Frankenstein, Guillermo del Toro (2025)

Note : 4 sur 5.

Frankenstein

Année : 2025

Réalisation : Guillermo del Toro

Avec : Oscar Isaac, Jacob Elordi, Christoph Waltz, Mia Goth, Charles Dance

Encore un petit effort et le prochain qui se colle à l’adaptation du roman comprendra que le génie de Frankenstein (et celui de Mary Shelley) tient plus de sa composition narrative que de la composition de sa créature.

Dans mon commentaire sur le roman, je m’interrogeais sur la manière dont le cinéma pourrait précisément illustrer le dilemme non seulement narratif mais linguistique de l’œuvre. Parce que Frankenstein est bien plus qu’un simple roman de science-fiction horrifique, c’est un patchwork narratif de génie qui reproduit l’éclatement cosmopolite de l’Europe du XIXᵉ siècle, une allégorie, presque, de la fécondité des relations sociales et internationales de l’époque illustrée par la créature (à travers son adaptabilité, sa sensibilité et son génie propre — Mary Shelley ne cherche pas à rabaisser la créature par l’intermédiaire de la langue, au contraire, elle l’élève à notre niveau pour en faire un alter ego).

Comme on pouvait s’y attendre, Guillermo del Toro évite de faire parler ses personnages français et les transpose vite en Grande-Bretagne. L’aspect continental, dira-t-on (voire polymorphe ou composite du roman), n’apparaît que dans l’évocation de l’enfance du docteur (sans préciser qu’il s’agit de la Suisse, sauf si cela m’a échappé), et l’on y entend quelques mots de français qui ne semble pas être un français de Suisse, ni même un français international de la haute société européenne, mais un français de personne non francophone choisi sur le tard pour le casting… Bref, il s’agit de toute façon d’une adaptation et en dehors de cet aspect étrange et difficile à transposer, c’est en revanche l’aspect narratif qui pour une fois tente un minimum de reproduire à l’écran l’écueil du roman épistolaire.

J’écrivais dans mon commentaire que le roman comptait trois voix, on n’en a plus que deux ici. Le roman est parcouru de peu de péripéties, c’est sans doute pour cette raison qu’il est à la fois si difficile à adapter « à la lettre » (en respectant l’essence polymorphe du roman) et susceptible de laisser une grande marge de créativité (Guillermo ne s’en est pas privé : il s’approprie quantité d’éléments — autobiographiques, expliquait-il à la séance — en recomposant largement les lieux et les péripéties). Le choix a pourtant presque toujours été de se focaliser sur les événements (rarement conformes à Shelley). L’intérêt du roman, comme la plupart des chefs-d’œuvre, se situe autant dans son fond (sujet, thème) que dans sa forme (narrative et symbolique). L’une des surprises à la lecture du roman après en avoir vu diverses adaptations est de voir lire la créature : voir en particulier ce que la lecture et son apprentissage ont fait d’elle (parce que c’est elle qui s’exprime, à l’écrit, dans le roman). Au cinéma, même si l’on peut s’autoriser à y voir adapté d’une manière ou d’une autre l’aspect littéraire et épistolaire du roman, cela passe forcément par la parole. Toutes les adaptations se focalisent sur la créature au moment où celle-ci parle à peine. Guillermo del Toro se contente de la faire brièvement philosopher et d’évoquer ses lectures.

Alors, gageons que la prochaine fois sera la bonne. Un récit enchâssé à la Citizen Kane apporterait quelque chose de plus à Frankenstein. Cette autre voie devrait être possible. À la fois plus fidèle et capable de moderniser le mythe en insistant sur l’aspect polyphonique (et polymorphe) du roman. La créature n’apparaît pas seulement comme un monstre à cause de sa physionomie, mais parce que partout où elle passe, elle est « l’étranger » dont on se méfie : elle « naît » en Allemagne, mais sa langue « maternelle » devient le français, et le tout doit être retranscrit… en anglais. La créature, c’est donc le migrant d’aujourd’hui, l’être cosmopolite, le savant vagabond méprisé dans les sociétés modernes, celui que l’on craint parce qu’il pourrait nous « grand-remplacer » (Guillermo del Toro, plus que Mary Shelley, joue sur la peur de voir les pauvres petites demoiselles du continent succomber au charme « monstrueux » de l’étranger, reprenant ainsi plutôt un motif de Dracula). Le rapport de la créature avec le docteur Frankenstein n’est ainsi pas exclusif. Le sujet du roman, c’est autant l’expérience de l’altérité que la quête de l’espace vital d’une créature modelée par l’homme condamnée à lui survivre. Cette altérité ne se trouve pas seulement évoquée à travers la question de l’apparence de la créature, mais aussi à travers les différentes langues diégétiques du récit, à travers les différentes classes sociales abordées, à travers les différents lieux. Compacter tous ces aspects en une seule langue, un seul lieu, une seule classe, c’est un peu réduire la créature à un vulgaire animal de compagnie, à un simple bout de viande qui se dérobe à notre fourchette.

Le film possède une autre qualité : son design. Je ne suis pas fan des lumières créées par ordinateur, mais costumes et décors valent le détour. Le château des expérimentations évoque à la fois la version de 31 (de ce que je m’en rappelle, surtout pour son entrée, son escalier) et celle de Branagh (la chambre d’expérimentation et sa tour). Quant à la créature, elle évoque plus… le Prométhée de Ridley Scott. Elle est plus proche de l’homme augmenté que de la vision néandertalienne proposée dans les précédentes versions.

Le film est long. Il aurait gagné à prendre encore plus le temps lors des grandes séquences émouvantes « créature/humain ». Les obligations hollywoodiennes… La distribution Netflix ouvrait la voie à une adaptation en deux ou trois volets… Une série, un jour peut-être…


Frankenstein, Guillermo del Toro (2025) | Bluegrass Films, Demilo Films, Double Dare You, Netflix


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Ce jour-là sur la plage, Edward Yang (1983)

Note : 4 sur 5.

Ce jour-là sur la plage

Titre original : Haitan de yi tian / 海灘的一天

Année : 1983

Réalisation : Edward Yang

Avec : Sylvia Chang, Ming Hsu, Lieh Lee, David Mao, Terry Hu

Kaléidoscope narratif assez vertigineux, loin d’être parfait, mais qui semble déjà donner le ton à un cinéma moderne ayant reçu en héritage toutes les expérimentations esthétiques et narratives des décennies précédentes.

La réussite de Yang tient en un paradoxe. Le cinéma des nouvelles vagues diverses ne pouvait s’affranchir des terrains sur lesquels ils étaient apparus : ils étaient tributaires d’un environnement culturel, d’un espace, devaient composer avec les acteurs qui venaient avec leur bagage culturel ; ils étaient prisonniers des usages de production spécifiques, d’un territoire identifiable avec son histoire, ses clichés… Ces cinéastes pouvaient inventer tant qu’ils voulaient, ils ne pouvaient s’écarter d’un contexte dont ils étaient malgré eux les héritiers.

Edward Yang, au contraire, semble ne partir de rien. Le cinéma américain a pu se développer en partie sur le folklore de l’Ouest tandis que d’autres s’essayaient au slapstick. L’espace dans le film de Yang ? Des immeubles impersonnels, des espaces vides, des intérieurs qui, quand ils sont identifiables, le sont parce qu’ils sont inspirés de l’occupation japonaise. L’esthétique de Yang apparaît ainsi à la fois factice et banale. De cette banalité presque oppressive qui compose nos espaces modernes, nos espaces de travail, nos espaces intimes. L’espace dans le film de Yang est celui d’une urbanité sans histoire, sans identité sinon celle des grandes villes nouvelles qui prennent tous pour modèles les mégapoles dans lesquelles les façades des gratte-ciels semblent refléter à l’identique la même impersonnification. Miroirs du vide. Et quand la caméra de Christopher Doyle (pour son premier film) prend l’air et explore l’espace, derrière la surexposition, derrière les longues focales, c’est encore l’étrange familiarité et la banalité des lieux qui transparaît. Une ville moderne, comme tant d’autres. Ici ou ailleurs, peu importe, car la caméra n’est nulle part. Telle une virgule, elle cisèle le récit, le recompose jusqu’à le faire douter de lui-même puisqu’il existe à la place de la réalité.

C’est aussi, paradoxalement, une spécificité d’une époque durant laquelle les grandes agglomérations du monde et la mode se globalisent. À la fin des années 70 et jusqu’à la fin des années 80, vous pouviez ne plus savoir où vous étiez si l’on vous proposait des images de Kobe, Téhéran, Séoul, Milan, Dallas, Londres ou Toronto. Les grandes villes nouvelles adoptent le même brushing architectural et impersonnel censé être une représentation de la modernité et du luxe.

Que reste-t-il alors comme modèle de référence quand l’espace visuel pourrait être celui d’une publicité pour automobile ou pour des chaises de bureau ? On revient aux sources de la modernité : la littérature. Et qu’avait proposé la littérature de moderne ? À travers Proust, Woolf, Conrad ou Joyce ? L’éclatement du récit. Le sujet, puisqu’il ne ressemble à rien, sinon à un reflet de la façade de l’immeuble d’en face, n’a plus d’importance et de consistance. Seul compte la mise en abîme des idées, la mise en branle des évocations. Quand il ne reste rien, le récit demeure. Regarde-t-on le monde à travers un kaléidoscope ou se laisse-t-on porter par ses structures déconcertantes ?

Certains films de la nouvelle vague s’y étaient magistralement essayés. L’Année dernière à Marienbad, Hiroshima mon amour, La Jetée, avait déjà opéré cette bascule du sujet vers le récit. Mais ils étaient tous très liés à un espace, un environnement, à une histoire, à un héritage cinématographique. La plage du titre, ici, c’est vrai que l’on s’y attarde beaucoup et qu’elle tient une place de choix dans la logique du récit, mais elle arrive assez tardivement dans le film et le style urbain, moderne, impersonnel, globalisé avait eu le temps de s’imposer. Qu’a-t-elle d’ailleurs de spécifique, cette plage ? Rien. Le temps (du récit, de la mémoire, des doutes) constitue le dernier espace possible. Quand il ne reste rien, le récit demeure.

Les premières minutes du film de Yang sont un choc. Le cinéaste taïwanais semble prendre un peu de Bresson pour détacher les conséquences de leurs causes (chaque plan devient un indice parmi d’autres pour comprendre par petites touches impressionnistes les raisons d’une disparition, d’une impossible relation), un peu d’Antonioni pour le ralentissement du temps (aussi pour le thème de la disparition inexpliquée, de l’aliénation, de l’incommunicabilité), un peu de Tarkovski pour l’introspection, le détachement des images et du son (et suggérer l’entrée dans une plage narrative et temporelle distincte). Tous s’étaient inspirés à leur manière de ces grands écrivains qui avaient théorisé et mis en application la déconstruction du récit, la prédominance des expériences et des subjectivités sur l’intrigue, la porosité entre réalité et mémoire… À cause de la friche culturelle, référentielle et esthétique sur laquelle Yang ne pouvait se reposer (ce qui ne signifie pas que le cinéma taïwanais n’existait pas avant le film), son style, qui faisait à la fois la synthèse de toutes les expérimentations passées et revenait aux propositions narratives de la littérature moderne, a ouvert une nouvelle voie, largement empruntée par les « films de festival ». (Les grosses productions urbaines surfent volontiers aussi sur un style donnant la part belle au récit et aux « impressions ».)

Le film dure presque trois heures, mais si Yang s’autorise des séquences lentes (à la Antonioni), leur enchaînement est plutôt rapide. Peut-on même parler de séquences quand l’unité de ce type de récits se porte davantage sur le plan ou sur des chapitres thématiques ? Dans ce cinéma moderne, on n’entre pas dans un lieu chronologiquement après être sorti d’un autre en ayant joué ou non d’ellipse. Si tout n’est plus qu’évocations, allusions, associations, tout est fait d’ellipses. Le sujet est le récit avec ses retours en arrière (analepses), ses voix off, ses récits mêlés (enchâssés), ses récits dans le récit (gigognes). Un détail peut être l’occasion d’une nouvelle piste narrative, d’un glissement par association, par évocation ou bifurcation ; on navigue d’un sujet à un autre ; on se laisse aller à une mise en doute des événements, de la mémoire, du temps ou du récit même. Le récit hésite, comme emporté par une suite d’impressions, comme un dialogue intérieur, comme un flux de mémoire recomposé hérité autant de Proust, de Virginia Woolf que de Joseph Conrad.

« Vous êtes toujours mariés ? Vous devriez venir au concert. — Ce n’est pas possible, je ne t’ai pas tout dit… » « Et que s’est-il passé après ça ? » « Oh, tu m’y fais penser… Je te raconte la suite. »

Cette logique narrative n’a rien de gratuit. Elle illustre un mystère et une volonté pour la narratrice (elle-même insérée dans un récit-cadre) de poser un regard critique et interrogatif sur la disparition de son mari : elle questionne autant les motifs de cette disparition (les retours en arrière permettent une analyse psychologique et relationnelle) que sa nature (s’est-il noyé ou s’est-il enfui ?).

Le cinéma, dans les films noirs par exemple, avait intégré ces astuces de déconstruction du récit (et du héros) à travers la voix d’enquêteurs qu’ils soient policiers ou journalistes (parfois même criminels). La nouvelle vague s’était emparée de techniques identiques pour tendre vers un style déjà plus contemplatif. Mais dans des histoires affreusement banales et urbaines, qui touchent à peine la criminalité (il n’y a pas de corps, pas de victime, pas d’opposant), et qui s’appliquent seulement à évoquer une trajectoire commune, un échec, celle d’un couple, c’est déjà plus singulier. Bergman a souvent utilisé les flashbacks dans ses films, le couple est au centre de ses préoccupations, mais le cadre qu’il choisit pour ses drames est très spécifique et recherché. Un homme qui dort ou Le Horla sont des adaptations axées sur des dialogues intérieurs uniques. De mémoire, Yang gonflera ses ambitions avec A Brighter Summer Day en lui donnant un souffle nostalgique plus évident et posera un contexte environnement bien plus identifiable. La chronique ici se fait bien plus personnelle, et même si elle s’étale sur plusieurs années, le cadre (faute peut-être de disposer de moyens suffisants) reste intime, quotidien et profondément urbain (la plage, comme dans Barton Fink, ne sert alors plus qu’à mettre en évidence, par contraste, le climat oppressif dont sont prisonniers les protagonistes).

C’est en ça peut-être que le film ouvre la voie à une forme encore très actuelle : à l’époque des grandes fresques capables d’user de certaines de ces techniques narratives (chez Bertolucci par exemple), Edward Yang les intègre dans un contexte plus commun : les décors sortent rarement du cadre intime. Le lit conjugal, un autre d’hôpital, des bureaux en open space, une salle à manger, une chambre d’étudiant, des extérieurs nombreux mais banaux… et une plage. Paradoxalement, si ce récit en kaléidoscope procède de l’artifice, les éléments qui s’y recomposent semblent réels, justement parce qu’ils appartiennent au quotidien et à la normalité des choses. L’approche d’Edward Yang se situe ainsi entre un cinéma d’avant-garde (ou de nouvelle vague) et un cinéma populaire à grands moyens, aux côtés d’un Antonioni (avant son internationalisation) ou d’un Angelopoulos. C’est le cinéma américain qui bientôt s’emparera de toutes ces techniques et de ce style impressionniste, parfois même pour des comédies.

Tout n’est pas parfait dans le film. Yang ne tient pas toujours ses acteurs comme il le faudrait. Dans un style de jeu à la Bresson/Antonioni, il est indispensable que tous soient sur la même longueur d’onde. Difficile pourtant de réunir une troupe d’acteurs homogène quand les rôles sont si nombreux et que les acteurs disposent d’une expérience loin des standards antonioniens qu’a dû imposer le cinéaste sur le plateau. Même les acteurs principaux manquent souvent d’aisance. Les indications du cinéaste semblent parfois apparaître à l’écran, signe que ses interprètes les reproduisent sans en comprendre le sens (« remets bien des cheveux pour montrer que tu tiens toujours à te présenter sous un meilleur jour devant ton mari » ; « place ta main devant la bouche pour exprimer ton doute »…).

Yang n’est pas un mauvais directeur d’acteur : ce n’est pas donné à tout le monde d’arriver à ralentir le rythme et d’en demander moins à ses acteurs comme chez Antonioni, mais certains gestes ou réactions manquent de spontanéité et de naturel. Là où, en revanche, sa direction fait mouche, c’est quand le cinéaste semble avoir appelé ses acteurs à agir comme s’il y avait un bébé qui dormait dans la pièce voisine (ça marche aussi en indiquant aux acteurs qu’une personne vient de mourir). Effet garanti : l’idée n’est pas de recréer une réalité, mais de faire transparaître à l’écran une atmosphère en phase avec l’humeur du narrateur (Tarkovski, Antonioni, Bresson, Herzog, Coppola, Bergman, tous sont maîtres dans ce domaine, et avec ses comparses taïwanais, Yang proposera parfois des films encore plus radicaux dans ce registre).

Une situation paraît déroger à cette atmosphère générale : une scène de dispute entre le mari et la femme dans leur salon qui pourrait être une tentative malhabile d’invoquer John Cassavetes, mais qui possède les excès inappropriés d’un Marriage Story (pas la comédie coréenne de 1992, mais le film de Noah Baumbach sorti en 2019 – et ce n’est pas un compliment).

En trois heures de film, et concernant un premier film, la rareté des couacs impose le respect (c’est d’autant plus particulier que, me concernant, il s’agit là du film le plus abouti du cinéaste, mais je n’ai jamais été très en phase avec la vague taïwanaise).

À peine peut-on regretter sur la fin une trop grande insistance faite sur le mystère de la disparition du mari. C’est certes le cœur du récit, mais l’intrigue tourne en rond pendant vingt minutes sans rien apporter de réellement nouveau ou de décisif. Le spectateur a papillonné pendant deux heures tout autour de ce sujet central, et au moment de s’y arrêter, selon le principe du récit moderne, on comprend que l’intrigue et le sujet du film sont accessoires. Ce qui comptait jusqu’alors, c’était bien les plongées successives d’une temporalité à une autre, d’un récit à une autre, d’un point de vue à un autre. Aucun fait bien précis n’était venu alors imposer sa domination sur les autres au point de prendre le pas sur le tourbillon discontinu du récit. On survolait les choses comme dans une chronique amoureuse, de manière non chronologique, comme un papillon dans une tempête de conscience, ballotté par les aléas de la mémoire et par les vagues du temps. Une fois ce grand huit achevé, la tête nous tourne encore, et rares sont ceux qui auraient souhaité que cela s’éternise sur le mystère d’une disparition. Dans L’avventura par exemple, le spectateur se fout pas mal que lui soit proposé une résolution au mystère de la disparition d’Anna : la terre continue de tourner (et de batifoler) en dépit de son absence. Dans un récit moderne, tout cela n’est prétexte qu’à évoquer autre chose. Et à broder beaucoup sur la vacuité du monde…

C’est un défaut de ce style moderne : la distanciation nous rend plus attentifs aux détails, aux impressions, aux associations d’idées ou aux évocations, beaucoup moins aux personnages et à leur sort (à travers une intrigue). Suicidé sur une plage de la mer de Chine ou évaporé avec l’argent de la caisse, le mari ? Ma foi, on s’en moque. Ce que l’on veut, c’est voyager encore et encore dans les souvenirs ! « Drill baby, drill ! » pourrait-on dire comme Marcel tournant, pensif, une cuillère dans sa tasse et tâchant de se souvenir ce que lui évoque cette satanée madeleine trempée dans le thé ! Parce qu’Edward, entre nous, il y aurait une manière de résumer ton film : « une femme raconte sa vie à une autre qui ne lui a rien demandé alors que le spectateur attendait précisément que cette seconde femme lui raconte sa vie à elle ». Il y avait là matière à prolonger le film encore une heure ou deux. Donnant-donnant. L’ombre de l’histoire de la pianiste plane comme un écho lointain sur tout le film : on connaît le début de son histoire, puis, sans disparaître tout à fait, elle se marion-cranise. Elle partait pour être le personnage principal du film ; au lieu de ça, elle s’est figée en confidente de luxe.

Certaines étrangetés narratives soulignent donc les approximations du récit, mais l’audace et la singularité étaient telles dans leur approche qu’il aurait été étonnant de s’en tirer sans fausses notes.

Le film contient ses moments de grâce. Comme cette séquence d’un souvenir lointain vu à travers les yeux de la future mariée… Une bouille familière apparaît à l’écran : celle de la petite Li Shu-Chen, âgée de quatre ou cinq ans et qui sera l’année suivante dans le film de Hou Hsiao-hsien, Un été chez grand-père. Ce joli passage a-t-il donné l’idée à l’ami cinéaste pour son propre film ? Hou reprendra la jeune actrice au visage d’ange impassible, mais aussi l’idée de la maison du médecin dont on reconnaît l’héritage de l’occupation japonaise.

Hommage aux coiffeurs du film en tout cas. Des dizaines de coupes différentes, dont les éphémères permanentes, aujourd’hui rangées dans le cabinet des horreurs capillaires…


Ce jour-là sur la plage, Edward Yang (1983) Hai tan de yi tian, That Day, on the Beach | Central Motion Pictures, Nova Media


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Un matin couleur de sang, Li Shaohong (1990/92)

Note : 4.5 sur 5.

Un matin couleur de sang

Titre original : Xuese qingchen/血色清晨

Titre international/alternatif : Bloody Morning

Année : 1990/92

Réalisation : Li Shaohong

Avec : Zhaohui Gong, Hu Yajie, Lu Hui ,Wong Kwong-Kuen, Yan Xie, Zhao Jun, Kong Lin, Ju Xingmao, Miao Miao, Linlang Ye

— TOP FILMS

Remarquable adaptation du roman de Gabriel García Márquez, Chronique d’une mort annoncée. Le film navigue entre Kiarostami (tendance sac de nœuds, comme Où est la maison de mon ami ? ou Close Up, tournés d’ailleurs à la même époque) et Asghar Farhadi (même tendance sac de nœuds, spécifiquement judiciaire).

Le récit dans les deux premiers tiers du film se partage entre l’enquête qui suit le crime d’honneur dont a été victime le maître d’école (la voix off du policier — forcément bienveillant comme dans n’importe quel film de dictature — ponctue le récit), les flashbacks censés rapporter une version des faits (un peu à la manière de Rashômon et de Nous et nos montagnes, mais il n’y a pas vraiment de contradictions dans le récit des personnages, c’est surtout un prétexte narratif pour changer de temporalité et se focaliser sur les différents sujets abordés lors de l’enquête) et les conséquences (surtout psychologiques) du crime avant que les deux assassins ne quittent le village pour être jugés.

Le dernier tiers du film livre une conclusion à tout cet engrenage parfois complexe en montrant une version plus linéaire des faits au matin du meurtre. On quitte alors un type de récit à la Rashômon pour épouser un dénouement, toujours sous forme de flashback, plus à la Agatha Christie (tendance Le Crime de l’Orient-Express) parce qu’en réalité, les deux assassins ont tout fait pour que les divers villageois à qui ils ne cachaient pas leur dessein les empêchent de passer à l’acte. Mais un mélange de circonstances malheureuses et de pleutrerie générale a fait qu’ils ont dû suivre ainsi la macabre tradition de ce qui est une constante dans les cultures du monde : quand la fille à marier se révèle ne plus être vierge à la nuit de noces, un crime d’honneur (la victime en est le plus souvent la mariée, ici, il s’agit du fautif supposé, l’instituteur) s’impose pour sauver la face… Ironiquement, lors du mariage, la troupe de théâtre semblait proposer un numéro consistant à rappeler l’importance de s’assurer de la virginité de la fiancée avant le mariage (« semblait », parce que le plan sert de virgule avant de passer à autre chose)… Au petit matin, tout le monde a su, personne n’y a vraiment cru, et une fois tout le village massé autour des trois protagonistes, les deux frères ne pouvaient plus reculer… Chaque individu de cette chaîne défaillante, accroché malgré lui à une tradition barbare et rétrograde possède sa part de responsabilité aux côtés des deux assassins. La morale de ce conte funèbre pourrait ainsi être : « Si vous trouvez ça révoltant, faites en sorte que l’on ne pratique plus cet odieux crime d’honneur dans nos campagnes. La Chine doit entamer cette révolution ! »

En Iran, comme en Amérique du Sud, comme en Union soviétique, et donc comme en Chine, cette même capacité à évoquer par le conte et par la parabole, une morale universelle susceptible de ne pas trop froisser la dictature en place. Car si le roman initial et cette adaptation (à laquelle il faut ajouter la version italienne dont je n’ai aucun souvenir) divergent quelque peu, les crimes d’honneur constituent bien une constante universelle dans des sociétés du monde n’ayant aucun rapport entre elles et censée protéger le lignage des familles. Le film montre d’ailleurs bien à la fois le choc culturel opposant ces usages ancestraux aux usages modernes condamnant ces pratiques, mais aussi l’opposition entre le monde des campagnes, héritières d’un autre, millénaire et en décomposition (les extérieurs, composés de maisons ou de bâtiments en ruines vieux de plusieurs siècles, évoquent parfois, dans un univers toutefois plus escarpé, les décors du Printemps d’une petite ville), et le monde des villes qui n’est pas encore celui des mégalopoles chinoises actuelles, mais des villes moyennes dans lesquelles les paysans peuvent s’enrichir.

Le film gagnerait à être vu une seconde fois tant il s’est révélé compliqué à suivre. Le film a les défauts de ses qualités : sa structure est très dense, pleine d’ellipses, de personnages et de flashbacks, au point que l’on ne sait parfois plus qui est qui et que le sens de la situation nous échappe (les mariages arrangés imposent une forte verbalisation des rapports, une marchandisation des liens à créer, et quand on évoque le nom d’un personnage, puis celui d’un autre, on est vite perdus). Au milieu du film, je n’y comprenais plus rien. Façon Le Grand Sommeil. Qui s’en plaindrait d’ailleurs ? Le confusionnisme a ses avantages (si toutefois on sait se laisser porter par les quelques instants de grâce d’une réalisation). J’ai ainsi dû reconstituer a posteriori un puzzle laissé inachevé pour m’assurer, après des recherches, par exemple, que la mariée n’avait jamais avoué avoir eu une liaison avec le maître d’école comme j’en avais eu l’impression au visionnage (ayant gardé son livre de poèmes, il est raisonnable de l’imaginer amoureuse du fiancé de sa meilleure amie, mais à la manière d’un récit à la Asghar Farhadi, ce détail joue surtout sur les apparences et entretient le flou sans rien apporter de concluant sur la réalité de leur relation). Une fois l’identité de chacun mieux établie, j’ai ainsi mieux saisi la manière dont le mariage avait été arrangé : le marié (qui répudiera sa femme la nuit du mariage), jouissant d’une bonne situation dans le village voisin, tombe sous le charme de la fille et pour convaincre son frère de lui accorder le mariage, il lui propose de se marier le même jour (à 36 ans, aucune femme ne veut de lui) avec sa propre sœur… handicapée. Après avoir constaté que sa femme n’était pas vierge, le mari la renverra donc dans sa famille la nuit même et pillera les cadeaux que la famille avait reçus en dot… (Le récit pratique ici la technique de la douche écossaise qu’affectionnait, dans mon souvenir, John Ford et Akira Kurosawa — mais je n’en suis plus si certain, mes recherches sur le Net pour m’en assurer… me renvoyant vers des pages de mon site ! —, qui consiste à alterner une séquence douce, lente, avec une autre, brutale et rapide. Ici, le pillage nocturne des biens du second mariage répond ainsi à l’autre nuit de noces et à la tendresse naissante entre le futur assassin et sa femme handicapée. Le frère « déshonoré » repartira même avec sa sœur, touchée par une crise d’épilepsie…)

Vive les mariages d’amour.

D’autres détails encore, plus subtils, ou évocateurs d’une réalité, prennent alors tout leur sens. La marque des grands films. Le soin apporté à chaque personnage secondaire du village, par exemple, du bambin martyrisé par ses voisins et qui échoue à passer le message que sa sœur lui avait demandé de faire parvenir à l’instituteur, à la grand-mère qui a perdu la tête, en passant par les diverses femmes du village, loin d’adopter la moindre bienveillance et sororité à l’égard de la fiancée mise en cause. Et cela se fait à travers des plans brefs, généralement des plans de coupe, révélant l’esprit de tous ces personnages secondaires dans des situations dont souvent, prisonniers de leur point de vue, ils ne peuvent mesurer la portée.

Le film a été réalisé à la grande période du renouveau du cinéma chinois quand on découvrait notamment en France les films de Zhang Yimou et de Chen Kaige. Il partage ainsi certaines qualités spécifiques de cette tendance : jolie lumière ; élégance de la réalisation à travers de légers mouvements de caméra et des angles recherchés ; un découpage serré, mais lent, capable de créer des atmosphères à la fois réalistes et poétiques ; usage parcimonieux et judicieux de la musique (à l’opposé des productions futures se vautrant dans le lyrisme pompier) ; et une direction d’acteurs stupéfiante de précision et de naturel (deux spécificités souvent contraires)…

Comment un tel film a-t-il pu disparaître des radars alors qu’il avait été primé, et donc remarqué, au Festival des trois continents ? Les distributeurs, Arte, ont-ils fait le job alors qu’à la même période le cinéma chinois était à la mode ? Est-ce que c’est parce que Li Shaohong est une femme ?… Parce que le film nous perd parfois ? Mystère. La Cinémathèque française l’a diffusé dans une salle minuscule (et à « guichet fermé ») à l’occasion d’une rétrospective dédiée aux femmes cinéastes chinoises.


Un matin couleur de sang/Bloody Morning/Xuese qingchen/血色清晨, Li Shaohong (1990/92) | Beijing Film Studio


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La Source d’Heghnar, Arman Manaryan (1971)

Note : 3.5 sur 5.

La Source d’Heghnar

Titre original : Heghnar aghbyur / Հեղնար Աղբյուր

Titres anglais alternatifs : Heghnar Spring / The Spring Heghnar

Année : 1971

Réalisation : Arman Manaryan

Avec : Sos Sargsyan

Adaptation d’un texte de ce qui semble être un écrivain arménien soviétique d’importance : Mkrtich Armen. Je reste assez circonspect, ou sur ma faim (pour ne pas dire autre chose).

Le film présente une indéniable singularité, mais il apparaît aussi parfois un peu inabouti ou, par instant, confus et maladroit. Le symbolisme de la fable (on aime bien la fable en Arménie à ce que je vois) n’aide pas à rendre les choses plus claires : j’ai historiquement du mal à percevoir, identifier, déchiffrer les codes quand ils se cachent trop bien à mon attention, et quand mon ignorance ne me facilite pas non plus la tâche.

À première vue, la morale de La Source d’Heghnar pourrait… couler de source, mais trop d’éléments épars échappent encore à une cohérence propre. Et ne pas comprendre a le don de me plonger dans l’inconfort… Parce que certes « la femme est une source à laquelle seul le mari peut boire », je l’ai, tu me laisses deux secondes pour digérer la puissance anti-woke de l’argument, mais ça reste encore limpide. À côté de cet élément, ça devient déjà plus flou. Le film contient une révélation finale qui prend le contre-pied de ce qui précède : l’histoire, alors teintée d’une solennité spirituelle, voire mystique, adopte tout à coup une approche rationaliste toute soviétique. Même si jusque-là l’hypothèse de l’entourloupe charlatanesque avait forcément pu jaillir dans l’esprit du spectateur pour donner un sens à ce « miracle », je ne vois pas bien en quoi ce basculement brutal vers la rationalité éclaire le reste de la fable. Que devient la morale du film ? Entre « méfiez-vous des faux prophètes » et « ma femme m’appartient », deux sujets s’affrontent, et un choix s’impose.

De la même manière, l’histoire ne nous montre pas si le mari a tué sa compagne ou si elle meurt… de honte. Pourquoi faire mystère des circonstances de son décès et euphémiser cet épisode loin d’être anodin en l’évinçant intégralement de la « fable » ? Pourquoi, par ailleurs, le paysan a-t-il pris une telle importance dans le premier tiers du récit ? Tout ce qui présente sous la forme de conte, de fable, de parabole, d’apologue ou de mythe s’encombre rarement d’éléments superflus. Or, notre fable fonctionnerait tout aussi bien sans ce détour malheureux consacré au paysan qui agit comme une fausse piste alors que l’événement prend une place centrale au début du film. L’art du récit consiste pour beaucoup à un art des justes proportions. Peut-être la signification de cet étrange écart m’échappe-t-elle ici… Mais j’ai comme l’idée qu’une introduction doit livrer, en creux ou non, tous les éléments de sa conclusion. Si une fausse piste ou une histoire parallèle se greffe à l’entrée en matière, le récit n’évitera pas la confusion.

C’est d’ailleurs dès l’entame du film que cette confusion s’installe. Elle est certes volontaire parce que le récit a recours à des actions muettes pour nous exposer les enjeux du film, mais mal jaugée, cette confusion noie vite le spectateur. Plusieurs axes narratifs en montage alterné se font face dans cette introduction, et comme on ne sait pas encore qui est qui, le jeu de proportions et de durées qui s’installe échoue à nous faire comprendre que ces éléments vont converger. Un tel procédé hérité des thrillers fonctionne parfaitement… dans les thrillers. Même si la musique instaure un mystère, le montage alterné fait son office dans un contexte qui présente un minimum d’urgence. Les personnages se hâtent, mais la mise en scène et le montage louvoient plus que nécessaire, que ce soit dans la lenteur d’exécution ou dans cet arrêt inopiné à la fontaine durant lequel le paysan voit la femme pour la première fois. Le paysan passe alors pour être un personnage principal du film quand il n’est en fait que secondaire (voire anecdotique). Par la suite, je veux bien que la femme en question ait des yeux charmants, mais n’est-ce pas un peu hors sujet de raconter que le paysan se suicide ? Soit le paysan occupe trop de place dès le début, soit il a comme fonction de stigmatiser la beauté de la femme du maître, faisant de ce fardeau un poison pour qui se laisse séduire. Produire un pendant « naïf » au véritable amant, soit, encore faudrait-il ne pas se limiter à une seule occurrence : au lieu de n’être qu’un homme parmi d’autres pour signifier le fatalisme systématique de la fable, le paysan comme unique alternative donne l’impression de s’inviter à la fête sans que sa présence soit en réalité si indispensable…

Mes réserves concernent également quelques points de mise en scène. La singularité présente l’avantage de l’originalité et… le désavantage de s’établir en dehors des codes habituels. La musique et la lenteur relative du film apportent un cachet étonnant et baroque, entre Mort à Venise (la même année) et un épisode d’Alfred Hitchcock présente. Et comme pour les détours incompréhensibles du récit, certains plans m’interrogent. Je me suis souvent demandé au visionnage si je n’avais pas échappé à un détail ou si tel ou tel plan ne contenait pas une information (forcément symbolique) capable d’éclairer l’histoire ou de lui donner une plus grande logique.

J’ai vu un commentaire sur le film évoquer une comparaison avec le cinéma de Satyajit Ray, c’est vrai que l’on retrouve l’atmosphère (de conte) du cinéaste bengali, mais Ray savait aussi parfois embrumer le spectateur (en tout cas occidental, ignorant à certains égards aux savoirs ou aux symboles de la culture qu’il découvre). Le climat joue également forcément beaucoup, même si l’été arménien me semble beaucoup plus rappeler la disette (jusqu’aux couleurs) baignée de soleil du Uski Roti de Mani Kaul que la chaleur humide de Ray.

Je garde le meilleur pour la fin (parce que ce que je présente comme des singularités offre un certain intérêt au film). En plus des éléments sonores et surtout musicaux, Arman Manaryan propose quelques surimpressions (presque toutes proposées dans la « garçonnière » de madame) d’une rare beauté. La direction d’acteurs n’est peut-être pas optimale à ce moment-là, mais le procédé ravit les yeux. Je garde cette comparaison parce qu’elle traduit assez bien ce que j’ai ressenti pendant le film : un mix entre Mort à Venise et un épisode d’Alfred Hitchcock présente.


La Source d’Heghnar, Arman Manaryan 1971 Heghnar aghbyur / Heghnar Spring |Armenfilm


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Nous et nos montagnes, Henrik Malyan (1969)

Note : 4 sur 5.

Nous et nos montagnes

Titre original : Մենք ենք, մեր սարերը / Menq enq mer sarery

Année : 1969

Réalisation : Henrik Malyan

Avec : Sos Sargsyan, Frunzik Mkrtchyan, Khoren Abrahamyan, Armen Ayvazyan, Artavazd Peleshian, Azat Sherents

Henrik Malyan met de côté les formes expérimentales et esthétiques de ses collègues du Caucase pour adapter ce qui semble être un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine arménienne. L’auteur, Hrant Matevossian, s’est chargé lui-même de l’adaptation de la nouvelle qui semble l’avoir fait connaître, publiée en 1962 selon la page française de Wikipédia — 1967, pour le recueil de nouvelles selon la page anglaise de l’encyclopédie en ligne. Malyan est passé par une école de théâtre et de cinéma à Moscou avant, semble-t-il (toujours selon ma source du pauvre), de prendre la direction de divers théâtres en Arménie.

La Russie a inventé le jeu moderne, et ses acteurs ont tout au long du vingtième siècle suivi les principes du jeu intériorisé et psychologique qui s’exportera jusqu’à New York avec l’Actors Studio. C’est précisément le type de jeu que l’on voit ici. En plus d’être la meilleure méthode pour mettre en évidence une histoire, elle a surtout l’avantage de paraître naturelle et de proposer deux niveaux d’interprétations simultanées. Elle distingue la part dramatique de la fable suivant le fil des événements (souvent rapportée à travers les dialogues), de la part illustrative, qui consiste à mettre en scène les personnages dans des activités annexes. Ces deux niveaux se manifestent généralement dans notre activité du quotidien : nous sommes capables de parler d’un sujet sans rapport avec ce que nous faisons, et quand l’on s’arrête (temporairement ou non), cela souligne le fait que la situation a gagné en gravité. Une fois mise au service d’un récit, ce principe a la vertu de pouvoir jouer en permanence sur les deux tableaux et de porter à la connaissance du spectateur un contexte naturaliste et sociologique d’envergure (même si Marlon Brando en conclura qu’un acteur doit se gratter les fesses pour paraître « naturel »).

Voilà pour la forme d’apparence classique. Sa mécanique repose d’ailleurs sur une sophistication bien plus élaborée qu’elle en a l’air. Si les audaces et les étrangetés « brechtiennes » d’approches plus visibles et plus distanciées à la Sergueï Paradjanov ou à la Tenguiz Abouladze sont plus adaptées aux histoires traditionnelles et folkloriques (voire baroques), pour servir une fable moderne et absurde, la forme classique et naturaliste paraît plus appropriée.

Sur le fond, l’histoire de Hrant Matevossian rencontre énormément de similitudes avec les récits postérieurs de ses voisins iraniens. Pour éviter la censure et le risque de se voir suspectés d’offrir au spectateur une critique de la société dans laquelle ils vivent, les réalisateurs iraniens passeront volontiers par la fable (mettant en scène bien souvent des enfants). Dans ces films produits sous dictature, les auteurs arrivent toujours à faire preuve d’une puissante subtilité allégorique ou thématique qui mènera forcément à l’universalisme, car les exemples trop spécifiques pourraient heurter le pouvoir en évoquant des contextes domestiques. Et cela, en se pliant aux exigences d’une représentation policée de l’autorité : un gendarme se doit d’être un modèle de droiture, de fermeté, mais aussi d’humanité… La fable tire vers l’universel, ce qui lui permet d’échapper aux contextes sociaux ou politiques. Au contraire du théâtre italien, par exemple, dans lequel les archétypes sociaux dominent, dans la fable, les personnages ont une fonction qui les extrait de leur particularisme comme dans la mythologie ou les légendes. Peu importe que les bergers soient ici cultivés, cela reste un détail, et un détail d’ailleurs assez en phase avec un idéal soviétique d’éducation pour tous (ou de labeur pour tous) : il convient en revanche que les héros appartiennent à un type de personnages universels. Et quoi de plus universel que des bergers ?

Ensuite, comme dans n’importe quel mythe, chacun des bergers représente une manière distincte d’appréhender les choses. La fable offre toujours au lecteur un sens moral aux événements : les caractères et les réactions différentes des bergers face au gendarme qui les interroge sont censés viser une forme d’exhaustivité. Les personnages adoptent chacun une stratégie opposée et complémentaire. La fable use alors de la répétition pour les interrogatoires comme dans Les Trois Petits Cochons ou dans Le Petit Chaperon rouge. Dans une sorte de Kafka rural, le style tire vers l’absurde, mais la structure du récit s’appuie sur une mécanique mythologique et morale. L’absurdité naît des pinaillages et des réticences de chacun à vouloir élucider ou masquer les détails d’un événement dont la logique traditionnelle s’oppose à la rationalité et à la temporalité du droit au sein d’une société dans laquelle tout acte, tout accord, toute vente est transposé à l’écrit avant de pouvoir être consulté et vérifié : vous payez, vous vendez, les registres sont comptables de la moindre de vos transactions passées. Comment une société rurale étrangère à ces usages donnera-t-elle la preuve d’un accord tacite ? La réponse sera d’autant plus incertaine que l’on n’est pas sûrs qu’un tel accord existe. Le berger lésé, lui, reste vague sur ses allégations, et les accusés peuvent se jouer d’un gendarme quelque peu pointilleux sur les principes du droit en interprétant à son intention une sorte de remake parodique de Rashômon. Qui vole un mouton finit petit-bourgeois et digne du goulag… Ou pas, si tu tournes bien la chose…

Comme dans toutes ces fables qui opposent la ruralité à la modernité (dont les caractéristiques sont partagées avec certains westerns et donc avec certains films iraniens), l’espace reflète cette opposition. L’environnement commun est celui de la nature domestiquée par l’homme, mais sur laquelle la civilisation n’a pas encore tout à fait la main. Si le gendarme peut interroger les suspects à son poste de police, il paraît bien seul pour mener son enquête, et il apparaît surtout comme l’unique représentant non seulement de la loi, mais de l’« empire » comme son usage intempestif du russe pour marquer son autorité le rappelle. Et alors, une fois l’enquête terminée, que fera-t-il ? Il « transhumera » avec les accusés et le plaignant vers la ville et son tribunal. On retourne presque au temps des mythes grecs quand les héros « transhumaient » d’une cité à l’autre. Ces « odyssées » (souvent pédestres) occasionnaient des rencontres néfastes prévues par les oracles, des expériences initiatiques ou révélatrices. Œdipe tuera son père sur un tel chemin alors qu’il croyait précisément l’épargner en s’éloignant de lui. Ici, en guise de Sphinx et de conclusion au film, cette joyeuse troupe de personnages ralliant la ville croisera d’autres bergers à qui ils « révéleront » à voix haute et de façon répétée leur méfait (comme un plaider-coupable adressé au seul tribunal auquel ils se soumettent : les collines de leur pays). (Preuve du caractère universel du genre, ce recours aux « mythes des itinérances » se retrouve tout aussi bien dans les récits traditionnels japonais — les jidaigekis de Kenji Misumi par exemple — que dans les road movies du Nouvel Hollywood.)

Avant ce geste tout à la fois loufoque et symbolique, le film contient toutes sortes de détails amusants et tout aussi parlants. Le gendarme, d’ordinaire si soucieux de rendre le droit dans une campagne qui semble s’affranchir de toutes contrariétés légales, traverse un verger en chapardant un fruit sur son arbre. Son entrain à finir ses bouchées marque bien l’idée qu’il a conscience d’agir en contradiction avec ses principes : « qui vole une pomme, vole un mouton, qui vole un mouton, vole un œuf (non, ce n’est pas ça) ». Volontaire ou non, le vol prend un caractère autrement plus symbolique, de nombreux fruits étant originaires du Caucase (sorte de trésor national). Mais le gendarme échappera aux pépins, lui.

Enfin, lors d’un simulacre de tribunal que les bergers et le gendarme organisent le temps d’une halte dans les collines rocailleuses pendant leur voyage vers la ville, chacun se prête au jeu et intervertit les rôles sans amoindrir ses responsabilités. Jusque-là, Hrant Matevossian s’était contenté de citer Shakespeare. Avec ces inversions des rôles, ces travestissements censés dévoiler la véritable nature des personnages, on est en plein dedans. L’absurdité et la critique du droit rejoignent celle par exemple du Marchand de Venise (l’excès des conditions posées par Shylock, le travestissement à des fins révélatoires et la parodie de procès). Rarement le cinéma aura aussi bien illustré l’idée d’intelligence empathique : la capacité à se mettre à la place de l’autre.

Quelques notes de musique au début rappellent Nino Rota. Et à travers ses alpages pleins de rocailles, d’herbes et de ruisseaux, le style du film évoque parfois le cinéma italien. Pâques sanglantes, par exemple. Le monde caucasien n’a pas l’air si différent du monde méditerranéen. L’air commun des latitudes, peut-être, des mythes partagés depuis des millénaires aussi…


Nous et nos montagnes, Henrik Malyan (1969) Մենք ենք, մեր սարերը We and Our Mountains | Armenfilm


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L’Incident, Larry Peerce (1967)

Note : 4.5 sur 5.

L’Incident

Titre original : The Incident

Année : 1967

Réalisation : Larry Peerce

Avec : Tony Musante, Martin Sheen, Beau Bridges, Brock Peters, Ruby Dee, Jack Gilford, Thelma Ritter, Gary Merrill, Jan Sterling, Donna Mills

— TOP FILMS

Variation new-yorkaise et brutale du Crime de l’Orient-Express. Le film reprend un des gimmicks favoris du cinéma qui consiste à développer une poignée de personnages avant de les réunir dans un même espace (la réunion se passe dans une rame de métro, pile à la moitié du film). Le procédé sera particulièrement apprécié dans les futurs films catastrophe des années 70 et connaîtra un regain d’attention avec des variations moins « chorales », plus narratives, dans les années 90 avec les films de Quentin Tarantino. Autres références et sous-genres associés : le film de transport. De Lifeboat (canot) à Airport (avion) en passant par H-8 (bus), quel que soit le moyen de transport, le huis clos (souvent partiel) fait toujours son effet. On pense également ici particulièrement aux Pirates du métro (1974). En général, les récits qui mêlent ces deux thèmes narratifs procèdent de manière opposée : on passe du transport à un autre huis clos. Le modèle du genre est Boule de suif, qui a inspiré consciemment ou non Les Huit Salopards, de Quentin Tarantino. Ici, le récit se construit plutôt dans une logique de convergence dans laquelle différentes lignées finissent par se ramifier en un seul point (une spécialité d’Agatha Christie, même si cette convergence a toujours lieu au début – ici, elle intervient au milieu du film).

Dans ce genre d’exercice périlleux, tout repose sur un bon scénario, mais surtout sur une distribution parfaite. Le spectateur entre de plein fouet dans une situation que l’on comprend n’être qu’un prétexte à définir le caractère des personnages. Avant que tout ce petit monde se retrouve confiné dans un même espace, tout l’intérêt de l’intrigue repose non pas sur l’action, sur une suite d’événements, mais sur la personnalité et le talent des personnages et de leur interprète. Les acteurs ont toujours adoré ce type de rôles qui les remettent au centre du jeu. On est à New York, ça ne devait pas être bien difficile de trouver des acteurs de talent issus des nouvelles méthodes de jeu. En dehors d’un ou deux vieux dont le jeu caractéristique de l’ancienne école (l’inusable Thelma Ritter par exemple), avec leurs tunnels pas forcément maîtrisés, passe assez mal la rampe (de métro), les acteurs sont remarquables une fois réunis. Ils aident ainsi à parfaitement retranscrire la tension de la situation.

Sur le fond, le sujet peut également être vu comme une allégorie de nos sociétés égocentriques, surtout citadines, dans lesquelles on se laisse aliéner par nos terreurs individuelles et finit par montrer notre impuissance à faire « société » au milieu d’individus hétéroclites. Depuis, me semble-t-il, ces réactions apathiques ont été étudiées par les comportementalistes en confirmant qu’à partir d’un certain seuil ou en fonction de conditions spécifiques, les responsabilités se diluent et personne n’agit, surtout si aucun des témoins ne tire l’alarme en premier pour appeler « à faire bloc » contre un danger ou pour aider au contraire une personne en danger (les deux cas se présentent dans le film : d’abord avec l’ivrogne inconscient laissé pour mort dans l’indifférence générale, puis avec les agresseurs qui s’en prennent tour à tour à chaque entité de la rame).

En faisant quelques recherches, je tombe sur ce papier qui stipule que les travaux de ce type ont commencé après un fait divers étant survenu… à New York en 1964 : une femme aurait été tuée sans qu’une trentaine de témoins osent intervenir. (Le film n’a rien à voir, c’est un remake d’un film de télévision diffusé en 1963, mais la coïncidence mérite d’être notifiée.) Dans ce papier, on peut ainsi lire : « En présence de témoins passifs, une personne tend à rester elle-même passive, et d’autre part, des groupes de trois individus ont moins de chance de rapporter l’incident que des individus isolés. » (C’est significatif, mais dans le film, la question se pose d’intervenir directement, donc de se mettre soi-même en danger. L’étude date un peu, compte tenu des difficultés à faire des expériences sociales, possible que des travaux plus récents montrent des informations plus éclairantes.)

À supposer que dès qu’un premier témoin montre la voie, tous les autres suivent, ici, au bout d’une demi-heure de terreur et d’agressions diverses, c’est l’un des plus « démunis » qui finit par lever la main (sa seule valide) pour s’opposer aux agresseurs, tandis que les autres resteront les bras ballants. Jusque-là d’ailleurs, c’était presque toujours ceux que l’on considère comme les plus faibles qui osaient le plus répondre aux agresseurs : une vieille dame qui donne une claque à l’un des deux voyous, une autre qui se lève pour leur demander d’arrêter d’importuner l’un d’eux. Les hommes (et plus encore le soldat valide) se distinguent pour leur lâcheté. Un événement subtil à la fin du film témoigne également des tensions raciales de l’époque : quand les passagers arrivent enfin à stopper le métro et à appeler la police, instinctivement, les agents appréhendent le seul Noir de la rame… (Ils s’en prenaient aux Noirs sans tabou.) C’est peut-être un détail, mais ça veut dire beaucoup…

Autre allégorie possible (plus hasardeuse encore, mais jouons les « critiques de cinéma », rarement à court d’audaces interprétatives…) : la rencontre tumultueuse entre la jeunesse turbulente et insaisissable qui s’emparera bientôt d’Hollywood et toutes les figures conservatrices du cinéma de papa. Le vagabond (qui fait faux bond) ; le Noir qui ne veut pas faire de vague parce qu’il se sait sur la sellette (figure classique de Sidney Poitier depuis Graine de violence) ; le rebel without a cause affublé de sa veste coupe-vent inspirée des letter jackets d’université ; le bon soldat en permission ; l’homosexuel forcément tourmenté ; l’ancien alcoolique à l’affût d’une seconde chance ; la femme de professeur insatisfaite ; la mère écervelée qui a le cœur sur la main ; le couple de vieux qui se chamaille depuis le premier jour de leur mariage et qui déteste voir que le monde leur échappe…

Parce qu’effectivement, le cinéma est à un tournant. Le film est sorti en 1967, année charnière dans la production américaine : Hollywood sort enfin la tête de l’eau avec Bonnie and Clyde et Le Lauréat. L’Incident n’a pour autant pas grand-chose à voir avec le Nouvel Hollywood. Filmé sur la côte est, il aurait d’abord été financé de manière indépendante avant que Zanuck sauve le film de la faillite et en assure la distribution pour la Fox. Le film n’en reste pas moins le produit d’une époque qui, par contraste, éclaire l’éclosion de ce nouveau système.

Martin Sheen sera une des figures du Nouvel Hollywood, un peu plus tard, avec La Balade sauvage, de Terrence Malick (sorti en 1973). Beau Bridges sera vite employé à Hollywood, mais pas vraiment dans de grands films représentatifs de l’époque comme ce sera le cas pour son frère (il faudra attendre Norma Rae, de Martin Ritt, en 1979, mais une autre ère a déjà débuté). Brock Peters a souvent tourné dans des films avec Charleton Heston (allez savoir pourquoi) et est apparu dans des films d’Otto Preminger (Carmen Jones, Porgy and Bess), de Lumet (Le Prêteur sur gages) ; il tenait un rôle clé dans Du silence et des ombres (l’un des seuls acteurs noirs de premier plan à cette époque avec Sidney Poitier – qu’il a croisé sur Porgy and Bess). Quant à Larry Peerce, il suivra une carrière de réalisateur à Hollywood plutôt anecdotique selon les standards actuels (loin du Nouvel Hollywood, les studios continuent à produire des films de supermarchés, éventuellement rentables, mais ne laissant aucune trace dans l’histoire). Notons toutefois Un tueur dans la foule pour lequel il renoue avec le thriller confiné, mais dans un genre opposé (grand spectacle) et dans lequel, presque dix ans après L’Incident, il s’offre à nouveau les services de Brock Peters et de Beau Bridges.


L’Incident, de Larry Peerce 1967 The Incident | 20th Century Fox, Moned Associated


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Les Indispensables du cinéma 1967

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Deux Sœurs, Mike Leigh (2024)

Note : 2.5 sur 5.

Deux Sœurs

Titre original : Hard Truths

Année : 2024

Réalisation : Mike Leigh

Avec : Marianne Jean-Baptiste, Michele Austin, David Webber

Mike Leigh confirme sa méthode de travail après la projection du film. Choix des interprètes ; discussion en tête-à-tête avec eux pour déterminer des sujets et des personnages ; préparation basée sur l’improvisation donnant lieu à une sorte de script où chacun des acteurs sait ce qu’il a à faire et doit dire ; tournage sur la base de ce long travail préliminaire.

Apparemment, cette méthode, loin d’être originale au théâtre et sans doute au cinéma, passionne les critiques et les spectateurs au point qu’ils réduisent souvent à ça de l’improvisation. Je n’appellerais même pas ça de l’improvisation dirigée pour ma part. L’improvisation dirigée consiste à improviser au moment du tournage, puis d’orienter les interprètes vers une voie que le metteur en scène imagine être fertile. Et alors, on recommence, on change des éléments ici ou là, mais toujours, on reste sur une base d’improvisation permettant aux acteurs de jouer avec la même spontanéité, le même instinct, la même surprise. Ici, l’improvisation n’est qu’un outil préparatoire intervenant bien en amont du tournage. Mike Leigh a dû répéter plusieurs fois pour que ce soit clair : au moment du tournage, il n’y a plus d’improvisation et chacun des acteurs sait ce qu’il va faire (ils ignorent juste les éléments du film qui ne concerne pas leur personnage).

L’intérêt d’un tel dispositif réside surtout dans la nature réaliste, voire naturaliste, de « l’intrigue ». Celle-ci n’obéit à aucun code préétabli et on a alors plus de chance de s’orienter vers une chronique dépeignant la vie d’un personnage central ou d’un groupe de personnages appartenant à une même communauté, souvent à l’occasion d’un événement particulièrement significatif de sa vie. Une chronique permet de sortir du carcan des histoires toutes faites, mais elle n’est pas non plus libérée de tous les codes narratifs…

Si sur la conception d’un sujet original et social, il y a moyen de tirer quelque chose de cette méthode, je serais beaucoup plus dubitatif quant à la qualité de l’écriture produite. Quand on improvise sans avoir décidé à l’avance d’un sujet à traiter, on se heurte surtout à une incroyable disparité de qualité dans ce que l’on produit. Et quand on développe un sujet qui se révèle être une impasse ou que l’on ne maîtrise pas, le cinéaste peut être tenté de s’entêter dans une direction stérile.

Autre problème : certes, les acteurs sont sans doute à même de trouver une forme de justesse après être passés par un texte et des sentiments qui les ont traversés lors des séances de travail improvisées, mais d’une part, la répétition va de toute manière altérer cette spontanéité, d’autre part, bien des acteurs qui improvisent composent des personnages tellement éloignés d’eux-mêmes qu’ils sont en réalité des caricatures (et cela, alors même que Mike Leigh leur demande, semble-t-il, de développer des personnages qu’ils ont connus). Être proche d’une personne ne garantit en rien qu’on ne la caricaturera pas, qu’on la comprend ou qu’on défendra son parti. Défendre son personnage, c’est la base du jeu. Si des acteurs peuvent être si crédibles dans des personnages parfois de crapule, c’est qu’ils sont à 100 % déterminés à les défendre, et cela pour une raison simple : les pires criminels se trouveront toujours des excuses ; ce qui nous caractérise tous, c’est que nous assumons la grande part de nos choix ; et quand nous faisons des erreurs, on est tous plus enclins à regarder ailleurs. Un acteur doit mettre de côté la morale et devenir le meilleur avocat possible de son personnage. Or, certaines caricatures (surtout en improvisation) sont en réalité des accusations déguisées. Sur la scène ou à l’écran, une caricature (surtout du point de vue de l’acteur qui l’interprète) ne transmet pas un message comme dans la presse. Elle n’est qu’un glissement vers la farce, la comédie de caractères. Même dans une satire, il faut bien se garder de porter un jugement négatif sur les personnages : aucun spectateur n’acceptera que vous ne défendiez pas la pire des crapules. À moins que les clins d’œil soient permanents. Mais un tel degré de connivence avec le public me paraît extrêmement aléatoire et réservé aux acteurs comiques de génie jouissant déjà bien souvent d’un capital sympathie important.

Si le résultat ici est si médiocre, c’est qu’à tous les stades du développement de ce dispositif, rien n’a jamais été fait pour revenir en arrière une fois qu’il semblait évident que le projet ne menait nulle part. Mike Leigh navigue toujours entre drame et comédie parce que c’est ainsi qu’est faite la vie selon lui. Certes, mais il faut alors trouver le ton adéquat pour garder une forme de sincérité dans la farce (si on va jusque-là). Ce n’est pas pour rien que les acteurs comiques sont aussi les acteurs les plus sincères et les plus spontanés au monde. Leur sens comique dépend beaucoup de ces facteurs. Un paradoxe, car il faut à la fois tirer vers le grotesque, l’excentricité, le loufoque, tout en restant plausible et sincère.

On peut supposer ici que ce qui a intéressé Mike Leigh dans leurs improvisations ait été l’opposition et les contrastes proposés autour du personnage principal, maniaque, dépressif, agressif. Son fils et son mari conservent leur inexpressive figure de cire face à ses reproches constants ; sa sœur et ses nièces ne comprennent pas qu’elle ne parvienne pas à profiter de la vie comme elles le font. Concept intéressant, sauf que ça ne marche jamais. La première partie nous expose le cœur de la situation familiale, et on attend alors un élément déclencheur venant faire basculer le récit dans autre chose : la recherche d’une solution radicale pour s’extirper de cet environnement oppressant ou une tragédie. Rien ne se passe, car en réalité le personnage principal n’évolue pas du tout au cours du récit (un des problèmes de la conception où l’écriture se fait sans grande possibilité de revenir en arrière comme dans n’importe quel processus créatif, d’abord, individuel).

Le récit se déporte au contraire un peu plus vers le lien entre les deux familles, voire les deux sœurs. Est-ce pour autant que cette relation apporte quoi que ce soit permettant de faire évoluer « l’intrigue » ou la compréhension d’une peinture générale comme dans une chronique ? Non. La scène du cimetière sur la tombe de la mère et le déjeuner qui suit de la fête des Mères devraient être les deux grandes séquences au cœur du film, dans lesquelles les tensions sont les plus fortes. Pourtant, rien ne ressort de ce passage classiquement disposé au deux tiers ou au quatre cinquièmes d’un récit. Le personnage principal pleure dans les bras de sa cadette, puis elle alterne un rire nerveux et les larmes dans une sorte de farce ratée sur l’incommunicabilité familiale. Un dénouement (peut-être moins dans une chronique, certes) sert à libérer la parole, résoudre les conflits ou au contraire les mener à un point de non-retour. Mike Leigh nous propose bien autre chose. Pour conclure son récit, il n’a d’autre choix que l’artifice lâche et laborieux : la fin ouverte.

Un tel dispositif permet parfois de naviguer dans un environnement social réaliste. D’autres fois, on peut aussi voir échapper quelques incohérences qui mettent à plat tous les efforts visant une forme de naturalisme et d’authenticité. Dans l’entretien après le film, une spectatrice a posé une question révélant une de ses failles. Elle s’interrogeait sur le travail de cette femme qui au contraire de sa sœur n’a pas d’activité bien définie. Le cinéaste lui répond qu’elle est au foyer. Rien d’exceptionnel à cela pour lui. La spectatrice remarque alors que la famille ne pourrait pas habiter une si jolie maison, car le mari semble n’être qu’un déménageur. Le public la reprend en lui rappelant qu’il est plombier, et elle reconnaît, en tout cas pour les standards français supposés, qu’un plombier devait bien gagner sa vie. Mais à supposer que ce soit réaliste, son intervention révèle une autre question restée en suspend : si elle ne travaille pas et ne supporte pas la présence de ces deux hommes dans sa vie, elle fait donc partie de ces femmes prisonnières de leur foyer au point de ne pouvoir envisager la possibilité d’un divorce. Cela aurait été un point de vue (féministe) intéressant à illustrer au cinéma tant cette problématique paraît totalement invisibilisée dans la création. Un point d’intersectionnalité sans doute trop complexe pour Mike Leigh déjà soucieux de mettre pour la première fois une communauté noire anglaise à l’écran (il a dit que c’était le point de départ de son film). (C’est peut-être pour ça que ce n’était peut-être pas forcément à lui de s’emparer de ce sujet.)

Et c’est vrai que cela pose quelques problèmes de cohérences ou de compréhension de la situation. Par exemple, le personnage principal semble bien avoir une sorte d’élan de séparation quand elle jette les vêtements de son mari… sur le pas de la porte de la chambre. Un demi-divorce ? Dans beaucoup de situations (l’absence de réponse du père sur les nouvelles de sa propre mère ; les perspectives ratées ou réveillées du film ; les relations des deux sœurs avec leurs parents ; les liens entre les nièces et leur tante ; le jeu autour des fleurs ; la peur des animaux), un entre-deux semble se dégager en révélant son lot d’incohérences bien plus qu’il ne ménage une incertitude pleine de significations.

Soit, la mère voudrait divorcer mais s’en trouve empêchée à cause de sa vulnérabilité financière (sa sœur lui a proposé de venir vivre chez elle, mais c’est resté une piste sans suite) et dans ce cas, on ne perçoit pas du tout ce dilemme dans le film ; soit, la mère est rongée par son mal-être, et je ne comprends alors pas dans ce contexte la pertinence de cette séquence où elle vire les affaires de son mari. Cette simple action compterait parmi mille autres, ça se perdrait dans le flot des détails et l’on n’y prêterait plus attention. Mais comme il se passe peu de choses dans le film ou que tout se perd dans un entre-deux flou, on ne voit plus que ça, et l’on peine à y trouver un sens.
Bref, c’est raté. On attend d’un tel dispositif un peu trop qu’il vous offre des petits miracles. Or, faut-il encore le rappeler… les miracles ne se rencontrent qu’au cinéma. Mais ils y sont rares.


Deux Sœurs, Mike Leigh (2024) Hard Truths | Creativity Media, Film4, The MediaPro Studio


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Un homme presque parfait, Robert Benton (1994)


Caresser le chien

Note : 3.5 sur 5.

Un homme presque parfait

Titre original : Nobody’s Fool

Année : 1994

Réalisation : Robert Benton

Avec : Paul Newman, Jessica Tandy, Bruce Willis, Melanie Griffith, Dylan Walsh, Philip Seymour Hoffman, Josef Sommer, Gene Saks

Coïncidence heureuse (ou forcée), je suis en plein dans la lecture de Faire un film, de Sidney Lumet, dans lequel le réalisateur explique que selon son scénariste deux types de scènes prédominent : celles où on caresse le chien et celles où on lui botte le cul. Or, selon Lumet, les studios cherchent toujours à imposer une seule vision : celle où on caresse le chien. Les stars ne font d’ailleurs pas autre chose pour préserver leur capital sympathie auprès du public. Elles peuvent ainsi faire retoucher des scénarios pour que leur personnage paraisse plus humain, positif, question « d’identification » (c’est en fait un principe hérité du théâtre qui est légèrement dévoyé à mon avis : je renvoie à mes cours dans lesquels mon prof insistait sur le fait d’« éclairer » les personnages antipathiques ; c’est loin de chercher à en gommer tous les aspects négatifs).

C’est ce qui a failli se passer avec son film, Le Verdict. Une star dont il ne révèle pas l’identité (IMDb évoque Robert Redford) a fait faire de multiples versions pour adoucir le personnage. David Mamet qui avait écrit la première version avait refusé de participer à ces réécritures qui coûtèrent un pognon de dingue. Finalement, le film s’est fait avec la condition que soit adaptée la première mouture et… avec Paul Newman qui n’avait pas fait autant de difficultés.

Avec Faye Dunaway, c’est le contraire qui s’est passé. Lumet raconte qu’elle avait la réputation d’être difficile, mais quand pour Network, il lui a demandé de ne pas insister pour rendre sympathique son personnage, tomber dans le sentimentalisme, expliquer les raisons de son comportement, elle a accepté sans difficulté et a eu le rôle.

Toute cette introduction pour en arriver à l’hypothèse que Paul Newman fait partie de ces acteurs qui n’imposent pas des changements drastiques dans un scénario pour les présenter sous leur meilleur jour. Il a en effet tourné Le Verdict. Seulement, si je peux me permettre, Sidney, Paul Newman n’a pas eu besoin de changer une ligne de dialogue parce qu’il appartient à cette autre trempe d’acteurs qui, contrairement à ce que l’on raconte au sujet de l’Actors Studio, compose peu ses rôles et offre toujours à ses personnages la même mine sympathique et… éclairée. Quoi qu’ils jouent, leur personnalité et le souvenir qu’ont les spectateurs des films précédents altèrent toujours la réalité du personnage et ses actions.

Comme point de comparaison, prenons par exemple Mikey and Nicky que je viens de voir. Peter Falk et John Cassavetes interprètent deux connards insupportables. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’y mettent pas beaucoup du leur pour « éclairer » leurs personnages. Ce sont des acteurs qui composent et n’hésitent pas à aller du côté obscur de la force. À leurs risques et périls. On sait que le personnage de Falk est une crapule, et ce n’est pas l’image qu’il nous reste de lui dans Columbo (au contraire, lui, toujours lumineux) qui influencera en bien notre perception du personnage qu’il interprète dans ce film.

Dans Le Verdict, vous ne verrez pas Paul Newman prendre ce genre de risques. Comme bien des stars avant lui, il ne compose pas : il se contente donc de réciter son texte avec talent en prenant soin de garder son air de bon gars à l’écran. Et ça marche. Dans Le Verdict comme ici dans Un homme presque parfait. Son personnage est un raté, il n’y a guère que sa logeuse qui « parie encore sur ce maudit cheval », mais au fond, ce que n’arrêtent pas de nous dire entre les lignes Robert Benton et Paul Newman, c’est : « ça reste un bon gars ; malgré son mauvais caractère, malgré son individualisme, ce raté est un bon gars ». Et il n’y a que de bons gars dans le film. Sérieusement, deux crétins n’arrêtent pas de se voler une déneigeuse, et ils continuent de jouer au poker ensemble comme si de rien n’était ? Ne nous y trompons pas : si rien ne porte à conséquence, c’est que le film est une comédie déguisée. Ce genre de situation ne peut pas exister dans la réalité. Derrière les allures un peu crasseuses du film, ses personnages ordinaires, c’est bien du pur Hollywood que l’on voit. Hollywood a parfaitement ingurgité les nouvelles avancées techniques et esthétiques de la nouvelle génération de cinéastes pour qu’à la fois les critiques du cinéma valident l’aspect pseudo-social du film et qu’en y insufflant un souffle positif, les spectateurs y adhèrent complètement. Résultat ? On caresse beaucoup, beaucoup le chien (on le bourre même de somnifères pour que l’on ait pas à lui botter les fesses).

Autre conséquence : le film devient un parfait véhicule pour la route aux Oscars. Sans la musique et sans certaines redondances dans les dénouements pour conclure des arcs narratifs gros comme des bâtisses en ruine, le film ne concourrait pas pour les Oscars, mais pour Sundance.

Dernier élément évoqué par Lumet que je me suis amusé à détecter pour voir s’il avait un fond de vrai pendant le film : le cinéaste parle à un moment de « canard en plastique ». Pour lui et son scénariste, il s’agissait d’un détail dans un scénario arrivant souvent aux deux tiers qui servait à expliquer les raisons du comportement (dégueulasse, presque toujours ; les bons gars n’ont pas besoin de se justifier dans les standards hollywoodiens). L’idée était à nouveau d’échapper au misérabilisme et aux personnages antipathiques en inventant une excuse psychologique en carton (ou en plastique) à ses erreurs et méfaits. Mais Lumet prétexte au contraire qu’un personnage ne doit pas justifier son comportement autrement qu’à travers ses actions. « Un jour, quelqu’un lui a volé un canard en plastique et c’est ce qui a fait de lui un tueur. »

Et vous savez quoi ? C’est exactement ce que l’on trouve ici. Enfin, pas tout à fait, puisque ce n’est pas aux deux tiers que l’explication traumatisante une fois révélée justifie le comportement du personnage principal, mais un peu avant la moitié du film. Le canard en plastique est ici la vieille maison où le personnage principal a vécu : son père alcoolique battait sa mère, et bien sûr, un jour, lui, le bon gars en devenir traumatisé, s’est interposé… Touchant n’est-ce pas ?

Certaines coïncidences peuvent être délicieuses. Mais les leçons de Sidney Lumet ont beau être parfaites, elles ne peuvent pas pour autant tout expliquer d’un film, qu’il soit réussi ou non.

Parce que malgré tous ces artifices, ces justifications pour forcer la sympathie, pour éclairer et « positiver », je dois être un bon spectateur (sans doute parce que je suis un « bon gars »). Non, ce n’est pas ça. Je suis une mouette.

Justifier psychologiquement les comportements négatifs ou jouer les bons gars quand vous avez manifestement raté la vie des autres en plus de la vôtre ; ajouter une grosse musique de mélo ; insister sur tous les effets en prenant bien son temps entre quatre yeux pour bien se faire comprendre qu’entre nous, en champ-contrechamp, on se comprend ; puis fermer, une à une, toutes les portes ouvertes par le récit après avoir bien pris soin d’en faire « une scène à faire »… ; non, ça ne me fait pas peur. Je ne boude pas mon plaisir. Bonne pomme, je ne saute pas pour autant au plafond. Moi aussi, je suis un romantique. Je garde un côté innocent et je crois toujours qu’à la fin les bons gars arriveront à prouver leur valeur.

Mon côté Jessica Tandy.

C’est un des plus grands mensonges du cinéma. Parfois, on a juste besoin d’y croire. C’est mal, ça nous abrutit. Et peut-être que c’est ça la foi au fond. La foi, non pas en une force surnaturelle, mais à la logique des hommes et de la civilisation qu’ils ont contribué à bâtir. Comment le monde pourrait-il être tel qu’il est (encore debout et pour combien de temps), si les hommes étaient foncièrement mauvais, intéressés et névrosés ? Tous, un peu comme dans Mikey and Nicky ?

Si vous n’y croyez, mettez peut-être la musique d’Howard Shore un peu plus fort. Et alors peut-être, tous les dobermans vous sembleront gris.

En attendant, je finis Faire un film, de Sidney Lumet. Il doit bien avoir quelque chose à dire sur la musique caressante et les dénouements multiples en forme de révélation altruiste sur la nature des hommes… La culture typique du happy end : ne retrouverait-on pas ça depuis A Christmas Carol ? Trouve-t-on de la même manière ce goût du dénouement en forme de rédemption (toute chrétienne) dans la culture narrative française ? C’est une autre histoire…

(Chapeau à la directrice de casting qui a su réunir toute une panoplie de seconds rôles au sommet de leur art : Bruce Willis, Melanie Griffith, Jessica Tandy, Philip Seymour Hoffman.)


Un homme presque parfait, Robert Benton (1994) Nobody’s Fool | Capella International, Cinehaus, Paramount Pictures


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The Dead Zone, l’adaptation et le roman (Stephen King, Jeffrey Boam, David Cronenberg)

Commentaires croisés

Les événements actuels aux États-Unis (tentative d’assassinat et réélection de Trump) m’ont incité à lire le roman et à revoir le film. J’avais écrit une vieille critique (presque vingt ans) que je n’ose relire, et je me suis essayé très brièvement (ça m’arrive) à la comparaison entre quelques éléments séparant et réunissant Stillson et Trump ici.

Mais cette lecture a surtout été l’occasion de repérer la manière dont l’adaptation avait été remarquablement faite. King a une écriture très visuelle et la structure de ses récits pourrait ressembler à du cinéma. Il serait donc tentant de coller parfaitement à la trame de son histoire, sauf que tout en empruntant pas mal des caractéristiques du cinéma (le montage alterné notamment), l’écriture de King adopte par ailleurs un certain nombre de procédés ou d’approches impossibles à réaliser au cinéma.

Il y a 28 chapitres dans le roman, et à peu de choses près, c’est le nombre de séquences dans un film. Le problème, c’est qu’à l’intérieur de ces chapitres, King y inscrit souvent différentes « séquences » supplémentaires, ce qui reviendrait à faire quelque chose qui ressemblerait à des montages-séquences. Impossible, à moins de se prendre pour Coppola, de s’en tenir à la structure du romancier. Malgré les apparences, aucun scénariste n’aurait pu faire l’économie de pas mal de coupes.

Plus intéressant encore : la manière dont Boam concentre le temps du récit autour de quelques mois si l’on met le prologue à part : cinq ans avant le temps du récit, puis l’histoire semble cantonnée aux saisons froides de la région. C’est peu ou prou un temps très cinématographique. En effet, la durée des événements diégétiques excède rarement quelques mois.

Si à l’époque du cinéma muet, de nombreux mélodrames jouaient sur les possibilités du cinéma de passer d’une époque à une autre, tout le monde s’est peu à peu rendu compte que cette possibilité se heurtait à un problème : changer d’époque implique de modifier l’apparence des personnages, et par conséquent les vieillir. Et c’est rarement crédible.

L’astuce dans le film est capillaire, uniquement capillaire. Les autres personnages n’ont pas à être vieillis parce qu’on ne le voit pas dans l’introduction.

Celle-ci est par ailleurs profondément remaniée : King se perd dans une interminable séquence de jeu de hasard et insiste sur les relations entre les deux amoureux, le tout en mêlant aux passages dédiés à Johnny d’autres concernant deux criminels de l’histoire.

Boam ne se complique pas la tâche : une intro, ça sert à introduire. En cinq minutes, c’est plié.

Astuce amusante, Boam élimine tout le début racontant l’accident de hockey de Johnny pour le réintroduire plus tard, mais cette fois pour l’appliquer au personnage dont le médium est le précepteur : on passe du football et à l’adolescence au hockey et à l’enfance. Boam peut supprimer ainsi toute la partie devenue inutile sur l’épisode de l’incendie.

En condensant l’action sur quelques mois, cela permet également de le faire sur l’élection de Stillson, alors que dans le roman, Johnny suit d’abord l’ascension de Carter et celle du psychopathe se fait plus lente.

Inutile de multiplier les événements précédant la rencontre avec le futur autocrate, et dans le film, l’accent est surtout mis sur l’enquête du tueur en série menant à l’implication d’un des flics de la ville. Toutes ces péripéties dans le roman ont une épaisseur relativement identique. Dans le film, cela vient crescendo et des liens logiques apparaissent : si Johnny accepte la proposition de devenir précepteur (ce qui lui permettra de rencontrer une première fois Stillson), c’est parce qu’il doit faire face à différents événements trop pesants pour lui : la mort de sa mère, la brève relation avec Sarah qui signifie aussi la fin de leur relation, la presse et les fans qui s’intéressent bien trop à lui depuis qu’il a aidé à résoudre les crimes mystérieux dans la région.

Dans le roman, Johnny part vivre des mois, voire des années, à l’ouest du pays où il se fait oublier (évidemment, dans un film, changer ainsi de région, d’univers est quasiment impossible, l’unité visuelle, donc géographique, est trop importante pour la cohérence du film). Ce retrait volontaire (qui se manifeste surtout par une fine ellipse : il ne se passe probablement que quelques jours entre la première rencontre avec l’enfant et la leçon qu’il reçoit chez Johnny dans sa nouvelle maison) et le recours à un enfant plutôt qu’à un adolescent permet de prendre une légère respiration avant de venir à l’événement majeur qui conclura le film (et l’on sait combien King a des difficultés souvent à livrer une fin à ses histoires).

Il n’y a pas que des avantages à se restreindre à de telles coupes : ainsi, les raisons du titre disparaissent dans le film alors qu’elles sont évoquées à la fin du roman. Les migraines qui préfigurent l’état de santé de Johnny et sa tumeur existent dans le film, mais on les attribue à l’accident. L’accident initial (l’harmatia en quelque sorte) transféré ainsi de l’enfance de Johnny à son élève qu’il sauvera de cette fin tragique n’a donc plus de raison d’être si tout l’aspect lié à la tumeur disparaît : Boam s’est passé de ce qui était explicatif dans le roman de King. Aucune raison véritable à justifier médicalement les visions de Johnny, encore moins à précipiter son meurtre en se sachant condamné.

Le film s’achèvera d’ailleurs sur la séquence de l’assassinat raté. King, de son côté, surfe ensuite sur l’émotion et sur l’explication en imaginant des lettres écrites par Johnny. Un tel épilogue se rencontre parfois au cinéma, mais on sent dans le scénario de Boam une volonté d’aller droit au but et de proposer un récit droit, froid, presque clinique, voire scolaire, mais terriblement efficace. Une fois Johnny assuré qu’il avait modifié le futur, il n’y avait aucune raison de s’attarder si autre chose que les larmes de Sarah (que Boam a très judicieusement impliqué dans la campagne de Stillson). Comme pour Shining on dira, Stephen King, c’est encore les autres qui en « parlent » le mieux. L’auteur peut critiquer les adaptations tant qu’il veut, il doit probablement une large partie de son succès à ces adaptations plus réussies que l’original.

Dans ce qu’on peut lire de la biographie du scénariste sur Wikipédia, on comprend que Cronenberg a soumis à Boam une série d’indications qui se sont révélées judicieuses pour gagner encore en simplicité. L’ironie, c’est que dans beaucoup des succès des adaptations des histoires de King au cinéma dans les années 80, la sophistication y est prohibée. Pourtant, les romans n’en sont pas totalement dénués. Elles gagnent ainsi à l’écran un côté conte pour enfants qui aura probablement participé en retour un peu plus au succès du romancier du Maine…


Dead Zone, David Cronenberg (1983) | Dino De Laurentiis Company, Lorimar Film Entertainment

Une aussi longue absence, Henri Colpi (1961)

Situations, espaces vides et montage

Note : 1 sur 5.

Une aussi longue absence

Année : 1961

Réalisation : Henri Colpi

Avec : Alida Valli, Georges Wilson, Diane Lepvrier, Jacques Harden

Moi qui suis habitué aux directions d’acteurs nettes et sans bavure de Misumi, cela fait un choc.

Colpi n’a aucun sens du rythme, ralentit l’action sans comprendre que pour la ralentir, il faut installer au préalable une atmosphère, une situation avec ses enjeux, et disposer de plans suffisants pour retravailler si nécessaire le tout au montage. Les premières minutes sont catastrophiques, il faudrait montrer le film dans les écoles de cinéma afin de leur montrer à quoi ça ressemble un film dans lequel un réalisateur ne comprend rien aux acteurs, à la situation, et plus encore au montage.

Colpi était monteur, il montait quoi au juste ? Les chevaux ? Il sort du montage de Hiroshima mon amour, on ne peut pas imaginer deux manières plus opposées pour mettre en scène un récit. Resnais illustrait les mots, les dialogues de Marguerite Duras avec des plans qui ne venaient pas se superposer à ce qu’ils donnaient déjà comme information au spectateur à travers les dialogues. C’est ce qui permettait les audaces et les possibilités au montage. Comme dans une symphonie, Resnais mêlait partition visuelle et sonore. L’harmonie vient se coller à une mélodie ; les deux se marient, se répondent, et s’agencent naturellement avec chacune leurs propriétés.

Que fait Colpi au contraire ? « J’ai une situation, je pose ma caméra, et je laisse les acteurs faire. » Que veut-il monter après ça ? Il n’a aucune matière. Livrer au spectateur des situations neutres comme on peut en trouver dans un dialogue de Duras plein champ, sans distance, sans filtre, en réalisant ça comme du Yves Robert (« C’est les vacances ! Tout le monde se barre ! »), ce n’est pas lui rendre justice. L’intérêt des mots de Duras, c’est justement ce qu’on y met entre les interstices, entre les respirations. Si en plus, il n’y a plus rien des phrases pronominales, du rythme syncopé ou de la poésie de Duras, ce n’est plus du Duras. Mais du Yves Robert un jour de relâche au mois d’août. Le mieux qu’on puisse imaginer coller le plus à du Duras à l’écran, ce serait du Michelangelo Antonioni de la même époque. Chez Duras, il y a le poids du passé et des lieux : si le bonhomme repasse tous les jours en face de ce bistro, ce n’est pas sans raison. Comment faire comprendre alors au spectateur que ce lieu doit être vu comme un personnage à part entière et comme une obsession plus ou moins conscience pour le vagabond ? À travers le montage, bien sûr. Parce que le montage peut offrir, grâce à des gros plans, grâce au collage d’un plan avec un autre, des sensations qu’en plan moyen « maître » sur un personnage, dans ce cadre, ne fera jamais transparaître. Colpi, c’est le spectateur pris au hasard à qui on remet un chapeau, une baguette et une cape de magicien à qui on dit : « Maintenant, fais-nous rêver ».

Le film n’est pas si mal écrit, mais il y avait matière à un court métrage, même en ralentissant le rythme aux moments opportuns. Ah, oui, parce que le cinéma, c’est le rythme, l’à-propos, l’art de structurer l’espace, d’user les échelles de plan afin de raconter une histoire. Le montage, quoi. Toujours. Ça dit quelque chose à Colpi, le montage ?…

Je sortais de la séance de La Princesse aveugle de Kenji Misumi. Le cinéaste a une manière bien à lui de structurer son récit à travers le montage*. Chez Colpi, rien. On illustre des dialogues en posant sa caméra en face des acteurs et on leur demande de dire ce qu’il y a écrit dans le scénario. Le montage ne sert pas à structurer le récit, mais à coller des situations mal dirigées entre elles où il ne se passe rien (le rien, comme le vide, ça ne se filme justement pas comme si ce n’était « rien » ou anodin ; le « rien » au cinéma doit devenir une force d’attraction, une illusion qui vous force à comprendre ce qu’elle cache).

*Je recopie ce que j’écris sur Misumi : un plan en introduction pour illustrer une situation, souvent en gros plan, puis il élargit, use de montage alterné si c’est possible, et il fait dialoguer ainsi toutes les ressources disponibles que le cinéma a inventées pour introduire des éléments dont on ne comprend pas forcément dans un premier temps dans quel cadre et dans quel contexte ils évoluent ; et cela, avec une vertu : quand on picore ainsi des indices, on cherche à comprendre, et il ne nous faut pas attendre longtemps pour avoir la satisfaction d’avoir bientôt une vue plus large qui donne une meilleure idée de la situation — une forme de suspense permanent en somme.

Pire que tout, puisque Colpi est un directeur d’acteurs pitoyable (il ne les dirige sans doute pas), les acteurs sont tellement à l’ouest qu’ils ne comprennent même pas la situation et semblent tout occupés à coller sans grand naturel au maigre texte qu’ils ont à dire (preuve encore une fois que du Duras, c’est fait pour être mêlé à une autre musique : il faut voir ça comme un espace vide, la chance, c’est que cela vous donne une variété infinie d’interprétations — la difficulté deviendra alors d’être sûr de la cohérence de ces choix et de s’y tenir dans la continuité du film).

Dans la seconde moitié du film, l’intrigue (entre guillemets) se resserre autour des deux personnages principaux, et au moins, on tombe alors dans le théâtre filmé. J’apprends donc à l’occasion de ce film que le théâtre filmé par un directeur d’acteurs médiocre n’est pas la pire des choses. Le pire, c’est de faire du non-cinéma (comme dans la première partie où il aurait fallu s’appuyer sur le montage et où on se noie). Faire confiance à de maigres dialogues, penser que les mots d’un auteur suffisent à remplir l’espace, c’est un défaut habituel des cinéastes de papa (ou de télévision) qui adaptent des textes littéraires à l’écran : dans un roman, on se sert des mots pour traduire une situation, là où à l’écran… on la montre. Au lieu de montrer des gens partir en vacances (ou, mieux, déjà parti), on fait dire à ces personnages secondaires qu’ils partent en vacances, et on grossit encore plus le trait en les montrant en train de partir… « C’est écrit dans le scénario, donc je montre ce qui est écrit dans le scénario. » Ce n’est pas du cinéma, c’est une école d’illustration ou de moines-copistes. Moine Colpi.

Un texte, il faut se l’approprier, le violer, ne pas le respecter. Et c’est encore plus le cas avec Duras parce que les mots creusent des espaces entre eux appelant à y voir autre chose. L’espace vide toujours.

Dans cette dernière partie du film, Colpi confirme qu’il est le champion du monde du ton sur ton. Quand le film se resserre sur les deux acteurs, c’est la même rengaine : tout est joué au premier degré, souvent en décalage avec les enjeux de départ (on joue l’instant), aucune proposition n’est faite pour jouer sur autre chose que ce que les mots révèlent dans un premier temps de la situation (une mélodie jouée en canon au lieu d’y adjoindre une harmonie). Pourquoi la femme invite-t-elle le vagabond à dîner ? Quels sont ses motivations, ses doutes, ses espoirs ? Comment le vagabond perçoit-il cette intrusion dans sa vie ? Se doute-t-il de quelque chose ou au contraire veut-il surtout manger et aller voir ailleurs ? Une situation, c’est souvent la rencontre entre deux logiques qui s’affrontent, entre les motivations d’un des personnages et ceux d’un autre. La mise en scène doit poser ces questions et répondre à certaines d’entre elles. Une mise en scène qui ne pose aucune question, c’est un thriller sans énigme. Colpi est déjà mauvais dans le découpage technique, mais il ne sait donc pas non plus mettre en scène ses personnages. Certains réalisateurs se contentent parfois de faire l’un ou l’autre, Colpi a le coude posé sur le comptoir en regardant ses acteurs se noyer.

Georges Wilson est bien décevant dans ce contexte. Grand acteur du théâtre passé par le TNP, c’est aussi une des figures du théâtre de l’absurde, je ne suis pas sûr que le minimalisme de Duras soit un registre qui lui corresponde. Un acteur de théâtre donnera toujours trop d’importance aux mots de Duras et en oubliera d’investir un espace parallèle, parfois délaissé par les acteurs « classiques » : la situation. Quand on joue une situation, les objectifs des personnages viennent souvent en contradiction avec les paroles, c’est tout l’apport des méthodes de jeu héritées de Stanislavski dont le cinéma a su profiter à plein. Parce qu’à l’écran, il n’y a plus besoin de mettre en évidence le texte pour passer la rampe ; en gros plan, tout passe beaucoup mieux, donc il faut se servir de cet espace pour exprimer autre chose, en particulier une psychologie, qu’elle soit comprise ou non du spectateur, et faire ainsi rencontrer deux espaces pour qu’ils puissent communiquer (d’un côté, la logique personnelle des personnages, souvent intérieure et que les acteurs définissent sur un plateau à travers des objectifs définis ; de l’autre, la logique des mots, celle que les personnages rendent audible ; l’opposition entre ce que l’on exprime et ce que l’on pense, au théâtre, c’est une possibilité interdite, car impossible à mettre en scène).

Palme d’or à une époque où les palmes étaient politiques. On voit ça. Le néant, mémère. La catastrophe.

À noter : des plans des anciennes usines Renault de l’autre côté de la Seine ; et la chanson Trois Petites Notes de musiques qui sera reprise par Montand, mais qui donne un peu l’impression que Colpi a voulu la planter dans son film où, pourtant, tout du long, on répète que c’est l’opéra, le dada du vagabond…


Une aussi longue absence, Henri Colpi (1961) | Procinex, Société Cinématographique Lyre, Galatea Film, Spa Cinematografica