
Edward aux mains d’argent, Tim Burton (1990) | Twentieth Century Fox
Le relativisme est essentiel parce qu’il permet de prendre un peu de hauteur et oblige à ne pas juger des goûts des autres. Échanger des goûts, des avis, des points de vue, c’est toujours sain, ça rentre dans la cadre de la liberté d’expression, et on l’applique à l’art (avec un grand H). En revanche, discuter des goûts, au hasard… de la supériorité des glaces à la fraise sur les glaces au chocolat ou des films de Bresson sur ceux de Besson, c’est déjà plus problématique. Quand je lis ou que j’entends “argumente”, non, on n’argumente pas ce qui est du domaine de la perception, de la subjectivité, du goût, de l’irrationnel. Même les questions techniques en art (et donc plus précisément dans le cinéma, qu’il soit question de dramaturgie, de placement de caméra, d’interprétation, de montage) sont toujours fortement influencées par la perception et les préconceptions que l’on se fait des techniques en question.
Il est donc parfaitement impossible de démontrer la supériorité d’un goût, d’un film, d’une méthode, par rapport à un ou une autre. On construit une méthode personnelle pour évaluer des films et exprimer ses points de vue ou goûts, et on peut le faire de manière plus ou moins élaborée. Si tu parles de cohérence de mise en scène ou de scénario pour les différents Batman, par exemple, tu juges de cette cohérence en fonction de ta conception personnelle de ce qui doit être respecté pour entrer dans le cadre de cette cohérence. Un enfant de dix ans jugera cette cohérence (ou tout autre élément susceptible de juger de la valeur d’un produit, d’une œuvre) différemment d’une femme de 32 ans, d’un grincheux de 50 ou d’une nénette de deux fois son âge. On peut (malheureusement ou non) entrer dans des écoles de pensée dans lesquelles chacun partage les mêmes valeurs et goût pour finalement devenir pratiquement esclave de ces visions en s’interdisant de voir autrement ou en prenant bien soin de mépriser les “écoles” opposées à la sienne.
On me répondra peut-être que la vision du môme de dix ans, elle est influencée par son âge et qu’il aura tout le temps… d’affiner ses goûts. Sans doute, mais pourquoi devrait-on alors préjuger de ce vers quoi cet “affinage” devrait aller ? Est-ce qu’en grandissant et en voyant plus de films, on est censé apprécier, au hasard, les films expérimentaux, parfois muets, hongrois ou scandinaves ? Je ne pense pas. Il n’y a pas plus de légitimité, ou de « bon goût » à s’enfiler des sacs de navets (qu’on ait conscience ou pas de regarder ce qu’on nomme communément « navets »). Il y a des cinéphiles qui basent leur jugement en fonction du seul plaisir qu’ils y éprouvent, d’autres de l’expérience, d’autres des valeurs morales ou politiques, ou d’autres encore de ce qu’ils y ont compris des références cachées d’un film… Il y a autant de goût, de perception, de manière de juger, qu’il y a « d’écoles » et même de “spectateurs”. Les fans de films expérimentaux s’étriperont tout autant pour savoir de qui entre Brakhage ou de Mekas a le plus de talent. Même chose pour les fans de films d’horreur, les comédies italiennes, les films de gangsters ou que sais-je encore…
Chercher à prouver que les films de Burton sont supérieurs aux films de Shumacher reste une tâche parfaitement vaine. On ne pourra qu’exprimer ses préférences. À partir du moment où deux personnes qui s’étripent sur des films n’ont pas la même conception des films, les mêmes attentes, aucune “raison”, aucune valeur supérieure, aucun bon goût ne peut être établi et discuté. Dire de ce Durendal qu’il a tort parce qu’il n’a aucune culture cinématographique ne mènera pas bien loin. Il n’a aucune culture ? Et alors ? En quoi connaître aide-t-il à mieux apprécier une œuvre ? Une œuvre en particulier, pourquoi pas…, mais deux œuvres qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre ? En quoi connaître un film jugé majeur du nouvel Hollywood, par exemple, aiderait-il à mieux apprécier un film hollywoodien actuel ? Il n’y a pas de prérequis à la perception et au jugement de l’art ; un môme de dix ans est parfaitement légitime pour juger de ce qui a de la valeur à ses yeux.
Maintenant, il y a quelque chose de très simple à faire. Si on n’apprécie pas une vision de faire ou de voir d’un cinéaste ou d’un vidéaste donnant son avis sur des films, il est simple de passer son chemin. Depuis que j’entends parler de ce Durendal, je n’en ai jamais entendu du bien. C’est le Nabila ou le Nasri de la critique vidéo, semble-t-il. Le plaisir est de relever sa médiocrité. Eh bien, ne regardez pas. J’imagine que pour un avis bien arrêté sur le garçon et être capable… d’argumenter sur lui, il faut s’être enfilé une bonne dose de vidéos. Si on ne l’apprécie pas, c’est un peu être maso. Il serait plus utile d’insister sur ce qu’on apprécie pour mettre en lumière ce qui pourrait être obscur et que d’aucuns ignorent (si on estime qu’il y a une « culture supérieure » à donner aux « pauvres »), plutôt que de participer au buzz d’un garçon qui sans doute un peu comme Dieudonné, semble gagner sa vie non pas grâce à son talent mais grâce à la haine ou au mépris qu’il suscite.
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