Enlevez-moi, Léonce Perret (1932)

Note : 4 sur 5.

Enlevez-moi

Année : 1932

Réalisation : Léonce Perret

Avec : Jacqueline Francell, Roger Tréville, Jean Devalde, Arletty

Que du bonheur ! La joie de vivre à la française et de la screwball pailletée d’opérette dans une boucle certes plus courte que dans le film de Capra mais qui rappelle furieusement la belle escapade de New-York-Miami.

C’est déjà les femmes qui mènent la danse. Avec Jacqueline Francell qui rappelle qu’à une époque certaines femmes parlaient uniquement en voix de tête (merci les oreilles), et avec son exacte opposée (quoi que), en tessiture mais pas seulement, façon titi parisien, la voilà, c’est elle, qui déménage tout sur son passage, un tempérament qui mourra avec son cul international et avec la collaboration pour de bon avec les cow-boys dont on adoptera tous les usages…, c’est elle, Arletty, symbole de toute une France qui s’évapore, et qui ici seulement commençait. Viens là mémère que je t’embrasse !…

« Rahé maié non, coquin ! t’exagères ! Roh… ! puisque t’insistes, alors j’veux bien ! Tiens, céktula pavolé, mon limounet… J’tadore. Allez, encore. Encore j’te dis. Maié tu vas v’nir, andouille !… Là, comme ça. Hein, c’est-y pas merveilleux, c’qu’on est bien tous les deux. »

De la comédie musicale ? Que nenni ! De l’opérette, et de la bonne. Dans la screwball, il y a un peu de vaudevilles à la française, eh bien tout est là. Certes, Léonce Perret ne trouve pas forcément toujours le ton parfait dans le burlesque, il tire parfois un peu sur la corde, et c’est surprenant malgré tout de le voir si à l’aise avec sa caméra ou le sonore, mais que c’est bon. Parce que surtout, c’est bien écrit, et que c’est parfaitement idiot. Tout un art.

Une vraie perle que je ne serais pas allé chercher tout seul. Merci la Cinémathèque…

(On sent aussi beaucoup de cette atmosphère dans les films japonais des années 30 de Hiroshi Shimizu : la joie de vivre, la petite musique, et les passages d’opérette en moins bien sûr.)


 


Sur La Saveur des goûts amers :

Top films français

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L’Inconnu du palace, Dorothy Arzner (1937)

Bride et Préjudice

The Bride Wore RedThe Bride Wore RedAnnée : 1937

Réalisation :

Dorothy Arzner

5/10  IMDb

Avec :

Joan Crawford, Franchot Tone, Robert Young, Billie Burke, Reginald Owen

Typique des films de studio de l’époque : production mainstream réunissant la crème des artistes et techniciens sous contrat pour initier un projet coûteux mais parfaitement calibré pour le goût du public. Aucun risque, on assure avec ce que le spectateur connaît et apprécie déjà sans se soucier de faire un film ambitieux ou cohérent.

Résultat, un fric de fou dépensé mais aucun à-propos.

Une histoire, un film, pour la ou le raconter, il faut un certain sens des proportions, savoir quand couper des scènes inutiles, quand d’autres sont nécessaires pour éviter les raccourcis faciles, et pour ça il faut autre chose que les gros sabots d’un grand studio. Quand ce n’est pas la chance, c’est un cinéaste capable de prendre les bonnes décisions en dépit des vents contraires qui vous assurent ce savoir-faire… Et là, on a juste l’impression de voir un paquebot que personne ne dirige.

Dorothy Arzner assure dans le découpage ; les décors sont parfaits si on excepte les extérieurs parfois ridicules ; tous les acteurs sont formidables, mais à peu près tous à contre-emploi ; certaines répliques font mouche ; mais le sujet est ridicule, et personne n’est là pour redresser la barre de ce qui aurait été probablement impossible à rendre meilleur.

Le premier des talents, c’est celui du renoncement. On se compromet, on est aux ordres, ou pas. Triste de voir autant de talents filer à la catastrophe.

L’Inconnu du palace, Dorothy Arzner (1937) The Bride Wore Red Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)


Honor Among Lovers, Dorothy Arzner (1931)

Claudette avant Capra

Note : 3.5 sur 5.

Honor Among Lovers

Année : 1931

Réalisation : Dorothy Arzner

Avec : Claudette Colbert, Fredric March, Monroe Owsley, Charles Ruggles, Ginger Rogers, Pat O’Brien

Comédie très convenue mais à côté du désastre mélodramatique de Sarah and Son, on sent du mieux dans la production.

La Paramount réunit un beau casting pour celui-ci à commencer par Claudette Colbert. Tout est déjà là, le jeu classique hollywoodien du parlant : vitesse, écoute ostensible, réactions et détours affirmés, imagination, pensée, aisance, autorité, tempérament, fantaisie, compréhension de la situation… Le génie saute aux yeux et Fredric March, tout comme son personnage, finit vite par ne plus savoir où donner de la tête. Le film a d’ailleurs la bonne idée de les opposer très rapidement tous les deux, histoire de donner le rythme.

Les autres acteurs ne sont pas forcément au diapason. Monroe Owsley n’est pas mauvais mais indéniablement sans génie parce qu’il n’évite pas les écueils d’un rôle qui se révèle très vite antipathique. Dorothy Arznel comme ce qui semble désormais une certitude ne l’aide pas beaucoup, s’attardant bien trop longtemps sur une scène alcoolisée plutôt embarrassante cassant le rythme là où les grands films finissent par rehausser encore le niveau. Toute la différence entre un cinéaste de génie et une employée de studio très habile quand il est question du découpage technique (et en ce début de l’ère du parlant, avec la nécessité d’instaurer ce qui deviendra très vite un classicisme, ce n’est pas une mince affaire), mais inefficace quant à la direction d’acteurs ou la dramaturgie (un cinéaste, oui, son rôle c’est avant tout de raconter des histoires, pas forcément les siennes, mais il doit le faire au mieux quitte à en changer certains aspects, et ça, ce n’est pas le fort de Dorothy Arznel).

Charles Ruggles en revanche est tout à fait délicieux et confirmera par la suite avec une jolie carrière de second rôle (toujours me semble-t-il dans cet emploi de brave type distingué).

Et s’il fallait encore une preuve de la qualité de la distribution, on retrouve même Ginger Rogers en parfaite idiote rappelant qu’avant de croiser Fred Astaire sur Carioca et que la RKO décide de les réunir en têtes d’affiche, elle était d’abord une actrice comique et de composition (ce qu’elle retrouvera parfois par la suite, avec Stage Door ou The Major and the Minor). C’est l’âge d’or pour les actrices…, il ne faut plus de sex-appeal ou du tempérament, il faut que la langue soit bien pendue et que l’actrice ait du répondant. Si Ginger Rogers ici se fait plutôt mal traiter, on retrouve bien ce qui sera typique des films des années 30 et ce même souvent après l’instauration du code, à savoir que c’est bien les femmes qui portent la culotte. En l’occurrence ici, il n’y en a que pour Claudette Colbert.

Honor Among Lovers, Dorothy Arzner (1931) | Paramount

1931, il faut souligner l’exploit. Malgré les défauts du film, toutes les années 30 et l’art du parlant sont déjà là. On flirte encore souvent entre les genres et on est parfois un peu plus dans le drame que dans l’humour, mais la romance, la rencontre de deux stars et d’une brochette d’excellents acteurs, tout ça, c’est l’âge d’or de Hollywood qui est en train de prendre forme. Et contrairement à Sarah and Son ou aux Endiablés, on est loin du muet (de son rythme et surtout de ses actrices).

 



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Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava (1933)

Nul prophète à la Maison-Blanche

Note : 2.5 sur 5.

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche

Titre original : Gabriel Over the White House

Année : 1933

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Walter Huston, Karen Morley, Franchot Tone

Les deux premiers actes sont très bons (le premier au niveau des dialogues et de l’humour, le second pour la mise en place de petites idées utopistes du président), malheureusement, le troisième est une sorte de discours du Rebelle illustré par des maoïstes intégristes… Une demi-heure de conneries sans nom, propagandiste d’un autre temps, à coup de « on va faire la guerre à tous les méchants de la planète, nous, la race anglo-saxonne, parce qu’on n’arrive pas à nous mettre d’accord avec les autres, ces sous-développés ; on va leur montrer combien le christianisme va sauver le monde »…

Rarement vu un film se vautrer à ce point en commençant fort et finir ainsi dans la boue. Ne jamais faire confiance à des artistes pour trouver des solutions aux problèmes du monde. Toutes les utopies mènent à une forme de fascisme…

Reste les acteurs formidables et une mise en scène efficace. À se demander pourquoi Franchot Tone et Karen Morley ne sont pas devenus de véritables stars à cette époque. Leur talent est indéniable et ils sont tous deux plutôt charmants… Un petit côté trop lisse peut-être pour l’époque, un manque de fantaisie. On loue plutôt, pour franchir cette ultime marche de la gloire, l’impertinence, voire la sauvagerie ou un côté tendant franchement vers la screwball. Trop sages, trop policés. Soit. Mais avoir de tels seconds rôles dans une distribution, c’est un luxe. Dommage de les y voir dans un film qui les oublie trop vite.

Il est à noter aussi que cette rétrospective « élections américaines » à la Cinémathèque (en réalité plus une rétrospective sur la politique américaine) permet assez bien de pointer du doigt les errances jamais irrésolues d’un système en politique et cela quel qu’il soit. Depuis les Grecs (qui avaient inventé ce qui se rapproche le plus de la démocratie directe), les mêmes constats, le même espoir d’un monde meilleur, et toujours la nécessité de se résoudre à une seule conclusion : le monde évolue, change, progresse sans doute dans un sens sans qu’on sache souvent vers où, mais il avance seul, poussé par des forces souterraines qui sont presque toujours issues de la société civile ; le progrès, s’il existe, est presque toujours à mettre au crédit des avancées scientifiques, médicales ou technologiques. Aucune utopie n’a jamais fait la preuve de sa capacité à promouvoir le bien-être, le progrès ou le bonheur pour tous. Peut-être parce que justement, le monde et le progrès ne se nourrissent pas de bonnes intentions, et parce qu’aucun « programme » ne saurait satisfaire l’ensemble des populations ou « lutter » pour un hypothétique bien commun.


 

Gabriel au-dessus de la Maison-Blanche, Gregory La Cava 1933 | Le Président dictateur, Gabriel Over the White House | Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer


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L’Impératrice rouge, Josef von Sternberg (1934)

Crème anglaise

Note : 4.5 sur 5.

L’Impératrice rouge

Titre original : The Scarlet Empress

Année : 1934

Réalisation : Josef von Sternberg

Avec : Marlene Dietrich, John Lodge, Sam Jaffe, C. Aubrey Smith, Gavin Gordon, Louise Dresser

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Montagnes de chantilly garnies au foin d’étable, fauteuils en plâtre rehaussés de gargouilles eisensteiniennes, blanc de poulet ou jambon d’anchois trempé à l’huile de coude, nuages de lait frappés aux éclats d’albâtre, diamants distribués comme des perles de reine, neiges au bois dormant sur tronc laqué et houppier pelé, ermitages sur coulis de béchamel, feuilletés d’oie croustillant au blanc des yeux, marengos crevés à la purée d’hiver, poudre de riz sur perruque en cascade, viennoiseries baignées sous une poudreuse de retraite, berlingots pochés au foutre de canard, poussières d’albumine sublimées en bokeh d’argent, mousselines de lumières kaléidoscopiques, sucre glace en rab ou à foison, garnison on duty pour la reine buissonnière… je retrouve à ce second visionnage le même festin baroque et blanchâtre que j’y avais trouvé au premier : L’Impératrice rouge, c’est l’éléphant blanc de Josef von Sternberg. Son joyau, son froufrou, qui vaut d’abord pour sa radicalité éclairée au fer-blanc. Non pas un blanc à La Passion de Jeanne d’Arc, mais un blanc habillé de noir qui ne sert ici qu’à le rehausser. Car si dans un film noir ou dans le cinéma expressionniste, tout tend à rendre l’atmosphère oppressante et mystérieuse, à travers ses noirs (ces gouffres qu’osent à peine éclairer les quadrilatères de lumière), dans L’Impératrice rouge, c’est bien tout le contraire qui y est suggéré. Au loin le cinéma expressionniste ; ici, l’enluminure. Faute de couleurs, les noirs servent le relief. Peut-être un seul autre film réussira à produire sur pellicule ce que Gustave Doré pouvait proposer dans ses illustrations : La Belle et la Bête, de Jean Cocteau.

Alors, ces excès baroques et lumineux demeurent, mais à la revoyure, un aspect du film qui m’avait le plus surpris il y a trois ans semble ne plus coller aussi parfaitement qu’il le devrait : son humour. On pourrait s’amuser à rapprocher ce style aux fantaisies « bon marché » d’Ernst Lubitsch de sa période allemande, en particulier trois de ses films tournés en 1919 : La Poupée, La Princesse aux huîtres et Madame DuBarry. Le grotesque et la démesure des décors y sont bien présents, et en ce qui concerne précisément l’humour, von Sternberg, s’il joue parfois plus des yeux roulés sous les aisselles que des lignes de dialogues comme il le devrait, il trouve avec ce Scarlet Empress un ton humoristique qu’on retrouve rarement à ma connaissance dans ses autres films. L’effet de surprise en moins, sans doute, les répliques font moins mouche. Rien d’étrange toutefois d’y trouver un lien avec Ernst Lubitsch, les deux cinéastes partageant à l’époque les services d’un des plus prolifiques et talentueux art directors d’Hollywood pour le compte de la Paramount : Hans Dreier. Il se pourrait donc bien que la sophistication de nombreux films de l’un et de l’autre soit pour beaucoup à y mettre au crédit d’une certaine Dreier’s touch. (Billy Wilder fera également appel à lui plus tard pour quelques-uns de ses meilleurs films.) Il y a une époque où le cinéma pouvait mêler efficacement glamour et humour ; une époque où toutes les meilleures viennoiseries d’Europe se sont répandues en poudre d’or sur le cinéma américain…

Autre mauvaise surprise, l’emploi un peu abusif des montages-séquences. C’est aussi dans ces séquences que toute la démesure baroque du cinéaste peut s’exprimer, pourtant la sophistication paresseuse du montage paraît un peu pâlotte face à l’exubérance et la créativité sans limites des décors. Le procédé est très utilisé à l’époque pour condenser l’action, jouer d’ellipses et accélérer le rythme, mais la volonté d’user du procédé pour le même type de séquences, souvent aussi de préférer la musique aux lignes de dialogues pour faire avancer l’action, finit par être lassant (un peu comme dans un bon film d’Eisenstein). Pas au point de friser l’indigestion, certes, mais attention aux dégâts lors du prochain visionnage.

Restera l’essentiel, une pièce montée sur une île flottante qui jamais ne chavire, quelques répliques dignes des Marx Brothers, une audace permanente et un style qui flirte entre les lignes : on espérerait peut-être voir un mélodrame historique avec Greta Garbo et l’insolence de Marlene Dietrich (à l’image encore d’une Ossi Oswalda dans les films précités de Lubitsch) semble être là pour rappeler qu’on ne se prend jamais au sérieux. Au lieu d’assister à l’ascension un peu ronflante de la Grande Catherine, Josef von Sternberg nous propose l’ascension d’une femme commençant sa trajectoire en It girl (il avait participé à l’adaptation en 1927 avec Clara Bow de It) pour la finir quasiment en femme fatale. Au niveau du style, le passage du mélo non consommé au burlesque retenu, malgré les dernières réserves, offre tout du long une impression d’unité et une cohérence peu évidente à trouver. Un peu comme arriver à faire monter ses yeux en neige tout en espérant se regarder dans le blanc des œufs sans broncher… L’écueil, comme souvent dans ce genre d’exercices, c’est de trouver des acteurs pour jouer la même partition. Josef von Sternberg est loin d’être un grand directeur d’acteurs, mais la mayonnaise a pris et ça tient toujours.

L’Impératrice rouge est l’un de ces miracles inexplicables qui constellent l’histoire du cinéma. Rien ne ressemble à L’Impératrice rouge ; tout juste peut-on lui trouver des aînés et des descendants (certaines adaptations shakespeariennes de Orson Welles, quelques films de Peter Greenaway ou de Ken Russell) ; et assez peu de rapport avec une autre démesure, plus sombre, plus tragique, des films muets de Josef von Sternberg. Un miracle. Une île flottante pour quelques déserteurs endormis, gourmands d’aventures étranges et baroques.

Surtout, laissons la lumière allumée.


L’Impératrice rouge, Josef von Sternberg 1934 The Scarlet Empress | Paramount


Vu en janvier 2013 (A-) ; revu le 31 août 2016 (9)

L’Aventure de minuit, Archie Mayo (1937)

Chut, chute, chère Olivia

Note : 3.5 sur 5.

L’Aventure de minuit

Titre original : It’s Love I’m After

Année : 1937

Réalisation : Archie Mayo

Avec : Leslie Howard, Bette Davis, Olivia de Havilland

Screwball typique de l’époque — dans son écriture. On sent le lien évident avec le vaudeville à la française, avec une constance remarquable toutefois dans la pâte des grands studios hollywoodiens (et qui est un peu, avant même l’application effective du code Hays, la marque de l’âge d’or hollywoodien), c’est ce choix systématique dans le design des demeures riches ou des grands hôtels. La pâte des grands studios, c’est avant tout du joli carton-pâte. Dans un Guitry à la même époque, on sentirait les billes de naphtaline, le vieux parquet en chêne, et on aurait ressorti les vieux accessoires de théâtre à papa. Une fois qu’on a trouvé un filon, on ne le quitte plus (ce n’était d’ailleurs pas encore le cas dans New-York-Miami) : pas d’âge d’or sans pensée industrielle…

Le film aurait été idéal avec Ernst Lubitsch aux commandes, parce que si le scénario et donc l’aspect visuel sont parfaits, le choix des acteurs et leur direction ne sont pas toujours à la hauteur. Certains gags sont particulièrement lourds et redondants, on s’attarde parfois un peu trop sur certaines mimiques qui ne devraient être que des virgules vite oubliées… Plus embarrassant, avec trois acteurs merveilleux, certes pas forcément connus pour avoir excellé dans les comédies, le ton juste, le rythme, et pire que tout dans un genre qui réclame bien plus de rigueur et de savoir faire que le reste…, la sincérité, eh ben, tout ça manque un peu trop souvent à l’appel.

Alors certes, on pardonnerait tout au joli minois d’Olivia de Havilland, et comme elle dort encore à côté, je ne voudrais pas l’achever avec mes commentaires. Surtout qu’à sa première apparition où on la dévoile au balcon (presque nue), j’ai failli m’évanouir. Bette Davis, elle, (petite virgule dans mon extase oliviesque) s’en tire toujours mieux quand elle évite les tunnels et balance ses piques philanthropiques. Ces deux-là, souvent, si elles étaient si convaincantes dans des drames, c’est qu’elles savaient mettre une petite couleur d’ironie dans le jeu. Là, elles pouvaient être sincères (et probablement plus à l’aise, ou simplement mieux dirigées), mais dans une screwball, donc dans du burlesque, où la tentation serait toujours d’en faire trop, ça passe assez mal la rampe. (À remarquer au passage, qu’elles devaient être bien assorties parce qu’elles ont souvent travaillé ensemble, notamment presque trente ans plus tard dans Chut, Chut, chère Charlotte où le comique pointe subtilement son nez grâce aux outrances de l’une et la sincérité feinte de l’autre…)

Ça se gâte pour de bon avec Leslie Howard. L’Anglais fait pâle figure au milieu de ses deux collègues. Et c’est probablement moins ici le souci d’Archie Mayo que de la production Warner (dommage pour le petit Leslie, j’aurais été curieux de le voir dans des films après-guerre mis en scène par Carol Reed ou David Lean, seulement pour la screwball, on ne peut guère compter que sur une dizaine d’acteurs pour assurer le job à l’époque — c’est bien pourquoi le genre a fait long feu et qu’on a raison de parler d’âge d’or ; ceux qui mettent cette période faste au crédit seul d’un savoir-faire presque industriel n’ont rien compris à l’histoire — je sais qu’ils existent, qu’on me les présente, que je leur explique qu’une génération d’acteurs hors du commun, ça ne se commande pas).

La grande difficulté du vaudeville face à des films d’action ou des drames, c’est que si, comme dans tout récit qui se respecte, la situation est ce qui prévaut sur le reste, on retrouvera dans la farce, un peu comme dans la commedia dell’arte, une pause pour souligner ou établir une connivence avec le public. Et là, ça ne pardonne pas. On oublie la situation et l’acteur se retrouve nu, face à ce public qui attend de lui une attitude, une mimique (un lazzi), à son attention : ce n’est alors plus une question d’en faire trop ou pas assez (De Funès en faisait des caisses), mais de ne pas être sincère. Même dans la comédie, on peut tout foutre en l’air si on n’est pas crédible dans cette fraction de seconde où on se livre totalement au regard du public. Dans le drame, c’est beaucoup plus simple : la situation va commander l’émotion, et si la sincérité est importante, elle paraît en tout cas plus évidente, donc un enjeu toujours pris au sérieux par l’acteur et le metteur en scène ; surtout, en en faisant le moins, on peut être sûr de ne pas se tromper, et autour on peut lâcher la machine en cas de naufrage (les violons ou relancer l’action). Dans une farce, il y a toujours cet instant en suspens où ça rigole plus : « Mon bonhomme, l’action s’arrête, les projecteurs sont sur toi, tu as un commentaire à faire ? Oui ? Ah, pas mal, continue ». C’est cruel. Et là, la comédie l’est (cruelle) avec Leslie Howard. Alors oui, la plupart du temps, il est convenable, on sent l’acteur britannique…, et puis plouf, dès qu’il est livré à lui-même et qu’on attend de lui l’attitude qu’il faut, quand il faut, il n’y a plus personne. Et souvent, un acteur perdu se cache derrière quelques petits excès malvenus, comme un petit garçon chopé sur le fait. Les excès, il faut les réserver pour le reste, parce que quand on éteint les lumières et qu’on braque un projecteur sur vous, l’idée c’est au contraire, parfois, d’en faire un peu moins. Pour ne pas se décomposer : ne pas composer. En tout cas, pour être sincère, il faut être à l’aise. La capacité de certains acteurs de comédies, leur humour, il est là, dans la distance et la nonchalance quand tout à coup ils se savent regardés et qu’on ne voit qu’eux, la situation et le personnage étant plongés dans le noir, et qu’ils se laissent regarder. Même dans la farce (surtout dans la farce), il y a un moment où les masques tombent.

Dire qu’Olivia de Havilland survit maintenant depuis 70 ans à son partenaire d’Autant en emporte le vent, si ce n’est pas flippant…

L’Aventure de minuit, Archie Mayo 1937 It’s Love I’m After | Warner Bros

Yaé, la petite voisine, Yasujirô Shimazu (1934)

L’humour goutte-à-goutte

Yaé, la petite voisine

Note : 4 sur 5.

Titre original : Tonari no Yae-chan

Année : 1934

Réalisation : Yasujirô Shimazu

Avec : Yumeko Aizome, Ryôtarô Mizushima, Den Ohinata, Chôko Iida

Il y a des comédies qui sont des tonnerres et qui ont l’ambition de nous faire rire aux éclats ; et il y a des comédies qui sont des brises de printemps, ou de petits torrents qui dévalent tendrement des collines. Shimazu montre un monde idyllique où les hommes de mauvaises intentions n’existent pas. Tout est doux et indolore. Tout est sujet au rire et à l’amusement. On se prend à rêver que de tels personnages puissent exister et on rit, ou on pouffe bêtement, en comprenant que tout cela n’est bien sûr que de la fiction. On rit. Comme les Japonais rient quand ils sont gênés. Le temps d’un film on goûte à cette étrange humilité qui fait tout apparaître en rose et qui nous fait naïvement voir que le bon côté des choses. Il faudrait filmer les spectateurs des films de Shimazu comme lui filme ceux qui s’amusent à la découverte d’un épisode de Betty Boop. L’œil qui frise en permanence ; une brise qui chatouille comme une plume titillant nos oreilles et nos joues.

Farceur le Shimazu, l’air de rien. Quand il ose un échange de répliques entre deux lycéennes sur le volume de leur poitrine. L’audace du hors-champ, des adolescentes faussement innocentes et coquines ; et la gêne, plein cadre, du jeune homme laissé seul dans le salon et qui entend tout. Le retour de la voisine fait tout autant sourire : le garçon lui reproche son manque de pudeur, et elle lui répond qu’entre filles, elles peuvent bien parler de ces choses-là. On dirait aujourd’hui qu’elles l’allument.

Dans la même scène semblant sortir d’un fantasme d’écolier, la jeune fille propose à son voisin chéri de lui laver et de lui repriser ses ignobles chaussettes. C’est Boudu violé par les nymphes de Shimazu… Voit-on ça ailleurs que dans nos rêves. The girl next door, la petite voisine pas vraiment jolie, mais qui prend un malin plaisir à vous chatouiller les sens. Petit regard en coin, sourire moqueur… Le sexe n’est pas encore une éventualité alors on se tortille autrement. On flirte, on se taquine, on se chamaille.

Un peu plus tard, les mêmes continuent à jouer les amoureux : « Je te plais ? — Bof… » On ne se tape pas sur les cuisses, c’est sûr, mais on s’amuse des réactions de ces ados dont on peut lire les sentiments comme dans un livre écrit à l’eau de roche. « Tiens, c’est vrai que tu ressembles à Fredric March. Maah, tu es flatté ? » On pourrait presque le voir rougir ; et elle s’amuse de le faire marcher. Absurde, ridicule et tout à fait charmant. Parce que… Fredric March, sérieusement ? Le garçon en question n’a évidemment rien de Fredric March. Ozu, avait réutilisé plus tard la même bêtise flatteuse avec un autre acteur américain (à moins que ce soit dans un film de Naruse, j’ai la mémoire qui flanche, je me rappelle plus très bien).

Yaé, la petite voisine, Yasujirô Shimazu Tonari no Yae-chan 1934 Shochiku (2)_

Yaé, la petite voisine, Yasujirô Shimazu Tonari no Yae-chan 1934 | Shochiku

Les scènes se succèdent ainsi, et le flirt continuerait à n’en plus finir comme des préliminaires habillés si une grande sœur mariée mais en délicatesse avec son mari ne venait pas se réfugier chez ses parents. Encore, une situation, un personnage qu’on retrouvera par la suite dans les films de Naruse et d’Ozu. La grande sœur viendra donc se consoler dans les bras de notre Fredric March et sa cadette pourra alors nous amuser de sa jalousie un peu pataude — donc délicieuse. La comédie est là, en décrivant les petits défauts de ces personnages attachants. Des petits vices ne portant pas à conséquence que les auteurs connaissent bien pour être une source inépuisable de sympathie : la gourmandise (du jeune frère), l’ivresse (des pères), l’effronterie (de la voisine). C’est léger, c’est maladroit, c’est naïf…, l’idée en fait qu’on se fait de l’enfance (chacun sait que c’est un mythe, l’enfance étant au contraire une période où la cruauté règne en maître).

On est au début du parlant, Shimazu manie parfaitement l’usage des dialogues. Il sait quand montrer à l’image celui qui parle ou prêter attention au contraire aux réactions de ceux qui écoutent. On retourne même parfois presque au muet quand il joue avec d’incessants jeux de regards. Action, réaction : frustration ; action, réaction : vexation ; action, réaction : émulation ; action, réaction : circonspection ; action, réaction : tension… Sol, sol, sol… mi♭ !

Autre exemple de la délicatesse « muette » avec laquelle Shimazu montre ses personnages : en rentrant d’une soirée en voiture, le jeune frère pique du nez. Ce qui deviendrait facilement un motif de rire un peu vulgaire ne fait ici que sourire. C’est juste ce qu’il faut pour nous attendrir ; un peu comme quand on fond devant un enfant luttant contre le sommeil et qu’on regarde sombrer un sourire au cœur.

Shimazu possède cette légèreté, cet amour pour l’existence et les petites médiocrités humaines. On aime ses personnages parce qu’ils sont inoffensifs, des monstres gentils. Oui, c’est un paradis. Et cela, malgré la tragédie qui finit toujours immanquablement par pointer le bout de son nez. La mort, elle, ne dort jamais.

Après-guerre, Ozu tournera des films qui se rapprocheront de cette tonalité. Ça commencera avec Chôko Iida dans Récit d’un propriétaire, qui joue ici une des mères. C’est vrai que quand on la voit apparaître dans le film d’Ozu, avec son air sévère, on comprend tout de suite que le morveux parviendra très vite à l’amadouer. Un cinéma qui s’attache à décrire des anges, la beauté et l’humilité des petites gens.

Chôko Iida Yaé, la petite voisine, Yasujirô Shimazu Tonari no Yae-chan 1934 Shochiku

Chôko Iida

Alors, certains pourraient y voir du cinéma réaliste sans saveur, où il ne se passe rien. Pourtant il n’y a rien de réaliste à présenter des anges à l’écran. Je n’en ai rencontré aucun. On peut s’amuser à prendre la situation de départ et voir comment elle évolue dans le monde idéalisé de Shimazu et dans la vraie vie parisienne :

Quand le voisin joue au baseball en empiétant joyeusement sur la propriété voisine, et qu’il vient à casser un carreau avec sa balle, chez Shimazu, il vient s’excuser, tape la discute avec la fille des voisins ; la mère du joueur vient présenter ses excuses, demande à son fils de ramasser les morceaux et repart en demandant à la fille des voisins de présenter une nouvelle fois ses excuses à sa mère. Quand le lendemain, le vitrier passe, tout ce joyeux petit monde se renvoie la balle pour savoir qui payera les frais.

Dans la vraie vie ? Je casse la vitre de l’appartement de mon voisin, je commence par recevoir des insultes, je lui envoie les miennes en retour avant de venir m’excuser mais comme j’ai les excuses qui ressemblent à des insultes, il me ferme la porte au nez et m’envoie le lendemain la facture. Deux jours après, il insulte ma femme dans la cage d’escalier pour avoir un mari moyennement aimable, il reçoit en retour une volée de gifles, dépose une main courante au commissariat dans la foulée, me traite de couille molle au retour ; pour me venger, je lui grippe son garage mécanique en y fourrant un peu de sable dans les rouages ; le garage retombe sur son char à meule immatriculé dans le Calvados ; en représailles, il viole et massacre mon chien, je lui crève les yeux, il me tord et m’arrache les burnes, je lui vomis dans le cou, et on finit tous deux par la fenêtre, empalés vingt mètres plus bas sur la verrière du restaurant indien du rez-de-chaussée dans lequel on n’avait jamais daigné, ni lui ni moi, foutre les pieds. La voilà la vraie vie ! C’est ce qui arrive tous les jours entre voisins… Shimazu à côté, c’est L’Île aux enfants. Allez demander un ou deux œufs à vos voisins, vous avez toutes les chances de les recevoir sur la tête et de trouver le lendemain vos pneus crevés… Bienvenue dans le monde réel. Non, non, Shimazu n’est pas réaliste. Un idéaliste et un petit plaisantant, oui. Il nous montre un avant-goût du paradis, pour filer à la fin du film en nous disant : « hé couille molle ! le paradis n’existe pas ! » Merci bien. C’est triste la vie, et ça l’est encore plus à la fin.

Peg o’ My Heart, Robert Z. Leonard (1933)

Show Marion

Peg o’ My Heart

Note : 3.5 sur 5.

Année : 1933

Réalisation : Robert Z. Leonard

Avec : Marion Davies

À l’aise dans les scènes romantiques, les foules et les parties chantées, Robert Z. Leonard se révèle au contraire piètre directeur d’acteurs dans les scènes de pure comédie. Autrement dit, quand il est question de faire évoluer ensemble trois ou quatre personnages dans un décor de vingt mètres carrés rappelant la scène d’un théâtre. Vidor l’avait précédé en dirigeant Laurette Taylor dans la version muette de 1922. On aurait pu penser que Vidor ferait le remake pour la MGM en dirigeant son actrice de Show People, mais il faut croire que les tentatives de Vidor (avec Marion Davies toujours, dès 1930 avec Dulcy) n’ont pas été convaincantes parce qu’il délaissera totalement le genre de la comédie par la suite.

C’est qu’il y a un savoir-faire comique, un rythme, un ton, qui n’est pas évident pour tout le monde. Leonard et Davies ont fait leurs armes ensemble pour le passage au parlant, en 1930, avec deux versions de Marianne — l’une muette, l’autre parlante. Référencé sur IMDb comme étant un drame, ça m’a plutôt l’air d’être une comédie, reste à voir si le film souffre des mêmes défauts¹. Le talent comique de Marion Davies n’est, quoi qu’il en soit, pas à remettre en cause ici : elle est parfaite. Je vais y revenir.

¹ C’est bien une comédie, typique de Broadway, et Leonard s’y montre tout aussi incapable de maîtriser le rythme à l’intérieur de ses scènes (certaines séquences s’étalent sur plus de dix minutes).

À la MGM, à cette époque, on assiste aux prémices de la screwball : Clark Gable et Jean Harlow se donnent la réplique dans deux comédies à l’humour vache, La Belle de Saigon et La Malle de Singapour. Ce sera ce même Gable qui tournera la première screwball l’année suivante avec Capra et Claudette Colbert. New York Miami sort pile l’année de la mise en place du code Hays en 1934, et est donc le premier rejeton d’une série de comédies de couple bien comme il faut. La Malle de Singapour sort après, mais semble-t-il, la Harlow peinera alors à trouver des rôles à sa convenance. Le screwball doit dominer à présent et les garces comme Jean Harlow sont mises au placard. Le parlant leur avait permis d’ouvrir grand la bouche, on les imaginait le faire tout aussi facilement avec les jambes, et voilà qu’on leur demande tout d’un coup de tout fermer. À choisir, tiens, on préférera surpayer Katharine Hepburn afin de la voir enfiler des pantalons.

Marion Davies, bien sûr, n’aura pas ce problème en jouant les ingénues. Mais il serait intéressant de comprendre pourquoi l’histoire retient principalement les screwballs, ou les films de Capra et de Lubitsch de cet âge d’or de la comédie américaine. Si on reconnaît Jean Harlow en l’associant aux films du pré-code, Marion Davies, encore et encore, n’est connue que pour avoir été le Rosebud de William Randolph Hearst. Citizen Kane, « plus grand film de l’histoire du cinéma » est encore fatal aujourd’hui à sa réputation. Je sais que je l’ai déjà écrit plusieurs fois, mais je l’écris à nouveau : Marion Davies est un trésor de la comédie américaine. Elle ne rit pas seulement quand on lui chatouille le bouton de rose, elle chante et elle danse aussi. Et la voir en garçonne, danser et chanter sur les tables, ça a tout de même cent fois plus de classe que Marlene Dietrich dans LAnge bleu. Ce n’est pas donné à tout le monde d’arriver à jouer à la fois sur la corde sensible, musicale et même burlesque (avec ses charmantes mimiques à la Stan Laurel). Judy Garland peut bien lui dire merci.

Peg o' My Heart, Robert Z. Leonard 1933 Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) (2)

Peg o’ My Heart, Robert Z. Leonard 1933 | Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM)

Sans elle, tout s’écroule, c’est l’atout majeur du film. On est en plein dans les méthodes du star-système initié à Hollywood par les studios. À la même époque la MGM, grâce à son génial Irving Thalberg, commence à combiner des stars pour un même film — ce qui fera de la marque au lion (la seule, l’unique) le leader incontesté des studios de l’âge d’or. Pourtant ici, tout le film est dédié à son unique star, Marion Davies. La coproduction avec la Cosmopolitan n’y est sans doute pas pour rien. On sent donc encore toute l’influence du muet où certains grands films commerciaux reposaient sur une grande star, avec ces gros plans façon carte postale ou Studio Harcourt, et qui donnent un effet étrange aujourd’hui : l’impression que le monde s’arrête autour, que tout s’harmonise soudain et que chaque élément du décor entre parfaitement à une place déterminée par les lois du cadrage.

Bref, Leonard, lui, n’est pas un metteur en scène de comédie. Ces quelques scènes, très théâtrales, censées se jouer à mille à l’heure dès que Peg rencontre la famille Chichester, ont suffi à me faire sortir du film. Le rythme retombe tout d’un coup, aucun membre de la famille Chichester ne parvient à nous amuser, et heureusement que la comédie sentimentale se met très vite en place et que Marion Davies sauve l’affaire pour remédier à cette affreuse rencontre avec les Chichester… Leonard ne sait pas alterner les rythmes pour la comédie (comme dans Marianne). Il joue très bien sa partition en accélérant comme il faut dans les scènes sentimentales, puis ralentir tout à coup le rythme pour accentuer la tension, mais dans les scènes de mise en place, presque inspirée du vaudeville (ou comme un Capra, façon Vous ne l’emporterez pas avec vous), ça s’éternise comme dans un mauvais soap.

Son découpage technique en revanche est parfait (ça ne trompe pas sur sa capacité à diriger des films comme il le prouvera par la suite).

Les valeurs du film sont charmantes (on comprend qu’elles aient pu séduire Vidor pour la première adaptation) : le mépris de la quête de l’argent et de l’individualisme, l’amour du prochain… Autant de bons sentiments qui feraient probablement vomir Ayn Rand. Ça commence par tout un village irlandais commémorant en chanson le départ de Peg ; et ça se termine de la même façon avant que le beau de Peg sorte à son tour les violons pour lui révéler que c’est elle qu’il aime… Le lyrisme triomphant fêtant les valeurs optimistes du partage familiale et communautaire qui, de Capra à Lucas, marque si bien l’esprit américain. Gary Cooper peut réciter les mots de Ayn, et Capra peut tout autant inspirer le même élan individualiste dans d’autres films (que La vie est belle), mais un peu de miel qui dégouline, c’est toujours aussi bon quand ça coule sur des plaies issues du rejet de l’autre. Peg avait bien mérité un peu de réconfort après avoir affronté sans jamais s’effondrer au regard et aux mœurs compliqués des gens de la haute. Le miel vient toujours en récompense, non pour graisser les rouages d’une histoire.

À noter l’excellent travail d’« art direction » de Cedric Gibbons, l’un des créateurs de la qualité visuelle de la MGM. Il avait déjà papier glacé Marion Davis dans Quality Street et dans Une gamine charmante, et sera ensuite de toutes les grandes productions de la MGM des années Thalberg aux grandes heures du Technicolor. Je veux en tout cas le même service en argent, les mêmes rosiers, la même terrasse (qu’on retrouve dans Indiscrétions, toujours dirigé par Gibbons) et la même photographie capable de reproduire le même flou vitreux qui s’étale sur les bords de l’image lors des plans d’ensemble. C’est que j’aurais bien besoin de tout ça pour mon mariage avec Marion Davies. Mariage que j’annoncerai une fois retrouvé mon petit Rosebud atomique. Et si ce n’est assez pour convaincre des talents de décorateur du bonhomme, imaginons seulement, qu’en plus d’être également le papa de Oscar (la statuette), il a été marié, non pas à Marion — il la laisse à mes rêves de grandeurs — mais à Hazel Brooks (la bombe de Sang et Or) et à Dolores del Rio. (O’ My heart !…)

Peg o' My Heart, Robert Z. Leonard 1933 Cosmopolitan Productions, Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) (1)


Liens externes :


Pension d’artistes, Gregory La Cava (1937)

Les truies latines

Pension d’artistes

Note : 5 sur 5.

Titre original : Stage Door

Année : 1937

Réalisation : Gregory La Cava

Avec : Katharine Hepburn, Ginger Rogers, Adolphe Menjou

— TOP FILMS

La fin est négligée, larmoyante et conventionnelle. Mais peu importe. Durant une heure, c’est un pur plaisir. Il arrive parfois que l’histoire ait finalement assez peu d’intérêt. Dans les comédies musicales, on ne s’attend pas à trouver une histoire aussi fine qu’Hamlet, on juge les numéros. Le numéro ici est assuré par le couple comique que forment Ginger Rogers et Katharine Hepburn. Deux sacrés numéros en effet.

L’humour n’est pas loin de Vous ne l’emporterez pas avec vous de Capra qui sera tourné l’année suivante. Les deux films sont tirés de deux pièces de George S. Kaufman. Impossible de savoir ce qu’il reste de la pièce. Sans doute peu de choses vu le nombre de scénaristes crédités. Mais la parenté de ton est évidente. Pour les dialogues (qui constituent donc la part la plus importante des « numéros » du film, plus que l’intrigue), on peut imaginer que Morrie Ryskind y a joué un rôle majeur. L’année précédente, il avait participé, pour le même La Cava, à Mon homme Godfrey. Ces deux mêmes « scénaristes » travaillaient également sur divers films pour les Marx Brothers. Rien à voir avec Stage Door ? Et pourtant si. Le même burlesque, la même insolence, Ginger Rogers possède ici le même humour pince-sans-rire que Groucho Marx. Son personnage est sensiblement identique à celui des films qu’elle tourne durant la même période avec Fred Astaire, mais débarrassé de l’idylle superflue et de ses robes du soir, son personnage en devient beaucoup plus rock’n’roll. C’est elle qui joue la chasseuse en quelque sorte, ou dans un film où il y a essentiellement des femmes…, c’est elle qui assume ce rôle de mec. Si les codes de la comédie américaine se sont déjà mis en place avec le succès de New York – Miami pour créer les screwball comedies, avec les comédies populaires de Capra « dans lequel un brave type est le héros », ou encore les comédies burlesques, et si tout ça se figera un peu avec les habitudes prises dans le cinéma parlant (et l’autocensure), il y a encore dans ces fabuleuses années 30, des comédies hybrides qu’on ne verra plus par la suite. Stage Door est le spécimen rare d’une espèce endémique probablement issue des films de « stage » du début des années 30, en particulier les comédies musicales (auxquelles Ginger Rogers avait participé avant de se lier avec Astaire) et qui parce qu’elles étaient trop audacieuses et mettaient en scène des personnages trop populaires pour le code, disparaîtront avant de revenir au cours des années 50 avec l’emballage Technicolor et l’assouplissement du code. Sans être un « pré-code », Stage Door en a la saveur. Sa crudité n’apparaît pas dans ses images, mais dans son vocabulaire et sa tonalité générale. Et cette fin pathétique rappelait sans doute aux patrons le caractère mélodramatique du film. Dans un film noir, les méchants doivent être punis ; ici, on n’en est pas loin, les impertinentes jacasses qui envoient du lourd façon mitraillette avec leur fast paced repartee sont contraintes de la fermer quand l’histoire tourne au drame.

Pension d’artistes, Gregory La Cava 1937 Stage Door | RKO Radio Pictures

Avant ça, les dialogues fusent et c’est Ginger Rogers qui en profite le plus. Une réplique, un tir. Et dans le mille. Tout l’art consiste à rendre sympathique un personnage qui envoie de telles atrocités. Comme celui de Katharine Hepburn s’en aperçoit, elle aboie beaucoup, mais elle ne mord pas. C’est soit un jeu, soit le résultat d’une blessure profonde qu’elle cache grâce à son arrogance et sa volubilité. Aucune intention de mordre : quand elle ouvre la bouche, c’est pour laisser s’échapper de paroles déplaisantes et odieuses. Tel le lanceur de couteau, elle envoie vite, mais vise toujours juste pour souligner les défauts de la personne qu’elle prend pour cible. La repartie découpe la silhouette de nos imperfections. Ginger Rogers ici, c’est la légendaire bonhomie de Jean-Pierre Bacri avec le débit de Fabrice Luchini. Brillant, irrésistible. Il y a des tap-dancing films et il y a des tap-talking films

We all talk pig Latin, qu’elle dit. Eh oui, j’ai bien peur de perdre la moitié de ses piques. La traduction ne peut pas suivre le rythme, et certaines répliques sont tout bonnement intraduisibles.

Des mots, des mots, des mots. Et une note : 10/10




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Cette sacrée vérité, Leo McCarey (1937)

Ce sommet de la grande dunne

The Awful Thruth Année : 1937

Réalisation :

Leo McCarey

10/10  IMDb

— TOP FILMS

Les Indispensables du cinéma 1937

Listes :

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MyMovies: A-C+

Magnifique screwball comedy. Peut-être le meilleur… Parfait mix du vaudeville à la française avec les portes qui claquent et l’amant dans le placard (vaudevilles et screwball, c’est souvent « une femme et son mari ») et de l’humour britannique (le mot, la repartie, la fausse cruauté et le flegme face à des situations souvent cocasses).

Pratiquement toutes les scènes avec le même principe. Une connivence entre Irene Dunne et Cary Grant, mari et femme en instance de divorce, qui se chamaillent en trompant tous ceux qui les entourent… La connivence est permanente avec nous et on peut rire jusqu’au fou rire de deux ou trois situations loufoques qui s’éternisent dans l’absurde. Je t’aime, moi non plus.

Encore un bel exemple du tournant opéré dans la société occidentale où l’homme et la femme sont désormais sur un pied d’égalité. L’âge d’or de Hollywood a participé à cette révolution. D’autres couples ont joué à cette époque la même parade : Ginger Rogers et Fred Astaire, Katharine Hepburn et Spencer Tracy, Myrna Loy et William Powell.

Depuis, le buddy movie est redevenu strictement l’alliance de deux individus de même sexe…

Pas un chef-d’œuvre, LE chef-d’œuvre de la comédie romantique américaine. (Avec peut-être New-York-Miami, La Dame du vendredi et Vous ne l’emporterez pas avec vous.) Bon, d’accord, UN DES.


Cette sacrée vérité, Leo McCarey 1937 The Awful Thruth | Columbia Pictures