Mr. Long, Sabu (2017)

The Brother from Another Planet

Note : 2.5 sur 5.

Mr. Long

Titre original : Misutâ Ron

Année : 2017

Réalisation : Sabu

Avec : Chang Chen, Shô Aoyagi, Yi Ti Yao

Mélange pour le moins étonnant, mais raté, entre thriller (variante tueur à gages) et film de festival (le film a d’ailleurs été sélectionné à Berlin). Le détour brutal que prend le film à la fin de son introduction pour suivre tout un développement inattendu de tueur pris en charge par des villageois, obligé de vendre des nouilles pour gagner son billet de retour au pays (il est Taïwanais et opère pour sa mission au Japon), n’est pas inintéressant. C’est même quelque temps assez réussi. Sabu est assez bon pour instaurer des ambiances à la Jean-Pierre Melville, entre Le Samouraï et Le Silence de la mer. L’intrusion du môme dans la vie du tueur… passe encore, mais celle parfois burlesque de cette troupe de villageois venant en aide à un inconnu ne parlant pas la langue du pays, voilà ce qui constitue peut-être la seule bonne réussite du film. Là où ça file droit en revanche vers la catastrophe, c’est quand ce qui est désormais devenu un film réaliste ou comique use des ficelles grossières du thriller de mauvais goût, voire du mélo dont seuls les Coréens s’autorisent encore à produire.

L’idée du détour et le changement d’identité, on le comprenait à ce moment-là comme un pied de nez au thriller, comme le dévoilement de la face réaliste qui compose chaque thriller codifié par tout un tas de scènes à faire. On aurait pu accepter un retour tout aussi brutal à la “réalité” du thriller dans une dernière partie, mais l’usage de tous les clichés liés à la pute au grand cœur dans sa partie centrale fout tout en l’air. Justement parce qu’avec un retour au réalisme, on n’était pas censé retrouver ce genre de personnages (la prostituée n’est pas ailleurs pas du tout intégrée aux séquences comiques assurées par les villageois). Là encore, on aurait pu l’accepter si on faisait prendre à ce personnage stéréotypé (trop souvent employé dans le cinéma asiatique) le même détour que celui pris pour l’assassin. Au contraire, Sabu ne cessera dans son développement de courir après les facilités et de nouveaux clichés : prostitution d’une fille qui pourrait être top model et rêve d’être ballerine, drogue, désintox forcée menée par le chevalier blanc, maquereau violent, talents aux fourneaux sortis de nulle part, guérison miraculeuse, début d’idylle entre la prostituée et le tueur, découverte du lien filial, etc. Le sommet de cette grande soupe de mauvais goût, c’est une longue séquence inutile en flashback pour nous raconter le passé de la mère prostituée. À partir de là, on a compris qu’on ne pourra plus revenir en arrière, Sabu ayant largement dépassé les limites de la soutenabilité.

Bien dommage, l’idée initiale n’étant pas mauvaise. Il y aurait presque un côté Kitano (tendance Été de Kikujiro) plus qu’avec Takashi Miike pour qui Sabu a occasionnellement fait l’acteur ou un côté Un monde parfait sur l’amitié entre un tueur et un bambin. Mais il aurait fallu assumer jusqu’au bout le pas de côté, la prise de distance avec les clichés du genre. Signe sans doute que depuis le début le mélange foutraque de genres faisait partie du plan et que l’idée de déconstruction du thriller, de pas de côté, n’en était pas une.


Mr. Long, Sabu (2017) | BLK2 Pictures, LDH Japan, Livemax Films, Rapid Eye Movies

Empreintes digitales, Raoul Walsh (1936)

La Dame du jeudi

Note : 3.5 sur 5.

Empreintes digitales

Titre original : Big Brown Eyes

Année : 1936

Réalisation : Raoul Walsh

Avec : Cary Grant, Joan Bennett, Walter Pidgeon

Une screwball comedy criminelle assez inattendue dans la filmographie de Walsh. Le mélange de comédie et de crime rappelle par certains côtés The Thin Man tourné deux ans plus tôt, mais l’humour très british laisse place ici à un type d’humour typique de la screwball, voire de la comédie du remariage où deux acteurs de sexe opposé font semblant de se chamailler et où la repartie appartient plutôt au registre de la séduction. En ce sens, le film préfigure aussi d’une certaine manière La Dame du vendredi, tourné, lui, trois ans plus tard. Cary Grant s’entraîne presque déjà pour son duo mémorable avec Rosalind Russell. Au contraire du duo génial de The Thin Man, en plus d’évoquer plus certainement une parade nuptiale entre deux amants se jaugeant l’un et l’autre à coup de répliques bien senties qu’un mariage où la résolution d’affaires criminelles sert d’agrément ou de hobby, comme celui de La Dame du vendredi, dans ce duo-ci, c’est aussi la femme qui tire plus volontiers les ficelles dans le couple. Grant n’a jamais été aussi bon que quand il est dépassé par les événements ou doublé par des femmes plus futées ou plus alertes que lui. Encore pendant vingt ans au moins jusqu’à La Mort aux trousses, ce sera son génial credo. Et pour l’assister, pardon, pour le mener par le bout du nez, une surprenante (et encore blonde) Joan Bennett.

Les échanges de répliques qui fusent à La Dame du vendredi ne sont peut-être pas toujours du meilleur goût, la repartie des uns et des autres n’arrive jamais à la cheville de certains chefs-d’œuvre de la même époque, mais le ton est là. Il règne un certain goût d’inachevé durant tout le film, c’est vrai. La faute à Walsh dont la comédie n’est pas la spécialité, à un mélange de comédie et de crime n’ayant jamais réellement produit de très grands films, peut-être aussi. Mais ce n’est pas aussi mauvais que la relative mauvaise réputation du film (voire, pas de réputation tout court) pourrait le laisser entendre. On peut surtout apprécier les astuces et filouteries du personnage de Joan Bennett pour confondre un assassin et le faire coffrer au profit de son homme (what else). Là encore, la parenté avec La Dame du vendredi est saisissante. Et à n’en pas douter, ces quelques films de l’âge d’or d’Hollywood où les femmes mènent une carrière professionnelle qu’occupent habituellement des hommes sans que cela éveille la moindre surprise ou défiance chez les personnages masculins ont aidé certaines femmes à se lancer dans certaines professions (comme souvent au cinéma de cette époque, le journalisme), à avoir confiance en elles et à pousser les hommes à leur faire confiance et à les traiter pour ce qu’elles doivent être : leurs égales. La modernité du film est en cela au moins plutôt remarquable. D’un côté, on commence avec les manucures toutes dévouées aux soins de ces messieurs, puis par son intelligence et son audace, le personnage de Joan Bennett se voit proposer un travail dans un journal où on lui proposera vite une augmentation de salaire pour son talent. Partout en Amérique, on sent encore les effets de la crise, et Hollywood s’échine à vouloir pousser les femmes à piquer le travail des hommes (sic). C’est dans la difficulté qu’on reconnaît les sociétés qui œuvrent pour le progrès (au contraire de quelques autres, sur le déclin, qui préféreront en de mêmes situations le repli sur soi et les valeurs traditionnelles…).

Le film fera un four, apparemment, mais son producteur Walter Wanger n’en tiendra pas trop rigueur à son actrice principale parce qu’il l’épousera quelques années après. L’autre Walter de la production, Pidgeon, est également tout à fait remarquable, mais lui était déjà marié.


Empreintes digitales, Raoul Walsh 1936 Big Brown Eyes | Walter Wanger Productions, Paramount Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

99 screwball comedies (par Byrge & Miller & Sikov) (non inclus, au contraire de Wedding Present, tourné la même année avec les deux mêmes acteurs en vedette)

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Last Night in Soho, Edgar Wright (2021)

Not all men

Note : 2.5 sur 5.

Last Night in Soho

Année : 2021

Réalisation : Edgar Wright

Avec : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Matt Smith, Diana Rigg, Terence Stamp

 

Les joies du confusionnisme. Pendant près d’une heure, on s’agace en voyant cette pauvre gamine ne pas aller voir un psychiatre, tout dans ses visions faisant penser à de la schizophrénie. Cela n’aurait rien coûté de balayer rapidement cette hypothèse ou d’inventer un subterfuge en guise de justification pour ne pas avoir à le faire (comme on le fait pour justifier de ne pas appeler les policiers dans un film criminel). On lève alors les yeux au ciel en comprenant au moment du dénouement que ses visions s’appuient sur des événements réels… qu’elle identifiait mal. L’horreur, le fantastique, c’est bien, mais quand ça tient d’une explication moisie justifiée sur le tard, on s’enfonce rapidement dans le ridicule. Et c’est d’autant plus vrai, pardon, mon cher Edgar (pas Poe), que les hallucinations de la gamine n’ont rien de simples visions rattachées à un espace hanté ou à une quelconque sorcellerie : quand elle est dans la bibliothèque et qu’elle attaque une élève suite à des hallucinations, c’est typiquement un type de situation que l’on peut rencontrer avec des schizophrènes. Pour le coup, aucun rapport avec un passé bien réel… Ne pas donner des explications à son comportement à ce moment-là est plutôt problématique… Première confusion qui me pousse à faire “beuh”.

Second niveau de confusion : le rapport aux victimes, aux mâles comme la société actuelle ne veut plus en voir (des prédateurs, pour faire court) et aux assassins. Déflorons l’intrigue. Une étudiante s’installe dans une vieille chambre dans le quartier de Soho ; elle ne tarde pas à avoir des visions sur une aspirante chanteuse dans les années 60 et « apprend » qu’elle aurait été abusée par une série d’hommes que son manager lui aurait fait rencontrer. Ses visions lui indiquent bientôt que cette chanteuse aurait été assassinée par ce même manager parce qu’elle ne se pliait pas à ses exigences ; elle pense y voir un crime non résolu, et court en informer la police qui ne la prend pas au sérieux. Arrive le twist où les masques tombent, et patatras, l’assassin était en fait la victime, la logeuse, qui s’en serait prise aux hommes qui l’avaient précédemment abusée. Donc, quoi ? Finalement,… not all men ?

Dans ses visions, quand elle comprend que ceux qu’elle croyait être, seulement, ses bourreaux sont aussi les victimes assassinées par sa logeuse, elle refuse de les aider quand ils lui demandent son aide. Soit, c’est de bonne guerre. La réplique est amusante d’ailleurs, très esprit metoo radical. Sorte de revenge movie par procuration. Sauf que les implications dramatiques deviennent difficiles à justifier : la gamine comprend le fin mot de l’histoire alors qu’elle est censée être sous somnifère (elle retrouve toutes ses facultés, on se demande comment), et si elle refuse de venir en aide aux abuseurs devenus à leur tour victimes qu’elle voit en hallucinations…, de quel côté va-t-elle se placer quand la mamie psychopathe (victime autrefois de ces abus mais devenue par la force des choses une tueuse en série) se trouvera en face d’elle ? Tu as trois secondes pour réfléchir, lady, parce que mamie arrive enfin de sa longue montée des escaliers ! Alors ?… Inutile de réfléchir, mamie décide pour toi. Et que tu sois une fille ou un mec, pour la boomeur, ça ne change rien à l’histoire : la sororité, elle la poignarde en plein cœur ! Aucun respect pour les féministes 2.0, ces bonnes féministes des 60’s qui ont mal vieilli.

Sérieusement, faut pas pousser mamie dans les orties, ça n’a aucun sens. Confusionnisme total. L’ironie, sans doute, c’est probablement encore qu’on ait affaire ici à une sorte de justification par l’absurde du mouvement metoo par ceux qui justement sont les moins bien placés pour en justifier les excès : les hommes. Confusion et tartufferie. Si on voulait résumer en un film d’absurdité de metoo, il aurait bien sûr fallu y mettre un peu de male gaze. « Mesdames, je vais faire un film pour vous défendre, vous, les victimes. Ce sera trash. Les hommes vont en prendre pour leur grade. » « Cool. » « Et puis, le twist est génial. » « Ah ? » « À la fin, c’est la femme qui est coupable. » « Heu. »

Dans Scary Movie, parfois, on peut être amusé de ne plus savoir qui sont les assassins et les victimes. Mais c’est volontaire. Ici, on rit jaune (giallo peut-être), parce que plus personne ne semble savoir qui sont les agresseurs ou les victimes ou les deux. Le film d’une époque, assurément où chacun voudrait pouvoir prétendre juger de qui est qui alors que le monde n’est, pour nous et à notre petite échelle, qu’un grand flou halluciné. La vie n’est pas une fiction : la première chose à faire, c’est d’aller voir la police, de laisser faire la justice, et de surtout ne jamais se fier à ses intuitions. Les intuitions traduisent le monde comme on veut le voir ou comme on le craint ; elles nous rendent surtout les choses simples, créent un récit cohérent avec peu de matière. Un récit, ce n’est pas la réalité. Pas plus que la gamine dans le film, on n’est apte à juger de ce que l’on pense voir ou comprendre. Connaissant son passif familial, elle aurait dû s’en remettre à un psy, comme nous n’avons d’autre choix que de nous en remettre à la justice quand surviennent des faits dont la nature précise reste floue. Intuitions, hallucinations, même combat. Si le film pouvait au moins servir à cette conclusion, ce serait déjà pas si mal, mais je suis probablement le seul à forcer ainsi cette interprétation. Le confusionnisme a ses vertus : je m’efforcerai toujours à trouver un sens personnel à un grand n’importe quoi. (Quand le film que l’on vous propose est mauvais, tentez toujours d’y créer le vôtre.)

Tout cela est bien dommage, parce que tout le reste est parfaitement réussi (production, réalisation, interprétation, musique). Plaisant à regarder, mais indéniablement mal fichu.


Last Night in Soho, Edgar Wright (2021) | Focus Features International, Film4, Perfect World Pictures


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films britanniques (non inclus)

 

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Divertimento, Keyvan Sheikhalishahi (2020)

Note : 1.5 sur 5.

Divertimento

Année : 2020

Réalisation : Keyvan Sheikhalishahi

Puzzle narratif pour un thriller en quasi-huis clos dans une production à la fois cosmopolite et familiale. Rien de particulièrement bien prometteur, mais il faut saluer, quand elles se présentent, les tentatives visant à réanimer en France un genre qu’on n’associe guère plus aux productions de l’hexagone depuis… Jean-Pierre Melville ? Le Trou ? Clouzot ?… Depuis… la Première Guerre mondiale et les serials… ? (On a connu quelques tentatives laborieuses au cours de ce siècle, avec les mêmes moyens, et je n’ai pas souvenir qu’aucune d’entre elles n’ait jamais été couronnée de succès. J’ai un triste souvenir de 13 Tzameti par exemple.)

Les intentions dans le sujet et l’argument pour un film au format si particulier (trente minutes) ne brillent pas pour leur originalité, mais c’est rarement, voire jamais, ce qu’on réclame à un film de ce type. Pour des raisons de coûts, on peut facilement deviner que le quasi-huis clos s’impose de soi (le tournage de nuit et le château — sauf si laissé à disposition par des amis — un peu moins), et on peut voir ça comme un exercice de style auquel tout jeune réalisateur ou scénariste devrait se plier.

À ce stade, et de ce que je peux en juger pour être loin de pouvoir prétendre être un expert en écriture de thriller, la structure en puzzle apporte du dynamisme et du mystère à un récit forcément condensé en trois fois dix minutes. Le principe permet de délivrer des informations au compte-goutte, passer d’un temps de récit à un autre, jouer de la voix off, avancer, pas à pas, pion après pion, jusqu’au basculement final qui aura vocation à vous casser les reins. Après une entrée en matière convenable (je parle de l’écriture uniquement ici ; je reviendrai plus en détail sur la mise en scène des premières secondes), le reste de l’exposition n’avance pas idéalement. Peut-être que c’est aussi une impression laissée par les autres défauts du film. Une fois qu’on entre plus avant dans le récit et que l’action se met en place, que les zones d’ombre s’éclairent (comme cela était à craindre dans ce genre d’exercice), ça se gâte. Je passe sur les incohérences éventuelles qu’un tel récit (jouant sur différents niveaux de réalité) provoque inévitablement (je mets rapidement de côté les défauts structurels et de cohérences quand mon attention est accaparée par ce qui m’est plus familier et évident), mais certains éléments du dénouement sont loin d’être convaincants. Premier twist : « c’était pour ton anniversaire ! » (pourquoi pas, ça vaut « ce n’était qu’un rêve », mais soit), suivi du second : « je me venge et je fais tout exploser ! ». Le double twist, c’est comme les biscottes qu’on tartine de beurre des deux côtés. Si tu tiens bien la tranche : bon courage, et assume le cholestérol. Mais au moindre écart, tu es dans la sauce. Et pour le coup, une incohérence est difficile à avaler, quel que soit le niveau de réalité qui rentre en jeu : non, on ne peut pas en deux minutes exploser tout un château en ouvrant… le gaz. À moins d’avoir une arrivée de gazoduc en guise de gazinière dans sa cuisine. Et encore.

Passons les incohérences, c’est le genre de détails qui sont susceptibles d’être gommés quand on s’entoure de scénaristes ou de relecteurs, si toutefois, on met les moyens pour ce faire, et si on accepte surtout de déléguer, de recevoir des critiques et faire siennes les propositions des autres. Ce n’est, par définition, pas une priorité dans une boîte de production familiale et indépendante. Quels que soient les moyens dont on dispose au départ, savoir et vouloir s’entourer de professionnels plus compétents que soi, réfréner ses envies de faire plaisir à son entourage n’est sans doute pas donné à tout le monde. Même l’indépendance a un prix. On peut même supposer qu’elle a un coût, car les investissements de départ ne seront alors jamais rentabilisés. On peut supposer ici que la réussite est ainsi la combinaison de cinq facteurs : la volonté, l’asset (les fonds propres), le talent ou le savoir-faire, l’exigence et la chance (souvent « conditionnée » par l’épaisseur du carnet d’adresses). La majorité des productions indépendantes ne remplissent pas plus d’un de ces critères.

Restons sur le savoir-faire : ce qui saute aux yeux dès les premières secondes du film, c’est son manque de maîtrise sur le plan de la mise en place et de la direction d’acteurs. Le découpage technique est globalement propre (peu créatif, mais propre), mais comme c’est souvent le cas, la gestion des acteurs réduit tous les efforts de la mise en scène (avec la caméra) à pas grand-chose. Réaliser un film, ce n’est pas seulement décider du cadre, c’est ainsi contrôler ce qu’on veut y mettre à l’intérieur. Et ça me paraîtra toujours aussi cocasse de voir des réalisateurs se lancer dans le grand bain sans n’avoir jamais appris à travailler avec un acteur. C’est une chose de maîtriser l’emplacement de la caméra, décider quand et quel type de musique d’ambiance adopter, c’en est une autre de savoir choisir, diriger, corriger des acteurs, et éventuellement, amender ses propres idées en fonction de ce que proposent les acteurs, les circonstances, en fonction de leurs possibilités ou, plus souvent encore, en fonction des fausses bonnes idées qu’on identifie au fil d’un tournage, ou les bonnes qui seront trop difficiles à mettre au point sur un plateau (ajustement de la distance, de la lumière, du rythme, du positionnement des acteurs entre eux, etc.). Au bout d’un troisième court, on devrait avoir appris de ses expériences passées. Sauf si comme souvent, on n’a que des retours positifs de la part d’un public déjà acquis à son talent ou si on pense que courir les festivals donne un quelconque gage sur la qualité d’un film. Il en va de même des films et des « hyperdocteurs » : multiplier les apparitions à des festivals sans jamais décoller comme d’autres multiplient les « doctorats » sans jamais rien publier, ce serait plutôt indicateur qu’il y a anguille sous roche.

Voici comment débute donc le film : plan fixe sur le sol dans un intérieur, bruits de pas jusqu’à présent hors-champ, voix off traînante d’un personnage qui parle du passé (code bienvenu évoquant le film noir), jeux sonores, puis la caméra s’élève. Une femme apparaît à l’écran. Et là, tout s’écroule. On devine un plan en vue subjective (confusion, à mon sens, plutôt malhabile parce qu’on peut être amené à penser que la vue, comme la voix off, est celle du personnage principal) : la femme file droit sur la caméra. Problème : quelque chose cloche dans sa démarche, dans sa présence, dans son mouvement. Ce n’est pas seulement que sa démarche paraît trop peu naturelle, c’est surtout qu’on sent que c’est précisément ce qu’on lui demande. Marcher à un certain rythme. Et que ça ne lui est pas naturel. On devine l’intention : marcher lentement, ça participe à l’ambiance générale.

Ça peut aussi la casser net.

Ce qu’on espère se matérialiser à l’écran en l’imaginant et en en écrivant la description précise dans un scénario, si ça ne marche pas lors du tournage, c’est fichu. Surtout si on ne s’y est pas préparé.

En l’occurrence, dans ce genre de situation, je dirai que neuf fois sur dix, c’est une question de choix d’acteur et de direction. Les mauvais acteurs… ne savent pas marcher quand on leur demande de marcher. On le comprend en assistant à un premier cours de théâtre : aller d’un point A à un point B sur un plateau ou une scène, cela n’a rien d’évident. Il y a des acteurs plus habiles que d’autres qui vont comprendre les intentions à ce moment de leur personnage. D’autres auront besoin qu’on les conditionne, qu’on essaie dix fois, en adoptant tel ou tel subterfuge pour tirer d’une manière ou d’une autre ce qu’on attend d’eux… Et puis, il y en a d’autres qui, mal guidés, perdus, n’arriveront à rien, ne serait-ce qu’avancer vers une caméra. D’autant plus qu’un acteur a besoin d’un cadre, d’un contexte : une femme qui marche vers un homme et lui tourne autour, ce n’est pas une situation. Si c’est une forme de danse, il faut alors insister.

Et puis, une fois sur dix, c’est plus qu’une simple question de direction d’acteurs. Disons que le cadre est posé, on sait dans quelle ambiance on veut que le spectateur se trouve dans les premières secondes du film, on a la chance d’avoir les meilleurs acteurs du monde, on lui demande d’agir, en apparence, de manière anodine, mais qui ne l’est pas (marcher), et là, patatras, ça ne marche toujours pas (supposition). Pourquoi ? Parce qu’on montre rarement les acteurs en pied. C’est une des premières astuces qu’on a inventées pour éviter d’avoir l’impression d’être au théâtre au cinéma. On montre les acteurs en pied quand ils évoluent en plan général et quand ils sont en mouvement en dehors de l’axe de la caméra, mais quand ils « passent à l’action » et que le plan cesse d’être purement illustratif, on préfère passer alors, au minimum, au plan américain. On coupe les pieds, et avec ça, les maladresses des acteurs. Le cinéma avait une de ses premières astuces qui fera illusion et amassera les foules dans les salles. (Bien sûr, on trouvera toujours des exceptions comme dans les films de Rohmer pour trouver des contre-exemples.)

« Ah, oui, mais, je veux jouer sur les pas ! C’est le sens de mon introduction ! »

On les entend les pas. Pas la peine de la voir si longtemps marcher vers la caméra si l’actrice n’est pas à l’aise et si le rendu est si peu cinématographique. L’image ne fera qu’écho avec la piste sonore. Le cinéma est parcimonieux : le spectateur n’apprécie guère qu’on lui répète une information (mes lecteurs adorent). Insister ? Pourquoi ne pas le faire autrement ? On entend les pas, on voit la femme arriver, s’avancer vers la caméra, et très vite on propose un autre angle, plus rapproché. Les gros plans, voire les inserts (et on ne peut pas dire qu’un insert sur des pieds qui marchent n’appartient pas au code du genre), c’est restrictif : montrer une chose, c’est souvent cacher le reste. La puissance du hors-champ. Fond sonore + image, plein pied, d’une femme, plein cadre, qui avance vers la caméra ? Trop d’informations qui se répètent trop longtemps, trop d’informations anodines. Alors, si en plus, l’actrice donne l’impression d’enfiler pour la première fois de sa vie des chaussures à talon… (À la limite, plein pied, il aurait fallu tenter un flou, autre chose qu’une vue subjective ou apparentée, multiplier les gros plans et choisir au montage ceux qui, combinés, marchent le mieux. Se donner la possibilité de faire des erreurs, revoir sa copie, ce n’est pas la même facture… Mais c’est malheureusement sur ces détails que se joue tout le reste.)

On comprend ensuite dès le plan suivant (même situation, on sort de la vue subjective et la femme tourne autour d’un homme, on ne sait pas bien pourquoi) que ce genre de manque de maîtrise se retrouvera pendant tout le film. On se rapproche des acteurs (on ne voit plus les pieds !), mais l’homme esquisse un geste vers la femme qui s’éloigne. Une nouvelle fois, rien de naturel dans ce geste. Vu que c’est une sorte de danse, rien n’oblige à forcer le réalisme, le naturel, la spontanéité, mais dans ce cas, si on joue sur le caractère mystérieux, comme une sorte de parade mortuaire ou comme des souvenirs épars qui s’agitent dans la tête du narrateur, ça se dirige, ça s’accentue, et malgré le fond sonore, malgré la voix off, il me semble difficile de faire l’économie, soit de plans plus rapprochés habilement intégrés à la situation au montage, soit d’un ou deux plans jouant beaucoup plus sur la lenteur ou la difficulté d’appréhender les motifs agissant dans le cadre (l’information majeure est donnée en voix off, tout le reste n’est qu’illustration). Dans tous les cas, quand un acteur intègre à son jeu un geste censé être spontané et qui ne l’est pas (peut-être pensé par le réalisateur, c’est souvent le cas quand un mauvais acteur manque d’aisance), soit on refait une prise, soit on propose autre chose (en l’occurrence ici, il n’y avait pas grand-chose à faire).

Tout le reste est du même niveau. Les acteurs sont loin d’être au point, mais ils ne sont pas forcément bien aidés non plus par la mise en place ou les éventuelles indications de celui qui est aux manettes. Autre signe d’un manque de maîtrise globale au rayon de la direction d’acteurs (récurrent dans les films de genre) : le ton sur ton. Un acteur, c’est bête et docile. Le plus souvent, il comprend des intentions des personnages et de la situation à travers les lignes de dialogues qu’on lui donne. Résultat : tout est joué au premier degré et toutes les expressions faciales s’alignent sur ce que le personnage exprime à travers les mots au moment où il les dit. Même principe qu’avec les bruits de pas : on les entend déjà, il est inutile de perdre son temps à nous les montrer. Ou, au contraire, on insiste. Parce que c’est un point qui mérite d’être mis en avant. Réaliser, jouer, c’est faire des choix. Et un acteur qui exprime deux fois la même chose, c’est un acteur qui fait le choix de la médiocrité. Il ne choisit pas, il balance. Certains acteurs médiocres peuvent s’en sortir et faire illusion à l’écran : quand ils sont bien dirigés. Mais un directeur d’acteurs peut difficilement faire illusion (avec un bon casting, peut-être) : c’est à lui de savoir quoi dire à un acteur pour qu’il n’en rajoute pas, d’identifier les moments où l’acteur ne comprend pas ce qu’il fait, se trompe ou quand les indications qu’on lui donne ne mènent nulle part et nécessitent qu’on revoie l’angle sous lequel on voulait d’abord montrer la situation pour en trouver une approche, parfois après plusieurs essais, qui soit enfin convaincante.

Je suis un spectateur difficile, comme d’habitude. Mais très vite, on repère les petits défauts qui illustrent d’un manque de maîtrise. Le jeune réalisateur peut manifestement compter sur sa famille qui possède un restaurant en plein Paris. C’est une bonne chose. Comme aux belles heures du cinéma d’avant-garde où la bourgeoisie (pour ne pas dire « l’aristocratie ») jouait les mécènes dans le cinéma français. Les familles des beaux quartiers auront toujours mon soutien de spectateur sans-le-sou si elles préfèrent monter des boîtes de production de cinéma indépendant et si tous les passionnés de la famille, éventuellement les amis, en profitent pour assouvir une passion. C’est une situation bien plus préférable (et a priori rare) que celles où il suffit « d’en être » à des familles déjà installées dans le milieu pour se voir ouvrir toutes les portes (sauf peut-être celles… des cinémas). On est peut-être loin des ambitions de l’avant-garde, mais adopter un type de film qui ne fait pas recette en France (le thriller), c’est déjà une belle ambition. Surtout que choisir une distribution cosmopolite parlant invariablement anglais dans un château français comme dans un monde parallèle, voilà qui pourrait bien faire écho un siècle plus tard aux velléités surréalistes de leurs aînés… Ma foi, why not ?


Divertimento, Keyvan Sheikhalishahi 2020 | Amitice


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Courrier diplomatique, Henry Hathaway (1952)

Note : 3.5 sur 5.

Courrier diplomatique

Titre original : Diplomatic Courier

Année : 1952

Réalisation : Henry Hathaway

Avec : Tyrone Power, Patricia Neal, Stephen McNally, Hildegard Knef, Karl Malden

Scénario à ranger du côté des récits d’espionnage extravagants, voire abracadabrantesques. On est juste après L’Attaque de la malle-poste où déjà Hathaway cassait les codes d’un genre, le western.

S’il fallait choisir, je miserais plutôt ici sur des scénaristes ayant un peu abusé des psychotropes. On pourrait être dans Hitchcock ou dans un film d’espionnage et d’action contemporain : Tyrone Power est un chargé d’ambassade à qui on demande de retrouver une ancienne connaissance, ce qui le poussera malgré lui à jouer les espions. Meurtre dans un train, femme fatale, blonde lumineuse en pleine quête de rédemption émancipatrice en expiant sa soviétitude en passant à l’Ouest, militaires pas très finauds une fois mêlés à des affaires d’espionnage, et bien sûr, monsieur tout le monde qui se découvre une âme de patriote et des aptitudes insoupçonnées en boxe et acrobaties diverses.

Il n’y a donc pas grand-chose qui va dans l’histoire (la prime au comique, parfait imitateur de Bette Davis, qui reproduit au téléphone la voix d’un responsable militaire, ou encore, le MacGuffin usuel, retrouvé sur le tard après un concours de circonstances digne des vieux serials d’espionnage). Finalement, on y prend beaucoup de plaisir, parce que ça voyage beaucoup (en train notamment, et quoi de mieux que le train pour un bon thriller ?), les péripéties (souvent idiotes, sans tomber non plus dans la pure série B) s’enchaînent comme il faut, et surtout, on y retrouve une brochette d’acteurs phénoménaux. On aperçoit en hommes de main des rouges Charles Bronson et Albert Salmi à ce qu’il semble (génial dans Les Frères Karamazov, mais il n’est pas crédité ici, j’ai donc peut-être eu une vision), puis, avec des petits rôles dialogués, Lee Marvin et surtout Karl Malden (un an après sa performance dans Un tramway nommé désir et dans un rôle ici d’abruti qu’il arrive comme d’habitude à rendre sympathique).

À côté de Tyrone Power, il faut surtout profiter du génie, du charme et de l’ironie de Patricia Neal, parfaite en femme fatale spécialiste des insinuations et du double jeu. Il n’y a guère que le personnage de Tyrone Power qui ne la voit pas venir grosse comme une maison. Son personnage est peut-être mal ficelé, mais elle se régale (et nous avec) dans un personnage qui se colle aux guêtres de Power comme une chatte aux chevilles de son maître. Elle a déjà tourné dans Le Rebelle et sort du Jour où la Terre s’arrêta…, comme pour tous les autres acteurs (en dehors des premiers cités qui ne font que des apparitions), ils sont déjà des stars, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’une grosse production, et si on considère les défauts du film, toujours à flirter avec la série B, on pourrait trouver le film décevant, mais mon amour décidément pour ces acteurs de l’ancienne génération me perdra. Voir Patricia Neal et Karl Malden dans un film, c’est déjà plus de la moitié du plaisir qu’on peut espérer quand on est cinéphile.


Courrier diplomatique, Henry Hathaway (1952) Diplomatic Courier | Twentieth Century Fox


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Griffes jaunes, John Huston (1942)

Note : 3 sur 5.

Griffes jaunes

Titre original : Across the Pacific

Année : 1942

Réalisation : John Huston

Avec : Humphrey Bogart, Mary Astor, Sydney Greenstreet

Intrigue d’espionnage en temps de guerre. Rien de très original sinon qu’on nous laisse croire quelques minutes que le personnage de Humphrey Bogart (désormais star après Le Faucon maltais réalisé avec la même équipe) puisse être infidèle à sa patrie. It was a feint (à laquelle personne n’était dupe). L’occasion surtout de voir Bogey en dehors de ce qu’on lui connaîtra par la suite être sa zone de confort : on le voit sourire à pleines dents, plaisanter et même manier une arme de guerre (bien plus “grosse” que celle de ses adversaires).

On remarquera surtout de bons passages dialogués avec Mary Astor (qui assurent les notes humoristiques du film, mais assez pince-sans-rire qui collent à la fois avec les années d’entre-deux-guerres et les années noires qui viennent de débuter avec la guerre et le précédent film de Huston), la présence toujours suspecte de Sydney Greenstreet, et une distribution asiatique incapable de parler japonais correctement. Et pour cause : tous les acteurs potentiels d’origine japonaise étant sans doute déjà victimes de l’internement préventif et xénophobe des Japonais dans le pays, les Japonais de l’intrigue semblent être tous joués par des acteurs sino-américains… C’est la face sombre de l’histoire du pays que la guerre fera par ailleurs bientôt passer d’une entité militaire négligeable dans le monde à celui qui développera l’arme la plus absolue et la plus radicale en moins d’une moitié de décennie… 1942, la plus grande puissance économique et industrielle du monde n’en est pas encore là, et le cinéma, avec certains films comme celui-ci, participe à changer les consciences (encore jusque-là isolationnistes) et à l’effort de guerre. Avant l’entrée en guerre effective de l’Amérique après l’attaque de Pearl Harbor (le film a été probablement lancé peu de temps après l’attaque qui a eu lieu en décembre 41, tandis que le film est sorti en septembre de l’année suivante), les oppositions entre les différents blocs et alliances étaient plus sous-jacentes (l’enjeu ici consiste vite à déjouer les projets japonais de s’attaquer au canal de Panama — une référence directe à Pearl Harbor). Un terrain de jeu idéal pour les films d’espionnage avant que les films de guerre s’imposent pour de bon, avec infiltrations, fausses identités, desseins cachés, traîtres, etc.

Signe des temps, et illustration que la production du film se trouve à un tournant historique de l’Amérique : Huston quitte les plateaux avant la fin du tournage pour rejoindre les armées (il est remplacé par Vincent Sherman).


Griffes jaunes, John Huston 1942 Across the Pacific | Warner Bros.


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La Légion noire, Archie Mayo (1937)

Note : 3.5 sur 5.

La Légion noire

Titre original : Black Legion

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Humphrey Bogart, Ann Sheridan, Dick Foran

Volontaire ou non, cinq ans plus tard, le film Échec à la Gestapo, de Vincent Sherman, avec le même Humphrey Bogart reprendra une scène où l’acteur se retrouve dans une réunion d’un groupe dangereux en sous-sol. La scène est devenue même sans doute une sorte de cliché, peut-être déjà utilisée dans les films de série B de l’époque du muet, vu que ça tient un peu du fantasme et de la peur des groupes secrets. Si ici et dans Échec à la Gestapo, ces groupes ont bien existé, on en reprend presque toujours un poncif principal : les “intrus” (ou comme c’est le cas ici, l’initié) arrivent alors que la séance secrète a déjà démarré. Dans d’autres films plus récents, on joue au contraire sur la peur induite de groupes inexistants comme dans Eyes Wide Shut, je ne sais plus quel Indiana Jones ou dans Un bourgeois tout petit, petit.

Pour le reste, le film fait partie de ces films politiques “humanistes” des années 30 cherchant à mettre en garde contre les mouvements “séparatistes”, on dirait aujourd’hui. Il manque alors peut-être un peu de relief, mais certains films, s’ils ne tombent pas totalement dans les évidences, peuvent se révéler nécessaires à faire, car ils décrivent une situation politique réelle et contiennent ainsi en eux un peu de l’histoire du pays et du contexte où ils ont été produits.

La fin (avec un retournement vite expédié du principal accusé) est trop facile, mais là encore, c’est assez conforme aux films d’époque qui s’encombraient rarement de détours psychologiques ou de mises en suspension du récit pour gagner en relief et en réalisme. De l’action, de l’action, de l’action. Et pas mal aussi de concision. On produit à la chaîne : les sujets politiques et sociétaux ne sont pas interdits, mais on ne s’attarde pas.

À noter que Bogart n’est pas encore une star quand il tourne le film, il vient seulement de s’assurer un rôle de second couteau sur les films de la Warner Bros. grâce à La Forêt pétrifiée du même Archie Mayo et sera ainsi employé par le studio jusqu’au Faucon maltais qui lui assurera une place en tête d’affiche le reste de sa carrière. Ceci explique pourquoi on l’y retrouve ici ce qu’on pourrait identifier comme un contre-emploi (en rapport aux personnages bien installés et mythiques qui feront bientôt de lui une star et l’icône presque à la fois d’une période, voire d’une certaine forme de virilité appréciée ou reconnue des cinéphiles). Bogart n’est pas encore Bogey : on le découvre surtout fragile, revanchard, acculé avant de finir détruit par la culpabilité. On est loin de l’assurance et du charme qu’on lui connaîtra bientôt. Comme quoi, l’attitude, le statut, ça joue beaucoup dans le charisme et l’autorité que l’on croit naturels chez les acteurs ou les individus, dans la vie, capables ou soucieux de se mettre en avant.


La Légion noire, Archie Mayo 1937 Black Legion | Warner Bros.


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1937

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Targets, Peter Bogdanovich (1968)

Carton plein

Note : 4 sur 5.

La Cible

Titre original : Targets

Année : 1968

Réalisation : Peter Bogdanovich

Avec : Tim O’Kelly, Boris Karloff, Arthur Peterson, Nancy Hsueh, Peter Bogdanovich

Premier « carton »

Bonnie and Clyde vient de sortir, les studios sont moins regardants sur la violence exposée à l’écran, toutefois, on peut lire que pour faire passer plus facilement la pilule, la Paramount aurait tout de même imposé un carton liminaire condamnant les tueries de masse et appelant à une meilleure législation sur les armes. Peter Bogdanovich n’aurait pas voulu de cette introduction (elle fait peut-être un peu rire jaune aujourd’hui en voyant que la situation n’a guère évolué depuis), pourtant, pour moi, elle est essentielle à ce que le film ne pâtisse pas d’une brutalité confiée ainsi sans filtres au regard du spectateur, regard peut-être encore mal aguerri en 1968 à des approches manquant à ce point de mise à distance (mais même pour un spectateur actuel, il ne me paraît pas judicieux de faire l’économie d’une telle introduction).

Je suis loin d’être fan en général de ces annonces, mais le film est tellement froid et violent qu’un tel carton d’explication donne le ton pour la suite, annonce la couleur de la violence, et surtout, la condamne sans laisser de place au doute. Parfois, l’absence de doute, l’absence de mise à distance avec un sujet problématique, ça tue un film. Tout le contraire ici où l’évidence ne fait que le renforcer : sans le piratage du “message” initial par un autre imposé par le distributeur, sans le travestissement de l’orientation du film que ses auteurs auraient sans doute encore voulu plus violent (comme un gros pavé lancé dans la vitrine bien tranquille de ce grand magasin à jouet qu’est Hollywood), je ne suis pas sûr que cette approche sans fards à la violence n’aurait pas fini alors par provoquer un malaise suffisant à détourner définitivement le spectateur du film. Il y avait un risque sans cela à tomber dans les excès d’un Tueurs nés (tourné des décennies après, on y retrouve le même rapport à la violence) ou… dans ceux d’un Samuel Fuller (qui a d’ailleurs participé au scénario : pas fou le Sam, il file à un novice un film qu’il n’aurait même pas osé faire, histoire de le voir s’y casser les dents à sa place).

Manque de bol, Sam, Bogdanovich a eu la chance des débutants avec lui. Probable que sa femme, Polly Platt, ne soit pas étrangère non plus à la réussite du film (créditée pour diverses choses au générique, mais de mémoire, dans Le Nouvel Hollywood — où par ailleurs Bogdanovich y est présenté comme en enfoiré, surtout avec elle —, Peter Biskind y révélait qu’elle était largement responsable du succès du petit Peter sur ses premiers films). On peut imaginer aussi que l’écriture en séquences parallèles durant tout le film aurait pu permettre, même sans ce carton explicatif, une bonne mise à distance avec les séquences suivant l’évolution du tueur. Mais n’ayant pas pu expérimenter le film sans ce carton introductif, je ne pourrais pas en être certain… Ce serait intéressant d’ailleurs que des primospectateurs voient le film tel que Bogdanovich l’avait conçu.

Bref, l’histoire de ce carton illustre une nouvelle fois et à lui seul, toute la question parfois insoluble du traitement de la violence au cinéma. Et ce n’est pas rien d’être parvenu (peut-être malgré la volonté de Bogdanovich) à s’extirper sans dommage de ce piège.

Deuxième « carton »

Une fois la question de la distance avec la violence réglée, l’aspect le plus réussi selon moi du film, reste ces séquences de violence froide et de pure mise en scène dans lesquelles la caméra suit l’assassin. J’avais cru comprendre que La Bonne Année avait marqué un tournant avec une manière de coller un personnage avec une caméra mobile qui inspirera Stanley Kubrick (et plus tard Gus van Sant), mais apparemment, l’opérateur du film arrive à un même résultat cinq ans avant le film de Claude Lelouch (László Kovács est aux manettes, et l’année suivante, il signera l’image d’un film qui se place pas mal en termes de mobilité : Easy Rider).

Coller ainsi aussi près du tueur permet de créer une tonalité singulière, très réaliste, qui ne fait que renforcer la tension : dans la gestion du temps et le jaillissement soudain de la violence, puis très vite la peur du prochain moment où elle apparaîtra au milieu d’une normalité terrifiante, on y retrouve quelque chose à la fois d’Hitchcock et d’Haneke.

Et, paradoxalement, cette réussite n’aurait pas été possible sans un acteur jouant l’indifférence, la normalité. Le film est clairement un hommage au cinéma de papa (à la fin, notamment, c’est l’acteur du vieux monde interprété par Boris Karloff qui met un terme au chaos initié par cette jeunesse sans repères représentée par le tueur), et je suis persuadé qu’un Fuller, que le William Wyler de la Maison des otages, le Kazan des Visiteurs (tourné quatre ans après), ou tout autre aîné de Bogdanovich n’aurait pas manqué de demander à l’acteur qui interprète le tueur de jouer le personnage perturbé, névrosé, rongé par la culpabilité (comme c’est souvent le cas à l’époque des belles heures de l’application du code Hays). On le sait aujourd’hui, les tireurs de masse montrent souvent un détachement, une sérénité et une absence totale d’émotions durant leur tuerie. Et cela ne fait que renforcer le réalisme du film. Samuel Fuller ou Oliver Stone seraient éventuellement tombés dans un autre piège : ne pas en faire cette fois des névrosés, mais des fous s’amusant de leur toute-puissance criminelle.

On diffère ainsi dans Targets de l’approche réactionnaire de la violence au cinéma qui, comme cherchait à la représenter le code Hays, est toujours le fait de dégénérés. Même si on sent Bogdanovich soucieux d’honorer le cinéma de papa à travers sa vedette vieillissante, ce qui ressort du film, c’est surtout une critique féroce de la société américaine. Le jeune tueur n’est pas un détraqué sorti de l’ombre, au contraire : c’est précisément cette normalité de la vie en banlieue vantée par les promesses du rêve américain qui a rendu possible l’éclosion de la violence. Les promesses des pionniers d’un monde meilleur n’ont finalement pas été tenues : ce monde préfabriqué est en réalité une prison où confort et conformité vont de pair. Avachi douillettement dans son canapé pour suivre le programme du soir à la télévision, le futur tueur cherche encore une issue à sa violence encore contenue. Mais personne ne l’écoute. Ce monde standardisé dans lequel il erre sans but lui semble être fait pour un autre, et à force de déshumanisation, de désenchantement, il n’aura d’autre choix que de devenir un monstre pour détruire cette maison de poupées où rien ne semble lui être réel. Quand plus rien ne semble réel, même la mort n’a plus aucun rapport avec la réalité, et elle devient la seule limite que l’on s’autorise afin de sortir de sa prison. Le constat est assez clair : les monstres ne naissent plus dans les ruelles sombres des quartiers moites et pauvres des grandes capitales, mais des fausses promesses sur lesquelles l’Amérique s’est construite. Le rêve américain, quand on l’éprouve, n’est qu’un cauchemar de déshumanisation. Le bonheur ne peut être standardisé. Et les monstres ne sont pas ceux que l’on croit.

Roger Corman est à la production, en 1962, il réalisait son chef-d’œuvre, The Intruder, où on y voyait de la même manière un prédicateur raciste offrir une jolie image du mal : le diable s’habille en Prada comme dit l’autre, et peut-être que Corman aurait soufflé cette idée à Bogdanovich. « Who nose », comme dirait Peter “Droopy” Bogdanovich en bon français.


Targets, Peter Bogdanovich 1968 La Cible | Saticoy Productions


Sur La Saveur des goûts amers :

Les Indispensables du cinéma 1968

Structures narratives, sens des proportions et mise en scène : « Message invisible » dans Family Life et « message visible » dans Tueurs nés et dans In a Heartbeat

J’aime pas Samuel Fuller

Transparences et représentation des habitacles dans le cinéma américain

Vers le Nouvel Hollywood

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MyMovies : A-C+

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Nom de code : Shiri, Kang Je-kyu (1999)

Note : 3 sur 5.

Nom de code : Shiri

Titre original : Swiri

Année : 1999

Réalisation : Kang Je-kyu

Avec : Han Suk-kyu, Choi Min-sik, Yunjin Kim, Song Kang-ho

Thriller qui lorgne pas mal à la fois sur les codes du genre à Hollywood et sur le style violent et sensible des films hongkongais. On est même peut-être à un tournant, le cinéma d’exploitation coréen prenant à l’occasion du nouveau siècle la place laissée vacante par le cinéma chinois désormais tourné à Hong Kong.

Le film aurait eu, en son temps, un énorme succès, et on veut bien le croire, tous les ingrédients y étant réunis pour plaire au public. Il emprunte par ailleurs pas mal, semble-t-il, à Une journée en enfer (le scénario multiplie les astuces et les passages obligés d’un thriller américain) : des plantings à foison (décidément, après les films de Hong Sang-soo, et même dans The Spy Gone North, c’est une spécialité coréenne), des revirements obligés, des histoires d’amour contrariées, une amitié mise à l’épreuve par les circonstances, la perte des êtres chers, la révélation sur la nature de ceux que l’on aime, la découverte élémentaire et surprenante qui nous oblige à revoir ce qui précède autrement, le personnage idiot qui fait la preuve de son courage, les objets fétiches capables de vous soutirer quelques larmes, etc.

Y sont aussi reproduits certains excès ou clichés qui font la spécialité des films hongkongais : le personnage féminin innocent, l’opération de chirurgie esthétique, le mariage opportun, la sensiblerie, les gunfights peu crédibles…

Malheureusement, le film ne tutoie jamais les sommets et, dans sa réalisation (ou ses excès), il n’arrive pas beaucoup plus à la cheville des films de John Woo, notamment. Pour le public coréen, je veux bien croire que la démonstration ici soit faite qu’une production de films commerciaux et de genre dans la péninsule peut être crédible. Le public français a connu la même fierté avec Luc Besson à la fin du siècle dernier. On retrouve dans le film beaucoup des acteurs qu’on retrouvera par la suite dans diverses productions coréennes.


Nom de code : Shiri, Kang Je-kyu 1999 | CJ Entertainment, CJ E&M Film Financing & Investment Entertainment & Comics, Frontier Works Comic


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Le Temple des oies sauvages, Yûzô Kawashima (1962)

Le nœud coulant

Note : 3 sur 5.

Le Temple des oies sauvages

Titre original : Gan no tera / 雁の寺

Année : 1962

Réalisation : Yûzô Kawashima

Avec : Ayako Wakao, Masao Mishima, Kuniichi Takami, Isao Kimura

Ce serait intéressant de voir une autre adaptation de ce qui semble être le roman le plus notable de l’auteur du Détroit de la faim (adapté par Tomu Uchida), d’Orine la proscrite et des Poupées de bambou Echizen (adapté avec plus de succès dès l’année suivante et avec la même Ayako Wakao par Kôzaburô Yoshimura), parce que malgré une photographie magnifique et une interprétation impeccable, le récit me semble curieusement construit dans cette adaptation. Ça commence dès le prologue avec une séquence hors de rythme qui lance à mon sens assez mal les enjeux du film : le ton est très naturaliste, Kawashima ne semble pas savoir où il va et quoi montrer. Quelques notes de musique du générique annoncent la tonalité tragique du film, mais les séquences suivantes (malgré la mort du peintre) continuent d’échouer à sortir de ce rythme étrange et de cette absence de perspective.

Je suppose que le roman donne autant d’importance au moine, à sa maîtresse et à l’apprenti, voire à ces deux derniers. Le problème, c’est qu’ici, l’apprenti est sans doute un peu trop mis sur la touche : traité d’abord comme un rôle secondaire, il prend peu à peu plus de place jusqu’à devenir central sans pour autant interagir comme il devrait avec la maîtresse (il fuit). Aucune connivence réelle ne se crée entre ces deux « prisonniers du temple » : un type de rapports pourtant nécessaire pour qu’une opposition (claire pour le spectateur ; larvée entre les personnages) puisse se faire, car l’un d’eux (le moine) ignore la relation qui se tisse entre les deux autres. Le secret et l’interdit devraient vite devenir les moteurs de l’intrigue. Au lieu de ça, le récit multiplie les séquences alternées sans donner un poids assez fort à ce qui devrait les opposer : le nœud coulant de l’intrigue aurait tendance à se relâcher plutôt qu’à se resserrer autour (du cou) des personnages. Le sujet est pourtant en or, pas loin de ceux qu’interprète Ayako Wakao à l’époque sous la direction de Masumura. Mais la tension ne monte jamais. Au lieu de montrer la tension frontalement dans des séquences où les personnages se mettent en danger, au lieu d’exposer les conflits qui les animent ou au contraire les liens qui les attirent, au lieu de créer une affinité bien plus tendancieuse et problématique qu’elle ne l’est ici (en jouant sur la confusion : elle a pitié de lui, se montre presque maternelle, et lui interprète mal les signes d’affection qu’elle lui donne), le récit relate au contraire des événements sans donner l’impression d’en saisir la portée tragique.

Rien dans la mise en scène et dans le rythme du film ne concourt non plus à mettre en relief l’évolution psychologique des personnages ou à insister sur les enjeux personnels de chacun avant d’entrer en conflit et devenir ainsi le moteur de leurs actions (et de leurs fautes). Avant la tournure criminelle du récit, aucun plan rapproché, aucun ralentissement de l’action utile à insister sur un détail, une incertitude psychologique, aucune expression ne venant jouer le contrepoint des séquences naturalistes, aucune musique d’accompagnement pour guider le spectateur dans sa compréhension des conflits sous-jacents. D’ailleurs, si la musique avait été présente au tout début pour donner le ton, elle n’apparaît par la suite que timidement pour installer une ambiance avec trois notes de violoncelle (la pesanteur des silences nocturnes n’arrive pas plus à faire monter la tension). Ce n’est qu’à la fin que la musique se fait légèrement plus tragique et lyrique.

J’ai le souvenir à l’époque, par exemple, des séquences bien plus convaincantes pour exposer des enjeux communs mais sources aussi de conflits internes dans Une femme confesse entre le personnage de Ayako Wakao et l’étudiant. Ce n’est pas le tout de choisir l’actrice parfaite pour le rôle ; encore faut-il lui trouver un partenaire qui fasse le poids et qui soit mis en valeur par le récit et la mise en scène. Ici, c’est comme si le film avait presque honte de voir l’apprenti manger un peu trop la pellicule au détriment de la maîtresse. Ce n’est pas servir l’intrigue que de saboter son principal moteur : l’apprenti. Et ce n’est pas le meilleur moyen non plus de mettre en valeur une actrice comme Ayako Wakao en lui choisissant des acteurs transparents ou en limitant la portée des séquences devant servir à illustrer une relation forte (le récit préfère multiplier les séquences compassionnelles entre les deux personnages plutôt qu’entrer rapidement dans le dur : par exemple, la nuit où la maîtresse le rejoint dans sa chambre, rien en réalité ne se passe, c’est traité comme un non-événement alors que ça devrait être le point de bascule du film). Dans Une femme confesse, Ayako Wakao était opposée à l’acteur des Baisers, Hiroshi Kawaguchi… Les Baisers et ce Temple des oies sauvages ayant été écrit et adapté par le même scénariste, Kazuo Funahashi, il aurait été bien inspiré de souffler le nom de l’acteur à la production (on se console comme on peut).

À la manière des idiots qu’il ne faut pas faire jouer par des idiots, on ne choisit pas un acteur quelconque pour jouer un personnage censé être un peu trop idiot et serviable : pour cet apprenti, il fallait un jeune premier, peut-être avec un physique ingrat, jeune, mais il fallait surtout lui faire confiance en le mettant très vite au centre de l’intrigue en le montrant moins résigné et au centre des attentions (maternelles) de la maîtresse. Difficile de jouer les personnages de victime qui se révoltent sur le tard — et manifestement, difficile de trouver l’angle pour les aborder au cinéma. Le récit préfère insister sur sa science de l’évitement (école buissonnière, refus de s’opposer au moine, fuite face aux avances de la maîtresse), seulement, c’est souvent répétitif et rarement bien cinématographique. Je n’ai pas lu le roman, mais probable que l’intérêt de celui-ci réside dans la description du trouble de l’apprenti : plus que sur l’évitement, il aurait été plus judicieux d’insister sur la pression psychologique et sur les refoulements divers à l’origine de son basculement vers le crime. La perversion du moine, elle est évidente mais évolue peu, et puisque sa maîtresse a besoin de cette relation pour survivre, le conflit à exposer n’est pas là : la perversion au cœur du récit, c’était bien celle de l’apprenti (voyeurisme, jalousie, frustration sexuelle, vengeance criminelle, etc.). Le principe d’un film, c’est de mettre en valeur une histoire à laquelle on croit, pas d’en saborder certains aspects parce qu’on les trouverait peu convaincants. Le rôle de la mise en scène (et d’une adaptation), il est bien de mettre en évidence ces enjeux. Et à mon sens, elle se trompe ici en mettant ainsi bien trop souvent au premier plan la maîtresse auprès du moine, au lieu de la montrer auprès de l’apprenti. Le « second rôle », on devrait même tout de suite l’identifier comme étant celui du moine. Par exemple, dans mon souvenir, on a un peu ce même type de relation triangulaire au profit d’abord des amants dans un film comme Le Sorgho rouge.

Possible que Kawashima ait été un peu frileux à jouer tout de suite sur la relation trouble entre la maîtresse et l’apprenti : un Imamura ou un Oshima auraient sans doute beaucoup mieux identifié les enjeux malsains et possiblement criminels de cette relation. Pas assez vicieux ou pas assez l’esprit mal tourné le Kawashima. (Heureusement, Masumura, saura, lui, enfoncer le clou en ayant parfaitement identifié le potentiel d’Ayako Wakao dans ce type d’emploi de femme convoitée mais fatale après Une femme confesse — un emploi que l’actrice avait déjà bien tenu dans La Rue de la honte.)

Seules consolations : le noir et blanc, les décors et la composition magnifique des plans. Hiroshi Murai est le directeur de la photographie notamment du Faux Étudiant, du Sabre du mal, de Samouraï ou des Femmes naissent deux fois… Une constante dans la composition de plans de haut niveau.


Le Temple des oies sauvages, Yûzô Kawashima 1962 Gan no tera | Daiei


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