Quelques éléments critiques…
(Vu le 4 décembre au Théâtre de Choisy-le-Roi.)
N’ayant pas lu le roman, j’avais parcouru le résumé de l’intrigue avant d’assister à la pièce. Et n’étant pas particulièrement connaisseur de Zola, je le vois surtout comme l’initiateur du naturalisme. Au cinéma, cela a eu son importance. On évoquait Antoine dans mes vieux cours de théâtre concernant le naturalisme, mais à la même période, le bonhomme a réalisé des films (son chef-d’œuvre, L’Hirondelle et la Mésange et, commenté ici, Le Coupable). Muet, forcément. Mais même sans la parole, on reconnaît une inévitable « patte » naturaliste dans les sujets et la direction d’acteurs.
En dehors de cet aspect théorique, Zola ne m’a jamais bien emballé. Sans doute parce que les modèles sociaux décrits sont très ancrés dans leur époque. Les sociétés changent, les rapports de domination restent. Et même s’il est forcément pertinent de proposer une lecture de Zola en insistant sur une certaine modernité ou contemporanéité des rapports sociaux et familiaux, et si cela garde une valeur historique, j’imagine que c’est comme tout : mieux on connaît un sujet, plus on l’apprécie. Et je connais mal cet aspect social décrit chez Zola (je suis tout aussi inculte en ce qui concerne la société de la Commune, par exemple, et cet épisode me fascine davantage, sans doute à cause de sa radicalité, à moins que ce soit l’adaptation soviétique, La Nouvelle Babylone, particulièrement réussie, qui ait piqué mon intérêt…).
Cette approche qui révèle la brutalité des sociétés paysannes en train de se muer en petits exploitants m’a fortement rappelé un film allemand de 1969, adapté, lui, d’une pièce de théâtre : Scènes de chasse en Bavière.
Bien des éléments dans le commentaire que j’avais pu écrire sur le film allemand correspondent à ce que je ressens ici face à cette adaptation de Zola. « Toute cette agitation m’épuise. Difficile d’éprouver la moindre empathie pour ces villageois. Cliché contre cliché, le film semble reproduire des stéréotypes à la limite de la pauvrophobie. […] C’est brutal, sans filtre, et ce n’est pas beau à voir. Du naturalisme maîtrisé, certes, mais épuisant. »
Je reviendrais sur le « naturalisme » à travers le jeu des acteurs. Le roman, comme son adaptation (Anne Barbot), semble bien brutal. Et la brutalité, je l’apprécie, perso, au cinéma ou au théâtre, quand elle dépasse justement le cadre du réalisme pour flirter avec la monstruosité, la farce, la satire, le grotesque. Fellini, par exemple, a réalisé une version de Casanova déjantée. Imamura, au Japon, propose un cinéma bestial dans lequel les personnages répondent à leurs instincts primaires. Les titres donnent une idée de son approche : Les Pornographes, La Femme insecte, Désir meurtrier…
Zola ne cadre évidemment pas son récit de cette manière et semble vouloir décrire une société qui se transforme et pourrit de l’intérieur. Cela pourrait fasciner s’il ne nous faisait pas entrer dans ce monde à travers un intrus, ouvrier et par ailleurs « héritier » de la lignée des autres personnages de ses romans. C’est son regard que l’on adopte. Et c’est bien ce regard qui m’interroge et me met mal à l’aise. Il ne nous laisse pas regarder cette société dans sa monstruosité telle qu’elle pourrait être, il nous la propose en nous imposant la comparaison avec un personnage qui, lui, serait « normal ». Dans la logique des romans de Zola, cela a sans doute un sens (si le monde qu’il décrit tourne en vase clos et que l’idée de ses romans consiste à tisser un lien entre tous les personnages, il était obligé de faire intervenir un intrus – procédé par ailleurs utile à l’identification… sauf peut-être dans un cas comme celui-ci).
Le spectateur (peut-être le lecteur) n’a pas besoin qu’on lui présente les choses à travers le regard d’un autre. Dans Imamura, on ne sent aucune volonté de juger les personnages : ce sont des animaux ; les jugements de valeur sont inexistants ; c’est un constat, à charge au spectateur d’en tirer les conclusions qu’il souhaite. Ici, la comparaison, le contraste avec le personnage « normal » impose une forme de jugement.
Le jeu désormais.
Le roman m’est donc inconnu, mais l’adaptation me paraît tenir parfaitement la route. La structure est claire, l’évolution naturelle. Rien que ça, c’est une réussite.
Certaines intentions ou certains partis pris de mise en scène semblent justifiés. Faire sortir Jean du public, en revanche, si cela paraît logique, n’était-ce pas un peu enfoncer une porte ouverte ? Dilemme du metteur en scène : souligner les points saillants d’une histoire pour se conformer à l’idée d’un auteur ou décider d’insister sur autre chose (quitte à « traduire » et « trahir » un peu l’esprit original d’une œuvre) afin de s’approprier et moderniser un sujet ? Si ce point me pose problème dans l’approche de Zola (et peut-être que cela ne me choquerait pas à la lecture du roman), aucune chance que j’y adhère beaucoup plus si l’on décide de l’accentuer…
J’imagine que l’interaction introductive avec le public relève de la même idée et est en partie improvisée. Cela m’a semblé toujours être un peu une facilité et un artifice. Elle permet l’apparition de Jean, mais je demanderai à voir, à titre de comparaison, une version (dans un univers parallèle auquel je n’ai pas accès) dans laquelle on insisterait moins sur « l’étrangeté » de Jean dans un milieu fermé. C’est déjà écrit ainsi.
L’intention était-elle de faire du naturalisme ? Je n’en sais rien. À quoi pourrait ressembler du naturalisme au théâtre aujourd’hui ? Je n’en sais pas beaucoup plus. Au cinéma, j’en ai déjà une vision plus précise. Comme je l’ai dit, cela a commencé très tôt avec Antoine (voire avec les frères Lumière) et le cinéma a par la suite trouvé des stratagèmes pour coller à cette « ambition » en passant le plus souvent par ce que je suppose être de l’improvisation dirigée. À l’écran, le naturalisme s’accommode mal des textes écrits. Cette possibilité s’offre aux cinéastes grâce à la multiplicité des prises. Au théâtre, avoir recours largement à l’improvisation dans une adaptation serait l’assurance d’une catastrophe.
Sur les planches, on n’a alors d’autres choix qu’adopter les « techniques » qui visent à aider à « parler vrai ». C’est mon dada depuis trente ans. J’en rajoute donc une couche, quitte à parler dans le vide. (Les salles vides raisonnent mal, et je ne suis que l’écho de moi-même… Je suis une muette. Non, ce n’est pas ça…)
Parmi ces « techniques » évoquées dans mes notes, prenons par exemple l’idée de ne pas forcer (notamment la voix). Certains acteurs de la pièce, en particulier quand ils crient, deviennent moins audibles et moins crédibles. Paradoxalement, crier dans une grande salle ne vous fait pas forcément mieux entendre. Les consonnes viennent très vite interdire aux voyelles d’achever leur formation et ce n’est plus parfois qu’une bouillie désagréable que perçoit le public (en tant qu’acteur, j’en sais quelque chose). Si la situation demande à ce qu’un personnage s’emporte, il peut le faire, mais l’acteur doit conserver la maîtrise de sa voix. L’artifice est périlleux : lâcher prise, donner l’impression de perdre son sang-froid, s’énerver, tout en gardant le contrôle de sa voix… L’acteur est toujours placé face à de tels dilemmes contradictoires, c’est ce qui rend la théorisation de son travail si passionnant…
D’autres fois, c’est le contraire. Le monologue final du maire par exemple me paraît un poil en dessous du volume nécessaire, et la voix ne me semble pas adaptée à la salle (ou cohérente avec le volume antérieur). Là encore, un dilemme se présente aux acteurs : passer une émotion, une forme d’intimité, de résignation, d’abattement en en faisant assez pour être entendu. Question de timbre sans doute. Laisser la voix bien se former et atteindre les derniers rangs, découper ses phrases, les ralentir, jouer encore plus sur les silences. (Le volume de la musique était par ailleurs trop fort.)
Les acteurs ont tendance à adopter un volume standard pour toutes les salles. Dans l’idéal, l’acteur cherche à adapter sa voix à la situation, au personnage et à la salle. Quelques écarts suffisent pour perdre le spectateur.
J’aime bien créer des exercices pratiques pour mes théories fumeuses (jamais mis en pratique). Il faudrait que je songe à un exercice dans lequel les acteurs expérimenteraient des échanges de répliques, d’abord improvisées, puis apprises par cœur, en variant la distance qui les sépare tout en intégrant un spectateur à l’exercice censé écouter en modulant également son éloignement avec les deux acteurs. L’idée serait d’adopter en permanence à la fois le volume nécessaire (et naturel) pour se faire entendre du partenaire, mais aussi du spectateur. On le fait dans la vie : quand l’on est dans deux pièces différentes et que l’on continue de se parler, le volume de la voix s’adapte ; quand on s’adresse à quelqu’un et que l’on veut que l’on soit entendu d’un tiers, on module de la même manière sa voix en fonction de cette finalité. Au théâtre, c’est pareil : il y a une logique dans le volume, et il n’existe pas de volume standard.
La question du volume se conçoit difficilement sans celle de l’intention. Dans la pièce, les acteurs disposent d’assez de talent pour éclairer le sens. Mais c’est loin d’être parfait (l’article précédemment cité évoque abondamment ce point technique). Une approche plus stanislavskienne aiderait également les acteurs à créer une forme de nécessité à dire les choses. Ce n’est pas du tout dans la tradition française. On gagnerait pourtant à nous améliorer dans ce domaine. Si les « techniques » qu’enseignait Darnel était issue d’une tradition différente, elles décrivent surtout un aspect mécanique de la chose : elles traitent des conséquences, du sens donné aux choses, elles visent à parler juste à travers des « trucs » afin de mimer ce que nous faisons dans la vie. Mais l’approche « psychologique » de Stanislavski, qui obligeait l’acteur à se nourrir de son expérience et de son émotion afin de ne plus s’efforcer de travailler sur les conséquences, mais plus sur les causes (factices) d’une intention à rendre, devrait être complémentaire de l’approche française actuelle plus directe, plus instinctive ou dilettante. On ne se pose généralement pas ces questions, on se contente de faire les choses en s’imaginant que si l’on y « met du sien » cela sera bien suffisant. (Quand l’on n’a pas de moyens de comparaison, on répond aux standards et aux exigences de l’environnement dans lequel on évolue.)
Ces questions sont loin d’être anodines. J’ai eu du mal par exemple à saisir la cohérence dans le jeu de la cadette. Certes, l’actrice n’hérite pas du personnage le plus simple à interpréter. Mais s’il y a une logique à jouer sur la naïveté du personnage au début afin d’évoquer son âge, il n’y a plus aucune raison par la suite d’adopter une telle approche. C’est comme si le personnage n’avait pas grandi. Les enfants parlent trop fort. Tout le temps. C’était le seul personnage avec qui cette spécificité pouvait se concevoir. Une fois qu’elle devient adulte, pourquoi la voix est-elle toujours aussi haut perchée ? (La voix est par ailleurs très « chantée », très « installée », signe que la pensée manque au rendez-vous.)
Dans mon article sur les techniques, il est question à un moment du médium. Rares sont les acteurs qui adoptent sur scène leur « véritable voix ». Au théâtre, bien sûr, on est obligé de porter la voix. Mais porter la voix, si ce n’est pas adopter un volume trop fort, c’est aussi utiliser sa voix naturelle. Cela semble pourtant la chose la plus difficile au monde pour un acteur. Trop aiguë, trop grave… Non, le médium, c’est la tessiture avec laquelle on parle tous les jours. Pourquoi changer ? On change parce que l’on « joue » un personnage. On joue à être quelqu’un d’autre. Cela révèle en fait une chose : on se cache derrière un personnage, derrière une voix que l’on reproduit à travers la nôtre. Parler avec sa propre voix, c’est en quelque sorte se mettre à nu sur scène. Certains acteurs ont alors aussi l’impression de ne pas en faire assez. L’acteur est un peu exhibitionniste. C’est pourtant vers quoi il faut tendre. On joue, certes. Mais si l’on veut parler juste, autant adopter notre voix de tous les jours, utiliser les inflexions qui nous sont propres… L’acteur a tout à gagner à… connaître non seulement sa tessiture (donc son médium), mais aussi à découvrir son style, sa manière de parler. C’est une fois que l’on maîtrise cet art de l’exhibition que l’on peut éventuellement commencer à en moduler certains aspects pour créer un personnage. Si l’on utilise une « voix paravent », une voix de « jeu », de dessin animé, on construit un mur.
D’autres aspects du jeu qui me tiennent à cœur n’apparaissent pas dans cet article des techniques. Dans mes commentaires de film (par exemple pour L’Art d’être aimé, Sinbad, Trois Tristes Tigres ou Onoda), j’évoque parfois la question du sous-texte. C’est le sujet également de mon second exercice (toujours inspiré d’une scène de film).
Un personnage possède toujours des intentions cachées (qu’elles soient connues ou non du spectateur). Ces intentions dirigent ses actions et se superposent à ce qu’il décide de laisser apparaître et de dire. L’acteur doit arriver à faire coïncider intentions cachées et intentions révélées ou avouées dans une sorte de « double jeu » constant. Si l’on ne crée par ce « sous-texte », on joue tout au premier degré et l’on n’échappe pas au ton sur ton. Tout le travail à la Stanislavski possède cet avantage d’obliger l’acteur à réfléchir à ce double jeu en le poussant à s’interroger sur les aspirations du personnage, ses désirs, ses attentes, ses motivations. Au théâtre et au cinéma, il y a toujours une situation de départ dans laquelle chaque personnage suit le cours d’une action à mener à son terme. Ces motivations évoluent dans la scène en fonction des obstacles rencontrés. Pour y parvenir, il cache souvent ses intentions réelles. Le spectateur les connaît parce qu’un récit emprunte une logique dramatique ou parfois même parce que le personnage expose ses ambitions et ses désirs, et ces aveux conditionnent notre manière dont on percevra ses actions et ses expressions futures. L’acteur n’a par conséquent aucun intérêt à « jouer » au premier degré. Le texte ne détermine pas toujours les motivations des personnages. L’acteur doit mettre en cohérence ces intentions que le personnage cherche le plus souvent à cacher avec les paroles qui contredisent ses intentions réelles. C’est ce jeu à deux dimensions qui rend les séquences palpitantes et éveille la curiosité du spectateur (il cherche à voir si ces deux dimensions vont coïncider). On voit une chose sur scène, mais on saisit grâce à ce que l’on a vu précédemment et grâce aux nuances apportées par l’acteur qu’il y a derrière des intentions différentes de ce qui est révélé à travers le texte. Le premier degré efface toute possibilité d’investir ce champ d’action.
Deux jeux ou deux vies évoluent en parallèle et rarement au même rythme : les intentions générales d’un personnage, ses motivations supérieures et ses petites actions entreprises pour arriver à ses fins (tout cela, confronté aux motivations et aux actions des autres personnages, façonne la situation) et les intentions, les actions telles qu’elles sont exécutées et révélées au moment présent. Chaque phrase de dialogue est dictée par un contexte psychologique propre, des motivations sous-jacentes. Un mot dit une chose qui n’est déjà pas toujours conforme à ce que dit une phrase et une phrase ne révèle pas toujours le sens de ce que pense un personnage (voir l’exercice précédemment cité : la situation est conditionnée par la séquence précédente qui nous apprend que la femme entretient une relation avec un amant ; cette information conditionne notre compréhension de la séquence qui suit avec son mari dans laquelle les deux échangent des dialogues à première vue anodins ; pourtant, tout dans l’interprétation des acteurs révèle un sous-texte qui ne peut se révéler qu’en présence d’un tel double jeu).
C’est un peu comme aux échecs. La logique à court terme consiste à adopter des actions conformes à des situations et à des opportunités (le jeu tactique) ; et la logique à long terme consiste à suivre des quêtes spécifiques, à mettre en place des stratégies pour y parvenir (le jeu stratégique). Un acteur qui ne s’appliquerait qu’à suivre la logique à court terme des intentions d’un personnage révélé à travers le texte qu’il a appris se limite à cette seule dimension du jeu : le jeu tactique, le jeu à court terme. Or, les intentions réelles d’un personnage sont bien dictées par le jeu stratégique à long terme. Les motivations des personnages ne varient pas en fonction du temps qu’il fait ; elles sont en général constantes dans un récit. Elles évoluent entre le début et la fin, mais elles ne font jamais du zigzag à changer au gré des scènes.
Les Japonais parlent de l’importance de « sentir l’atmosphère », « lire l’air » (kuuki wo yomu). Dans la norme sociale, l’implicite est la règle, là où en Occident tout doit être explicité pour se conformer à ce qui doit être dit ou fait. Cette différence sociale marque une tendance chez les Occidentaux à délaisser les détails, les signaux faibles qui tendent à exprimer l’implicite au profit de ce qui doit être révélé explicitement. On préfère dire d’une personne qu’elle est hypocrite quand on saisit que les mots ne sont pas en conformité avec les intentions. En réalité, nous sommes tout le temps hypocrites. Même avec des personnages de Zola, même en étant explicite sur ses intentions, ses motivations, ses désirs, chaque séquence possède un « air », un double jeu, une vie intérieure. Tous ces éléments mêlés aux petites actions du moment forment la situation. Le dit, et le non-dit ; l’implicite et l’explicite ; le secret et ce qui est exprimé. Le contexte d’une scène se nourrit forcément de ce qui précède et chaque détail dans le comportement des personnages (allure, pose, manière d’intervenir, de se taire, de s’opposer ostensiblement ou au contraire d’éviter, variation de ton et d’humeur, rapport à l’autre) enrichit cette « atmosphère » pas toujours conforme avec ce qui est exprimé en mots.
Chez l’acteur français, le mot prime ainsi trop sur la situation. Et c’est encore plus vrai dans une forme naturaliste (que l’on décide ou non d’insister sur cet aspect). On croit que tout est explicite, que le texte que l’on débite révèle tout. Non, il révèle ce qu’un personnage veut bien laisser paraître. L’implicite, même si nos normes sociales ont tendance à le cacher, existe bien. Et c’est à l’acteur (en accord avec le metteur en scène) de le faire ressentir à travers une « humeur » qui s’applique moins à « jouer sur les mots » et plus à « proposer un air, une atmosphère » (que le spectateur se chargerait de « lire »). Aucun personnage n’est dépourvu d’une logique intérieure. Tous ont des émotions cachées, des motivations inavouées, des désirs ou des tendances secrètes… Et chacun de ces éléments conditionne comme une ombre qui plane tout leur discours, toutes leurs actions.
Dernière chose concernant la mise en place. Je l’ai trouvée parfois trop statique, pas assez naturelle (pour ne pas dire naturaliste, mais là, c’est une question de choix). Deux exemples. Au début, lors de la scène d’interaction avec le public, rien de bien essentiel n’est révélé à ce moment. C’est le principe : laisser rentrer le public alors que le spectacle en quelque sorte a déjà commencé. Tous les personnages ou presque restent continuellement assis sur leur chaise. Quand ça bouge, c’est à tour de rôle, et l’activité, la vie propre, de chaque personnage, les interactions éventuelles avec le public, restent en mode « on/off ». La plupart des acteurs se mettent à jouer dès qu’ils doivent ostensiblement faire quelque chose et surtout prendre la parole. Aucune fluidité. Ils sont figés et hop, c’est à moi, je m’active, je m’anime d’un coup, et je redeviens un pantin mort, figé dans une expression sans but lorsque mon tour est passé. Certains acteurs ont plus de facilités que d’autres dans ce domaine, mais de manière générale, ça manque de simplicité, de créativité et de fluidité. La voix est par ailleurs à ce moment déjà trop portée, alors que c’est peut-être le seul moment du spectacle où l’on peut justement jouer sur la confusion et la barrière du quatrième mur. Le déclic pour comprendre que la pièce commence réellement pourrait être ainsi quand Jean répond à une question liée au sujet de la pièce et non plus seulement en rapport avec son envie de boire un coup ou non : dès qu’il réplique avec une voix portée pour se faire entendre au dernier rang, on ferme les portes et l’on éteint les lumières. Ici, c’est trop « à moi, à toi » d’interagir avec le public. En cherchant à trouver une forme de réalisme, l’artifice prend le pas sur lui.
Dernier exemple. Dans l’épilogue, quand chaque acteur ou presque dispose de son monologue et que les autres écoutent. Là encore, le choix de mise en place me paraît un peu artificiel. On se croirait à l’opéra quand le chœur et les figurants se figent pour écouter les solos des chanteurs principaux. L’avantage, c’est que le spectateur sait ce qu’il faut regarder et que le moment est décisif. Avec un choix plus réaliste, voire naturaliste, il comprendrait de lui-même, grâce à la situation et à diverses nuances, que l’instant est grave. Tous les autres personnages peuvent d’ailleurs écouter attentivement un autre qui dit ses quatre vérités sans pour autant se figer. Ça rejoint ce que je disais précédemment. Les personnages doivent avoir leur vie propre, les motivations du moment. Les interactions avec le personnage central qui se dévoile à ce moment-là ne doivent d’ailleurs pas être interdites. Et cela peut être très dense : chaque personnage peut se fixer des petites missions successives « d’ambiance », sans venir parasiter l’action principale (typiquement, quand deux personnages en retrait à ce moment interagissent, parlent éventuellement sans porter la voix et continuent à prêter un intérêt particulier à l’action principale). Ici, et c’est sans doute un choix de mise en place, mais comme pour l’introduction, tout se fige un peu trop à mon goût et chaque personnage semble prendre vie uniquement quand il a quelque chose à faire ou à dire (autrement dit pas souvent quand il s’agit du « grand moment » d’un autre personnage).
La pièce continue de tourner jusqu’à l’année prochaine partout en France.
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