extrêmement violents, donnant l’impression que des morceaux de chair sans vie s’animent tout à coup, mécaniquement, pour croquer une foule apeurée ayant peu de chance de survie dans de tels espaces à ciel ouvert (la dernière partie dans un centre de l’OMS me semble à ce sens plus traditionnel, parce qu’on joue plus sur la peur et le cloisonnement que sur la peur des grands espaces encombrés et des foules grouillantes — encore — de vie). Ce qui fascine tout autant, c’est que les zombies ne s’arrêtent pas pour savourer la chair fraîche comme on le voit dans la plupart des films : c’est une vague, ou un voile, de mort qui s’étend brutalement sur les vivants, qui une fois contaminés grossissent le rang des morts-vivants pour contaminer les autres. L’impression qui en ressort, c’est que les chances d’y échapper sont quasi nulles, un peu comme si on se retrouvait pris au piège sous une avalanche ou un tsunami. Pour moi qui apprécie assez peu les foules et les grands espaces dans la vie, l’effet est immédiat. Je n’ai pas pour autant les pétoches, on ne va pas exagérer, mais ces images de marées humaines déferlant dans des ruelles ou des places en panique qui de loin donnent l’impression d’une tache d’encre qui ne finit plus de s’étendre, oui, ça me fascine. Et si certains peuvent être fascinés, et trouver même très joli de voir des tripes à l’air lancer des giclées rouges, jaunes et vertes dans le champ, ces images-là, moi, m’inspire surtout du dégoût.

Esthétiquement parlant, oui, je trouve ça beau. C’est comme une chorégraphie de corps faussement désynchronisés. Il y a même probablement une symbolique amusante qui se cache derrière cette foule qui fuit, qui crie, et qui retourne sa veste en moins de deux : comme une république en marche qui phagocyte tout sur son passage : ni mort, ni vivant, mais les deux à la fois. Le « en même temps » rapporté à la psychologie des foules. Le zombie des origines imprégné de vaudou et le zombie des Trente Glorieuses se retournant dans sa tombe pour consommer la dernière ressource disponible sur terre, la chair humaine : le zombie de ce World War Z serait ainsi un mutant capable de courir plus vite que son concurrent encore bien vivant pour se ruer à une promotion de pots Nutella.

À moins que cette fascination soit une réminiscence des premières images de mon enfance qui m’avaient traumatisé, celles du clip de Thriller, et quelque chose qui se rapproche de l’armée de squelettes dans Jason et les Argonautes… En ce sens, j’ai très vite été convaincu par le film : même si c’est assez peu crédible (à la vitesse de propagation du « virus », il n’y aurait probablement besoin que d’un seul foyer pour infecter la planète entière en moins d’une semaine : les actualités parleraient du chaos dans la région où ça se passe, et les autorités prendraient vite des mesures contraignantes pour isoler une large zone autour de ce foyer d’origine), le changement est radical. L’idée de placer dès le départ la famille dans un lieu à la fois confiné comme une avenue congestionnée de Philadelphie, grouillant de monde, crée de suite une menace d’une ampleur inouïe. L’horreur, elle est moins dans l’image individuelle qu’un zombie pourrait offrir aux yeux de celui qui le regarde effrayé ; elle est dans la brutalité et la vitesse à laquelle cette menace extrême se répand. On est proche des « grandes menaces sur la ville » depuis longtemps illustrées dans les films de seconde partie de soirée : des films de monstres comme Godzilla ou King Kong, des films d’invasion extraterrestre comme La Guerre des mondes, des péplums catastropho-macistes, ou encore des films de super-héros qui dernièrement ont pu être crédibles dans ce registre — les destructions massives n’impliquant plus seulement des « objets » mais des personnages à part entière — grâce aux effets spéciaux numériques. Ce sont ces mêmes effets spéciaux qui rendent possible dans ce film la vitesse de déplacement des zombies. Un zombie à forme olympique ! Captain Zombie !…


Un autre aspect du film qui me fascine, et m’amuse, c’est ce qui est précisément suggéré par le titre, à savoir une guerre totale contre un virus (ou les zombies ainsi parasités). On a commencé, de ce que j’en sais, à faire des zombies qui s’attaquaient dans les années 60 à des individus, c’était la peur du mal tapi dans l’ombre. Dans les années 70, le zombie est devenu le consommateur asservi à son produit, et de la sphère privée, on passait à celle de la communauté (celle qui se retrouve au supermarché du coin). Et puis dans les années 2000, au milieu de quelques parodies ou films mutants, grâce aux moyens mis par les studios (les films de soirées bis passant en première partie de soirée), on est passé à une sphère plus large, en incorporant à l’histoire des implications militaires et politiques (en perdant aussi tout l’esprit et le second degré des films de la génération précédente) ; les films de zombie sont ainsi devenus des films apocalyptiques. C’est bien ça ?… L’apocalypse, ça suggère que la guerre est sur le point d’être perdue ou qu’elle est en tout cas mal engagée : des individus se retrouvent isolés les uns des autres, des groupes se constituent pour lutter contre des hordes de zombies, et globalement aucune autorité nationale ou supranationale n’est encore en place ou en mesure de lutter efficacement contre « la menace ». On passe donc ici encore à l’échelon supérieur : on quitte plus ou moins la sphère privée (j’aurais préféré perso qu’on le fasse totalement en évitant de devoir passer par les personnages familiaux : une vaine tentative sans doute de faire grand public à la Spielberg, mais c’est plus irritant qu’autre chose) pour se retrouver au niveau le plus élevé possible : et si l’armée est bien présente, il faut noter pour une fois que le plus haut niveau de responsabilité évoqué, c’est celui de l’Organisation des Nations Unies, pas… la Maison blanche. On semble même s’amuser dans le récit à dézinguer certains codes du genre (celui du film à gros budget impliquant cette « fin du monde », beaucoup plus que le simple film de zombies, oui) : le Président ? On l’apprend rapidement, il est mort, mais on fait avec (aucun drapeau en berne, aucune réplique patriotique : on s’en fout, vive l’altermondialisme zombie). Le scientifique fraîchement sorti d’Harvard censé résoudre le mystère du patient zéro ? Mort sur le coup en marchant sur une peau de banane (on appelle ça un contrat « Janet Leigh » : on croit à la lecture du scénario qu’on va avoir la part belle dans l’histoire, et on se fait zigouiller bêtement à la séquence suivante). L’artillerie lourde ? N’y pensez pas, les zombies sont attirés par le bruit. Et on voyage donc. Ici on ne change pas une menace qui gagne : elle vient toujours de l’extérieur. Et oui ! Parce qu’il y a un petit côté Tintin, sauveur du monde, James Bond contre l’apocalypse, qui m’amuse beaucoup.

Ensuite, si le film possède ses petites et grosses incohérences, certains détails sont particulièrement bien trouvés, parfois même savoureux. L’idée de se retrouver à Jérusalem ceinturée par un gros mur, ça pourrait être politiquement incorrect (je ne pense pas que Trump en était déjà à évoquer un mur le long de la frontière mexicaine au moment de la sortie du film), mais en fait ça tient assez bien la route. L’État juif ainsi enclavé est même paradoxalement montré sous un angle positif parce que comme s’en étonne le personnage de Brad Pitt, on y laisse passer de nombreux non infectés. Malheureusement, parmi eux, certains (d’accord, ce sont forcément des musulmans) sont si enthousiastes à l’idée de sauver leur peau qu’ils commencent à entonner des chants… Et d’un coup, on se croirait à Jéricho. L’allusion est peut-être grossière, mais elle m’a fait rire. Le reste est spectaculaire et ferait presque penser au siège de je ne sais plus quelle ville dans Le Seigneur des anneaux assaillie par une armée de trolls et autres forces zombiesques… Rien ne se déroule comme prévu, et notre tintin casque bleu s’invite dans un appareil biélorusse. On continue de casser les clichés habituels du genre, et le choix d’un équipage biélorusse n’est pas anodin : le pays est souvent présenté comme possédant un des régimes les plus répressifs d’Europe, et des sanctions sont effectives contre lui au moment de la sortie du film. Or, on prend bien soin dans le film de ne pas les montrer comme des opposants ou des crétins de circonstance ; au contraire, l’équipage est coopératif et toutes les nationalités sont représentées parmi les passagers (même un zombie, c’est dire l’hospitalité). Des petits détails qui agaceraient assurément s’ils allaient dans le sens inverse : c’est un reproche souvent adressé à Hollywood, il faut donc noter l’effort à ce niveau.

La dernière réussite du film à mon sens, c’est l’astuce élaborée pour trouver une issue à tout ce chaos zombio-épidémio-logique. La première astuce narrative du film était de faire des zombies des monstres attirés par le bruit (ce qui oblige à pas mal de prudence et interdit des méthodes à la Rambo) ; la seconde, flairée par notre pittoyable enquêteur de l’ONU : les zombies ne s’attaquent qu’à des individus sains. Un paradoxe, mais l’idée de se retrouver immunisé contre le mal ultime (la mort qui vous étouffe et fait de vous un de ses agents en un clin d’œil), c’est à la fois bien trouvé et, visuellement, follement spectaculaire. Et moi, j’adore les petites astuces narratives dans les films de série B…

Voilà, manifestement je n’ai pas vu le même film que bon nombre de spectateurs. À partir du moment où très vite j’ai été fasciné par ces hordes de zombies déferlant dans une mégapole américaine, les incohérences et les facilités qui suivaient, j’étais prêt à les accepter. Phénomène plus étonnant en revanche, Brad Pitt m’a même semblé sympathique. Le contraire m’aurait inévitablement gâché le plaisir. Il faut croire que ça a du bon d’arrêter de perpétrer des crimes de guerre. Quand il est là, le plaisir, pourquoi dandiner des couches. Courez, zombies ! S’il devait n’en rester qu’un à sauver ce film, je serais celui-là !

Z

 


Listes sur IMDb : 

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Okja, Bong Joon-Ho (2017)

Veau d’or sous soleil vert

Note : 3 sur 5.

Okja

Année : 2017

Réalisation : Bong Joon-Ho

Avec : Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal, Ahn Seo-hyun

Il faut noter l’ironie de dénoncer la nourriture industrielle tout en faisant un film foutrement formaté. La cuisine de Bong est par moment indigeste, entre la farce Tex Avery (Jake Gyllenhaal est insupportable), le film émotif à la Disney, l’humour potache et l’action de charcutier. Ça fait trop pour moi.

Si le sujet malgré tout (celui de la satire antispéciste) vaut le coup d’œil, l’ennui l’emporte globalement. J’ai du mal par exemple à comprendre comment on peut s’émouvoir d’une telle relation avec un rythme aussi relevé où les temps morts sont rares (la séquence la plus lourde est une réunion explicative entre tous les personnages du groupe des Américains : Bong Joon-Ho est trop poli avec ses acteurs et ne contrôle rien). Il y aurait moins d’action, la fillette serait moins contrainte dans ses mouvements (un personnage principal impuissant, c’est chiant), et on aurait utilisé un poulet ou un bœuf à la place de ce machin porcin numérisé et sans charme, je me serais plus régalé… Okja, qu’elle parte à l’abattoir, ça me faisait ni chaud ni froid.

On m’a aussi fait remarquer certaines incohérences dans l’histoire. C’est vrai par exemple qu’il y a un petit côté étrange à voir débarquer le commando antispéciste et la petite, à la fin, dans l’abattoir, avec ses hectares de bétail porcin enfermé dans des enclos à ciel ouvert, et ne pas s’en émouvoir plus que ça (c’est bien là que la réalisation ne prend pas assez son temps pour nous montrer l’étendue du désastre, trop concernée qu’elle est à cet instant pour nous faire participer à une grande cavalcade).


(Me voilà moi aussi lancé dans une longue course, puisque j’entame avec Okja un mois gratuit sur Netflix. Et je compte bien saigner leur catalogue de films récents — il n’y a de toute façon rien à se mettre sous la dent en termes de classiques, c’est même le grand désert.)


 

Sur La Saveur des goûts amers :

Top des films de science-fiction (non inclus)

Lien externe :


Les Carnets de route de Chuji, Daisuke Ito (1927)

Note : 3 sur 5.

Les Carnets de route de Chuji

Titre original : Chuji Tabinikki Daisanbu Goyohen

Année : 1927

Réalisation : Daisuke Ito

Belle déception pour ce qui est censé être le grand chef-d’œuvre du jidaigeki à lame du temps du muet. On peut voir sur le Net un peu plus d’une minute de ce qui serait une course-poursuite du premier des trois films, or si c’est le passage le plus impressionnant, l’extrait n’apparaît pas dans le film reconstitué par les archives japonaises. De la trilogie initiale, il ne resterait rien du premier en dehors de cet extrait ; du second volet, une seule nous serait parvenue (constituant le début du film reconstitué), et seul le troisième serait arrivé jusqu’à nous dans sa totalité.

Malheureusement, tout cet épisode apparaît plus comme un long épilogue à ce qu’on ne verra jamais et qui faisait saliver : les aventures trépidantes de Chuji. Ce dernier est en effet mourant dans cette dernière partie, et le clou du spectacle de la trilogie, c’est de le voir, si on peut dire, cloué sur une civière, porté pendant une demi-heure par ses hommes, et se jouant des différents barrages pour rejoindre leur fief. C’est un peu comme si dans La Forteresse cachée, Akira Kurosawa avait donné le rôle principal au magot transporté en cachette… Moultement affriolant, je n’en puis plus.

Avant que Chuji agonise heureusement, et finisse dans une dernière scène certes réussie par abdiquer face à la « loi », le bretteur nous avait surtout amusés lors d’une scène où, rendant visite à un marchand pour solder les comptes de je ne sais quel bonhomme, il déjouait l’air de rien les tentatives de meurtre exercées contre lui par les fils du marchand placé derrière un shoji (porte coulissante avec ouvertures en fines feuilles de papier). Après ça Chuji, paralysé du côté droit, se battra une seule fois contre ces mêmes sympathiques hôtes. Tout le reste n’est que bavardage. Dernier instant de bravoure là encore réussi : sa maîtresse tuant un traître du clan avec un… pistolet (je doute que Spielberg et Harrison Ford aient vu le film).

On pourrait y reconnaître quelques honorables accents propres à la légende de Miyamoto Musashi (sens du devoir, volonté de protéger un môme, héros seul contre tous, expert en maniement du sabre) ou de Tange Sazen (sabreur blessé n’usant que d’un bras). Mais de ce qu’il reste de la trilogie, on est loin de ce qu’on pouvait en espérer, à la lumière surtout des autres opus d’Ito disponibles (Le Sabre pourfendeur d’hommes et de chevaux, pour ne citer que le denier vu). Je suis également loin d’être convaincu par la performance grimaçante (certes, il souffre le bonhomme) de Denjiro Okoshi (le même qui interprétera Tange Sazen cinq ans après dans Le Pot d’un million de ryo). Ce pot-ci vaut peut-être plus d’un kopeck, mais le meilleur est sans doute parti en fumée.


Listes

Dans la Kinema Junpo Top Japanese Film list.

Liens externes :


Le Policier, Tomu Uchida (1933)

Note : 4 sur 5.

Le Policier

Titre original : Keisatsukan

Année : 1933

Réalisation : Tomu Uchida

Avec : Eiji Nakano, Isamu Kosugi, Taisuke Matsumoto

On croirait voir un film hongkongais des années 80. Les amours contrariées et homosexuelles (quasi) entre deux amis, l’un policier l’autre truand. Ce dernier tue le mentor du premier lors d’un casse qui tourne mal. Le flic cherche alors à retrouver le coupable, et ses soupçons se portent sans qu’il n’y croie d’abord sur son meilleur ami.

Ce serait une commande, et Uchida, avec ses tendances gauchistes, aurait accepté le projet tout en y ajoutant un sel bien personnel, celui comme toujours empreint d’humanisme. Avec un thème éternel dans le cinéma, très cornélien, la lutte entre la passion et le devoir. D’une commande Uchida arrive à sortir un film intense et plein d’inventivité.

Ce qui marque surtout ici c’est l’habilité d’Uchida à manier sa caméra : beaucoup de panoramiques, de travellings (parfois peut-être un peu trop ostentatoire comme dans une séquence de course-poursuite), et globalement un allant qu’on ne retrouvera plus volontiers que vingt ou trente ans plus tard pour un genre qui semble avoir été délaissé pendant toutes ces années (et qui, en dehors des adaptations de Seichô Matsumoto, se pencheront peut-être plus volontiers, et exclusivement, du côté des yakuzas que de la police).

La longévité des cinéastes japonais laisse rêveur : trente ans après Uchida réalisera Le Détroit de la faim

Partition remarquable rendue par la pianiste Satsuki Hoshino à la Cinémathèque.


Le Policier, Tomu Uchida (1933) Keisatsukan | Shinko


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1933

Top films japonais

Liens externes :

IMDb


Rapport confidentiel, Milton Katselas (1975)

Rapport confidentiel

Report to the Commissioner Année : 1975

Réalisation :

Milton Katselas

7/10 IMDb

Avec :

Michael Moriarty, Yaphet Kotto, Susan Blakely

On sent le film adapté d’un roman à succès où chacun fait parfaitement son job dans une production de grand studio, mais dans laquelle il manque l’essentiel : un chef d’orchestre capable de relever les petites failles et cohérences du scénario (adaptation plus précisément). C’est parfois pénalisant et on lève le sourcil, mais en dehors de ça le film est très réussi.

Direction d’acteurs parfaite, une intrigue fouillée, parfois confuse et donc incohérente dans certaines situations, et un spectacle plaisant.

Il faut voir une course-poursuite formidable entre un cul-de-jatte et un taxi, ou celle d’un mac en slip sur les toits de la ville. Yaphet Kotto est, comme à son habitude, excellent, tout comme Susan Blakely.

Ça sent bon la crasse et l’humidité des années 70.


Rapport confidentiel, Milton Katselas 1975 Report to the Commissioner | Frankovich Productions